← Retour

Le grand secret

16px
100%

LES MÉTAPSYCHISTES

I

Nous arrivons ainsi aux occultistes d’aujourd’hui, qui ne sont plus des hiérophantes, des adeptes, des initiés ou des voyants, mais de simples chercheurs appliquant à l’étude des phénomènes anormaux les méthodes de la science expérimentale. Ces phénomènes, pour peu que l’attention soit mise en éveil, on les constate de toutes parts dans la vie. Sont-ils exclusivement dus aux forces inconnues du subconscient ou à des entités invisibles qui ne sont pas, ne sont pas encore ou ne sont plus des hommes ? Le grand intérêt, on pourrait dire tout l’intérêt de la question est là, mais la réponse est encore en suspens, bien que s’accentue la tendance à la chercher dans un autre monde que le nôtre ; et la conversion au spiritisme de purs savants tels que sir Oliver Lodge, et plus récemment celle du professeur W.-J. Crawford, sont à cet égard assez significatives.

Je ne reviendrai pas ici sur les communications spirites, les phantasmes des vivants et des morts, les phénomènes prémonitoires, les manifestations psychométriques et médiumniques dont j’ai esquissé l’étude dans La Mort et dans L’Hôte Inconnu. Ce que j’en ai dit dans ces livres peut donner une idée sommaire, provisoire, — car tout est provisoire dans ces régions, — mais suffisante, de l’état présent de la science métapsychique sur ces points.

Mais il en est d’autres qui n’entraient pas alors dans le cadre de mon travail, qu’il faut que j’aborde aujourd’hui, d’abord parce qu’ayant passé en revue, rapidement, mais aussi complètement que possible, dans une monographie forcément écourtée, tout l’occultisme passé, il est équitable de traiter de la même façon l’occultisme présent, mais aussi et surtout parce que ces points que j’avais réservés jettent une lumière assez inattendue sur plusieurs autres et autorisent sinon des conclusions, du moins certaines inductions qui termineront cette étude.

II

Il ne s’agit plus, pour nos modernes occultistes comme pour leurs devanciers plus présomptueux, d’interroger directement l’inconnaissable, de remonter aux origines de la Cause sans Cause, d’expliquer l’inexplicable transition de l’infini au fini, de l’inconnaissable au connu, de l’esprit à la matière, du bien au mal, de l’absolu au relatif, de l’éternel à l’éphémère, de l’invisible au visible, de l’immobilité au mouvement, du virtuel au réel, et de trouver dans tout cet incompréhensible une théogonie, une cosmogonie, une religion et une morale qui ne soient pas aussi désespérantes que les ténèbres d’où on s’est efforcé de les tirer.

Assagis par d’innombrables désillusions, ils se résignent à un rôle plus modeste. Au milieu d’une science que la nature même de ses investigations a rendu presque nécessairement matérialiste, ils conquièrent patiemment un îlot où ils donnent asile à des phénomènes que les lois ou plutôt les habitudes de la matière, telles que croyons les connaître, ne suffisent pas à expliquer. Ils arrivent ainsi, peu à peu, sinon à nous prouver, du moins à nous acheminer vers la preuve, qu’il y a dans l’homme, que l’on peut considérer comme une sorte de résumé de l’univers, une force spirituelle autre que celle qui émane de ses organes ou de son cerveau matériel et conscient et qui ne dépend pas uniquement de l’existence de son corps. Reconnaissons que cet îlot de nos occultistes, qui prennent maintenant le nom de métapsychistes, est encore assez désordonné. On y remarque tout le désarroi d’une installation récente et provisoire. Chacun y apporte chaque jour ses petites ou ses grandes trouvailles, les déballe et les entasse pêle-mêle sur la grève. Le très incertain y voisine avec l’incontestable, l’excellent avec le pire et le commencement avec la fin. Il serait temps de tirer de cette profusion et de cette confusion de matériaux, quelques lois générales qui y missent un peu d’ordre ; mais il est douteux qu’on le puisse d’ores et déjà tenter, car l’inventaire n’est pas terminé et l’on pressent qu’une découverte inattendue peut tout remettre en question et renverser de fond en comble les théories le plus prudemment édifiées.

En attendant, on pourrait essayer de commencer par le commencement. Puisque les phénomènes qui s’accumulent tendent à établir que la force spirituelle qui émane de l’homme ne dépend pas entièrement de son cerveau et de la vie de son corps, il serait logique de démontrer d’abord que la pensée peut exister sans cerveau et en fait existait avant qu’un cerveau ne fût né. Si l’on y réussissait, l’existence posthume et tous les phénomènes attribués au subconscient deviendraient presque naturels et, en tout cas, beaucoup plus explicables.

III

La grande objection que les matérialistes ont toujours faite aux spiritualistes et qu’ils font encore, mais moins hardiment aujourd’hui, se résume en ceci : Pas de pensée sans cerveau. L’âme ou l’esprit est une sécrétion de la substance cérébrale ; le cerveau mort, la pensée s’arrête et il ne reste rien.

A cette objection formidable, à ces constatations en apparence irréfutables, parce que l’expérience quotidienne de la mort vient sans cesse les confirmer, on n’avait jusqu’ici à opposer aucun argument réellement sérieux. On était au fond beaucoup plus désarmé qu’on n’osait en convenir. Mais depuis un certain nombre d’années, les travaux de nos métapsychistes, dont on n’a pas encore tiré toutes les conséquences, fournissent enfin, sinon des arguments péremptoires qu’on ne trouvera peut-être jamais, du moins des commencements d’arguments qui permettent de faire tête aux matérialistes, non plus dans les nuages religieux ou métaphysiques, mais sur leur propre terrain où règne seule la déesse, d’ailleurs fort respectable, de la méthode expérimentale. On rejoint ainsi, par-dessus les siècles, les affirmations et les constatations que des ancêtres préhistoriques nous avaient léguées comme un trésor secret ou trop longtemps enseveli dans l’oubli.

On fuierait avec plaisir ces discussions assez oiseuses entre spiritualistes et matérialistes, si ces derniers n’obligeaient d’y revenir, en soutenant aveuglément que la matière est tout, le principe de tout, que tout commence et finit en elle et par elle et qu’il n’y a pas autre chose. Il serait plus raisonnable de reconnaître, une fois pour toutes, que la matière et l’esprit ne sont au fond que deux états différents d’une même substance ou plutôt d’une même énergie éternelle. C’est ce qu’a toujours affirmé, plus nettement qu’aucune autre, la religion primitive de l’Inde, en ajoutant que l’esprit était l’état primordial de cette substance ou de cette énergie et que la matière n’est que le résultat d’une manifestation, d’une condensation ou d’une dégradation de l’esprit. Toute sa cosmogonie, toute sa théosophie et toute sa morale découle de ce principe fondamental, dont les conséquences, alors qu’en apparence il ne s’agit que d’une querelle de mots, sont, en pratique, énormes.

