Le juif errant - Tome II
«Pauvre et bon Joseph, je voudrais que vous eussiez les compensations qui me restent après la rupture de relations si douces pour moi… Mais, tenez, je suis trop ému… je souffre, oui, beaucoup… car je sais ce que vous devez ressentir…
«Il m'est impossible de continuer cette lettre… je serais peut- être amer contre ceux dont nous devons respecter les ordres…
«Puisqu'il le faut, cette lettre sera la dernière; adieu, tendrement, mon ami; adieu encore et pour toujours, adieu… J'ai le coeur brisé…
GABRIEL DE RENNEPONT.»
II. La rédemption.
Le jour allait bientôt paraître…
Une lueur rose, presque imperceptible, commençait de poindre à l'orient, mais les étoiles brillaient encore, étincelantes de lumière, au milieu de l'azur du zénith.
Les oiseaux, s'éveillant sous la fraîche feuillée des grands bois de la vallée, préludaient par quelques gazouillements isolés à leur concert matinal.
Une légère vapeur blanchâtre s'élevait des hautes herbes baignées de la rosée nocturne, tandis que les eaux calmes et limpides d'un grand lac réfléchissaient l'aube blanchissante dans leur miroir profond et bleu.
Tout annonçait une de ces joyeuses et chaudes journées du commencement de l'été…
À mi-côté du versant du vallon, et faisant face à l'orient, une touffe de vieux saules moussus, creusés par le temps, et dont la rugueuse écorce disparaissait presque sous les rameaux grimpants de chèvrefeuilles sauvages et de liserons aux clochettes de toutes couleurs, une touffe de vieux saules formait une sorte d'abri naturel, et sur leurs racines noueuses, énormes, recouvertes d'une mousse épaisse, un homme et une femme étaient assis; leurs cheveux entièrement blanchis, leurs rides séniles, leur taille voûtée, annonçaient une grande vieillesse…
Et pourtant cette femme était naguère encore jeune, belle, et de longs cheveux noirs couvraient son front pâle.
Et pourtant cet homme était naguère encore dans toute la vigueur de l'âge.
De l'endroit où se reposaient cet homme et cette femme, on découvrait la vallée, le lac, les bois, et au-dessus des bois la cime âprement découpée d'une haute montagne bleuâtre, derrière laquelle le soleil allait se lever.
Ce tableau, à demi voilé par la pâle transparence de l'heure crépusculaire, était à la fois riant, mélancolique et solennel…
— Ô ma soeur! disait le vieillard à la femme qui, comme lui, se reposait dans le réduit agreste formé par le bouquet de saules, ô ma soeur, que de fois… depuis tant de siècles que la main du Seigneur nous a lancés dans l'espace, et que séparés, nous parcourions le monde d'un pôle à l'autre; que de fois nous avons assisté au réveil de la nature avec un sentiment de douleur incurable! Hélas! c'était encore un jour à traverser… de l'aube au couchant… un jour inutilement ajouté à nos jours, dont il augmentait en vain le nombre, puisque la mort nous fuyait toujours.
— Mais, ô bonheur! depuis quelques temps, mon frère, le Seigneur, dans sa pitié, a voulu qu'ainsi que pour les autres créatures, chaque jour écoulé fût pour nous un pas de plus fait vers la tombe. Gloire à lui!… gloire à lui!…
— Gloire à lui, ma soeur… car depuis hier que sa volonté nous a rapprochés… je ressens cette langueur ineffable que doivent causer les approches de la mort…
— Comme vous, mon frère, j'ai aussi peu à peu senti mes forces, déjà bien affaiblies, s'affaiblir encore dans un doux épuisement; sans doute le terme de notre vie approche… La colère du Seigneur est satisfaite.
— Hélas! ma soeur, sans doute aussi… le dernier rejeton de ma race maudite… va, par sa mort prochaine, achever ma rédemption… car la volonté de Dieu s'est enfin manifestée; je serai pardonné lorsque le dernier de mes rejetons aura disparu de la terre… À celui-là… saint parmi les plus saints… était réservée la grâce d'accomplir mon rachat… lui qui a tant fait pour le salut de ses frères.
— Oh! oui, mon frère, lui qui a tant souffert, lui qui, sans se plaindre, a vidé de si amers calices, a porté de si lourdes croix; lui qui, ministre du Seigneur, a été l'image du Christ sur la terre, il devait être le dernier instrument de cette rédemption…
— Oui… car je le sens à cette heure, ma soeur, le dernier des miens, touchante victime d'une lente persécution, est sur le point de rendre à Dieu son âme angélique… Ainsi… jusqu'à la fin… j'aurai été fatal à ma race maudite… Seigneur, Seigneur, si votre clémence est grande, votre colère aussi a été grande.
