Les Muses de la Nouvelle France
ADIEU AUX FRANÇOIS
retournans de la Nouvelle-France
en la France Gaulloise.
Du 25 d’Aoust 1606.
LLEZ donques, vogués, ô troupe genereuse
Qui avez surmonté d’une ame courageuse
Et des vents & des flots les horribles fureurs
Et de maintes saisons les cruelles rigueurs,
Pour conserver ici de la Françoise gloire
Parmi tant de hazars l’honorable memoire.
Allez doncques, vogués, puissiez vous outre mer
Un chacun bien-tot voir son Ithaque fumer:
Et puissions nous encore au retour de l’année
La méme troupe voir par deça retournée.
Fatiguez de travaux vous nous laissés ici
Ayans également l’un de l’autre souci,
Vous, que nous ne soyons saisis de maladies
Qui facent à Pluton offrandes de noz vies:
Nous, qu’un contraire flot, ou un secret rocher
Ne vienne vôtre nef à l’impourveu toucher.
Mais un point entre nous met de la difference,
C’est que vous allez voir les beautez de la France,
Un royaume enrichi depuis les siecles vieux
De tout ce que le monde a de plus precieux:
Et nous comme perdus parmi la gent Sauvage
Demeurons étonnez sur ce marin rivage,
Privez du doux plaisir & du contentement
Que là vous recevrez dés votre avenement.
Que di-je, je me trompe, en ce lieu solitaire,
L’homme juste a dequoy à soy-méme complaire,
Et admirer de Dieu la haute Majesté,
S’il en veut contempler l’agreable beauté
Car qu’on aille rodant toute la terre ronde,
Et qu’on furette tous les cachotz du monde,
On ne trouvera rien si beau, ne si parfait
Que l’aspect de ce lieu ne passe d’un long trait.
Y desirez-vous voir une large campagne?
La mer de toutes parts ses moites rives baigne.
Y desirez-vous voir des coteaux alentour?
C’est ce qui de ce lieu rent plus beau le sejour.
Y voulez-vous avoir le plaisir de la chasse?
Un monde de forêts de toutes parts l’embrasse.
Voulez-vous des oiseaux avoir la venaison?
Par bendes ils y sont chacun en sa saison.
Cherchez-vous changement en votre nourriture?
La mer abondamment vous fournit de pâture.
Aymez-vous des ruisseaux le doux gazouillement
Les côtaux enlassés en versent largement.
Cherchez-vous le plaisir des verdoyantes iles?
Ce Port en contient deux capables de deux villes.
Aymez-vous d’un Echo la babillarde voix?
Ici peut un Echo répondre trente-fois.
Car lors que du Canon le tonnerre y bourdonne
Trente-fois alentour le méme coup resonne,
Et semble au tremblement que Megere à l’envers
Soit préte d’écrouler tout ce grand Univers.
Aymez-vous voir le cours des rivieres profondes?
Trois rendent à ce lieu le tribut de leurs ondes,
Dont l’Equille ayant eu plus de terre en son lot,
Elle se porte aussi d’un orgueilleux flot,
Et préques assourdit de son bruiant orage
Non le Stadisien, mais ce peuple Sauvage.
Bref, contre l’ennemi voulez-vous estre fort?
Ce lieu rien que du Ciel ne redoute l’effort.
Car de deux boulevers Nature a son entrée
Si dextrement muni, que toute la contrée
Peut à l’abri d’iceux reposer seurement,
Et en toute saison vivre joyeusement.
Le blé te manque encore, & le fruit de la vigne
Pour faire son renom par l’univers insigne.
Mais si le Tout-poussant benit nôtre labeur
En bref tu sentiras la celeste faveur
En ton sein decouler ainsi qu’une rousée
Qui tombe doucement sur la terre embrasée
Au milieu de l’eté. Que si on n’a encore
De tes veines tiré la riche mine d’or,
L’argent, l’airain, le fer que tes forêts épesses
Gardent comme en depos sont de belles richesses
Pour le commencement, & peut estre qu’un jour
Sera la mine d’or découverte à son tour.
Mais c’est ores assez que tu nous puisse rendre
Et du blé & du vin, pour apres entreprendre
Un vol plus elevé (car le bord de tes eaux
Peut fournir de pature à mille grans troupeaux)
Et de villes batir, des maisons, & bourgades,
Qui servent de retraite aux Françoises peuplades,
Et pour changer les moeurs de cette nation
Qui vit sans Dieu, sans loy, & sans religion.
O trois-fois Tout-puissant, ô grand Dieu que j’adore
Ores que ton Soleil envoye son Aurore
Sur cette terre ici, ne vueille plus tarder,
Vueilles d’un oeil piteux ce peuple regarder,
Qui languit attendant ta parfaite lumiere
Trop prolongeant, helas! sa divine carriere.
DU PONT dont la vertu vole jusques aux cieux
Pour avoir sceu domter d’un coeur audacieux
En ces difficultés mille maux, mille peines,
Qui pouvoient souz le faix accraventer tes veines,
Ayant esté ici laissé pour conducteur
A ceux-là qui poussez d’une pareille ardeur
Ont aussi soutenu en la Nouvelle-France
De leur propre maison la dure & longue absence;
Si-tot que tu verras la face de ton Roy
Di lui que ses ayeuls pour la Chrétienne loy
Ont jadis triomphé dedans la Palestine,
Et courageusement de la gent Sarazine
Repoussé la fureur és Memphitiques bors,
Et pour la méme cause ont exposé leurs corps
Au gré des vents, des flots, d’une maratre terre,
Et au guerrier hazard du sanglant cimeterre:
Qu’ici à peu de frais, sans qu’un robuste bras
Rougisse au sang humain le meurtrier coutelas,
Il se peut acquerir une gloire semblable.
Laquelle à sa grandeur sera plus proufitable.
Allez doncques, vogués, ô genereux François,
Cependant que plus loin vers les Armouchiquois
Les voiles nes tendons, pour outre Mallebarre
Rechercher quelque Port qui nous serve de barre
Soit pour nous opposer à un fort ennemi,
Ou pour y recevoir seurement nôtre ami,
Et la méme éprouver si la Nouvelle-France
A noz travaux rendra selon notre esperance.
Neptune, si jamais tu as favorisé
Ceux qui dessus tes eaux leurs vies ont usé;
Vray Neptune, fay nous chacun où il desire
A bon port arriver, afin que ton Empire
Soit par-deça connu en maintes regions,
Et bien-tot frequenté de toutes nations.