Les Muses de la Nouvelle France
A-DIEU
A LA NOUVELLE-FRANCE
Du 30 Juillet 1607.
AUT-il abandonner les beautez de ce lieu,
Et dire au Port Royal un eternel Adieu?
Serons-nous donc toujours accusez d’inconstance
En l’établissement d’une Nouvelle-France?
Que nous sert-il d’avoir porté tant de travaux,
Et des flots irritez combattu les assaux,
Si notre espoir est vain, & si cette province
Ne flechit souz les loix de HENRY notre Prince?
Que vous servit-il d’avoir jusques ici
Fait des frais inutils, si vous n’avez souci
de recuillir le fruit d’une longue depense,
Et l’honneur immortel de votre patience?
Ha que j’ay de regrets que ne sçavez pas
De cette terre ici les attrayans appas.
Et bien que le Flamen vous ait fait une injure,
L’injure bien souvent se rend avec usure.
Il faut doncques partir, il faut appareiller,
Et au port Sainct-Malo aller l’ancre mouiller.
PERE DE L’UNIVERS, qui commandes aux ondes,
Et qui peux assecher les mers les plus profondes,
Donne nous de franchir les abymes des eaux
Dont tu as separé tous ces peuples nouveaux
Des peuples baptizés, & sans aucun naufrage
Du royaume François voir bien-tot le rivage.
Adieu donc beaux coteaux & montagnes aussi,
Qui d’un double rempar ceignez ce Port ici.
Adieu vallons herbus que le flot de Neptune
Va baignant largement deux fois à chaque lune,
Et au gibier aussi, qui pour trouver pâture
Y vient de tous cotez tant qu’il y a verdure.
Adieu mon doux plaisir fonteines & ruisseaux,
Qui les vaux & les monts arrousez de vos eaux.
Pourray-je t’oublier belle ile forètiere
Riche honneur de ce lieu & de cette riviere?
Je prise de ta soeur les aimables beautés,
Mais je prise encor plus tes singularités.
Car comme il est séant que celui qui commande
Porte une Majesté plus auguste & plus grande
Que son inferieur; ainsi pour commander
Tu as le front haussé qui te fait regarder.
A l’environ de toy une ondoyante plaine,
Et la terre alentour sujette à ton domaine
Tes rives sont des rocs, soit pour tes batimens,
Soit pour d’une cité jetter les fondemens.
Ce sont en autres parts une menuë arene,
Où mille fois le jour mon esprit se pourmene.
Mais parmi tes beautés j’admire un ruisselet
Qui foule doucement l’herbage nouvelet
D’un vallon que se baisse au creux de ta poitrine,
Precipitant son cours dedans l’onde marine.
Ruisselet qui cent fois de ses eaux m’a tenté,
Sa grace me forçant lui prèter le côté.
Ayant dont tout cela, Ile haute & profonde,
Ile digne sejour du plus grand Roy du monde,
Ayant di-je, cela, qu’est-ce que te defaut.
A former pardeça la cité qu’il nous faut,
Sinon d’avoir prés soy un chacun sa mignone
En la sorte que Dieu & l’Eglise l’ordonne?
Car ton terroir est bon & fertile & plaisant,
Et oncques son culteur n’en sera deplaisant.
Nous en pouvons parler, qui de mainte semence
Y jettée, en avons certaine experience.
Que puis-je dire encor digne de ton beau los?
Qu’adjouteray-je ici que dedans ton enclos
Se trouvent largement produits par la Nature
Framboises, fraises, pois, sans aucune culture?
Ou bien diray-je encor tes verdoyans lauriers,
Tes Simples inconus, tes rouges grozeliers?
Non, mais tant seulement sans sortir tes limites,
Ici je toucheray les nombreux exercices
Des peuples écaillez qui viennent chaque jour,
Suivans le train du flot te donner le bon-jour.
Si-tot que du Printemps la saison renouvelle
L’Eplan vient à foison, qui t’apporte nouvelle
Que Phoebus elevé dessus ton horizon
A chassé loin de toy l’hivernale saison.
Le Haren vient apres avecque telle presse
Que seul il peut remplir un peuple de richesse.
Mes yeux en sont témoins, & les vostres aussi
Qui de nôtre pature avés eu le souci,
Quand, ailleurs occupez, vôtre main diligente
Ne pouvoit satisfaire à la chasse plaisante
Qu’envoyoit en voz rets l’ecluse d’un moulin.
Le Bar suit par-apres du Haren le chemin.