Il s’agit donc tout d’abord de savoir si l’esprit est antérieur à la matière ou si l’inverse est vrai, si la matière est la condition de l’esprit ou si c’est au contraire l’esprit qui est la condition de la matière. Dans l’état présent de la science, et sans tenir compte des enseignements des grandes religions, est-il possible de répondre à cette question ?

Nos matérialistes affirment que la vie est la condition indispensable pour que la pensée naisse et se forme dans le cerveau. Ils ont raison ; mais qu’est-ce que la vie, à leurs yeux, sinon une manifestation de la matière qui déjà n’est plus la matière telle qu’ils l’entendent et que nous avons bien le droit d’appeler esprit, âme et même dieu si nous le désirons ? S’ils soutiennent que la matière ne peut produire la vie sans qu’un germe venu du dehors ne l’y fasse naître, ils passent ipso facto dans notre camp, puisqu’ils reconnaissent qu’il faut autre chose que la matière pour produire la vie. Si d’autre part, ils prétendent que la vie émane de la matière, ils confessent qu’elle s’y trouvait préalablement renfermée, et reviennent se ranger parmi nous. Ils ont du reste récemment, — voyez entre autres les expériences du Dr Gustave Le Bon, — été forcés de reconnaître que la matière inerte n’existe point, et qu’un caillou, un bloc de lave, stérilisé par les feux les plus infernaux, est doué d’une activité intra-moléculaire absolument fantastique, et dépense en tourbillons intérieurs une énergie qui serait capable d’ébranler des trains entiers et de leur faire faire le tour de notre globe. Or, qu’est-ce que cette activité et cette énergie, sinon une forme irrécusable de la vie universelle ? Et nous voilà encore une fois d’accord. Mais où nous ne le sommes plus, c’est quand ils prétendent sans aucune raison, ou plutôt contre toute raison, que la matière existait avant cette énergie. Nous pouvons admettre qu’elle existait en même temps, depuis l’origine du monde ; mais la simple logique et l’observation des faits nous obligent de reconnaître que lorsque la matière s’est mise en mouvement, s’est mise à évoluer, non plus intérieurement, comme dans un caillou, mais extérieurement, comme dans un cristal, une plante ou un animal, c’est la même énergie, la même force motrice qui était en elle qui a déterminé ce mouvement ou cette évolution. Cette même logique et cette même observation des faits nous forcent encore de reconnaître que lorsqu’il s’est agi de transformer et d’organiser la matière, ce n’est pas celle-ci, mais la vie qu’elle recélait, qui a commencé. Or dans ce cas, comme dans les querelles qui se terminent devant les tribunaux, il est extrêmement important de savoir qui a commencé. Si c’est la matière, — mais soit dit en passant, comment commencerait-elle quelque chose, comment prendrait-elle une initiative, sans cesser d’être la matière, telle que la définissent les matérialistes, c’est-à-dire une chose par elle-même nécessairement inerte et immobile ? — Mais enfin, si pour admettre l’impossible, c’est la matière qui a commencé, il est assez probable que notre esprit périra ou plutôt s’éteindra avec elle et retournera en elle à cette élémentaire activité intra-moléculaire qui marquait son commencement et marquera sa fin. Si c’est au contraire l’esprit qui a commencé, il est non moins probable, qu’ayant su transformer la matière et l’organiser, il est plus puissant et d’une autre nature que cette matière, et qu’ayant su s’en servir, en tirer parti pour évoluer, s’accroître et s’élever, — et c’est bien l’évolution spirituelle que nous constatons, sur notre terre qui part du minéral, pour aboutir à l’homme, — il est, dis-je, non moins probable qu’ayant su se servir de la matière et en être le maître, il ne lui permettra pas, quand elle semblera se dissoudre, de l’entraîner dans sa dissolution, de l’éteindre quand elle s’éteint ou de le faire rétrograder vers cette obscure activité intra-moléculaire d’où il l’avait tirée…

IV

En tout cas, pour ce qui nous intéresse particulièrement, c’est-à-dire l’antériorité de la pensée ou du cerveau, ou la possibilité de la pensée sans cerveau, la question est tranchée par les faits. Avant l’apparition de l’homme et des animaux les plus intelligents, la nature était déjà beaucoup plus intelligente que nous et avait déjà réalisé dans le monde des plantes, des poissons, des sauriens, des oiseaux reptiliens, et surtout dans le monde des insectes, la plupart des inventions merveilleuses devant lesquelles nous nous extasions encore aujourd’hui. Où était à ce moment, le cerveau de la nature ? Probablement dans la matière et surtout hors de la matière, partout et nulle part, comme il est encore aujourd’hui. Vous aurez beau nous objecter que tout cela s’est fait peu à peu, avec une lenteur infinie, à travers des tâtonnements incessants ; c’est entendu, mais le temps ne fait rien à l’affaire. Il est donc évident, à moins que vous n’admettiez que l’effet précède la cause, qu’il y avait quelque part, on ne sait où, une intelligence qui déjà fonctionnait sans organes visibles ou localisables, nous démontrant ainsi que les organes que nous croyons indispensables pour qu’une pensée se produise, ne sont que le produit d’une pensée préexistante, les effets d’une cause antérieure et spirituelle.

V

Il est au demeurant fort possible que depuis la formation de notre cerveau, la nature pense mieux qu’elle ne le faisait. Il est fort possible, comme le prétendent certains biologistes, que les acquisitions de notre intelligence profitent à la nature et se reversent dans le fonds commun de l’intelligence universelle. Je n’y vois, pour ma part, aucun inconvénient. Cela ne prouve nullement que la nature ait besoin du cerveau de l’homme pour avoir des idées. Elle les avait toutes bien avant lui. Quand l’homme invente par exemple l’imprimerie ou la machine à écrire pour faciliter la diffusion de sa pensée, cela ne prouve nullement qu’il ait besoin de l’imprimerie ou de la machine à écrire pour penser.