— Courage et espoir, mon frère… songez qu'après l'expiation vient le pardon, après le pardon la récompense… Le Seigneur a frappé en nous et dans votre postérité l'artisan rendu méchant par le malheur et par l'injustice; il vous a dit: «Marche!… Marche!… sans trêve ni repos, et ta marche sera vaine, et chaque soir, en te jetant sur la terre dure, tu ne seras pas plus près du but que tu ne l'étais le matin en recommençant ta course éternelle…». Ainsi, depuis les siècles, des hommes impitoyables ont dit à l'artisan… «Travaille… travaille… travaille… sans trêve ni repos, et ton travail, fécond pour tous, pour toi seul sera stérile, et chaque soir, en te jetant sur la terre dure, tu ne seras pas plus près d'atteindre le bonheur et le repos que tu n'en étais près la veille, en revenant de ton labeur quotidien… Ton salaire t'aura suffi à entretenir cette vie de douleurs, de privations et de misère…»
— Hélas!… hélas!… en sera-t-il donc toujours ainsi!…
— Non, non, mon frère, au lieu de pleurer sur ceux de votre race, réjouissez-vous en eux; s'il a fallu au Seigneur leur mort pour votre rédemption, le Seigneur, en rédimant en vous l'artisan maudit du ciel… rédimera aussi l'artisan maudit et craint de ceux qui le soumettent à un joug de fer… les temps approchent… les temps approchent… la commisération du Seigneur ne s'arrêtera pas à nous seuls… Oui, je vous le dis, en nous seront rachetés et la femme et l'esclave moderne. L'épreuve a été cruelle, mon frère… depuis tantôt dix-huit siècles… elle dure; mais elle a assez duré… Voyez, mon frère, voyez à l'orient cette lueur vermeille, qui peu à peu gagne… gagne le firmament… Ainsi s'élèvera bientôt le soleil de l'émancipation nouvelle, qui répandra sur le monde sa clarté, sa chaleur vivifiante, comme celle de l'astre qui va bientôt resplendir au ciel…
— Oui, oui, ma soeur, je le sens, vos paroles sont prophétiques… oui… nous fermerons nos yeux appesantis en voyant du moins l'aurore de ce jour de délivrance… jour beau, splendide comme celui qui va naître… Oh! non… non… je n'ai plus que des larmes d'orgueil et de glorification pour ceux de ma race qui sont morts peut-être pour assurer cette rédemption! saints martyrs de l'humanité, sacrifiés par les éternels ennemis de l'humanité; car les ancêtres de ces sacrilèges qui blasphèment le saint nom de Jésus, en le donnant à leur compagnie, sont les pharisiens, les faux et indignes prêtres, que le Christ a maudits. Oui, gloire aux descendants de ma race d'avoir été les derniers martyrs immolés par ces complices de tout esclavage, de tout despotisme, par ces impitoyables ennemis de l'affranchissement de ceux qui veulent jouir, comme fils de Dieu, des dons que le Créateur a départis sur la grande famille humaine… Oui, oui, elle approche, la fin du règne de ces modernes pharisiens, de ces faux prêtres, qui prêtent un appui sacrilège à l'égoïsme impitoyable du fort contre le faible, en osant soutenir, à la face des inépuisables trésors de la création, que Dieu à fait l'homme pour les larmes, pour le malheur et pour la misère… ces faux prêtres qui, séides de toutes les oppressions, veulent toujours courber vers la terre, humilié, abruti, désolé, le front de la créature. Non, non, qu'elle relève fièrement son front; Dieu l'a faite pour être digne, intelligente, libre et heureuse.
— Ô mon frère!… vos paroles sont aussi prophétiques… Oui, oui, l'aurore de ce beau jour… approche… elle approche… comme approche le lever de ce jour qui, par la miséricorde de Dieu, sera le dernier de notre vie… terrestre…
— Le dernier… ma soeur… car je ne sais quel anéantissement me gagne… il me semble que tout ce qui est en moi matière se dissout; je sens les profondes aspirations de mon âme qui semble vouloir s'élancer vers le ciel.
— Mon frère… mes yeux se voilent; c'est à peine si, à travers mes paupières closes, j'aperçois à l'orient cette clarté tout à l'heure si vermeille…
— Ma soeur… c'est à travers une vapeur confuse que je vois la vallée… le lac… les bois… mes forces m'abandonnent…
— Mon frère… Dieu soit béni… il approche, le moment de l'éternel repos.
— Oui… il vient, ma soeur… le bien-être du sommeil éternel… s'empare de tous mes sens…
— Ô bonheur!… mon frère… j'expire…
— Ma soeur… mes yeux se ferment… Pardonnés… pardonnés…
— Oh!… mon frère… que cette divine rédemption s'étende sur tous… ceux qui souffrent… sur la terre.
