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Le littoral de la France, vol. 1: Côtes Normandes de Dunkerque au Mont Saint-Michel

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Fécamp.—Petit bateau de pêche.

ÉTRETAT

CHAPITRE XVI

DE FÉCAMP AU HAVRE PAR ÉTRETAT

Si l'aspect général de la côte est triste, les campagnes sont riantes et, c'est par une route bien ombragée, aux horizons accidentés, que l'on arrive dans la vallée profonde où Yport présente ses premières habitations, avant de se déployer jusque sur la grève. Ici, rien de remarquable, quant à la mer, mais les délicieuses promenades des alentours attirent beaucoup de baigneurs qui, sortis de l'eau, peuvent prendre un exercice à la fois salutaire et agréable.

Yport.

Les buts d'excursion ne manquent pas. Le vallon sauvage de Vaucotte et sa baie pittoresque, les sources de Grainval, le bois des Hugues, le rivage entier occupent largement le temps.

La population se livre à la pêche. Pour protéger l'échouage des barques, une petite jetée a été construite; elle suffit au mouvement de la navigation; la prospérité d'Yport étant surtout attachée à la beauté des sites qui l'environnent.


Le rivage change peu à peu. Les rochers crayeux vont céder la place aux falaises de sable et d'argile; mais il semble que la nature ait voulu commencer un travail gigantesque, arrêté en plein essor par le choc irrésistible des flots.

La côte entière d'Étretat témoigne de ce bouleversement. L'aspect en est aussi merveilleux qu'étrange.

Des obélisques, des blocs placés en arcades, des grottes.... les prodiges ne manquent pas. Il y a pour plusieurs jours de surprises nouvelles.

Presque tous ces différents rochers ont reçu des noms spéciaux exprimant soit leur position, soit quelque particularité de leur physionomie ou de l'exploration primitive que l'on en a faite.

Étretat.—Les falaises.

La fameuse Aiguille d'Étretat, haute de près de 70 mètres, s'élance d'un banc de récifs sous-marins par un jet d'une admirable majesté. Deux portes, c'est-à-dire deux roches percées en forme de porte ou d'arc, sont voisines de l'Aiguille et s'appellent: la première (située au nord) Porte d'Amont; la seconde (située au sud) Porte d'Aval[15]. Une troisième, un peu éloignée, s'appelle la Manneporte.

[15] Il est bon de se rappeler que l'amont, en style maritime, est le côté de la source d'une rivière, par exemple; l'aval, le côté de l'embouchure. On comprend dès lors les applications possibles de ces mots.

Celle-ci est peut-être encore plus grandiose. Par une nuit calme, sous le reflet de la lune, l'ensemble devient féerique. On croirait voir les débris du palais d'un enchanteur.

Parmi les grottes, la plus considérable porte le nom de Trou à l'homme. De jolies roches blanches la pavent. Sur le roc aux Guillemots, les chasseurs peuvent faire preuve d'adresse, en s'essayant contre les oiseaux de mer dont ils usurpent la place favorite.

Et, si l'on veut contempler dans toute sa beauté l'effet de la marée montante, le Chaudron, pittoresque excavation, fournit l'observatoire le plus propice.


Étretat offrait-il déjà ces merveilleuses bizarreries naturelles, quand les Romains y construisirent les villas, les maisons de bains et autres édifices dont quelques-uns ont été découverts il y a peu d'années?

Cela reste probable, sans pourtant être certain, car ces parages ont subi bien des changements depuis les premiers temps de l'ère chrétienne.


L'église, construite sur le plan de l'église de Fécamp, et vraisemblablement par les mêmes architectes, a été, comme celle-ci, rangée parmi les monuments historiques.

On éprouve un plaisir toujours nouveau à détailler la riche ornementation de son portail.

Autrefois, le jardin du presbytère contenait une chapelle dite de Saint-Valery. C'était, avec la crypte de Saint-Gervais, à Rouen, le plus ancien des édifices religieux du département de la Seine-Inférieure: il datait du huitième siècle, mais, absolument ruiné, on n'a pu le conserver plus longtemps.


De la falaise et de la plage, sous les galets, naissent plusieurs sources abondantes qui, refoulées au moment de la marée montante, s'épanchent librement à l'heure du reflux.

Les laveuses ne manquent pas de profiter de l'heure propice. Elles accourent, creusent le lit des ruisseaux, et, tout aussitôt, c'est un bruit de battoirs, d'éclats de rire, de voix fraîches ou enrouées dont le mélange n'est pas sans attrait. Ces groupes, ainsi opposés aux groupes de baigneurs et de pêcheurs amateurs, composent des tableaux remplis d'imprévu.

Il ne faut pas manquer de se faire conter l'origine des sources, vestiges, dira le narrateur, de la rivière bue (!!) par une fée, qui voulait se venger ainsi du mauvais accueil d'un meunier, dont le moulin était situé sur ce cours d'eau.

Le moment viendra, peut-être, où la fameuse rivière, maintenant souterraine, joignant son effort à celui des flots, contribuera à engloutir la petite ville bâtie au-dessous du niveau de la pleine mer.

Il suffirait, pour provoquer cette catastrophe, que la digue naturelle, œuvre du courant, encombrant de ses galets tant de grèves normandes, vînt à s'effondrer.


Des nombreuses stations de bains de mer de cette partie du littoral, Étretat est la plus ancienne, la plus célèbre. Tout s'y trouve réuni: beauté de la baie, charme des vallons et des coteaux voisins.

Mais, dans l'avenir, une autre importance pourra être réservée au vaste bassin formé par la ligne de cailloux délaissés à chaque marée. Un port militaire trouverait ici les meilleures conditions d'installation.


Hydrographes et ingénieurs ont, depuis longtemps, signalé les avantages de la station. L'honneur du premier projet mis en avant doit, semble-t-il, revenir à l'amiral Bonnivet, le triste favori de François Ier, qui du moins pour une fois, faisait preuve de clairvoyance et justifiait le titre qu'il avait reçu, malgré son échec dans les intrigues destinées à doter François de la couronne impériale d'Allemagne.

Toujours préoccupé de la grandeur de la France, Colbert, un instant aussi, songea à fonder, à Étretat, un port, complément de la défense de nos rivages sur la Manche.

Vauban appuya ce plan avec ardeur. Mais les guerres continuelles entreprises par Louis XIV en empêchèrent la réalisation.

Pour le même motif, Napoléon dut se borner à concentrer sur Cherbourg sa sollicitude.

Reprendra-t-on l'idée?

Il faut le désirer, si notre marine y doit trouver un élément nouveau de grandeur et de prospérité. Il faut encore le désirer, quand même la laborieuse population des pêcheurs serait seule à profiter, d'abord, des avantages créés.

Le progrès obtenu par le travail intelligemment dirigé ne reste jamais infructueux.


Les circuits des falaises nous amènent au cap d'Antifer, élevé de 116 mètres au-dessus de la mer. Un sémaphore y a été construit. L'horizon est toujours splendide, la campagne souriante.

Les contours de la côte se profilent, à la fois, sur les flots et sur le ciel.


Mais voici que les phares du cap de la Hève deviennent distincts. Arrêtons-nous un moment et, avant d'entrer au Havre, le port-roi de la Manche, avant d'aller visiter ses quais, ses bassins ouverts aux plus grands steamers, rendons-nous compte de ce qu'est un phare, un sémaphore..... toute cette télégraphie maritime si intéressante, quoique si peu connue des pauvres terriens.

Yport.—Pêcheurs.

CHAPITRE XVII

LES PHARES DE LA HÈVE.—LE PAIN DE SUCRE.—N.D. DES FLOTS.—LES BOUÉES

Le cap de la Hève est situé à l'extrémité nord de l'embouchure de la Seine; il forme la limite ouest du département de la Seine-Inférieure.

Le terrain a, de nouveau, changé. Les grands rochers d'Étretat font place à des rivages escarpés, il est vrai, mais composés d'argile, de sable, de terre crayeuse sans grande consistance.

Aussi, la mer, rencontrant cette proie facile, gagne-t-elle, chaque année, de grands espaces. Le nom même du cap explique le péril dont il est menacé; on le dérive du mot hew, signifiant frapper, être frappé.

Un banc de roches, dit de l'Éclat, situé aujourd'hui à près de 2 kilomètres du rivage, marque la place où, en l'année 1100, s'élevait l'église de Sainte-Adresse (commune renfermant le cap).

Lorsque la tempête s'élève, l'action combinée de la pluie, du vent, des flots et des petites sources, filtrant à travers les terrains, produit les effets les plus désastreux. En une seule nuit, vers la fin de 1862, les falaises de la Hève croulèrent sur une largeur de 15 mètres! Et le moment approche où il faudra songer à reconstruire les phares menacés de s'effondrer dans l'abîme!

On comprend, dès lors, le soin vigilant avec lequel il faut tenir, ici, en bon état tous les travaux intéressant la navigation.


Le panorama offert du sommet du cap est un des plus beaux que l'on puisse rêver. Derrière soi et des deux côtés, des chaînes de collines offrent de gras pâturages, des villas, des bourgs en pleine prospérité.

En face, la mer s'étend à perte de vue.

A l'extrême gauche, du côté de l'ouest, on distingue parfois le cap de Barfleur (département de la Manche) et Dives; plus près, c'est l'entrée de la Seine, la montagne de Honfleur. Au-dessous de soi, enfin, le Havre, son port, l'incessant mouvement maritime qui le rend si attrayant.

Phares de la Hève.

A l'est, la vue se prolonge au delà d'Étretat; il faut un effort véritable pour s'arracher à cette contemplation.


Mais on ne saurait quitter la Hève sans visiter attentivement ses deux beaux phares.

Et, tout de suite, nous allons ouvrir une parenthèse, afin de nous mettre en garde contre une erreur trop répandue.

Beaucoup de voyageurs, peu accoutumés à réfléchir, à observer, confondent ces deux expressions: phare et sémaphore. Ils s'imaginent que, toutes deux, se rapportent au même objet: la faute est lourde.


Un sémaphore est un télégraphe maritime. Son nom se compose de deux mots grecs voulant dire: Je porte des signes. En effet, il porte, ou autrement il envoie des messages aux navires, par le moyen de drapeaux ou pavillons, manœuvrés d'une façon convenue.

Lorsque nous descendrons au Havre, nous ne manquerons pas d'aller interroger le télégraphe marin de la jetée, pour nous rendre compte des signaux que, continuellement, il échange, soit avec les navires entrant au port, soit avec les navires sortant.

Sémaphore.

Un phare (on l'appelle parfois aussi: fanal, tour à feu, à cause de sa forme) est destiné à éclairer l'entrée d'un port, la place d'un écueil dangereux, les contours d'une côte périlleuse. En un mot, il a pour mission de guider la marche des navires pendant la nuit.

On se souvient que la première tour à feu connue fut élevée par le roi d'Égypte Ptolémée, quatre cent soixante-dix ans avant l'ère chrétienne, sur une montagne de ses États appelée Pharos[16]. La tour prit le nom de la montagne et, depuis, le mot phare a été généralement adopté.

[16] Dans une île, plus tard réunie, par une digue, à Alexandrie.

Dans le principe, on éclairait les tours à feu au moyen de bûchers plus ou moins soigneusement entretenus; mais il en résultait une lumière ou trop faible ou trop variable.

Lentille de phare.

De nos jours, le service de ces utiles établissements a été organisé d'une admirable façon, et le nom de Fresnel[17] sera toujours prononcé avec reconnaissance par les marins. Il inventa tout un système de réflecteurs, ainsi que les lentilles à échelons.

[17] Auguste-Jean Fresnel naquit en 1788, dans le département de l'Eure, à Broglie. C'était un très savant ingénieur, qui modifia, sur plusieurs points, l'enseignement de cette science si importante, la physique. Il perfectionna les phares et inventa le système dit: phares lenticulaires. Il mourut en 1827

Pour se rendre compte de ces dernières, il suffit de regarder une persienne. Les lames en bois de celle-ci ont servi de modèle aux échelons de celles-là.