Il semble en effet que la nature, tout au moins sur notre petite terre, se soit assagie, et ne commette plus les énormes bévues qu’elle faisait à l’origine, quand elle créait des milliers de monstres hétéroclites et inviables. Il n’en est pas moins vrai qu’elle ne nous a pas attendus pour se mettre à penser et à imaginer beaucoup plus de choses que nous n’en imaginerons jamais. Nous n’avons pas cessé et nous ne cesserons pas de sitôt, de puiser à pleines mains à l’immense fonds d’intelligence accumulé par elle avant notre venue. Ernest Kapp, dans sa Philosophie de la Technique, a lumineusement démontré que toutes nos inventions, toutes nos machines, ne sont que des projections organiques, c’est-à-dire des imitations inconscientes de modèles fournis par la nature. Nos pompes sont la pompe de notre cœur, nos bielles sont la reproduction de nos articulations, notre appareil photographique est la chambre noire de notre œil, nos appareils télégraphiques représentent notre système nerveux ; dans les rayons X, nous reconnaissons la propriété organique de la lucidité somnambulique qui voit à travers les objets, qui lit par exemple le contenu d’une lettre cachetée et enfermée dans une triple boîte de métal. Dans la télégraphie sans fil, nous suivons les indications que nous avait données la télépathie, c’est-à-dire la communication directe d’une pensée, par ondes spirituelles analogues aux ondes hertziennes, et dans les phénomènes de la lévitation et des déplacements d’objets sans contact, se trouve une autre indication dont nous n’avons pas encore su tirer parti. Elle nous met sur la voie du procédé qui nous permettra peut-être un jour de vaincre les terribles lois de la gravitation qui nous enchaînent à cette terre, car il semble bien que ces lois, au lieu d’être, comme on le croyait, à jamais incompréhensibles et impénétrables, sont surtout magnétiques, c’est-à-dire maniables et utilisables.

VI

Et je ne parle ici que du monde restreint de l’homme. Que serait-ce si nous faisions le recensement des inventions de la nature dans le royaume des insectes, où elle semble avoir prodigué, bien avant notre arrivée sur la terre, un génie plus varié et plus abondant que celui qu’elle a dépensé pour nous. Outre l’idée d’organisations politiques et sociales que nous imiterons peut-être un jour, nous y trouverions des miracles mécaniques qui nous sont inaccessibles et le secret des forces dont nous n’avons encore aucune notion. D’où vient, notamment, pour ne citer que le plus humble et le plus désagréable des exemples, d’où vient l’énergie fabuleuse qui permet à la puce de faire un bond qui correspond pour l’homme à un saut en hauteur ou en longueur de quatre ou cinq cents mètres ? Et le scorpion languedocien, où puise-t-il l’aliment mystérieux qui, malgré une activité incessante, lui permet de vivre pendant neuf mois sans aucune nourriture ? Où le puisent aussi les petits de la Lycose et de l’araignée Clotho, qui ont une faculté analogue ? En vertu de quelle alchimie voyons-nous, dans l’isolement absolu, sans que rien du dehors s’y puisse introduire, décupler sur place le volume de l’œuf d’un autre insecte, le Minotaure ? Le grand entomologiste, J.-H. Fabre, sans se douter qu’il rééditait une théorie fondamentale de Paracelse, — car malgré elle, la science se rapproche chaque jour de la Magie, — soupçonne très curieusement « qu’ils empruntent une partie de leur activité aux énergies ambiantes, chaleur, électricité, lumière ou autres modes variés d’un même agent, » qui est exactement l’agent universel, l’astral, le fluide cosmique, éthérique ou vital, l’Akahsa des occultistes ou l’Od de nos savants modernes.

VII

Pour le dire en passant, la nature sans cerveau, clairement, une fois de plus, indique ici à nos cerveaux la voie qu’ils auront à suivre s’ils veulent nous débarrasser des lourds et répugnants assujettissements de la nourriture, qui nous accordent à peine quelques heures de loisir, entre les trois ou quatre repas que nous devons faire chaque jour. L’heure est peut-être moins éloignée qu’on ne croit, où nous cesserons d’être des estomacs avides et des ventres insatiables, où nous découvrirons à notre tour le magnifique secret de ces insectes et parviendrons à tirer, à leur exemple, notre vie du fluide universel et invisible qui nous enveloppe et nous pénètre aussi bien qu’eux.

Il y a là, pour notre science, des champs inexplorés et illimités. Il y aura là, surtout au point de vue de notre vie spirituelle, une transformation qui facilitera singulièrement l’intelligence de notre existence future ; car lorsque nous n’aurons plus à faire les trois ou quatre repas qui maintenant encombrent ou illuminent, selon les tempéraments, toutes nos heures, depuis le lever jusqu’au coucher du soleil, nous commencerons peut-être à comprendre que la pensée ou l’âme n’est pas nécessairement malheureuse, désœuvrée, désemparée et la proie d’un éternel ennui, quand elle n’a plus dans la journée les points de repère ou les buts que sont le déjeuner, le thé, le dîner et le souper. Ce sera une excellente initiation au régime d’outre-tombe et de l’éternité.

Pour revenir une dernière fois à cette question de la pensée sans cerveau, qui est la clef de voûte de tout l’édifice, supposons qu’à la suite d’un cataclysme qui sans doute s’est déjà produit et peut à chaque instant se reproduire sur notre globe, tous les cerveaux, toutes les plus élémentaires, les plus gélatineuses velléités d’organisation nerveuse ou cérébrale, depuis celle de l’amibe jusqu’à l’homme, soient brusquement anéantis. Croyez-vous que la terre resterait nue, déserte, inerte, à jamais morte, si les conditions d’existence redevenaient exactement semblables à ce qu’elles étaient avant la catastrophe ? Il n’est guère permis de le présumer. Il est au contraire à peu près certain que la vie, retrouvant les mêmes circonstances favorables, recommencerait à peu près de la même façon. L’intelligence renaîtrait graduellement, des idées reparaîtraient, se formeraient de nouveaux organes, nous donnant ainsi l’irréfragable preuve que la pensée n’était pas morte, qu’elle ne peut pas mourir, qu’elle se réfugie et subsiste quelque part, intangible et impérissable, au-dessus de la ruine totale de ses instruments ou de ses véhicules, et qu’elle est, en un mot, indépendante de la matière.

