Les naufragés du Jonathan
En dépit de son indomptable énergie, le Kaw-djer fut alors profondément découragé. A lui qui, poussé par une irrésistible passion du bien, s’était rattaché à l’humanité après une si longue rupture, voici qu’elle se dévoilait cyniquement et montrait à nu tous ses défauts, toutes ses hontes, tous ses vices! Ce qu’il avait bâti avec tant de peine croulait en un instant, et, parce que le hasard avait fait jaillir quelques parcelles d’or d’un éclat de roche, les ruines allaient s’accumuler sur cette malheureuse colonie.
Lutter, il ne le pouvait même plus. Les plus fidèles le quittaient comme les autres. Ce n’est pas avec la poignée d’hommes dont il disposait encore, et qui l’abandonneraient peut-être demain, qu’il ramènerait à la raison une multitude égarée.
Le Kaw-djer revint à Libéria. Il n’y avait rien à faire. Comme un torrent dévastateur, le fléau s’était répandu à travers l’île et la ravageait tout entière. Il fallait attendre qu’il eût épuisé sa violence.
On put croire un instant que ce moment était arrivé. Vers la mi-décembre, quinze jours après le retour du Kaw-djer au Gouvernement, quelques rares Libériens commencèrent à regagner la capitale. Les jours suivants, le mouvement s’accentua. Pour un colon qui se mettait tardivement en campagne, deux rentraient et reprenaient, l’oreille basse, leurs occupations antérieures.
Deux causes motivaient ces revirements. En premier lieu, le métier de prospecteur était moins facile à exercer qu’on ne l’avait supposé. Briser la roche à coups de pic ou laver des sables du matin au soir sont des besognes pénibles que l’espoir d’un gain rapide permet seul de supporter. Or, il n’avait pas suffi de se baisser pour ramasser des pépites, ainsi qu’on se l’était imaginé. Pour quelques-uns que leur heureuse étoile avait conduits sur une poche, on en comptait des centaines auxquels le métier de prospecteur, bien qu’infiniment plus dur que leur travail habituel, avait rapporté beaucoup moins. Sur la foi des racontars, on avait attribué aux gisements une richesse incalculable. Il fallait en rabattre. Qu’il y eût de l’or sur l’île Hoste, cela n’était pas contestable, mais on ne l’y ramassait pas à la pelle, comme on l’avait cru naïvement de prime abord. De là, pour certains colons, un découragement d’autant plus rapide que les illusions avaient été plus grandes.
D’autre part, le ralentissement des transactions commerciales et l’arrêt presque total des exploitations agricoles commençaient à produire leurs effets. Certes, on ne manquait encore de rien. Mais le prix de tous les objets de première nécessité avait énormément augmenté. Seuls pouvaient s’en rire ceux à qui la chasse à l’or avait été profitable. Ce renchérissement concourait, au contraire, à augmenter la misère des autres, pour qui la trouvaille de quelques pépites de valeur n’avait pas compensé la suppression des salaires habituels.
De là ces reculades, dont le nombre fut d’ailleurs restreint. Elles se limitèrent aux plus faibles et aux plus pauvres, et, en quelques jours, le mouvement s’arrêta.
Le Kaw-djer n’en éprouva pas de déception, parce qu’il ne s’était jamais illusionné sur son ampleur. Loin de considérer la crise comme près de s’apaiser, son regard clairvoyant découvrait de nouveaux dangers dans les ténèbres de l’avenir. Non, la crise n’était pas finie. Elle ne faisait que commencer, au contraire. Jusqu’ici, on n’avait eu à compter qu’avec les Hosteliens, mais il n’en serait pas toujours ainsi. De toutes les contrées du monde, la redoutable race des chercheurs d’or s’abattrait inévitablement sur la malheureuse île, dès que ceux-ci connaîtraient l’existence du nouveau champ ouvert à leur insatiable rapacité.
Ce fut le dix-sept janvier qu’en arriva au Bourg-Neuf le premier convoi. Ils débarquèrent d’un steamer au nombre de deux cents environ, deux cents hommes plus ou moins déguenillés, d’aspect solide, l’air résolu, brutal et farouche. Quelques-uns avaient de larges couteaux passés à la ceinture, mais de tous, sans exception, le pantalon, si minable qu’il fût, comportait une poche spéciale que gonflait la crosse d’un revolver. Ils portaient sur l’épaule un pic et un sac où étaient incluses leurs misérables nippes, et sur leur hanche gauche, une gourde, un plat et une écuelle s’entrechoquaient avec un bruit de ferraille.
Le Kaw-djer les regarda tristement débarquer. Ces deux cents aventuriers, c’était le premier tour de la chaîne dans laquelle l’île Hoste allait être garrottée.
A partir de ce jour, les arrivées se succédèrent à intervalles rapprochés. Aussitôt débarqués, les chercheurs d’or, en gens ayant l’habitude des formalités à remplir, se rendaient directement au Gouvernement et s’enquéraient des prescriptions légales en vigueur. Ils s’accordaient unanimement à les trouver exorbitantes. Remettant alors à régulariser leur situation, ils se répandaient par la ville. Le petit nombre de ses habitants et les informations qu’ils recueillaient habilement avaient tôt fait de les convaincre de la faiblesse de l’Administration hostelienne. C’est pourquoi ils se décidaient tous à passer outre à des lois que bravaient impunément les Hosteliens eux-mêmes, et, après avoir erré un ou deux jours dans les rues désertes de Libéria, ils quittaient la ville et s’éloignaient sans autre formalité à la recherche d’un claim.
Mais l’hiver vint, et, au même instant que les travaux miniers étaient arrêtés, le flot des arrivants fut tari. Le 24 mars, le dernier navire s’éloigna du Bourg-Neuf, où il avait débarqué son contingent de prospecteurs. Plus de deux mille aventuriers foulaient à ce moment le sol de l’île.
Ce navire emportait, à de nombreux exemplaires, un décret notifié par le Gouvernement de l’île Hoste à tous les États du globe. Le Kaw-djer, qui avait assisté à l’invasion avec une douleur grandissante, faisait savoir urbi et orbi que, l’île Hoste ayant une population surabondante, il serait mis obstacle, fût-ce par la force, au débarquement de tout nouvel étranger.
Cette mesure serait-elle efficace? L’avenir le dirait, mais, en son for intérieur, le Kaw-djer en doutait. Trop puissante est l’attirance de l’or sur certaines natures pour que rien ait le pouvoir de les arrêter.
D’ailleurs, le mal était fait déjà. La révolte des Hosteliens qui rejetaient toute discipline, l’inévitable misère à laquelle ils étaient condamnés, l’invasion de cette tourbe d’aventuriers, de ces gens de sac et de corde apportant avec eux tous les vices de la terre, c’était un désastre.
A cela, que pouvait-on? Rien. On ne pouvait que temporiser et attendre des jours meilleurs, s’il en devait jamais naître. Halg, Karroly, Hartlepool, Harry et Edward Rhodes, Dick, Germain Rivière et une trentaine d’autres étaient seuls contre tous. C’étaient les derniers fidèles, le bataillon sacré groupé autour du Kaw-djer, qui assistait impuissant à la destruction de son œuvre.
XII
L’ILE AU PILLAGE.
Tel fut le premier acte du drame de l’or, qui devait, comme une pièce bien charpentée, en comporter trois, correctement séparés par les entr’actes des hivers.
Les déplorables événements qui avaient constitué la trame de ce premier acte eurent forcément une immédiate répercussion sur la vie jusque-là heureuse des Hosteliens. Un petit nombre d’entre eux avaient disparu. Qu’étaient-ils devenus? On l’ignorait, mais tout portait à croire qu’ils avaient été victimes de quelque rixe ou de quelque accident. Plusieurs familles étaient donc en deuil d’un père, d’un fils, d’un frère ou d’un mari.
D’autre part, le bien-être jadis si universellement répandu sur l’île Hoste était grandement diminué. Rien ne manquait encore, à vrai dire, de ce qui est essentiel ou seulement utile à la vie, mais tout avait atteint des prix triples et quadruples de ceux pratiqués antérieurement.
Les pauvres eurent à souffrir de cet état de choses. Les efforts du Kaw-djer, qui s’ingéniait à leur procurer du travail, n’obtenaient que peu de succès. L’arrêt presque complet des transactions particulières incitait tout le monde à la prudence, et personne n’osait rien entreprendre. Quant aux travaux exécutés pour le compte de l’État, celui-ci, dont les caisses étaient vides, ne pouvait plus les continuer. Ironique conséquence de la découverte des mines, l’État manquait d’or depuis qu’on en trouvait dans le sol en abondance.
Où s’en serait-il procuré? Si quelques rares Hosteliens s’étaient résignés à payer leur concession, pas un n’avait versé, sur son extraction, la redevance fixée par la loi, et la misère générale, en supprimant toute contribution des citoyens, avait tari la source où s’alimentait jusqu’alors la caisse publique.
Quant aux fonds personnels du Kaw-djer, quelques jours suffirent à les épuiser. Il les avait largement entamés au cours de l’été, afin que les travaux du cap Horn ne fussent pas interrompus, malgré les graves difficultés au milieu desquelles il se débattait. Ce n’est pas sans mal qu’il y était parvenu. Pas plus que les autres Hosteliens, la fièvre de l’or n’épargna les ouvriers qu’on y employait. Les travaux subirent de ce chef un retard important. Au mois d’avril 1892, huit mois après le premier coup de pioche, le gros œuvre arrivait à peine à la hauteur d’un premier étage, alors que, selon les prévisions du début, il eût dû être entièrement achevé.
Parmi la vingtaine d’Hosteliens, pour qui le métier de prospecteur avait eu des résultats favorables, figurait Kennedy, l’ancien matelot du Jonathan, transformé en nabab par un heureux coup de pic, et qui se faisait suffisamment remarquer pour que sa chance ne fût ignorée de personne.
Combien possédait-il? Personne n’en savait rien, et pas même lui, peut-être, car il n’est pas certain qu’il fût capable de compter, mais beaucoup en tout cas, à en juger par ses dépenses. Il semait l’or à pleines mains. Non pas l’or monnayé ayant cours légal dans tous les pays civilisés, mais le métal en pépites ou en paillettes dont il semblait abondamment pourvu.
Ses allures étaient ébouriffantes. Il pérorait avec autorité, tranchait du milliardaire, et annonçait à qui voulait l’entendre son intention de quitter prochainement une ville où il ne pouvait se procurer l’existence convenant à sa fortune.
Pas plus que l’importance de cette fortune, personne n’en connaissait exactement l’origine, et personne n’aurait pu dire où était situé le claim d’où elle avait été extraite. Quand on interrogeait Kennedy à cet égard, il prenait des airs de mystère et rompait les chiens sans donner de réponse précise. Pourtant, on l’avait rencontré au cours de l’été. Des Libériens l’avaient aperçu, non pas travaillant d’une manière quelconque, mais en train de se promener les mains dans les poches, tout simplement.
Ils n’avaient pu oublier cette rencontre, qui, pour plusieurs, avait coïncidé avec un grand malheur qui leur était arrivé. Peu d’heures ou peu de jours après qu’ils avaient vu Kennedy, l’or arraché par eux à la terre en quantités parfois considérables leur avait été volé sans qu’on découvrît le coupable. Quand les victimes se trouvèrent réunies, la régulière concordance des vols et de la présence de Kennedy à proximité des endroits où ils avaient été commis, les frappa nécessairement, et des soupçons que n’étayait aucune preuve commencèrent à planer sur l’ancien matelot.
Celui-ci ne s’en préoccupait guère, et se contentait de l’admiration des gogos, dont la race est universelle. Ceux de Libéria se laissaient prendre à son verbiage, et son aplomb leur en imposait. Bien que tout le monde connût Kennedy pour ce qu’il valait, quelques-uns lui accordaient malgré tout une certaine considération, il recrutait une clientèle et devenait une manière de personnage.
Le Kaw-djer excédé se résolut à un acte d’autorité. Kennedy et ses pareils se riaient aussi par trop ouvertement des lois. Tant qu’il n’y avait pas eu moyen de faire autrement, on avait subi leur révolte. On devait la réprimer, du moment qu’on en possédait le pouvoir. Or, tous les colons, chassés par l’hiver, étaient de nouveau groupés, et la plupart, n’ayant pas eu à se louer de leur campagne de prospection, avaient été trop heureux de reprendre leurs fonctions régulières. La milice notamment était reconstituée, et les hommes qui la composaient semblaient, pour l’instant tout au moins, animés du meilleur esprit.
Un matin, sans que rien eût averti les intéressés du coup qui les menaçait, la police envahit le domicile de ceux des Libériens qui faisaient plus spécialement étalage de leurs richesses, et sous la direction d’Hartlepool, on y pratiqua des perquisitions en règle. De l’or qui fut trouvé en leur possession, on confisqua impitoyablement le quart, et, sur le surplus, on préleva encore les deux cents pesos ou piastres argentines auxquelles le Kaw-djer avait tarifé les concessions.
Kennedy ne se vantait pas à tort. C’est en effet chez lui que fut faite la moisson la plus abondante. La valeur de l’or qu’on y découvrit n’était pas inférieure à cent soixante-quinze mille francs en monnaie française. C’est aussi chez lui qu’on se heurta à la plus vive résistance. Pendant que l’on procédait à la visite de son domicile, on dut tenir en respect l’ancien matelot, qui écumait de rage et hurlait de furieuses imprécations.
«Tas de voleurs! criait-il, en montrant le poing à Hartlepool.
—Parle toujours, mon garçon, répondit celui-ci, tout en continuant sa perquisition sans s’émouvoir autrement.
—Vous me le payerez! menaça Kennedy que le sang-froid de son ancien chef exaspérait plus encore.
—Eh! Eh! il me semble que c’est toi qui payes, pour l’instant, railla impitoyablement Hartlepool.
—On se reverra!
—Quand tu voudras. Le plus tard possible à mon goût.
—Voleur!... cria Kennedy au paroxysme de la colère.
—Tu te trompes, répliqua Hartlepool d’un ton bonhomme, et la preuve en est que, sur tes cinquante-trois kilos d’or, je ne prends que treize kilos deux cent cinquante grammes exactement, soit le quart, plus la valeur des deux cents piastres que tu sais. Il va de soi que, pour ton argent...
—Misérable!...
—Tu as droit à une concession en règle.
—Brigand!...
—Tu n’as qu’à nous dire où est ton claim.
—Bandit!...
—Tu ne veux pas?...
—Canaille!...
—A ton aise, mon garçon!» conclut Hartlepool en mettant fin à cette scène.
Tout compte fait, les perquisitions rapportèrent au trésor près de trente-sept kilos d’or, représentant en monnaie française une valeur d’environ cent vingt-deux mille francs. En échange, des concessions régulières furent délivrées. Seul Kennedy n’eut même pas cet avantage, en raison de son obstination à ne pas désigner l’emplacement du claim où il avait fait une si belle récolte.