— Mourez… en paix… ma soeur… L'aurore de ce… grand jour… a lui… le soleil se lève… voyez.
— Ô Dieu!… soyez béni…
— Ô Dieu!… soyez béni…
* * * * *
Et au moment où ces deux voix se turent pour jamais, le soleil parut radieux, éblouissant, et inonda la vallée de ses rayons.
Conclusion
Notre tâche est accomplie, notre oeuvre achevée.
Nous savons combien cette oeuvre est incomplète, imparfaite; nous savons tout ce qui lui manque, et sous le rapport du style, et de la conception et de la fable. Mais nous croyons avoir le droit de dire cette oeuvre honnête, consciencieuse et sincère. Pendant le cours de sa publication, bien des attaques haineuses, injustes, implacables, l'ont poursuivie; bien des critiques sévères, pures, quelquefois passionnées, mais loyales, l'ont accueillie. Les attaques violentes, haineuses, injustes, implacables nous ont diverti par cela même, nous l'avouons, en toute humilité, par cela même qu'elles tombaient formulées en mandements contre nous, du haut de certaines chaires épiscopales. Ces plaisantes fureurs, ces bouffons anathèmes qui nous foudroient depuis plus d'une année, sont trop divertissants pour être odieux; c'est simplement de la haute et belle et bonne comédie de moeurs cléricales.
Nous avons joui, beaucoup joui de cette comédie; nous l'avons goûtée, savourée; il nous reste à exprimer notre bien sincère gratitude à ceux qui en sont à la fois, comme le divin Molière, les auteurs et les acteurs.
Quant aux critiques, si amères, si violentes qu'elles aient été, nous les acceptons d'autant mieux, en tout ce qui touche la partie littéraire de notre livre, que nous avons souvent tâché de profiter des conseils qu'on nous donnait peut-être un peu âprement.
Notre modeste déférence à l'opinion d'esprits plus judicieux, plus mûrs, plus corrects que sympathiques et bienveillants, a, nous le craignons, quelque peu déconcerté, dépité, contrarié ces mêmes esprits. Nous en sommes doublement aux regrets, car nous avons profité de leurs critiques, et c'est toujours involontairement que nous déplaisons à ceux qui nous obligent… même en espérant nous désobliger.
Quelques mots encore sur des attaques d'un autre genre, mais plus graves.
Ceux-ci nous ont accusé d'avoir fait un appel aux passions, en signalant à l'animadversion publique tous les membres de la société de Jésus.
Voici ma réponse:
Il est maintenant hors de doute, il est démontré par des textes soumis aux épreuves les plus contradictoires, depuis Pascal jusqu'à nos jours; il est démontré, disons-nous, par ces textes, que les oeuvres théologiques des membres les plus accrédités de la compagnie de Jésus contiennent l'excuse ou la justification:
DU VOL, — DE L'ADULTÈRE, — DU VIOL, — DU MEURTRE.
Il est également prouvé que des oeuvres immondes, révoltantes, signées par les révérends pères de la compagnie de Jésus, ont été plus d'une fois mises entre les mains de jeunes séminaristes.
Ce dernier fait établi, démontré par le scrupuleux examen des textes, ayant été d'ailleurs solennellement consacré naguère encore, grâce au discours rempli d'élévation, de haute raison, de grave et généreuse éloquence, prononcé par M. l'avocat général Dupaty, lors du procès du savant et honorable M. de Strasbourg, comment avons-nous procédé?
Nous avons supposé des membres de la compagnie de Jésus inspirés par les détestables principes de _leurs théologiens classiques, _et agissant selon l'esprit et la lettre de ces abominables livres, leur catéchisme, leur rudiment; nous avons enfin mis en action, en mouvement, en relief, en chair et en os, ces détestables doctrines; rien de plus, rien de moins.
Avons-nous prétendu que tous les membres de la société de Jésus avaient le noir talent ou la scélératesse d'employer ces armes dangereuses que contient le ténébreux arsenal de leur ordre? Pas le moins du monde. Ce que nous avons attaqué, c'est l'abominable esprit des _Constitutions _de la compagnie de Jésus, ce sont les livres de ses théologiens classiques.
Avons-nous enfin besoin d'ajouter que, puisque des papes, des rois, des nations, et dernièrement encore la France, ont flétri les horribles doctrines de cette compagnie, en expulsant ses membres ou en dissolvant leur congrégation, nous n'avons, à bien dire, que présenté sous une forme nouvelle des idées, des convictions, des faits depuis longtemps consacrés par la notoriété publique?