VIII

Étudions maintenant en nous-mêmes cette préexistence de l’esprit. Avions-nous déjà un cerveau quand au moment de notre conception nous étions encore cet infusoire que seuls les microscopes peuvent rendre visible à nos yeux ? Pourtant, nous étions déjà en puissance tout ce que nous sommes aujourd’hui. Nous n’étions pas seulement nous-mêmes, avec notre caractère, nos idées innées, nos vertus et nos vices, tout ce que notre cerveau qui n’existait pas encore allait développer beaucoup plus tard ; nous renfermions déjà tout ce que nos ancêtres avaient été ; nous portions en nous tout ce qu’ils avaient acquis dans une suite de siècles dont nul ne sait le nombre ; leurs expériences, leur sagesse, leurs habitudes, leurs tares et leurs qualités, les conséquences de leurs fautes et de leurs mérites ; tout cela s’entassait, s’agitait, fructifiait dans un point invisible. Nous y portions aussi, ce qui paraît bien plus extraordinaire, mais est aussi incontestable, toute notre descendance, toute la suite ininterrompue de nos enfants et des enfants de nos enfants en qui nous revivrons dans l’infini des temps, et dont nous contenions déjà toutes les aptitudes, tout le destin, tout l’avenir. Quand la matière accumule tant de choses en une sorte de bout de fil si ténu qu’il échappe presque au microscope, n’est-elle pas subtile au point de ressembler étrangement à un principe spirituel ?

Négligeons aujourd’hui l’action de nos descendants sur nous-mêmes, sur notre caractère, sur nos déterminations, action qui est assez probable puisqu’ils existent incontestablement en nous, mais qu’il serait trop long de rechercher, et insistons un moment sur ce fait que nos ancêtres qui nous paraissent morts continuent très réellement de vivre en nous. Je ne m’attarderai pas sur ce point, car j’ai hâte d’aborder des arguments plus récents ; je me contenterai donc de le signaler à votre attention, car les phénomènes de l’hérédité sont maintenant admis et classés. Il est indubitable que chacun d’entre nous n’est qu’une sorte de total de ses ascendants et reproduit plus ou moins exactement la personnalité de l’un ou de plusieurs d’entre eux qui manifestement continuent de penser et d’agir en lui. Il pense par notre cerveau, direz-vous. C’est peut-être vrai. Il use de l’organe qu’il a à sa disposition, mais il est évident qu’il existe toujours, qu’il vit et pense bien qu’il n’ait plus de cerveau personnel, et c’est tout ce qu’il importait pour l’instant d’établir.

IX

Nous venons de voir, trop rapidement et trop sommairement, que la pensée peut exister, et en fait existe partout sans cerveau, qu’elle semble antérieure à la matière et qu’elle a en réalité une existence indépendante de celle-ci. Je ne noterai qu’en passant une objection des matérialistes qui nous disent : « Si la pensée est indépendante de la matière, comment se fait-il qu’elle cesse de fonctionner ou ne fonctionne plus qu’incomplètement quand le cerveau est lésé ? » Cette objection, qui du reste n’atteint pas la source de la pensée mais seulement l’état de son conducteur ou de son condensateur, perd une partie de sa valeur si on lui oppose un nombre suffisant de constatations qui prouvent exactement le contraire. Je pourrais, si nous en avions le loisir, vous fournir une liste de cas médicalement établis où la pensée a continué de fonctionner normalement, alors que la presque totalité du cerveau est réduite en bouillie ou n’est plus qu’un abcès purulent. Je renvoie ceux que la question intéresse aux ouvrages spéciaux ; ils trouveront notamment dans le livre magistral du Dr Geley : « De l’Inconscient au Conscient », des exemples qui les convaincront[62].

[62] Dr G. Geley, De l’Inconscient au Conscient, p. 8 et suiv.

Au fond, cette objection des matérialistes est surtout un sophisme qui a été fort bien réfuté par le Dr Carl du Prel. Dire que toute blessure faite au cerveau atteint l’esprit, que toute pensée cesse quand le cerveau est détruit et qu’en conséquence l’esprit est un produit du cerveau, c’est raisonner exactement comme ceci : toute lésion de l’appareil télégraphique nuit à la dépêche, et le fil étant coupé, la dépêche n’existe plus ; donc l’appareil produit la dépêche, et il est interdit à la science de supposer qu’il y a encore, derrière l’appareil, un employé du télégraphe.

X

Arrivons aux constatations que la science de ces dernières années, rejoignant par-dessus des millénaires les affirmations des anciennes religions et des occultistes, vient de recueillir. Elles jettent un jour nouveau sur le problème et corroborent enfin, par l’expérience, les doctrines ésotériques au sujet du corps astral, ou éthérique, ou de l’hôte inconnu, si vous le préférez, de ses facultés extraordinaires et incompréhensibles, de sa survivance probable et de son indépendance par rapport à notre corps physique.

Nous savions tous qu’une partie très importante de notre existence, de notre personnalité, était ensevelie dans les ténèbres de l’inconscience ou de la subconscience. Nous logions dans ces ténèbres toute notre vie organique, celle de notre estomac, de notre cœur, de nos poumons, de nos reins et de notre cerveau même, qui fonctionnent dans une obscurité où ne pénètre que par hasard, — en cas de maladie, par exemple, — un rayon de conscience. Nous y logions ensuite nos instincts, les plus bas comme les plus hauts, tout ce qu’il y avait d’inné, de mystérieux et d’irrésistible dans nos connaissances et nos aspirations, nos goûts, nos aptitudes, et notre caractère, et bien d’autres choses que nous n’avons pas le temps de passer en revue.

Mais depuis un certain nombre d’années, des études scientifiques sur l’hypnotisme et la médiumnité ont prodigieusement agrandi et éclairé cet extraordinaire et féerique domaine de l’inconscient.

On est arrivé, pas à pas, à constater d’une manière objective, matérielle et indubitable, que notre petite existence consciente et cérébrale n’est rien si on la compare à l’immense existence ultra-cérébrale et secrète que nous menons en même temps ; cette existence inconnue englobe le passé et l’avenir et, même dans le présent, peut s’étendre à d’énormes distances de notre corps physique. On s’est notamment aperçu que la mémoire étroite, infidèle et fragile que nous croyions unique, était doublée dans l’ombre d’une autre mémoire sans limites, infatigable, inépuisable, incorruptible, inébranlable, infaillible, enregistrant quelque part, — peut-être dans le cerveau, mais en tout cas pas dans le cerveau tel que nous le connaissons et qui régit notre conscience, car elle paraît être indépendante de l’état de ce cerveau, — enregistrant, dis-je, de façon indélébile, les moindres événements, les plus minimes émotions, les plus fugitives pensées de notre vie. C’est ainsi, pour ne citer qu’un exemple entre mille, qu’une servante totalement illettrée pouvait, en état d’hypnose, réciter sans une incorrection des pages entières de sanscrit, pour avoir, autrefois, entendu lire par son premier maître, qui était un orientaliste, des passages des Védas.

