Madame de Chevreuse: Nouvelles études sur les femmes illustres et la société du 17e siècle
NOTES DU CHAPITRE II
Dans ce chapitre, les deux points importants sont: 1o les intrigues de Buckingham en Angleterre, où Mme de Chevreuse a été mêlée par Holland; 2o la conspiration de 1626, à laquelle Mme de Chevreuse a pris une si grande part, et qui porte très-improprement le nom de conspiration de Chalais, quoique celui-ci n'y ait joué qu'un rôle secondaire, mais parce qu'il y a laissé sa tête. Rassemblons sur ces deux points les pièces nouvelles sur lesquelles est fondé notre récit.
I
INTRIGUES D'ANGLETERRE.
Établissons bien d'abord les rôles officiels de tous les personnages. L'ambassadeur ordinaire d'Angleterre en France sous Jacques Ier et sous Charles Ier était Goring, qui fut fait baron en 1625, à l'occasion du mariage. Henri Rich, lord Kensington, avait été envoyé en France dès 1624 par le roi Jacques, comme ambassadeur extraordinaire, pour traiter l'affaire du mariage, et on lui avait adjoint pour cette même affaire, et sur sa demande, le comte de Carlisle. Tous deux avaient aussi reçu leur récompense: milord Rich avait été nommé comte de Holland, et le comte de Carlisle avait eu la Jarretière. L'ambassadeur français en Angleterre était d'abord le comte de Tillières, qui n'avait pas fort bien réussi; on l'avait remplacé ou soutenu par le comte d'Effiat, depuis maréchal et surintendant des finances, le père de Cinq-Mars, qui lui-même, plus tard, en 1626, avait été remplacé par le comte de Blainville. Outre l'ambassadeur ordinaire, le duc de Chevreuse, grand chambellan de France, accompagnait la nouvelle reine d'Angleterre, au nom du roi son frère, avec le titre d'ambassadeur extraordinaire; et il avait avec lui sa femme, alors encore surintendante de la maison de la reine, qui avait été autorisée à suivre son mari et à escorter Madame, au moins jusqu'à la frontière de France; il paraît qu'elle avait pris sur elle et obtenu à grand'peine de M. de Chevreuse d'aller jusqu'à Londres. Le duc, par sa naissance et sa magnificence, était fort propre à la grande représentation, mais les affaires étaient en d'autres mains. La nouvelle reine eut d'abord pour confesseur le père de Berulle, fondateur et supérieur de l'Oratoire, l'homme de la reine mère et encore celui de Richelieu; il avait été remplacé de bonne heure par un autre père de l'Oratoire, le père de Sanci, de la maison de Harlay. Le chef de la maison ecclésiastique de la reine était l'évêque de Mende, un peu parent de Richelieu, qui avait toute sa confiance, et correspondait avec lui. L'ambassadeur ordinaire avait ordre de s'entendre avec l'évêque, et ils devaient agir de concert. La grande affaire était l'établissement de la jeune reine, selon les conventions et stipulations de son contrat de mariage. Enfin Charles Ier, comme son père Jacques, s'efforçait d'intéresser la France au sort du prince Palatin du Rhin, son beau-frère, qui pour avoir prétendu à la couronne de Bohème avait fini par perdre ses États, que Charles Ier travaillait à lui faire rendre par la diplomatie ou par la guerre.
Cela posé, on s'oriente aisément dans une précieuse correspondance de Richelieu avec d'Effiat, Blainville, le père de Sanci et l'évêque de Mende, dont on trouve des extraits aux archives des affaires étrangères, dans le fond si souvent cité par nous, France, en un volume relié en vert, séparé du reste de la série, sans numéro d'ordre, mais portant ce titre: de 1624 à 1627; à ce volume séparé, il faut joindre, dans la série France, les t. XXXVII, XXXVIII, XXXIX et XL, qui se rapportent aux années 1625 et 1626.
Henri Rich, comte de Holland, était insinuant, flatteur, courtisan et diplomate habile. Il avait fort réussi en France et avait d'abord été assez bien avec Richelieu. Mais il était par-dessus tout dévoué à Buckingham. Dans le volume précité on rencontre divers billets polis de Holland au cardinal, sans aucune importance; nous en possédons un qui n'est point aux archives des affaires étrangères, et qui, comme nous l'avons dit, p. 51, montre avec quel soin Holland relevait auprès de Richelieu les mérites et les services de Mme de Chevreuse. Le billet est autographe, en français, fort incorrect, comme on le pense bien; il n'est pas daté, mais il est évidemment de 1625; le cachet est intact ainsi que les soies vertes.
A MONSEIGNEUR, MONSEIGNEUR LE CARDINAL DE RICHELIEU.
«Monseigneur, le retour de monsieur de Montegue (sic pour Montaigu) a été délayé (différé) et embarrassé, comme déjà vous avés sçu; mais asteure (à cette heure) il part avecque les résolutions du roi qui, nous espérons, vous seront agréables, come ont esté à Sa Majesté et à la reine les nouvelles de votre générosité envers leur cousine, Mme de Chevreuse, une action si noble qu'elle ajoute à votre gloire et sert à vos serviteurs; car toute cette court qui a esté honorée de la présence et cognoissance de cette dame la juge aussi bonne que belle, allant en perfection et égualité ensemble (sic). Pour moi, monseigneur, j'ai receu par M. de Montegue tels témoignagnes de votre faveur et estime qu'ils m'obligent d'être tous les jours de ma vie, monseigneur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.
«Hollande [365].»
Mais Richelieu n'était pas dupe de Holland et de Mme de Chevreuse, et, malgré tous ces beaux semblants, ses fidèles agents l'avertissaient de toutes les intrigues qui se formaient en Angleterre, et contre la jeune reine et contre la France.
Année 1624. France, 1624-1627.
Lettre de d'Effiat, de juillet. Rich avoit demandé à la cour son ami, le comte de Carlile, pour achever l'œuvre commencée; maintenant ils sont divisés.—Le même, 28 aout. Rich a écrit en Angleterre qu'il a vu le cardinal, lequel lui avoit demandé s'il aimoit mieux que le comte de Tillières retournât ou que d'Effiat demeurât. Rich a rendu ici un compte fidèle des honneurs que le roi, la reine mère et le cardinal lui ont faits.—Le comte de Holland a Richelieu, 25 octobre. Il se plaint qu'on ne veut pas s'engager sur l'affaire du Palatinat que le prince de Galles a fort à cœur.—D'Effiat, 24 novembre. Le roi d'Angleterre dit qu'ayant fait Rich comte de Holland et donné la Jarretière au comte de Carlisle en considération du mariage, le roi de France ne peut pas ne pas donner le cordon à d'Effiat, son ambassadeur.
Année 1625. France, t. XXXVII.
RICHELIEU A D'EFFIAT, DU 10 MAI: «Carlile et Holland connaissent mal la France.»—Le même, 20 juillet, l'évêque de Mende, quand Mme de Chevreuse était encore en Angleterre: «On sçait ses mauvais déportemens, sa coquetterie, et les faiblesses de son mari.»—Aout, billet en chiffre de l'évêque de Mende: «Mme de Chevreuse doit faire ses couches en Angleterre, et pendant qu'elle dit qu'elle veut s'en aller, elle fait sous main que le roi d'Angleterre lui défend de partir.»—Autre lettre a l'évêque de Mende, du même mois, sur le même sujet: «Elle est logée chez lord Holland. La faiblesse du mari est si grande qu'on en a honte. Elle pleura beaucoup à Boulogne lorsque son mari dit qu'elle ne passeroit pas. Elle est cinq ou six jours avec Buckingham, et ne voit pas la reine un quart d'heure. Chaque jour elle et la maréchale de Thémines mangent de la chair publiquement.»—Le même, en chiffre et du commencement d'août: «On n'a pas de plus grand ennemi que Buckingham. Il tâche de mettre mal la reine dans l'esprit du roi. La reine, d'un autre côté, ne fait pas ce qu'elle peut pour gagner le roi qui est amoureux d'elle. Elle ne le voit point ou ne le voit que malgré elle. Buckingham veut placer sa sœur auprès de la reine. C'est un esprit dangereux; elle est aux gages des ministres, et elle pourra gâter l'esprit de la reine. Effiat part demain avec les vaisseaux (vaisseaux français que les Rochellois avaient pris et conduits en Angleterre, chap. II, p. 56). Chevreuse sur la fin s'est porté avec courage.»—Richelieu a M. de Blainville qui succédait à d'Effiat, 10 ET 11 NOVEMBRE: «Les Anglois semblent n'avoir de chaleur que quand il faut prendre un parti préjudiciable à la France... La France pourroit bien s'accommoder avec l'Espagne plutôt que de souffrir les hauteurs de Buckingham. M. de Chevreuse lui en a écrit. Enfin, on peut faire connoître à Buckingham que, s'il veut aller en France, il faut qu'il fasse exécuter les articles du mariage, qu'autrement il n'y sera pas le bien venu. Tel est encore le naturel des Anglois, que si on parle bas avec eux il parlent haut, et si on parle haut ils parlent bas.»—13 DÉCEMBRE. Lettre commune de Blainville et de l'évêque de Mende. Ils justifient leur conduite énergique et accusent celle de d'Effiat et de M. de Chevreuse: «Avec les Anglois, il faut agir avec vigueur.»
Année 1626. France, 1624-1827.
Lettre de blainville, 26 janvier 1626: «Buckingham offrit hier à la reine d'Angleterre de la faire entrer au conseil et de lui donner part aux affaires. La reine d'Angleterre s'en excusa, par l'avis de Blainville, sur son âge et parce qu'elle n'entend point la langue; elle pria Buckingham de lui conserver cette bonne volonté pour d'autres occasions et de lui laisser la disposition de sa maison et qu'on ménageât un peu plus les catholiques. Blainville croit que Buckingham tendoit plus d'un piége à la reine, qu'il vouloit la rendre odieuse et avoir aussi le moyen de la voir plus souvent. Buckingham est inquiet à cause de la tenue du parlement. Les Anglois voient avec peine les préparatifs que fait le marquis de Spinola, déclaré amiral de ces mers sous le roi d'Espagne. L'ambassadeur de Savoie dit que son maître engagera si bien les affaires dans le Milanais, que le roi sera obligé de faire la paix avec les Huguenots. Les armements que la France fait ne sont pas inutiles. Le traité fait par le feu roi d'Angleterre et celui de France, par lequel il n'est pas permis à un des deux rois d'assister les rebelles de l'autre, va finir. Il envoie la proclamation publiée le jour précédent contre les catholiques; il l'appelle leur extrême-onction et croit qu'il la faut faire voir au comte d'Holland.»
5 MARS.—Lettre commune de M. de Blainville et de l'évêque de Mende. «Intelligence de Buckingham en France. Courriers qui lui viennent, et qui gâtent tout et décréditent les ministres du roi. Buckingham et ses partisans ne sont venus à des accommodements secrets que parce qu'on leur a fait connoître la faiblesse et la force de la France.»
L'évêque de mende, 2 avril: «Il a trouvé les affaires fort brouillées à son retour de France. Il a engagé Buckingham à rendre visite à M. de Blainville dont la vanité est grande. Le parlement persiste dans la résolution de ruiner le duc. Le roi se voit obligé à le défendre. Le duc a voulu sacrifier les catholiques, croyant appaiser le parlement, et feroit souvent le même sacrifice s'il lui avoit réussi.»
Le même, mai: «Buckingham est accusé par Bristol d'avoir fait mourir le feu roi d'Angleterre. C'est un artifice des Anglois pour lier les mains au roi. Buckingham se flatte que s'il est condamné par la chambre basse, il sera absous par la haute, et il se trompe. On accuse Carlile, Holland, etc.»—Le même, 24 mai: «On poursuit vivement Buckingham. Le roi est allé au parlement déclarer que Buckingham n'a rien fait que par son ordre, et il a fait arrêter deux gentilshommes qui avoient parlé contre lui, ce qui a fort aigri le parlement, qui ne veut plus travailler qu'on ne mette ces deux hommes en liberté. Si le roi les rend, il perd son crédit. Le parlement est résolu de déclarer Buckingham auteur des désordres qui sont entre le roi et le peuple, et charge le comte d'Arondel de le poursuivre. Mende a dit à celui-ci que la reine ne désapprouveroit pas sa conduite, et à l'autre (Buckingham) que s'il rompoit avec les parlementaires il trouveroit des voisins qui l'assisteroient. Les catholiques sont persuadés que leur salut dépend de cette division. Si on ne tend les bras à Buckingham, il se hâtera de faire la paix avec l'Espagne. Il promet de donner dans peu de jours quelque satisfaction pour les catholiques. On a délivré commission pour les domaines de la reine.»—Le même, 25 mai: «Buckingham, croyant pouvoir justifier l'emprisonnement des deux gentilshommes, a fait opiner la chambre haute. Holland est le seul qui ait parlé pour lui. Carlile s'est tu; tous les autres ont été contre. La même chambre, malgré les brigues du duc, a donné un avocat à Bristol. Les juges, assemblés pour savoir si les rois pouvoient être dénonciateurs ou témoins, et étant sur le point de prononcer que non, il les a empêchés de prononcer. Il y a des choses si infâmes, si sordides dans les accusations de Bristol contre le duc, qu'on n'ose les écrire. On croit que Bristol sortira glorieux et que Buckingham succombera.»
Le même, 6 juin: «Il a fait voir à Buckingham la compassion qu'a le cardinal pour sa fortune, et il a, à la prière de Buckingham, fait connoître au roi d'Angleterre qu'il ne devoit jamais l'abandonner, et que c'étoit plutôt le roi qu'on attaquoit que le favori. On a mis en liberté les deux membres de la chambre basse. Le sieur George Eliot étant élargi a parlé d'une manière encore plus offensante contre le duc qu'il n'avoit fait. Le parlement demande le rappel du comte d'Arondel ou qu'on découvre ses crimes. Le roi vient de faire deux barons, Goring et Carleton.»—Le même, 11 juin: «On a élargi Arondel. Buckingham croit l'avoir gagné et il se trompe; il n'a pu porter le roi à rompre le parlement. Le roi d'Angleterre a tenu conseil avec Buckingham, Carlile, Holland et autres ministres pour savoir si on romproit le parlement ou si on le continueroit; quelques-uns ont été d'avis qu'il n'y avoit point d'autres moyens de sauver Buckingham que de casser le parlement. Buckingham a dit que le dessein étoit hardi dans la nécessité où l'on étoit et qu'il ne vouloit pas pour ses intérêts particuliers hasarder l'autorité de son maître. On a ajouté que la rupture du parlement pourroit entraîner la ruine des Huguenots en France, parce que le roi de France, connoissant la faiblesse de l'Angleterre, ne manqueroit pas de les attaquer. La résolution est prise de continuer, et s'ils peuvent obtenir des subsides du parlement, ils s'en serviront pour le ruiner. Le dessein étoit, si les affaires avoient réussi dans le parlement, de chasser les François et de porter la guerre en France, ce qu'ils feront dès qu'ils en auront le moyen, tant ils sont irrités de la paix de La Rochelle, du traité de Monçon conclu avec l'Espagne, de l'arrêt de leurs marchandises.»—Le même, 24 juin: «Envoie copie de la lettre que le roi d'Angleterre écrit à la chambre basse pour la presser de régler les subsides. La chambre a répondu avec audace et mépris qu'il falloit auparavant leur faire justice sur les griefs qu'elle avoit présentés contre Buckingham. On parle de casser incessamment le parlement. Un courrier de Savoie, arrivé depuis vingt-quatre heures, donne espérance d'éluder la paix par ses artifices. Le roi d'Angleterre est fort piqué de ce qui s'est dit dans le traité de Monçon que, si les alliés refusent les conditions équitables, les deux rois s'uniront pour les y contraindre. Mais ce prince devroit se piquer davantage du refus absolu qu'on lui fait de lui donner des subsides. Il ne peut digérer la paix de La Rochelle et l'arrêt des vaisseaux et marchandises d'Angleterre; il en parle avec chaleur. Le parlement proteste contre le duc de Buckingham comme auteur des divisions entre le roi et son peuple. On ne peut pousser plus loin la persécution contre les catholiques. Les prisons sont devenues des couvents de religieuses. Mende écrit qu'il a vu Buckingham en pleurs aux pieds de son maître. Si le roi d'Angleterre casse le parlement, il faut qu'il en convoque un autre six semaines après, n'ayant pas de quoi subsister. Bristol a donné de nouvelles charges contre Buckingham, et son fils a donné une relation touchant de qui s'est passé en Espagne toute contraire à celle de Buckingham.»—Le même, 26 juin: «Le roi a cassé son parlement parce que le lendemain les deux chambres s'unissoient pour porter la sentence contre le duc. Jamais prince n'a été plus haï ni dans une plus grande nécessité que le roi d'Angleterre. Le duc peut bien différer, mais non pas éviter sa perte. Mende veut le porter à rompre avec le parlement afin de donner, par ce moyen, le temps de respirer aux catholiques. On poussoit Buckingham sur l'affaire d'Espagne. Bristol a été envoyé à la Tour; on lui a offert son pardon, il l'a refusé disant que le pardon n'étoit que pour les coupables. Le comte d'Arondel est relegué dans sa maison avec toute sa famille. Le roi d'Angleterre a arraché des registres la déclaration, autorisée de sa main, de l'alliance d'Espagne, et celle de la chambre basse qui proteste que les impositions faites sans son ministère sont de pures violences.»—Le même, 28 juin: «Il a écrit par Montaigu ce qui s'est passé depuis la rupture du parlement. Londres a refusé un million qu'on lui demandoit à emprunter. On demandoit aux aldermans à chacun 50,000 fr., ce qu'ils ont refusé. On a donné à Hamilton le commandement de quarante vaisseaux, il l'a refusé. Le garde des sceaux a ordonné à Bristol de se préparer à répondre; Bristol pourra demander son renvoi où le procès a été intenté. Tout cela aigrit le peuple contre Buckingham.»