Et en un méme temps la petite Sardine,
La Crappe, & le Houmar, suit la côte marine
Pour un semblable effect; le Dauphin, l’Eturgeon
Y vient parmi la foule avecque le Saumon,
Comme font le Turbot, le Pounamou, l’Anguille,
L’Alose, le Fletan, & la Loche, & l’Equille:
Equille qui, petite, as imposé le nom
A ce fleuve de qui je chante le renom.
Mais ce n’est ici tout, car tu as davantage
De peuples qui te font par chacun jour homage,
Le Colin, le Joubar, l’Encornet, le Crapau,
Le Marsoin, le Souffleur, l’Oursin le Macreau,
Tu as le Loup-marin, qui en troupe nombreuse
Se vautre au clair du jour sur ta vase bourbeuse,
Tu as le Chien, la Plie, & mille autres poissons
Que je ne conoy point, de tes eaux nourrisons.
Tairay-je la Moruë heureusement feconde,
Qui par tout cette mer en toutes parts abonde?
Moruë si tu n’es de ces mets delicats
Dont les hommes frians assaisonnent leurs plats,
Je diray toutefois que de toy se sustente
Prèque tout l’Univers. O que sera contente
Celle personne un jour, qui à sa porte aura
Ce qu’un monde eloigné d’elle recherchera!
Belle ile tu as donc à foison cette manne,
Laquelle j’ayme mieux que de la Taprobane
Les beautez que lon feint dignes des bien-heureux
Qui vont buvans des Dieux le Nectar savoureux.
Et pour montrer encor ta puissance supreme,
La Baleine t’honore & te vient elle-méme
Saluer chacun jour, puis l’ebe la conduit
Dans le vague Ocean où elle a son deduit.
De ceci je rendray fidele temoignage,
L’ayant veu mainte fois voisiner ce rivage,
Et à l’aise nouer parmi ce port ici.
Mais tous ces animaux, mais tous ces peuples ci
S’écartent quand Phoebus veut approcher la borne
Du celeste manoir, où git le Capricorne,
Et vont chercher l’abri du profond de Thetys,
Ou d’un terroir plus doux vont souvans le pâtis.
Seulement pres de toy en cette saison dure
La Palourde, la Coque, & la Moule demeure
Pour sustenter celui qui n’aura de saison
(Ou pauvre, ou paresseux) fait aucune moisson,
Tel que ce peuple ici qui n’a cure de chasse
Jusqu’à ce que la faim le contraigne& pourchasse,
Et le temps n’est toujours favorable au chasseur.
Qui ne souhaite point d’un beau temps la douceur,
Mais une forte glace, ou des neges profondes,
Quand le Sauvage veut tirer du fond des ondes
L’industrieux Castor (qui sa maison batit
Sur la rive d’un lac, où il dresse son lict
Vouté d’une façon aux hommes incroyable,
Et plus que noz palais mille fois admirable,
Y laissant vers le lac un conduit seulement
Pour s’aller égayer souz l’humide element)
Ou quand il veut quéter parmi les bois le gite
Soit du Royal Ellan, soit du Cerf au pié vite,
Du Lapin, du Renart, du Caribou, de l’Ours,
De l’Ecureu, du loutre à peau-de-velours
Du Porc-epic du Chat qu’on appelle sauvage,
(Mais qui du Leopart ha plustot le corpsage)
De la Martre au doux poil dont se vétent les Rois,
Ou du Rat porte-muse, tous hôtes de ces bois,
Ou de cet animal qui tout chargé de graisse
De hautement grimper ha la subtile addresse,
Sur un arbre elevé sa loge batissant
Pour decevoir celui qui le va pourchassant,
Et vit par cette ruse en meilleure asseurance
Ne craignant (ce lui semble) aucune violence,
Nibachés est son nom. Non que sur le printemps
Il n’ait à cette chasse aussi son passe-temps.
Mais alors du poisson la peche est plus certaine.
Adieu donc je te dis, ile de beauté pleine,
Et vous oiseaux aussi des eaux & des forêts
Qui serez les témoins de mes tristes regrets.
Car c’est à grand regret, & je ne le puis taire,
Que je quitte ce lieu, quoy qu’assez solitaire.
Car c’est à grand regret qu’ores ici je voy
Ebranlé le sujet d’y entrer nôtre Foy,
Et du grand Dieu le nom caché souz le silence,
Qui à ce peuple avoit touché la conscience.
Aigles qui des hauts pins habitez les sommets,
Puis qu’à vous Jupiter a commis ses secrets,
Allez dedans les cieux annoncer cette chose,
Et combien de douleur j’en ay en l’ame enclose,
Puis revenez soudain au Monarque François
Lui dire le decret du puissant Roy des Roys.