La somme ainsi recueillie fut placée dans la caisse de l’État. Quand, au printemps, les relations seraient reprises avec le reste du monde, on l’échangerait contre des espèces ayant cours. En attendant, le Kaw-djer, ayant largement publié le résultat des perquisitions, créa pour une somme égale du papier-monnaie auquel on accorda toute confiance, ce qui lui permit de soulager bien des misères.
L’hiver s’écoula vaille que vaille, et l’on atteignit le printemps. Aussitôt, les mêmes causes produisirent les mêmes effets. Comme l’année précédente, Libéria fut désertée. La leçon n’était pas suffisante. On se ruait à la conquête de l’or, avec plus de frénésie encore peut-être, comme ces joueurs aux trois quarts ruinés qui jettent sur le tapis leurs derniers sous dans l’espoir absurde de se refaire.
Kennedy fut un des premiers à partir. Ayant mis bien à l’abri l’or qui lui restait, il disparut un matin, en route sans doute vers le claim mystérieux dont il s’était obstiné à ne pas révéler l’emplacement. Ceux qui s’étaient promis de le suivre en furent pour leurs frais.
La milice elle-même, cette garde si dévouée et si fidèle tant qu’avait duré la mauvaise saison, fondit de nouveau avec la neige, et, réduit au seul secours de ses amis les plus proches, le Kaw-djer dut assister en spectateur au second acte du drame.
Les scènes, toutefois, s’en déroulèrent plus rapidement que celles du premier. Moins de huit jours après leur départ, quelques Libériens commencèrent déjà à revenir, puis les retours se succédèrent selon une progression accélérée. La milice se reconstitua pour la deuxième fois. Les hommes reprenaient en silence le poste qu’ils avaient abandonné, sans que le Kaw-djer leur fit aucune observation. Ce n’était pas le moment de se montrer sévère.
Tous les renseignements concordaient à établir que la situation se modifiait d’une manière identique dans l’intérieur. Les fermes, les usines, les comptoirs se repeuplaient. Le mouvement était général comme la cause qui le motivait.
Les chercheurs d’or avaient trouvé, en effet, une situation tout autre que celle de l’année précédente. Alors, ils étaient entre Hosteliens. Maintenant, l’élément étranger était entré en scène et il fallait compter avec lui. Et quels étrangers! Le rebut de l’humanité. Des êtres frustes, demi-brutes, habitués à la dure et ne craignant ni la souffrance ni la mort, impitoyables pour eux-mêmes et pour autrui. Il fallait se battre, pour la possession des claims, contre ces hommes avides qui s’étaient assuré les meilleures places dès le début de la saison. Après une lutte plus ou moins longue selon les caractères, la plupart des Hosteliens y avaient renoncé.
Il était temps que ce renfort arrivât. L’invasion commencée à la fin de l’été précédent avait déjà repris d’une manière beaucoup plus intense. Chaque semaine, deux ou trois steamers amenaient leur cargaison de prospecteurs étrangers. Le Kaw-djer avait vainement tenté de s’opposer à leur débarquement. Les aventuriers, passant outre à une interdiction que la force n’appuyait pas, débarquaient malgré lui et sillonnaient Libéria de leurs bandes bruyantes avant de se mettre en route pour les placers.
Les navires affectés au transport des chercheurs d’or étaient presque les seuls qu’on aperçût au port du Bourg-Neuf. Que fussent venus faire les autres, en effet? Les affaires étaient complètement arrêtées. Ils n’eussent pas trouvé à charger. Les stocks de bois de construction et de fourrures avaient été épuisés dès la première semaine. Quant au bétail, aux céréales et aux conserves, le Kaw-djer s’était énergiquement opposé à leur exportation qui eût réduit la population à toutes les horreurs de la famine.
Dès que le Kaw-djer put disposer de deux cents hommes, les envahisseurs de l’île eurent la partie moins belle. Lorsque deux cents baïonnettes appuyèrent les arrêtés du Gouverneur, ces arrêtés devinrent du coup respectables et furent respectés. Après avoir essayé vainement d’en faire fléchir la rigueur, les steamers durent reprendre le large avec la détestable cargaison qu’ils avaient apportée.
Mais, ainsi qu’on ne tarda pas à le savoir, leur retraite n’était qu’une ruse. Obligés de céder devant la force, les navires s’élevaient le long de la côte orientale ou occidentale de l’île, et, profitant de l’abri d’une crique, ils débarquaient leur chargement humain en pleine campagne, à l’aide de leurs embarcations. Les brigades volantes que l’on créa pour la surveillance du littoral ne servirent à rien. Elles furent débordées. Ceux qui voulaient mettre pied sur l’île réussissaient toujours à y atterrir, et le flot des aventuriers ne cessa de grossir.
Le désordre atteignait au comble dans l’intérieur. Ce n’étaient qu’orgies et plaisirs crapuleux, coupés de disputes, voire de batailles sanglantes au revolver ou au couteau. Comme les cadavres attirent les hyènes et les vautours des confins de l’horizon, ces milliers d’aventuriers avaient attiré toute une population plus dégradée encore. Ceux qui composaient cette seconde série d’immigrés ne songeaient pas à trimer à la recherche de l’or. Leurs mines, leurs claims, c’étaient les chasseurs d’or eux-mêmes, d’une exploitation infiniment plus aisée. Sur tous les points de l’île, à l’exception de Libéria où l’on n’eût pas osé braver si ouvertement le Kaw-djer, les cabarets et les tripots pullulaient. On y trouvait jusqu’à des music-halls de bas étage, élevés en pleine campagne à l’aide de quelques planches, où de malheureuses femmes charmaient les mineurs ivres de leurs voix éraillées et de leurs grossiers refrains. Dans ces tripots, dans ces music-halls, dans ces cabarets, l’alcool, ce générateur de toutes les hontes, ruisselait et coulait à pleins bords.
En dépit de si grandes tristesses, le Kaw-djer ne perdait pas courage. Ferme à son poste, centre autour duquel on se réunirait quand, la tourmente passée, il s’agirait de reconstruire, il s’ingéniait à reconquérir la confiance des Hosteliens, qui, lentement, mais sûrement, revenaient à la raison. Rien ne semblait avoir de prise sur lui, et, volontairement aveugle aux défections, il continuait imperturbablement son métier de Gouverneur. Il n’avait même pas négligé la construction du phare qui lui tenait si fort à cœur. Par son ordre, Dick fit, au cours de l’été, un voyage d’inspection à l’île Horn. Malgré tout, les travaux, assurément ralentis, n’avaient pas été arrêtés un seul jour. A la fin de l’été, le gros œuvre serait terminé et les machines seraient en place. Un mois suffirait alors pour mener à bien le montage.
Vers le 15 décembre, la moitié des Hosteliens étaient rentrés dans le devoir, tandis que s’exaspérait encore l’infernal sabbat de l’intérieur. Ce fut à cette époque que le Kaw-djer reçut une visite inattendue dont les conséquences devaient être des plus heureuses. Deux hommes, un Anglais et un Français, arrivés par le même bateau, se présentèrent ensemble au Gouvernement. Immédiatement admis près du Kaw-djer, ils déclinèrent leurs noms, Maurice Reynaud, pour le Français, Alexander Smith, pour l’Anglais, et, sans paroles superflues, firent connaître qu’ils désiraient obtenir une concession.
Le Kaw-djer sourit amèrement.
«Permettez-moi de vous demander, Messieurs, dit-il, si vous êtes au courant de ce qui se passe en ce moment sur l’île Hoste?
—Oui, répondit le Français.
—Mais nous préférons tout de même être en règle, acheva l’Anglais.
Le Kaw-djer considéra plus attentivement ses interlocuteurs. De races différentes, ils avaient entre eux quelque chose de commun: cet air de famille des hommes d’action. Tous deux étaient jeunes, trente ans à peine. Ils avaient les épaules larges, le sang à fleur de peau. Leur front, que découvraient des cheveux taillés en brosse, dénotait l’intelligence, et leur menton saillant une énergie qui eût confiné à la dureté si le regard très droit de leurs yeux bleus ne l’avait adouci.
Pour la première fois, le Kaw-djer avait devant lui des chercheurs d’or sympathiques.
—Ah! vous savez cela, dit-il. Vous ne faites qu’arriver, je crois, cependant.
—C’est-à-dire que nous revenons, expliqua Maurice Reynaud. L’année dernière, nous avons déjà passé quelques jours ici. Nous n’en sommes repartis qu’après avoir prospecté et reconnu l’emplacement que nous désirons exploiter.
—Ensemble? demanda le Kaw-djer.
—Ensemble, répondit Alexander Smith.
Le Kaw-djer reprit, avec une expression de regret qui n’était pas feinte:
—Puisque vous êtes si bien renseignés, vous devez également savoir que je ne puis vous donner satisfaction, la loi que vous désirez respecter réservant toute concession aux citoyens hosteliens.
—Pour les claims, objecta Maurice Raynaud.
—Eh bien? interrogea le Kaw-djer.
—Il s’agit d’une mine, expliqua Alexander Smith. La loi est muette sur ce point.
—En effet, reconnut le Kaw-djer, mais une mine est une lourde entreprise, qui exige d’importants capitaux...
—Nous les possédons, interrompit Alexander Smith. Nous ne sommes partis que pour nous les procurer.
—Et c’est chose faite, dit Maurice Reynaud. Nous représentons ici la Franco-English Gold Mining Company, dont mon camarade Smith est l’ingénieur en chef, et dont je suis le directeur, société constituée à Londres le 10 septembre dernier, au capital de quarante mille livres sterling, sur lesquelles moitié représentent notre apport, et vingt mille livres le working-capital. Si nous traitons, comme je n’en doute pas, le steamer qui nous a amenés emportera nos commandes. Avant huit jours, les travaux seront commencés, dans un mois nous aurons les premières machines, et dès l’année prochaine notre outillage sera au complet.
Le Kaw-djer très intéressé par l’offre qui lui était faite, réfléchissait à la manière dont il devait l’accueillir. Il y avait du pour et du contre. Ces jeunes gens lui plaisaient. Il était enchanté de leur caractère décidé et de leur aspect de saine franchise. Mais permettre à une société franco-anglaise de s’implanter dans l’île Hoste et de s’y créer des intérêts considérables, n’était-ce pas ouvrir la porte à de futures complications internationales? La France et l’Angleterre, sous prétexte de soutenir leurs nationaux, n’auraient-elles pas un jour la tentation de s’ingérer dans l’administration intérieure de l’île? Le Kaw-djer, en fin de compte, se résolut à donner une réponse affirmative. La proposition était trop sérieuse pour être rejetée, et, puisque la maladie de l’or était désormais inévitable, mieux valait, au lieu de la laisser éparse à travers tout le territoire, la localiser dans quelques foyers faciles à surveiller, en divisant au besoin tous les gisements entre un petit nombre de sociétés importantes.
—J’accepte, dit-il. Toutefois, puisqu’il s’agit de travaux en profondeur, j’estime que les conditions prévues pour des concessions de claims doivent être modifiées.
—Comme il vous plaira, répondit Maurice Reynaud.
—Il y a lieu de fixer un prix à l’hectare.
—Soit!
—Cent piastres argentines par exemple.
—C’est entendu.
—Quelle serait l’étendue de votre concession?
—Cent hectares.
—Ce serait donc dix mille piastres.
—Les voici, dit Maurice Reynaud en libellant rapidement un chèque.
—Par contre, reprit le Kaw-djer, on pourrait, en raison des frais qui seront plus élevés que pour une exploitation de surface, abaisser le taux de notre participation à votre extraction. Je vous propose vingt pour cent.
—Nous acceptons, déclara Alexander Smith.
—Nous sommes donc d’accord?
—Sur tous les points.
—Il est de mon devoir de vous prévenir, ajouta le Kaw-djer, que, pendant un certain temps tout au moins, l’État hostelien est dans l’impossibilité de vous garantir la libre disposition de la concession qu’il vous accorde et de protéger efficacement vos personnes.
Les deux jeunes gens sourirent avec assurance.
—Nous saurons nous protéger nous-mêmes,» répondit tranquillement Maurice Reynaud.
La concession signée, le titre en fut remis aux deux amis, qui prirent aussitôt congé. Trois heures plus tard, ils avaient quitté Libéria, en route pour l’extrémité occidentale de la chaîne médiane de l’île, où se trouvait leur concession.
Loin de s’apaiser, l’anarchie de l’intérieur ne fit que s’accroître à mesure que l’été s’avançait. L’exagération s’en mêlant, les imaginations se montant dans l’Ancien et dans le Nouveau Monde, on y regardait l’île Hoste comme une poche extraordinaire, comme une île en or. Aussi les prospecteurs affluaient-ils. Repoussés du port, ils filtraient par toutes les baies de la côte. Dans les derniers jours de janvier, le Kaw-djer, s’en référant aux renseignements qui lui arrivaient de divers côtés, ne put évaluer à moins de vingt mille le nombre des étrangers entassés sur quelques points où ils finiraient par s’entre-dévorer. Que n’avait-on pas à redouter de ces forcenés déjà en lutte sanglante pour la possession des claims, lorsque la famine les jetterait les uns sur les autres!
Ce fut vers cette époque que le désordre atteignit son maximum. Dans cette foule sans frein, il se déroula de véritables scènes de sauvagerie dont plusieurs Hosteliens furent les victimes. Dès que la nouvelle lui en parvint, le Kaw-djer se rendit courageusement aux placers et se lança au milieu de cette tourbe. Tous ses efforts furent inutiles, et son intervention faillit même tourner très mal pour lui. On le repoussa, on le menaça, et peu s’en fallut qu’elle ne lui coûtât la vie.
Elle eut par contre un résultat auquel il était loin de s’attendre. La foule hétérogène des aventuriers comprenait des gens, non seulement de toutes les races du monde, mais aussi de toutes les conditions. Semblables dans leur déchéance actuelle, ils étaient au contraire fort différents par leurs origines. Si la plupart sortaient du ruisseau et de ces repaires où se terrent entre deux crimes les bandits des grandes villes, quelques-uns étaient nés dans de plus hautes sphères sociales. Plusieurs, même, portaient des noms connus et avaient possédé une fortune considérable, avant de rouler dans l’abîme, ruinés, déshonorés, avilis par la débauche et par l’alcool.
Certains de ces derniers, on ne sut jamais lesquels, reconnurent le Kaw-djer, comme l’avait autrefois reconnu le commandant du Ribarto, mais avec plus d’assurance que le capitaine chilien qui s’en référait uniquement à une photographie déjà ancienne. Eux, au contraire, ils avaient vu le Kaw-djer en chair et en os au cours de leurs pérégrinations à travers le monde, et, quelle que fût la longueur du temps écoulé, ils ne pouvaient s’y tromper, car celui-ci occupait alors une situation trop en évidence pour que ses traits ne se fussent pas gravés dans leur mémoire. Son nom courut aussitôt de bouche en bouche.