Le même, 4 juillet: «Il a écrit par Montaigu, par ordre du roi d'Angleterre, le lendemain que le parlement fut cassé. Le roi assembla un grand conseil pour faire autoriser les impositions sur le peuple. Personne n'en ose ouvrir la bouche. On envoie par les provinces des lettres royales qui ne font que trop connaître la misère de la cour. On ne croit pas qu'ils gagnent beaucoup par cette quête. On a voulu faire des emprunts dans Londres, on n'a eu que des refus. Cependant Montaigu croit que dans peu le roi sera au-dessus de ses affaires et qu'il sera craint et redouté plus qu'aucun autre. Buckingham veut se faire absoudre par la chambre de l'Étoile. On ne croit pas qu'il y ait des personnes assez hardies pour le décharger des accusations de la chambre basse. Le roi d'Angleterre donne de bonnes paroles pour les catholiques, et en même temps il donne des commissions pour les poursuivre. Buckingham dit que les promesses en leur faveur n'ont été faites que pour endormir le pape. On doit s'en plaindre et les menacer de ne pas s'engager pour les affaires d'Allemagne. Il est important de faire connaître aux catholiques qu'on ne les abandonne pas. On tâchera de tirer d'eux une somme considérable. Mais Mende ne leur conseille pas de rien donner. Montaigu va solliciter le payement des 400,000 écus. Il dira que la reine a ses domaines, ce qui n'est pas. Jamais princesse n'a été plus maltraitée. Le comte de Carlile a conté à Mende les discours que Monsieur lui a faits, si pleins de haine et de mépris pour le roi que par respect on n'ose les écrire. Les dames du cabinet d'en haut (évidemment Mme de Chevreuse, la maréchale Ornano, la reine Anne) tiennent les Anglois fidèlement avertis. On dit Monsieur et la reine en bonne intelligence.»—Réponse du cardinal, 10 juillet: «Si les Anglois mettent des impôts sur les marchandises de France, on en mettra en France sur celles d'Angleterre. On fera ce qu'on pourra pour soulager les catholiques. On laisse à Mende de se roidir ou de se relâcher sur ce qui concerne la maison de la reine.»—Le même, 16 juillet: «On a quelque lumière que les Anglois veulent se prévaloir des mécontentements de Monsieur et faire déclarer les Rochelois en sa faveur. L'ambassadeur de Savoie est le principal promoteur de cette affaire. On a surpris un paquet de Mme de Rohan, la mère, qui excite le sieur de Soubise, son fils, qui est retiré en Angleterre, à faire du pis qu'il pourra. Il faut tâcher de découvrir sur cela tout ce qu'on pourra. On a découvert de grandes cabales par la prise de Chalais: on fera ce qu'il faut pour y remédier.»
L'ÉVÊQUE DE MENDE PAR COURRIER EXTRAORDINAIRE: «La ville de Londres accorde 200,000 livres, monnaie de France, au roi d'Angleterre. Le roi d'Angleterre s'approprie les deux tiers des biens des catholiques. On a retranché douze tables dans sa maison. On a envoyé dans les provinces affermer certaines viandes, de même que les charrettes, ce qui ne produira pas 40,000 écus par an, et rallume la haine contre le gouvernement. On a tenu conseil sur l'emploi de la flotte. Les uns vouloient qu'on l'envoyât à la rencontre de la flotte d'Espagne; les autres qu'elle demeurât sur les côtes pour interrompre le commerce; un troisième a conseillé de l'employer à reprendre les îles que les Rochelois ont perdues, assurant Buckingham que c'étoit le moyen de se faire absoudre par le parlement. Buckingham a fait mine de rejeter ce conseil et a consulté en même temps le moyen de l'exécuter. Le comte d'E. partira le 25 avec douze vaisseaux, et Buckingham, trois semaines après, avec les vingt-huit autres. Ils n'ont pas de vivres pour deux mois. Le roi d'Angleterre attend de grands effets de l'intelligence qui est entre Monsieur et la reine, et que presque toute la cour conspire à ce dessein. Buckingham entretenoit le roi d'Angleterre de la correspondance qui est entre le cardinal et Mme de Chevreuse, et qu'elle le caresse à deux fins: l'une pour éviter l'éloignement dont elle est menacée; l'autre pour couvrir ses intrigues. La reine d'Angleterre a fort protégé Buckingham pendant le parlement, et pour reconnaissance il n'est jour que lui et Carlile ne fassent tous leurs efforts pour irriter le roi d'Angleterre contre elle. Ils vont lui donner un parfumeur de Lombardie pour maître d'hôtel; la reine a prié le roi de ne la pas obliger à le recevoir. On lui a donné pour dames du lit la duchesse de Buckingham, la comtesse d'Amblie, la marquise d'Hamilton, les comtesses de Carlile et d'Holland. On a mis ce nombre afin d'exclure les dames françoises du carrosse. La reine a demandé la duchesse de Lenox et la comtesse d'Arondel. On n'a point reçu la duchesse de Buckingham. La reine a prié qu'on ôtât la comtesse de Carlile, ce qu'elle n'a pu obtenir. On a aussi nommé un officier pour auditeur des domaines. Tout cela se fait pour éloigner les François et pour placer les valets et les créatures de Buckingham. Carleton va ambassadeur extraordinaire en France pour le fait des domaines. Il est nécessaire de lui faire sentir fortement le peu de satisfaction qu'a le roi des mauvais traitements qu'on fait à la reine, sa sœur. Carlile et Buckingham tâchent de donner des maîtresses au roi, et on croit qu'ils lui ont fait voir la comtesse d'Oxford.»
Le même, 26 juillet: «Rien n'est plus extravagant que les Anglois. Buckingham, qui ne juroit que par Mende, veut absolument chasser les François. On est très-fâché du mariage de Monsieur (avec Mlle de Montpensier), parce qu'on croit toutes les cabales finies. La flotte étoit préparée contre la France et Soubise avoit ordre de se joindre aux Rochellois avec six vaisseaux qu'on tenoit tout prêts. Les agents de Savoie sont les principaux boute-feux. Les Anglois ont promis toute sorte de secours à ceux de La Rochelle pour reprendre les îles. Jamais temps ne fut plus propre pour attaquer La Rochelle. Les Anglois ne sont en état nullement de la secourir. Le comte de Tillières passe en France sous le prétexte d'aller faire un compliment sur le mariage de Monsieur, mais en effet pour représenter l'état où l'on est.»
Le même, 2 août: «Le duc de Buckingham songe fort à passer en France. La passion qu'il a pour les dames cause beaucoup d'extravagances et le cabinet d'en haut trouble fort les affaires.»
Le même, de la fin de juillet ou du commencement d'août: «La reine envoie Tillières en France. On a mis, par force, quatre dames du lit auprès d'elle. On nie qu'on ait donné promesse de soulager les catholiques. On tâche d'étonner la reine pour lui faire changer de domestiques et ensuite de religion. Ils voudroient faire la paix avec l'Espagne et ils ont chargé Gondomar de leurs propositions. Il faut traverser cette paix dont Carleton doit faire quelque ouverture. Les Anglois en veulent particulièrement au cardinal, persuadés que, pendant son ministère, ils ne pourront pas jeter en France les divisions qu'ils ont projetées. Ils n'ont armé qu'afin de donner plus de hardiesse aux mécontents de la cour de prendre les armes. Soubise, par ordre du roi d'Angleterre, a envoyé à La Rochelle promettre que Buckingham iroit lui-même avec sa flotte les secourir. Cependant ils n'ont que douze vaisseaux. Ils en arrêteront vingt-deux marchands, en cas que La Rochelle accepte leurs offres. Carleton va pour demander l'éloignement des François. Il faut lui répondre fortement jusqu'à le menacer d'une rupture. Ils ne sont pas en état de rien faire sans la tenue d'un parlement, et le parlement est la ruine de Buckingham. Soubise n'a point de chausses ni le duc de quoi lui en donner. Celui-ci a toujours la fantaisie d'aller en France.»—Le même, 10 août: «Il envoie un gentilhomme donner avis qu'on a signifié à tous les François ordre de se retirer, sans leur permettre de voir ni le roi ni la reine d'Angleterre. La reine est pénétrée de douleur. Cette résolution a été prise depuis le retour de Montaigu et sur l'assurance qu'il a donnée qu'on la pouvoit exécuter sans péril. Lettre très-touchante de la reine d'Angleterre à M. de Mende pour le prier de représenter ses malheurs à la reine mère. Il assure que tout ce qu'on peut mander des mauvais traitements que reçoit la reine d'Angleterre est beaucoup au-dessous de la vérité.—Le même: «Sur le refus que les François faisoient de se retirer, le roi d'Angleterre est venu lui-même à Somerset-House leur ordonner de sortir dans les vingt-quatre heures de ses États. On avoit mis près de la reine deux très-mauvais prêtres, Godefroy et Rozier; on a eu bien de la peine à obtenir qu'on y laissera un père de l'Oratoire avec son compagnon, à ces conditions qu'ils n'écriront point en France de la conduite de la reine, et qu'ils ne parleront qu'en présence de témoins. On cherche Calcédoine pour le faire mourir. Quelques conseillers ayant voulu représenter que la France pourroit se venger, Buckingham et Carlile ont parlé du roi avec le dernier mépris. La maison de la reine est remplie d'hérétiques et des parentes de Buckingham; et le roi a dit publiquement qu'il y a plus de huit mois qu'on avoit disposé de toutes les charges et qu'on avoit résolu que la reine n'auroit plus ni vêpres ni messe. On a fait ce qu'on a pu afin que le père de Sancy demeurât. Le roi ne l'a pas voulu permettre.»—Le même, 15 aout: «On a chassé les François par violence. La vanité de Blainville, les intrigues de la reine régnante et de Monsieur ont causé tout cela. On a su que Blainville publioit partout la faiblesse et la nécessité où est l'Angleterre. L'éloignement de la Duvernay (Mme du Vernet, sœur du duc de Luynes, dame d'atour de la reine Anne, compromise dans l'affaire de Chalais) a beaucoup contribué à faire prendre cette résolution. La liberté qu'ils ont eue dans les cabinets a fait ce mal. Ils croient donner par là plus de hardiesse à Monsieur de continuer ses cabales. Toute l'envie est contre le cardinal. On a envoyé à La Rochelle pour savoir quel secours on en pouvoit attendre.»—Le même, 18 aout: «On a défendu aux François d'approcher de la maison de la reine; son confesseur, faute de logement, couche dans la chapelle. Il n'est plus permis à la reine d'entendre la messe publiquement. On a eu beaucoup de peine à lui conserver son médecin et son apothicaire. Le roi d'Angleterre règle sa famille. Il veut qu'il n'y ait plus qu'une table pour lui et pour la reine. On veut traiter avec l'Espagne. Gerbier a fait deux voyages à Bruxelles à cette fin. Ils croient qu'on amasse beaucoup de vaisseaux à Blavet, et que les galères de Marseille étoient dans ces mers; ils en sont très-alarmés. Si on interrompoit le commerce, le peuple pourroit bien faire justice des favoris.»
Mémoire du même a son retour d'Angleterre. «Les Anglois veulent faire la paix avec l'Espagne. On croit que Gondomar est chargé de cette affaire et que les voyages de Le Clerc et de Gerbier à Bruxelles sont à cette fin. Ils espèrent, étant d'accord avec les Espagnols, pouvoir soutenir les Huguenots en France. Peu de temps avant l'emprisonnement du maréchal d'Ornano, Buckingham prit le commandement de la flotte avec dessein d'attaquer les îles de Ré et d'Oléron, ou de surprendre quelque port en Bretagne ou en Normandie. Pembroc et Arondel le dirent à l'évêque de Mende. Après l'emprisonnement du maréchal, et même depuis le retour de Montaigu, ils ont cru que Monsieur pourroit passer en Angleterre. Buckingham s'en est expliqué à l'évêque de Mende et au comte de Tillières. Pembroc a dit au premier qu'on étoit convenu entre Mme de Chevreuse, les dames et les galants, que deux fois l'année on passeroit la mer, sous prétexte de raccommoder le roi et la reine d'Angleterre, et que la reine mère, dans la crainte que sa fille ne fût maltraitée, leur donneroit cette liberté. Comme ils jugent qu'ils pourront être traversés par le cardinal, ils songent à le perdre. Les raisons qu'ils disent en avoir sont la paix des Huguenots, le traité de la Valteline et l'éloignement de la Vieuville.»—Le même, amiens, 24 aout. «Les Anglois sont dans le plus grand étonnement du monde du mariage de Monsieur, et disent qu'il faut que le cardinal soit un ange ou un diable pour avoir démêlé toutes ces fusées. Ils proposent déjà de rétablir une partie des personnes auprès de la reine.»—Le cardinal a M. de Mende, 27 aout. «Il le croit encore en Angleterre. Il loue son courage et dit qu'en ces occasions on doit souffrir le martyre; qu'il pleure avec des larmes de sang l'état malheureux de la reine d'Angleterre. Le roi envoie M. de Bassompierre témoigner le juste ressentiment qu'il a de cette perfidie. On prendra tous les conseils que vous pouvez vous imaginer pour la dignité d'un si grand prince, et pour empêcher que l'âme d'une si vertueuse princesse ne soit en hasard.»
Septembre: Instruction donnée à M. le maréchal de Bassompierre allant en Angleterre, signée à Nantes le 23 août 1626.
Bassompierre, 17 octobre: «Le roi d'Angleterre ne veut entendre parler du rétablissement des officiers de la reine. Bassompierre est si mal content de sa première audience qu'il auroit pris congé de lui s'il en avoit eu la permission.»—Le même, 30 octobre: «Il a disposé les ministres d'Angleterre à faire raison au roi. Buckingham y est fort porté et combat l'esprit opiniâtre du roi, son maître, qui ne veut plus, dit-il, retomber sous la domination et tyrannie que les François ont exercées sur lui en sa maison. Le point le plus difficile est qu'ils ne veulent point d'évêque pour grand aumônier, ni de réguliers.»
«Propositions de M. de Bassompierre et réponses des ministres d'Angleterre. M. de Bassompierre appuie ses demandes sur les articles signés le 20 de novembre 1624, insérés dans le contrat de mariage de Madame Henriette, passé à Paris le 8 mai 1625 et ratifié par le roi de la Grande-Bretagne. Il est expressément promis que Madame aura le libre exercice de la religion catholique pour elle et pour toute sa maison; qu'elle auroit un évêque et un certain nombre de prêtres pour faire le service divin; que tous les officiers de sa maison et ses domestiques seroient François et catholiques choisis par Sa Majesté Très-Chrétienne. Par un autre acte particulier du 12 décembre 1624, le roi Jacques promet que tous ses sujets catholiques jouiront à l'avenir de plus de franchise et bons traitements qu'ils n'eussent pu faire en vertu d'aucuns articles accordés par le traité de mariage fait avec l'Espagne. Cet acte fut confirmé ce même jour par le prince, son fils, et celui-ci, étant revenu en son pays, avoit donné un autre acte de confirmation à Londres, le 18 de juillet 1625. Les ministres d'Angleterre conviennent des articles du 20 novembre, et prétendent qu'ils ont été religieusement observés; mais que l'évêque de Mende et Blainville mettoient la division entre les sujets du roi et animoient les mal affectionnés du parlement contre le roi et le repos de l'État; que les François prêtoient leur nom pour louer des maisons où les prêtres avoient leur retraite; qu'ils faisoient de la maison de la reine une retraite pour tous les jésuites et les fugitifs; qu'ils décrioient ce qui se passoit dans le particulier du roi et de la reine; qu'ils inspiroient à la reine de l'aversion pour le roi, son mari, du mépris pour la nation, du dégoût pour leurs manières, l'ayant empêchée d'apprendre la langue; qu'ils l'avoient soumise à la règle d'une obéissance monastique; qu'ils l'avoient menée au travers du parc, soutenue du comte de Tillières, en dévotion, à un gibet où on punit les malheureux condamnés, comme si on n'y avoit mis à mort que des innocents; que c'étoit ce dernier acte qui avoit fait perdre patience au roi; que cependant rien n'avoit altéré la bonne union et intelligence qu'il vouloit entretenir avec le roi de France, son frère; que Buckingham vouloit passer de Hollande en France pour faire ses plaintes, et qu'en France on n'avoit pas voulu le permettre. Quant à la liberté promise aux catholiques, ils nient que cela ait été porté dans le traité, et prétendent que l'écrit particulier passé sur ce sujet n'est qu'une formalité; que d'ailleurs on n'a fait mourir ni jésuites ni prêtres; que le roi d'Angleterre a lieu de se plaindre de ce que contre les paroles données on avoit refusé de faire une ligne offensive et défensive pour les affaires d'Allemagne; qu'après être convenu que Mansfeld pourroit descendre à Calais avec un corps d'infanterie angloise, auquel on joindroit un autre corps de cavalerie françoise pour pénétrer en Alsace, on avoit refusé de le recevoir, ce qui avoit coûté plus d'un million au roi d'Angleterre, et fait périr dix mille Anglois; qu'il étoit stipulé qu'on ne feroit point de représailles et que tout se termineroit par une voie amiable; que cependant on venoit d'arrêter et saisir les vaisseaux anglois et confisquer les marchandises; qu'on n'a rien tenu de ce qui a été promis à ceux de la religion réformée et particulièrement aux Rochelois par le traité conclu par la médiation des ambassadeurs que le roi d'Angleterre avoit envoyés exprès; qu'enfin on n'avoit pu obtenir l'entier accomplissement de ce qui avoit été promis au roi de Danemarck et à Mansfeld, ce qui a été très-préjudiciable à la cause commune. Pour conclusion, on convient que l'article du traité qui concerne la conscience de la reine sera ponctuellement observé, qu'on s'en rapportera au témoignage de la reine même, et qu'en considération de la reine on donnera aux catholiques romains la liberté que la constitution et la sûreté de l'État peuvent permettre. Donné par écrit le 13 novembre 1626.
«Écrit passé entre le maréchal de Bassompierre et les ministres
du roi de la Grande-Bretagne sur le rétablissement des officiers françois
près de la reine, du 21 novembre. Bassompierre est convenu,
sous le bon plaisir du roi, de ce qui suit, et en promet la ratification,
savoir: que la reine aura un évêque, douze prêtres, un grand chambellan,
un secrétaire, un écuyer, deux dames de la chambre du lit,
trois femmes de chambre, qui sont la nourrice, sa fille et Mlle Vantelet,
une empeseuse, un gentilhomme huissier de la chambre privée,
M. Vantelet, un de la chambre de présence, M. Goudonis, un valet
de chambre privé, Montaigu, un valet, un gentilhomme servant, un
joueur de luth, Gautier, dix musiciens, deux médecins dont Mayerne
est le premier, un chirurgien, un écuyer de cuisine, un apothicaire,
un potager, un pâtissier. L'évêque n'aura nulle autorité hors la maison
de la reine, n'ordonnera aucun prêtre, que les douze prêtres; il
n'y aura ni jésuites ni pères de l'Oratoire hors le confesseur de la
reine et son compagnon, qui sont de l'Oratoire; il ne reviendra aucun
des domestiques qui ont été licenciés, hors le médecin Chartier.
Bassompierre témoignera à la reine mère combien la reine, sa fille,
étoit honorablement servie par ses dames du lit, que cependant elle
pouvoit en mettre encore deux si elle le souhaitoit.
«Signé: Bassompierre.»
