Le soleil intérieur
[9] Charles Maurras, quoique incroyant, a fort bien défini les qualités d’ordre pratique qui caractérisent le vrai Mystique. Il a écrit : « Sainte Térèse, saint François d’Assise, saint Dominique, saint Ignace, ces mystiques supérieurs furent, non seulement d’instinct, mais de propos délibéré et conscient, des positivistes certains. Ils s’aidaient tout en appelant le ciel à leur aide et la prudence humaine n’était bannie de leurs conseils qu’en apparence. En prêchant le sublime, ces grands esprits eurent l’horreur de l’absurde… » Le dilemme de Marc Sangnier, page 10.
XX
Le monastère étant enfin construit, les Carmes déchaussés en prirent possession et y observèrent, avec exactitude, la règle de la Réforme telle que sainte Térèse l’avait établie. Catherine se retira dans sa grotte. Comme de grandes infirmités lui étaient venues, elle dut modérer quelque peu la rigueur de ses pénitences. Mais, en revanche, elle donna tout son temps à l’oraison. Elle ne parlait que sur l’ordre des supérieurs, quand ceux-ci envoyaient quelques religieux la visiter afin qu’elle les instruisît touchant les pratiques de l’ascétisme. Elle le faisait par obéissance car, à partir du jour où son rôle de fondatrice eut pris fin, elle se garda soigneusement d’intervenir dans le gouvernement de la communauté. « Moi, femme pécheresse », répondait-elle à ceux qui tentaient d’obtenir son avis sur quelque point d’administration, je prie pour la communauté, je lui demande ses prières ; pour le surplus, je ne suis que poussière et je n’ai rien à dire. »
Elle ne sortit de sa retraite qu’en deux occasions. Au printemps de 1573, elle fit un court voyage à Madrid pour demander au Roi la grâce d’un gentilhomme condamné à mort. Elle l’obtint. Au mois d’octobre de la même année, Rui Gomez étant mort, elle se rendit à Pastrana, afin de porter des consolations à sa veuve, la princesse d’Eboli.
A part ces deux brèves absences, elle ne quitta plus sa grotte que pour aller à l’église par le couloir que Mariano avait tracé dans le but de lui épargner la pluie et le vent. Ce n’était qu’à regret qu’elle usait de ce passage, estimant qu’il y avait en cela une complaisance envers son corps. Pour lever son scrupule, le Prieur lui fit remarquer que Mariano avait établi cet ouvrage malgré elle. Et comme elle ne se trouvait pas convaincue par cet argument et qu’elle alléguait que c’était « du luxe », il lui ordonna d’user du souterrain par obéissance. Alors, rassurée, elle ne présenta plus d’objections.
Cinq années passèrent de la sorte. Au mois de mai 1577, Catherine, épuisée par les austérités, tomba gravement malade. Dès le début, ayant eu révélation que c’était la fin de son existence sur terre, elle prédit qu’elle mourrait dans l’octave de l’Ascension. Le Prieur la fit transporter dans une petite maison de domestiques proche du monastère. On mit auprès d’elle deux femmes de ses amies qui lui prodiguèrent leurs soins et l’on dressa, dans sa chambre, un autel où la messe fut dite et où elle communiait tous les jours.
Enfin, le 11 mai, sentant venir la mort, elle fit prier la communauté de se réunir autour de son lit. Tous accoururent. Ils pleuraient et sanglotaient et lui demandaient sa bénédiction. « Elle n’y voulut d’abord pas consentir disant que c’était plutôt à eux de la bénir parce qu’ils étaient des saints et elle, une misérable pécheresse. Elle finit par triompher de leur résistance ; et quand tous lui eurent donné leur bénédiction, elle leur donna la sienne de bonne grâce. » Ensuite, elle eut un ravissement et parla de Dieu en des termes d’amour si brûlants que tous se sentirent comme élevés au-dessus d’eux-mêmes à l’entendre.
Puis elle entra dans un profond recueillement et, à la nuit tombante, sans agonie et sans marques de souffrance, elle rendit le dernier soupir.
Deux témoins affirment avoir vu, au moment où elle expirait, une croix formée d’étoiles éblouissantes se dessiner au-dessus de sa tête.
Dès qu’on apprit à la Roda et dans les villages d’alentour que la Bonne Femme était morte, laïques et prêtres accoururent en si grand nombre que la campagne était couverte de peuple. Les funérailles furent célébrées en grande pompe et le cercueil enterré dans une chapelle dédiée à Notre-Dame du Mont-Carmel. En 1603, les ossements furent mis dans deux châsses et transportés au monastère des Carmes déchaussés de Villeneuve de la Xara.
Ainsi vécut et mourut Catherine de Cardonne. Terminant sa relation, le bon Père François s’écrie : « Sa vie sera la condamnation rigoureuse de notre lâcheté. »
De notre temps, beaucoup de catholiques, amis de leurs aises, objecteront sans doute que : Dieu n’en demande pas tant et ils estimeront que Catherine — exagérait…
C’est une opinion ; mais il est loisible de ne point la partager.