Ceci dit, passons. L'on nous a reproché d'exciter les rancunes des pauvres contre les riches. À ceci nous répondrons que nous avons, au contraire, tenté, dans la création d'Adrienne de Cardoville, de personnifier cette partie de l'aristocratie de nom et de fortune qui, autant par une noble et généreuse impulsion que par l'intelligence du passé et par la prévision de l'avenir, tend ou devrait tendre une main bienfaisante et fraternelle à tout ce qui souffre, à tout ce qui conserve la probité dans la misère, à tout ce qui est dignifié par le travail.
Est-ce, en un mot, semer des germes de division entre le riche et le pauvre, que de montrer Adrienne de Cardoville, la belle et riche patricienne appelant la Mayeux sa soeur, et la traitant en soeur, elle, pauvre ouvrière, misérable et infirme?
Est-ce irriter l'ouvrier contre celui qui l'emploie que de montrer M. François Hardy jetant les premiers fondements d'une maison commune?
Non, nous avons au contraire tenté une oeuvre de rapprochement, de conciliation, entre les deux classes placées aux deux extrémités de l'échelle sociale; car, depuis tantôt trois ans, nous avons écrit ces mots:
— SI LES RICHES SAVAIENT!!!
Nous avons dit et nous répétons qu'il y a d'affreuses et innombrables misères; que les masses, de plus en plus éclairées sur leurs droits, mais encore calmes, patientes, résignées, demandent que ceux qui gouvernent s'occupent enfin de l'amélioration de leur déplorable position, chaque jour aggravée par l'anarchie et l'industrie. Oui, nous avons dit et nous répétons que l'homme laborieux et probe _a droit _à un travail qui lui donne un salaire suffisant.
Que l'on nous permette enfin de résumer en quelques lignes les questions soulevées par nous dans cette oeuvre.
Nous avons essayé de prouver la cruelle insuffisance du salaire des femmes, et les horribles conséquences de cette insuffisance.
Nous avons demandé de nouvelles garanties contre la facilité avec laquelle quiconque peut être renfermé dans une maison d'aliénés. Nous avons demandé que l'artisan pût jouir du bénéfice de la loi à l'endroit de la liberté sous caution, caution portée à un chiffre tel (cinq cents francs) qu'il lui est impossible de l'atteindre; liberté dont pourtant il a plus besoin que personne, puisque souvent sa famille vit de son industrie, qu'il ne peut exercer en prison. Nous avons donc proposé le chiffre de soixante à quatre-vingts francs, comme représentant la moyenne d'un mois de travail.
Nous avons enfin, en tâchant de rendre pratique l'organisation d'une maison commune d'ouvriers, démontré, nous l'espérons, quels avantages immenses, même avec le taux actuel des salaires, si insuffisant qu'il soit, les classes ouvrières trouveraient dans le principe de l'association et de la vie commune, si on leur facilitait les moyens de les pratiquer.
Et afin que ceci ne fût pas traité d'utopie, nous avons établi par des chiffres que des _spéculateurs _pourraient à la fois faire une action humaine, généreuse, profitable à tous, et retirer cinq pour cent de leur argent, en concourant à la fondation de maisons communes.
Maintenant, un dernier mot pour remercier du plus profond de notre coeur les amis connus et inconnus dont la bienveillance, les encouragements, la sympathie, nous ont constamment suivi et nous ont été d'un si puissant secours dans cette longue tâche…
Un mot encore de respectueuse et inaltérable reconnaissance pour nos amis de Belgique et de Suisse qui ont daigné nous donner des preuves publiques de leur sympathie, dont nous nous glorifierons toujours, et qui auront été une de nos plus douces récompenses.
