Les confessions d'un converti
CHAPITRE V
LA MONTÉE DÉCISIVE
I
Par degrés, cependant, trois choses se dégagèrent pour moi de ce bruyant tourbillon d’idées et écrits. La première de ces trois choses fut une pensée. Mon supérieur m’avait donné à entendre que je m’exposais sans aucun doute au péché d’orgueil en me hasardant à dresser mon opinion propre contre les vues d’hommes tels que Pusey et Keble, d’hommes qui m’étaient infiniment supérieurs en science, en expérience, et en valeur morale. Ces hommes avaient pénétré dans toutes les questions qui m’occupaient, les avaient explorées bien plus profondément que je pouvais jamais espérer de le faire : et ils étaient arrivés à la conclusion que les titres de Rome n’étaient point justifiés, et que l’Église d’Angleterre formait, tout au moins, une partie de l’Église du Christ. Or, je compris clairement, tout d’un coup, ce que j’avais seulement soupçonné jusque-là : à savoir que si, comme je le croyais, l’Église du Christ était la voie divine du salut, c’était chose impossible que la découverte de cette voie fût une affaire d’intelligence ou d’érudition, car, à ce prix, le salut deviendrait plus facile pour l’homme adroit et possédant des loisirs que pour l’homme simple et n’ayant point le temps de longues réflexions. Et quant à ce qui était de la sainteté d’hommes tels que Pusey, je me dis que, somme toute, le Christ était venu en ce monde pour sauver les pécheurs. Deux ou trois textes de l’Écriture commencèrent à m’apparaître en lettres de flamme. « Il y aura un grand chemin, écrivait Isaïe, et le racheté y marchera. Celui qui s’y sera engagé, si même il est sot, ne risquera pas de s’égarer. » D’autre part, Notre-Seigneur a dit : « Une cité placée sur une montagne ne saurait être cachée. » Et encore : « A moins que vous deveniez pareils à de petits enfants, vous ne pourrez pas entrer dans le royaume des cieux ! » Ou bien encore : « Je te remercie, O mon Père, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux prudents, et les as révélées aux tout petits ! »
Je ne saurais décrire le soulagement que m’a apporté cette pensée. Je voyais maintenant que mes difficultés intellectuelles ne constituaient pas du tout le vrai cœur de l’affaire, et que je n’avais aucun droit de me décourager parce que je me savais infiniment inférieur à d’autres qui avaient décidé contre la cause que je commençais à reconnaître pour vraie. L’humilité et la bonne foi, je m’en rendais compte à présent, avaient bien plus d’importance que toute l’érudition patristique. Et aussi commençai-je depuis lors, bien plus encore qu’auparavant, à aspirer vers ces deux vertus, et à me remettre entre les mains de Dieu. Tous les jours, je pratiquais l’un des actes d’humilité recommandés par saint Ignace dans ses Exercices spirituels. En fait, je crois même que, sous l’excès de la réaction, je courais un certain danger de retomber dans le quiétisme.
Mais alors deux livres vinrent à mon secours, le Développement de Newman, et la Déruption doctrinale de Mallock. Il y eut aussi l’un des Essais du Père Carson qui me fut très précieux durant cette crise — celui qui traitait de la croissance de l’Église depuis son état embryonnaire jusqu’à sa pleine virilité ; car peut-être était-ce la doctrine de cet essai qui m’aidait le mieux à résoudre mes dernières difficultés. Et enfin je dois citer le livre de M. Spencer Jones sur l’Angleterre et le Saint-Siège, ouvrage des plus remarquables, écrit par un homme qui est encore aujourd’hui pasteur de l’Église d’Angleterre. Chacun de ces livres m’aidait à sa façon, non point peut-être directement pour l’acquisition de ma foi nouvelle — car celle-ci se formait en moi aussi indépendamment de tout effort intellectuel que de tout attrait sentimental : mais ces divers écrits avaient pour moi l’avantage, d’une part, de détruire les obstacles qui se dressaient entre Rome et moi, et d’autre part de détruire les derniers vestiges de liens théoriques qui me rattachaient à l’Église d’Angleterre. Grâce à eux je commençais désormais à voir poindre nettement, comme des montagnes à travers une brume matinale, les contours de ce que j’appellerai les vues générales des deux communions entre lesquelles je me trouvais partagé.