Les confessions d'un converti
CHAPITRE II
LE DÉBUT DE LA CRISE
Vers ce même temps, j’avais repris mon ancienne liaison avec cet ami de Cambridge, converti au catholicisme, avec qui j’avais eu naguère d’innombrables discussions, et qui était devenu à présent novice dans une maison d’Oratoriens. A plusieurs reprises j’allai lui faire visite : mais, avec cela, je ne crois pas avoir admis sérieusement une seule fois que sa position intellectuelle pût être autre chose qu’une folie ridicule. Du moins ce novice catholique était-il un homme charmant ; et je suis certain aujourd’hui qu’il a fait beaucoup, dès ce moment, pour détruire le mur de malentendus qui séparait ma pensée de la sienne. Sur le moment, j’étais parfaitement confiant, parfaitement satisfait, et parfaitement obstiné. Je me sentais à tel point muni et armé contre l’influence de mon ami, que je ne craignis pas même d’aller passer quelques semaines avec lui sur la côte de Cornouailles ; et pendant notre séjour dans une petite ville de cette région, comme je n’avais pas emporté de vêtements religieux, il m’arriva de lui emprunter sa robe de novice, dont je me revêtis avec une espèce d’excitation joyeuse, pour monter dans la chaire de la petite église anglicane de l’endroit.
Au mois d’octobre 1896, mon père mourut soudain, pendant qu’il était à genoux dans la chapelle privée de M. Gladstone, à Hawarden. J’étais en train de diriger l’école du dimanche, dans notre paroisse de Londres, lorsque l’on m’apporta un télégramme qui m’annonçait la nouvelle. Dans le train qui m’emmenait à Hawarden, ce soir-là, je récitai comme d’ordinaire les prières du soir désignées pour cette journée ; et je me rappelle que, dans la seconde leçon, j’éprouvai un saisissement involontaire en lisant ces paroles : « Seigneur, laisse-moi d’abord aller enterrer mon père, après quoi, je viendrai te suivre ! »
Les jours qui succédèrent à la catastrophe furent pleins, à la fois, de tristesse et de dignité. Il nous semblait incroyable que mon père fût mort. Il venait de rentrer d’Irlande, où il avait fait une sorte de visite demi-officielle à l’Église protestante irlandaise, et jamais il ne nous était apparu plus riche de vitalité. Ses dernières paroles écrites, trouvées sur la table de son cabinet de toilette, étaient le brouillon d’une lettre au Times, au sujet de la bulle papale, toute récente, qui condamnait les ordres anglicans comme nuls et sans valeur.
C’est moi qui fus chargé de célébrer le service de communion dans la chapelle de Hawarden, avant que nous partions pour accompagner le cercueil jusqu’à Cantorbéry ; et j’eus ainsi l’occasion de donner la communion à M. Gladstone. Le corps de mon père reposait dans son cercueil devant l’autel, recouvert du même drap qui, plus tard, je crois, a servi à recouvrir le cercueil de M. Gladstone lui-même. A Cantorbéry, ensuite, les obsèques eurent un caractère merveilleusement saisissant. Une grande tempête de vent, de pluie, et de tonnerre faisait rage au dehors, pendant que nous déposions à l’intérieur de la cathédrale, auprès des portes de l’Ouest, le corps du premier archevêque enterré là depuis la Réforme. Et, pendant notre voyage de retour vers la maison de mes parents, il nous semblait incroyable de penser que nous ne devions pas retrouver cette même personnalité vivante et active, s’avançant au-devant de nous pour nous accueillir lorsque nous arriverions à Addington.
Une semaine après ces obsèques, ma santé s’altéra brusquement et gravement, si bien que les médecins m’enjoignirent de partir pour l’Égypte, sans un jour de retard, et d’y demeurer jusqu’à la fin de l’hiver. Je me souviens que ma dernière requête au révérend Donaldson, avant d’apprendre la nécessité de mon prochain départ, avait été pour demander que, désormais, nous eussions de nouveau un office quotidien, dans notre église, au lieu des deux offices par semaine que nous prescrivait le régime présent. Mais M. Donaldson m’avait répondu que, à son avis, il valait mieux s’abstenir de cette innovation.
Jusqu’au moment de la mort de mon père, je ne pense pas qu’un doute m’ait jamais traversé l’esprit touchant l’inanité des prétentions du catholicisme. Je me rappelle qu’un jour, comme mon père et moi revenions, à cheval, d’une de nos promenades, je lui dis tout d’un coup que je n’arrivais pas à comprendre cette phrase du Credo : « Je crois en la sainte Église catholique ». « Par exemple, ajoutai-je, les catholiques romains font-ils partie de l’Église du Christ ? » Mon père demeura un moment silencieux, puis il me dit que Dieu seul savait de manière certaine ceux qui étaient ou qui n’étaient pas membres de son Église. Quant à lui, mon père, il n’était pas éloigné d’admettre que les catholiques romains avaient erré assez gravement, dans leurs croyances doctrinales, pour avoir perdu tout droit à figurer dans le corps du Christ. Et sans doute cette réponse me satisfit pleinement ; car je n’ai pas souvenir d’avoir réfléchi de nouveau à la question durant les mois suivants.
Mais peu de temps après la mort de mon père, les choses commencèrent à m’apparaître sous un jour nouveau ; et ce fut surtout durant les cinq mois de mon séjour en Orient que les titres de l’Église catholique se révélèrent à moi. L’événement se produisit à peu près de la façon que voici.