C’est ainsi qu’il a été prouvé que n’importe quel chapitre d’un des milliers de livres que nous avons lus reste inaltérablement photographié dans notre souvenir et peut, à un moment donné, reparaître sous nos yeux, sans qu’il y manque un point ou une virgule. C’est encore ainsi que le colonel de Rochas, dans ses expériences sur la régression de la mémoire et de la personnalité, faisait remonter à ses sujets le cours de toute leur vie, jusqu’à leur petite enfance, dont les moindres détails ressuscitaient avec une netteté, un relief extraordinaire, détails qui, lorsqu’ils étaient contrôlés, étaient reconnus parfaitement exacts. Il faisait bien mieux, il parvenait à réveiller la mémoire de leurs vies antérieures. Mais ici, le contrôle étant plus difficile, la question n’est pas au point, et je ne veux vous mener que sur la terre ferme des faits acquis et incontestés.

XI

Donc, voilà déjà une énorme partie de notre moi qui nous échappe, dont nous ignorons l’existence, que nous n’utilisons pas, qui vit, enregistre, agit en dehors de notre cerveau conscient, une mémoire idéale, qui, pratiquement, ne nous sert de rien, à côté de laquelle celle qui nous obéit n’est qu’un étroit sommet, une sorte d’aiguille, sans cesse rongée par le temps, émergeant de l’océan de l’oubli, et sous laquelle se prolonge et s’étale une colossale montagne de souvenirs inaltérables, dont notre cerveau ne peut tirer parti. Or, sur quoi fondons-nous notre personnalité, la nature de notre moi, cette identité que nous craignons surtout de perdre par la mort ? Uniquement sur notre mémoire consciente, car nous n’en connaissons pas d’autre, et cette mémoire, nous venons de le voir, comparée à l’autre, est précaire et insignifiante. N’est-ce pas le moment de nous demander où se trouve réellement notre moi, où réside notre véritable personnalité ? Est-ce dans la petite mémoire incertaine et précaire ou dans la grande, l’infaillible et l’inébranlable ? Quel moi choisirons-nous après notre mort ? Celui qui n’est fait que de souvenirs vacillants, ou l’autre qui nous représente tout entier, sans solution de continuité, qui n’a pas laissé perdre un fait, un spectacle, une sensation de notre existence et garde, vivant en lui le moi de tous ceux qui sont morts avant nous ? S’il est à redouter que la première mémoire, celle dont se sert notre cerveau, s’altère ou s’éteigne au moment de la mort, comme au moindre malaise elle s’altère ou s’éteint dans la vie, n’est-il pas, au contraire, plus que probable que l’autre, la grande, qu’aucune secousse, aucune maladie ne parvient à troubler, résistera également au choc énorme de la mort et n’y a-t-il pas beaucoup de chances pour que nous la retrouvions intacte de l’autre côté du tombeau ?

Sinon pourquoi ce formidable travail d’enregistrement, cette incroyable accumulation de clichés sans emploi, puisque dans l’existence normale nous n’en secouons jamais la poussière et que les quelques repères de notre mémoire cérébrale suffisent à maintenir les lignes essentielles de notre identité ? Il est admis que la nature n’a rien fait d’inutile ; on doit donc présumer que ces clichés serviront plus tard, qu’ils seront nécessaires ailleurs, et cet ailleurs où peut-il être que dans une autre vie ?

On fera l’inévitable objection que c’est le cerveau seul qui enregistre les clichés de cette mémoire, comme les clichés, de l’autre et que le cerveau étant mort, etc. C’est possible, mais ne serait-il pas assez bizarre qu’il fût seul à faire avec un soin, qui l’absorberait tout entier, toutes ces opérations qui ne l’intéressent pas, dont, l’instant d’après, il n’a plus cure, et dont il ne semble pas se rendre compte ? En tout cas, ce n’est pas le cerveau tel que nous l’entendons communément, et c’est déjà une très importante constatation.

XII

Mais cette mémoire cachée, ou cryptomnésie, comme l’appellent les spécialistes, n’est qu’une des faces de la cryptopsychie ou psychologie cachée de l’inconscient. Je n’ai pas le loisir de rappeler ici tout ce que le savant, l’artiste, le mathématicien doit à la collaboration du subconscient. Nous avons tous plus ou moins profité de cette collaboration mystérieuse.

Ce subconscient, ce personnage étrange que j’ai appelé d’ailleurs : « L’Hôte Inconnu », qui vit et agit pour son propre compte en dehors de notre cerveau, ne représente pas seulement tout notre passé qu’il cristallise intégralement dans sa mémoire ; il est aussi notre avenir qu’il pressent, qu’il découvre, que souvent il révèle, car les prédictions véridiques chez certains sensitifs ou somnambules, particulièrement doués, quand il s’agit de faits personnels, sont si nombreuses que l’existence de la faculté n’est plus guère niable. Il déborde donc prodigieusement dans le temps, notre petit « Moi » conscient, qui ne vit que sur l’étroit plateau du présent. Il le déborde tout aussi prodigieusement dans l’espace. Par-dessus les océans et les montagnes, parcourant en une seconde des centaines de lieues, il nous avertit de la mort ou du malheur qui frappe ou qui menace l’un des nôtres à l’autre bout du monde.

Sur ce point, il n’y a plus le moindre doute, et des milliers de faits contrôlés nous dispensent de renouveler les réserves que nous venons de faire au sujet des prédictions de l’avenir.

Cet hôte inconnu et probablement gigantesque, dont nous n’avons pas aujourd’hui à prendre les mesures, mais à constater l’existence, est du reste bien moins un personnage nouveau qu’un personnage oublié depuis la recrudescence de nos sciences positives. Nos diverses religions le connaissaient bien mieux que nous et qu’elles l’aient appelé « âme — esprit — corps éthérique — corps astral — étincelle divine », peu importe, c’est toujours la même entité transcendentale qui englobe notre cerveau, et notre « Moi » conscient, existait probablement avant celui-ci et lui survit aussi probablement qu’il lui préexistait, et sans la présence duquel on ne peut expliquer les trois quarts des phénomènes essentiels de notre vie.