Par une telle disposition, la lumière d'une seule lampe atteint un éclat que donneraient à peine quatre mille lampes ordinaires! On voit tout de suite les immenses avantages du système Fresnel.


Les phares à appareils lenticulaires sont appelés dioptriques, par allusion aux divers milieux que la lumière doit traverser.


Les phares à appareils à réverbères sont appelés catoptriques, par analogie à la manière dont la lumière vient se réfléchir sur des surfaces polies.

Les appareils de la Hève sont dioptriques.


Les phares sont divisés en plusieurs classes, selon la distance où leur éclat se projette. Ceux de premier ordre sont visibles à près de 60 kilomètres. Ceux de second ordre peuvent porter leur bienfaisant rayon à 40 kilomètres. Ceux de troisième ordre ne dépassent pas une distance de 24 kilomètres.


Comme il arrive que les difficultés d'une côte peuvent nécessiter la construction de phares assez rapprochés, on a remédié aux dangers qui en résulteraient, pour les navigateurs, par les plus ingénieuses combinaisons.

Ainsi, il y a des phares à feu fixe; d'autres sont à éclats visibles pendant un espace de temps déterminé; d'autres sont à feu tournant, variant de couleur.


Un phare, généralement, ressemble à une grande colonne que surmonte l'appareil éclairant connu sous le nom de lanterne.

Le rez-de-chaussée est occupé par les chambres des gardiens et la cuisine. Un escalier en fer monte en spirale jusqu'à la plate-forme. Les moindres détails acquièrent une importance capitale, car de leur bon fonctionnement dépend l'utilité du phare. Et si, par malheur, la négligence du gardien en omettait quelques-uns, des sinistres maritimes irréparables pourraient s'ensuivre.


Entrons, d'abord, dans la chambre dite de quart. Ce nom est essentiellement du domaine de la marine. Il vient de cette circonstance, qu'à bord d'un navire, l'équipage veille, alternativement, de quatre heures en quatre heures chaque nuit.

Les phares de première classe ont, ordinairement, plusieurs gardiens qui se partagent la surveillance de la lampe. La chambre de quart n'a pour tout meuble qu'un fauteuil, une table, une pendule.

Trois boutons de sonnette s'incrustent dans le mur; chacun d'eux correspond à une des chambres du rez-de-chaussée occupées par les autres gardiens. Lorsque le veilleur a terminé son quart, il presse l'un des boutons, et le remplaçant, averti, se hâte de venir prendre son poste.

Chambre de quart.

Au milieu de la lanterne, remarquons un long tube perpendiculaire dans lequel montent et descendent les contre-poids faisant mouvoir le mécanisme de la lampe.

Si le feu est fixe, nul autre soin à prendre que de veiller à ce que les mèches fonctionnent parfaitement.

Si le feu est à éclats, il faut s'assurer, de temps en temps, que l'écran, destiné à voiler la lumière, glisse avec régularité et juste pendant les moments précisés sur les livres indicateurs.

De même, si le feu est, par exemple, blanc d'abord, vert ensuite, il est nécessaire de surveiller le passage des disques colorés au-devant de la lampe.

Le pain de sucre

Tous ces divers changements, et leur durée respective, sont connus des navigateurs; il peuvent, avec une entière sécurité, s'en rapporter à leurs livres, car le service des phares, comme celui des sémaphores, est organisé strictement, régulièrement.


Quelques phares ont été alimentés au gaz et le résultat obtenu fut heureux. Maintenant, on étudie l'emploi de la lumière électrique. Le port du Havre est, depuis peu, éclairé par ce procédé. Mais l'attente générale a été déçue. Les plaintes se sont multipliées. Ce n'est qu'une affaire de temps. Les savants ont trouvé un moyen pratique pour généraliser l'emploi utile et facile de cette merveilleuse lumière.

M. Reynaud, ancien inspecteur des phares, a beaucoup contribué à cet important perfectionnement.


Maintenant que nous avons pu apprécier à leur juste mérite, non seulement les belles constructions des phares, mais les services qu'elles rendent, prenons le sentier conduisant à Sainte-Adresse; il nous mènera ensuite au Havre.

Ne nous approchons pas trop du bord de la falaise, le terrain pourrait crouler sous nos pieds.


A mi-chemin des phares, nous trouverons un des amers[18] de cette partie de la côte normande.

[18] Nous avons déjà donné la signification de ce mot, qui peut être traduit par: point de repère.

C'est le monument élevé à la mémoire du général Lefebvre-Desnouettes, mort dans un naufrage, en vue des côtes de France.

Notre-Dame-des-Flots.

La forme caractéristique de ce petit édifice lui a valu le nom, très bien trouvé, de pain de sucre.


Le joli clocher de Notre-Dame-des-Flots, gracieuse chapelle moderne, construite dans le style du treizième siècle, est encore un point de repère important pour le marin. Le promeneur y trouve l'occasion d'une très agréable visite, car le panorama gagne de plus en plus en beauté souriante et variée.

Tout en cheminant, nous donnons de longs regards à la vaste étendue des flots, ainsi qu'aux charmantes villas qui, de tous côtés, s'élèvent sur le moindre coin de terrain permettant d'obtenir une échappée de perspective vers la mer. Nous voyons les navires, les barques, les canots passer et disparaître, soit à l'horizon, soit vers le port.

Bouée noire et rouge.

De temps en temps, du milieu des vagues, nous apercevons des objets qui suivent leur balancement. Ils semblent être de couleur noire, rouge ou blanche; parfois, ces teintes sont mélangées et disposées soit en bandes, soit en damiers.

Bouée flottante.

Ces objets, fabriqués en liège, en tôle ou en bois, sont les bouées, destinées à tracer la route des navires au moment, souvent périlleux, où le port est en vue. En effet, près des rivages, le fond de la mer se relève, et des écueils, cachés par une minime profondeur d'eau, pourraient, sans les bouées, causer plus d'un naufrage.

Le sommet des récifs émergeant de l'onde est, parfois aussi, peint selon les places qu'ils occupent.

Car, souvenons-nous combien il est nécessaire, pour le capitaine d'un navire, de compter sur un ordre rigoureux dans le système des bouées, puisque, sans ces précautions, il échouerait là, même, où il croirait trouver le salut.

Bouée flottante.

Lorsqu'un bâtiment arrive au port, il laisse à sa droite, ou tribord, les bouées rouges, et doit trouver à sa gauche, ou bâbord, les bouées noires.

Quelquefois, au milieu de la passe, se balancent d'autres bouées peintes en noir et en rouge, mais celles-là indiquent que, de chaque côté de l'écueil, on trouvera une profondeur d'eau suffisante.

Enfin, il y a des bouées entièrement blanches. On les appelle bouées d'amarrage, par cette raison que les navires peuvent y nouer un cordage et attendre, en cet endroit, selon les besoins du service.

Quand la bouée est de danger, c'est-à-dire quand elle signale un récif, le nom donné à la place y est inscrit en lettres apparentes.

Dans les passes d'un port, chacun de ces signaux est numéroté. Les bouées de gauche portent les chiffres impairs; les bouées de droite, les chiffres pairs.


Il y a encore un système de bouées usité pour certains parages dont il est urgent de signaler l'approche. Le dessin l'explique suffisamment.

Clochette de bouée.

La petite cloche, frappée par les marteaux dont elle est entourée, résonne au moindre choc du roulis, et avertit le marin de prendre garde[19].

[19] Le Musée de Marine contient des modèles de phares, de bouées, de balises avec explication de leur système. Il possède également des modèles de bateaux pêcheurs de nos côtes et de bonnes aquarelles de navires marchands.

LE HAVRE.—LE SÉMAPHORE PAVOISÉ.

CHAPITRE XVIII

SUR LA JETÉE.—LES SÉMAPHORES

Le Havre est une fort jolie, une fort agréable ville; mais, selon nous, son plus vif attrait vient de l'activité débordante, de l'animation qui emplissent son port.

Rarement, quelques instants s'écoulent sans qu'un navire, une barque, un canot entrent ou sortent..... Aussi, nous détournant un peu de notre route, allons-nous nous rendre à la jetée, près du sémaphore, d'où nous pourrons commodément, nous faire expliquer les signaux maritimes.

Marche des navires

Mais, auparavant, voyons, à l'horizon, ces navires qui apprêtent leurs feux de nuit (dessins nº 1). Une plus longue explication serait inutile. Nous ne chercherons pas davantage à faire mieux comprendre la marche de deux bâtiments à voile, courant l'un sur l'autre.

Les navires à vapeur exécutent une manœuvre semblable, rendue très claire par les dessins nº 2.

Tout d'abord, sachons que les stations sémaphoriques françaises correspondent avec les bâtiments de toutes nationalités. Un code commercial a été rédigé, qui permet d'interpréter les signaux divers et de leur répondre.

Un service météorologique, admirablement organisé depuis quelques années, avertit de tous les changements graves qui peuvent survenir dans l'atmosphère.

Ce genre de signaux se fait au moyen de cônes et de cylindres.

Ainsi, supposons qu'un fort coup de vent va venir du nord, le sémaphore hisse un cône pointu en haut, c'est le signe nord: si le vent vient du sud, la pointe est tournée vers le bas; si les coups de vent menacent d'être tournants ou successifs, on arbore un cylindre; si l'ouragan est dangereux et qu'il porte au nord, le cylindre sera surmonté d'un cône, placé la pointe en l'air; le contraire a lieu quand la tempête à redouter arrive du sud: le cylindre, alors, surmonte le cône dont la pointe est abaissée.


Lorsqu'un navire ne voit aucun signal météorologique, il questionne assez ordinairement le sémaphore par le moyen de deux boules placées, l'une au-dessus, l'autre au-dessous d'une petite flamme.

Un simple mât supporte les signaux le plus souvent employés.

Pendant la nuit, on ajoute un feu blanc dit de marée, mais il ne reste allumé qu'autant que la profondeur du chenal est suffisamment pourvue d'eau. Dès que la mer a perdu la hauteur de deux mètres, le feu de marée s'éteint.


Voyons, à présent, ce pavillon blanc encadré de bleu. Pourquoi l'a-t-on hissé? Il indique aux bâtiments que les bassins sont ouverts et que, par conséquent, le chemin est libre (Voir les dessins page 193).

Mais, tout à coup, ce pavillon s'abaisse et un autre, de couleur rouge, le remplace.

Cette manœuvre veut dire qu'une circonstance quelconque interdit l'accès du port, et défend tout mouvement dans l'avant-port.

Ce second drapeau fait bientôt place à un troisième, de couleur verte.

Celui-ci ne s'adresse qu'aux navires déjà ancrés dans le port. Il leur signifie que la sortie est impossible.


Pour qu'un capitaine de navire sache s'il peut entrer dans le port, l'indication que la route est libre ne lui suffit pas. Selon la force et la grandeur du bâtiment, il faut une plus ou moins notable quantité d'eau sous sa cale.

Le sémaphore donne cet utile renseignement au moyen d'un système de ballons, disposés d'après tout un code connu des navigateurs. Le tableau suivant fait apprécier ce système et comprendre, d'un coup d'œil, son indispensable mécanisme.

Ballons pour le tirant d'eau.

Immédiatement, le capitaine sait de quel tirant d'eau[20] il peut disposer et agit selon les nécessités de sa situation.

[20] On appelle, en marine, tirant d'eau, la profondeur à laquelle un navire enfonce pour obtenir une marche facile et régulière. Naturellement, cette profondeur varie avec la force du navire et son chargement.


Mais nous apercevons un petit pavillon triangulaire, nommé flamme, hissé au-dessus du pavillon national d'un navire en vue. Il signifie que ce navire veut entrer en communication avec le sémaphore et qu'il va, par suite, lui adresser une série de questions.