FIN
[1] On sait qu'il y a en effet deux ordonnances, remplies d'un touchant intérêt pour la race canine, qui interdisent l'attelage des chiens. [2] Selon la tradition, il aurait été prédit à la mère de Sixte-Quint qu'il serait pape, et il aurait été dans sa première jeunesse, gardeur de troupeaux. [3] On lit dans les Affaires de Rome, cet admirable réquisitoire contre Rome, dû au génie le plus véritablement _évangélique _de notre siècle: « Tant que l'issue de la lutte entre la Pologne et ses oppresseurs demeura douteuse, le journal officiel romain ne contint pas un mot qui pût blesser le peuple vainqueur en tant de combats; mais à peine eut-il succombé, à peine les atroces vengeances du czar eurent-elles commencé le long supplice de toute une nation dévouée au glaive, à l'exil, à la servitude, que le même journal ne trouva pas d'expressions assez injurieuses pour flétrir ceux que la fortune avait abandonnés. On aurait tort pourtant d'attribuer directement cette indigne lâcheté au pouvoir pontifical, il _subissait la loi que la Russie lui imposait; elle lui disait: VEUX-TU VIVRE? TIENS-TOI LÀ!… PRÈS DE L'ÉCHAFAUD… ET À MESURE QU'ELLES PASSERONT… MAUDIS LES VICTIMES!!! » - (Lamennais, Affaires de Rome_, page 110. Pagnerre, 1844.) [4] Le pape Grégoire XVI venait à peine de monter sur le trône pontifical quand il apprit la révolte de Bologne. Son premier mouvement fut d'appeler les Autrichiens et d'exciter les _Sanfédistes. _Le cardinal Albani battit les libéraux à Césène, ses soldats pillèrent les églises, saccagèrent les villes, violèrent les femmes. À Forli, les bandes commirent des assassinats de sang-froid. En 1832, les _Sanfédistes _se montrèrent au grand jour avec des médailles à l'effigie du duc de Modène et du saint-père, des lettres patentes au nom de la congrégation apostolique, des privilèges et des indulgences. Les _Sanfédistes _prêtaient littéralement le serment suivant: « Je jure d'élever le trône et l'autel sur les os des infâmes libéraux, et de les exterminer, sans pitié pour les cris des enfants et les larmes des vieillards et des femmes. » Les désordres commis par ses brigands passaient toutes les limites; la cour de Rome régularisait l'anarchie, organisait les _Sanfédistes en corps de volontaires auxquels elle accordait de nouveaux privilèges. (La Révolution et les Révolutionnaires en Italie. _- Revue des Deux Mondes, 15 novembre 1844.) [5] Variété des oiseaux de paradis, gallinacés fort amoureux. [6] Célèbre marchand et entreposeur de chevaux, de meutes, etc., etc., à Londres. [7] On lit dans la Ruche populaire, excellent recueil rédigé par des ouvriers, dont nous avons déjà parlé: « CARDEUSE DE MATELAS. - La poussière qui s'échappe de la laine fait du cardage un état nuisible à la santé, mais dont le danger est encore augmenté par les falsifications commerciales. Quand un mouton est tué, la laine du cou est teinté de sang; il faut la décolorer, afin de pouvoir la vendre. À cet effet, on la trempe dans la chaux qui, après en avoir opéré le blanchiment, y reste en partie; c'est l'ouvrière qui en souffre; car, lorsqu'elle fait cet ouvrage, la chaux, qui se détache sous forme de poussière, se porte à sa poitrine par le fait de l'aspiration, et le plus souvent lui occasionne des crampes d'estomac et des vomissements qui la mettent dans un état déplorable; la plupart d'entre elles y renoncent; celles qui s'y obstinent gagnent pour le moins un catarrhe ou un asthme qui ne les quitte qu'à la mort. [8] Disons-le à la louange des ouvriers, ces scènes cruelles deviennent d'autant plus rares qu'ils s'éclairent davantage et qu'ils ont plus conscience de leur dignité. Il faut aussi attribuer ces tendances meilleures à la juste influence d'un excellent livre sur le compagnonnage, publié par M. Agricol Perdignier, dit Avignonais la Vertu, compagnon menuisier (Paris, Pagnerre, 1841, 2 vol. in-18). [9] Les _Loups _et les Gavots, entre autres, font remonter l'institution de leur compagnonnage jusqu'au roi Salomon. (Voir, pour plus de détails, le curieux ouvrage de M. Agricol Perdiguier, que nous avons déjà cité et d'où ce chant de guerre est extrait.) [10] Nous serons compris de ceux qui ont entendu les admirables concerts de l'Orphéon, où plus de mille ouvriers, hommes, femmes et enfants, chantent avec un merveilleux ensemble. [11] C'est en effet, le prix moyen d'un logement d'ouvrier, composé au plus de deux petites pièces et d'un cabinet, au troisième ou au quatrième étage. [12] Ce chiffre est exact, peut-être même exagéré… Un bâtiment pareil, à une lieue de Paris, du côté de Montrouge, avec toutes les grandes dépendances nécessaires, cuisine, buanderie, lavoir, etc., réservoir à gaz, prise d'eau, calorifère, etc., entouré d'un jardin de dix arpents, aurait, à l'époque de ce récit, à peine coûté cinq cent mille francs. Un constructeur