C’était un illustre nom qu’on lui attribuait, et, disons-le tout de suite, on le lui attribuait justement.
Descendant de la famille régnante d’un puissant empire du Nord, voué par sa naissance à commander en maître, le Kaw-djer avait grandi sur les marches d’un trône. Mais le sort, qui se complaît parfois à ces ironies, avait donné à ce fils des Césars l’âme d’un Saint-Vincent de Paul anarchiste. Dès qu’il eut l’âge d’homme, sa situation privilégiée fut pour lui une source, non de bonheur, mais de souffrance. Les misères dont il était entouré l’obscurcirent à ses yeux. Ces misères, il s’efforça d’abord de les soulager. Il dut reconnaître bientôt qu’une telle entreprise excédait son pouvoir. Ni sa fortune, bien qu’elle fût immense, ni la durée de sa vie n’eussent suffi à atténuer seulement la cent-millionième partie du malheur humain. Pour s’étourdir, pour endormir la douleur que lui causait le sentiment de son impuissance, il se jeta dans la Science, comme d’autres se seraient jetés dans le plaisir. Mais, devenu médecin, ingénieur, sociologue de haute valeur, son savoir ne lui donna pas davantage le moyen d’assurer à tous l’égalité dans le bonheur. De déception en déception, il perdit peu à peu son clair jugement. Prenant l’effet pour la cause, au lieu de considérer les hommes comme des victimes luttant en aveugles à travers les siècles contre la matière impitoyable, et faisant, après tout, de leur mieux, il en vint à rendre responsables de leur malheur les diverses formes d’association auxquelles les collectivités se sont résignées, faute d’en connaître de meilleures. La haine profonde qu’il en conçut contre toutes ces institutions, toutes ces organisations sociales qui, d’après lui, créaient la pérennité du mal, lui rendit impossible de continuer à subir leurs lois détestées.
Pour s’en affranchir, il ne vit pas d’autre moyen que de se retrancher volontairement des vivants. Sans prévenir personne, il était donc parti un beau jour, abandonnant son rang et ses biens, et il avait parcouru le monde jusqu’au moment où s’était rencontrée une région, la seule peut-être, où régnât une indépendance absolue. C’est ainsi qu’il avait échoué en Magellanie, où, depuis six ans, il se prodiguait sans mesure aux plus déshérités des humains, lorsque l’accord chilo-argentin, puis le naufrage du Jonathan étaient venus troubler son existence.
Ces disparitions princières, causées par des motifs, sinon identiques, du moins analogues à ceux qui avaient déterminé le Kaw-djer, ne sont pas absolument rares. Tout le monde a dans la mémoire le nom de plusieurs de ces princes, d’autant plus célèbres—tant leur renoncement a semblé prodigieux!—qu’ils ont avec plus de passion cherché à s’effacer. Il en est qui ont embrassé une profession active et l’ont exercée comme le commun des mortels. D’autres se sont confinés dans l’obscurité d’une vie bourgeoise. Un autre de ces grands seigneurs revenus des vanités d’ici-bas s’est consacré à la Science et a produit de nombreux et magnifiques ouvrages qui sont universellement admirés. Du Kaw-djer, qui avait fait de l’altruisme le pôle et la raison d’être de sa vie, la part n’était pas assurément la moins belle.
Une seule fois, au moment où il avait pris le Gouvernement de la colonie, il avait consenti à se souvenir de sa grandeur passée. Il connaissait assez l’esprit des lois humaines pour savoir quelles conséquences avait eues son départ. Si elles s’occupent assez peu des personnes, ces lois sont fort attentives à la conservation des biens qu’elles protègent avec sollicitude. C’est pourquoi, alors même qu’on l’aurait profondément oublié, il n’y avait pas lieu de douter que sa fortune n’eût été scrupuleusement respectée. Une partie de cette fortune pouvant être alors d’un puissant secours, il avait passé outre à ses répugnances en dévoilant sa véritable personnalité à Harry Rhodes, et celui-ci, muni de ses instructions, était parti à la recherche de cet or que l’île Hoste rendait maintenant avec une si déplorable abondance.
L’effet produit sur les Hosteliens et sur les aventuriers par la divulgation du nom du Kaw-djer fut diamétralement opposé. Ni les uns ni les autres ne virent juste, d’ailleurs, et par tous le côté sublime de ce grand caractère fut également méconnu.
Les prospecteurs étrangers, vieux routiers qui avaient parcouru la Terre en tous sens et s’étaient trop frottés à tous les mondes pour être épatés, comme on dit, par les distinctions sociales, détestèrent plus encore celui qu’ils considéraient comme leur ennemi. Pas étonnant qu’il inventât des lois si dures aux pauvres gens. C’était un aristocrate. Cela expliquait tout à leurs yeux.
Les Hosteliens, au contraire, ne restèrent pas insensibles à la gloire d’être gouvernés par un chef de si haut lignage. Leur vanité en fut agréablement flattée, et l’autorité du Kaw-djer en bénéficia.
Celui-ci était revenu à Libéria désespéré, écœuré des abominations qu’il avait constatées, à ce point que, dans son entourage, on se prit à envisager l’éventualité d’un abandon de l’île Hoste. Toutefois, avant d’en arriver à cette extrémité, Harry Rhodes agita la question de recourir au Chili. Peut-être convenait-il de tenter cette suprême chance de salut.
«Le Gouvernement chilien ne nous abandonnera pas, fit-il observer. Il est de son intérêt que la colonie retrouve sa tranquillité.
—Un appel à l’étranger! s’écria le Kaw-djer.
—Il suffirait, reprit Harry Rhodes, qu’un des navires de Punta-Arenas vînt croiser en vue de l’île. Il n’en faudrait pas plus pour mettre ces misérables à la raison.
—Que Karroly parte pour Punta-Arenas, dit Hartlepool, et avant quinze jours...
—Non, interrompit le Kaw-djer d’un ton sans réplique. Dût la nation hostelienne périr, jamais une pareille démarche ne sera faite de mon consentement. Mais, d’ailleurs, tout n’est pas perdu encore. Avec du courage, nous nous sauverons, comme nous nous sommes faits, nous-mêmes.»
Devant une volonté si nettement exprimée, il n’y avait qu’à s’incliner.
Quelques jours plus tard, comme pour justifier cette énergie que rien ne pouvait abattre, un courant de réaction beaucoup plus important que les précédents se dessina parmi les Hosteliens. C’est qu’aussi la situation devenait impossible sur les placers. En compétition avec des aventuriers sans scrupule, qui considéraient un coup de couteau comme un très naturel argument de discussion, la partie pour eux était trop inégale. Ils renonçaient donc à la lutte, et venaient se réfugier près d’un chef à qui ils n’étaient pas loin d’attribuer un pouvoir sans limites, depuis qu’ils en connaissaient le véritable nom. En quelques jours, tant à Libéria que dans le reste de l’île, tout le monde eut repris sa situation antérieure.
Parmi ceux qui revenaient, on eût vainement cherché Kennedy, demeuré sur les placers avec les aventuriers ses pareils. De mauvais bruits continuaient à courir sur l’ancien matelot. Comme l’année précédente, personne ne l’avait vu laver ni prospecter pour son compte, et sa présence avait encore coïncidé à plusieurs reprises avec des vols, et même, par deux fois, avec des assassinats ayant le vol pour mobile. De ces racontars à une accusation franche, il n’y avait qu’un pas.
Ce pas, on ne pouvait, pour l’instant tout au moins, espérer le franchir. Dans ce pays troublé, toute enquête eût été impossible. Que les bruits fussent fondés ou non, il fallait renoncer a les tirer au clair.
La nature du Kaw-djer était trop haute pour connaître la rancune. Mais, quand bien même il en eût été capable, l’aspect des colons eût suffi à la dissiper. Ils revenaient déchus, dans un état de misère et d’épuisement lamentables. Dans cette population nomade, qui avait ramassé les germes morbides de tous les ciels, et qui grouillait sur les placers, presque sans abri, exposée aux intempéries d’un climat souvent orageux en été, respirant l’air des marécages dont elle remuait les boues malsaines, la maladie s’était déchaînée avec rage. Les Libériens regagnaient leur ville, amaigris, tremblants de fièvre, et, durant un long mois, le Dr Arvidson ne suffisant pas à la tâche, le Kaw-djer fut plutôt médecin que Gouverneur.
Malgré tout, cependant un grand espoir le transportait. Cette fois, il avait conscience que son peuple lui était rendu. Il le sentait vibrant dans sa main, accablé de ses fautes et frémissant du désir de se les faire pardonner. Encore un peu de patience, et il disposerait de la force nécessaire pour lutter contre le cancer immonde qui s’était attaqué à son œuvre.
Vers la fin de l’été, l’île Hoste était en fait divisée en deux zones bien distinctes. Dans l’une, la plus grande, cinq mille Hosteliens, hommes, femmes et enfants, revenus à leur vie normale et reprenant peu à peu leurs occupations régulières. Dans l’autre, sur quelques espaces étroits autour des terrains aurifères, vingt mille aventuriers, prêts à tout, et dont l’impunité accroissait l’audace. Ils osaient maintenant venir à Libéria et traitaient la ville en pays conquis. Ils parcouraient insolemment les rues, la tête haute, en faisant résonner leurs talons, et s’appropriaient sans scrupule où ils le trouvaient ce qui était à leur convenance. Si l’intéressé protestait, ils répondaient par des coups.
Mais le jour vint enfin où le Kaw-djer, se sentant assez fort pour entamer la lutte, se résolut à faire un exemple. Ce jour-là, les chercheurs d’or qui s’aventurèrent dans Libéria furent appréhendés et incarcérés, sans autre forme de procès, dans l’unique steamer qui se trouvât alors au Bourg-Neuf, et que le Kaw-djer affréta dans ce but. L’opération fut renouvelée les jours suivants, si bien que, le 15 mars, au moment où le steamer appareilla, il emportait plus de cinq cents de ces passagers involontaires solidement bouclés à fond de cale.
Ces expulsions sommaires eurent leur écho dans l’intérieur et y déchaînèrent de furieuses colères. D’après les nouvelles qu’on en recevait, toute la région aurifère était en fermentation, et on devait s’attendre à une révolte générale. Déjà, il n’y avait plus de sécurité dans aucune partie de l’île. Signes prémonitoires des crimes collectifs, les crimes individuels se multipliaient. Des fermes étaient pillées, des têtes de bétail enlevées. Coup sur coup, à vingt kilomètres de Libéria, trois assassinats furent commis. Puis on apprit que les prospecteurs étrangers se concertaient, qu’ils tenaient des meetings, que, devant des milliers d’auditeurs, des discours d’une incroyable violence étaient prononcés. Les orateurs ne parlaient de rien moins que de marcher sur la capitale et de la détruire de fond en comble. Or, pour les esprits clairvoyants, cela était peu de chose encore. Bientôt les vivres allaient manquer. Quand la faim tenaillerait les entrailles de cette populace en délire, sa rage serait décuplée. Il fallait s’attendre au pire...
Soudain tout s’apaisa. L’hiver était revenu, glaçant l’âme tumultueuse des hommes. Et, du ciel gris, tout ouaté de neige, l’avalanche implacable des flocons tombait, comme un rideau, sur le deuxième acte du drame.
XIII
UNE «JOURNÉE».
Non seulement l’égarement des Hosteliens avait presque entièrement supprimé la production de l’île, mais encore une population quintuplée devait vivre sur les stocks à peu près épuisés. Aussi la misère fut-elle atroce pendant l’hiver de 1893. Les cinq mois qu’il dura, le Kaw-djer accomplit une tâche formidable. Il lui fallut résoudre au jour le jour des difficultés sans cesse renaissantes, venir au secours des affamés, soigner les innombrables malades, être, en un mot, partout à la fois. En constatant cette indomptable énergie et ce dévouement inaltérable, les Libériens furent frappés d’admiration et écrasés de remords. Voilà comment se vengeait celui qui avait renoncé, on le savait maintenant, à une si merveilleuse existence pour partager leur vie de misère, et qu’ils avaient pourtant si lâchement renié!
Malgré tous les efforts du Kaw-djer, c’est à grand’peine qu’on put se procurer le strict nécessaire à Libéria. Que devait-ce être dans les campagnes? Que devait-ce être surtout aux placers, où s’entassaient des milliers d’hommes qui n’avaient sûrement pris aucune mesure pour combattre un climat dont ils ignoraient les rigueurs?
Il était trop tard pour réparer leur imprévoyance. Ils étaient bloqués par les neiges et ne pouvaient plus compter que sur les ressources de leurs alentours les plus proches. Ces ressources, tant de bouches affamées les auraient épuisées en quelques jours.
Ainsi qu’on l’apprit plus tard, quelques-uns réussirent cependant à vaincre tous les obstacles et s’avancèrent parfois fort loin à travers l’île. Entre eux et plusieurs fermiers, il y eut des batailles sanglantes. La férocité humaine dépassait celle de la nature. L’hiver avait diminué, mais non tari le flot de sang qui rougissait la terre.
Toutefois, peu nombreux furent ceux qui bravèrent à la fois, dans ces incursions audacieuses, l’hostilité des hommes et celle des choses. Comment vécurent les autres? Tout ce qu’on en devait jamais savoir, c’est que beaucoup étaient morts de froid et de faim. Quant à la manière dont leurs compagnons plus heureux avaient assuré leur existence, cela demeura toujours un mystère.
Mais le Kaw-djer n’avait pas besoin de connaître les choses dans le détail pour concevoir de quelles tortures ces misérables étaient la proie. Il devinait leur désespoir et comprenait que ce désespoir se changerait en fureur aux premiers rayons du printemps. C’est alors que le danger deviendrait réellement menaçant. Les routes rendues libres par la fonte des neiges, cette populace affamée se répandrait de tous côtés et mettrait l’île au saccage...
Deux jours après le dégel, on apprit, en effet, que la concession de la Franco-English Gold Mining Company, que dirigeaient le Français Maurice Reynaud et l’Anglais Alexander Smith, avait été attaquée par une bande de forcenés. Mais, ainsi qu’ils l’avaient dit au Kaw-djer, les deux jeunes gens avaient su se défendre eux-mêmes. Réunissant leurs ouvriers, au nombre déjà de plusieurs centaines, ils avaient repoussé les assaillants, non sans leur infliger des pertes sérieuses.
Quelques jours après, on reçut la nouvelle d’une série de crimes commis dans la région du Nord. Des fermes avaient été pillées, et les propriétaires chassés de chez eux, ou même parfois assommés purement et simplement. Si on laissait faire ces bandits, il ne leur faudrait pas un mois pour dévaster l’île entière. Il était temps d’agir.