La première de toutes sera pour demander un pilote, car, le plus ordinairement, un capitaine ne se soucie pas d'entrer sans guide, surtout si, depuis longtemps, il est absent de France. Le fond de la mer, les côtes de certains parages sont sujets à se modifier profondément et les pilotes, seuls, peuvent savoir tenir compte des changements survenus.

Leur profession les y oblige. Un pilote, à bord, est maître du bâtiment, il en répond; le capitaine est déchargé, à cet instant, de sa propre responsabilité; il n'a plus qu'un devoir: fournir au nouveau commandant les moyens de remplir sa mission.

Flamme.

A l'appel du pavillon bleu et blanc, un petit bateau se détache du port. C'est l'embarcation du pilote, qui va où il est demandé. Il a eu bien soin de consulter le temps.

Bateau-pilote.

De leur côté, les gardes du sémaphore n'ont point négligé de donner les indications concernant l'état du ciel.

C'est ainsi qu'un pavillon jaune annonce une baisse barométrique, et, par suite, un mauvais temps probable. Une flamme jaune et bleue fait connaître l'élévation barométrique.

Quelquefois, par malheur, un pavillon noir est arboré. Ce signe de deuil caractérise un sinistre arrivé à bord d'un navire ou d'une embarcation quelconque.

Signaux à l'entrée des ports.

Mais le pilote est parti, appelé, ainsi qu'on vient de le dire, pendant le jour, par un pavillon bleu et blanc; pendant la nuit, par un feu blanc, alternativement visible et caché.

Signaux météorologiques.

Nous supposons être au pied du sémaphore, pendant le jour, et nous continuons à examiner les signaux qu'il échange.

La planche des pavillons usités pour les bâtiments de commerce montre la simplicité du mécanisme et les combinaisons multiples que l'on peut en tirer. Chaque navire a un livre spécial, dit de signaux, où ces combinaisons se trouvent expliquées. Les erreurs ne sont donc pas possibles.

On le voit, les stations sémaphoriques sont indispensables et rendent les services les plus variés, les plus grands.

Grâce au sémaphore, un navire en vue peut échapper aux dangers multiples de l'abord des côtes; il peut, si le temps lui est précieux, s'il veut de l'aide, des vivres.... être certain que ses demandes, comprises et fidèlement traduites, répondront, sans erreur possible, à ses besoins.

En un mot, le sémaphore est digne du nom qu'on lui a imposé. C'est un messager sûr, attentif, toujours prêt à accomplir son service.

Ajoutons qu'aux jours de fête il met une note joyeuse dans l'ensemble des décorations navales. On n'oublie plus l'aspect d'un sémaphore illuminé et pavoisé quand on a eu cette vue pittoresque.


Cependant, la marée se montrant favorable, un grand nombre de navires se dirigent vers le port.

Nous remarquerons que beaucoup d'entre eux se ressemblent. On en comprend facilement la raison. Chaque port ayant un trafic à peu près déterminé par les facilités de commerce et de communications qu'il offre, les capitaines de bâtiments savent où aborder de préférence, et à quels armateurs s'attacher.

D'un autre côté, les nécessités du négoce réclament l'emploi de certains types de construction. Successivement, nous voyons défiler les navires que l'on rencontre le plus souvent en mer.


Et, tout d'abord, examinons cette embarcation qui se hâte d'aller visiter les bâtiments signalés. Elle porte un pavillon jaune.

C'est l'embarcation du service sanitaire. Autrement dit, on va s'assurer si les nouveaux arrivés ne peuvent répandre dans la ville les germes de maladies épidémiques; car, par malheur, certains pays sont le foyer des plus terribles contagions: le choléra asiatique, la fièvre jaune, la peste sont facilement apportés par les navires, et il est urgent de savoir si rien de semblable n'est à redouter.

Pour cela, non seulement une visite est faite, mais chaque bâtiment doit être pourvu d'une patente en règle. Ce mot: patente, s'applique à une pièce signée, soit par l'autorité consulaire du port d'où il arrive, soit par le comité de santé de ce même port. On dit que la patente est brute, lorsque le bâtiment arrive d'un pays affligé par une maladie contagieuse.


La patente est suspecte, lorsque le navire a communiqué, pendant son voyage, soit avec des ports, soit avec d'autres bâtiments, dont l'état sanitaire ne pouvait être constaté. La patente est nette, lorsque tous les papiers, ainsi que le journal du bord, prouvent qu'aucun doute ne saurait être élevé contre la santé générale.

Lorsque cette dernière condition n'existe pas, une quarantaine plus ou moins longue est imposée. Le comité sanitaire du port décide de la durée de la quarantaine. Le nom imposé à cette mesure humanitaire rappelle qu'autrefois il fallait se résigner à attendre une période de quarante jours avant de pouvoir débarquer, lorsque l'on arrivait de pays suspectés d'épidémie. C'est au comité sanitaire à déterminer la longueur de l'attente.


Après le bateau-pilote, après le conseil de santé, nous voyons le remorqueur. Son nom fait comprendre le service auquel il est affecté. Beaucoup de navires ne pourraient facilement entrer au port, s'ils n'avaient le secours du remorqueur.


Voici que, devant nous, passe un trois-mâts, bâtiment essentiellement marchand, que l'on appelle ainsi parce que sa mâture est composée d'un grand mât, d'un mât de misaine et d'un mât d'artimon.

Examinons bien le dessin, pour nous rendre compte de ce que l'on entend par ces divers noms donnés à la mâture. En plus de ceux que nous venons de citer, nous voyons les huniers, voiles établies sur les mâts de hune, c'est-à-dire sur les mâts des plates-formes ajoutées aux mâts principaux.

L'aspect des hunes est celui d'un carré long, dont l'arrière et l'avant sont un peu arrondis. Au milieu, est une ouverture nommée: trou du chat, assez large pour permettre à un homme de passer, de chaque côté, le long du mât qu'elles enserrent.

Chaque hune porte le nom du mât auquel elle est adaptée: ainsi on dit une hune de misaine, d'artimon; celle du grand mât est appelée grand'hune.

Le dessin donne une très exacte figure de ces différentes dispositions; nous n'y insisterons donc pas.

Après le trois-mâts, voici un chasse-marée. Ce bâtiment est spécial aux côtes de Bretagne, où il sert à la pêche et au petit cabotage. Parfois, il n'est pas complètement ponté; mais, seuls, les plus petits d'entre eux se trouvent dans ces conditions. La voilure du chasse-marée est usitée pour la plupart des embarcations, principalement dans les ports de l'Océan.


La goëlette est un petit bâtiment à deux mâts. Il ne faut pas oublier que, dans le nombre des mâts, on ne compte jamais le beaupré, mât indispensable à un navire.

Il y a des goëlettes de guerre d'une assez forte dimension; mais, en général, la capacité de ces navires ne dépasse pas cent tonneaux. Le dessin prouve à quel point ils sont légers, fins et bien disposés pour la marche. Généralement, ils n'ont pas de hune, et leurs mâts sont inclinés en arrière.

Les goëlettes sont employées pour la pêche et le cabotage. Ce genre de bâtiment est appelé schooner en Angleterre.

Les navires connus sous le nom de bricks, brics ou brigs (on emploie indifféremment ces trois mots) n'ont que deux mâts, comme les précédents, mais ils portent des hunes et des voiles supplémentaires nommées bonnettes et cacatois. En général, le grand mât des bricks est incliné sur l'arrière. Leur tonnage peut être assez élevé; le commerce les emploie beaucoup. Il y a des bricks de guerre et des cannonières-bricks; ces derniers servent presque toujours à escorter les convois.

Nous voyons encore des trois-mâts carrés, des trois-mâts-Pieu. Ces noms sont donnés d'après la disposition des voiles, des mâts, et les dessins les font comprendre sans peine. Du reste, il est facile de se rendre compte que, pour un marin, le moindre changement dans la voilure est chose fort importante, et qu'avec ces modifications doivent également varier les appellations. Suivant les pays, l'emploi des navires et les noms les plus divers sont appliqués. L'expérience, seule, permet de distinguer ce qui, pour le simple spectateur, ne semble pas souvent entraîner une différence notable.


Après les navires à voiles, paraît un bateau à vapeur, et, avec lui, tout un nouveau système de gréement ou voilure.

A la vapeur appartient, maintenant, l'empire de la mer, en attendant que l'électricité l'ait détrônée.

Il y a loin des bateaux à vapeurs actuels à ces lourds et encombrants navires des premières expériences. Des roues, placées sur chaque côté, étaient enfermées dans d'immenses tambours, dont la laideur était le moindre défaut. Actuellement, les bateaux que l'on construit sont mus par l'hélice, merveilleux appareil que nous apprécierons à sa valeur en visitant un Transatlantique.

Au sujet de cette découverte, n'oublions pas de rappeler le nom de Pierre Sauvage, dont nous connaissons le génie et l'infortune.


Dans un bateau à vapeur, les voiles, on le conçoit, deviennent un accessoire de la machine, mais un accessoire indispensable; car un accident peut arriver, qui ne permette pas de faire usage du moteur et laisserait le navire en détresse, s'il n'avait ses mâts prêts à profiter du moindre souffle de vent.

Pont d'un trois-mâts.

Pendant que passe un beau trois-mâts revenant chargé de bois précieux, examinons son pont tout à loisir. Nous apercevons le pied des mâts, les nombreuses poulies servant à maintenir les voiles et les vergues, tous ces cordages qui prennent cent noms différents, suivant qu'ils servent à tel ou tel usage.

C'est, vraiment, dans une de ces merveilleuses constructions navales à voiles qu'éclate l'intelligence humaine. Chaque bout de corde, chaque pouce de toile a son emploi déterminé. Au moment du danger, tout sera utilisé, et, si une catastrophe survient, elle n'aura lieu qu'après que chaque moyen de salut aura été, tour à tour, impuissant à conjurer le mal.

Mais, pendant que nous regardions défiler les bâtiments, le flot a continué à monter. La mer, maintenant, atteint sa plus grande hauteur et une énorme masse se profile à l'horizon. C'est un navire de la Compagnie Transatlantique qui se dispose à entrer. Nous pourrons le visiter en détail, lorsqu'il sera à l'ancrage dans un des bassins. Contentons-nous donc de le voir passer, majestueux, au milieu de la foule des autres bâtiments devenus, devant lui, comme autant de nains placés côte à côte près d'un géant, afin d'en faire ressortir les splendides proportions.


Donnons encore un regard à la belle étendue de mer déroulée au loin sous le ciel. Les vagues se sont aplanies, le soleil s'est dégagé des nuages, la journée promet d'être radieuse. Remettons-nous en marche pour parcourir la ville.

Le Havre.—Les quais.

Le Havre

CHAPITRE XIX

LE HAVRE

Jusque sous Charles VII, il ne se trouvait, à la place occupée par Le Havre, que deux tours protégeant cette partie du littoral.

Louis XII, le premier, eut la pensée de créer un port dans cette situation avantageuse. Vers 1509, il fit commencer quelques travaux, mais c'est à François Ier que revient l'honneur de la fondation; car, à partir de 1510, l'idée primitive ne fut plus abandonnée.

Le Havre en 1625.

On suivit un plan tracé par Bonnivet, qui, décidément, justifiait parfois la faveur dont l'honorait François Ier.

Guyon Le Roi, seigneur du Chaillou, était chargé de l'exécution de ce plan.

L'entreprise offrait d'immenses difficultés, le terrain sur lequel devait être bâtie la ville future n'offrant aucune consistance, et, maintes fois, la mer faillit tout détruire. En 1525, l'année même où le roi fut fait prisonnier à Pavie, le désastre sembla devenir à peu près irréparable. Moins de deux cents ans plus tard, le danger se renouvela terrible, et revint encore menaçant en 1718 et en 1765.

Malgré tout, la prospérité du Havre allait croissant. Non seulement sa position était excellente, mais l'avantage, offert par ses bassins naturels, de conserver la mer en son plein trois grandes heures de plus que les ports voisins, lui assurait une supériorité incontestable.