Commencement de l'année 1627. Avis du P. de Sanci: «Buckingham veut posséder la reine comme il possède le roi. Il a pour elle une passion extravagante. Il voudroit la pouvoir faire changer de religion pour gagner les protestants.»—Lettre de la reine d'Angleterre à la reine, sa mère, «sur l'envie que Buckingham a d'aller en France, et qu'elle ne peut se fier à lui.»—Mémoire intitulé: Raisons contre le voyage de Buckingham (vraisemblablement de Richelieu). «Il y a dix-huit mois qu'on lui a refusé la permission qu'il demande, et on la lui a refusée attendu l'inexécution du traité; et comme aujourd'hui il y a contrevenu, on doit témoigner encore plus de fermeté. Lorsqu'on a pressé le roi d'Angleterre pour le soulagement des catholiques, il a répondu, par le conseil de Buckingham, que la clause du soulagement des catholiques n'avoit été mise que pour obtenir la dispense du mariage. Si on reçoit Buckingham auteur de cet artifice, on met les catholiques anglois au désespoir, et le roi perd sa réputation et son crédit. Buckingham est accusé dans le parlement d'avoir donné des vaisseaux pour ruiner les Huguenots. Il croit qu'en venant en France il leur donnera quelque espérance de relever leurs affaires, et cabalera dans le royaume et fomentera la division des grands. L'Angleterre n'est point en état de soutenir les affaires d'Allemagne. La France peut bien contribuer et ne pas les abandonner, mais elle ne veut pas les épouser. Enfin on ne peut point faire d'accueil à un favori dont il soit content, et moins à celui-ci qu'à un autre. On a vu qu'en Espagne il s'est brouillé avec le comte Olivarez, et cette rupture a causé la guerre entre l'Angleterre et l'Espagne. Son voyage en France l'a rendu ennemi du roi et de son principal ministre; depuis, il n'en a parlé qu'avec mépris, et a partout témoigné son animosité. Lorsqu'il fut à La Haye, il tâcha de rendre la personne du prince d'Orange odieuse. On ne peut pas douter que son voyage, donnant de la jalousie aux Espagnols, ne les porte à faire plutôt la paix, ce qu'on doit éviter.»
AFFAIRE DE CHALAIS
Les archives des archives étrangères, France, t. XXXVIII, XXXIX et XL, contiennent tout ce que contient le recueil de La Borde: «Pièces du procès de Henri de Tallerand, comte de Chalais, décapité en 1626, Londres, 1781.» Aucune des pièces imprimées n'y manque; il y en a même quelques-unes de plus. Ainsi, outre les deux lettres connues de Chalais au cardinal et au roi, où il leur demande grâce et s'engage à les servir, nous en trouvons ici une troisième à la reine mère, alors toute-puissante sur le roi et sur le cardinal, dans laquelle il renouvelle les mêmes offres de services d'un si peu noble caractère.—France, t. XXXIX.
Lettre a la Royne, mère du Roi, de 5 aoust 1626: «Madame,
les grâces que j'ai reçues de l'intervention de Votre Majesté ont
tellement augmenté les espérances que j'avois de réparer mes fautes,
qu'à présent que les inquiétudes me tuent je prends la hardiesse
de la supplier pour la continuation; et bien que le misérable état
en quoi je suis et le service très-humble que je lui ai voué de tout
temps me fissent espérer tant de bonté, si osé-je lui dire que, n'ayant
nul intérêt que dans celui du roy et dans son contentement, elle
y est plus que obligée, puisque je me promets très-infailliblement
lui rendre de bien grands services. Votre Majesté considérera donc
que peut-être à toutes heures on en a besoin, vu la légèreté et malice
des espris qui conseillent ou font conseiller monseigneur [366]. De même,
lorsque monseigneur le cardinal me visita, je lui donnai avis combien
étoit à soupçonner le voyage de celui qui a les oiseaux de monseigneur [367],
et la grande confiance qu'on a en lui. Je demande donc à
Votre Majesté de hâter ma délivrance, puisqu'en un moment je saurai
sa légation [368] et tout ce qui pourra importer le service du roy; et la
supplie, si elle m'en juge digne, de m'en mander quelque chose par
M. de Lamon (exempt de la garde écossaise et un des espions du cardinal),
afin ou que je vive en espérance ou que je me réduise à prier
Dieu pour le roy et pour Votre Majesté, de qui je suis, madame, le
très-humble et très-obéissant et fidèle serviteur,
Chalais.»
Cette pièce n'est pas propre à diminuer le mépris que mérite la conduite de Chalais en prison, ni la suivante à affaiblir une des plus graves accusations qui pesaient sur lui, celle d'avoir trempé dans les intrigues du comte de Soissons et tenté de séduire la fidélité du commandant de Metz. Après l'arrestation des Vendôme, Chalais avait envoyé son écuyer porter une lettre au comte de Soissons, pour l'avertir de cette arrestation et l'engager à ne pas venir chercher le même sort à la cour, conseil qu'avait fort bien suivi le comte; et il avait aussi envoyé le même écuyer au marquis La Valette, qui commandait à Metz au nom de son père le duc d'Épernon, pour l'inviter à s'entendre avec Monsieur, qui cherchait de divers côtés un asile. La proposition faite à La Valette n'avait pas été acceptée, mais elle avait été faite, et cela suffisait à établir la culpabilité de Chalais. L'écuyer, après avoir rempli ses commissions, était tombé à son retour entre les mains de Richelieu; et quoique déjà Chalais eût subi sa peine, on n'avait pas moins, comme nous l'avons dit, p. 73, procédé à son interrogatoire pour éclairer encore l'ensemble de l'affaire et confirmer la justice de la sentence rendue et exécutée. France, t. XXXVIII, fol. 12.
«Du mercredi 23 septembre 1626, à trois heures de relevée, au château de la Bastille. Nous avons fait amener devant nous, en la chambre du sieur du Tremblay, gouverneur dudit château, Gaston de la Louvière, prisonnier audit château, pour l'ouïr et l'interroger à part, serment par lui fait de dire vérité.
«Interrogé sur son nom, âge, qualité et demeure, a dit se nommer Gaston de la Louvière, âgé de 23 ans ou environ, gentilhomme servant d'écuyer au sieur de Chalais, avant sa prison, avec lequel il demeuroit.
«Interrogé s'il sait pourquoi il est prisonnier, a dit qu'il ne sait, et qu'il a fait un voyage, pour ledit sieur de Chalais, de Blois à Paris, pendant que la cour étoit à Blois, après la prise de MM. de Vendôme, pour porter une lettre que lui bailla ledit sieur de Chalais pour porter à M. le comte de Soissons, laquelle il rendit à mondit sieur le Comte en sa maison, sur la fin de son dîner, en présence de madame sa mère, du sieur de Seneterre et beaucoup d'autres, laquelle fut lue par ledit sieur comte de Soissons, qui demanda au répondant depuis quand les sieurs de Vendôme étoient arrêtés.—A dit encore ledit répondant qu'étant retourné à Blois sans réponse dudit sieur comte, ledit Chalais, trois ou quatre jours après, le renvoya de Blois à Metz vers le sieur de La Valette, lui disant ces mots: «On m'a voulu mettre mal auprès du roi. Mgr le cardinal de Richelieu m'a dit que le vrai moyen de m'y remettre étoit de découvrir quelque chose des affaires ou intrigues de Monsieur: va-t'en donc à Metz, et porte cette lettre à M. de La Valette, à Metz.» Et, outre ladite lettre, lui donna un petit billet à part, dedans lequel étoient écrits ces mots: «Si vous voulez recevoir des propositions de la part de Monsieur, je me fais fort de vous en faire faire;» laquelle lettre et billet il porta au sieur de La Valette, à Metz, lequel dit au répondant qu'il trouvoit bien étrange que le sieur de Chalais, qui étoit de la maison du roi, se mêlât de ces affaires-là, et qu'il ne se falloit pas adresser à lui pour cela, qu'il n'avoit aucun pouvoir et dépendoit de M. d'Epernon, son père, et ne lui fit ne donna autre réponse; même se souvient le répondant qu'il bailla audit sieur de La Valette, étant dans sa salle, ladite lettre et billet en présence de beaucoup de personnes qu'il ne connoît pas de nom, et croit ledit répondant que c'est là le sujet pour lequel il a été emprisonné; et s'il eût cru l'être pour cela, il n'eût porté lesdites lettres; et même avant que partir de Blois, le répondant dit à la femme dudit Chalais, en présence de Lustié (?), écuyer de ladite dame, qu'il se réjouissoit fort de ce que son maître se remettoit aux bonnes grâces du roi, et que sondit maître lui avoit dit qu'il l'envoyoit à Metz parce que ledit sieur cardinal le faisoit faire; et de fait ledit sieur de Chalais lui dit que le sieur cardinal lui avoit baillé cent pistoles, dont ledit sieur de Chalais lui en bailla quarante pour son voyage; et étant le répondant de retour à Nantes, il fit entendre à son maître que ledit sieur de La Valette avoit trouvé mauvais ledit voyage, et lui avoit demandé de quelles personnes son maître se fioit et à qui il en avoit communiqué; sur quoi ledit Chalais lui dit ces mots: «Vraiment, tu n'as point d'esprit», s'étonnant de ce qu'il ne lui avoit point rapporté de réponse; et lui dit qu'il s'en alloit le dire à mondit sieur le cardinal. Et, deux jours après, ledit Chalais ayant été emprisonné, le répondant s'en étonna, et dit à la dame de Chalais plusieurs fois, et au comte de Cramail, qu'il ne croyoit pas qu'il pût être en peine, parce qu'il lui avoit dit que ledit sieur cardinal avoit fait faire ledit voyage de Metz, et qu'il alloit par là se remettre aux bonnes grâces du roi; auquel répondant ladite dame de Chalais disoit: Vous le voyez bien, si c'est M. le cardinal qui l'a fait faire; et quant au comte de Cramail il disoit qu'il falloit donc que ledit Chalais eût trompé ledit sieur cardinal.
«Depuis quel temps il est au service dudit Chalais? A dit qu'il entra à son service environ le temps de la foire Saint-Gervais dernier par le moyen du comte de Louvigny, lequel il avoit servi auparavant.
«De quelles affaires il s'est mêlé depuis qu'il est audit Chalais autres que celles dont il a parlé? A dit qu'il ne s'en est mêlé d'aucune autre, et que jamais il ne lui a rien dit ni donné aucun emploi.
«S'il n'a pas toujours suivi ledit Chalais et été partout avec lui? A dit qu'il ne le suivoit pas toujours, et quelquefois il échappoit au répondant qui demeuroit longtemps sans le pouvoir trouver; une fois entre autres devant le dernier voyage du roi à Blois, ledit Chalais, sortant du Louvre après le coucher du roi, sur les dix à onze heures du soir, comme ledit répondant le suivoit, il le perdit entre les deux portes du pont dans la presse, et ne retrouva ledit Chalais à son logis qu'à deux heures après minuit, sans qu'on ait pu savoir où il avoit été.
«S'il croyoit que le voyage qu'il avoit fait à Metz étoit pour le service du roi? A dit que oui.
«Quelle interprétation il a pu donner aux termes portés par le billet d'offrir au sieur de La Valette des conditions de la part de Monsieur, et s'il appelle cela faire le service du roi? A dit que s'il a failli, c'est que son maître l'a trompé, et qu'il croyoit que son maître vouloit découvrir l'intention du sieur de La Valette pour le faire savoir après au sieur cardinal.
«S'il n'avoit pas encore autre créance à dire de la part de son maître, de bouche, au sieur de La Valette, et quelle? A dit que non, que son maître ne lui en a point donné d'autre que celle du billet, lequel son maître lui avoit lu.
«Combien de temps le répondant séjourna à Metz? A dit qu'il n'y demeura qu'un demi jour.
«Avec quelles autres personnes il communiqua étant à Metz? A dit qu'il n'y a communiqué avec personne.
«Ce que portoit la lettre de sondit maître au sieur de La Valette? A dit qu'il ne sait ce qu'elle portoit, qu'il ne l'a point lue, et ne lui a été communiquée par son maître, mais qu'elle n'étoit que de la moitié d'une page de papier.
«Lui avons remontré qu'il ne dit la vérité, et se rend moins digne de grâce en la taisant, parce qu'il n'y a apparence que son maître lui ait confié un billet de si grande importance et si pernicieux contre le service de Sa Majesté sans lui avoir communiqué le particulier des conditions dont son maître entendoit parler par ledit billet, vu même que ladite lettre, courte et en peu de lignes, comme il le confesse, ne pouvoit instruire le sieur de La Valette, si le répondant n'eût su toutes les conditions. A dit qu'il est vrai qu'il n'a jamais rien su d'aucunes conditions ni autres choses que ce qu'il nous a dit, et qu'il voit bien que son maître l'a trompé.
«S'il n'a pas fait le voyage de Metz pour persuader au sieur de La Valette d'y recevoir Monsieur? A dit que non.
«S'il ne croit pas ce que ledit Chalais a dit touchant ledit voyage de Metz? A dit que non.
«Pourquoi il n'en veut pas croire son maître et quels reproches il peut avoir contre lui? A dit que c'est pour ce que son maître ne lui a dit autre chose que ce que lui, répondant, nous a dit, et qu'il n'a autre reproche contre lui, sinon qu'il croit à présent qu'il s'est voulu servir de lui pour le tromper.
«Si son maître ne lui a pas communiqué l'intelligence qu'il avoit avec autres grands du royaume, et qui ils sont? A dit que non.
«S'il ne sait pas l'intelligence qui étoit entre son maître et M. le grand-prieur? A dit que non.
«S'il ne sait pas le parti qui se formoit entre les grands du royaume, et à quelle fin? A dit que non, et qu'il ne lui a rien communiqué.
«Pourquoi donc il a fait plusieurs voyages vers M. le comte de Soissons et autres? A dit qu'il n'a fait autres voyages vers M. le comte de Soissons que celui dont il nous a parlé ci-dessus.
«Ce que portoit la lettre écrite par son maître à M. le Comte? A dit qu'il ne sait et qu'il croit qu'elle parloit de l'arrêt desdits sieurs de Vendôme ainsi que son maître le lui avoit dit, lequel arrêt avoit été fait le jour que ledit répondant partit de Blois.
«Quelles autres charges il avoit vers mondit sieur le comte de Soissons? A dit qu'il n'en avoit point d'autres que ce qu'il a dit.
«A qui il parla étant à Paris? A dit qu'il ne parla à personne, sinon au sieur de Castille et à ceux de sa maison.
«S'il ne parla pas au sieur de Seneterre? A dit que oui, et que lorsqu'il rendit ladite lettre de son maître à M. le Comte, ledit Seneterre le tira à part et lui demanda quand lesdits sieurs de Vendôme avoient été pris.
«Si ledit sieur de Seneterre ne lui dit pas autre chose, et quoi? A dit que non.
«Quelle commission on lui donna de faire à son retour à Blois? A dit qu'on ne lui en donna point.
«Si ledit Chalais n'écrivit point audit sieur Comte qu'il se gardât bien de venir à Blois, et autres choses? A dit qu'il ne sait.
«S'il a su que ledit Chalais est mort? A dit qu'il l'a appris hier par un des domestiques de céans, et ne se souvient si le sieur du Tremblay l'a dit aussi.
«Lui avons remontré qu'il ne nous dit la vérité, et qu'il a su toutes les menées et intelligences qui se sont passées entre plusieurs grands et son maître, comme il en a déjà reconnu beaucoup, et qu'il ne doit point douter que par les déclarations de son maître et autres personnes dignes de foi, le roi ne soit éclairci de tout ce qui s'est passé, et qu'on n'a pas besoin de sa confession, mais que pour satisfaire aux formes de justice, on lui en demande la vérité, l'admonestant de la dire et de se rendre par ce moyen plus digne de grâce, comme il sera, pourvu qu'il dise la vérité de tout ce qu'il sait, n'ayant été employé que par autrui. A dit qu'il nous a dit la vérité.
«S'il ne sait pas l'intelligence du sieur de Chalais avec Mme de Chevreuse? A dit qu'il a ouï dire cent fois audit Chalais qu'il en étoit amoureux, et qu'il avoit la plus belle maîtresse du royaume, mais que ledit Chalais ne souffroit pas que lui, répondant, vît toutes ses actions, et qu'aussitôt qu'il étoit retiré dans sa chambre, au Louvre, après le coucher du roi, il renvoyoit le répondant à son logis à la ville, et qu'il a souvent vu ledit Chalais suivre ladite dame aux églises et promenoirs, et le plus souvent à la chapelle du Louvre.
«S'il ne sait pas que ladite dame de Chevreuse se mêloit des pratiques et intelligences que ledit Chalais avoit avec aucuns grands du royaume? A dit que non.
«Si quand, lui répondant, vint de Nantes à Paris, après la prison de son maître, il ne vit pas à son arrivée, devant qu'il fût arrêté, ledit sieur de Seneterre? A dit que non.
«S'il ne vit pas d'autres domestiques dudit sieur comte de Soissons, et ce qu'ils lui dirent? A dit qu'il n'en a point vu, sinon qu'un jour après son arrivée, ledit sieur Comte, venant visiter le sieur de Castille, l'écuyer dudit sieur Comte, qui pique ses grands chevaux, duquel il ne sait le nom, lui demanda seulement comment alloient les affaires du sieur de Chalais.
«Quelle réponse lui fit ledit sieur de La Valette lorsqu'il fut à Metz, autre que celle qu'il a dit? A dit qu'il ne lui en fit point d'autre.
«Si au retour de Metz il passa par Paris? A dit qu'oui.
«S'il ne rendit pas compte de son voyage à M. le comte de Soissons? A dit que non et qu'il ne vit pas M. le Comte.
«A quelle autre personne il en rendit compte à Paris? A dit qu'il n'en parla à personne.
«Lui avons remontré que par ses confessions il s'est manifestement convaincu, et que l'excuse de l'ignorance qu'il allègue et de s'être laissé abuser par son maître, comme il dit, est contre le sens commun pour un gentilhomme accoutumé à la vie de la cour, et que les pernicieux voyages qu'il a faits contre la personne du roi et son État ne peuvent avoir été faits que par un mauvais dessein prémédité; ce partant, que cela l'oblige davantage à dire la vérité, et mériter par ce moyen la grâce du roi et faciliter sa liberté, l'admonestant de reconnaître la vérité. A dit qu'il n'a rien à dire pour la vérité plus que ce qu'il a dit.
«Lecture à lui faite du présent interrogatoire, a dit ses réponses contenir vérité, y a persisté, et a signé La Louvière.»
Nous avons vu, p. 69, 70 et 71, qu'à la suite des viles dénonciations de Louvigni qui amenèrent l'arrestation de Chalais, à Nantes, le 8 juillet 1626 [369], Monsieur, mandé devant le roi et sa mère, perdit la tête comme il avait fait au mois de mai précédent, et fit des aveux accablants pour ses complices, et en particulier pour Chalais. Richelieu, dans ses Mémoires, nous fait connaître en gros ces aveux; mais les procès-verbaux qui les comprennent sont encore aux archives des affaires étrangères, France, t. XXXIX, f. 329-335, avec les signatures autographes, avec le mot employé, attestant que Richelieu s'est servi de ces papiers, et même avec les principaux faits relevés de sa propre main à la marge. Nous donnons ces procès-verbaux tout entiers, comme un curieux et triste monument de l'une des plus grandes bassesses dont l'histoire fasse mention. Ici, en 1626, Gaston s'est d'avance surpassé lui-même, et tout ce qu'il fera plus tard dans l'affaire de Montmorency et dans celle de Bouillon et de Cinq-Mars n'est en vérité rien devant l'abîme d'infamies que contient cette première trahison, suivie de tant d'autres. Plus on l'examine, plus elle fait horreur. Son objet, le motif qui l'a déterminée, n'est ni l'ambition, ni l'amour, ni l'orgueil, ni la vengeance; c'est un intérêt d'argent, le désir d'un plus riche apanage. Les personnes qui vont en être victimes, c'est un de ses favoris, Chalais, c'est son propre gouverneur Ornano, ce sont ses deux frères naturels les Vendôme, ce sont deux femmes qui se sont fiées à lui, la reine et Mme de Chevreuse. Ajoutez que le comte de Soissons est seul parvenu à s'échapper, et que tous les autres, Chalais, Ornano, les Vendôme, sont là sous la main du terrible cardinal, et que ses aveux les livrent à l'échafaud, tandis qu'il pouvait les sauver tous aisément en se déclarant prêt à épouser Mlle de Montpensier, à servir loyalement le roi et à bien vivre avec son ministre, à la condition qu'on délivrât les prisonniers et qu'on abandonnât les procédures commencées. Richelieu aurait bien été forcé d'accepter cette condition, et il l'aurait embrassée avec joie si, à ce prix, il avait espéré acquérir véritablement celui qui le lendemain pouvait être son roi et hériter de la couronne de Louis XIII déjà très-malade et encore sans enfants.