XIII

Laissant de côté pour l’instant d’autres propriétés de ce singulier personnage, qu’on croyait à jamais relégué dans l’invisible, telles que les matérialisations, l’idéoplastie, les lévitations, la lucidité, la bilocation, la psychométrie, etc., il me reste à exposer de quelle façon imprévue et curieuse, une science assez récente est parvenue à constater, à étudier et à analyser certaines de ces manifestations physiques, et à examiner ce que ces constatations ajoutent aux probabilités de survie ou d’immortalité du même personnage, qui pourrait bien être après tout la partie essentielle et impérissable de notre « Moi ».

Je viens de rappeler à quel point les études sur l’hypnotisme et la médiumnité ont étendu le champ du subconscient. Jusqu’ici, selon les écoles, on attribuait les phénomènes qu’on y constatait, soit à la suggestion, soit à un fluide dont on ignorait la nature et dont on se bornait à enregistrer les effets surprenants. Les choses en étaient là, et les querelles entre suggestionistes et mesmériens menaçaient de s’éterniser lorsque, il y a une cinquantaine d’années, en 1866 et 1867, pour être précis, un savant autrichien, le baron von Reichenbach, publia ses premiers ouvrages sur les effluves odiques. Le docteur Carl du Prel, un savant allemand, compléta l’œuvre de Reichenbach et, doué d’un esprit scientifique de premier ordre et d’une intuition parfois géniale, sut en tirer toutes les conséquences. On ne leur a pas rendu pleine justice jusqu’ici, et leurs travaux n’ont pas encore obtenu le retentissement qu’ils méritent. Il ne faut pas s’en étonner, les progrès de la science officielle, la seule qui pénètre jusqu’au public, sont toujours beaucoup plus lents que ceux de la science indépendante. Il a fallu plus de cent ans pour que l’électricité de Volta devint notre électricité moderne et la reine du monde industriel. Il a fallu également plus d’un siècle depuis les expériences de Mesmer, pour que l’hypnotisme fût enfin reconnu par les académies de médecine, étudié dans les universités et classé dans la thérapeutique. Il en faudra peut-être autant pour que les expériences de Reichenbach, mises au point par du Prel et complétées par de Rochas, portent tous leurs fruits. En attendant, leurs études jettent un jour admirable sur toute une série de phénomènes obscurs et confus, dont, pour la première fois, elles ont objectivement démontré l’existence et repéré la source.

Reichenbach a réellement redécouvert le fluide vital universel qui n’est autre que l’Akahsa des religions préhistoriques, le Télesma d’Hermès, le feu vivant du Zoroastre, le feu générateur d’Héraclite, la lumière astrale de la Kabbale, l’Alcahest de Paracelse, l’esprit de vie des occultistes, la force vitale de Saint Thomas. Il l’a appelé « Od » d’un mot sanscrit qui veut dire « Qui pénètre partout », et il y voit très justement la limite extrême de notre analyse de l’homme, le point où la ligne de démarcation entre l’esprit et le corps disparaît, si bien qu’il semble que l’essence intime de l’homme soit « odique ».

Je ne peux naturellement pas exposer ici les innombrables expériences de Reichenbach, du Prel et de Rochas. Il suffira de dire qu’en principe, l’Od est le fluide magnétique ou vital qui à chaque seconde notre existence émane de tout notre être, en flots ininterrompus. A l’état normal, ces émanations ou ces effluves dont on soupçonnait l’existence, grâce aux phénomènes de l’hypnotisme, nous demeurent totalement inconnus et invisibles. Reichenbach, le premier, découvrit que les « sensitifs », c’est-à-dire les sujets en état d’hypnose, voyaient très nettement ces effluves dans l’obscurité. A la suite d’un très grand nombre d’expériences dont toutes possibilités de suggestion consciente ou inconsciente étaient soigneusement exclues, il a établi que l’amplitude et la puissance de ces effluves variaient d’après les émotions, l’état d’âme ou de santé de ceux qui les produisaient, qu’ils étaient toujours bleuâtres du côté droit du corps, et d’un rouge jaune du côté gauche. Il a encore constaté que de semblables effluves émanent non seulement de l’homme, des animaux, des plantes, mais même des minéraux. Il est parvenu à photographier l’Od émanant des cristaux de roche, l’Od humain, l’Od résultant d’opérations chimiques, celui de masses de métal amorphes, celui que produit le bruit ou le frottement ; en un mot, il a démontré que le magnétisme ou l’« Od » existe dans la nature entière, ce qu’avaient d’ailleurs enseigné les occultistes de tous les temps et de tous les pays[63].

[63] De récentes expériences de M. Walter-J. Kilner, rapportées dans son livre : The Human Atmosphere, sont venues matériellement démontrer l’existence de ces émanations, de ces effluves, de cette « Aura » humaine ou du moins d’une « Aura » analogue qui est un véritable double astral ou éthérique. Il suffit de regarder le sujet à travers un écran formé d’une cuve de verre très plate renfermant une solution alcoolique de dicyanine, substance chimique dérivée du goudron de houille, qui sensibilise la rétine aux rayons ultra-violets, pour que l’« Aura » apparaisse non plus seulement aux sensitifs, comme dans les expériences de Reichenbach, mais aux yeux de 95 p. 100 des individus doués d’une vue normale. Il est du reste possible que cette « Aura » ne soit pas un double éthérique, mais un simple rayonnement nerveux. Voir à ce sujet l’excellent résumé de M. René Sudre, dans le no 3 du Bulletin de l’Institut métapsychique international (janvier-février 1921).

XIV

Voilà donc l’existence de cette émanation universelle expérimentalement démontrée. Il s’agirait, maintenant, d’en faire connaître les propriétés et les effets.

Je me borne à quelques traits essentiels. Grâce à ces effluves, on a pu constater que ce fluide était le même que celui qui produit les manifestations des tables tournantes ; en effet, aux yeux des sensitifs, ces manifestations s’accompagnent de phénomènes lumineux dont le synchronisme ne laisse aucun doute sur la corrélation de l’émission du fluide avec les mouvements de la table. Elle ne se met en branle que lorsque les radiations qui sortent des mains des assistants deviennent suffisamment puissantes. Ces radiations se condensent en colonnes lumineuses au centre de la table, et plus elles sont intenses, plus la table s’anime. Quand elles s’éteignent, la table retombe inerte.

Il en est de même pour les déplacements d’objets sans contact, les apports, la lévitation, manifestations aujourd’hui suffisamment établies et contrôlées pour qu’on n’ait plus besoin d’en refaire la démonstration. Il est donc certain que ce fluide, qui peut mettre en mouvement un pendule dans un vase de verre clos au chalumeau, comme il est capable de soulever une table de plus de cent kilos, possède une force parfois énorme, indépendante de nos muscles, que l’on peut attribuer à nos nerfs, à notre âme, à tout ce que l’on veut, mais qui n’en est pas moins d’une nature nettement et purement spirituelle.