Pendant quelque temps la ville nouvelle, en reconnaissance des bienfaits du roi, fut appelée Franciscopolis ou ville de François. Mais, depuis de longues années, les marins étaient habitués à prendre pour point de repère une vieille chapelle nommée Notre-Dame de Grâce, élevée, disent quelques auteurs, sur le coteau d'Ingouville, ou, selon une opinion plus répandue, une autre chapelle, placée sous le même vocable, et située sur la colline de Honfleur, vis-à-vis de la ville naissante, qui, de cette circonstance, prit et garda le nom de Havre-de-Grâce.

Le Havre.—Ancien Hôtel-de-Ville.

Quarante-six ans après sa fondation, la cité fut, par malheur, livrée aux Anglais, qui ne purent la garder que neuf mois, quoique le comte de Warwick y commandât en personne.

Le connétable de Montmorency, puissamment aidé par la noblesse française, reprit le Havre, et Charles IX, accompagné de sa mère, put venir visiter l'importante station maritime qui avait failli échapper à son pouvoir.

LE HAVRE.—LE PORT, VU DE LA CITADELLE SUR LE BASTION DU ROI
D'après une vieille gravure par Ozanne en 1776.

L'enthousiasme fut si grand que, rapportent les historiens, le roi et la reine-mère songèrent, un instant, à fonder un hôpital spécial pour recevoir ceux d'entre les soldats français trop grièvement blessés pendant le siège pour pouvoir continuer leur service; mais l'idée, pourtant d'une excellente politique, fut abandonnée. Les Invalides durent attendre près d'un siècle encore que l'on s'occupât d'eux.

L'époque de la Ligue fut mauvaise pour le Havre; néanmoins, son commerce se développait. Il allait prendre un essor rapide, grâce à Richelieu et à Colbert. Le génie du premier s'attacha avec ardeur à cette œuvre nouvelle. Non seulement il mit la ville en état de repousser une agression violente: il fit mieux et plus. Des ateliers, des quais, des Compagnies commerciales rendirent au port la possibilité de profiter de sa situation exceptionnelle.

Vieux Havre.

Le grand cardinal ne s'y trompait pas. Le Havre était destiné à devenir, au nord-ouest, le rival heureux du magnifique port sud-est français: de Marseille.

Richelieu prenait à cœur son titre de gouverneur de la jeune cité normande.

Colbert devait continuer le plan du cardinal. Rien n'échappait à son patriotisme. Il savait trop que si un pays est, parfois, forcé de défendre son honneur et l'intégrité de son territoire, seuls l'industrie et le commerce alimentent sa prospérité.

Vauban fut chargé d'étudier les meilleurs moyens de vaincre les obstacles opposés par les détritus marins encombrant le port. Nul ne pouvait mieux s'acquitter d'une semblable tâche.

Aucune rivière ne baignant le Havre, et ne pouvant, par conséquent, aider au nettoyage des bassins, Vauban résolut d'opérer une prise à la Lézarde, joli petit cours d'eau débouchant, à dix kilomètres de distance, dans le port envasé d'Harfleur. La jetée fut notablement allongée, les bassins mis en état et creusés à nouveau. Désormais, vu les besoins de la navigation à cette époque, le Havre offrait toutes les facilités suffisantes. La fameuse Compagnie des Indes le comprit et y établit un de ses sièges sociaux.

C'en était trop pour nos ennemis. En 1694, la flotte anglaise, qui venait de bombarder Dieppe et quelques autres petits ports normands, s'embossa devant le Havre.

Bombardement du Havre, en 1694.

Heureusement, la mer et les vents contraires se firent les protecteurs de la cité; peu de dégâts eurent lieu.

Une période de soixante-cinq années s'écoula sans perturbations graves; mais, en 1759, les Anglais voulurent reprendre leur œuvre destructive. Les bombes incendiaires plurent par centaines sur la pauvre ville qui, cependant, résista avec assez d'énergie pour obliger les agresseurs à s'éloigner.


Si l'attaque avait été vive, les traces s'en effacèrent promptement. Deux gravures exécutées pour le roi, en 1776, prouvent l'étendue acquise par le port et l'activité dont il était le théâtre.

LE HAVRE.—LE BASSIN, VU DU BUREAU DES CONSTRUCTIONS
(D'après une vieille gravure par Ozanne en 1776).

La période de la Révolution et celle du premier Empire paralysèrent un peu le Havre, quoique Napoléon Ier eût, un instant, songé à transformer son port en station militaire et y eût fait exécuter quelques travaux indispensables, entre autres, une écluse contre les atterrissements vaseux.

Mais, dès que la France et l'Europe purent reprendre confiance en la durée de la paix, une progression rapide s'établit dans le chiffre des transactions.

C'est, avec Marseille, le premier port commercial français.


Les anciennes fortifications ne tardèrent pas à devenir importunes pour l'agrandissement de l'enceinte habitée. Aussi, en 1854, supprima-t-on les fosses, et les faubourgs d'Ingouville, de Graville, de Sanvic furent annexés au Havre.

Le Havre.—Ancienne Tour François Ier.

En même temps, on remédiait aux difficultés de l'entrée du port, devenue à peu près insuffisante pour les bâtiments modernes.

De l'enceinte primitive, il restait une tour, dite de François Ier, utilisée comme sémaphore. Bientôt on jugea, avec raison, qu'elle obstruait le chenal et constituait un danger permanent pour la navigation.

La démolition en fut ordonnée. Par suite, tout le quartier a pris une physionomie nouvelle. La jetée prolongée est entourée d'un admirable horizon.

A droite, la côte, capricieusement échancrée, aboutit à la pointe de la Hève, couronnée par ses deux superbes phares; à gauche, l'embouchure de la Seine, le promontoire de Honfleur, surmonté de son antique chapelle, et la gracieuse ligne de collines au pied desquelles s'étendent Trouville, Villers, Beuzeval, Dives, Cabourg.

Le nouveau sémaphore a pris la charge des signaux autrefois établis sur la tour, et sa silhouette se détache au loin sur le ciel.

De tous côtés, des bouquets d'arbres s'élèvent et les falaises sont verdoyantes. Derrière soi, les constructions semblent avancer jusque dans la mer et les mâts des navires se dressent, comme par enchantement, au milieu d'elles, car les vastes bassins à flot reçoivent, d'une manière continue, un très grand nombre de bâtiments.

C'est un tableau dont on ne se fatigue jamais de contempler les lignes ou grandioses, ou riantes, l'aspect sans cesse nouveau, le mouvement débordant....

Le Havre sous Louis XVI.

LE HAVRE.—BASSIN DE LA BARRE
FRASCATI.—LE DOCK FLOTTANT.

CHAPITRE XX

LES BASSINS.—UN PAQUEBOT TRANSATLANTIQUE

Les bassins sont au nombre de dix, tous vastes, tous parfaitement disposés. Les principaux d'entre eux se nomment:

Le Vieux Bassin, parce qu'il date du temps de Richelieu, qui le fit construire; mais il a été creusé de nouveau et approprié aux besoins de la navigation moderne.

Le bassin du Commerce peut recevoir plus de deux cents navires. Il est situé à l'est de la place Gambetta, et se trouve pourvu d'une puissante machine à mâter.

Le bassin de la Barre, à l'est du Havre, offre encore une surface plus étendue. Là, est établi un dock flottant, permettant d'accomplir les réparations les plus minutieuses des navires, sans l'emploi des moyens lents d'autrefois.

Le bassin de l'Eure est le plus grand de tous et, peut-être, un des plus beaux qui soient dans le monde entier.

Il ne couvre pas moins d'une étendue de vingt et un hectares et est pourvu de trois cales sèches. Les docks, ou entrepôts, en sont voisins; s'étendent sur une surface immense.

Le bassin de Vauban est également fort grand et bordé de docks: c'est-à-dire de Magasins généraux.


On s'explique la nécessité de ces entrepôts, lorsqu'on ouvre le registre des douanes: le commerce du Havre équivalant au cinquième des négociations de la France entière.


Le bassin de la Floride est situé au sud de la ville. Par une écluse de chasse, ses eaux servent à opérer le déblaiement du port, que la vase et les galets menacent constamment.

Les grands vapeurs transatlantiques se rangent, en général, dans ce bassin.

Le magnifique steamer que nous avions vu arriver, devant être, à présent, amarré à quai, il nous sera facile de le visiter en détail. Cet examen d'un navire, géant entre les bâtiments de commerce, nous préparera à la visite (que nous ferons à Cherbourg) d'un vaisseau cuirassé, géant entre les bâtiments de guerre. Plus tard, cette étude formera l'objet d'une comparaison intéressante.


Indifféremment, on appelle ces grands navires: transatlantiques, du nom de la compagnie à laquelle ils appartiennent; steamers, d'un mot anglais signifiant simplement: bâtiment à vapeur; paquebots, quoique ce mot, contraction de l'anglais: packet-boat, désigne surtout un petit bâtiment léger.

Enfin, les vieux loups de mer ne feront point difficulté de dire bonnement le vapeur; bien qu'il ne manque pas de navires pouvant revendiquer ce titre, la marche à la vapeur tendant, de plus en plus, à remplacer la marche à la voile.


Les paquebots sont de deux systèmes: à aubes ou à hélice. Dans les premiers, on aperçoit, de chaque côté du pont, de vastes tambours ou cylindres, recouvrant la plus grande partie de deux fortes roues plongeant à demi dans l'eau. Sur ces tambours, de même que sur des palettes ou aubes, fixées à la circonférence des roues, s'exerce l'effort des vagues, divisées par le moindre ébranlement du navire. Cet effort cause un choc, lequel, toujours répété, produit, par sa régulière succession, la marche du paquebot.

Nous pouvons nous rendre compte de ce système, par l'examen d'un canot conduit à la rame. Lorsque le rameur appuie sur l'instrument qu'il tient en main, l'eau offre, pendant une seconde, la résistance voulue pour permettre de guider l'embarcation vers un point désigné. Le même mouvement, renouvelé, assure, avec plus ou moins de rapidité, selon la force du rameur, la marche du canot.

Sur les paquebots, une machine à vapeur produit l'impulsion des roues. On se rend compte de la régularité ainsi assurée, car il ne s'agit que d'entretenir la machine à un degré constant de chaleur pour en obtenir le même travail.

PONT ET CABINE D'UN TRANSATLANTIQUE.

Mais le système à aubes offre un véritable inconvénient. Les cylindres des roues sont très exposés à des chocs graves, et le navire peut rester désemparé au milieu d'un voyage. De plus, il est encombrant et, en temps de guerre, un boulet a bientôt fait de désorganiser la partie apparente de la machine.


Ces remarques conduisirent un inventeur à appliquer un autre système. Frédéric-Pierre Sauvage s'occupa, vers l'année 1811, de reprendre les essais d'un mécanicien d'Amiens, Charles Dallery[21], qui, en 1803, avait pris un brevet d'invention pour construire des machines marines, dites à hélice.

[21] Né, en 1754, à Amiens, mort en 1835. Il apporta des perfectionnements à la bijouterie et inventa, en 1780, une machine à vapeur avec chaudière tubulaire.

Ni l'un ni l'autre des chercheurs n'eut la joie de faire triompher l'idée. Les essais de Dallery restèrent imparfaits et, désespéré, le mécanicien brisa son modèle. Sauvage, lui, réussit complètement, mais nous savons qu'il ne put trouver l'aide matérielle nécessaire, et qu'il éprouva la douleur de ne point obtenir justice, quand il revendiqua la gloire de ses travaux. Mieux éclairée, maintenant, l'opinion publique a rendu l'arrêt sollicité par le pauvre grand homme.

Arrêt glorieux, mais, hélas! trop tardif, comme beaucoup d'autres....


Les dictionnaires définissent ainsi l'hélice: «Une ligne tracée en forme de vis autour d'un cylindre.» On pourrait la définir encore; «un escalier tournant dont les angles des marches sont abattus.» Mais cela ne nous donne, peut-être pas, tout de suite, l'image exacte de cette ingénieuse machine. Cherchons donc quelque objet qui nous soit familier. Sans aller loin, nous en trouverons deux: un tire-bouchon et un escargot.