expérimenté a bien voulu nous faire un devis détaillé qui confirme ce que nous avançons. On voit donc que _même à prix égal _de ce que payent généralement les ouvriers, on pourrait leur assurer des logements vraiment salubres et encore placer son argent à dix pour cent. [13] Le fait a été expérimenté lors des travaux du chemin de fer de Rouen. Les ouvriers français qui, n'ayant pas de famille, ont pu adopter le régime des Anglais, ont fait au moins autant de besogne, réconfortés qu'ils étaient par une nourriture saine et suffisante. [14] Nous avons dit que la voie de bois en falourdes ou cotrets revenait au pauvre à quatre-vingt-dix francs, il en est de même de tous les objets de consommation pris au détail, le fractionnement et le déchet étant à son désavantage. [15] Le règlement qui traite des fonctions du comité est précédé des considérations suivantes, aussi honorables pour le fabricant que pour ses ouvriers: « Nous aimons à le reconnaître, chaque contremaître, chaque chef de partie et chaque ouvrier contribue dans la sphère de son travail, aux qualités qui recommandent les produits de notre manufacture. Ils doivent donc participer aux bénéfices qu'elle rapporte, et continuer à se vouer aux progrès qui restent à faire; il est évident qu'il résultera un grand bien de la réunion des lumières et des idées de chacun. Nous avons, à cet effet, institué le comité dont la composition et les attributions seront réglées ci-après. Nous avons eu aussi pour but, dans cette institution, d'augmenter, par un fréquent échange d'idées entre les ouvriers, qui, jusqu'à présent, vivaient et travaillaient presque tous isolément, la somme de connaissances de chacun, et de les initier aux principes généraux d'une bonne et saine administration. De cette réunion des forces vives de l'atelier autour du chef de l'établissement résultera le double bénéfice de l'amélioration intellectuelle et matérielle des ouvriers et l'accroissement de la prospérité de la manufacture. « Admettant d'ailleurs, comme juste, que la part d'efforts de chacun soit récompensée, nous avons décidé que, sur les bénéfices nets de la maison, tous frais et allocations déduits, il sera prélevé une prime de cinq pour cent, laquelle sera partagée par portions égales entre tous les membres du comité, à l'exclusion des président, vice- président et secrétaire, et leur sera remise chaque année le 31 décembre. Cette prime sera augmentée d'un pour cent chaque fois que le comité aura admis trois membres nouveaux. « La moralité, la bonne conduite, l'habileté et les diverses aptitudes au travail ont déterminé nos choix dans la désignation des ouvriers que nous appelons à la formation du comité. En accordant à ses membres la faculté de proposer l'adjonction de nouveaux membres, dont l'admission aura pour base les mêmes qualifications et qui seront élus par le comité lui-même, nous voulons présenter à tous les ouvriers de nos ateliers un but qu'il dépendra d'eux d'atteindre un peu plus tôt ou un peu plus tard. L'application à remplir tous leurs devoirs dans l'accomplissement le plus parfait de leurs travaux et dans leur conduite hors du travail leur ouvrira successivement la porte du comité. Ils seront aussi appelés à jouir d'une participation juste et raisonnable aux avantages résultant des succès qu'obtiendront les produits de notre manufacture, succès auxquels ils auront concouru, et qui ne pourront qu'augmenter par la bonne intelligence et par la féconde émulation qui régneront, nous n'en doutons pas, parmi les membres du comité. (Extrait des dispositions relatives au comité consultatif composé d'un président (chef de la fabrique, - d'un vice-président, - d'un secrétaire - et de quatorze membre, dont quatre chefs d'ateliers et dix ouvriers des plus intelligents dans chaque spécialité.) « Art. 6. Trois membres réunis auront le droit de proposer l'adjonction d'un nouveau membre dont le nom sera inscrit pour qu'il soit délibéré sur son admission dans la séance suivante. Cette admission sera prononcée lorsque, au scrutin secret, le membre proposé aura obtenu les deux tiers des suffrages des membres présents. « Art. 7. Le comité s'occupera, dans ses séances mensuelles: « 1° De trouver les moyens de remédier aux inconvénients qui se présentent chaque jour dans la fabrication; Nous ferons remarquer seulement que les conditions actuelles de l'industrie et d'autres considérations n'ont pas permis de faire jouir tout d'abord la totalité des ouvriers de ce bénéfice qui leur est octroyé d'ailleurs volontairement et auquel tous participeront un jour; nous pouvons affirmer que, dès la quatrième séance de ce comité consultatif, l'honorable industriel dont nous parlons avait obtenu de tels résultats de l'appel fait aux connaissances pratiques de ses ouvriers, qu'il pouvait déjà évaluer à trente mille francs