Car à lui est du ciel donné cet heritage,
Afin que souz son nom ci-aprés en tout âge
L’Eternel soit ici sainctement adoré,
Et de cent nations son grand nom reveré:
Et pour mieux l’emouvoir à cette chose faire,
Par cent sortes de biens il l’a voulu attraire,
Ayant à noz labeurs fait selon noz désirs,
Et iceux terminé de dix mille plaisirs.
Car la terre ici n’est telle qu’un fol l’estime,
Elle y est plantureuse à cil qui sçait l’escrime
Du plaisant jardinage & du labeur des champs.
Et si tu veux encor des oiseaux les doux chants,
Elle a le Rossignol, le Merle, la Linote,
Et maint autre inconu, qui plaisamment gringote
En la jeune saison. Si tu veux des oiseaux
Qui se vont repaissans sur les rives des eaux,
Elle a le Cormorant, la Mauve, Ma Mouette,
L’Outarde, le Heron, la Gruë, l’Alouette,
Et l’Oye, et le Canart. Canart de six façons,
Dont autant de couleurs sont autant d’hameçons
Qui ravissent mes yeux. Desires-tu encore
De ces oiseaux chasseurs dont le Noble s’honore?
Elle a l’Aigle, le Duc, le Faucon, le Vautour,
Le Sacre, l’Epervier, l’Emerillon, l’Autour,
Et bref tous les oiseaux de haute volerie
Et outre iceux encore une bende infinie
Qui ne nous sont communs. Mais elle a le Courlis
L’Aigrette, le Coucou, la Becasse & Mauvis,
La Palombe, le Geay, le Hibou, l’Hirondelle,
Le Ramier, la Verdier, avec la Tourterelle,
Le Beche-bois huppé, le lascif Passereau,
La perdris bigarrée, & aussi le Corbeau.
Que diray-je plus? Quelqu’un pourra-il croire
Que Dieu méme ait voulu manifester sa gloire
Creant un oiselet semblable au papillon
(Du moins n’excede point la grosseur d’un grillon)
Portant dessus son dos un vert-doré plumage,
Et un teint rouge-blanc au surplus du corps-sage?
Admirable oiselet, pourquoy donc, envieux,
T’es-tu cent fois rendu invisible à mes ieux,
Lors que legerement me passant à l’aureille
Tu laissois seulement d’un doux bruit la merveille?
Je n’eusse esté cruel à ta rare beauté,
Comme d’autres qui t’ont mortellement traité,
Si tu eusses à moy daigné te venir rendre.
Mais quoy tu n’as voulu à mon desir entendre.
Je ne lairray pourtant de celebrer ton nom,
Et faire qu’entre nous tu sois de grand renom.
Car je t’admire autant en cette petitesse
Que je fay l’Elephant en sa vaste hautesse.
Niridau c’est ton nom que je ne veux changer
Pour t’en imposer un qui seroit étranger.
Niridau oiselet delicat de nature,
Qui de l’abeille prent la tendre nourriture
Pillant de noz jardins les odorantes fleurs,
Et des rives des bois les plus rares douceurs.
A ces hotes de l’air pourray-je sans offense
D’un petit peuple ailé adjouter l’excellence?
Ce sont mouches, de qui sur le point de la nuit
La brillante clarté parmi les bois reluit
Voletans ça & là d’une presse si grande,
Que du ciel etoilé la lumineuse bende
Semble n’avoir en soy plus d’admiration.
Faisant doncques ici commemoration
Des beautez de ce lieu, il est bien raisonnable
Que vous y teniez rang & place convenable.
Mais puis que ja desja noz voiles sont tendus,
Et allons revoir ceux qui nous cuident perdus,
Je dis encore Adieu à vous beaux jardinages,
Qui nous avez cet an repeu de vos herbages,
Voire aussi soulagé nôtre necessité
Plus que l’art de Pæon n’a fait nôtre santé.
Vous nous avez rendu certes en abondance
Le fruit de noz labeurs selon notre semence.
Hé que sera-ce donc s’il arrive jamais
(Ce qu’il est de besoin qu’on face desormais)
Que la terre ici soit un petit mignardée,
Et par humain travail quelquefois amendée?
Qui croira que le segle,& la chanve, & le pois,
Le chef d’un jeune gars ait surpassé deux fois?
Qui croira que le blé que l’on appelle d’Inde
En cette saison-ci si hautement se guinde
Qu’il semble estre porté d’insupportable orgueil
Pour se rendre, hautain, aux arbrisseaux pareil?
