Les aventures du jeune Comte Potowski, Vol. 1 (of 2): Un roman de coeur par Marat, l'ami du peuple
XXXVII
DU MÊME AU MÊME.
Il s'est passé le 17 quelqu'affaire entre nous et les Russes, mais de trop petite importance pour être rapportée.
Nous apprîmes il y a trois jours qu'un gros d'infanterie ennemie s'avançait de nos côtés.
Birinski était instruit de leur marche et leur avait caché la sienne; il s'était saisi de presque tous les passages, tenait les défilés et se disposait à tomber sur eux dans le temps qu'ils s'y attendaient le moins.
Déjà ils étaient fort près, lorsqu'ils eurent vent de nos dispositions. A l'instant ils font une contre-marche et se montrent le lendemain matin sur une hauteur à quelque distance de nous.
Dès que nous les aperçûmes, Birinski expédia un courrier à Twarowski pour lui demander un renfort.
Vers les dix heures, les ennemis firent quelques mouvements et vinrent à nous. Nous les attendîmes de pied ferme.
Tout se dispose à l'attaque. La trompette donne le signal. Bientôt les deux armées sont enveloppées d'un tourbillon de flamme et de fumée: l'on entend un bruit effroyable de décharges, de cris d'hommes et de hennissements de chevaux. Le feu cesse, le jour renaît et le fer choisit sa victime. Semblables à des lions féroces, les combattants se précipitent les uns contre les autres avec acharnement. Des deux côtés on voit voler la mort. La fureur des ennemis redouble, partout ils portent la terreur et l'effroi.
Birinski, le sabre à la main, faisait des prodiges de valeur; il voit ses troupes qui plient: les yeux ardents de colère et la bouche écumante de rage, il vole à eux et s'efforce en vain de les ramener au combat.
Nous battons en retraite: l'ennemi animé au carnage nous poursuit et atteint quelques fuyards qui tombent sous ses coups. Soudain un nuage épais s'abat sur le camp, nous dérobe aux vainqueurs et nous sauve comme par miracle.
Une pluie abondante qui tomba ensuite servit encore à séparer les combattants.
La nuit s'avançait lorsque le ciel redevint serein, et nous profitâmes de l'obscurité pour nous retirer à Marianow.
Tandis que mes camarades s'entretiennent de cette malheureuse affaire, je profite d'un moment de loisir pour t'apprendre notre défaite.
Voilà un beau commencement de campagne, et certes il est bien juste qu'après avoir épousé une pareille cause nous n'ayons pas sujet de nous en glorifier!
Je n'ai reçu dans l'engagement qu'une fort légère blessure au bras gauche: je veux cacher cet accident à Lucile; je te prie de lui laisser ignorer, si tu as occasion de la voir.
Que tu es heureux, cher ami, de pouvoir passer tes jours loin du fracas des armes.
P. S. Suivant les derniers avis, les Ottomans sont prêts à entrer de nouveau en Pologne; ils doivent avoir passé le Driester à Dombassar.
Voilà nos malheureuses provinces inondées de troupes étrangères. Je frémis à l'idée des horreurs qu'elles vont commettre.