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Les confessions d'un converti

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AU R. P. REGINALD BUCKLER, O. P.,
dont la main paternelle a bien voulu ouvrir pour moi les portes de la Cité de Dieu.

PRÉFACE

Le petit livre qu’on va lire a été publié d’abord, sous la forme d’une série d’articles, dans une revue américaine, l’Ave Maria, au cours des années 1906 et 1907. C’est avec l’aimable autorisation du directeur de cette revue, le Père Hudson, que je le réimprime aujourd’hui, un peu corrigé et pourvu d’un petit nombre d’additions.

Depuis le temps de l’apparition de mon récit dans l’Ave Maria, maintes personnes m’ont engagé à recueillir en volume cette série d’articles : mais j’ai longtemps hésité avant de m’y résoudre. J’ai hésité, en partie, parce que je me suis demandé si un ouvrage comme celui-là avait chance de rendre vraiment service à qui que ce fût, et en partie parce que je me proposais d’étendre et de développer considérablement ma relation primitive, et puis d’y joindre encore une peinture de mon évolution intérieure après ma conversion. A ce dernier projet, cependant, j’ai vite dû renoncer, en raison de la difficulté extrême que je découvrais à établir une comparaison définie entre mes anciennes impressions d’anglican, qui s’effaçaient très rapidement de ma mémoire, et l’effet de plus en plus profond que produisaient en moi mes croyances catholiques. Le cardinal Newman a assimilé quelque part les impressions d’un anglican converti à celles d’un personnage d’un conte de fées qui, après avoir vécu durant toute la nuit dans une ville enchantée, se retourne, au lever du soleil, pour jeter un regard sur la ville, et qui a la grande surprise de constater que celle-ci a disparu : les monuments qu’il avait admirés pendant la nuit se sont évanouis, comme un brouillard sous la lumière de l’aube nouvelle. C’est exactement ce qui m’est arrivé. Je me sens désormais absolument incapable de comparer les deux systèmes de croyances, ainsi que j’étais en état de le faire durant les premiers mois de ma conversion : car il se trouve que la croyance que j’ai quittée ne m’apparaît plus du tout un système cohérent, une ville habitable avec les monuments et les maisons qu’il m’avait semblé y connaître naguère. Il me reste, naturellement, dans l’esprit toute sorte d’images, de souvenirs, et d’émotions, se rattachant à mon séjour dans l’anglicanisme, et quelques-unes de ces images sont même parmi les plus sacrées et les plus chères de mon cœur, et toujours encore je me sens heureux de compter au nombre de mes amis maintes personnes qui continuent à trouver dans l’anglicanisme la liaison et la vie d’un véritable système religieux ; mais, quant à moi, je ne puis plus voir en lui autre chose que des fragments détachés de leur centre primitif, et employés après coup à la construction d’un édifice purement humain, sans fondement stable.

Cette impression nouvelle ne s’accompagne d’ailleurs chez moi — autant que je puis en avoir conscience — d’aucune amertume. Tout au plus m’arrive-t-il parfois d’éprouver un mouvement d’impatience à la pensée d’avoir été retenu si longtemps par des ombres, empêché par elles d’entrer en possession de la substance divine. Mais toute comparaison équitable des deux systèmes m’est dorénavant complètement impossible : comment songer à établir une comparaison entre un rêve et une réalité ? Si bien que force m’a été de renoncer à tout espoir de joindre à la peinture, de plus en plus confuse en moi, de ma période d’anglicanisme l’histoire de mes aventures bien autrement actives et vivantes sous le plein soleil de la Vérité Éternelle. Et puisque nombre d’amis m’ont conseillé de publier le récit de la longue suite d’épreuves qui ont constitué pour moi le passage de l’ancien demi-jour à la présente lumière, c’est donc ce récit que l’on va lire, tel à peu près que je l’ai écrit naguère pour les lecteurs de l’Ave Maria. J’ai profondément conscience de tout ce qu’il y a de choquant dans l’« égotisme » ininterrompu de pages comme celles-là ; mais comment échapper à cet inconvénient, dès que l’on tente de mettre au service d’autrui les résultats de sa propre expérience ?

Robert-Hugh Benson.

Édimbourg, novembre 1912.

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