Il est en outre à peu près certain, bien que les constatations expérimentales soient ici moins avancées et plus difficiles, à cause de la rareté des sujets, que c’est ce même fluide odique qui intervient dans les phénomènes de matérialisation, notamment dans ceux que produisait la célèbre Eusapia Paladino et dans ceux, beaucoup plus probants et beaucoup plus rigoureusement contrôlés du médium, de madame Bisson. Il tire probablement, soit du médium, soit des assistants, la substance plastique à l’aide de laquelle il forme et organise les corps tangibles, qui naissent et disparaissent au cours de ces manifestations, nous donnant ainsi un aperçu très curieux sur la manière dont la pensée, l’esprit ou le fluide créateur agit sur la matière, la condense, la modèle et se comporte, lorsqu’il s’agit de former notre corps.

XV

Il a encore été expérimentalement démontré que ce fluide odique peut être capté. Il est possible d’en charger n’importe quel objet. L’objet magnétisé, dans lequel le magnétiseur a fait passer une partie de sa force vitale, toute possibilité de suggestion étant écartée, conservera toujours sur le sensitif la même action, c’est-à-dire celle qu’avait voulue le magnétiseur. Il le fera rire ou pleurer, grelotter ou suer, danser ou s’endormir, selon la volonté qu’avait le magnétiseur en émettant son fluide. En outre, ce fluide paraît indestructible : un pilon de marbre magnétisé, et mis successivement dans l’acide muriatique, nitreux et sulfurique, soumis à l’action corrosive de l’ammoniaque, ne perd rien de sa force. Une barre de fer chauffée à blanc, de la résine fondue et recoulée en d’autres formes, l’eau bouillie, le papier brûlé et réduit en cendres, garde toute sa puissance. Il y a plus, pour prouver que l’appréciation de cette force ne dépend pas d’une impression humaine, on a constaté que l’eau magnétisée, puis bouillie, dévie de vingt degrés, comme avant l’ébullition, l’aiguille d’un rhéomètre, qui est, comme chacun le sait, l’appareil qui mesure les courants électriques. Il serait intéressant de savoir si cette force vitale emprisonnée dans un objet survit au magnétiseur. Je ne sais si des expériences ont été faites sur ce point. En tous cas, on a observé que plus de six mois après avoir été chargées d’Od, les substances les plus hétéroclites : fer, étain, colophane, cire, soufre, marbre, gardaient intactes leurs vertus magnétiques.

XVI

Non seulement le fluide odique ainsi capté renferme et reproduit la volonté du magnétiseur, il renferme encore et représente une partie de la personnalité du magnétisé, et notamment toute sa sensibilité. Le colonel de Rochas a fait sur ce point, qu’il appelle : « L’extériorisation de la sensibilité », une foule d’expériences déconcertantes et cependant inattaquables et décisives, qui nous ramènent directement aux pratiques de l’envoûtement des magiciens de l’antiquité et des sorcières du Moyen âge, ce qui nous montre une fois de plus que sous les plus étranges croyances ou superstitions, dès qu’elles sont suffisamment générales il y a presque toujours une vérité cachée ou oubliée.

Je crois inutile de rappeler ici les expériences qui sont connues de tous ceux qui ont entr’ouvert un livre de métapsychique. Je dois me borner ; ce que j’ai dit suffit à établir qu’il y a en nous un principe vital qui n’est pas indissolublement lié à notre corps, qui peut le quitter, qui peut s’extérioriser, du moins en partie et momentanément durant notre vie, qui peut être rendu visible, qui possède une force indépendante de nos muscles, qui peut condenser de la matière, la modeler, l’organiser, la faire vivre, non seulement en apparence, comme les fantômes de notre imagination, mais comme des corps tangibles et réels, dont la substance s’évanouit et rentre en nous de façon inexplicable. Nous avons également vu que ce principe vital peut être capté dans un objet, et maintient indestructiblement dans cet objet, malgré toutes les manipulations physiques ou chimiques, la volonté du magnétiseur et la sensibilité du magnétisé. N’est-ce pas le moment de se demander si, étant à ce point séparable et indépendant de notre corps, si étant à ce point indestructible, par exemple dans les cendres d’un papier brûlé qui n’en renfermait qu’une minime partie, ce fluide vital ne survit pas à la destruction de notre corps ? En réponse à cette question, nous avons, outre la logique, les très troublantes constatations des sociétés savantes qui se sont vouées à la recherche des cas de survivance rigoureusement constatées, notamment, les cinq ou six cents apparitions de morts contrôlées par la « Society for Psychical Research ». Il faut convenir que ces apparitions, qui sont probablement des manifestations odiques d’outre-tombe, paraissent beaucoup plus vraisemblables, depuis que nous connaissons certaines propriétés de l’étrange fluide que nous venons d’étudier.

XVII

Depuis la mort des chefs de l’école odique, Reichenbach, du Prel et de Rochas, cette étude des fluides a été quelque peu négligée, à tort selon nous, car elle est loin d’être épuisée ; mais il y a des modes en métapsychie comme en toutes choses. La « Society for Psychical Research », notamment, durant ces dernières années, s’est occupée presque exclusivement de la question des « Correspondances croisées », et son enquête, si elle n’a pas donné des résultats absolument péremptoires, permet du moins de soupçonner de plus en plus sérieusement la présence, autour de nous, d’entités spirituelles, invisibles et intelligentes, désincarnées ou autres, qui s’amusent, c’est le mot, à nous prouver qu’elles se jouent de l’espace et du temps et poursuivent un dessein qu’on ne démêle pas encore. Je sais bien que l’on peut, à la rigueur, attribuer ces communications insolites aux facultés inconnues du subconscient ; mais l’hypothèse devient de jour en jour plus précaire, et le moment n’est peut-être pas très éloigné où nous serons enfin forcés d’admettre l’existence de ces désincarnés, de ces doubles, de ces esprits errants, de ces élémentaires, de ces « Dhyan-Choans », de ces « Dévas », de ces esprits cosmiques, dont les occultistes d’autrefois n’avaient jamais douté.