Remarquons, dans le premier, une tige droite, inflexible, autour de laquelle s'enroulent les divers étages d'une vis. Nous savons que, pour enfoncer le tire-bouchon, il faut le faire tourner sur lui-même; autrement, le côté tranchant de la vis ne pénétrerait pas dans le liège.

De même l'animal appelé escargot, ne peut se cacher si bien dans sa maison portative, en sortir ou y rentrer, que s'il fait prendre à son corps la forme enroulée de la coquille dont il est recouvert. On ne parviendrait pas à l'en retirer, si l'on ne lui faisait exécuter le même mouvement. Les naturalistes appellent le colimaçon: hélice, à cause de la disposition de sa coquille.

Nous comprenons très bien, à présent, le rôle de l'hélice appliquée à la marine. Son premier avantage est de rester dissimulée, à l'arrière, dans les flancs du navire où, seuls, les écueils peuvent l'atteindre. Elle est là, vis gigantesque, toute prête à pénétrer les flots, comme un tire-bouchon pénètre le liège.

L'eau bouillonne et se masse, pour ainsi dire, entre les divers étages de la spirale. Constamment renouvelée, cette eau achève ou, pour mieux parler, complète le mouvement de la machine et le navire avance prompt, majestueux, sans autre trace apparente de mécanisme que la cheminée destinée à laisser échapper la fumée du foyer qui alimente, par sa vapeur, tout le système.

N'est-ce pas merveilleux?


Le dessin représente, dans sa partie supérieure, un steamer à aubes; au milieu, il nous montre un steamer à hélice, voguant vers le port; à sa partie inférieure, il donne l'aspect du pont de l'un de ces grands navires, vu de la timonerie.

Ce dernier mot prend, tout de suite, un petit air rébarbatif, car il nous est inconnu. Mais, avec un peu de réflexion, nous le comprendrons vite.

Sans timon, une voiture ne pourrait être attelée. Sans les divers objets qui composent l'ensemble de la timonerie, il serait impossible de guider sûrement un navire. Là, se trouvent la roue du gouvernail[22], les compas donnant la direction à suivre, les horloges, les habitacles....

[22] La barre du gouvernail était, autrefois, appelée timon, d'où, par extension, le nom de timonerie, le gouvernail restant l'une des parties indispensables à la marche d'un navire.

Les marins nomment ainsi les petites armoires, soigneusement construites, qui contiennent les boussoles. On se rappelle, bien certainement, que l'aiguille aimantée de la boussole, possède la propriété de se tourner toujours vers le point nord de la terre.


Ce fut au treizième siècle que l'on découvrit, en Europe, ce phénomène. Les Chinois, prétend-on, le connaissaient plus de mille ans avant l'ère chrétienne. Cela n'est pas absolument prouvé. En tout cas, nous avons eu vite fait de dépasser les enfants du Céleste-Empire dans les applications de la boussole à la marine.

Flavio Gioja, un Italien, imagina, le premier, de placer l'aiguille aimantée sur un pivot, de manière que ses diverses oscillations ne pussent être influencées par aucune cause étrangère, et que les observations devinssent faciles, exactes. Le cercle tracé par l'aiguille est divisé en trente-deux parties, à chacune desquelles correspond une aire de vent, autrement dit, une des directions prises par le vent. Aussi le cercle entier, divisé de la sorte, prend-il le nom de rose des vents.

LE TRANSATLANTIQUE «LA FRANCE» RENTRANT AU HAVRE

L'importance de garder avec soin les boussoles se démontre d'elle-même. Comment, perdu sur l'immensité de l'Océan, par une nuit sans lune et sans étoiles, un navire trouverait-il sa route avec précision, si la petite aiguille magique ne lui apprenait où se trouve le nord? On n'ignore pas qu'un point trouvé donne, tout de suite, la direction des autres points. Ainsi, veut-on marcher vers le sud? Il ne s'agit plus que de continuer à avancer sur une ligne régulière exactement opposée au nord. Veut-on aller à l'est? On prend la droite du nord. S'agit-il de tourner vers l'ouest? On prend la gauche du nord. Pour les points intermédiaires: sud-est, nord-est, nord-ouest, sud-ouest, c'est l'affaire de celui qui consulte la boussole de tracer la route à suivre.

Donc, en quelque sorte, la boussole est l'objet le plus précieux conservé dans la partie du navire appelée: la timonerie. Voilà pourquoi, afin d'obtenir, à son égard, toute sécurité, on a imaginé les habitacles.


Les nouveaux sont construits en cuivre, terminés par un petit dôme élevé sur des pieds. Quand vient la nuit, ils sont éclairés au moyen de réflecteurs, car jamais les officiers chargés, chacun à tour de rôle, de surveiller la route, ou encore l'homme placé au gouvernail, ne doivent être embarrassés pour consulter la boussole: le salut du navire et des passagers dépendant de cette vigilance.


Visitons, à présent, un paquebot transatlantique. Ce nom nous dit que le navire est destiné à aller, par delà les mers, porter des voyageurs ou des marchandises (le plus souvent l'un et l'autre). On a donné aux paquebots une forme élancée, mais, en même temps, des dimensions prodigieuses. Ils dépassent couramment 100 mètres! Leurs proportions, en largeur, sont, bien entendu, graduées d'après ce chiffre. Jamais, mieux que de nos jours, un navire n'a mérité la vieille comparaison qui le désignait comme une ville flottante[23].

[23] Il y a au Musée de Marine un très beau modèle de Transatlantique, avec une section longitudinale qui en montre l'intérieur. Un exposé des cabines à passagers l'accompagne.

Les machines dont ils reçoivent l'impulsion doivent participer de ces progrès. On n'est plus étonné quand il s'agit d'une force de 1500 chevaux et d'une jauge brute de 3500 tonneaux.

Ici, faisons appel à nos souvenirs. Un cheval-vapeur représente une force capable d'élever un poids de 75 kilogrammes, dans l'espace d'une seconde, à un mètre de hauteur. Multiplions ces chiffres par 1500, nous saurons, sur-le-champ, qu'une telle machine emportera cent douze mille kilogrammes par chaque seconde de marche!

D'un autre côté, nous savons qu'un tonneau représente un poids de mille kilogrammes. La jauge, ou capacité de supporter 3500 tonneaux, donne, en conséquence, un total de trois millions cinq cent mille kilogrammes!

Seulement, car, pour toutes les œuvres de l'homme, il y un, sinon plusieurs seulement, ces grands navires offrent, à la mer, une surface trop vaste, et les flots, bouleversés par la tempête, se ruent contre eux avec d'autant plus de violence. Formant, en quelque sorte, un îlot au milieu des vagues, leurs cloisons subissent des chocs furieux, auxquels échappent des bâtiments de taille plus modeste.

Ce n'est donc peut-être pas dans l'exagération des dimensions qu'il faut chercher le progrès naval.


Quoi qu'il en soit, continuons notre visite au steamer.

Beaucoup de petites villes ne possèdent pas la population que l'on y trouve. Douze cents passagers, sans compter l'équipage, en forment le contingent humain, réparti en classes diverses, suivant le prix payé pour le voyage. Lorsque l'on a pu prendre la première classe, il serait presque facile d'oublier que l'on est à la merci de l'élément perfide, comme disent les poètes.

Toutes les recherches du luxe le plus raffiné sont prodiguées tant pour la table que pour l'ameublement.

Dans des salles à manger magnifiques, on déguste les mets et les vins les plus raffinés. Dans des salons splendides, sont réunis tous les moyens possibles de combattre l'ennui. Enfin dans les cabines, ou chambres à coucher, on a, sauf beaucoup d'espace, les aises voulues.

En seconde classe, on est encore fort bien.

En troisième, par exemple, le voyageur est réduit au strict nécessaire.

Aussi n'est-il pas toujours consolant, le spectacle offert par la foule d'émigrants qui s'embarquent, sans cesse attirés vers les pays lointains comme vers un mirage trop souvent trompeur.


Des familles entières s'expatrient. Parmi elles, les Allemands sont en majorité, et le gros de l'émigration se dirige généralement vers les États-Unis.

Nous l'avons dit et nous le répétons, ces départs sont parfois navrants. Beaucoup d'entre les émigrants, ont réuni leurs suprêmes ressources pour payer le prix du passage. Des Sociétés spéciales distribuent bien quelques secours, payent, au besoin, le voyage, mais les secours sont précaires et la misère n'en reste pas moins, hélas! trop visible.

N'oublions pas, cependant, d'ajouter, pour l'honneur de la bienfaisance française, que nos navires sont très hospitaliers aux émigrants.

Salon d'un transatlantique.

Il faudrait plus d'une journée, si l'on voulait voir, jusque dans les plus petits détails, un de ces grands steamers. Partout des escaliers conduisent aux différents étages et, avec un peu de sang-froid, à l'heure d'un sinistre, on arriverait sans peine sur le pont. Par malheur, c'est toujours le sang-froid qui manque et la peur cause d'irrémédiables catastrophes.

On juge des qualités de premier ordre dont un capitaine de navire doit être doué. Nulle part, plus qu'à bord d'un bâtiment, un chef n'a besoin de prudence vigilante, d'autorité morale, de décision courageuse.

Mais, au moment où nous nous retrouvons près de la place affectée aux timoniers, une cloche annonce que le départ est proche. Il nous faut revenir à terre. Bientôt, nous verrons les ancres énormes soulevées, et l'immense vaisseau prendre doucement le chemin de la rade, pour s'élancer ensuite, fougueux, vers la pleine mer. Souhaitons-lui une heureuse traversée et un heureux retour....

Transatlantique.

LE TRANSATLANTIQUE «NORMANDIE»

CHAPITRE XXI

PROMENADE A TRAVERS LE HAVRE

On a promptement visité les principaux édifices du Havre, et cela est facile à comprendre. Ville moderne, entièrement consacrée au commerce, les efforts de ses magistrats ont dû, surtout, porter vers les améliorations pouvant attirer dans le port le plus grand nombre possible de navires.

Le Havre.—Ancienne porte royale

Néanmoins, l'église Notre-Dame, bâtie vers la fin du seizième siècle, mérite bien un moment d'attention, ne fût-ce que pour son grand portail dans lequel deux ordres d'architecture: corinthien et ionique, sont superposés. L'intérieur en est assez majestueux, car l'édifice se profile sur 80 mètres de longueur et 24 arcades soutiennent les voûtes.

Ainsi qu'il était d'usage, autrefois, dans les cités maritimes, le clocher de Notre-Dame, très élevé à l'origine, servait en même temps de tour de guerre, c'est-à-dire de poste à signaux et de phare. Maintenant, la marine fait construire les sémaphores et les phares au milieu des positions isolées, sur des collines ou à l'entrée des rades. Les erreurs de route ne sont presque plus possibles, en même temps que les services rendus sont de beaucoup augmentés.


Le quartier militaire est situé au centre des bassins. Il renferme l'arsenal, vaste réserve d'armes à l'usage des soldats de terre et de mer.

Le Havre.—L'Hôtel-de-Ville.

Un souvenir historique se rattachait à la citadelle, démolie en 1872. Les chefs de la Fronde (les princes qui ne voulaient pas reconnaître l'autorité du cardinal Mazarin, premier ministre de Louis XIV, enfant, et de sa mère, Anne d'Autriche, régente du royaume), ces chefs, au nombre de trois, y furent enfermés en janvier 1650. C'étaient les princes de Condé, de Longueville et de Conti; mais le cardinal n'abusa de sa victoire et ne rendit ni long ni sévère le séjour de la prison. La Direction des ponts et chaussées et les bureaux des officiers des ports occupent une partie de remplacement de la citadelle.