La situation était infiniment meilleure que celle de l’année précédente. Si le printemps avait déterminé de violents remous dans la foule éparse des aventuriers, il n’avait eu aucune influence sur la manière d’être des Hosteliens. Cette fois, la leçon était suffisante. A l’exception de la centaine d’égarés qui s’étaient obstinés à demeurer aux placers et qui sans doute avaient péri à l’heure actuelle, la population de Libéria n’avait pas diminué d’une unité. Personne n’avait eu la pensée d’entamer une troisième campagne de prospection. Pour quelques rares colons servis par un hasard favorable, la plupart étaient revenus ruinés, leur santé compromise, leur avenir à jamais perdu. Et encore, des modestes fortunes récoltées sur les placers, la plus grande part avait été dissipée, ainsi que cela arrive fatalement, dans les cabarets, dans les tripots de bas étage, où les détonations des revolvers se mêlaient aux hurlements des joueurs. Tous se rendaient compte de leur folie et nul n’avait envie de recommencer l’expérience.
Le Kaw-djer disposait donc de la milice au complet. Mille hommes enrégimentés, disciplinés, obéissant à des chefs reconnus, c’est une force sérieuse, et, bien que les adversaires fussent vingt fois plus nombreux, il ne doutait pas de les mettre à la raison. Quelques jours de patience, afin de laisser aux routes détrempées par la fonte des neiges le temps de sécher un peu, et des colonnes sillonneraient l’île, la balayeraient de bout en bout des aventuriers qui l’infestaient...
Ceux-ci le devancèrent. Ce furent eux qui provoquèrent la tragédie rapide et terrible qui décida du sort de l’île.
Le 3 novembre, alors que les chemins étaient encore transformés en marécages, des Hosteliens de la campagne, accourus au galop de leurs chevaux, avertirent le Kaw-djer qu’une colonne, forte d’un millier de chercheurs d’or, marchait contre la ville. Les intentions de ces hommes, on les ignorait, mais elles ne devaient pas être pacifiques, à en juger par leur attitude et par leurs cris menaçants.
Le Kaw-djer prit ses mesures en conséquence. Par son ordre, la milice fut rassemblée devant le Gouvernement et barra les rues qui débouchaient sur la place. Puis on attendit les événements.
La colonne annoncée atteignit vers la fin du jour Libéria, où l’écho de ses chants et de ses cris l’avait précédée. Les prospecteurs, qui croyaient surprendre, eurent au contraire la surprise de se heurter à la milice hostelienne rangée en bataille, et leur élan en fut brisé. Ils s’arrêtèrent interdits. Au lieu d’agir à l’improviste, comme tel était leur projet, voilà qu’ils étaient obligés de parlementer!
D’abord, ils discutèrent entre eux à grand renfort de gestes et de cris, puis ceux qui se trouvaient en tête firent connaître à Hartlepool qu’ils désiraient parler au Gouverneur. Leur requête transmise de proche en proche obtint un accueil favorable. Le Kaw-djer consentait à recevoir dix délégués.
Ces dix délégués, il fallut les désigner, ce qui motiva une recrudescence de discussions et de clameurs. Enfin ils se présentèrent devant le front de la milice qui ouvrit ses rangs pour les laisser passer. Le mouvement, sur un bref commandement d’Hartlepool, fut exécuté avec une perfection remarquable. De vieux soldats n’eussent pas mieux fait. Les délégués des prospecteurs en furent impressionnés. Ils le furent plus encore, quand, sur un nouveau commandement de son chef, la milice, manœuvrant avec une égale sûreté, referma ses rangs derrière eux.
Le Kaw-djer se tenait debout au centre de la place, dans l’espace restant libre en arrière des troupes. Tandis que les délégués se dirigeaient vers lui, on put les contempler à loisir. Vus de près, leur aspect n’était pas rassurant. Grands, les épaules larges, ils paraissaient robustes, bien que les privations de l’hiver les eussent amaigris. Pour la plupart vêtus de cuir dont une épaisse couche de crasse uniformisait la couleur première, ils avaient des chevelures hirsutes et des barbes touffues qui faisaient ressembler leurs visages à des mufles de fauves. Au fond de leurs orbites caves luisaient des yeux de loups, et ils serraient les poings en marchant.
Le Kaw-djer demeura immobile, sans avancer d’un pas au-devant d’eux, et, quand ils furent arrivés près de lui, il attendit tranquillement qu’ils lui fissent connaître le but de leur démarche.
Mais les délégués des prospecteurs ne se pressaient pas de parler. Ils s’étaient découverts instinctivement en abordant le Kaw-djer, et, rangés en demi-cercle autour de lui, ils se dandinaient gauchement d’une jambe sur l’autre. Leur apparence farouche était trompeuse. Ils semblaient, au contraire, assez petits garçons et fort embarrassés de leur personne, en se voyant isolés de leurs camarades, dans la solitude de cette vaste place, devant cet homme qui les dominait de la tête, à l’attitude grave et froide, et dont la majesté leur en imposait.
Enfin, leur trouble s’atténua, ils retrouvèrent leur langue et l’un d’eux prit la parole.
«Gouverneur, dit-il, nous venons au nom de nos camarades...
L’orateur, intimidé, s’interrompit. Le Kaw-djer ne fit rien pour l’aider à renouer le fil de son discours. Le prospecteur reprit:
—Nos camarades nous ont envoyés...
Nouvel arrêt de l’orateur et pareil mutisme du Kaw-djer.
—Enfin, nous sommes leurs délégués, quoi! expliqua un autre aventurier impatient de ces hésitations.
—Je sais, dit le Kaw-djer froidement. Après?
Les délégués furent interloqués. Eux qui pensaient faire trembler!... Voilà comment on les redoutait!... Il y eut encore un silence. Puis un troisième prospecteur, remarquable par l’ampleur de sa barbe inculte, réunit tout son courage et entra dans le vif de la question.
—Après?... Il y a, après, que nous avons à nous plaindre. Voilà ce qu’il y a, après.
—De quoi?
—De tout. Nous ne pouvons pas nous en tirer, tant on nous montre ici de mauvais vouloir.
Quelque sérieuse que fût la situation, le Kaw-djer ne put s’empêcher d’être intérieurement égayé par la plaisante ironie d’une telle récrimination dans la bouche d’un des envahisseurs de l’île Hoste.
—Est-ce tout? demanda-t-il.
—Non, répondit le troisième prospecteur, qui possédait décidément la langue la mieux pendue. On voudrait aussi, nous autres, que les claims ne soient pas à qui veut les prendre. Il faut se battre pour les avoir. Les gentlemen—l’aventurier, un Américain de l’Ouest, employa ce mot le plus sérieusement du monde—préféreraient des concessions, comme ça se fait partout... Ce serait plus... officiel, ajouta-t-il après un moment de réflexion avec une conviction divertissante.
—Est-ce tout? répéta le Kaw-djer.
—Savoir!... répondit le prospecteur à la grande barbe. Mais, avant de passer à autre chose, les gentlemen voudraient une réponse au sujet des concessions.
—Non, dit le Kaw-djer.
—Non?...
—La réponse est: non, précisa le Kaw-djer.
Les délégués relevèrent la tête avec ensemble. Des lueurs mauvaises commencèrent à passer dans leurs yeux.
—Pourquoi? demanda l’un de ceux qui n’avaient pas encore parlé. Il faut une raison aux gentlemen.
Le Kaw-djer garda le silence. Vraiment! ils étaient osés de lui demander ses raisons. Ne les connaissait-on pas? La loi, que personne n’avait respectée, ne fixait-elle pas un prix pour la délivrance des concessions? Bien plus! cette loi connue de tous ne réservait-elle pas ces concessions aux Hosteliens, et n’interdisait-elle pas à ces gens qui l’avaient audacieusement bravée le territoire hostelien?
—Pourquoi? répéta le prospecteur en constatant que sa question restait sans effet.
Puis, la seconde interrogation n’ayant pas plus de succès que la première, il y répondit lui-même.
—La loi?... dit-il. Eh! on la connaît, la loi... Mais on n’a qu’à nous naturaliser... La terre est à tout le monde, et nous sommes des hommes comme les autres, peut-être!
Jadis, le Kaw-djer ne se fût pas exprimé différemment. Mais ses idées étaient bien changées maintenant, et il ne comprenait plus ce langage. Non, la terre n’est pas à tout le monde. Elle appartient à ceux qui la défrichent, la cultivent, à ceux dont le travail opiniâtre la transforme en mère nourricière et oblige le sol à tisser le tapis doré des moissons.
—Et puis, reprit le prospecteur barbu, si on parle de loi, il faudrait voir d’abord à la respecter, la loi. Quand ceux qui la fabriquent s’en moquent, qu’est-ce que feront les autres, je le demande? On est le 3 novembre. Pourquoi qu’il n’y a pas eu d’élection le 1er, puisque le Gouvernement a fini son temps?
Cette remarque inattendue surprit le Kaw-djer. Qui avait pu renseigner aussi bien ce mineur? Kennedy, sans doute, qu’on n’avait pas revu à Libéria. L’observation était juste, au surplus. La période qu’il avait fixée quand il s’était volontairement soumis aux suffrages des électeurs était expirée, en effet, et, aux termes de la loi autrefois promulguée par lui-même, on aurait dû procéder deux jours plus tôt à une nouvelle élection. S’il s’en était dispensé, c’est qu’il n’avait pas jugé opportun de compliquer encore une situation déjà si troublée, pour respecter une simple formalité, le renouvellement de son mandat étant absolument certain. Mais, d’ailleurs, en quoi cela regardait-il des gens qui n’étaient ni éligibles, ni électeurs?
Cependant, le chercheur d’or, enhardi par le calme du Kaw-djer, continuait sur un ton plus assuré:
—Les gentlemen réclament cette élection, et ils veulent que leurs voix comptent. Leurs voix valent celles des autres, pas vrai? Pourquoi qu’il y en aurait cinq mille qui feraient la loi à vingt? Ça n’est pas juste...
L’aventurier fit une pause et attendit inutilement la réponse du Kaw-djer. Embarrassé par ce silence persistant, et désireux de faire comprendre que sa mission était terminée, il conclut:
—Et voilà!
—Est-ce tout? interrogea pour la troisième fois le Kaw-djer.
—Oui... répondit le délégué. C’est tout, sans être tout... Enfin, c’est tout pour le moment.
Le Kaw-djer, regardant bien en face les dix hommes attentifs, déclara d’un ton froid:
—Voici ma réponse: «Vous êtes ici malgré nous. Je vous donne vingt-quatre heures pour vous soumettre tous sans condition. Passé ce délai, j’aviserai.»
Il fit un signe. Hartlepool et une vingtaine d’hommes accoururent.
—Hartlepool, dit-il, veuillez reconduire ces Messieurs hors des rangs.»
Les délégués étaient stupéfaits. Quelque assurés qu’ils fussent de leur force, ce calme glacial les déconcertait. Encadrés par les Hosteliens, ils s’éloignèrent docilement.
Par exemple, quand ils furent réunis à ceux qu’ils désignaient sous le nom générique de «gentlemen», le ton changea. Tandis qu’ils rendaient compte de leur mission, leur colère, jusque-là dominée, éclata sans contrainte, et, pour exprimer leur indignation, ils trouvèrent une quantité suffisante de paroles irritées et de jurons sonores.
Cette éloquence spéciale eut de l’écho dans la foule, et bientôt un concert de vociférations apprit au Kaw-djer qu’on connaissait sa réponse. Cette agitation fut longue à se calmer. La nuit la diminua sans l’apaiser entièrement. Jusqu’au matin, l’ombre fut pleine de cris furieux. Si on ne voyait plus les mineurs, on les entendait. Évidemment ils s’entêtaient dans leur entreprise et campaient en plein air.
La milice fit comme eux. Se relayant par quarts, elle veilla toute la nuit, l’arme au pied.
La colonne ne s’était pas retirée, en effet. A l’aube, les rues apparurent noires de monde. Bon nombre de prospecteurs, lassés par cette nuit d’attente, s’étaient couchés sur le sol. Mais tous furent debout au premier rayon du jour, et le vacarme de la veille reprit de plus belle.
Dans les rues dont ils occupaient la chaussée, les maisons étaient soigneusement closes. Personne ne se risquait au dehors. Si, d’un premier étage, un Hostelien plus curieux risquait un coup d’œil par l’entre-bâillement des volets, un ouragan de huées l’obligeait aussitôt à les refermer en hâte.
Le début de la matinée fut relativement calme. Les aventuriers ne semblaient pas être d’accord sur ce qu’il convenait de faire et discutaient avec animation. A mesure que le temps s’écoulait, leur nombre augmentait. Autant qu’on en pouvait juger, il s’élevait maintenant à quatre ou cinq mille. Des émissaires envoyés pendant la nuit avaient battu le rappel dans la campagne et ramené du renfort. Les prospecteurs de la région du Golden Creek avaient eu le temps d’arriver, mais non pas ceux qui travaillaient dans les montagnes du centre ou à la pointe du Nord-Ouest, et dont le voyage, en admettant qu’ils dussent venir, exigerait un ou plusieurs jours selon leur éloignement.
Leurs compagnons qui avaient déjà envahi la ville eussent sagement fait de les attendre. Quand ils seraient dix ou quinze mille, la situation déjà si grave de Libéria deviendrait presque désespérée.
Mais ces cerveaux brûlés, incapables de résister à la violence de leurs passions, n’avaient jamais la patience d’attendre. Plus la matinée s’avança, plus leur agitation grandit. Sous le coup de fouet de la fatigue et des excitations répétées des orateurs en plein vent, la foule s’énervait à vue d’œil.
Vers onze heures, un élan général la jeta tout à coup sur la milice hostelienne. Celle-ci se hérissa immédiatement de baïonnettes. Les assaillants reculèrent précipitamment, s’efforçant de vaincre la poussée de ceux qui se trouvaient en queue. Afin d’éviter des malheurs involontaires, le Kaw-djer fit reculer sa troupe, qui se replia en bon ordre et alla prendre position devant le Gouvernement. Les rues aboutissant à la place furent ainsi dégagées. Les mineurs, se trompant sur le sens de ce mouvement, poussèrent une assourdissante clameur de victoire.
L’espace rendu libre par la retraite de la milice hostelienne fut en un instant rempli d’une foule grouillante. Cette foule ne tarda pas à reconnaître son erreur. Non, elle n’était pas victorieuse encore. La milice intacte lui barrait toujours le passage. Si les mille hommes dont elle était formée, modelant leur attitude sur celle de leur chef, gardaient, impassibles, l’arme au pied, ils n’en disposaient pas moins de la foudre. Leurs mille fusils, des carabines américaines, que beaucoup de prospecteurs connaissaient bien, auxquelles un magasin assure une réserve de sept cartouches, étaient capables de tirer en moins d’une minute leurs sept mille coups, qui seraient, dans ce cas, tirés à bout portant. Il y avait là de quoi faire réfléchir les plus braves.
