Les Muses de la Nouvelle France
A MONSIEUR DE MONTS
Lieutenant general pour le Roy en la
Nouvelle-France.
ODE.
OUT ce que l’homme possede,
Ce qu’il a de riche & beau
Ne trouve point de remede
Pour eviter le tombeau.
La vertu seule immortelle
Constante & ferme en tout temps
Resiste à la mort cruelle
Et à la lime des ans.
Tant de Rois & tant de Princes,
Des Heros & des Cesars
Qui ont acquis des provinces
Et thresors en maintes parts
En fin sont proye à la terre,
Et la Vertu seulement
Fait leur nom voler grand erre
Par-dessus le Firmament.
DU MONTS tu sçais que la vie
Nous est donnée des cieux
Non pour estre ensevelie
En un corps peu soucieux,
Mais pour estre secourable
A celui qui a besoin
Que quelque Dieu favorable
De son mal-heur prenne soin.
Et chercher la vraye gloire
Par un chemin non tenté,
Faisant que nôtre memoire
Vive à l’immortalité.
C’est le desir qui t’enflamme,
Et qui possede ton coeur,
Quand pour eviter le blame
Qui suit l’homme sans honneur,
Tu entreprens un ouvrage
Tout auguste & glorieux
Si qu’à jamais chacun âge
Aura ton nom precieux,
Car si-tot que de ton Prince
As eu le commandement
Pour conoitre la province
Mise ne ton gouvernement,
Ainsi qu’un Aigle qui vole
D’un trait leger, tout soudain
Prompt à suivre sa parole
Tu as pris un vol hautain.
Et du tempêteux Nerée
Meprisant tous les efforts,
De ta terre desirée
Tu as en fin veu les ports.
Les nations qui n’ont oncques
Admis la sujetion
A tes mandemens adoncques
Ont fait leur submission.
Sage, tu leur a fait voir
Les beautez de la justice,
Et ton redouté pouvoir,
Et les biens de la police.
Mémes tu as fait encore,
Que maint barbare en ces lieux
En son ame Christ adore,
De son salut soucieux.
Arriere d’ici, arriere
Timides & cazaniers,
Que dedans vôtre barriere
Toujours estes prisonniers.
Vous qui n’avez soin, ni cure
De faire que vôtre nom,
Contre la mort méme dure
En perdurable renom.
DU MONTS, tu n’es pas de mémes,
Car lors qu’en France de Mars
Ont cessé les stratagemes,
Recherchant d’autres hazars,
Tu as consacré ta vie
A l’Eternel pour sa loy
Rendre en ces terres suivie
Souz le vouloir de ton Roy.
Mais ce n’est fait qui commence,
Il faut chanter desormais
De Dieu la magnificence
D’un ton plus haut que jamais.
Neptune te favorise
Et Ceres pareillement,
Afin que ton entreprise
Ait un meilleur fondement.
Diray-je que sans culture
Le Pere de Liberté
Laisse produire à Nature
La vigne qu’il a planté?
Non ici, je le confesse,
Mais en lieu d’un autre espoir,
Où l’homme à la longue tresse
Ha son sablonneux terroir.
C’est la terre Armouchiquoise,
Qui son gros blé te produit;
Et encore l’Iroquoise,
Qui donne maint autre fruit.
Nôtre France fromenteuse
N’a ses vignes de tout temps,
La peine laborieuse
L’a fait telle avec les ans.
Courage, doncques, courage,
Continue ton dessein,
Ayant ce bel avantage,
Qui de bon espoir est plein.
Le Tout-puissant méme change
Ici les froides saisons,
Et à cette terre étrange
Promet des riches moissons.