Ha que ce m’est grand deuil de ne pouvoir attendre
Le fruit qu’en peu de temps vous promettiez nous rendre!
Que ce m’est grand émoy de ne voir la saison
Quand ici meuriront la Courge, le Melon,
Et le Cocombre aussi: & suis en méme peine
De ne voir point meuri mon Froment, mon Aveine
Et mon Orge & mon Mil, pois que le Souverain
En ce petit travail m’a beni de sa main.
Et toutefois voici de ce mois le trentieme,
Mois qui jadis estoit en ordre le cinquième
Peuples de toutes parts qui estes loin d’ici
Ne vous emerveillez de cette chose ci,
Et ne nous tenez point comme en region froide,
Ce n’est point ici Flandre, Ecosse, ni Suede,
La mer ici ne gele, & les froides saisons
Ne m’ont oncques forcé d’y garder les tisons.
Et si chez vous l’eté plustot qu’ici commence,
Plustot vous ressentez de l’hiver l’inclemence.
Mais tu restes encor, Poutrincourt attendant
Que ta moisson soit préte: & nous nous cependant
Faisons voile à Campseau où t’attent le navire
Que de là doit tous en la France conduire.
Cependant beaux epics meurissez vitement,
Dieu le Dieu tout-puissant vous doint accroissement,
Afin qu’un jour ici retentisse sa gloire
Lors que de ses bien-faits nous ferons la memoire.
Entre lesquelz bien-faits nous conterons aussi
Le soin qu’il aura eu de prendre à sa merci
Ces peuples vagabons qu’on appelle Sauvages
Hotes de ces forèts & des marins rivages,
Et cent peuples encor qui sont de tous côtez
Au Su, à l’Oest au Nort de pié-ferme arretez
Qui aiment le travail, qui la terre cultivent,
Et libres, de ses fruits plus contens que nous vivent,
Mais en ce deplorable est leur condition,
Que du siecle futur ilz n’ont l’instruction.
Pourquoy, ô Tout-puissant, pourquoy donc cette race
As-tu jusques ici rejetté de ta face,
Et pourquoy laisses tu devorer à l’enfer,
Tant d’humains qui devroient dessus lui triompher
Veu qu’ilz sont comme nous ton oeuvre & ta facture,
Et ont de toy receu nôtre fraile nature?
Ouvre donc les thresors de tes compassions,
Et verse dessus eux tes benedictions,
Afin qu’ilz soient bien-tot ton sacré heritage,
Et chantent hautement tes bontés en tout âge.
Si-tot que ton Soleil sur eux éclairera,
Aussi-tot cet gent d’adorer on verra.
Temoins soient de ceci les propos veritables
Que Poutrincourt tenoit avec ces miserables
Quand il leur enseignoit notre Religion,
Et souvent leur montroit l’ardente affection
Qu’il avoit de les voir dedans la bergerie
Que Christ a racheté par le pris de sa vie.
Eux d’autre part emeus clairement temoignoient
Et de bouche & de coeur le desir qu’ilz avoient
D’estre plus amplement instruits en la doctrine
En laquelle il convient qu’un fidele chemine.
Où estes vous Prelats, que vous n’avez pitié
De ce peuple qui fait du monde la moitié?
Du moins que n’aidez-vous à ceux de qui le zele
Les transporte si loin comme dessus son aile
Pour établir ici de Dieu la saincte loy
Avecque tant de peine, & de soin & d’émoy
Ce peuple n’est brutal, barbare ni sauvage,
Si vous n’appellez tels les hommes du vieil âge,
Il est subtile, habile, & plein de jugement,
Et n’en ay conu un manquer d’entendement,
Seulement il demande un pere qui l’enseigne
A cultiver la terre, à façonner la vigne,
A vivre par police, à estre menager,
Et souz des fermes toicts ci-apres heberger.
Au reste à nôtre égare il est plein d’innocence
Si de son createur il avoit la science.
Que s’il ne le conoit, sa bouche ni son coeur
Ne ravit point à Dieu par blaspheme l’honneur.
Il ne sçait le metier de l’amoureux bruvage,
De l’aconite aussi il ne sçait point l’usage,
Sa bouche ne vomit nos imprecations,
Son esprit ne s’adonne à nos inventions
Pour opprimer autrui, l’avarice cruelle
D’un souci devorant son ame ne bourrelle
Mais il a du Gaullois cette hospitalité
Qui tant l’a fait priser en son antiquité.