DIVERSES CHOSES QUE MONSIEUR A AVOUÉES AU ROY. JUILLET ET AOUT 1626.
«Le samedi, 11e jour de juillet 1626, le roi étant en la ville de Nantes, Monsieur a dit à Sa Majesté les choses qui s'en suivent, en présence de la reine sa mère, de monseigneur le cardinal de Richelieu, et de MM. le garde des sceaux (Marillac), d'Effiat et Beaucler, voulant reconnaître franchement la vérité sur les occurrences présentes, dont le roi lui parloit:
«Qu'il étoit vrai que Chalais lui avoit dit dès Paris qu'on le vouloit prendre prisonnier, qu'il avoit fait une grande faute de souffrir qu'on mît des exempts dans le Pont-de-l'Arche et Honfleur, parce qu'il se fût retiré dans l'une des deux places et que le Havre se fût joint à lui;
«Qu'il devoit empêcher M. le Comte de venir à la cour, de peur qu'on les prît tous deux ensemble;
«Qu'il l'avoit convié à demander le marquis de Cœuvres pour premier gentilhomme de sa chambre, parce qu'il est parent de M. de Vendôme et du grand prieur;
«Que lui, Chalais, vouloit vendre sa charge (de maître de la garderobe) pour être plus attaché à Monsieur et plus libre de le servir;
«Qu'étant à Nantes il lui avoit dit qu'on lui avoit mis des compagnies de chevau-légers de tous côtés pour l'empêcher de sortir.
«Monsieur dit aussi au roi que M. le Comte lui avoit fait dire à
Paris qu'il ne lui parloit point parce qu'il disoit toutes choses et ne
gardoit pas secret, et qu'après qu'il eut été à Limours voir le cardinal,
M. de Longueville lui dit en se moquant qu'il voudrait bien savoir si
les affaires du Colonel (Ornano, colonel des Corses) en alloient mieux.
«Louis.—Marie.—Armand, card. de RICHELIEU.—de MARILLAC.»
«Le lendemain, dimanche, 12e jour dudit mois de juillet 1626, Monsieur a reconnu les divers desseins qui s'en suivent en présence du roi, de la reine sa mère, et de M. le cardinal de Richelieu.
«Dessein perpétuel de s'en aller de la cour depuis Blois, qui étoit tout connu à Chalais, Boitalmet (sic. Bois-d'Annemets) et Puislaurens, et, depuis la prise de Chalais, au président Le Coigneux; qu'en ce dessein il avait diverses fins: d'aller à Paris pour tâcher de faire révolter le peuple, lui donnant du blé gratuitement et publiant qu'on l'avoit voulu prendre prisonnier et faire arrêter M. le Comte, ainsi qu'on avoit déjà arrêté des princes et autres personnes; d'essayer de surprendre le bois de Vincennes, et par quelque artifice faire sortir le bonhomme Hecour (un des gardiens) pour s'en saisir et faire ouvrir par ses enfants par crainte qu'on poignardât leur père devant eux; qu'il voyoit bien plusieurs difficultés en ce dessein parce que Pades (?) étoit dans la basse-cour, et qu'il falloit onze pétards pour venir jusqu'à la chambre du Colonel, aussi qu'il y avoit quatre des mousquetaires du roi dans le donjon, et qu'il craignoit qu'ils ne se rendissent pas quand même les autres le voudroient; qu'il eût bien désiré que le Colonel eût été à la Bastille où il ne falloit que cinq pétards, mais qu'il avoit bien jugé qu'on y avoit mis Mazargue et Ornano (frères du maréchal), parce que ceux-là n'avoient rien fait, et qu'on avoit mis le Colonel et Chaudebonne au bois de Vincennes;
«Que sa résolution étoit de ne point partir de Paris que quand le roi reviendroit, auquel cas il en fût sorti pour aller à Metz, à Dieppe ou au Havre, desquelles places on lui avoit parlé pour se retirer dès avant que le roi partît de Paris; que pour cet effet le roi se souviendroit qu'il lui avoit demandé cent mille écus plusieurs fois dès Fontainebleau, et que c'étoit en intention de gagner Mme de Villars par ce moyen, ne se souciant pas du mari, pourvu qu'il eût gagné la femme (Villars était gouverneur du Havre; sa femme étoit de la maison d'Estrées);
«Que le grand-prieur savoit l'affaire de Metz et du Havre, et qu'il lui avoit donné conseil d'aller à Fleury menacer le cardinal de Richelieu du poignard s'il ne moyennoit la liberté du Colonel, à quoi il avoit été résolu;
«Qu'il avoit eu dessein de fortifier Quillebeuf; qu'il avoit pensé que le duc de Chaulnes ne lui refuseroit retraite à Amiens et qu'on lui avoit fait cette proposition, comme aussi on lui avoit parlé de Laon, lui disant que le lieutenant lui donneroit peut-être retraite à cause de la parenté du marquis de Cœuvres avec M. de Vendôme et le grand-prieur; qu'il est vrai que c'est lui-même qui a fait donner l'appréhension à MM. de Chaulnes et Luxembourg (les deux frères du feu duc de Luynes) qu'on leur vouloit ôter leurs places afin de les disposer à l'y recevoir;
«Qu'il avoit pratiqué toutes les provinces du royaume pour connoître si on lui vouloit donner retraite en quelqu'une;
«Que les Rochelois et M. de Soubise lui avoient fait offrir retraite à la Rochelle et que Boistalmet et Puislaurens lui avoient dit qu'ils le suivroient partout excepté en ce lieu là;
«Qu'il n'avoit point encore écrit, mais qu'il avoit résolu d'écrire partout si tôt qu'il seroit parti à trois lieues même de Nantes;
«Qu'il avoit seulement écrit une lettre à Mme la princesse de Piedmont à laquelle il est vrai qu'il avoit envoyé Valins devant que le Colonel fût pris; que l'on avoit dit que, depuis que M. le prince de Piedmont fut mécontent de la paix d'Italie, lui et M. le Comte lui avoient parlé, ce qui n'est pas vrai, mais bien qu'il avoit envoyé Valins en Savoye comme il a dit;
«Qu'il avoit demandé son apanage à Blois à deux fins: l'une pour amuser, et l'autre afin qu'étant retiré de la cour on ne lui pût refuser, comme faisant une nouvelle demande, ce qu'on lui avoit auparavant accordé;
«Que M. le Comte et M. de Longueville étoient tout à lui, et que maintenant qu'il étoit bien avec le roi, il répondoit d'eux à Sa Majesté; que M. de Longueville mouroit de peur qu'on le prît à Blois, où il n'avoit osé parler à lui, mais lui avoit laissé Montigny (capitaine de ses gardes) pour lui parler après qu'il seroit parti, ce qu'il avoit fait;
«A dit que Dieu avoit voulu qu'avant hier ses maîtres d'hôtel par hazard avoient diné tard, et que sans cela il partoit pour s'en aller à Paris; mais y ayant dix ou douze gentilshommes des siens qui dînoient, cela le retarda, et que dans le retardement il trouva sujet de se contenter et changer son dessein;
«Que, outre Chalais, Boistalmet et Puislaurens, qui ont toujours su toute sa conduite, il y avoit plus de quinze personnes qui savoient le dessein de son voyage à Paris, savoir: Lecoigneux, Ouailli, Dusaunois qui étoit venu de Paris depuis trois jours, Peregrin son maître d'hôtel, Rames, les deux d'Elbene, Delfin et autres, et qu'il avoit envoyé Boistalmet et Puislaurens, tant pour l'attendre sur le chemin que parce qu'aussi sachant ses affaires dès le commencement, il craignoit qu'on les arrêtât;
«La reine disant à Monsieur qu'il avoit manqué à l'écrit si solennel duquel le roi avoit voulu qu'elle fût dépositaire, il a répondu qu'il l'avoit signé, mais qu'il ne l'avoit promis de bouche; en quoi sa mémoire l'a mal servi, vu qu'il embrassa le roi qui lui tendit les bras après la lecture de l'écrit, jurant qu'il le garderait inviolablement. Le roi et la reine le faisant souvenir que plusieurs fois depuis il avoit juré solennellement de ne penser jamais à chose quelconque qui tendît à le séparer d'avec le roi, il a dit qu'il avoit toujours quelque intelligence et qu'il réservoit quelque chose en jurant; et étant pressé par beaucoup de choses qu'il a jurées clairement, il a reconnu que dès qu'on a fait une faute on en faisoit ensuite cinquante autres.
«Ensuite de tout cela, Monsieur a prié le roi de lui pardonner,
aussi à Boistalmet et à Puylaurens. Le roi leur a pardonné, pourvu
qu'ils reconnoissent ingénument leur faute, et qu'ils découvrent
franchement la vérité de tout ce qu'ils savent, et viennent demander
pardon au roi; ce que Monsieur promit de faire faire le lendemain;
condition à laquelle Monsieur s'étoit soumis lui-même, ayant donné
sa parole au roi de ne lui rien céler de tout ce qu'il a dit et pensé
sur ces affaires.
«Louis.—Marie.—Armand, card. de Richelieu.»
«Le vendredi 18e dudit mois de juillet 1626, Monsieur étant en bonne humeur, après avoir fait force protestations à la reine sa mère qui étoit en son lit, il lui avoua, le cardinal de Richelieu présent, qu'il étoit vrai que le Colonel l'avoit porté à prendre habitude avec le plus de grands qu'il pourroit dans le royaume, et même avec les princes étrangers;
«Qu'après que le prince de Piedmont s'en fut allé malcontent de la cour, ils avoient envoyé Valins, sous prétexte d'aller au Saint-Esprit, en Savoye, pour former une étroite ligue et union avec M. le prince de Piedmont, et que ses paquets furent portés par un homme qui partit trois jours après, de peur qu'on ne dévalisât Valins;
«Qu'ils avoient aussi fait la même chose avec les Anglois par le duc de Buckingham lorsqu'il étoit en France, et que depuis qu'il en étoit parti il se servoit de Rames, lequel il eût bientôt renvoyé en Angleterre, et il eût suivi le dessein qu'il a déclaré ces jours passés qu'il avoit de s'en aller;
«Que du temps du Colonel ils étoient aussi assurés de l'amitié d'Aarsen, ambassadeur extraordinaire des États; sur quoi est à noter que tout d'un coup Aarsen, qui étoit convenu des articles d'un nouveau traité avec les États, se refroidit sans qu'on pût en pénétrer la cause, qui peut-être étoit l'assurance qu'on lui avoit donnée des brouilleries qu'on méditoit.
«Il dit aussi qu'on avoit dessein de gagner le Nonce, et généralement de s'acquérir le plus d'amis de tous côtés qu'on pourroit.
«Après tout cela, étant dit à Monsieur avec quelle foi il pouvoit
jurer que le Colonel étoit innocent, comme il avoit fait plusieurs fois,
il répondit qu'il entendoit, quand il juroit cela, qu'il étoit innocent
envers lui, parce qu'il le servoit, et non pas envers le Roi.
«Marie.—Armand, card. de Richelieu.»
«Le 23e juillet, Monsieur étant venu voir le cardinal de Richelieu en la maison épiscopale de Nantes, après lui avoir fait plusieurs protestations de vouloir obéir à la reine sa mère, lui dit que c'étoit maintenant tout de bon, qu'il étoit vrai que celle qu'il avoit faite par le passé n'avoit été que pour gagner temps, et que même la dernière fois qu'il lui avoit parlé il avoit fait semblant d'avoir du mal et lui avoit dit en grande confiance, encore qu'il ne fût pas, parce qu'il avoit une extrême aversion du mariage, non à cause de la personne de Mlle de Montpensier, mais en général parce qu'il appréhendoit de se lier. Ensuite il pria le cardinal d'assurer qu'il se marieroit quand on voudroit, pourvu qu'on lui donne son apanage en même temps.
«Sur quoi il dit que feu M. d'Alençon avoit eu trois apanages, savoir est le premier qui valoit cent mille livres de revenu, le second, celui du roi de Pologne quand la couronne lui échut par la mort du roi Charles, et le troisième, une augmentation qui lui fut donnée pour lui faire poser les armes. Sur cela, le cardinal lui dit qu'il ne falloit pas prendre pied sur ces apanages, et qu'il y avoit une considération particulière en son fait qui n'empêcheroit pas le roi de lui en donner un bon, bien qu'elle le pût porter à ne le faire pas; et Monsieur s'enquérant soigneusement de ce que c'étoit, le cardinal lui dit que l'intention du feu roi étoit qu'on lui donnât de grosses pensions, mais non pas un apanage comme on avoit donné aux autres enfants de France. Il demanda si cette volonté du feu roi étoit signée; le cardinal lui répondit que non, et que le roi ne s'en vouloit servir.
«Ensuite de cela il dit force belles paroles pour l'assurer de son amitié auxquelles le cardinal répondit avec le respect qu'il devoit. Puis, venant de discours en discours à parler du maréchal d'Ornano, il dit que la plus grande faute qu'il eût commise étoit de traiter avec les étrangers sans le sçu du roi, qu'il étoit vrai qu'il avoit écrit en Piedmont plusieurs lettres, et qu'on trouveroit à la plupart d'icelles qu'il avoit écrit une ligne ou deux de recommandations particulières ou autres choses semblables pour donner créance. Sur cela le cardinal lui disant que cette faute du Colonel étoit capitale, il témoigna ingénument le savoir bien, mais qu'il le faisoit pour lui acquérir plus d'amis et le rendre plus considérable. Ensuite Monsieur dit encore qu'une des plus mauvaises lettres qu'eût écrit le Colonel étoit à Mme la Princesse, à laquelle il mandoit: assurez-vous que je vous tiendrai ce que je vous ai promis. Mais, ajouta Monsieur, ce n'étoit que d'amourettes qu'il vouloit parler; ce qui est du tout sans apparence, étant certain que s'il y avoit quelque intelligence de ce genre entre une personne de la qualité de cette dame et un Adonis comme le Colonel, ce seroit plutôt à elle à donner des promesses qu'à lui qui, par raison, devroit être recherchant et non promettant. Pour conclusion, Monsieur dit au cardinal qu'il lui enverroit le président Le Coigneux pour lui parler de son mariage et de son apanage.
«Monsieur dit aussi le même jour au cardinal, que lorsque M. de
Vendôme et le grand prieur arrivèrent à Blois, pendant que le roi
parloit à M. de Vendôme, il disoit au grand prieur que M. de Vendôme
avoit grand tort d'être venu trouver le Roi, et que s'il eût tenu
bon en Bretagne, lui s'en fût allé à Paris, et de là auroit tâché de se
jeter en quelque place de la Picardie où il n'y a pas de citadelle,
comme Saint-Quentin ou Compiègne qu'il eût aisément surpris, s'il
en eût eu d'autres assurées, et que, par ce moyen, le roi ne pouvant
aller à tous les deux à la fois, ils se fussent sauvés les uns et les
autres. En tout cas, dit-il au cardinal, je croyois bien que M. de
Longueville ne me dénieroit pas retraite dans Dieppe.
«Armand, card. de Richelieu.»
«Le 28 juillet 1626. Monsieur étant dans le cabinet de la Reine sa mère à Nantes, dit en présence de M. le cardinal de Richelieu et du maréchal de Schomberg que, depuis qu'il étoit à Nantes, il s'étoit résolu diverses fois avec son petit conseil de s'en aller. Une fois il s'en vouloit aller avec cinq ou six gentilshommes sur des coureurs, mais il eut crainte qu'il pouvoit facilement être arrêté. Une autre fois il s'en vouloit aller avec toute sa maison, et étant à Ingrande dépêcher vers le roi pour lui faire savoir que, lui ayant été dit qu'il n'y avoit point de sûreté pour lui à Nantes il s'en alloit à Blois, où il attendroit le retour de Sa Majesté: mais que son dessein après avoir passé Angers étoit de prendre le chemin du Perche droit à Chartres et s'en aller à Paris en grande diligence, et qu'afin que son dessein fût plus secret, celui qu'il envoiroit d'Ingrande vers le roi n'en devoit rien savoir. Une fois il fut tout près de s'en aller, sans qu'on vînt lui dire que ses maîtres d'hôtel n'avoient pas dîné. Et comme M. le cardinal et le maréchal de Schomberg blâmoient les conseils qu'on lui donnoit, il dit: c'étoient conseils de jeunes gens, mais assurément, si l'on ne m'eût pas donné avis qu'il y avoit des compagnies de chevaux légers sur tous les chemins que je pourrois tenir en m'en allant, et si je n'eusse eu la crainte d'être arrêté par lesdites troupes, je m'en fusse allé.
«Monsieur dit de plus: quand je fus voir M. le cardinal à La Haye,
j'étois résolu de partir l'après-dînée; mais M. le cardinal me dit tant
de choses et m'embarrassa tellement que je revins tenir mon conseil,
où Le Coigneux me dit qu'il falloit voir s'il n'y avoit pas moyen de me
contenter plutôt que de me résoudre à m'en aller; et comme cela le
dessein fut rompu. Ensuite de cela, Monsieur dit: je fus un soir bien
embarrassé à Fontainebleau. Le roi avoit donné le bonsoir à tout le
monde et étoit au lit. J'entrois dans sa chambre avec le maréchal
d'Ornano; et incontinent après je vis venir M. du Hallier, et le roi
demanda son habillement. Cela me mit bien en cervelle, et j'eusse
voulu être hors de là; car nous savions bien que nous faisions mal,
et ceux qui font mal sont toujours en crainte et ont peur. Comme
Monsieur faisoit ce conte, le Roi entra et Monsieur lui dit: Monsieur
vous souvient-il quand vous donnâtes un soir une sérénade à la
Reine? Je disois ici que cela me mit bien en peine. Et il recommença
à dire les mêmes choses qu'il avoit dites.
«Armand, card. de Richelieu.—Schomberg.»