Mais les aventuriers n’étaient plus dans un état d’esprit leur permettant la réflexion. Ils s’excitaient, se grisaient les uns les autres. Leur grand nombre leur donnant confiance, ils cessèrent de craindre cette troupe dont l’immobilité leur parut de la faiblesse. Le moment vint où ce qui leur restait de raison fut définitivement aboli.
Le spectacle était tragique. A la périphérie de la place, une foule hurlante et débraillée, criant de ses milliers de bouches des mots que personne n’entendait, tendant ses milliers de poings en des gestes de menace. A trente mètres d’elle, lui faisant face, la milice hostelienne rangée en bon ordre le long de la façade du Gouvernement, ses hommes conservant une immobilité de statue. Derrière la milice, le Kaw-djer, seul, debout sur le dernier degré du perron qui donnait accès au Gouvernement, contemplant d’un air soucieux ce tableau mouvementé, et cherchant un moyen de dénouer pacifiquement une situation dont il comprenait toute la gravité.
Il était une heure de l’après-midi quand des injures directes commencèrent à partir de la foule enfiévrée. Les Hosteliens, contenus par leur chef, n’y répondirent pas.
Au premier rang de leurs insulteurs, ils pouvaient voir une figure de connaissance. Les révoltés avaient poussé en avant Kennedy, dont les conseils insidieux n’étaient pas sans avoir contribué à les engager dans cette aventure. C’est par lui qu’ils connaissaient la loi relative aux élections, c’est lui qui leur avait suggéré de réclamer la qualité de citoyens et d’électeurs, en leur affirmant que le Kaw-djer, abandonné de tout le monde, n’aurait pas la force de leur résister. La réalité se montrait différente. Ils se heurtaient à mille fusils, et il semblait juste que celui qui les avait menés là fût exposé aux coups.
L’ancien matelot, qui avait voulu se venger, était le mauvais marchand de cette affaire. Il n’avait plus sa jactance de nabab. Pâle, tremblant, il n’en menait pas large, comme on dit familièrement.
La foule perdant de plus en plus la tête, les injures ne suffirent bientôt plus à satisfaire sa colère grandissante, et il fallut passer aux actes. Des volées de pierres commencèrent à s’abattre sur la milice impassible. Les choses prenaient décidément une mauvaise tournure.
Pendant une heure, cette pluie meurtrière tomba. Plusieurs hommes furent blessés et deux d’entre eux durent quitter le rang. Une pierre atteignit au front le Kaw-djer lui-même. Il chancela, mais se redressant d’un énergique effort, il essuya paisiblement le sang qui rougissait son visage et reprit son attitude d’observateur.
Après une heure de cet exercice qui ne pouvait mener à rien, les assaillants parurent se lasser. Les projectiles devinrent moins nombreux, et on sentait qu’ils allaient cesser de pleuvoir, quand une énorme clameur jaillit tout à coup de la foule. Qu’était-il arrivé? Le Kaw-djer, se haussant sur la pointe des pieds, s’efforça vainement de voir dans les rues avoisinantes. Il ne put y réussir. Au loin, les remous de la foule semblaient plus violents, voilà tout, sans qu’il fût possible d’en discerner la cause.
On ne devait pas tarder à la connaître. Quelques minutes plus tard, trois prospecteurs taillés en hercule, s’ouvrant un passage à coups de coude, venaient se placer en avant de leurs compagnons, comme s’ils eussent voulu montrer qu’ils se riaient des balles. Ils ne les craignaient plus, en effet, car ils portaient devant eux, en guise de boucliers, des otages qui les protégeaient contre elles.
Les assaillants avaient eu une idée diabolique. Ayant enfoncé la porte d’une maison, ils s’étaient emparés de ses habitants, deux jeunes femmes, deux sœurs, qui y vivaient seules avec un petit enfant, le mari de l’une d’elles étant mort au cours de l’hiver précédent. Deux mineurs avaient saisi les femmes, un autre l’enfant, et, chacun avec son fardeau, ils bravaient maintenant le Kaw-djer et sa milice. Qui oserait tirer, alors que les premiers coups seraient pour ces créatures innocentes?
Les deux femmes, terrorisées, s’abandonnaient sans résistance. Quant au bébé, qu’une sorte de brute gigantesque tenait à bout de bras comme pour l’offrir en holocauste, il riait.
Cela dépassait en horreur tout ce que le Kaw-djer eût été capable d’imaginer. L’atroce aventure fit trembler cet homme si fort. Il eut peur. Il pâlit.
C’était l’heure pourtant des décisions promptes. Il fallait prendre d’urgence une résolution. Déjà les mineurs, poussant des vociférations furieuses, avaient fait un pas.
Leur affolement était tel qu’il leur fut impossible d’attendre d’en arriver au corps à corps, dans lequel la supériorité du nombre leur eût assuré la victoire. Ils étaient à vingt mètres de la milice figée dans son attitude de marbre, quand des détonations éclatèrent. Les revolvers faisaient parler la poudre. Un Hostelien tomba.
L’hésitation n’était plus de mise. Dans moins d’une minute on serait débordé, et toute la population de Libéria, hommes, femmes et enfants, serait massacrée sans recours.
«En joue!...» commanda le Kaw-djer qui devint plus pâle encore.
La milice obéit avec la précision d’un exercice d’entraînement. Ensemble, les crosses se haussèrent aux épaules, et les canons se dirigèrent menaçants, vers la foule.
Mais celle-ci était désormais trop affolée pour que la crainte pût l’arrêter. De nouveaux coups de revolvers résonnèrent. Trois autres miliciens furent atteints.
Ivre, déchaînée, la foule n’était plus qu’à dix pas.
«Feu!» commanda le Kaw-djer d’une voix rauque.
Par leur calme héroïque au milieu de cette longue tourmente, ses hommes venaient de le payer en une fois de tout ce qu’il avait fait pour eux. On était quitte. Mais, s’ils avaient puisé dans la reconnaissance et dans l’affection qu’il leur inspirait la force de se conduire en soldats, ils n’étaient pas des soldats après tout. Dès qu’ils eurent pressé la gâchette, l’affolement les gagna à leur tour. Ils ne tirèrent pas un coup, ils les tirèrent tous. Ce fut le roulement du tonnerre. En trois secondes, les carabines crachèrent leurs sept mille balles. Puis, un silence énorme tomba...
Les hommes de la milice regardaient, hébétés. Au loin, des fuyards disparaissaient. Devant eux, il n’y avait plus personne. La place était déserte.
Déserte?... Oui, sauf cet amoncellement, cette montagne de cadavres d’où ruisselait un torrent de sang! Combien y en avait-il?... Mille?... Quinze cents?... Davantage?... On ne savait.
Au bas de ce tas hideux, à côté de Kennedy, mort, les deux jeunes femmes étaient tombées. L’une une balle dans l’épaule, était morte ou évanouie. L’autre se releva sans blessure et courut, affolée, frappée d’épouvante. L’enfant était là, lui aussi, parmi les morts, dans le sang. Mais—c’était un miracle!—il n’avait rien, et, fort amusé par ce jeu inconnu, il continuait à rire de tout son cœur...
Le Kaw-djer, en proie à une effroyable douleur, avait caché son visage entre ses mains pour fuir l’horrible spectacle. Un instant, il demeura prostré, puis, lentement, il redressa la tête.
D’un même mouvement, les Hosteliens se tournèrent vers lui et le regardèrent en silence.
Lui n’eut pas un regard pour eux. Immobile, il contemplait le sinistre charnier, et, sur sa face ravagée, vieillie de dix ans, de grosses larmes coulaient goutte à goutte.
Le Kaw-djer, désespérément, pleurait.
XIV
L’ABDICATION.
Le Kaw-djer pleurait...
Combien poignantes les larmes d’un tel homme! Avec quelle éloquence, elles criaient sa douleur!
Il avait commandé: «Feu!»..., lui! Par son ordre, les balles avaient tracé leurs sillons rouges! Oui, les hommes l’avaient réduit à cela, et, par leur faute, il était désormais pareil aux plus odieux de ces tyrans qu’il avait haïs d’une haine si farouche, puisqu’il sombrait comme eux dans le meurtre, dans le sang!
Bien plus, il fallait en répandre encore. L’œuvre n’était qu’ébauchée. Il restait à la parfaire. En dépit de toutes les apparences contraires, là était le devoir certain.
Ce devoir, le Kaw-djer le regarda courageusement en face. Son abattement fut de courte durée, et bientôt il reconquit toute son énergie. Laissant aux vieillards et aux femmes le soin d’ensevelir les morts et de relever les blessés, il se lança sans retard à la poursuite des fuyards. Ceux-ci, frappés de terreur, ne songeaient plus à opposer la moindre résistance. De jour et de nuit, on les chassa comme du bétail.
A plusieurs reprises, les forces hosteliennes se heurtèrent à des bandes venant trop tard à la rescousse. Celles-ci furent dispersées sans difficulté l’une après l’autre et successivement rejetées vers le Nord.
L’île fut sillonnée en tous sens. On en trouvait le sol parsemé des restes de ceux des prospecteurs que la faim avait poussés hors de leurs tanières et qui avaient péri dans la neige au cours de l’hiver précédent. Longtemps, le froid avait conservé leurs dépouilles. Elles se liquéfiaient au dégel, et cette boue humaine se mêlait à celle de la terre. En trois semaines, les aventuriers, au nombre de près de dix-huit mille, furent refoulés dans la presqu’île Dumas dont le Kaw-djer occupa l’isthme.
A la milice s’étaient joints trois cents hommes fournis par la Franco-English Gold Mining Company, qui apportèrent un secours efficace aux défenseurs du bon ordre. Malgré ce renfort, la situation demeurait inquiétante. Si les prospecteurs avaient été déprimés tout d’abord par la nouvelle du carnage de leurs compagnons, et si on les avait ensuite aisément vaincus en détail, il pouvait ne plus en être ainsi, maintenant qu’ils se serraient les coudes et qu’il leur était loisible de se concerter. Or, leur supériorité numérique était si grande qu’il y avait lieu de craindre un retour offensif de leur part.
L’intervention de la Société franco-anglaise para à ce danger. Désireux de s’assurer la main-d’œuvre qui leur était nécessaire, ses deux directeurs, Maurice Reynaud et Alexander Smith, proposèrent au Kaw-djer de procéder à une sélection parmi les aventuriers et de choisir, après sévère enquête, un millier d’hommes qui seraient autorisés à rester sur l’île Hoste. Ces hommes, la Gold Mining Company les emploierait sous sa responsabilité, étant bien entendu qu’ils seraient impitoyablement expulsés à la première incartade.
Le Kaw-djer accueillit favorablement ces ouvertures qui lui fournissaient un moyen de diviser les forces de l’adversaire. Sans hésiter, Maurice Reynaud et Alexander Smith, faisant ainsi preuve d’un courage assurément plus grand que celui du dompteur qui entre dans la cage de ses fauves, s’engagèrent alors sur la presqu’île Dumas, où pullulait la foule des prospecteurs révoltés. Huit jours plus tard, on les vit revenir à la tête de mille hommes triés soigneusement entre tous.
Cet exploit changea la face des choses. Les mille hommes que perdaient les insurgés, les Hosteliens les gagnaient, tout en conservant l’avantage de leur discipline et de leur armement supérieur. Le Kaw-djer franchit à son tour l’isthme dont il confia la garde à Hartlepool. Il rencontra dans la presqu’île moins de résistance qu’il ne le redoutait. Les mineurs n’avaient pas eu le temps encore de reprendre possession d’eux-mêmes. On réussit à les diviser, et chaque fraction fut successivement contrainte de s’embarquer sur des navires expédiés du Bourg-Neuf, qui croisaient dans ce but en vue de la côte. En quelques jours l’opération fut terminée. Exception faite de ceux dont répondaient Maurice Reynaud et Alexander Smith, et qui étaient d’ailleurs en trop petit nombre pour constituer un sérieux danger, le sol de l’île était purgé du dernier des aventuriers qui l’avaient infestée.
Dans quel état lamentable ne la laissaient-ils pas! La terre n’avait pas été cultivée, et la prochaine récolte était perdue comme l’avait été la précédente. Abandonnés à eux-mêmes dans les pâturages, beaucoup d’animaux avaient péri. On revenait en somme à plusieurs années en arrière, et, de même que dans les premiers temps de leur indépendance, la famine menaçait les colons de l’île Hoste.
Le Kaw-djer voyait nettement ce danger, mais il n’excédait pas son courage. L’important était de ne pas perdre de temps. Il le comprit, et agit, dans ce but, en dictateur, quelque pénible que ce rôle lui parût.
Comme autrefois, il fallut d’abord grouper toutes les ressources de l’île, afin de les répartir suivant les besoins de chaque famille. Cela ne se fit pas sans provoquer des murmures. Mais cette mesure s’imposait et on passa outre aux protestations des récalcitrants.
Elle ne devait avoir, d’ailleurs, qu’une durée éphémère. Tandis qu’on procédait au récolement des réserves, des achats étaient effectués dans l’Amérique du Sud, tant pour le compte de l’État que pour celui des particuliers. Un mois plus tard, on débarquait au Bourg-Neuf les premières cargaisons, et la situation commençait dès lors à s’améliorer rapidement.
Grâce à ce bienfaisant despotisme, Libéria et son faubourg ne tardèrent pas à recouvrer leur animation d’autrefois. Le port reçut même, au cours de l’été, des navires en plus grand nombre que jamais. Par une heureuse chance, la pêche de la baleine s’annonça particulièrement fructueuse, cette année-là. Bâtiments américains et norvégiens affluèrent au Bourg-Neuf, et la préparation de l’huile occupa une centaine d’Hosteliens avec des salaires très rémunérateurs. En même temps, une impulsion nouvelle était donnée aux scieries et aux usines de conserves, et le nombre de louvetiers doubla pour la chasse des loups-marins. Plusieurs centaines de Pêcherais, ne pouvant accommoder leurs habitudes nomades aux sévérités de l’administration argentine, quittèrent la Terre de Feu, traversèrent le canal du Beagle et transportèrent leurs campements sur le littoral de l’île Hoste où ils se fixèrent définitivement.
Vers le 15 décembre, les plaies de la colonie étaient, sinon guéries, du moins pansées. Certes, elle avait souffert un profond dommage qui ne serait pas réparé avant plusieurs années, mais déjà il n’en subsistait aucune trace extérieure. Le peuple était retourné à ses occupations coutumières, et la vie normale avait repris son cours.
L’État hostelien fit à cette époque l’acquisition d’un steamer de six cents tonneaux qui reçut le nom de Yacana. Ce steamer permettrait l’établissement d’un service régulier avec les bourgades du littoral et les divers établissements et comptoirs de l’archipel. Il servirait en outre à assurer les communications avec le cap Horn dont le phare venait enfin d’être achevé.