Son vice le plus grand est qu’il aime vengeance
Lors que son ennemi lui a fait quelque offense.
Je vous di donc Adieu, pauvre peuple, & ne puis
Exprimer la douleur en laquelle je suis
De vous laisser ainsi sans voir qu’on ait encore
Fait que quelqu’un de vous son Dieu vrayment adore
Sortons donc de ce Port à la faveur de l’Est,
Car en ces côtes ci est ordinaire l’Ouest,
Puis, souvent cette mer est de brumes couverte
Qui des hommes peu cauts cause l’extreme perte.
Adieu pour un dernier Rochers haut elevés,
Qui orgueilleusement voz grottes soulevés,
D’où distillent sans fin des pluies abondantes
Que leur versent les eaux des montagnes coulantes.
Adieu doncques aussi Grottes qui m’avez pleu
Quand souz votre lambris au clair du jour j’ay veu
Figurées d’Iris les couleurs agreables.
Ores que nous voyons les flots épouvantables
Du profond Ocean, pourray-je bien passer
Sans saluer de loin, ou quelque Adieu laisser
A la terre que a receuë notre France
Quand elle vint ici faire sa demeurance?
Ile, je te saluë, ile de Saincte Croix,
Ile premier sejour de noz pauvres François,
Qui souffrirent chez toy des choses vrayment dures,
Mais noz vices souvent nous causent ces injures.
Je revere pourtant ta freche antiquité
Les Cedres odorans qui sont à ton côté,
Tes Loges, tes Maisons, ton Magazin superbe,
Tes jardins étouffez parmi la nouvelle herbe:
Mais j’honore sur tout à-cause de noz morts
Le lieu qui sainctement tient en depost leurs corps,
Lequel je n’ay pu voir sans un effort de larmes,
Tant mon navré le coeur ces violentes armes.
Soyez doncques en paix, & puissiez vous un jour,
Vous trouver glorieux au celeste sejour.
Mais cependant, DE MONTS, tu emportes la gloire
D’avoir sur mille morts obtenu la victoire,
Témoignage certain de ta grande vertu,
Soit quand tu as des flots la fureur combattu
En venant visiter cette étrange province
Pour suivre le vouloir de HENRY nôtre Prince
Soit lors que tu voiois mourir devant tes yeux
Ceux-là qui t’ont suivi en ces funestes lieux.
Je vous laisse bien loin, pepinieres de Mines
Que les rochers massifs logent dedans leurs veines,
Mines d’airain, de fer, & d’acier, & d’argent,
Et de charbon pierreux, pour saluer la gent
Qui cultive à la main la terre Armouchiquoise.
Je te saluë donc nation porte-noise
(Car tu as envers nous forfait par trahison)
Pour te dire qu’un jour nous aurons la raison
Avecque plus d’effect de ton outrecuidance,
Si qu’entre nous sera maudite ta semence.
Mais ta terre je veux saluer en tout bien,
Car un ample rapport elle nous fera bien
Quand elle sentira du François la culture.
Car en elle desja la provide Nature
A le raisin semé si plantureusement,
Et en telle beauté, que Bacchus mémement
Ne sçauroit invoqué lui faire davantage.
Mais son peuple ignorant ne sçait du fruit l’usage.
Terre, tu as encor de féves & de blés
Tes greniers souz-terrains en la moisson comblés.
Mais quoy que tes biens tu donnes abondance
Produisant d’autres fruits sans l’humaine assistance
Tes qu’avons veu la Chanve & la Courge & la Noix,
Tes féves tu ne veux ni tes blez toutefois
Produire sans travail, mais ta grand’ populace
D’un bois coupant ta brise, & en mottes t’amasse
Pour (sur le renouveau) sa semence y planter,
Mais une chose encor il me faut reciter
Qui pour sa rareté à l’écrire m’oblige,
C’est le fruit que produit la Chanve la tige,
Fruit digne que les Rois le tiennent precieux
Pour le repos du corps le plus delicieux:
C’est une soye blanche & menuë & subtile
Que la Nature pousse au creux d’une coquille,
Soye qu’en maint usage employer on pourra,
Et laquelle en cotton l’ouvrier façonnera,
Quand de bons artisans tu seras habitée
Par une volonté de pié-ferme arretée.
Puisse-je voir bien-tot cette chose arriver,
Et le François soigneux à tes champs cultiver,
Arriere des soucis d’une peineuse vie,
Loin des bruits du commun, & de la piperie.
Cherchant dessus Neptune un repos sans repos
J’ay façonné ces vers au branle de ses flots.
M. LESCARBOT.