«Le dernier de juillet 1626. Monsieur a dit à la Reine, sa mère, qu'à quelque prix que ce soit il falloit sauver Chalais, et qu'il faut en parler au Roi, et que de Paris on lui avoit mandé que s'il laissoit perdre Chalais et qu'il en fût fait justice, il ne trouvera plus personne qui le voulût plus servir, Chalais étant embarrassé pour son service.
«Le même jour, Monsieur demanda à la Reine si on feroit le procès au maréchal d'Ornano, et lui dit que tout ce qu'il avoit fait avoit été par son commandement, et que même il avoit des lettres écrites de sa main par lesquelles il avouoit tout ce qu'il avoit fait.
«En même temps Monsieur dit que M. le Comte lui offroit quatre cent mille écus à prêter pour sortir de la cour si on ne le contentoit.
«Il dit qu'on avoit cru qu'il eût traité du Havre, mais qu'on n'y avoit jamais pensé; ce qui fait soupçonner que peut-être y a-t-il encore quelque dessein, vu qu'il nie une chose qu'il a confessée autrefois.
«Que M. le Comte étoit bien fâché de son mariage, mais qu'il n'oseroit se séparer de lui, de peur qu'on crût qu'il fût mû seulement pour épouser Mlle de Montpensier.
«Que la Reine régnante l'a prié par deux diverses fois depuis trois jours, de ne pas achever le mariage que le maréchal ne fût mis en liberté [370].
«Il dit de plus à la Reine qu'il vouloit demander abolition pour les petits garçons Boistalmet et Puilaurens.
«Le deuxième aout. Le Roi ayant fait appeler Monsieur au conseil pour lui dire la résolution qu'il avoit prise de lui donner son apanage et approuver son mariage, nonobstant tous les divers avis qu'on lui avoit donnés pour ne le faire pas, dont même Sa Majesté en montra un qu'on avoit adressé au cardinal de Richelieu pour lui faire voir, duquel Monsieur lut la plus grande part; mondit sieur témoigna au Roi un extrême ressentiment de la bonté dont il usoit en son endroit, protesta avoir un extrême déplaisir de toutes les pensées qu'il avoit eues, jura qu'il ne se sépareroit jamais du service du Roi auquel il reconnoissoit être extraordinairement obligé. Et sur ce que Sa Majesté lui dit: parlez-vous sans les équivoques dont vous avez plusieurs fois usé, il jura solennellement qu'oui, qu'il donnoit sa parole nettement de tout ce qu'il disoit, et qu'on se pouvoit fier en lui quand il déclaroit donner sa parole sans aucune intelligence; et pour témoignage que je dis vrai, c'est que je vous promets nettement que si M. le Comte, M. de Longueville et autres qui sont de mes amis, me donnent jamais de mauvais conseils je les en détournerai si je le puis, et si je ne le puis faire je vous en avertirai. Il promit et jura le contenu ci-dessus devant le Roi, la Reine sa mère, le garde des sceaux, le duc de Bellegarde, le maréchal de Schomberg et le président Le Coigneux.
«Monsieur dit devant le Roi, la Reine et le cardinal de Richelieu que l'intelligence qu'il avoit en Angleterre étoit particulièrement avec le comte de Carlile qui étoit lié de grande affection avec lui, et que, quand il entendoit parler des poursuites qu'on faisoit contre Buckingham, il n'en étoit pas fâché, espérant que, s'il venoit à être ruiné, Carlile viendroit en faveur, et qu'il pourroit beaucoup en son endroit.
«Monsieur ayant su trois ou quatre jours avant la mort de Chalais qu'il avoit dit que le fondement de l'opposition que les dames faisoient au mariage étoit afin que si le Roi venoit à mourir, la Reine pût épouser Monsieur; il dit au cardinal de Richelieu: Il est vrai qu'il y a plus de deux ans que je sais que Mme de Chevreuse a tenu ce langage [371].
«Un jour devant la mort de Chalais, Monsieur dit à la Reine sa mère qu'il n'y avoit que trois choses qui lui pussent faire faire une escapade et sortir hors de la cour: l'une, si on vouloit faire trancher la tête au Colonel; l'autre, si on vouloit faire le même parti au grand prieur, n'y ayant rien qu'il ne fît pour sauver ces deux personnes-là, et si on lui dénioit en effet l'apanage qu'on lui avoit promis.
«Sept ou huit jours auparavant il dit aussi à la Reine sa mère qu'il savoit quelque chose de trois personnes qui leur feroit trancher la tête si on le savoit, mais que pour rien au monde il ne les nommeroit pas.
«Monsieur confessa à La Ferté à M. de Mende, revenant d'Angleterre, que Montagu au voyage de Nantes lui avoit dit de la part du comte de Carlile, qui est celui avec lequel Monsieur a reconnu plusieurs fois que le Colonel avoit formé étroite liaison, que ledit comte de Carlile l'avoit chargé de lui témoigner le déplaisir qu'il avoit de le voir maltraité, savoir ses sentiments sur ce sujet et l'assurer que, pourvu qu'ils sussent ses intentions, il seroit servi du côté de l'Angleterre comme il pourroit désirer.
«Monsieur, sur la fin du mois de septembre, étant au conseil à Saint-Germain, un jour que la Reine avoit été saignée et étoit au lit, avoua franchement que Beaufort, qui est dans la Bastille, faisoit des levées, sous prétexte de l'Empereur, pour lui en Picardie. Dit de plus que le Roi faisoit très-bien de désirer que l'ambassadeur de Savoye s'en allât, que c'étoit un mauvais homme, qu'il en pouvoit parler comme sçavant.»
Affaire d'Ornano.—Sous ce titre, le t. XXXVIII, France, donne une liste de papiers relatifs au maréchal. Les charges contre Ornano sont dans les dépositions de Chalais et dans les aveux de Monsieur, et sa mort survenue dans les premiers jours de septembre 1626 arrêta le procès commencé. Les papiers ici mentionnés n'ont donc pas grand intérêt: ils ne seraient pourtant pas inutiles à qui entreprendrait une biographie des Ornano, qui jouent un rôle si important à la fin du XVIe siècle et dans la première partie du XVIIe. Nous nous bornons à donner la note suivante:
«Mémoires des papiers domestiques du sieur colonel d'Ornano, par où on voit ses charges et emplois, ses biens, sa dépense, et comme il fut fait gouverneur du Pont-Saint-Esprit, 1598; brevet de conseiller d'État, 1610; provision de commandant de 50 hommes d'armes, 1613; de maréchal de camp, 1614; provision de gouverneur de Honfleur, Pont-de-l'Arche, Château-Gaillard, et lieutenant de Normandie, 1618; gouverneur de Monsieur, surintendant de sa maison, premier gentilhomme de sa chambre, 1619; brevet pour être du conseil des affaires du Roi, 2 mars 1620; colonel des gardes corses, la date en blanc; maréchal de France, 1626. Les mémoires de M. d'Andilly sont fort au fait sur ce qui regarde le maréchal d'Ornano.»
Nos manuscrits nous fournissent plus de renseignements sur le grand prieur et le duc de Vendôme, et il y a ici des extraits de beaucoup de pièces qui établissent leur culpabilité. Bien entendu, Richelieu s'est servi de ces extraits dans ses Mémoires; ils ont même très vraisemblablement été faits pour lui; mais il les a fort abrégés, et nous croyons utile d'en publier quelques-uns. Ibid., t. XXXVIII. «Procès de M. de Vendôme et de M. le grand prieur.»
«Mémoire pour interroger M. le grand prieur, écrit de la main du secrétaire de M. le cardinal. On doit le laisser entre l'espérance et la crainte, et lui faire apercevoir qu'il doit appréhender la rigueur de la justice, s'il n'a recours à la miséricorde par une confession sincère. Chalais dit que le grand prieur a conseillé à Monsieur de faire violence aux ministres, de sortir de la cour, de se retirer à Metz. Monsieur dit la même chose. M. le garde des sceaux doit tâcher d'en tirer encore davantage, particulièrement sur ce que Dunault, son secrétaire, a dit des entreprises contre la personne du Roi. Après que M. le grand prieur aura avoué qu'il a donné à Monsieur le conseil de traiter rudement les ministres, de sortir de la cour, de prendre les armes, il faudra savoir quand et comment cela se devoit exécuter; et pour ce qui regarde l'entreprise contre le Roi, il faut traiter ce point délicatement.»
«Extrait des charges contre M. le grand prieur, réduites à quatre points: aversion contre le Roi, avis donné à Monsieur de faire violence aux ministres du roi et de sortir du royaume, s'être opposé au mariage de Monsieur».
«Déposition de M. de Fossé au fait de M. le grand prieur, du 18 de novembre 1626. Il déclare que Dunault, secrétaire de M. le grand prieur, étant venu trouver Mme d'Elbeuf (sœur des Vendôme), afin qu'elle sollicitât le pardon de M. le grand prieur, avoit dit qu'il n'étoit plus temps que le grand prieur parlât d'innocence et songeât à se sauver par là, qu'il falloit qu'il eût recours à la miséricorde du roi et demandât pardon, reconnaissant être coupable de certains desseins non-seulement contre l'État, mais même contre la personne du roi; que, M. de Fossé étant allé trouver par commandement du roi M. le grand prieur avec Dunault, celui-ci répéta ce qu'il avoit dit à Mme d'Elbeuf devant le grand prieur, et le pria un genouil en terre de se sauver en confessant ce qu'il savoit. Sur quoi le grand prieur confessa ce qui s'ensuit: qu'il s'étoit opposé au mariage de Monsieur, qu'il avoit conseillé à Monsieur, depuis la prise du Colonel, de traiter rudement les ministres pour le ravoir par ce moyen; que, cela ne réussissant pas, il falloit sortir du royaume et prendre les armes; que MM. de Nevers et de Longueville étoient du parti; qu'on proposoit de se retirer à Sedan ou à Metz; qu'on disoit qu'il en avoit écrit à M. de La Valette; qu'on n'avoit qu'à montrer sa lettre, qu'il la reconnoîtroit; que Chalais étoit mort pour n'avoir point eu d'esprit; que si on vouloit s'en servir contre lui, il falloit le garder pour le lui confronter; qu'il avoit fait chasser Andilly et conseillé de ne croire ni Goulas ni Marcheville. Il ne voulut pas reconnoître ce que Dunault avoit dit d'un dessein contre la personne du roi, et lui avoit dit: Mon ami, vous avez dit une chose qui vous donnera de la peine et à moi; qu'ayant ensuite dit à de Fossé qu'il ne croyoit pas qu'il voulût redire ce qu'il avoit dit, de Fossé appela Loustenau (un des gardiens), lui répéta mot pour mot en présence du grand prieur ce que le grand prieur lui avoit dit, et l'avoit prié de s'en souvenir».
«Les charges contre M. de Vendôme sont autres que celles contre le grand prieur: intelligence avec Soubise, cabale en Bretagne, conférence avec la Trémouille près Clisson.»
«Chefs d'accusation contre M. de Vendôme. Souveraineté. Mme de Vendôme dit que le feu roi lui avoit promis de lui faire rendre son héritage, la Bretagne (elle était fille du duc de Mercœur et avait apporté en dot le gouvernement de Bretagne à César de Vendôme). M. de Vendôme a fait écrire sur les prétentions qu'il a sur la Bretagne; M. de Lomaria a eu les papiers, etc. A Blavet, conférence avec M. de Soubise. Vendôme fait mal placer les batteries, défend de tirer, ne veut écouter les propositions qu'on lui fait pour empêcher M. de Soubise de se retirer, maltraite ceux qui veulent sortir sur M. de Soubise, le fait avertir de s'en aller, favorise les prisonniers, en fait évader quelques-uns, en prend quelques autres à son service. Intelligence et union avec plusieurs grands mal contents, comme Retz, M. le Comte, M. le Prince à Chenonceaux. Intelligence en Espagne; avec les Rochelois. Lettre de M. de Vendôme, du 9 mai, au capitaine des vaisseaux de Saint-Malo qui étoient pour le service du roi devant La Rochelle, parce qu'il veut leur faire savoir à la hauteur de Bellisle les ordres du roi, et il n'avoit point d'ordre du roi à donner. M. de Vendôme a beaucoup de pensionnaires en Bretagne.
«Délibération des États de Bretagne du 18 juillet, pour raser les places de M. de Vendôme. A quoi le sieur Aubry, commissaire, a consenti de la part du roi à Nantes.
«Mémoire pour interroger du Rochet, qui couroit les provinces pour gagner des hommes et faire des levées.
«Lettre de M. de Vendôme à M. le Prince. Il se plaint que l'État n'est gouverné que par des gens qui ne devroient se mêler que de leur bréviaire; qu'il n'y a plus de sûreté pour les gouverneurs que dans leurs gouvernements; que M. de Montbazon l'accuse d'avoir voulu surprendre Nantes, qu'on sait le droit qu'il y a, que Monsieur veut se retirer à Bordeaux.
«M. Brissac à M. le cardinal. Il écrit que M. de Vendôme, après deux ans d'inquiétudes pour assurer les Huguenots de son service, veut jeter la province dans l'oppression, qu'il a fait mille folies dans Rennes, qu'il reçoit toujours des lettres du roi d'Angleterre, de M. de Rohan, etc.
«M. (l'évêque) de Montauban à M. de Schomberg sur le même sujet. Il mande que les seigneurs de la province ne peuvent plus supporter les insolences de M. de Vendôme, que la Bretagne deviendra toute huguenote si on n'y prend garde. M. de Vendôme écrit très-souvent à M. le Prince et à M. de Soubise.
«M. de Vendôme à M. d'Ornano. Il se plaint que le roi ait ajouté foi à la reine mère. Il dit qu'elle lui fait toutes sortes d'injustices depuis la mort d'Henri IV, quoiqu'il lui ait rendu service lorsqu'elle a eu besoin de lui; qu'elle élève des gens pour s'autoriser davantage; qu'elle ne le dépouillera pas néanmoins comme elle a fait le grand prieur son frère; que la couronne siéroit bien sur la tête de Monsieur s'il vouloit entrer dans leurs desseins; qu'il n'a ni Brest ni Nantes; que s'il peut avoir Blavet, ce sera une bonne place; pour lui il fait travailler à force à Saint-Malo pour être fort par mer et assure Ornano de ses services.
Le même à M. de Soubise. Il a écrit au maréchal d'Ornano. Il voudroit que Monsieur se retirât à La Rochelle. Brissac, quoique éloigné, a toujours les yeux sur lui; et si le roi d'Angleterre, qui lui a écrit et à qui il a fait réponse, n'exécute ce qu'il a promis, ils ne pourront faire réussir leurs desseins. Il a ordonné à l'Anglais, canonnier de Saint-Malo, de ne point pointer ses canons sur les vaisseaux.
Ibid., t. XLII, fol. 6, verso.
«Extrait succinct de l'information contre M. de Vendôme écrit de la main d'un secrétaire de M. le cardinal. M. de Vendôme pensoit à se faire souverain en Bretagne. Il y a conjecture qu'on songeoit à dépouiller le roi.
«Discours libres ou plutôt insensés des gens de M. de Vendôme contre la personne du roi; ce qui paroît de plus clair, c'est qu'il n'a pas fait ce qu'il devoit pour défendre Blavet lorsque M. de Soubise l'a attaqué.
«Noms et qualités des témoins ouïs et informations contre M. de Vendôme, pour servir de lumière à M. le rapporteur sans qu'il soit besoin qu'il déclare les noms desdits témoins en faisant son rapport à la Cour, vu que par ce moyen ils pourroient être connus avant que d'être confrontés, ce qui pourroit donner lieu à des reproches. Les informations ont été faites dès le 8 juillet par M. de Roissy, par MM. Peschart et Hue le 24 septembre, par MM. Machault et Peschart le 30 novembre 1626.
«Minute de deux lettres du roi à M. de Vendôme, du 28 novembre 1626. Il dit qu'ayant appris avec quelle franchise il déclaroit ses entreprises sur Nantes, Blavet et Brest, il lui pardonneroit s'il vouloit ne rien cacher de toutes les menées qu'il savoit qu'on avoit faites contre sa personne et contre son État.
«Instruction pour Mme d'Elbeuf allant trouver M. de Vendôme au bois de Vincennes, accompagnée de M. le duc de Bellegarde. M. de Vendôme ne trouvant pas de sûreté en ce que le pardon que le roi lui promettoit étoit à cette condition qu'il ne cachât rien, le roi ou plutôt le ministre jugea de là qu'il veut cacher quelque chose d'important, et envoya Mme d'Elbeuf le trouver. On lui propose l'exemple du maréchal de Biron, et on lui déclare qu'il n'est point en état qu'on capitule avec lui, qu'on lui accorde la vie et les biens sans parler de la liberté; et s'il demande sa femme et ses enfants on lui répondra qu'il faut finir le principal avant que de venir à l'accessoire.
«Lettre écrite par le roi au père Eustache Asseline, avec certificat qu'il l'a fait voir à M. de Vendôme. M. de Vendôme a prié Sa Majesté qu'il pût voir ce Père, afin de consulter avec lui la déclaration qu'il veut faire. Le roi permet à ce religieux de voir M. de Vendôme.
«Déclaration de M. de Vendôme du 16 de janvier. M. de Vendôme proteste n'avoir eu aucune intelligence avec Soubise. Il avoue que, voyant Blavet en très mauvais état, il croyoit qu'il auroit été mieux entre ses mains qu'en celles du duc de Brissac, et qu'il ne songea à s'en assurer que depuis l'arrivée de Soubise; que pour Nantes, comme il étoit ami de M. de Montbazon, il ne songeoit pas à le lui ôter, mais que, voyant qu'il pouvoit le donner au prince de Guémenée, son fils, il avoit pratiqué des amis pour s'en rendre le maître quand l'occasion s'en présenteroit. Que quant à Brest, voyant la division qui étoit entre le marquis de Sourdeac et son fils, il avoit été avec l'évêque de Léon à Brest, qu'alors il avoit pressé Sourdeac à venir demander justice au roi contre son fils, et à laisser le marquis de T... dans la place, au lieu de Dumas, qui ne pouvoit pas en faire la charge à cause de son grand âge. Il parle du projet de marier son fils avec la fille de M. de Retz. Il dit qu'il n'a eu aucune part aux brouilleries de la cour, qu'il avoit même écrit à son frère de ne se point mettre dans la cabale de ceux qui s'opposoient au mariage de Monsieur; qu'il ne vouloit pas venir à Blois; qu'il s'étoit laissé aller aux persuasions de son frère qui l'avoit amené; qu'il trouvoit l'esprit de M. le Prince incompatible s'il étoit venu faute du roi et de Monsieur.
«Lettre du roi à M. de Vendôme, du 17 de janvier. Il lui pardonne tout ce qu'il a déclaré à Mme d'Elbeuf, et lui en fera expédier grâce, l'assurant que, pourvu qu'il n'ait point de dissimulation, il lui pardonnera tout ce qu'il pourra avoir fait.