LE HAVRE.—ÉGLISE NOTRE-DAME.—LA RUE DE PARIS

L'Hôtel de ville, bâti dans le quartier neuf, s'élève au centre d'un très beau jardin. L'architecte lui a donné le style des châteaux construits sous le roi François Ier pour rappeler, sans doute, le bon goût artistique du véritable fondateur de la ville.

Bernardin de Saint-Pierre.

On ne saurait négliger de visiter le Musée et la Bibliothèque, ancien hôtel Sarlabot non pas qu'ils soient très riches en objets d'art ou en livres précieux, mais ils conservent la mémoire de personnages célèbres, nés au Havre.


Le plus illustre de tous, celui dont le nom vivra autant que la langue française elle-même, Bernardin de Saint-Pierre, a sa statue près de celle d'un poète trop dédaigné de nos jours: Casimir Delavigne.

Ces statues sont l'œuvre de David d'Angers, et ornent la place de la Mâture.

Le Havre.—La Mâture.

Les deux galeries d'histoire naturelle ont reçu le nom de deux savants havrais: Charles Lesueur et l'abbé Dicquemare. Elles sont ornées du buste de ces hommes célèbres.


L'escalier d'honneur est vraiment superbe. Aussi, sans grand effort d'imagination, peut-on supposer y pouvoir rencontrer Mme de Lafayette, l'élégante dame de cour-écrivain du temps de Louis XIV, ou Mlle de Scudéry et son frère, Georges de Scudéry, les nobles romanciers tant aimés des grands seigneurs, satellites du Roi-Soleil. Tous trois, comme les précédents, étaient enfants du Havre.


La ville possède trois théâtres; le principal d'entre eux est situé sur la belle place Louis XVI, tout ornée de quinconces d'arbres verdoyants. Son foyer ouvre sur un balcon dominant le magnifique bassin du Commerce et la Mâture.

LE HAVRE.—L'HÔTEL DE LA BOURSE

Par un soir de fête, quand les navires, à l'ancre dans les bassins, sont pavoisés et illuminés, le panorama présenté par cet horizon devient féerique.


Après avoir parcouru ces divers édifices, on n'oublie pas de saluer les maisons natales, c'est-à-dire les maisons qui ont remplacé celles où naquirent Casimir Delavigne (sur le quai de l'ancien bassin de la Barre), et Bernardin de Saint-Pierre (rue de la Corderie). Une table de marbre, placée sur chacune de ces habitations, porte, gravés, les noms, ainsi que les dates de la naissance et de la mort de ces hommes illustres.

Casimir Delavigne.

Les promenades dans le Havre même sont forcément restreintes. Pourtant, le jardin botanique et zoologique est très intéressant.

Il y a encore les jetées et la plage, mais celle-ci reste constamment encombrée de galets, amenés par le grand courant qui envahit tous les rivages jusque vers l'embouchure de la Somme.

Cet inconvénient n'a pas empêché la construction, au Havre, d'un vaste établissement de bains de mer. Frascati, ainsi l'appelle-t-on, est toujours le rendez-vous d'une élégante colonie de voyageurs, qui apportent la vie et le mouvement à cette partie de la cité.

Mais si, aux plaisirs mondains, on désire allier les excursions champêtres, les buts de promenade ne manquent pas.

Tous les environs, répétons-le, offrent de ravissants points de vue sur la Seine, sur la mer ou sur une campagne boisée, aux aspects les plus imprévus.

Les coteaux d'Ingouville et de Sainte-Adresse sont couverts de villas opulentes ou gracieuses, entourées d'une végétation luxuriante, toujours avivée par l'air marin.

A certaines époques, principalement aux dates annoncées pour les voyages des grands paquebots transatlantiques, le Havre se voit envahi par un flot de population étrangère.

Jusqu'à présent, en effet, ce port reste le centre français le plus important de l'émigration européenne vers l'Amérique.


Résumons notre impression sur la ville en disant que son commerce tend chaque jour à s'accroître, et que son industrie est en pleine activité.

Ils justifient la belle parole de Jules Janin qui a écrit: «Faire l'histoire complète du Havre ce serait faire l'histoire même du commerce.»

Non seulement, cela va sans dire, on construit beaucoup de navires au Havre, mais on y trouve des corderies ayant une renommée universelle, des raffineries de sucre très prospères, des filatures, des fonderies de cuivre, un laminoir, des moulins, des brasseries, une verrerie, des fabriques de produits chimiques et pharmaceutiques, une manufacture de tabacs, des boulangeries pour la marine....

Tous les pays du monde ont des consuls au Havre, car il n'y a point de contrée qui, soit par sa marine, soit par son commerce, n'ait des relations avec cette belle ville.

Les travaux décidés pour améliorer encore le port et les bassins contribueront à entretenir sa prospérité.

Bientôt, d'autres progrès suivront, qui rendront de plus en plus faciles les développements nécessités par le génie moderne.

Il suffit de voir les immenses magasins généraux ou docks havrais, pour comprendre l'activité toujours croissante des transactions; de même, il suffit de passer une heure ou deux sur la jetée, pour constater le mouvement incessant du port.

Rien ne termine mieux une promenade au Havre.


Il fait nuit; les phares étincellent sur le fond sombre des nuages. Nous distinguons, à notre droite, les feux du cap de la Hève; à notre gauche, celui de la pointe du Hoc, éclairant l'extrémité de la rive droite de la Seine et l'entrée du port havrais.

Pointe du Hoc.

L'ensemble est merveilleux et nous ne le verrons surpassé que par les panoramas des côtes de Honfleur et de Dives[24].

[24] La ville est défendue par les forts de Sainte-Adresse, de Tourneville, de Frileuse, des Neiges, ce dernier à l'embouchure de la Seine. Les bastions de la Floride défendent l'entrée du fleuve. Il y a encore la batterie de Provence, entre la jetée du Nord et des Huguenots, à l'extrémité du boulevard François Ier.

LE HAVRE, VU DE SAINTE-ADRESSE

CHAPITRE XXII

LA SOCIÉTÉ DES SAUVETEURS.—LA CATASTROPHE DU 26 MARS 1882.—DURÉCU

Nous négligerions un des côtés les plus admirables de l'existence de nos braves marins et pêcheurs, si nous ne parlions des Sociétés de sauvetage, aujourd'hui très sérieusement organisées.

Sauveteur.

Déjà, à Dunkerque, nous allions aborder ce sujet, mais une terrible et toute récente catastrophe est venue placer en pleine lumière le nom des sauveteurs et des pilotes havrais. Aussi, avons-nous réservé pour notre visite au Havre les quelques lignes dont nous pouvions disposer.


Combien de fois n'est-il pas arrivé que des excursionnistes de trains de plaisir sont restés fort désappointés devant l'aspect d'une mer absolument calme. A peine si, par instant, une légère frange d'écume vient marquer le sommet des vagues apaisées. La Seine, par un jour de vent, peut se montrer plus houleuse.

«Ce n'est que cela, la mer!»

Oui, c'est cela; mais c'est aussi, beaucoup plus souvent malheureusement, une ennemie dont la colère se révèle par des soubresauts convulsifs d'une irrésistible violence.


On ne peut se figurer, si l'on n'y a assisté, que ces mêmes eaux bleues, lumineuses, à peine murmurantes, brisées, par un mouvement d'une lente douceur, contre l'obstacle de la digue, s'enflent tout à coup, prennent, en quelque sorte, la couleur de la mort, tellement elles deviennent livides, puis, affolées par leur propre fureur, se dressent, s'enroulent, se tordent, se creusent, s'épandent, hurlent, sifflent, gémissent, tonnent dans le même instant....

Les bruits du ciel et de la terre sont étouffés sous l'éclat de cette voix qui, de chaque point de l'horizon, rugit en maîtresse impérieuse et semble vouloir détruire le monde entier.

Si redoutable que soit alors le danger pour les navires, il devient plus imminent quand la côte est proche.

Au large on peut, parfois, fuir devant la tempête, et voir ses menaces se borner à des dégâts matériels. Mais, à proximité du rivage, il faut lutter contre les courants créés par la présence des écueils: roches ou sables. Comment tenir une route exacte au milieu d'une mer démontée? Ce mot pittoresque est trop vrai.

A certains jours, la mer ressemble à une puissante machine qui aurait perdu son levier pondérateur et éparpillerait sa force dans un tourbillonnement vertigineux.

Sur dix naufrages, sept, au moins, ont lieu en vue des côtes.

Un semblable état de choses a ému des cœurs généreux. Certes, chaque jour, plus d'un acte héroïque s'accomplissait au mépris d'effroyables périls. Seulement, où l'effort individuel reste, malgré lui, impuissant, un faisceau de volontés énergiques produira des œuvres sublimes.

Sur les points les plus exposés du littoral français, des stations de sauvetage ont été créées. Les engins reconnus comme donnant les meilleurs résultats y sont rassemblés. Bateaux, canots, bouées, fusées-amarres..... rien ne manque.... Rien, pas même les équipages destinés à remplacer celui qui pourrait succomber au champ d'honneur!!

Les sauveteurs havrais l'ont, une fois de plus, prouvé.


La journée du 26 mars 1882 commença sous les rafales d'une affreuse tempête de nord-ouest qui, toute la nuit, était allée en redoublant de violence.

Fidèles au poste de combat, les hommes attachés au bateau de sauvetage nº 3 vinrent stationner à l'extrémité des jetées, prêts à diriger leur embarcation vers le lieu que le sémaphore pourrait indiquer.

Ces hommes étaient au nombre de onze, tous lamaneurs, autrement dit pourvus de la commission qui leur donnait le droit de direction sur les navires entrant au port ou en sortant.

Ils se nommaient: Henri Lecroisey, âgé de 44 ans, patron du bateau; Alphonse Ménéléon, 39 ans; Paul Dessoyers, 50 ans; Pierre Ollivier, 40 ans; Victor Jacquot, 36 ans; Édouard Cardine, 32 ans; Eugène Varescot, 27 ans; Henri Fossey, 23 ans; Pierre Moncus, 43 ans; Édouard Leblanc, 52 ans; René Leprovost, 51 ans.

Mieux que personne, ils savaient à quoi les exposait le devoir; mais on ne recule pas quand on a conquis, comme ces braves gens, le titre de pilote-sauveteur au prix d'un dévouement de chaque instant. Car, circonstance qui étreint peut-être encore davantage le cœur, toutes ces futures victimes avaient donné maintes preuves d'héroïsme.

Lecroisey.

Les sauvetages opérés par eux ne se comptaient plus, tellement ils étaient nombreux, et, sur les registres maritimes, leurs noms figuraient près de ceux d'une foule de navires, français ou étrangers, secourus grâce à leur intrépidité.

Dessoyers. Ollivier. Jacquot. Cardine.
Fossey. Leprovost. Ménéléon.
Varescot. Leblanc. Moncus.

Y aurait-il un peu de vérité dans cette phrase mélancolique, qu'il nous souvient d'avoir entendu dire, par un vieux marin, en réponse aux félicitations saluant son retour inespéré, après un dangereux sauvetage:

«Aujourd'hui, la mer me laisse échapper; mais, soyez-en sûr, elle garde toujours rancune quand on lui arrache ceux qu'elle voulait engloutir, et mon tour viendra!»

Le tour vint pour les lamaneurs du bateau nº 3.

Les guetteurs du sémaphore aperçurent un sloop de pêche désemparé, qui se trouvait sur le banc d'Amfard[25] et signalait sa détresse.

[25] Banc de sable situé à l'embouchure de la Seine.

Aussitôt, les sauveteurs gouvernèrent vers lui.

Des témoins oculaires disent que «le vent soufflait en foudre, et que la mer, montante alors, était excessivement grosse. Les vagues se soulevaient avec furie et déferlaient sur le banc d'Amfard en rouleaux immenses, qui y rendaient la situation des plus critiques».

Pendant le sinistre.