Dans cet ordre d’idées, pour ne pas parler du Raymond de Sir Oliver Lodge, des très intéressantes expériences spirites de P.-E. Cornillier ni d’une foule d’autres, ce qui nous entraînerait trop loin, les récents travaux du Dr W. Crawford, qui ont fait sensation dans le monde métapsychique, sont venus apporter à la théorie des « Invisibles », un sérieux appui. Il est vrai, comme nous le verrons, que cet appui lui vient moins des faits mêmes que de l’interprétation qu’on leur donne.

XVIII

W.-J. Crawford, docteur ès sciences, professeur au collège de Belfast, a fait sur la « télékinésie », ou mouvements sans contact, des expériences conduites avec une telle rigueur scientifique qu’elles excluent entièrement toute idée de fraude et confirment complètement celles de Crookes avec Home, de l’Institut psychologique avec Eusapia, et d’Ochorovicz avec Mlle Tomscyk.

Il s’agit, dans ces expériences, de ce phénomène extrêmement bizarre qui est une sorte d’extériorisation physique, de dédoublement d’abord amorphe et ensuite plus ou moins plastique du médium. Du corps de celui-ci sort une substance indéfinissable, tantôt visible, comme chez Éva, le médium de Mme Bisson, tantôt invisible, comme chez le médium de Crawford, mais qui, même invisible, peut être touchée et délimitée et agit comme si elle avait une réalité objective.

Cette substance, moite, froide, parfois visqueuse, qu’on appelle l’« Ectoplasme », peut être pesée et son poids correspond exactement à celui dont s’allège le corps du médium ; elle peut atteindre jusqu’à 50 pour cent du poids total de celui-ci. A la fin de la séance, elle se résorbe, sans laisser de trace, dans le corps du sujet qui reprend instantanément son poids normal.

Dans ces expériences, cette substance invisible se comporte comme si elle sortait du corps du médium sous la forme d’une tige plus ou moins rigide qui va soulever une table placée à une certaine distance du siège sur lequel le médium est assis. Si la table est trop lourde pour être soulevée directement, à bout de bras, pour ainsi dire, la tige ou le levier psychique se courbe, prend un point d’appui sur le sol et se redresse pour soulever le meuble. Quand ce levier invisible ne prend son point d’appui que sur le médium, le poids de ce dernier s’augmente de celui de l’objet soulevé ; mais quand il prend son point d’appui sur le sol, le poids du médium est diminué du poids reporté sur ce point d’appui.

Ces phénomènes de lévitation étaient parfaitement connus avant les recherches de Crawford, mais par la découverte du levier invisible, parfois perceptible au toucher et pouvant même être photographié, il en a le premier révélé le mécanisme tout ensemble matériel et psychique. En outre, au cours de ses innombrables expériences, il a constaté que tout se passait comme si des entités invisibles y assistaient, y collaboraient et souvent les dirigeaient. Il communiquait avec elles par la typtologie et, ayant remarqué que ces opérateurs mystérieux ne paraissaient pas bien comprendre l’intérêt scientifique des phénomènes, il les interrogea et conclut de leurs réponses qu’ils n’étaient que des sortes de manœuvres, manipulant des forces qu’ils ne connaissaient pas et accomplissant une besogne commandée par des êtres d’un ordre plus élevé qui ne pouvaient ou ne daignaient opérer eux-mêmes.

On peut évidemment soutenir que ces collaborateurs invisibles émanent du subconscient du médium ou des assistants et la question est encore insoluble. Mais la conviction où fut amené peu à peu et pour ainsi dire par la force des choses, un savant d’abord aussi sceptique que l’était Crawford, ne mérite pas moins d’être sérieusement envisagée. En tout cas, ses expériences, comme celles du fluide odique, démontrent une fois de plus que notre être est beaucoup plus immatériel, plus psychique, plus mystérieux, plus puissant et sans doute plus durable que nous ne le croyons ; ce que nous avaient enseigné les religions primitives et les occultistes qui s’en inspirèrent.

XIX

En ne perdant pas de vue les autres manifestations spirites, les apparitions posthumes, les phénomènes de psychométrie et de matérialisation, les prévisions de l’avenir, le mystère des animaux parlants, les miracles de Lourdes et d’autres lieux, que nous ne mentionnons ici que pour mémoire, voilà, en regard des immenses et orgueilleuses affirmations d’autrefois, les demi-certitudes et les petits faits lentement reconquis par nos occultistes d’aujourd’hui. A première vue, c’est peu de chose et même si la grande question centrale de notre métapsychique, la question de la survivance était enfin résolue, cette solution tant attendue ne nous mènerait pas encore bien loin, beaucoup moins loin, sans doute, que n’étaient allés les prêtres de l’Inde et de l’Égypte. Mais pour modestes qu’elles sont, les découvertes de nos occultistes ont du moins l’avantage de reposer sur des faits que nous pouvons contrôler et doivent nous être plus précieuses que les plus grandioses hypothèses qui jusqu’ici ont échappé à toute vérification.

XX

Maintenant, il est fort possible que pour pénétrer plus avant dans les régions où ils s’aventurent, les méthodes purement expérimentales, qui sont les plus sûres dans les autres sciences, soient insuffisantes. Il entre en jeu d’autres éléments que ceux que la science a coutume de rencontrer. Il s’agit de forces peut-être plus spirituelles que celles de notre esprit et pour les saisir et les dominer, il se peut qu’il soit nécessaire de s’occuper d’abord de notre propre spiritualisation. Il est bon d’avoir des laboratoires parfaitement organisés, mais c’est probablement en nous-mêmes que se trouve le véritable laboratoire d’où sortiront les dernières découvertes. Il semble que mieux que nous les prêtres et les mages des grandes religions l’avaient compris. Quand ils voulaient s’engager dans les domaines ultra-spirituels de la nature, ils s’y préparaient longuement. Ils sentaient qu’il ne leur suffisait pas d’être des savants, mais qu’avant tout ils devaient devenir des saints. Ils commençaient par faire l’éducation de leur volonté, par sacrifier tout leur être, par mourir à tout désir. Ils enveloppaient leurs forces intellectuelles d’une force morale qui les menait beaucoup plus directement sur le plan où se passaient les phénomènes étranges qu’ils interrogeaient. Il est assez vraisemblable qu’il y a dans l’invisible ou l’infini des choses que l’intelligence n’atteint pas, sur lesquelles elle n’a aucune prise, mais qu’une autre puissance peut rejoindre ; et cette puissance est peut-être ce qu’on appelle l’âme ou ce subconscient supérieur que les antiques religions avaient appris à cultiver par des exercices et surtout par un renoncement et une concentration spirituelle dont nous avons perdu la pratique et même la notion.

Chargement de la publicité...