«Déposition du gentilhomme capitaine de marine. C'est lui qui charge le plus M. de Vendôme sur l'affaire de Blavet. Il dit qu'il avoit proposé d'enfermer les vaisseaux du duc de Soubise en tendant des chaînes, et que le sieur de Vendôme lui ayant parlé pour le débaucher et lui déposant ne l'ayant point voulu écouter, M. de Vendôme lui avoit donné un coup de pied dans les bourses, lui avoit fait donner jusqu'à huit paires d'escarpins et brûlé toutes les jambes; que plusieurs qui déposoient contre M. de Vendôme étoient morts assez subitement en prison, qu'on avoit fait échapper plusieurs personnes, etc.»
Ibid., t. XLIV, fol. 9, se trouve un autre extrait plus succinct encore de toute l'information contre M. de Vendôme, avec le mot ordinaire employé.
«Le dessein de M. de Vendôme de se rendre souverain de la Bretagne paroît par diverses conjectures et par diverses actions, pour lesquelles il mérite d'être qualifié fol. Il y a preuve de deux témoins conformes par lesquels il paroît qu'on pensoit à dépouiller le roi, vu qu'étant en colère et disant force choses contre l'État, les deux témoins lui représentèrent qu'il falloit qu'il demeurât toujours dans le service du roi, et il s'échappa à dire: Je le servirai tant qu'il sera reconnu pour roi. Il faut joindre à cela que toute sa famille a été fort libre à parler criminellement contre la personne du roi, l'un disant qu'on avoit autrefois déposé un Louis, l'autre que les bâtards avoient régné aussi heureusement que les légitimes, un autre qu'il aimeroit mieux pendre le roi que le roi ne le fît pendre, etc.
«Toute la Bretagne accuse M. de Vendôme d'avoir conspiré avec M. de Soubise l'entreprise de Blavet. Plusieurs témoins déposent l'avoir ouï dire à des gens du parti de M. de Soubise. Il est vérifié qu'ayant été pris des soldats de M. de Soubise prisonniers qui déposèrent que M. de Vendôme étoit de l'entreprise, ledit sieur de Vendôme fit ôter de l'information le feuillet où il étoit nommé et y en fit mettre un autre. Il est clair de plus qu'il voulut corrompre Gentillet (vraisemblablement le capitaine dont il est question plus haut), pour se faire justifier par sa déposition de cette accusation. Il est constant encore que, Gentillet ne l'ayant voulu faire, il le fit traiter très cruellement. Auparavant quoi, il a tâché à le porter à ne faire pas contre ledit sieur de Soubise, lui disant en termes exprès qu'il étoit bien misérable de vouloir agir contre son parti.
«Il est vérifié encore que ledit sieur de Vendôme a refusé divers avis qu'on lui proposoit pour perdre ledit sieur de Soubise dans le port de Blavet.
«Il est clair qu'il a défendu de tirer sur les gens dudit sieur de Soubise et sur ses vaisseaux. Et il y a des conjectures fort pressantes qu'il l'a averti, quand il a été temps de le faire sortir du port de Blavet, et qu'il a favorisé sa sortie.
«Qu'il y a un nouveau témoin, qui est Furlatan, qui parle de auditu et visu sur le fait de Blavet.»
Voici maintenant la déposition de Lamont, exempt de la garde écossaise, qu'on avait déjà donné pour gardien à Chalais, auquel astucieusement il avait eu l'art d'arracher tous ses secrets, comme on le voit dans le recueil de La Borde. Mis auprès de MM. de Vendôme dans le même dessein, il avait également réussi, et il avait amené le duc à des aveux fort étendus, que celui-ci l'avait chargé de porter à la connaissance du roi. Ibid., t. XLIV, fol. 13.
«M. le duc de Vendôme a commandé à Lamont de dire au roi, pour témoigner à S. M. sa repentance de ses fautes, ce qui est ici contenu:
«A dit que par le conseil de Mme de Mercœur (sa belle-mère), il avoit depuis quelques années entretenu amitié avec M. de Retz afin de faire le mariage de son fils avec la fille dudit duc de Retz, qui lui cédoit Belle-Ile en faveur de ce mariage; mais que le duc de Retz, ayant eu défense de passer outre au traité du mariage, lui n'avoit pas laissé d'en parler, disant qu'il n'en avoit point de défense pour son particulier; en quoi il reconnoît avoir failli; comme aussi d'avoir recommandé ses enfants audit duc de Retz comme il se résolvoit de venir en cour, le priant de les garder à Belle-Ile pour s'assurer de leurs personnes.
«A dit qu'il a cabalé dans le parlement pour y acquérir des gens qui fussent tout à lui, qu'il tâchoit à gagner la noblesse autant qu'il lui a été possible, les uns par pensions qu'il leur donnoit de son argent, les autres par quelques fonds qu'il leur faisoit distribuer par les États, recherchoit aussi la faveur du peuple par tous les moyens qu'il jugeoit être propres à se rendre populaire.
«A dit qu'ayant dessein de recouvrer le droit que le défunt roi lui avoit donné de capitaine du château de Nantes, il auroit projeté de se saisir de cette place lorsque M. de Montbazon la remettroit entre les mains de son fils, ce qu'il estimoit devoir être fait environ ce temps, et espéroit d'exécuter facilement son dessein sous J... qui n'est qu'un sot, lequel le prince de Guymené devoit mettre pour son lieutenant dans ledit château; et à cet effet il gagnoit dans la ville le plus de gens qu'il pouvoit, et y avoit beaucoup acquis d'amis; qu'il n'avoit pas exécuté son dessein parce que Baillon et son frère faisoient si bonne garde que cela eût été difficile, et qu'il n'y avoit point de communication du château à la ville, et qu'il attendoit quelque événement public favorable à telle entreprise.
«A dit que pour Brest, voyant la division qui étoit entre le père et le fils, il avoit dessein de prendre cette occasion de faire mettre le marquis de Timeur (?) qui est tout à lui, et pour cet effet auroit employé l'évêque de Léon, afin d'obtenir du père que ledit marquis fût mis comme son lieutenant, ce qui étant exécuté il estimoit la place à lui.
«A dit qu'il a eu quelque dessein de se rendre maître du fort de Blavet lors de l'entreprise que fit M. de Soubise, non que son dessein fût que ledit sieur de Soubise prît cette place, mais qu'il pensoit bien sous cette ombre s'en rendre maître, vu le mauvais ordre qui étoit à la garde de ladite place; vu aussi l'insuffisance du duc de Brissac, il pensoit la prendre et puis mander au roi que la place étoit plus sûrement et mieux gardée entre ses mains qu'entre les mains dudit duc de Brissac.
«A dit qu'il a visité les costes de Brest avec trop de soin et trop de curiosité.
«A dit, sur ce que l'on lui demandoit s'il n'avoit pas de dessein sur la souveraineté de la duché de Bretagne, que si Dieu affligeoit tant la France qu'il y advînt faute du roi et de Monsieur, qu'il étoit résolu de ne s'accommoder jamais avec M. le Prince.
«A dit, sur ce que l'on lui a demandé s'il ne savoit rien particulièrement des derniers partis qui se sont formés à la cour, qu'il n'en savoit rien que par ouï-dire; qu'il est vrai que M. le grand prieur lui avoit écrit une lettre il y a environ un an, qui portoit que lui et quelques autres étoient résolus d'empêcher le mariage de Monsieur avec Mlle de Montpensier, ce qu'il falloit faire par tous moyens.
«A dit qu'il lut cette lettre en présence du sieur de La Roche, de son frère le président de Bretigny, qui la virent; qu'il communiqua le contenu à M. de Retz, qui étoit du sentiment de son frère. Qu'il n'étoit pas de cet avis, et qu'il se falloit garder de ces brouilleries, qu'il s'estimoit heureux d'en être éloigné, qu'il n'en a rien su de plus, et que si son frère lui eût communiqué quelque chose, il se fût bien gardé de venir en cour; il eut beaucoup de peine à s'y résoudre, vu divers avis qui lui venoient de toutes parts, que l'on l'y arrêteroit; mais que sondit frère lui dit, pour le résoudre, qu'il savoit bien que M. le Comte n'y viendroit pas, bien feroit-il semblant d'y venir et enverroit son train jusqu'à Orléans, mais qu'il feroit semblant d'être malade et renvoyeroit quérir son train; or, que l'on ne prendroit les uns sans les prendre tous à la fois.
«A dit que le jour qu'ils furent séparés dans le château d'Amboise, ayant dit à son frère qu'il étoit temps qu'ils donnassent ordre à leurs affaires et qu'il prévoyoit qu'on pousseroit cette affaire jusqu'au bout, son frère lui fit réponse qu'il espéroit que M. le Comte étant en liberté il feroit pour eux, et que c'étoit son attente que ledit sieur Comte feroit quelque effort.
«A dit qu'il reconnoît et avoue que le Roi a pris un juste et nécessaire conseil pour l'État quand il le fit arrêter, et que si les ministres de Sa Majesté ne l'eussent conseillé, ils eussent fait une grande faute en raison d'État.
«A dit que Mme de Chevreuse leur avoit envoyé un laquais de M. le grand prieur jusqu'à Escures (?), pour leur donner avis qu'ils ne vinssent pas en cour et que s'ils y venoient ils seroient pris prisonniers.
«A dit que le propre jour qu'ils furent arrêtés ils envoyèrent un gentilhomme du grand prieur à M. de Retz, pour par ce moyen savoir ce qui se passeroit et faire tout ce que M. de Retz jugeroit être utile à leur service; que mondit sieur de Retz étoit parti de Nantes, leur avoit envoyé de Vendôme ledit gentilhomme leur dire que l'on avoit résolu au conseil d'envoyer quérir M. le grand prieur, afin de le confronter à Chalais.
«A déclaré qu'il avoit su force nouvelles à Amboise par la femme de Bernière et la fille qui venoient dans le jardin qui correspondoit à sa chambre, par où elles lui donnoient des billets, par lesquels il avoit appris ce qui étoit porté par les informations que M. de Roissy faisoit contre lui.»
Ces aveux étaient bien considérables. Le duc de Vendôme y livrait, comme on le voit, son propre frère le grand prieur, son ami le duc de Retz, le comte de Soissons, et cette fidèle Mme de Chevreuse qui avait tâché de les sauver autant qu'il était en elle en envoyant les avertir du danger qui les menaçait. Dans ce même vol. XLIV, nous rencontrons un extrait de la déclaration de Vendôme de la propre main de Richelieu, avec des remarques du cardinal et la qualification des faits avoués. Cette pièce nous a paru mériter de voir le jour.—Ibid., fol. 17.
«Cabalé les parlements, la noblesse, les communautés, pour se mettre en considération et augmenter sa fortune.—Ce qui a dû donner de légitimes sujets de méfiance à S. M.
«Pensée et dessein de s'assurer de Blavet depuis l'arrivée de M. de Soubise et non auparavant. Pensée qu'il dit n'avoir communiquée à personne.—Projet du tout criminel.
«Dessein perpétuel sur Nantes depuis en avoir été dépouillé. Préparatifs pour s'en rendre maître lorsque M. de Guémenée le posséderoit et que l'état des affaires générales du royaume lui en donneroit lieu. Acquisition d'armes dans la ville à cet effet.—Crime ouvert.
«Dessein sur Brest pour le marquis de Timur, entre les mains duquel il tient la place comme entre les siennes. Ce dessein projeté avec ledit marquis de Timur en visitant la côte.—Crime déguisé.
«Pensions du sieur d'Aradon, Dupan, Vaudurand, de L'Espine, Boulanger, tous gens dont il s'est servi dans les factions.—Suspicion grande de crime.
«Autres pensionnaires du fonds qu'il ménageoit sur les fermes du Roi.
«Conseil de M. de Retz et instante demande à M. de Vendôme de lui confier ses enfants au cas qu'il lui arrive d'être retenu à Blois.—Par où il paroît que M. de Retz s'offroit à les protéger contre le Roi.
«Offre que M. de Retz fait à M. de Vendôme de parachever le mariage projeté entre leurs enfants moyennant qu'il prît Belle-Ile. Sur quoi est noté que M. de Retz avoit reçu défense et du mariage et de donner Belle-Ile.—Charge contre M. de Retz.
«Dessein contre le mariage de Monsieur écrit à M. de Vendôme par le grand prieur, qui le convie à s'y joindre.
«Assurance donnée par M. le grand prieur que M. le Comte feroit semblant de venir au voyage, faisant partir son train, mais ne viendroit pas. Ce qui faisoit que M. de Vendôme ne devoit rien craindre en son voyage, vu qu'on ne prendroit personne qu'on ne les prît tous ensemble.—Ce qui montre qu'ils se sentoient tous coupables et avoient union et intelligence pour éviter la preuve de leur crime.
«Pensée de demeurer souverain en Bretagne en cas que le malheur voulût que la France fût privée du roi et de Monsieur, ne pouvant compâtir à l'humeur et à l'esprit de M. le Prince.—Crime manifeste.»
A ces aveux si fortement caractérisés joignez deux lettres du duc de Vendôme plus accablantes encore, et que nous avons données plus haut, du moins en extrait, l'une à Ornano, l'autre à Soubise, p. 375, et vous aurez une juste idée de cette vaste et redoutable conspiration de 1626, la première où Mme de Chevreuse ait mis la main, et que Richelieu déclare, comme un homme qui semble frémir encore du péril qu'il a couru, «la plus effroyable dont les histoires fassent mention.»
NOTES DU CHAPITRE III
I.—MONTAIGU
Lord Montaigu, gentilhomme de la chambre du roi d'Angleterre, et ami particulier de Holland et de Buckingham, a été l'agent le plus actif de la coalition formée, à la fin de 1626, contre la France, et qui se composait de l'Angleterre, de la Savoie, de la Lorraine et des protestants français. L'âme de cette coalition était Buckingham, furieux du refus qu'on lui faisait de le laisser revenir en France, brûlant de revoir la reine Anne, et de mettre sa gloire à ses pieds, comptant bien d'ailleurs effacer tous ses torts aux yeux de l'Angleterre en se portant l'ennemi de la France et le défenseur de la cause protestante. Il se mit donc à la tête d'une flotte puissante; Mme de Chevreuse lui répondait de la Lorraine, le comte de Soissons de la Savoie, le duc de Rohan des calvinistes du Midi, Soubise de la Rochelle. La reine Anne n'ignorait rien de ce qui se passait. Cette grande entreprise échoua devant le génie de Richelieu, et aboutit à la perte de Buckingham et à la prise de La Rochelle, en septembre et octobre 1628. Toute l'année 1627 est remplie des intrigues de Montaigu; il va sans cesse en Lorraine, en Suisse, en Hollande, à Turin, à Venise, et travaille à nouer et à resserrer les divers fils de la conspiration. Mais la police de Richelieu était sur ses traces. Pour vérifier ses soupçons, le cardinal le fit arrêter presque sur le territoire lorrain, et les papiers qu'on saisît sur lui ne laissèrent plus l'ombre d'un doute sur l'immense danger qui menaçait la France. Le 4 décembre 1627, Bullion reçut l'ordre de faire l'inventaire de ces papiers. En voici des extraits. France, 1624-1627.
«Instruction du roi d'Angleterre a lord Montaigu, un des gentilshommes de sa chambre, allant en Savoie. Le roi lui dit qu'il a donné une puissante armée navale à Buckingham pour assister les amis et le parti qu'ils ont en France, pour empêcher l'armée navale d'Espagne de se joindre à celle de France, pour interrompre le commerce de ports en ports et aux Indes orientales et occidentales, et pour donner aide et support au roi de Danemark, son oncle, pour la conservation de l'Allemagne et le maintien de la bonne cause. Il promet de donner contentement au duc de Savoye dans toutes les choses justes et possibles, surtout pour ce qui concerne le trafic en son pays. Il le prie aussi que rien ne puisse donner de la jalousie et de la défiance à leurs amis et alliés. Quoiqu'on doive faire une grande considération sur l'affection et résolution du duc de Rohan, on ne pouvoit néanmoins y prendre aucune certitude à cause de l'état des affaires lorsque Montaigu l'a quitté pour retourner en Savoie. Pour cet effet il faut presser le duc de Savoie de finir les affaires qu'il a avec Gênes, et toutes autres qui pourroient l'empêcher d'assister puissamment ceux de la religion en France, qui sans cela pourroient être accablés. On ne peut compter sur les 16,000 hommes pour le comte de Soissons, le roi d'Angleterre ne se trouvant pas en état de contribuer à cette levée. Avant que de répondre sur le mariage proposé du comte de Soissons avec la fille aînée du roi de Bohême (le prince Palatin, beau-frère de Charles Ier), il faut savoir la volonté du roi et de la reine de Bohême; s'ils y consentent, il fera connoître l'estime qu'il fait de la personne du comte de Soissons et de la dignité de son sang. Ainsi il attendra ce que Pujeolles (sic. quelque envoyé du comte de Soissons auprès du roi de Bohême) aura fait avec le portrait. Quant à la place de sûreté que le comte de Soissons demande pour armer, on ne peut lui en donner une meilleure que la Savoye. Il faudroit tâcher de concilier Brisson (sic., quelque chef protestant), avec le duc de Rohan et que Brisson surprît Poussin et Valence et les livrât au comte de Soissons. On doit donner à Montaigu des lettres pour le duc de Lorraine.»
Mémoire de Montaigu. «Le comte de Soissons veut intenter action au parlement contre le cardinal de Richelieu et prendre les armes en cas de déni de justice. Seneterre assure que si la guerre dure seulement deux mois, le comte aura un parti considérable en Dauphiné et que jamais il ne s'accordera avec le cardinal. On ne parle plus de mariage (avec la fille du prince Palatin). On espéroit que le duc de Savoie et le comte de Soissons publieroient un manifeste, ce qui auroit beaucoup servi à justifier la conduite du roi d'Angleterre et à fortifier le parti; plusieurs catholiques mal contents du cardinal se seroient déclarés. Montaigu envoie Villars aux cantons protestants de la Suisse. Pourvu qu'on pût obtenir qu'ils fermassent les yeux sur les levées qu'on feroit chez eux secrètement, ce seroit un moyen sûr de fournir beaucoup de monde à M. de Rohan. Il faudroit aussi tâcher d'empêcher le roi de France d'en tirer du monde. Il croit qu'on pourrait employer Wake, ambassadeur d'Angleterre à Venise, auprès des protestants. La déclaration du duc de Rohan a été reçue avec beaucoup d'approbation de tous les protestants et de tous ceux que le Cardinal persécute. M. le duc de Lorraine l'a averti par un courrier qu'il a déjà 10,000 hommes de pied et 1,500 chevaux. L'empereur lui doit envoyer 600 hommes d'infanterie et 100 chevaux; toutes ces troupes se joindront à M. de Verdun, pour assiéger Verdun. Le bruit seul de cette entreprise a empêché qu'on envoyât 6,000 hommes à M. le Prince qui est en Languedoc. Il seroit temps d'écrire à M. de Rohan et de le faire payer. Montaigu attend les ordres du roi d'Angleterre pour savoir s'il doit faire les avances à M. de Rohan. Il demeure tranquille jusqu'à ce que M. de Rohan le recherche. Si M. de Rohan eût reçu ce qu'on lui avoit promis, il aurait pu se saisir de quelque place d'où il auroit fort incommodé les ennemis. Le duc de Savoye donne avis à Montaigu de la ligue conclue entre la France et l'Espagne, afin qu'il en avertisse le roi d'Angleterre. Si la guerre dure, le comte de Soissons ne peut honnêtement demeurer les bras croisés, et il se déclarera. La Rochelle en fera certainement autant. Le duc de Savoye se joindra à M. le comte de Soissons. Le duc de Lorraine est pour ainsi dire en guerre ouverte. Montaigu ajoute qu'il a envoyé une personne de qualité courre fortune à La Rochelle, afin de savoir ce qui se passe là, et de donner des nouvelles de ce qui se fait ici.»