Dans les derniers jours de l’année 1893, le Kaw-djer en avait reçu la nouvelle. Tout était terminé: le logement des gardiens, le magasin de réserve, le pylône de métal haut d’une vingtaine de mètres, le bâtiment et le montage des dynamos, auxquelles un ingénieux dispositif imaginé par Dick transmettait l’énergie des vagues et des marées. Le fonctionnement de ces machines serait ainsi assuré, sans combustible d’aucune sorte. Pour rendre ce fonctionnement éternel, il suffirait de procéder aux réparations nécessaires et d’être bien pourvu de pièces de rechange.
L’inauguration, que le Kaw-djer résolut d’entourer d’une certaine solennité, fut fixée au 15 janvier 1894. Ce jour-là, le Yacana emporterait à l’île Horn deux ou trois cents Hosteliens, devant lesquels jaillirait le premier rayon du phare. Après les tristesses qu’il venait de traverser, le Kaw-djer se faisait une fête de cette inauguration qui réaliserait un de ses rêves, si longtemps caressé.
Tel était le programme, et personne n’imaginait que rien pût en entraver l’exécution, quand, soudainement, brutalement, les événements le modifièrent d’étrange façon.
Le 10 janvier, cinq jours avant la date choisie, un vaisseau de guerre entra dans le port du Bourg-Neuf. A son mât d’artimon flottait le pavillon chilien. De l’une des fenêtres du Gouvernement, le Kaw-djer, qui avait aperçu ce navire entrer dans le port, le suivit, à l’aide d’une longue-vue, dans ses diverses manœuvres d’atterrissage, puis il crut distinguer à son bord comme un remue-ménage, dont la distance l’empêchait de reconnaître la nature.
Il était depuis une heure absorbé dans cette contemplation, quand on vint le prévenir qu’un homme, hors d’haleine, arrivait du Bourg-Neuf et demandait à lui parler sur-le-champ de la part de Karroly.
«Qu’y a-t-il? interrogea le Kaw-djer, lorsque cet homme fut introduit.
—Un bâtiment chilien vient d’entrer au Bourg-Neuf, dit l’homme essoufflé par sa course rapide.
—Je l’ai vu. Ensuite?
—C’est un navire de guerre.
—Je le sais.
—Il s’est affourché sur deux ancres au milieu du port, et, avec ses canots, il débarque des soldats.
—Des soldats!... s’écria le Kaw-djer.
—Oui, des soldats chiliens... en armes... Cent... deux cents... trois cents... Karroly ne s’est pas amusé à les compter... Il a préféré m’envoyer pour vous mettre au courant.»
L’incident en valait la peine et justifiait amplement l’émotion de Karroly. Depuis quand des soldats armés pénètrent-ils en temps de paix sur un territoire étranger? Le fait que ces soldats fussent chiliens ne laissait pas que de rassurer le Kaw-djer. Selon toute probabilité, on n’avait rien à craindre du pays auquel l’île Hoste devait son indépendance. Le débarquement de ces soldats n’en était pas moins anormal, et la prudence voulait que l’on prît, à tout hasard, les précautions nécessaires.
«Ils viennent!...» s’écria l’homme tout à coup, en montrant du doigt, par la fenêtre ouverte, la direction du Bourg-Neuf.
Sur la route, un groupe nombreux s’avançait, en effet, que le Kaw-djer évalua d’un coup d’œil. L’Hostelien avait exagéré quelque peu. Il s’agissait bien d’une troupe de soldats, car les fusils étincelaient au soleil, mais leur nombre atteignait cent cinquante tout au plus.
Le Kaw-djer, stupéfait, donna rapidement une série d’ordres clairs et précis. Des émissaires partirent de tous côtés. Cela fait, il attendit tranquillement.
En un quart d’heure, la troupe chilienne, suivie des yeux par les Hosteliens étonnés, arrivait sur la place et prenait position devant le Gouvernement. Un officier en grande tenue, qui devait être d’un grade élevé, à en juger par les dorures dont il était chamarré, s’en détacha, heurta du pommeau de son sabre la porte qui s’ouvrit aussitôt, et demanda à parler au Gouverneur.
Il fut conduit dans la pièce où se tenait le Kaw-djer, et dont la porte se referma silencieusement derrière lui. Une minute plus tard, un sourd grondement indiqua que les portes extérieures étaient fermées à leur tour. Sans qu’il s’en doutât, l’officier chilien était virtuellement prisonnier.
Mais celui-ci ne semblait éprouver aucun souci de sa situation personnelle. Il s’était arrêté à quelques pas du seuil, la main à son bicorne emplumé, les yeux fixés sur le Kaw-djer qui, debout entre les deux fenêtres, gardait une complète immobilité.
Ce fut le Kaw-djer qui prit la parole le premier.
«M’expliquerez-vous, Monsieur, dit-il d’une voix brève, ce que signifie ce débarquement d’une force armée sur l’île Hoste? Nous ne sommes pas en guerre avec le Chili, que je sache?
L’officier chilien tendit une large enveloppe au Kaw-djer.
—Monsieur le Gouverneur, répondit-il, permettez-moi de vous présenter tout d’abord la lettre par laquelle mon Gouvernement m’accrédite auprès de vous.
Le Kaw-djer rompit les cachets et lut attentivement, sans que rien dans l’expression de son visage trahît les sentiments que sa lecture pouvait lui faire éprouver.
—Monsieur, dit-il avec calme lorsqu’elle fut achevée, le Gouvernement chilien, ainsi que vous le savez sans doute, vous met par cette lettre à ma disposition en vue du rétablissement de l’ordre à l’île Hoste.
L’officier s’inclina silencieusement en signe d’assentiment.
—Le Gouvernement chilien, Monsieur, a été mal renseigné, continua le Kaw-djer. Comme tous les pays du monde, l’île Hoste a connu, il est vrai, des périodes troublées. Mais ses habitants ont su rétablir eux-mêmes l’ordre qui est actuellement parfait.
L’officier, qui paraissait embarrassé, ne répondit pas.
—Dans ces conditions, reprit le Kaw-djer, tout en étant reconnaissant à la République du Chili de ses intentions bienveillantes, je crois devoir décliner ses offres et vous prie de bien vouloir considérer votre mission comme terminée.
L’officier semblait de plus en plus embarrassé.
—Vos paroles, monsieur le Gouverneur, seront fidèlement transmises à mon Gouvernement, dit-il, mais vous comprendrez que je ne puisse me soustraire, tant que je n’aurai pas sa réponse, à l’accomplissement des instructions qui m’ont été données.
—Instructions qui consistent?...
—A installer sur l’île Hoste une garnison, qui, sous votre haute autorité et sous mon commandement direct, devra coopérer au rétablissement et au maintien de l’ordre.
—Fort bien! dit le Kaw-djer. Mais, si je m’opposais par hasard à l’établissement de cette garnison?... Vos instructions ont-elles prévu le cas?
—Oui, monsieur le Gouverneur.
—Quelles sont-elles, dans cette hypothèse?
—De passer outre.
—Par la force?
—Au besoin par la force, mais je veux espérer que je n’en serai pas réduit à cette extrémité.
—Voilà qui est net, approuva le Kaw-djer sans s’émouvoir. A vrai dire, je m’attendais un peu à quelque chose de ce genre... N’importe! la question est clairement posée. Vous admettrez, toutefois, que, dans une matière aussi grave, je ne veuille pas agir à la légère, et vous souffrirez par conséquent, je pense, que je prenne le temps de la réflexion.
—J’attendrai donc, monsieur le Gouverneur, répondit l’officier, que vous me fassiez connaître votre décision.
Ayant de nouveau salué militairement, il pivota sur ses talons et se dirigea vers la porte. Mais cette porte était fermée et résista à ses efforts. Il se retourna vers le Kaw-djer.
—Suis-je tombé dans un guet-apens? demanda-t-il d’un ton nerveux.
—Vous me permettrez de trouver la question plaisante, répondit ironiquement le Kaw-djer. Quel est celui de nous qui s’est rendu coupable d’un guet-apens? Ne serait-ce pas celui qui, en pleine paix, a envahi, les armes à la main, un pays ami?
L’officier rougit légèrement.
—Vous connaissez, monsieur le Gouverneur, dit-il avec une gêne évidente, la raison de ce qu’il vous plaît d’appeler une invasion. Ni mon gouvernement, ni moi-même ne pouvons être responsables de votre interprétation d’un événement des plus simples.
—En êtes-vous sûr? répliqua le Kaw-djer de sa voix tranquille. Oseriez-vous donner votre parole d’honneur que la République du Chili ne poursuit aucun but autre que le but officiel et avoué? Une garnison opprime aussi aisément qu’elle protège. Celle que vous avez mission de placer ici ne pourrait-elle pas aider puissamment le Chili, s’il en arrivait jamais à regretter le traité du 26 octobre 1881, auquel nous devons notre indépendance?
L’officier rougit de nouveau et plus visiblement que la première fois.
—Il ne m’appartient pas, dit-il, de discuter les ordres de mes chefs. Mon seul devoir est de les exécuter aveuglément.
—En effet, reconnut le Kaw-djer, mais j’ai, moi aussi, à remplir mon devoir, qui se confond avec l’intérêt du peuple placé sous ma garde. Il est donc tout simple que j’entende peser mûrement ce que cet intérêt me commande de faire.
—M’y suis-je opposé? répliqua l’officier. Soyez sûr, monsieur le Gouverneur, que j’attendrai votre bon plaisir tout le temps qu’il faudra.
—Cela ne suffit pas, dit le Kaw-djer. Il faut encore l’attendre ici.
—Ici?... Vous me considérez donc comme un prisonnier?
—Parfaitement, déclara le Kaw-djer.
L’officier chilien haussa les épaules.
—Vous oubliez, s’écria-t-il en faisant un pas vers la fenêtre, qu’il me suffirait d’un cri d’appel...
—Essayez!... interrompit le Kaw-djer qui lui barra le passage.
—Qui m’en empêcherait?
—Moi.
Les yeux dans les yeux, les deux hommes se regardèrent comme des lutteurs prêts à en venir aux mains. Après un long moment d’attente, ce fut l’officier chilien qui recula. Il comprit que, malgré sa jeunesse relative, il n’aurait pas raison de ce grand vieillard aux épaules d’athlète, dont l’attitude majestueuse l’impressionnait malgré lui.
—C’est cela, approuva le Kaw-djer. Reprenons chacun notre place, et attendez patiemment ma réponse.»
Tous deux étaient debout. L’officier, à faible distance de la porte d’entrée, s’efforçait d’adopter, en dépit de ses inquiétudes, une contenance dégagée. En face de lui, le Kaw-djer, entre les deux fenêtres, réfléchissait si profondément qu’il en oubliait la présence de son adversaire. Avec calme et méthode, il étudiait le problème qui lui était posé.
Le mobile du Chili, d’abord. Ce mobile, il n’était pas difficile de le deviner. Le Chili invoquait en vain la nécessité de mettre fin aux troubles. Ce n’était là qu’un prétexte. Une protection qu’on impose ressemble trop à une annexion pour qu’il fût possible de s’y tromper. Mais pourquoi le Chili manquait-il ainsi à la parole donnée? Par intérêt évidemment, mais quelle sorte d’intérêt? La prospérité de l’île Hoste ne suffisait pas à expliquer ce revirement. Jamais, malgré les progrès réalisés par les Hosteliens, rien n’avait autorisé à croire que la République Chilienne regrettât l’abandon de cette contrée jadis sans la moindre valeur. Au reste, le Chili n’avait pas eu à se plaindre de son geste généreux. Il avait bénéficié du développement de ce peuple dont il était par la force des choses le fournisseur principal. Mais un facteur nouveau était intervenu. La découverte des mines d’or changeait du tout au tout la situation. Maintenant qu’il était démontré que l’île Hoste recelait dans ses flancs un trésor, le Chili entendait en avoir sa part et déplorait son imprévoyance passée. C’était limpide.
La question importante n’était pas, d’ailleurs, de déterminer la cause du revirement, quelle qu’elle fût. L’ultimatum étant nettement posé, l’important était d’arrêter la manière dont il convenait d’y répondre.
Résister?... Pourquoi pas? Les cent cinquante soldats alignés sur la place n’étaient pas de taille à effrayer le Kaw-djer, et pas davantage le bâtiment de guerre embossé devant le Bourg-Neuf. Alors même que ce navire eût contenu d’autres soldats, ceux-ci n’étaient évidemment pas en nombre tel que la victoire ne pût tourner finalement en faveur de la milice hostelienne. Quant au navire lui-même, il était assurément capable d’envoyer jusqu’à Libéria quelques obus qui feraient plus de bruit que de mal. Mais après?... Les munitions finiraient par s’épuiser, et il lui faudrait alors appareiller, en admettant que les trois canons hosteliens n’aient réussi à lui causer aucune avarie sérieuse.
Non, en vérité, résister n’eût pas été présomptueux. Mais résister, c’était des batailles, c’était du sang. Allait-il donc en faire couler encore sur cette terre, hélas! saturée? Pour défendre quoi? L’indépendance des Hosteliens? Les Hosteliens étaient-ils donc libres, eux qui s’étaient si docilement courbés sous la férule d’un maître? Serait-ce donc alors sa propre autorité qu’il s’agissait de sauvegarder? Dans quel but? Ses mérites exceptionnels justifiaient-ils que tant de vies fussent sacrifiées à sa cause? Depuis qu’il exerçait le pouvoir, s’était-il montré différent de tous les autres potentats qui tiennent l’univers en tutelle?
Le Kaw-djer en était là de ses réflexions, quand l’officier chilien fit un mouvement. Il commençait à trouver le temps long. Le Kaw-djer se contenta de l’exhorter du geste à la patience et poursuivit sa méditation silencieuse.
Non, il n’avait été ni meilleur ni pire que les maîtres de tous les temps, et cela, simplement parce que la fonction de maître impose des obligations auxquelles nul ne peut se flatter d’échapper. Que ses intentions eussent toujours été droites, ses vues désintéressées, cela ne l’avait nullement empêché de commettre à son tour ces mêmes crimes nécessaires qu’il reprochait à tant de chefs. Le libertaire avait commandé, l’égalitaire avait jugé ses semblables, le pacifique avait fait la guerre, le philosophe altruiste avait décimé la foule, et son horreur du sang versé n’avait abouti qu’à en verser plus encore.