Néanmoins, les sauveteurs arrivèrent près du sloop et purent mouiller une ancre. Que se passa-t-il ensuite? Impossible de le dire exactement. Restait-il des naufragés et voulut-on établir un va-et-vient, afin de les recueillir? L'ancre fut-elle violemment arrachée, ou bien le vent, comme la mer, redoublant de colère, s'opposa-t-il à la manœuvre?

Une seule chose est certaine. Le bateau des pilotes s'orienta pour suivre le sloop, qui dérivait du côté de Honfleur. A peine ouverte, la voile donnait sans doute prise plus facile à la tourmente, et l'embarcation chavirait!...

Un long cri de douleur jaillit de la poitrine des nombreux témoins qui, de plusieurs emplacements, assistaient au drame.

Un nouvel acte d'héroïsme commenta ce cri.

Le bateau de sauvetage nº 4, sous les ordres du patron Julien Leblanc, frère de l'un des pilotes disparus, sortit sans hésitation...

Tout prédisait une seconde catastrophe. N'importe! Tant que l'on n'avait pas absolument perdu espoir de sauver une des victimes, il eût été lâche de reculer!...

Pas un des hommes de l'équipage ne recula.

Braver la mort pour des inconnus, c'est le devoir journalier simplement, complètement assumé.

Avec quelle indomptable énergie ne le braverait-on pas pour des parents, des camarades dont le dévouement eût été aussi spontané, aussi absolu!

Mais le nouveau bateau sortit en vain. Il n'échappa que par miracle à la tempête, et ne put ramener un seul des naufragés.

La journée n'était pas achevée, que l'on apprenait deux autres malheurs. L'équipage entier du sloop en détresse avait péri et un des hommes du bateau-pilote nº 2, patron Dessoyers (frère, comme Leblanc, d'un des morts du bateau nº 3), avait été enlevé par la mer, le matin même, au travers de Barfleur. On comptait donc dix-huit morts: les onze lamaneurs du bateau Lecroisey; les six marins du sloop, qui s'appelait le Vivid et était attaché au port de Saint-Vaast-la-Hougue; puis le lamaneur Mariolle, âgé de 26 ans, enlevé par un coup de mer du bateau Dessoyers.

La journée entière ne compta que des péripéties désastreuses: barques échouées, bateaux défoncés! Mais pour ceux-là, du moins, il n'était question que de pertes matérielles; on ne s'en occupa pas. Le Havre se trouvait plongé dans une consternation trop profonde et cherchait déjà les moyens efficaces pour secourir les huit veuves et les vingt-cinq orphelins laissés par l'équipage englouti!

A Saint-Vaast-la-Hougue, les familles des marins du Vivid pleuraient, elles aussi, et envisageaient l'avenir avec terreur.

Le lendemain, à marée basse, on trouvait au milieu des vases de la côte de Honfleur les corps des malheureux disparus.

Sauf celui de Pierre Moncus, dont la famille désira l'inhumation à Honfleur, lieu de sa naissance, ils furent ramenés au Havre, où des obsèques imposantes eurent lieu en leur honneur.

La ville était sous le poids d'un deuil public, car personne n'ignorait les moindres circonstances de la vie et de la mort de ceux que, si souvent, on avait félicités à la suite d'un difficile sauvetage.

PENDANT LE SINISTRE

On portait sympathiquement les yeux sur les pilotes et les membres des Sociétés de sauveteurs, venus pour rendre hommage à leurs infortunés amis.


Quelques mois plus tard, en août 1882, avait lieu l'épilogue de la funèbre cérémonie.

La Société de sauvetage havraise tenait sa réunion annuelle et, parmi les actes héroïques dont elle garde procès-verbal sur ses registres, on trouvait la mention suivante:

Sauvés à l'eau par les membres de la Société:

1202 hommes, parmi lesquels sont compris les équipages et
les passagers de 81 navires, au sauvetage desquels
ils ont contribué;

26 femmes;

84 enfants.
____
Soit: 1312 personnes conservées à la vie.

Nous ne relevons pas les chiffres se rapportant aux incendies et aux mille occasions de se dévouer que ne laissent point passer les sauveteurs.

Il nous suffit d'avoir essayé de rappeler les affreuses éventualités menaçant l'homme qui a pris la mer pour champ de son activité. Il nous suffit encore d'avoir essayé d'éveiller le respect et la sympathie que méritent si pleinement les généreux enrôlés des diverses Sociétés de sauvetage.

Dans chaque port, le nom de quelques-uns d'entre eux est légendaire. A Dieppe, nous avons salué le monument élevé à Bouzard et serré la main de Louis Vain.

Au Havre, la mémoire de Durécu est célèbre. Pendant une existence de soixante-deux ans (né en 1812,—mort en 1874), on pourrait presque compter les jours où il ne se dévoua pas pour ses semblables.

Un de ses biographes, M. Edouard Alexandre, nous apprend que, à peine entré dans sa sixième année, Durécu se signalait déjà par une bonté, une énergie admirables.

A huit ans, il accomplit son premier sauvetage: celui de deux enfants en danger de se noyer.

Plus de deux cents personnes lui durent d'avoir conservé la vie.

«Puis, à la suite d'une terrible blessure reçue dans l'exercice du noble apostolat qu'il s'était imposé, Durécu demeura languissant, incomplètement guéri. Nélaton lui-même ne put parvenir à ranimer son énergie éteinte. Notre grand sauveteur devait tomber sur le champ de bataille du dévouement. Il y tomba, en effet, car la maladie qui l'a enlevé ne fut qu'une conséquence de sa blessure.»


Et, ainsi, d'un bout à l'autre du littoral français, se déroule la glorieuse liste, gardant la mémoire de héros dont beaucoup resteront inconnus pour la généralité de leurs concitoyens.

Ils ne pouvaient compter sur de brillantes récompenses: on obtient difficilement la croix de la Légion d'honneur, quand on se borne à combattre pour la vie de ses semblables.

Plusieurs, même, savaient qu'avec eux disparaîtraient les humbles ressources de leurs familles, et ils étaient privés de la consolation de penser qu'une minime pension assurerait le pain des chers aimés.... Car, jusqu'en ces derniers temps, la mort trouvée pendant l'accomplissement d'un sauvetage ne léguait aucun droit à la veuve, aux enfants survivants!

Rien n'a arrêté ces forts dans leur sacrifice. Pénétrés de la sublime folie de l'humanité, ils ont cru naturel de tout subir pour rester à la hauteur du devoir accepté...

Nous n'avons qu'un moyen de reconnaître leur héroïsme: honorer ceux qui survivent, ne jamais oublier ceux qui ont succombé!...

Bateau de sauvetage.

CHAPITRE XXIII

LES ÉTRANGERS AU HAVRE.—LES RÉGATES

Nous ne quitterons pas le Havre sous l'impression pénible que de tels souvenirs évoquent. La mer, comme notre existence, est faite de contrastes.

Impétueuse destructrice, elle sait devenir l'instrument civilisateur par excellence, et sa voix, ou douce ou puissante, sait toujours s'harmoniser avec le travail ou avec la joie.

La belle cité havraise nous fera assister à ces diverses transformations. Favorisée par sa situation, elle a installé des services maritimes réguliers pour diverses villes françaises et étrangères: Londres, Southampton, et les autres principaux ports d'Angleterre, d'Écosse, d'Irlande; ainsi que pour la Belgique, la Hollande, Hambourg, la Russie septentrionale et méridionale, la Turquie....

La grande Compagnie transatlantique en a fait son principal port d'attache, et ce n'est pas un des moindres attraits offerts par une promenade sur la jetée, que l'arrivée de ces majestueux paquebots toujours encombrés de passagers.

Les fonctions de consul ne sont donc pas, au Havre, une sinécure, et l'on ne peut guère marcher quelques instants au hasard sans rencontrer un visage exotique, sans entendre un accent décelant la nationalité du passant.

Pendant l'été, des milliers de promeneurs, déversés par les trains de plaisir, viennent se grouper sur les quais, contemplant les nombreux pavillons étrangers, ou assaillant les bateaux à vapeur qui font quotidiennement les traversées de Honfleur et de Trouville.


Au temps des régates, le mouvement, l'agitation se décuplent encore. Le sport nautique havrais jouit d'une universelle renommée. Les plus glorieux champions internationaux tiennent à honneur de venir se mesurer avec nos propres champions. Tous les modèles connus, perfectionnés ou nouveaux d'embarcations, défilent sous les yeux des juges, des curieux étonnés et d'un public spécial qui, instruit depuis l'enfance dans l'art difficile de la navigation, saura acclamer, comme il convient, les vainqueurs, ou relever le courage des vaincus.

Oriflamme pour les régates. Soldats anglais. Marins de l'État. Yachtman

Le spectacle est à la fois grandiose et charmant. Les embarcations ont revêtu leur tenue de fête. Nul ne pourrait se douter que plus d'une, parmi elles, a subi le choc de l'ouragan. Les peintures brillent, les cordages semblent neufs, partout l'acier étincelle et les voiles, mieux que jamais, justifient la définition poétique: des ailes d'oiseau.

Lorsque passe un concurrent redoutable, des hourras bruyants le saluent. Combien il en a entendu le splendide yacht, si parfaitement nommé la Fauvette.... Sa fine carène, sa coquette voilure, son fier ensemble, la vivacité, la facilité extrême de ses manœuvres, la grâce de ses allures en font, certes, le type le plus accompli de l'art du constructeur français.


C'est pendant une de ces merveilleuses fêtes maritimes que les novices peuvent apprendre à reconnaître les catégories diverses d'embarcations et de navires. Canots ordinaires ou de plaisance, modestes barques de pêche, chaloupes, yoles, péniches, yachts, et ainsi de suite. On trouvera toujours quelque marin complaisant qui fera distinguer les détails de voilure ou de construction échappant si facilement aux yeux inexpérimentés.

On n'éprouve qu'un regret: celui de ne plus rencontrer les vieux costumes qui, autrefois, donnaient une physionomie particulière à ce peuple de travailleurs. Mais le temps est passé où le pêcheur s'affublait si lourdement, peut-être, pourtant d'une façon plus hygiénique que maintenant.

On rencontrera, néanmoins, plus d'un brave poursuivant de soles ou de turbots, fidèle au vaste bonnet en feutre ou en laine foulée, qui protège la nuque et la plus grande partie des épaules.

Ce n'est pas très élégant; mais, en revanche, c'est très sain, et cela vaut mieux.

Anciens costumes. Matelot pêcheur. Ancien costume. Ancienne coiffe. Douanier.

Les femmes, non plus, ne se montrent guère avec la coiffe qui encadrait si bien leur visage, quoiqu'elle n'ait pas l'élégance des coiffes des Cauchoises et des habitantes de Bayeux, ou avec le haut bonnet de dentelle, souvenir des hennins du moyen âge.


Les affreux vêtements modernes ont presque partout la préférence, au grand détriment, souvent, de l'élégance des manières de ceux qui croient ainsi faire preuve de bon goût.


Au milieu de la foule, et vraiment pimpants sous leur modeste tunique verte, circulent les braves douaniers.

Ils doivent des actions de grâces à l'homme intelligent qui les a débarrassés de l'uniforme compliqué dont, comme les canonniers gardes-côtes, un admirateur de buffleteries et de panaches les avait gratifiés.


Pendant cette rapide revue de la population massée en groupes compacts et respirant à peine, tellement les incidents des régates la passionne, on a proclamé une victoire bien disputée.

Aussitôt, ce sont des cris, des appels joyeux ou des exclamations de désappointement. On s'étonne, on approuve, on discute, et la journée s'achèvera, animée ainsi qu'elle a commencé.


C'est le moment de prendre congé du Havre. Nous lui dirons «au revoir» et non pas «adieu». Car nous comptons bien revenir applaudir à la progression toujours ascendante de son commerce.

Ce que la ville a fait dans le passé, elle continuera à le faire dans l'avenir, c'est dire qu'elle s'applique à développer toutes ses ressources pour conquérir vaillamment une place au premier rang parmi les grandes cités maritimes.


Vouloir vraiment, c'est pouvoir.