«Lettre déchiffrée de M. de Savoye. Il n'a pas osé se déclarer à cause des bruits qui ont couru d'un renouvellement d'un traité entre la France et l'Angleterre, à l'arrivée d'Albernan (?) que Bukingham avoit envoyé à Paris. Si le roi d'Angleterre veut continuer la guerre, il faut tâcher d'y intéresser les Hollandois, le duc de Lorraine, les Huguenots, et faire entendre qu'on ne prend les armes que pour tirer le roi des mains qui le tyrannisent, remettre la France en liberté et dans son ancienne splendeur. Il faut prendre garde que la France et l'Espagne sont unies, que l'empereur fait de grands progrès en Allemagne, que les États de Savoye étant situés entre la France et ce que l'Espagne possède en Italie, et ayant la guerre avec l'Espagne et Gênes, il n'a pas pu se déclarer plus tôt; mais sitôt qu'il saura les intentions du roi d'Angleterre, qu'il aura fait la paix avec Gênes, qu'il aura parole certaine et par écrit du roi d'Angleterre que S. M. B. ne fera ni paix ni trêve avec la France que par le moyen de Savoye ou avec l'Espagne ou tout autre sans sa participation, que le roi d'Angleterre enverra un homme à Gênes pour apaiser les troubles et représenter à la ville combien il lui seroit avantageux d'avoir pour ami le duc de Savoye, le duc de Savoye se déclarera ouvertement, et en attendant payera la somme de 30,000 écus.»
Montaigu. «Il a fait passer un homme à La Rochelle. Il a reçu une lettre de M. de Rohan par un soldat qui lui a dit que le saint qu'on invoque en l'armée de M. de Rohan est Angleterre. M. de Brisson a pris deux places importantes en Dauphiné et sur le bord du Rhône. On l'a fait savoir à M. le comte de Soissons comme un bon commencement pour ses desseins. M. le comte de Soissons a mandé que si l'entreprise réussit, il se déclarera, ce qu'on fait savoir au duc de Rohan.»
Le même. «Il est tombé malade cinq jours après être arrivé à Turin, d'une fièvre qui l'a tenu cinq semaines au lit. Il est surpris de n'avoir eu aucune nouvelle d'Angleterre. Tout retentit des grandes actions de Bukingham. Ces Princes sont dans l'impatience de commencer. M. le comte de Soissons a amassé de l'argent et des troupes. Il traite avec le gouverneur de Valence pour avoir la place. M. de Rohan a écrit qu'on ne se fiât point à ce gouverneur, qu'on lui envoyât 200 chevaux et le surplus en argent. Le duc de Bukingham devoit venir au bec d'Ambès et Rohan se joindre à lui. Mais Bukingham étant arrêté en Ré, Rohan croit que le mieux qu'il puisse faire est de se tenir dans le bas Languedoc, le roi d'Angleterre lui ayant mandé de suivre les résolutions qu'il jugeroit les meilleures, à moins que Bukingham n'envoyât des ordres exprès qu'en ce cas il seroit obligé d'exécuter. Comme le duc de Savoye ne s'est pas trouvé tout à fait en état d'appuyer le duc de Rohan, Montaigu lui a donné avis afin qu'il prit ses mesures là-dessus. Rohan lui a répondu qu'au 20 de septembre 1627, il sera en campagne avec 600 hommes de pied et 400 chevaux. Le duc de Savoye devoit dépêcher Vignoles avec 200 chevaux et 14,000 écus; mais on apprit presque en même temps que le fort ayant été abondamment secouru, Bukingham avoit dépêché son neveu pour proposer un accommodement. Le 22, Montaigu tomba malade, et ne put entendre parler d'affaires jusqu'au 10 d'octobre que, commençant à se porter mieux, il voulut savoir si le duc de Savoye avoit quelque éclaircissement du traité. Le bruit étoit toujours fort grand d'un accommodement, quoiqu'on n'en dit pas les particularités. Montaigu soutenoit que cela ne pouvoit être, et le duc disoit qu'il pouvoit être arrivé telles choses en Angleterre qui avoient obligé Bukingham à souhaiter la paix.»
Copie des memoires sur le fait des Suisses. «On vouloit tâter les Suisses protestants de la part du roi d'Angleterre. Tous les cantons étoient alors très-alarmés des progrès que l'Empire faisoit en Allemagne et craignoient d'être attaqués principalement par l'archiduc Léopold. On donnoit néanmoins quelque espérance que s'ils seroient recherchés par le roi d'Angleterre et qu'ils fussent bien informés que le roi d'Angleterre ne faisoit la guerre à la France que pour la défense des églises de France et non pour aucun autre sujet, cela pourroit possible émouvoir la seigneurie de Berne et les autres cantons à faire quelque effort pour un si bon sujet. Mais comme l'affaire presse, il semble que M. l'ambassadeur ne feroit pas mal d'envoyer présentement un manifeste du roi d'Angleterre, s'il est imprimé, avec une lettre, à chacun des quatre cantons protestants, parce que s'il n'obtenoit pas du secours, il pourroit au moins donner sujet à ces cantons de refuser à la France les lettres que l'ambassadeur Miron leur doit demander au premier jour.»
Copie d'un mémoire pour le chancelier de Wake, ambassadeur pour le roi de la Grande-Bretagne à Venise. «On croit que Wake servira mieux en Suisse que Montaigu à cause des grandes habitudes qu'il y a; et parce qu'on n'a pas le manifeste du roi de la Grande-Bretagne, on lui envoie celui de M. le duc de Rohan, et l'acte de l'assemblée tenue à Usez, lesquelles pièces il enverra aux cantons et fera voir que le roi, son maître, n'est entré en guerre avec la France que pour le respect de la religion, pour la considération de la parole que ses ambassadeurs ont reçue du roi de France et qu'il avoit donnée à ceux de la Rochelle; à quoi il étoit d'autant plus obligé que c'étoit par le secours qu'il avoit fourni au roi de France que ceux de la Rochelle étoient dans le péril où ils sont, et qu'ils n'avoient pris les armes qu'après avoir cherché tous les moyens possibles pour éviter tous les inconvénients de la guerre; que le duc de Bukingham prêt à triompher du fort de Ré, avoit envoyé un gentilhomme Jacques Albernan pour voir s'il voudroit laisser vivre ses sujets faisant profession de la religion réformée en la liberté de ses édits, exécuter les promesses faites en son nom et de son consentement à messieurs de la Rochelle par les ambassadeurs d'Angleterre pour le rasement des forts. Le roi de France n'a voulu entendre à aucun accommodement, ce qui prouve le dessein qu'on a en France de persécuter lesdits sujets.»
M. de Savoye, 4 novembre: «Il loue la bonne conduite de Montaigu et se remet à lui et à l'abbé de Scaglia (de la maison de Verrue, célèbre diplomate piémontais) de tout ce qu'il pourroit lui écrire.»
«Il y a encore une lettre de Montaigu à M. de Rohan, qui dit que l'essentiel et l'accidentel sont toujours dans les mêmes dispositions, que le premier n'attend que quelque conclusion avec celui dont Rohan a si longtemps attendu la réponse. Lettre aussi du père de Montaigu à Montaigu, son fils, du 25 de septembre, de Londres. Il mande que Bukingham est encore dans l'île de laquelle il n'a pas pris le fort. On lui envoye 10,000 Anglois, Irlandois ou Écossois. Les ambassadeurs de Savoye ne sont pas encore arrivés. On ne dit rien de ces princes de France auxquels on a eu confiance.»
«Mémoire qui n'est pas signé. Il est du 4 octobre 1627. Cinq ou six gentilshommes du Velay, promettent de se rendre maître du Puy et de lui livrer 4 ou 5 bonnes places et de faire une diversion notable, pourvu qu'ils soient avoués de M. le comte de Soissons. Si on a cet aveu, il faut l'envoyer au gouverneur d'Orange qui le fera tenir à Brisson. Rohan laisse le bas Languedoc et les Cévennes bien unis et bien résolus. Il a mis le canon en campagne pour nettoyer quelques petites places. Il a 6,000 hommes de pied et 400 chevaux. Il espère que ses troupes grossiront considérablement à Montauban. Le baron de Favière s'est fait de la religion la semaine passée. Il a mis dans le parti la ville et le château de Lunas, place imprenable à quatre lieues de Béziers et un bon château sur le grand chemin.»
Autre mémoire de 5 octobre, de Valence. «Il est apparemment de celui qui a donné le conseil de passer en Suisse, parce qu'il dit que Montaigu pourra empêcher les levées aux ennemis et peut-être obtenir quelque levée. Il signe: celui qui vous tint compagnie à la veillée des dames, H. P.—Promesse du roi de la Grande-Bretagne de ne faire ni paix ni trêve avec la France, si ce n'est par le moyen de M. le duc de Savoye.—Petit billet porté dans la bouche, à ce qu'a dit le prisonnier. Il est de M. de Rohan du 14 septembre. Il a fait déclarer tout le bas Languedoc et les Cévenois. Ils ont juré de n'accepter aucune paix que du consentement du roi d'Angleterre. Ils ont prié Rohan de reprendre sa charge de général et de faire toutes les levées nécessaires. Il aura dans treize jours 6,000 hommes de pied et 400 chevaux. Si on lui avoit envoyé de Savoye ce qu'on lui avoit promis, il auroit eu au moins 10,000 hommes de pied et 1,000 chevaux pour s'aller rejoindre à l'armée Angloise. Il a donné ordre afin que cette cavalerie puisse arriver à lui, en cas qu'on l'envoye. Mais si on fait difficulté d'envoyer la cavalerie, qu'on envoye l'argent à Orange. Il espère avec cela en faire assez pour tenir la campagne.
Autre du 9 octobre. «M. de Rohan est à Milau avec 6,000 hommes de pied et 500 chevaux. Le marquis de Malauze le joindra avec 1,500 hommes de pied et 100 chevaux, Dondredieu avec 300 chevaux. Favières s'est déclaré de la religion et a remis Lunas. Boderieux y est confirmé et se fortifie. M. de Montmorency cède à l'importunité du Parlement de Tolose qui l'oblige d'arriver pour s'opposer à M. de Rohan.
Lettre de Monlerun (?). «Il paroît que c'est lui qui avoit conseillé d'envoyer en Suisse. Il écrit d'Orange du 9; il mande qu'il a fait tenir au duc de Rohan la lettre qu'il lui a écrite, que le retardement de ce que Montaigu a promis tient beaucoup de choses en suspens, que le gouverneur d'Orange qui a fourni jusqu'à cette heure ne le veut plus faire, n'entendant point parler des fonds sur lesquels il étoit assigné. Il presse pour une réponse parce que l'ennemi arme de tous côtés. Il envoye la suscription de la lettre qu'il faut écrire aux cantons.
Lettre fort respectueuse que Montaigu a écrite de la Bastille au roi. «Il dit que le roi d'Angleterre n'a pris les armes contre le roi que parce qu'il a cru que le roi ne correspondoit pas à l'estime et à l'affection qu'il lui portoit, et que Savoye, Lorraine, Soissons se sont joints à lui piqués du peu de cas que sa majesté faisoit d'eux; que s'ils étoient les uns et les autres persuadés du contraire, on pourroit les porter à une bonne paix si nécessaire au bien des deux couronnes.
«Le même au Cardinal. C'est un compliment qui tient un peu du galimatias.»
On comprend quel effroi répandit parmi tous les conspirateurs la prise de Montaigu. Nous avons montré quel trouble saisit la reine Anne à la nouvelle de cette arrestation, et quel prix elle mit à faire parler par La Porte au prisonnier pour savoir si quelques-uns de ses papiers la compromettaient, et si elle pouvait compter sur sa discrétion, chapitre III, pages 87 et 88. La cour de Turin, qui avait cru tromper la France par le double jeu qu'elle n'avait cessé de jouer, s'émut, et au commencement de 1628, Marini, résident de France en Piémont, écrit, France, t. XLIX, qu'on songe à envoyer à Paris diverses personnes pour «porter des compliments sur les avantages des armes françoises contre les Anglois, et répondre, s'il est besoin, à tout ce qui pourroit être trouvé dans les papiers de Montaigu qui seroit au mécontentement de Sa Majesté.» «Les princes de Piémont, dit Marini, sont interdits et en confusion sur cette prise. Le comte de Soissons avec Seneterre sont jour et nuit pour trouver expédients de pouvoir réparer le mal qui se trouveroit ès-écritures de Montaigu contre le service du roi, et espèrent que par les instances du duc de Lorraine l'on empêche les voies de rigueur contre ledit Montaigu. Ils se confient en trois choses: que les mémoires importants sont écrits de la main de Montaigu; que leurs lettres sont en chiffres; que l'on ne tirera rien de Montaigu qu'ils tiennent habile.» Néanmoins l'avis de Marini est que «par voies directes et indirectes, l'on tirât le fond de cette affaire, parce que Montaigu en est très-informé, et qu'il faut lui faire expliquer les mémoires écrits de sa main.» Bien des conseillers de Richelieu pensaient aussi qu'après avoir tiré des papiers saisis tant de lumières sur les intrigues du dehors, on devait tâcher de voir clair dans celles du dedans, et vérifier les rapports que les agents secrets de Richelieu lui adressaient. Bullion, chargé d'interroger le prisonnier, l'avait en vain pressé; il n'avait pu lui rien arracher; il aurait fallu aller plus loin et recourir à des rigueurs qui auraient pu irriter le duc de Savoie, le duc de Lorraine et le roi d'Angleterre, et les décider à faire un dernier effort et une puissante diversion en faveur de La Rochelle qui était encore debout. Le profond Richelieu, attentif à ne poursuivre jamais qu'un seul grand but à la fois, sacrifia tout à l'ardent désir de renverser enfin le boulevard du protestantisme; pour retenir la Savoie et la Lorraine qui n'avaient pas encore tiré l'épée, il lâcha sa proie et mit en liberté Montaigu. Voilà ce que nous apprend une lettre de Bullion, France, année 1628, t. XLVII, fol. 60.
La même politique fit accorder aux instantes prières du duc de Lorraine et du roi d'Angleterre la grâce de Mme de Chevreuse. Elle rentra donc en France en 1628 et se tint quelque temps tranquille, au sein de sa famille, ainsi que nous l'avons dit page 90. Il semble pourtant que dès l'année 1629 elle se serait fort rapprochée du duc d'Orléans dans l'intérêt de la reine Anne, qu'elle aurait favorisé les amours du jeune duc, veuf de Mlle de Montpensier, avec la belle princesse Marie de Gonzague, fille du duc de Nevers et sœur de la Palatine, qu'elle serait même entrée assez avant dans le projet de mariage qui fit alors tant de bruit et souleva une si grande tempête, pour avoir conçu l'idée d'aller elle-même en Flandre y ménager un asile aux deux amants rebelles, grâce au crédit qu'elle et la reine avaient auprès du gouvernement espagnol. C'est là du moins ce qui résulterait de diverses lettres de Bérulle écrites en 1629, au nom de Marie de Médicis, à Richelieu lorsqu'il était en Italie avec le roi.—France, année 1629, t. XLV, fol. 127.
Lettre du 24 mars 1629: «Il y a quelque temps que la 58 (Mme de Chevreuse) vouloit aller en Flandre, et nous étions en peine à quel dessein. Hébert (la Reine mère) l'a empêchée en faisant connoître à 58 qu'elle ne pouvoit permettre ce voyage. Dudepuis on a eu advis que La Chesnelle (la reine Anne) et Mirabel (ambassadeur d'Espagne en France) ont traité en Espagne et en Flandre pour faire que Hébertin (Monsieur) et la N. (Nevers, la fille du duc de Nevers, la princesse Marie) fussent reçus en Flandre soit pour s'y marier soit après être mariés. Flandre a répondu et tend les bras ouverts à ces deux hôtes. Ce dessein a été proposé à l'Angleterre comme l'unique moyen pour rappeler le roi d'Italie. On soupçonne que ce fut un des sujets du voyage désiré par la 58 (Chevreuse). On n'a pas voulu donner ces advis à Calori (Richelieu) sur les premières ombres qu'on en a eues. Hébert (la Reine mère) en a reçu nouvelle confirmation, et lors elle a voulu que Francigène (Bérulle) l'écrivit à Calori.»—Le même, 4 juin: «...Les dames de la faction de N. (la princesse Marie) ne cessent d'agiter Hébertin (Monsieur) pour le porter à quelque extravagance... La puissance et la hardiesse de ces dames n'est pas tolérable...»—Même jour: «Je viens d'apprendre que ces dames pressent Hébertin d'aller en Savoie. Il est très vrai qu'on le presse puissamment de sortir hors du royaume... Cet advis ne nous est pas donné des trois marchands (Bellegarde, Puilaurens, Coigneux), mais de quelques discours secrets de la Reine (la reine Anne).—Le même, 16 juin: «Les dames de la Reine, plus elles font contenance de s'appuyer de Calori, plus elles essaient de le ruiner. Je ne sais pas si elles en ont la volonté, je ne crois pas qu'elles en aient la puissance.»
Ces lettres et bien d'autres expliquent comment, pour prévenir toute tentative d'enlèvement, Marie de Médicis, alors dépositaire de l'autorité royale, ait pris le parti de mettre quelque temps à Vincennes la princesse Marie. Ainsi encore une secrète conspiration où Mme de Chevreuse aurait eu la main, une aventure manquée à joindre à tant d'autres aventures.