Aucun de ses actes qui n’eût été en contradiction avec ses théories, et, sur tous les points, il avait touché du doigt son erreur de jadis. D’abord les hommes s’étaient révélés dans leur imperfection et leur incapacité natives, et il avait dû les mener par la main comme de petits enfants. Puis les appétits qui forment le fond de certaines natures avaient, pour se satisfaire, causé une succession de drames et démontré la légitimité de la force. Une triple preuve, enfin, lui avait été donnée que la solidarité des groupes sociaux n’est pas moindre que celle des individus, et qu’un peuple ne saurait s’isoler au milieu des autres peuples. C’est pourquoi, quand bien même l’un d’eux arriverait à se hausser à l’idéal inaccessible que le Kaw-djer avait autrefois considéré comme une vérité objective, le peuple devrait encore compter avec le reste de la terre, dont le progrès moral excède les forces humaines et ne peut être que le résultat de siècles d’efforts accumulés.
La première de ces preuves, c’était l’invasion des Patagons. Semblable à tous les chefs, et ni plus ni moins qu’eux, le Kaw-djer avait dû combattre et tuer. A cette occasion, Patterson lui avait démontré à quel degré d’abaissement une créature peut s’avilir, et il avait dû, indulgent encore, s’arroger le droit de disposer d’un coin de la planète comme de sa propriété personnelle. Il avait jugé, condamné, banni, au même titre que tous ceux qu’il appelait des tyrans.
La deuxième preuve, la découverte des mines d’or la lui avait fournie. Ces milliers d’aventuriers qui s’étaient abattus sur l’île Hoste établissaient, sous la forme la plus éloquente, l’inévitable solidarité des nations. Contre le fléau, il n’avait pas trouvé de remède qui ne fût connu. Ce remède, c’est toujours la force, la violence et la mort. Par son ordre, le sang humain avait coulé à flots.
La troisième preuve enfin, l’ultimatum du Gouvernement chilien la lui apportait, péremptoire.
Allait-il donc donner une fois de plus le signal de la lutte, d’une lutte plus sanglante peut-être que les précédentes, et cela pour conserver aux Hosteliens, un chef si pareil en somme à tous les chefs de tous les pays et de tous les temps? A sa place, un autre que lui en aurait fait autant, et, quel que fût son successeur, qu’il fût le Chili ou tout autre, il ne pouvait être amené à employer des moyens pires que ceux auxquels la fatalité des choses l’avait contraint.
Dès lors, à quoi bon lutter?
Et puis, comme il était las! L’hécatombe dont il avait donné l’ordre, ce carnage monstrueux, cette effroyable tuerie, c’était une obsession qui ne le lâchait pas. De jour en jour, sous le poids du lourd souvenir, sa haute taille se voûtait, ses yeux perdaient de leur flamme, et sa pensée de sa clarté. La force abandonnait ce corps d’athlète et ce cœur de héros. Il n’en pouvait plus. Il en avait assez.
Voilà donc à quelle impasse il aboutissait! D’un regard effaré il suivait la longue route de sa vie. Les idées dont il avait fait la base de son être moral et auxquelles il avait tout sacrifié la jonchaient de leurs débris lamentables. Derrière lui, il n’y avait plus que le néant. Son âme était dévastée; c’était un désert parsemé de ruines où rien ne restait debout.
Que faire à cela?... Mourir?... Oui, cela eût été logique, et pourtant il ne pouvait s’y résoudre. Non pas qu’il eût peur de la mort. A cet esprit lucide et ferme, elle apparaissait comme une fonction naturelle, sans plus d’importance et nullement plus à redouter que la naissance. Mais toutes ses fibres protestaient contre un acte qui eût volontairement abrégé son destin. De même qu’un ouvrier consciencieux ne saurait se résoudre à laisser un travail inachevé, c’était un besoin pour cette puissante personnalité d’aller jusqu’au bout de sa vie, c’était une nécessité pour ce cœur abondant de donner à autrui la somme entière, sans en rien excepter, de dévouement et d’abnégation qui s’y trouvait contenue en puissance, et il considérait n’avoir pas fait assez tant qu’il n’aurait pas fait tout.
Ces contradictions, était-il donc impossible de les concilier?...
Le Kaw-djer parut enfin s’apercevoir de la présence de l’officier chilien qui rongeait impatiemment son frein.
«Monsieur, dit-il, vous m’avez tout à l’heure menacé d’employer la force. Vous êtes-vous bien rendu compte de la nôtre?
—La vôtre?... répéta l’officier surpris.
—Jugez-en, dit le Kaw-djer en faisant signe à son interlocuteur de s’approcher de la fenêtre.
La place s’étendait sous leurs yeux. En face du Gouvernement, les cent cinquante soldats chiliens étaient correctement alignés, sous le commandement de leurs chefs. Leur position ne laissait pas toutefois d’être critique, car plus de cinq cents Hosteliens les cernaient, fusils chargés, baïonnettes au canon.
—L’armée hostelienne compte aujourd’hui cinq cents fusils, dit froidement le Kaw-djer. Demain elle en comptera mille. Après demain quinze cents.
L’officier chilien était livide. Dans quel guêpier s’était-il fourré! Sa mission lui semblait bien compromise. Il voulut cependant faire contre mauvaise fortune bon visage.
—Le croiseur... dit-il d’une voix mal affermie.
—Nous ne le craignons pas, interrompit le Kaw-djer. Nous ne craignons pas davantage ses canons, n’en étant pas nous-mêmes dépourvus.
—Le Chili... essaya encore de glisser l’officier, qui ne voulait pas se reconnaître vaincu.
—Oui, interrompit de nouveau le Kaw-djer, le Chili a d’autres navires et d’autres soldats. C’est entendu. Mais il ferait une mauvaise affaire en les employant contre nous. Il ne réduira pas aisément l’île Hoste, que peuplent maintenant plus de six mille habitants. Sans compter que les cent cinquante hommes que vous avez débarqués vont être pour nous de merveilleux otages!
L’officier garda le silence. Le Kaw-djer ajouta d’une voix grave:
—Enfin, savez-vous qui je suis?
Le Chilien considéra son adversaire qui se révélait si redoutable. Sans doute lut-il dans le regard de celui-ci une réponse éloquente à la question qui lui était posée, car il se troubla plus encore.
—Qu’entendez-vous par cette question? balbutia-t-il. Il y a douze ou treize ans, au retour du Ribarto, dont le commandant avait cru vous reconnaître, des bruits ont couru. Mais ils devaient être erronés, puisque vous les aviez, paraît-il, démentis par avance.
—Ces bruits étaient fondés, dit le Kaw-djer. S’il m’a plu alors, s’il me convient toujours d’oublier qui je suis, je pense que vous ferez sagement de vous en souvenir. Vous en concluerez, j’imagine, qu’il ne me serait pas impossible de trouver des concours assez puissants pour faire réfléchir le Gouvernement chilien.
L’officier ne répondit pas. Il semblait accablé.
—Estimez-vous, reprit le Kaw-djer, que je sois en situation, non pas de céder purement et simplement, mais de traiter d’égal à égal?
L’officier chilien avait relevé la tête. Traiter?... Avait-il bien entendu?... La fâcheuse aventure dans laquelle il s’était si inconsidérément embarqué pouvait donc tourner d’une manière favorable?...
—Reste à savoir si cela est possible, continuait cependant le Kaw-djer, et de quels pouvoirs vous êtes investi.
—Les plus étendus, affirma vivement l’officier chilien.
—Écrits?
—Écrits.
—Dans ce cas, veuillez me les communiquer, dit le Kaw-djer avec calme.
L’officier tira d’une poche intérieure de sa tunique un second pli qu’il remit au Kaw-djer.
—Les voici, dit-il.
Si le Kaw-djer avait cédé sans résistance à la première injonction, jamais il n’aurait connu ce document qu’il lut avec une extrême attention.
—C’est parfaitement en règle, déclara-t-il. Votre signature aura par conséquent toute la valeur compatible avec les engagements humains, dont votre présence ici prouve, d’ailleurs, la fragilité.
L’officier se mordit les lèvres sans répondre. Le Kaw-djer fit une pause, puis reprit:
—Parlons net. Le Gouvernement chilien désire redevenir suzerain de l’île Hoste. Je pourrais m’y opposer; j’y consens. Mais j’entends faire mes conditions.
—J’écoute, dit l’officier.
—En premier lieu, le Gouvernement chilien n’établira aucun impôt à l’île Hoste autre que ceux concernant les mines d’or, et il devra en être ainsi alors même qu’elles seront épuisées. Par contre, en ce qui regarde les mines d’or, il sera entièrement libre et fixera à son profit telle redevance qui lui conviendra.
L’officier n’en croyait pas ses oreilles. Voilà que, sans difficulté, sans discussion d’aucune sorte, on lui abandonnait l’essentiel! Dès lors, tout le reste irait de soi.
Cependant, le Kaw-djer continuait:
—A la perception d’un impôt sur les mines devra se limiter la suzeraineté du Chili. Pour le surplus, l’île Hoste conservera sa complète autonomie et gardera son drapeau. Le Chili pourra y entretenir un résident, étant bien entendu que ce résident n’aura qu’un simple droit de conseil, et que le gouvernement effectif sera exercé par un comité nommé à l’élection et par un Gouverneur désigné par moi.
—Ce Gouverneur, ce serait vous, sans doute? interrogea l’officier.
—Non, protesta le Kaw-djer. A moi, il faut la liberté totale, intégrale, sans limite, et d’ailleurs je suis aussi las de donner des ordres qu’incapable d’en recevoir. Je me retire donc, mais je me réserve de choisir mon successeur.
L’officier écoutait sans les interrompre ces déclarations inattendues. Cet amer désenchantement était-il sincère, et le Kaw-djer n’allait-il rien stipuler pour lui-même?
—Mon successeur s’appelle Dick, reprit mélancoliquement celui-ci après un court silence, et n’a pas d’autre nom. C’est un jeune homme. A peine s’il a vingt-deux ans—mais c’est moi qui l’ai formé, et j’en réponds. C’est entre ses mains, entre ses mains seules, que je résignerai le pouvoir... Telles sont mes conditions.
—Je les accepte, dit vivement l’officier chilien trop heureux d’avoir triomphé sur la question principale.
—Fort bien, approuva le Kaw-djer. Je vais donc rédiger nos conventions par écrit.
Il se mit au travail, puis le traité fut signé en triple expédition par les parties contractantes.
—Un de ces exemplaires est pour votre Gouvernement, expliqua le Kaw-djer, un deuxième pour mon successeur. Quant au troisième, je le garde, et, si les engagements qu’il constate n’étaient pas tenus, je saurais, soyez-en certain, en assurer le respect... Mais tout n’est pas fini entre nous, ajouta-t-il en présentant un autre document à son interlocuteur. Il reste à nous occuper de ma situation personnelle. Veuillez jeter les yeux sur ce deuxième traité qui la règle conformément à ma volonté.
L’officier obéit. A mesure qu’il lisait, son visage exprimait un étonnement grandissant.
—Quoi! s’écria-t-il quand sa lecture fut achevée, c’est sérieusement que vous proposez cela!
—Si sérieusement, répondit le Kaw-djer, que j’en fais la condition sine qua non de mon consentement au surplus de notre accord. Êtes-vous disposé à l’accepter?
—A l’instant, affirma l’officier.
Les signatures furent de nouveau échangées.
—Nous n’avons plus rien à nous dire, conclut alors le Kaw-djer. Faites rembarquer vos hommes, qui, sous aucun prétexte, ne doivent plus remettre le pied sur l’île Hoste. Demain, le nouveau régime pourra être inauguré. Je ferai le nécessaire pour qu’il ne s’élève aucune difficulté. Jusque-là, par exemple, j’exige le secret le plus absolu.»
Dès qu’il fut seul, le Kaw-djer envoya chercher Karroly. Pendant qu’on exécutait cet ordre, il écrivit quelques mots qu’il plaça sous enveloppe, en y joignant un exemplaire du traité conclu avec le Gouvernement chilien. Ce travail, qui n’exigea que peu de minutes, était depuis longtemps terminé quand l’Indien fut introduit.
«Tu vas charger la Wel-Kiej de ces objets, dit le Kaw-djer qui tendit à Karroly une liste sur laquelle figuraient, outre une certaine quantité de vivres, de la poudre, des balles et des sacs de semences de diverses sortes.
Malgré ses habitudes d’aveugle dévouement, Karroly ne put s’empêcher de poser quelques questions. Le Kaw-djer allait donc partir pour un voyage? Pourquoi alors ne prenait-il pas le cotre du port, au lieu de la vieille chaloupe? Mais, à ses questions, le Kaw-djer ne répondit que par un mot:
—Obéis.»
Karroly parti, il fit appeler Dick.
«Mon enfant, dit-il en lui remettant le pli qu’il venait de clore, voici un document que je te donne. Il t’appartient. Tu l’ouvriras demain au lever du soleil.
—Il sera fait ainsi, promit Dick simplement.
La surprise qu’il devait éprouver, il ne l’exprima pas. Si grand était l’empire qu’il avait acquis sur lui-même qu’il ne la trahit par aucun signe. C’était un ordre qu’il avait reçu. Un ordre s’exécute et ne se discute pas.
—Bien! dit le Kaw-djer. Maintenant, va, mon enfant, et conforme-toi scrupuleusement à mes instructions.»
Seul, le Kaw-djer s’approcha de la fenêtre et souleva le rideau. Longuement, il regarda au dehors, afin de graver dans sa mémoire ce qu’il ne devait plus revoir. Devant lui, c’était Libéria, et, plus loin, le Bourg-Neuf, et, plus loin encore, les mâts des navires amarrés dans le port. Le soir tombait, arrêtant le travail du jour. D’abord, la route du Bourg-Neuf s’anima, puis les fenêtres des maisons brillèrent dans l’ombre grandissante. Cette ville, cette activité laborieuse, ce calme, cet ordre, ce bonheur, c’était son œuvre. Tout le passé s’évoqua à la fois, et il soupira de fatigue et d’orgueil.
Le temps était enfin venu de songer à lui-même. Sans marchander, il allait disparaître de cette foule dont il avait fait un peuple riche, heureux, puissant. Maître pour maître, ce peuple ne s’apercevrait pas du changement. Lui, du moins, il irait mourir, comme il avait vécu, dans la liberté.
Il n’attristerait d’aucun adieu ce départ qui était une délivrance. Avant de partir, il ne serrerait dans ses bras, ni le fidèle Karroly, ni Harry Rhodes son ami, ni Hartlepool ce loyal et dévoué serviteur, ni Halg, ni Dick, ses enfants. A quoi bon cela? Pour la seconde fois, il s’évadait de l’humanité. Son amour s’amplifiait de nouveau, devenait vaste comme le monde, impersonnel comme celui d’un dieu, et n’avait plus besoin, pour se satisfaire, de ces gestes puérils. Il disparaîtrait sans un mot, sans un signe.
La nuit devint profonde. Comme des paupières que ferme le sommeil, les fenêtres des maisons s’éteignirent une à une. La dernière s’endormit enfin. Tout fut noir.
Le Kaw-djer sortit du Gouvernement et marcha vers le Bourg-Neuf. La route était déserte. Jusqu’au faubourg, il ne rencontra personne.