environ pour l'année les bénéfices qui résulteraient soit de l'économie, soit du perfectionnement de la fabrication. Résumons-nous. Il y a dans toute industrie trois forces, trois agents, trois moteurs, dont les droits sont également respectables: Le capitaliste qui fournit l'argent; L'homme intelligent qui dirige l'exploitation; Le travailleur qui exécute. « 2° De proposer les meilleurs moyens et les moins dispendieux d'établir une fabrication spéciale destinée aux pays d'outre-mer, et de combattre ainsi efficacement, par la supériorité de notre construction, la concurrence étrangère; « 3° Des moyens d'arriver à la plus grande économie dans l'emploi des matériaux, sans nuire à la solidité ni à la qualité des objets fabriqués; « 4° D'élaborer et de discuter les positions qui seront présentées par le président ou les divers membres du comité, ayant trait aux améliorations et aux perfectionnements de la fabrication; « 5° Enfin de mettre le prix de la main-d'oeuvre en rapport avec la valeur des objets façonnés. » Nous ajoutons, nous, que, d'après les renseignements que M… a bien voulu nous donner, la part du bénéfice de chacun de ses ouvriers (en outre de son salaire habituel) sera au moins de trois cents à trois cent cinquante francs par année. Nous regrettons cruellement que de modestes susceptibilités ne nous permettent pas de révéler le nom aussi honorable qu'honoré de l'homme de bien qui a pris cette généreuse initiative. [16] Nous désirons qu'il soit bien entendu par le lecteur que la seule nécessité de notre fable a donné aux _Loups _le rôle agressif. Tout en essayant de montrer un des abus de compagnonnage, abus qui, d'ailleurs, tendent à s'effacer de jour en jour, nous ne voudrions pas paraître attribuer un caractère d'hostilité farouche à une secte plutôt qu'à une autre, aux _Loups _plutôt qu'aux _Dévorants. _Les Loups, compagnons tailleurs de pierres, sont généralement des ouvriers très laborieux, très intelligents, et dont la position est d'autant plus digne d'intérêt, que non seulement leurs travaux, d'une précision presque mathématique, sont des plus rudes et des plus pénibles, mais que ces travaux leur manquent pendant deux ou trois mois de l'année, leur dure profession étant malheureusement une de celles que l'hiver frappe d'un chômage inévitable. Un assez grand nombre de _Loups, _afin de se perfectionner dans leur métier, suivent chaque soir un cour de géométrie linéaire appliqué à la coupe des pierres. Plusieurs compagnons tailleurs de pierres avaient même exhibé à la dernière exposition un modèle d'architecture en plâtre. [17] En 1346, la fameuse peste noire ravagea le globe; elle offrait les mêmes symptômes que le choléra, et le même phénomène inexplicable de sa marche progressive et par étapes, selon une route donnée. En 1660, une autre épidémie analogue décima encore le monde. On sait que le choléra s'est d'abord déclaré à Paris, en interrompant, si cela peut se dire, sa marche progressive, par un bond énorme et inexplicable. - On se souvient aussi que le vent du nord-est a constamment soufflé pendant les plus grands ravages du choléra. [18] Une personne parfaitement digne de foi nous a affirmé avoir assisté à un dîner d'apparat chez un prélat fort éminent, et avoir vu au dessert une pareille exhibition, ce qui fit dire par cette personne au prélat en question. « Je croyais, monseigneur, que l'on mangeait le corps du Sauveur sous les deux espèces, mais non pas en angélique. » - Il faut reconnaître que l'invention de cette sucrerie apostolique n'était pas du fait du prélat, mais était due au catholicisme un peu exagéré d'une pieuse dame qui avait une grande autorité dans la maison de Monseigneur. [19] Un ecclésiastique aussi honorable qu'honoré nous a cité le fait d'un pauvre jeune prêtre de paroisse qui, interdit par son évêque sans aucune raison valable, mourant de faim et de misère, a été réduit (en cachant son saint caractère, bien entendu) à servir comme garçon de café, à Lille, dans un établissement où son frère exerçait le même emploi. [20] On sait que lors du choléra des placards pareils furent répandus à profusion dans Paris, et tour à tour attribués à différents partis. [21] On sait qu'à cette malheureuse époque plusieurs personnes furent massacrées sous le faux prétexte d'empoisonnement. [22] On lit dans le _Constitutionnel _du samedi 31 mars 1832: « Les Parisiens se conforment à la partie de l'instruction populaire sur le choléra, qui, entre autres recettes conservatrices, prescrit de n'avoir pas peur du mal, de se distraire, etc, etc. Les plaisirs de la mi-carême ont été aussi brillants et aussi fous que ceux du carnaval même; on n'avait pas vu depuis longtemps, à cette époque de l'année, autant de bals; le choléra lui-même a été le sujet d'une caricature ambulante. » [23] Le fait est historique: un homme a