Pavillon du Yacht-Club, du Cercle à la voile et des régates du Havre.

CHAPITRE XXIV

LES ENVIRONS DU HAVRE.—HARFLEUR.—ORCHER

Il n'est pas un bourg de la campagne havraise dont le nom ne se retrouve dans les annales normandes, et plusieurs d'entre eux possèdent soit des ruines, soit des monuments intéressant l'histoire de l'art.

Ainsi, l'industrieuse petite ville de Montivilliers garde quelques débris de ses anciennes murailles et de la fameuse abbaye fondée par saint Philibert. Les bâtiments claustraux disparaissent peu à peu, mais l'église subsiste, offrant à la curiosité intelligente du voyageur sa belle architecture romane et une peinture sur albâtre, vrai chef-d'œuvre de fini et de délicatesse.

Un musée a pu être formé avec les nombreuses antiquités gallo-romaines et franques trouvées un peu partout dans le voisinage.

L'église Notre-Dame est très vieille: les archéologues datent sa fondation du onzième siècle. La maison dite de la Clinarderie est du seizième siècle, ainsi qu'un magnifique cloître renfermé dans le cimetière.


On aurait peine à croire, si les documents historiques ne le prouvaient, que Montivilliers fut autrefois une sorte de royaume, royaume en puissance de femme, car la souveraine était l'abbesse du monastère, et ses droits nous apprennent à quel degré de prospérité avait atteint la maison fondée par saint Philibert.

Seize paroisses et quinze chapelles lui devaient tribut et hommage. Le commerce maritime d'Harfleur, avec les salines environnantes, lui appartenait. Seul, l'archevêque de Rouen pouvait connaître des affaires de l'abbaye dont, tout comme lui, la supérieure portait mitre, crosse, anneau, et commandait à des chanoines, à un vicaire général, à un doyen et à un official, ce qui, vu les privilèges féodaux, conférait droit de justice haute et basse.

Tant d'honneurs, de richesses découlaient de la sollicitude montrée en faveur de l'abbaye par les princes souverains de Normandie.

Hasting, un des rois de mer northmen, ayant détruit, en 850, les bâtiments élevés par saint Philibert, le duc Richard Ier et, après lui, Robert le Magnifique, s'attachèrent à les reconstruire avec splendeur.

Les interminables guerres contre l'Angleterre furent, trop souvent, une cause de ruine pour Montivilliers, qui en perdant, lors de la première Révolution, son monastère, perdit du même coup sa prépondérance et tomba au rang de satellite du Havre, ville si jeune par rapport à sa propre origine.

Il lui reste toujours, néanmoins, plusieurs industries importantes et sa charmante situation au milieu de verdoyantes collines: combien de petites villes sont moins favorisées!


Graville, maintenant presque tout à fait enclavée dans le Havre, doit sa célébrité au prieuré bâti en l'honneur de sainte Honorine, vierge martyrisée à cette place, vers la fin du troisième siècle.

Un grand concours de pèlerins venant en tout temps visiter le lieu témoin du supplice de la jeune sainte, une fort belle et curieuse église y fut fondée. Mais elle a été dépouillée des reliques de sa patronne.

Craignant les déprédations des Normands, le prieur se hâta d'envoyer la châsse consacrée aux moines de Conflans-sur-Seine, qui acceptèrent le dépôt, mais, plus tard, refusèrent d'en opérer la restitution et, pour se targuer d'un droit prétendu, ajoutèrent au nom de leur monastère celui de la sainte.

Graville n'en resta pas moins un pèlerinage très fréquenté. Son église est extrêmement curieuse. Construite, ou plutôt fondée au onzième siècle, ses arcades entrelacées, aux figures symboliques, ses chapiteaux bizarres, son retable en bois sculpté, font souvent prolonger la visite au delà du temps que l'on croyait, d'abord, y consacrer.

Les moments passent également bien vite quand, du haut de la colline, on voit, considérablement agrandi, le tableau déjà si admiré du Havre et de son port.

On ne voudrait pas, non plus, ne point aller vérifier la ressemblance qui, dit-on, existe entre la remarquable croix romane, érigée dans le cimetière, et la belle croix faisant partie des décors de l'opéra de Robert le Diable: celle-ci, paraît-il, ayant été copiée sur celle-là.

Il nous reste à visiter Harfleur, jadis souverain port de Normandie!!!

Le Havre, heureux rival, a tout absorbé, grâce à sa position exceptionnelle.

Graville-Sainte-Honorine.—Chapiteaux et croix de l'abbaye.

Deux noms, célèbres dans les annales des découvertes géographiques, auraient dû sauver Harfleur de l'oubli. Cette ville est la patrie de Binot Le Paulmier de Gonneville, qui, au seizième siècle, découvrit les terres antarctiques, maintenant nommées Australie. Un autre de ses enfants fut le fameux Jean de Bettancourt ou Béthencourt, chambellan de l'infortuné roi de France Charles VI.

Rien de plus énergique, de plus dramatique, de plus aventureux que la carrière de ce gentilhomme.

Armes d'Harfleur.

Tourmenté du désir de se créer une brillante position, il commence par aller trouver le roi de Castille, et se fait céder les droits que ce monarque croyait avoir sur les îles Fortunées ou Canaries, îles que beaucoup de marins reléguaient dans le domaine de la fable, quoique, depuis 1330, des Français y eussent abordé.

Harfleur.

Jean de Béthencourt partit, en 1402, du port de la Rochelle et réussit, en quatre années, non seulement à soumettre tout le groupe d'îles[26] mais à y établir un véritable gouvernement. Puis, fatigué sans doute, ou lassé de son exil, il revint en France, laissant à son neveu, Maciot de Béthencourt, le royaume conquis.

[26] Il y en a sept principales. Les deux plus célèbres sont Ténériffe, dont le pic volcanique s'aperçoit de plus de deux cents kilomètres, et l'île de Fer, par la position de laquelle la plupart des anciens astronomes comptaient les degrés de longitude.

Jean mourut à Granville vers 1425. Une autre version dit qu'il mourut à Grainville-la-Teinturière (arrondissement d'Yvetot).


En 1415, Harfleur fut ravagé par les Anglais, qui l'occupèrent près de vingt années. Ce fut comme le signal de la décadence du port.

La relation du siège de la pauvre ville montre jusqu'où peut aller la barbarie des conquérants.

Harfleur.—Statue de Grouchi.

C'était Henri V, roi d'Angleterre, qui dirigeait les opérations militaires. Irrité d'une résistance sur laquelle il ne comptait pas, sa fureur ne connut plus de bornes.... Maître d'Harfleur après quarante jours de lutte, il veut y établir une colonie anglaise et, impitoyablement, en chasse seize cents familles qu'il réduit à la plus extrême misère, défendant de laisser rien emporter, sinon des vêtements sans valeur et une somme de «cinq sols par tête».

Tous ces malheureux furent transportés en Angleterre, et on eut, par surcroît, la cruauté de les interner d'abord à Calais, où ils pouvaient voir ce que devient l'opprimé entre les mains de l'oppresseur.

Le joug, pourtant, se trouva bientôt assez insupportable aux quelques Harfleurais restés dans leurs foyers, pour qu'ils cherchassent à s'unir avec enthousiasme à la révolte des paysans cauchois.

En tout, ils se trouvèrent cent quatre, mais bien résolus «à vaincre ou à mourir». Leur chef était le sire Jean de Grouchi, sénéchal de la ville.

Armés en secret, ils épièrent le moment favorable; et le 14 novembre 1435, la garnison anglaise, surprise, dut souffrir de voir ouvrir aux cauchois les portes de la ville et d'être honteusement faite prisonnière. Jean de Grouchi périt pendant le combat.

La mémoire des vaillants patriotes ne se perdit pas. Chaque année, au jour anniversaire de la délivrance, cent quatre coups de canon étaient tirés en leur honneur, et une Société moderne de sauveteurs n'a pas voulu d'autre titre que ce glorieux nombre sur sa bannière.

Harfleur, enfin, a élevé une statue au chef de ses héroïques défenseurs.


On suppose bien que l'ennemi ne prit pas son parti de cette défaite. En 1438, il revint devant la place, mais sans succès. Nouvelle tentative en 1440; Talbot, le grand Talbot, eut l'humanité de bombarder la ville avec de monstrueux boulets en pierre, qui causèrent d'effroyables ravages et amenèrent la capitulation.

Une seconde période d'oppression commença, elle dura près de dix ans. Dunois fut le libérateur. Les Anglais se virent si honteusement chassés qu'ils n'osèrent plus, désormais, se représenter à Harfleur.


Malheureusement, la guerre cause toujours des ruines irréparables. Le port de la ville ne pouvait plus être curé et entretenu avec le soin dont, jusque-là, on faisait preuve. Des atterrissements se formèrent peu à peu. Les navires éprouvèrent de grandes difficultés et ne tardèrent pas à se voir dans l'impossibilité de franchir l'embouchure de la Lézarde, petite rivière formant le port.

C'en fut fait du commerce maritime d'Harfleur.

Maintenant, on visite la petite ville à cause, surtout, des souvenirs qu'elle garde du passé. On y retrouve des débris d'anciennes murailles, de curieuses maisons, et, dans le lit même de la Lézarde, ce qui prouve à quel point la disposition du sol a changé, on a découvert des pierres funéraires datant du treizième siècle.

Harfleur possède une très belle église, dédiée à saint Martin; on l'a rangée, à juste titre, parmi les monuments historiques; elle est enrichie de superbes sculptures, tant sur bois que sur pierre. Mais son plus précieux fleuron, c'est le clocher, élevant sa pyramide à quatre-vingt-huit mètres de hauteur. A cause de la position de ce clocher, les marins le choisissent comme point de repère, ou amer.

La Lézarde ne vient baigner la ville qu'après avoir traversé la plus charmante des vallées de l'arrondissement du Havre. Au reste, les environs offrent des points d'excursion fort agréables,

Le château de Colmoulins mérite une visite spéciale. Son parc est tout planté d'arbres rares, et il renferme d'admirables meubles, parmi lesquels on est heureux de trouver le lit ayant appartenu à l'héroïque Jean Bart.


A trois kilomètres, on va voir les sources d'Orcher, auxquelles, dans le pays, on attribue des propriétés pétrifiantes.

L'aspect des lieux ne dément point la croyance populaire. Les sources jaillissent de la colline en amoncelant des concrétions, et, partout où elles passent, une ligne blanche témoigne de la présence de la chaux dont elles sont saturées.

L'expérience serait curieuse si, comme en Auvergne, on y plongeait divers objets qui bientôt, peut-être, se recouvriraient d'une couche blanche brillante.


Un peu en deçà de la rive gauche de l'embouchure de la Lézarde, se trouve la Pointe du Hoc, faisant face à Honfleur. Un phare y a été établi, dont la lumière signale les dangers de l'embouchure de la Seine.

Mais ce n'est pas pour voir ce phare que nous avons un peu dévié de notre route.


La Pointe fut témoin d'un événement qui allait peser cruellement sur les destinées de la France.

Charles VI, en démence, n'avait plus de roi que le nom. Les grands meneurs de factions cherchaient à se donner un allié puissant. Empressé de répondre à l'appel des Bourguignons, Henri V, roi d'Angleterre, fit voile pour la France; il vint débarquer au Hoc.

Nous savons ce qu'il devait faire du noble royaume et les funestes suites de son arrivée sur le sol français....

Mais son œuvre maudite ne dura pas. Jeanne d'Arc se leva pour détruire le trône du fils de l'usurpateur, et, par un épouvantable supplice, racheta notre liberté.

Plus d'une fois, depuis, la France a râlé, épuisée d'argent et de sang; comme au temps de Jeanne d'Arc, elle s'est toujours relevée plus forte, plus jeune, plus vaillante...

La France ne saurait périr. Dieu la protège, et jamais elle n'est plus près du salut qu'au moment où ses ennemis jugent qu'elle exhale son dernier soupir...

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