La Wel-Kiej se balançait près du quai. Il s’y embarqua et largua l’amarre. Au milieu du port, il distinguait la masse sombre du vaisseau chilien, à bord duquel un timonier piquait minuit au même instant. Détournant la tête, le Kaw-djer poussa au large et hissa la voile.
La Wel-Kiej prit son erre, évolua, sortit des jetées. Là, son allure s’accéléra sous l’effort d’une fraîche brise du Nord-Ouest. Le Kaw-djer pensif tenait la barre, en écoutant la chanson de l’eau contre le bordage.
Quand il voulut jeter un regard en arrière, il était trop tard. La pièce était jouée, le rideau tiré. Le Bourg-Neuf, Libéria, l’île Hoste avaient disparu dans la nuit. Tout s’évanouissait déjà dans le passé.
XV
SEUL!
Dick, attentif à ne pas devancer le moment fixé, ouvrit, au premier rayon du soleil, le pli que lui avait donné le Kaw-djer. Il lut:
«Mon fils,
«Je suis las de vivre et j’aspire au repos. Quand tu liras ces mots, j’aurai quitté la colonie sans esprit de retour. Je remets son sort entre tes mains. Tu es bien jeune encore pour assumer cette tâche, mais je sais que tu ne lui seras pas inférieur.
«Exécute loyalement le traité signé par moi avec le Chili, mais exige rigoureusement la réciproque. Quand les gisements aurifères seront épuisés, nul doute que le Gouvernement chilien ne renonce de lui-même à une suzeraineté purement nominale.
«Ce traité coûte temporairement aux Hosteliens l’île Horn qui devient ma propriété personnelle. Elle leur retournera après moi. C’est là que je me retire. C’est là que j’entends vivre et mourir.
«Si le Chili manquait à ses engagements, tu te souviendrais du lieu de ma retraite. Hors ce cas, je veux que tu m’effaces de ta mémoire. Ce n’est pas une prière. C’est un ordre, le dernier.
«Adieu. N’aie qu’un seul objectif: la Justice; qu’une seule haine: l’Esclavage; qu’un seul amour: la Liberté.»
A l’heure où Dick, bouleversé, lisait ce testament de l’homme à qui il devait tant, celui-ci, le front appesanti par de lourdes pensées, continuait à fuir, point imperceptible, sur la vaste plaine de la mer. Rien n’était changé à bord de la Wel-Kiej, dont il tenait toujours la barre d’une main ferme.
Mais l’aube empourpra le ciel, et un frisson de rayons d’or courut sur la surface palpitante de la mer. Le Kaw-djer releva la tête; ses yeux fouillèrent l’horizon du Sud. Au loin, l’île Horn apparut dans la lumière grandissante. Le Kaw-djer regarda passionnément cette vapeur confuse, qui marquait le terme du voyage, non pas de celui qu’il accomplissait en ce moment, mais du long voyage de la vie.
Vers dix heures du matin, il vint aborder au fond d’une petite crique à l’abri du ressac. Aussitôt, il mit pied à terre et procéda au débarquement de sa cargaison. Une demi-heure suffit à ce travail.
Alors, en homme pressé de se débarrasser d’une besogne pénible qu’il a résolu d’accomplir, il saborda la chaloupe d’un furieux coup de hache. L’eau pénétra en bouillonnant par la blessure. La Wel-Kiej, comme eût chancelé un être frappé à mort, s’inclina sur bâbord, oscilla, coula dans l’eau profonde... D’un air sombre, le Kaw-djer la regarda s’engloutir. Quelque chose saignait en lui. De cette destruction de la fidèle chaloupe qui l’avait porté si longtemps, il éprouvait de la honte et du remords comme d’un meurtre. Par ce meurtre, il avait tué en même temps le passé. Le dernier fil qui le rattachait au reste du monde, était définitivement coupé.
La journée tout entière fut employée à monter jusqu’au phare les objets qu’il avait apportés et à visiter son domaine. Le phare, les machines prêtes à fonctionner, le logement meublé, tout y était complètement achevé. D’autre part, au point de vue matériel, il lui serait facile de vivre là, grâce au magasin largement pourvu de vivres, aux oiseaux marins qu’abattrait son fusil, aux graines dont il s’était muni et qu’il sèmerait dans les creux du rocher.
Un peu avant la fin du jour, son installation terminée, il sortit. A quelque distance du seuil, il aperçut un tas de pierres, où l’on avait amoncelé les débris retirés des fondations.
L’une de ces pierres attira plus vivement son attention. Elle avait roulé sur le bord du plateau. Il eût suffi de la pousser du pied pour qu’elle s’engloutît dans la mer.
Le Kaw-djer s’approcha. Une flamme de mépris et de haine brillait dans son regard...
Il ne s’était pas trompé. Cette pierre zébrée de lignes brillantes, c’était du quartz aurifère. Peut-être contenait-elle toute une fortune que les ouvriers n’avaient pas su reconnaître. Elle gisait là, délaissée comme un bloc sans valeur.
Ainsi le métal maudit le poursuivait jusque-là!... Il revit les désastres qui s’étaient abattus sur l’île Hoste, l’affolement de la colonie, l’envahissement des aventuriers accourus de tous les coins du monde, la faim,... la misère,... la ruine...
Du pied, il poussa l’énorme pépite dans l’abîme, puis, haussant les épaules, il s’avança jusqu’à l’extrême pointe du cap.
Derrière lui se dressait le pylône métallique portant à son sommet le lanterneau, d’où, pour la première fois, allait jaillir tout à l’heure un puissant rayon qui montrerait la bonne route aux navires.
Le Kaw-djer, face à la mer, parcourut des yeux l’horizon.
Un soir, il était déjà venu à cette fin du monde habitable. Ce soir-là, le canon du Jonathan en détresse tonnait lugubrement dans la tempête. Quel souvenir!... Il y avait treize ans de cela!
Mais, aujourd’hui, l’étendue était vide. Autour de lui, si loin qu’allât son regard, partout, de tous côtés, il n’y avait rien que la mer. Et, quand bien même il eût franchi la barrière de ciel qui limitait sa vue, nulle vie ne lui fût encore apparue. Au delà, très loin, dans le mystère de l’Antarctique, c’était un monde mort, une région de glace où rien de ce qui vit ne saurait subsister.
Il avait donc atteint le but, et tel était le refuge. Par quel sinistre chemin y avait-il été conduit? Il n’avait pas souffert, pourtant, des douleurs coutumières des hommes. Lui-même était l’auteur et la victime de ses maux. Au lieu d’aboutir à ce rocher perdu dans un désert liquide, il n’eût tenu qu’à lui d’être un de ces heureux qu’on envie, un de ces puissants devant lesquels les fronts se courbent. Et cependant il était là!...
Nulle part ailleurs, en effet, il n’aurait eu la force de supporter le fardeau de la vie. Les drames les plus poignants sont ceux de la pensée. Pour qui les a subis, pour qui en sort, épuisé, désemparé, jeté hors des bases sur lesquelles il a fondé, il n’est plus de ressource que la mort ou le cloître. Le Kaw-djer avait choisi le cloître. Ce rocher, c’était une cellule aux infranchissables murs de lumière et d’espace.
Sa destinée en valait une autre, après tout. Nous mourons, mais nos actes ne meurent pas, car ils se perpétuent dans leurs conséquences infinies. Passants d’un jour, nos pas laissent dans le sable de la route des traces éternelles. Rien n’arrive qui n’ait été déterminé par ce qui l’a précédé, et l’avenir est fait des prolongements inconnus du passé. Quel que fût cet avenir, quand bien même le peuple qu’il avait créé devrait disparaître après une existence éphémère, quand bien même la terre abolie s’en irait dispersée dans l’infini cosmique, l’œuvre du Kaw-djer ne périrait donc pas.
Debout comme une colonne hautaine au sommet de l’écueil, tout illuminé des rayons du soleil couchant, ses cheveux de neige et sa longue barbe blanche flottant dans la brise, ainsi songeait le Kaw-djer, en contemplant l’immense étendue devant laquelle, loin de tous, utile à tous, il allait vivre, libre, seul,—à jamais.
FIN.
TABLE
| PREMIÈRE PARTIE. | ||
| Chapitres. | Pages. | |
| I. | — Le Guanaque | 1 |
| II. | — Mystérieuse existence | 8 |
| III. | — La fin d’un pays libre | 18 |
| IV. | — A la côte | 31 |
| V. | — Les naufragés | 40 |
| DEUXIÈME PARTIE. | ||
| I. | — A terre | 47 |
| II. | — La première loi | 73 |
| III. | — A la baie Scotchwell | 81 |
| IV. | — Hivernage | 95 |
| V. | — Un navire en vue | 114 |
| VI. | — Libres | 135 |
| VII. | — La première enfance d’un peuple | 148 |
| VIII. | — Halg et Sirk | 174 |
| IX. | — Le deuxième hiver | 194 |
| X. | — Du sang | 205 |
| XI. | — Un chef | 219 |
| TROISIÈME PARTIE. | ||
| I. | — Premières mesures | 233 |
| II. | — La cité naissante | 248 |
| III. | — L’attentat | 270 |
| IV. | — Dans les grottes | 285 |
| V. | — Un héros | 302 |
| VI. | — Pendant dix-huit mois | 316 |
| VII. | — L’invasion | 335 |
| VIII. | — Un traître | 349 |
| IX. | — La patrie hostelienne | 363 |
| X. | — Cinq ans après | 382 |
| XI. | — La fièvre de l’or | 399 |
| XII. | — L’île au pillage | 415 |
| XIII. | — Une «journée» | 435 |
| XIV. | — L’abdication | 451 |
| XV. | — Seul! | 471 |
Au lecteur.
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Corrections.
Page 19: «dizaines» remplacé par «dizaine» (depuis une dizaine d’années).
Page 26: «Fourrier» remplacé par «Fourier» (Saint-Simon, Fourier, Proudhon et _tutti quanti_).
Page 82: «concilante» remplacé par «conciliante» (d’humeur plus conciliante).
Page 99: «esayé» remplacé par «essayé» (que ces coquins aient essayé de s’emparer de votre chaloupe).
Page 104: «de de» remplacé par «de» (près de quinze jours côte à côte).
Page 104: «Well» remplacé par «Wel» (les réparations de la _Wel-Kiej_).
Page 105: «abatage» remplacé par «abattage» («lors de l’abattage d’arbres» et «Au point de vue de l’abattage»).
Page 119: «chassenrs» remplacé par «chasseurs» (les chasseurs de loups marins).
Page 120: «brides» remplacé par «bride» (qui tiennent en bride les instincts haineux).
Page 125: «props» remplacé par «propos» (à propos d’une autre histoire).
Page 130: inséré «le » (Tandis que le Kaw-djer s’oubliait).
Page 140: «immédiatemment» remplacé par «immédiatement» (la nouvelle République serait immédiatement mise en possession).
Page 141: «s’en» remplacé par «sans» (l’on ne se quitte pas sans s’être dit adieu).
Page 154: «argentins» remplacé par «argentines» (des pampas argentines).
Page 156: «Blacker» remplacé par «Blaker» (Patterson, Long et Blaker).
Page 159: «risposta» remplacé par «riposta» (riposta Germain Rivière).
Page 167: «Hobart» remplacé par «Hobard» (plus les deux charpentiers Hobard et Charley).
Page 170: «intruments» remplacé par «instruments» (ces instruments de production).
Page 176: «sourcis» remplacé par «sourcils» (Kaw-djer l’écoutait les sourcils froncés).
Page 188: «s’écia» remplacé par «s’écria» (—Rester près de vous!... s’écria Graziella).
Page 193: «combattive» remplacé par «combative» (la nature combative des humains).
Page 226: «attidude» remplacé par «attitude» (leur attitude avait quelque chose de militaire).
Page 230: «échant» remplacé par «échéant» (ils l’étaient encore, le cas échéant).
Page 240: «Hobart» remplacé par «Hobard» (sous la direction du charpentier Hobard).
Page 253: «ouvaient» remplacé par «ouvraient» (ses lèvres ne s’entr’ ouvraient que pour dire l’indispensable).
Page 259: «la la» remplacé par «la» (prit la parole).
Page 273: «Jakson» remplacé par «Jackson» (—Et Jackson , énuméra Dorick).
Page 278: «mumura» remplacé par «murmura» (—Comme ça!... murmura-t-il).
Page 280: «Kennnedy» remplacé par «Kennedy» (Kennedy les arrachait une à une).
Page 283: «Pourquoi» remplacé par «Pour quoi» (—Pour quoi faire?).
Page 299: «et et» remplacé par «et» (un cent pour le dîner et un cent pour vous).
Page 310: «garotté» remplacé par «garrotté» (on avait enfermé et si solidement garrotté).
Page 314: «arcboutant» remplacé par «arc-boutant» (en s’arc-boutant les uns contre les autres).
Page 321: «combattives» remplacé par «combatives» (d’allures moins effrontées et moins combatives).
Page 321: «auquels» remplacé par «auxquels» (Pour ceux auxquels il n’était pas familier).
Page 337: «Ponsounby» remplacé par «Ponsonby» (le Ponsonby Sound) (deux fois).
Page 341: «deux» remplacé par «d’eux» (L’un d’eux vidait-il les arçons?).
Page 342: «surplomblaient» remplacé par «surplombaient» (des rochers surplombaient la chaussée).
Page 349: «enlizé» remplacé par «enlisé» (où un cheval se fût enlisé jusqu’au ventre).
Page 361: «gouglou» remplacé par «glouglou» (un faible glouglou lui fit comprendre).
Page 365: «chuchottantes» remplacé par «chuchotantes» (des frôlements, des voix chuchotantes).
Page 371: «Néammoins» remplacé par «Néanmoins» (Néanmoins , il est superflu de le dire).
Page 383: «Gouveruement» remplacé par «Gouvernement» (le plus beau était le Gouvernement).
Page 386: «navives» remplacé par «navires» (les navires y apportent le nécessaire).
Page 389: «particulièment» remplacé par «particulièrement» (Les criques de l’île Hoste sont particulièrement recherchées).
Page 395: «Aiguire» remplacé par «Aguire» (s’écria M. Aguire étonné).
Page 430: «Gouvervement» remplacé par «Gouvernement» (le Gouvernement de la colonie).
Page 430: «véritale» remplacé par «véritable» (en dévoilant sa véritable personnalité).
Page 451: «tannières» remplacé par «tanières» (hors de leurs tanières).
Page 452: «sentaient» remplacé par «serraient» (maintenant qu’ils se serraient les coudes).
Page 464: «quel» remplacé par «quelle» (Voilà donc à quelle impasse il aboutissait).
Page 466: «nous-même» remplacé par «nous-mêmes» (n’en étant pas nous-mêmes dépourvus).