été massacré parce qu'on a trouvé sur lui un flacon d'ammoniaque. Sur son refus de le boire, la populace, persuadée que le flacon était rempli de poison, déchira ce malheureux. [24] Pour ne citer qu'un de ces livres, nous indiquerons un opuscule vendu dans le mois de Marie. et où se trouvent les détails les plus révoltants sur les couches de la Vierge. Ce livre est destiné aux jeunes filles. [25] Cette ingénieuse parodie du procédé de la roulette et du biribi, appliquée à un simulacre de la Vierge, a eu lieu pour le tirage d'une loterie religieuse, il y a six semaines, dans un couvent de femmes. Pour les croyants, ceci doit être monstrueusement sacrilège; pour les indifférents, c'est d'un ridicule déplorable; car de toutes les traditions, celle de Marie est une des plus touchantes et des plus respectables. [26] Jacques Rennepont étant mort, et Gabriel étant en dehors des intérêts par sa donation régularisée, il ne restait que cinq personnes de la famille: Rose et Blanche, Djalma, Adrienne et M. Hardy. [27] Quelques curieux possèdent de pareilles esquisses, produits de l'art indien, d'une naïveté primitive. [28] On lit ce qui suit dans le _Directorium _à propos des moyens à employer afin d'attirer dans la compagnie de Jésus les personnes que l'on veut y exploiter: _Pour attirer quelqu'un dans la société, il ne faut pas agir brusquement, il faut attendre quelque bonne occasion, par exemple que LA PERSONNE ÉPROUVE UN VIOLENT CHAGRIN, ou encore qu'elle fasse de mauvaises affaires; une excellente commodité se trouve dans les vices mêmes._ [29] Il est inutile de dire que ces passages sont textuellement extraits de l'Imitation (traduction et préface par le révérend père Gonnelieu). [30] La doctrine, non du partage, mais de la communauté, non de la division, mais de l'association, est tout entière en substance dans ce passage du Nouveau Testament: « Tous ceux qui se convertissent à la foi mettent leurs biens, leurs travaux, leur vie en _commun; ils n'ont tous qu'un coeur, qu'une âme; ils ne forment tous ensemble qu'un seul corps; nul ne possède rien en particulier, mais toutes choses sont communes entre eux; C'EST POURQUOI IL N'Y A PAS DE PAUVRES PARMI EUX. » (Actes des Apôtres_, chap. IV, 32, 33.) Nous empruntons cette citation à un excellent article de M. F. VIDAL: De la justice distributive. (Revue indépendante). [31] Il nous serait impossible, à l'appui de ceci, de citer, même en les gazant, les élucubrations du délire érotique de soeur Thérèse, à propos de _son amour extatique pour le Christ. _Ces maladies ne peuvent trouver place que dans le Dictionnaire des sciences médicales ou dans le Compendium. [32] On sait combien les dénonciations, menaces, calomnies anonymes sont familières aux révérends pères et autres congréganistes. Le vénérable cardinal de la Tour d'Auvergne s'est plaint dernièrement, dans une lettre adressée aux journaux, des manoeuvres indignes et des nombreuses menaces anonymes qui l'ont assailli, parce qu'il refusait d'adhérer sans examen au mandement de M. de Bonald contre le Manuel de M. Dupin, qui, malgré le parti prêtre, restera toujours un Manuel de raison, de droit et d'indépendance. Nous avons eu sous les yeux les pièces d'un procès en captation, actuellement déféré au conseil d'État, dans lesquelles se trouvaient un grand nombre de notes anonymes écrites au vieillard que les prêtres voulaient capter, et contenant soit des menaces contre lui s'il ne déshéritait pas ses neveux, soit d'abominables dénonciations contre son honorable famille; il ressort des faits du procès même que ces lettres sont de la main de deux religieux et d'une religieuse qui ne quittaient pas le vieillard à ses derniers moments, et qui ont enfin spolié la famille de plus de quatre cent mille francs. [33] Est-il besoin de nommer M. Ary Scheffer, un de nos plus grands peintres de l'école moderne, et le plus admirablement poète de tous nos grands peintres? [34] Voir les effets étranges du wambay, gomme résineuse provenant d'un arbuste de l'Himalaya, dont la vapeur a des propriétés exhilarantes d'une énergie extraordinaire et beaucoup plus puissantes que celle de l'opium, du hachisch, etc. On attribue à l'effet de cette gomme l'espèce d'hallucination qui frappait les malheureux dont le prince des Assassins (le Vieux de la Montagne) faisait les instruments de ses vengeances. [35] À savoir: 2 millions de rente française en 5 pour 100 français_, au porteur; _900 000 francs de rente française 3 pour 100 aussi _au porteur; 5000 actions de la Banque de France, au porteur_, 3000 actions des Quatre Canaux_, au porteur; 125 000 ducats de rente de Naples, au porteur; 3900 métalliques d'Autriche, au porteur; 76 000 livres sterling de rente 3 pour 100 anglais, au porteur; 1 200 000 florins hollandais, au porteur; 28 800 000 florins des Pays-Bas, au porteur_.