← Retour

Le Cantique de l'Aile

16px
100%

V
LE PRINTEMPS DE L’AILE

I
SIX MARS

La France a des printemps inattendus. « Ci-gît »,
Disent de bonnes gens sitôt qu’elle chancelle.
Mais elle se redresse en riant, étant celle
Qui, chaque fois qu’on la condamne, réagit.
Respirons l’air plus pur d’un poumon élargi…
Six mars. C’est aujourd’hui le jour où la Pucelle
Cria, se retournant brusquement sur sa selle :
« Jean de Novelonpont ! Bertrand de Poulengy !
« Du château de Chinon j’aperçois la toiture ! »
Alors, elle pressa du talon sa monture,
Droite comme un garçon dans son justaucorps neuf :
Les trois pesants chevaux trottèrent en cadence ;
Et, le six mars de l’an quatorze cent vingt-neuf,
Une aile commença de pousser à la France.

II
LA SECONDE AILE

La France sent pousser une aile à son épaule,
Comme au jour où, touchant du genou les carreaux,
Jeanne offrit un Archange au roi sans généraux.
Et le Ciel vient encor de préciser son rôle :
« Je veux bien te tirer cette fois de ta geôle,
Mais la prochaine fois tu scieras tes barreaux ! »
Ainsi parle le Ciel, car il veut des Héros
Et que par le labeur la Victoire s’enjôle.
Lorsqu’en la chambre obscure où s’enfermait le roi
Jeanne ouvrit la fenêtre et fit, sur la paroi,
Glisser obliquement une grande aile blonde,
Il y eut une voix qui dit dans le rayon :
« Je prête la Première à la condition
Que ce pays, tout seul, se fera la Seconde ! »

III
LA LÉGION

Gallico vocabulo, legioni nomen dederat alaudæ.

Comme le jour où Jeanne est entrée à Chinon,
La France sent pousser une aile à son épaule.
Ces volontaires bleus qu’un vent sublime enrôle
Afin d’interloquer la gueule du canon,
Les appellerons-nous la « Cinquième Arme ? » Non.
Car il leur faut un nom qui d’une aile nous frôle !
Lorsque César nomma sa Légion de Gaule
L’Alouette, César avait trouvé leur nom.
La Légion de l’Alouette !… Elle se lève.
L’Arc de Triomphe est grave. Et ce peuple qui rêve
Se dit, ayant ses fils dans le ciel aperçus :
« Le ciel plus que le sol est difficile à prendre,
Et ces jeunes héros que cet Arc semble attendre
Pourront passer dessous, ayant passé dessus ! »

IV
GŒTHE

« Et pas une aile ! » dit le vieux Faust allemand
Lorsqu’il fuit, sur les monts, un dimanche de Pâques,
Ceux qui s’en vont, en bas, dans des gaîtés opaques,
Danser et chopiner théologalement.
« Pas une aile ! Oh ! monter ! à chaque battement,
Monter ! du fond sans fin des soirs ambrosiaques,
Voir décroître une terre où luisent quelques flaques,
Et boire la lumière à même un firmament ! »
Ainsi, quand, pour lui faire une âme plus petite,
On n’avait pas encore usé de Marguerite,
Faust poussait ce grand cri sur la cime d’un mont.
Avant de soupirer : « Ma belle demoiselle »,
Faust avait rêvé d’être ou Latham ou Beaumont…
Car l’amour n’est jamais que le regret d’une aile !

V
GRECO

Son âme était un feu qu’allonge un siroco ;
Et j’ai lu dans Barrès que sa manie étrange
De vouloir allonger aussi les ailes d’ange
Lui valut un procès, jure canonico.
Chacun, de son tourment, prend son art pour écho,
Et de n’être qu’un homme à sa façon se venge :
L’un ajoute de l’aile et l’autre de la fange.
J’ai commis plusieurs fois le crime du Greco.
Eh bien, soit ! Dans ton livre ardent tu me révèles
Le nom de mon métier, Barrès : « Allongeur d’ailes ».
Je chante, et, n’étant pas ton Greco pâle et noir,
Je ne peins qu’avec des accents et des diphtongues…
Mais puissé-je être un jour condamné pour avoir
Aux hommes d’aujourd’hui fait les ailes plus longues !
Chargement de la publicité...