II.—CHATEAUNEUF
Les 52 lettres de Mme de Chevreuse à Châteauneuf, dont nous avons donné des extraits plus étendus que ceux du père Griffet, embrassent au moins toute l'année 1632, avant le voyage de la cour dans le Midi, qui eut lieu en l'automne de cette année et auquel il n'est pas fait la moindre allusion dans les lettres de Mme de Chevreuse. Déjà, comme on le voit par ces lettres, Richelieu avait conçu des soupçons sur les relations intimes de la belle duchesse et du garde des sceaux; son jaloux amour-propre n'en fut pas seul blessé, sa politique s'en alarma; il se doutait bien que Mme de Chevreuse n'était pas femme à se prêter à la passion d'un homme de l'âge de Châteauneuf, sans avoir le projet de le faire servir à ses desseins. C'était après l'affaire de Castelnaudari. Monsieur ne savait encore à quoi s'arrêter, s'il se soumettrait ou irait retrouver sa mère à l'étranger et passerait en Flandre ou en Lorraine ou en Angleterre. On craignait que la reine Anne et Mme de Chevreuse ne fussent plus ou moins mêlées à ces intrigues, et que le garde des sceaux ne s'y fût laissé engager, ainsi que dans d'autres cabales anglaises avec son ami intime, le chevalier, depuis le commandeur de Jars. Dans les premiers jours de novembre 1632, toute la cour était à Bordeaux, le roi, la reine, Mme de Chevreuse, Richelieu, ses confidents, le cardinal La Valette et le père Joseph, Bouthillier et son fils Chavigni. Le garde des sceaux, après avoir présidé à Toulouse la commission qui jugea Montmorenci, était venu rejoindre la cour. Le roi, pressé de retourner à Paris, prit les devants, accompagné de Chavigni. Richelieu donna des fêtes à la reine; il se proposait de la ramener à Paris par la Saintonge, et de lui faire les honneurs de La Rochelle, sa nouvelle et illustre conquête. Tout à coup il tomba malade, et Châteauneuf, emporté par le désir de faire un voyage d'agrément avec Mme de Chevreuse, se fit donner la commission de conduire la reine à La Rochelle et d'y suppléer le cardinal. Les archives des affaires étrangères nous fournissent ici des renseignements curieux, France, t. LXI. Châteauneuf écrit de Bordeaux, le 12 novembre, au roi qui est en route pour Paris, que le cardinal, au moment de partir avec la reine pour La Rochelle, est tombé malade d'une rétention d'urine. Il voulait, dit-il, rester près de lui, mais le cardinal lui a commandé d'accompagner la reine jusqu'à La Rochelle, où il compte aller bientôt la retrouver. Le même jour Châteauneuf mande la même nouvelle à Chavigni, en lui disant que la maladie du cardinal est plus fâcheuse que dangereuse. Cependant le cardinal de La Valette, le père Joseph, Bouthillier, tous les vrais amis de Richelieu, Schomberg excepté qui se mourait après sa victoire de Castelnaudari, sont restés près de leur maître, l'entourant de leurs soins, l'assistant de leurs conseils; et de loin leur police vigilante surveille toutes les démarches, tous les propos de l'amoureux et aveugle garde des sceaux. Le père Joseph écrit à Chavigni le 13 novembre: «Nous avons été en grande peine pour M. le cardinal. Depuis une heure il y a plus à espérer qu'à craindre.» Il engage Chavigni à ménager habilement l'esprit du roi, à le bien entourer, à ne laisser arriver à lui que des personnes bien disposées. Ce même jour Bouthillier mande au roi que le cardinal a voulu lui écrire de sa main sur le fait de Monsieur, mais qu'il est trop faible pour entreprendre une seconde lettre, et qu'il lui a commandé de tenir la plume à sa place: «Dès que le mal de M. le cardinal lui permettra de se mettre en chemin, il est résolu de ne pas perdre une seule heure et d'aller droit se rendre auprès de Votre Majesté, sans se détourner ni pour La Rochelle ni pour quoi que ce soit. Il a reçu aujourd'hui un si grand soulagement de son mal que les médecins le tiennent toujours hors de danger, pourvu qu'il ne survienne point de nouvel accident.» Bouthillier écrit encore au roi, de Bordeaux, le 15 et le 16 novembre, pour lui annoncer les progrès de la convalescence de Richelieu. Mais voici une lettre d'une tout autre importance où l'alter ego du cardinal découvre à l'un de ses correspondants la trahison de Châteauneuf, en se fondant, il est vrai, sur de bien faibles motifs et de pures apparences. Le père Joseph à Chavigni, de Bordeaux, 22 novembre: «Monsieur, ayant eu charge de M. le cardinal de vous faire réponse, je vous dirai qu'aujourd'hui son plus grand mal est le déplaisir de ne pouvoir aller trouver le roi aussitôt qu'il le désireroit, pour lui rendre ses très-humbles services et le remercier du soin qu'il daigne avoir de son incommodité. Il se porte bien mieux. Aujourd'hui les médecins ont recognu que la douleur qu'il souffre à uriner provenoit d'un pus qui s'étoit formé au col de la vessie et qui est sorti avec l'urine et l'a beaucoup soulagé. Il est fort foible pour avoir passé plusieurs nuits sans dormir et avoir été saigné plusieurs fois. Il a besoin de quelque temps pour se remettre... Je m'assure que vous aurez un grand regret de la mort de M. de Schomberg... Le secrétaire de Severin (le garde des sceaux) a dit depuis peu à un honnête homme qui a passé où ils sont et en a donné avis ici que, Du Puy (Monsieur) s'en alloit et que Severin en avoit des nouvelles. Si cela est, il est évident que ledit Severin y a bonne part, et peut être cru l'auteur de ce conseil. Pierre (le roi) fera bien d'avoir l'œil ouvert sur les actions de Severin et de ses amis en tant qu'ils le sont aussi à Du Puy (Monsieur). Ceux qui viennent du lieu où est Severin disent qu'il passe fort bien son temps, avec une grande gayeté, qui n'a pas été amoindrie par l'accident arrivé à François (Schomberg). Il n'a envoyé qu'une fois savoir des nouvelles de Dubois (Richelieu), et encore ç'a été pour faire entendre qu'il s'en alloit trouver Lafontaine (le roi).» Une telle communication ne demeura pas stérile entre les mains de l'intelligent Chavigni. Il n'eut pas de peine à animer contre le garde des sceaux l'ombrageux et soupçonneux Louis XIII. Bientôt il reçut de Charpentier, l'un des deux secrétaires de Richelieu, l'invitation de porter le roi à écrire au cardinal de La Valette une lettre ainsi conçue: «Mon cousin, j'ai bien voulu vous témoigner par ces lignes le gré que je vous sais de ce que vous avez toujours demeuré auprès de mon cousin le cardinal de Richelieu et ne l'avez point abandonné durant sa maladie, et aussi parce que je veux bien que tout le monde sache que ceux qui l'aiment sincèrement et sans feintise comme vous, sont ceux dont je ferai cas particulièrement.» Ce travail sur l'esprit du roi ne tarda pas à porter ses fruits, et le 29 novembre Bullion écrivait de Paris à Richelieu: «Le roi est en extrême colère contre 64 (Châteauneuf) de ce qu'il vous a quitté, et cinquante fois m'en a témoigné une extrême indignation.» Tous les amis de Richelieu conspirent à l'envi contre Châteauneuf, soit qu'ils voulussent en cela complaire au cardinal et servir à la fois toutes ses passions privées et publiques, soit qu'ils fussent jaloux des talents du garde des sceaux, soit qu'en effet ils fussent convaincus qu'il trahissait son pays et son bienfaiteur pour une femme. Le dernier novembre, le père Joseph écrit à Chavigni: «Le sieur Dubois (Richelieu) entre de mieux en mieux en l'affaire du sieur Severin; en quoi il se confie au secret et en l'adresse des sieurs Duplat (Chavigni et son père Bouthillier). Le petit Lin (Bullion) a fort bien commencé, et il tiendra la main pour une fin heureuse.» Le 4 décembre, Bouthillier, qui a précédé Richelieu à Paris, lui écrit une longue lettre sur l'attachement du roi, où nous relevons les lignes suivantes: «Le roi m'a dit avec larmes qu'il eût beaucoup mieux aimé qu'il fût arrivé faute de lui que de vous.» Et en post-scriptum: «Nous attendons demain M. le garde des sceaux.» Châteauneuf, à peine arrivé à Paris, sentit le péril qui le menaçait, et s'empressa d'écrire, le 8 décembre, à Charpentier, «au sujet de quelques mauvais offices qu'on lui avoit rendus auprès du roi et de M. le cardinal à cause qu'il ne l'avoit pas attendu à Bordeaux», et il se défend sur l'ordre qu'il prétend en avoir reçu. Inutiles efforts: sa perte était résolue.
Le Mémoire suivant de Richelieu, qui voit ici le jour pour la première fois, doit avoir été composé après le 30 janvier 1633, puisqu'il y est fait mention de ce jour; et d'autre part il doit avoir précédé le 25 février, c'est-à-dire l'arrestation de Châteauneuf et la saisie de ses papiers, car il n'y a ici que des soupçons et des indices, tandis que les papiers de Châteauneuf auraient fourni au cardinal des preuves plus fortes. On y voit le travail auquel se livrait Richelieu avant de prendre un parti. Il rassemble tous les motifs qu'il a de douter de la fidélité du garde des sceaux, et il se rend compte à lui-même de la résolution qu'il médite.—France, t. CI.
Mémoire de M. le cardinal de Richelieu contre M. de Châteauneuf.
«Du temps du maréchal d'Ancre le sieur de Chasteauneuf estoit extrêmement mal avec lui. Le cardinal de Richelieu ne laissa de l'assister, jusque-là que le dit maréchal lui en voulut mal. Le lendemain que le cardinal fut chassé, le dit sieur de Chasteauneuf fit tout ce qu'il put contre lui.
Depuis, estant en Savoie, le cardinal lui fit avoir les trois abbayes de son frère [372], et les disputa contre la reyne mesme et en eust sa mauvaise grâce. Depuis, lorsqu'il fut fait garde des sceaux, il le pria de bien penser si c'estoit son avantage, parce qu'il ne vouloit pas le proposer au Roy pour l'utilité du cardinal, mais pour la sienne propre. Après y avoir pensé trois jours, il le pria de faire exécuter la proposition qu'il lui avoit faite.
Trois semaines après qu'il fut garde des sceaux, Monsieur s'estant accommodé avec le Roy et ayant promis son amitié au cardinal, et les sieurs Le Coigneux et Puylaurens désiré que le dit cardinal les maintînt auprès du Roy, ce à quoi Sa Majesté trouva bon qu'il s'engageast, selon certains articles que le dit sieur de Chasteauneuf en dressa lui-mesme, il envoya le sieur de Hauterive [373] avec Mme de Verderone [374] pour tâcher de séparer Puylaurens d'avec Le Coigneux, ce qui étoit chose directement contraire à ce qui leur avoit été promis; d'où Le Coigneux prit une telle allarme, Puylaurens lui ayant dit, qu'il crut que c'estoit un complot fait entre le dit sieur de Chasteauneuf et le cardinal qui n'en savoit rien; d'où il conclut qu'il ne s'y pouvoit fier, et partant médita la ruine du cardinal qui pensa arriver par la visite que Monsieur fit chez lui et sa retraite, d'où se sont ensuivies les guerres qu'on a vues depuis.
Estant à Château-Thierry le Roy fit le dessein de surprendre Moyenvic, sur un advis qui ne fut cognu qu'au Roy, au cardinal, au garde des sceaux, au maréchal de Schomberg et au sieur Bouthillier. Ce dessein ne fut pas plustôt fait que ledit garde des sceaux le mandast à 9 [375], personne intéressée en cette affaire; et en effet ce dessein faillit, celui qui estoit dans cette place en ayant eu assez de vent pour s'y fortifier de gens, ce qui fit qu'on trouva toute autre garde au pont qu'il n'y avoit pas six mois auparavant.
Il déclara aussi le dessein du voyage des troupes du Roy à Hermestein. Il a aussi dit à 9 dès Lyon que le Roy avoit résolut de faire trancher la teste à M. de Montmorency, et ce deux jours après la résolution que Sa Majesté en avoit prise.
Ayant été pris dans Lyon un courrier que M. de Lorraine envoyoit à Monsieur, et dont le cardinal avoit eu advis par une voie secrète, incontinent il en advertit 9 qui, dans la chaleur de la dispute qu'elle [376] eut avec lui sur ce sujet pour le faire eslargir, lui découvrit qu'elle savoit les marques particulières qu'il devoit y avoir sur une lettre qu'on prétendoit qu'il eût cachée. Le cardinal consulta depuis avec le garde des sceaux la peine où il estoit de peur que par ces marques-là M. de Lorraine découvrist qui lui avoit donné l'advis et en perdist l'autheur. Il redit encore toute cette seconde conférence à cette mesme personne qui depuis le découvrit au cardinal.
Est à noter les lettres qu'on a interceptées qu'il escrivoit en Angleterre conseillant la Reyne contre les sentiments du Roy, particulièrement au fait de la religion. Ouaston, grand trésorier d'Angleterre, a fait advertir par son propre fils, ambassadeur extraordinaire en France, comme d'une chose bien assurée qu'il donne pour marque de l'affection qu'il porte au cardinal, qu'il sait de preuve très-certaine que le sieur de Chasteauneuf a dessein de perdre le cardinal, et la Reyne d'Angleterre a dit plusieurs fois que le garde des sceaux n'estoit point participant des mauvais conseils du cardinal, qu'il estoit son serviteur particulier, et qu'il feroit mieux aller l'Estat que le cardinal, quand il seroit mort.
Est à noter encore qu'il dit à Chaudebonne [377] qu'il ne faisoit nulle difficulté de sauver la vie à M. de Montmorency et lui donner un autre gouvernement que celui du Languedoc, et ce pendant qu'il lui disoit, après avoir fortement opiné à faire mourir le dit sieur de Montmorency, et que la résolution en estoit prise.
Est à noter qu'aussitost que la nouvelle de la prise de M. de Montmorency fut sçue, le garde des sceaux, de son propre mouvement, sollicita pour qu'on envoyast une ordonnance du Roy à M. le maréchal de Schomberg pour lui faire trancher la teste, nonobstant ses blessures, ce que le seul cardinal détourna, sur ce que tout le monde auroit horreur de cette action qui sembleroit inhumaine, qu'il falloit attendre s'il guériroit ou non auparavant du faire justice.
Est à noter encore qu'après avoir ainsi parlé audit Chaudebonne, il vint dire au cardinal qu'il lui avoit dit qu'on ne pouvoit sauver ledit sieur de Montmorency, et que jamais il ne donneroit ce conseil au Roy, quand mesme le cardinal lui donneroit, et qu'il vouloit bien qu'il le dît à Monsieur; sur quoi le dit sieur de Chaudebonne dit à M. le cardinal de La Valette, au père Joseph et au jeune Bouthillier [378] qu'il le jugeoit de là un étrange homme, vu qu'il lui avoit dit tout le contraire, comme il est dit ci-dessus, par où il le croyoit serviteur de Monsieur, puisqu'il favorisoit M. de Montmorency, et que la difficulté venoit seulement du cardinal qu'il tenoit ennemi de Monsieur.
Le garde des sceaux dit à Chaudebonne au deuxième voyage qu'il a fait à la cour, qu'il eût à dire de sa part à Puylaurens que si Monsieur envoyoit quelqu'un au Roy, il feroit bien d'y venir et qu'il lui vouloit parler. Quand Chaudebonne est revenu à Montpellier, le garde des sceaux lui a demandé s'il s'étoit souvenu de parler de ce que dessus à Puylaurens. Chaudebonne lui ayant dit qu'il s'en estoit oublié (sic) par le peu de temps qu'il avoit demeuré là, le garde des sceaux l'a prié de dire à Puylaurens qu'il seroit bien aise de s'aboucher avec lui à la campagne, si l'on s'approchoit de plus près, et qu'il feroit en sorte qu'après M. le cardinal le verroit. Puylaurens a dit plusieurs fois au dit Chaudebonne qu'il se fioit au garde des sceaux et qu'il croyoit qu'il répondroit pour lui au Roy. Chaudebonne dit aussi avoir recognu qu'il y avoit intelligence entre le garde des sceaux et Puylaurens lorsqu'il étoit en Flandre, et que par le moyen de Mme de Barlemont ils entretenoient commerce sous prétexte de quelque réconciliation de Monsieur avec le Roy, sans que le garde des sceaux et Puylaurens en eussent dessein.
M. le maréchal de Schomberg m'a dit deux ou trois fois que Briançon l'avoit assuré que chez Monsieur ils se faisoient fort du garde des sceaux et qu'ils estoient en bonne intelligence. Ce que le dit Briançon, depuis la mort du dit sieur maréchal, a donné lieu de croire par la lettre qu'il a escrite à M. d'Haluin [379].
Est à noter que le maître des requêtes Belièvre dit à Saint-Laurent qui estoit prisonnier à Castelnaudary: «Monsieur menace toujours, mais ces menaces ne sont qu'en paroles; mais si on les voyoit suivies d'effet, il trouveroit bien plus de gens qui seroient de son parti.» Ce discours fut tenu en suite des escrits et des menaces faites au cardinal. Briançon advertit M. le maréchal de Schomberg de ce discours.
Il ne faut pas oublier le procédé dont il a usé au procès de Marillac, où, lorsqu'il voyoit en mauvaise disposition le Roy et les siens, disoit ouvertement qu'il ne le jugeroit point contre son honneur; comme si c'eût été contre l'honneur d'un garde des sceaux de faire la justice! Et depuis qu'il a vu le Roy en meilleure santé, il l'a jugé comme sa charge l'y obligeoit.
Auparavant tous ses amis qui parloient franchement de cette affaire disoient que M. le garde des sceaux ne vouloit point se mettre au hazard par le jugement de ce procès, de se mettre mal par la suite des temps avec des personnes qui le pourroient perdre, et ce pour les intérêts du Roy qui sembloient chancelants par sa mauvaise disposition et la fortune du cardinal qui ne pouvoit qu'estre caduque, la santé du Roi n'estant pas assurée. Et en effet M. d'Effiat [380] recognut un jour clairement qu'il marchandoit, sur la mauvaise opinion qu'il avoit de la vie du Roy, à prendre son congé sur la fin de son règne pour se faciliter une glorieuse rentrée en son imagination en celui qui devoit venir peu après.
Estant à Bésiers, il fit ce qu'il put adroitement pour faire trancher la teste à M. de Montmorency par une simple ordonnance, au lieu de le faire juger par le Parlement ou par commissaires. La cognoissance qu'on avoit que cette proposition n'estoit bonne que pour charger le cardinal de l'événement de cette affaire, disant qu'elle ne passoit que pur l'autorité du Roy auprès duquel il avoit grand crédit, fit que le cardinal s'en défendit disant qu'il falloit mettre cette affaire au cours ordinaire de la justice.
M. de Montmorency ayant mandé au Roy, par le sieur de Launay, à Toloze, que Monsieur estoit marié à la princesse de Lorraine, on estima dans le conseil du Roy qu'il falloit tenir cette affaire fort secrète, parce que si Puylaurens, qui l'avoit découverte à M. de Montmorency, découvroit qu'on sçût la faute qu'il avoit commise en cette action qu'il avoit toujours niée, la peur le reporteroit à quelque nouvelle faute. Le Roy, pour cet effet, recommanda à son conseil un estroit secret, ce qui fut promis de tous, mais non pas gardé d'un chacun. La Vaupot, envoyé de Monsieur, qui estoit lors auprès du Roy, l'ayant sçu le lendemain, ce qui produisit un si mauvais effet qu'estant arrivé auprès de Monsieur, Puylaurens effrayé l'emmena de nouveau hors du royaume. Sur quoi le Roy manda au cardinal qu'ils estoient sortis parce qu'ils avoient sçu ce dont M. de Montmorency l'avoit adverti, ce qu'il croyoit ou sçavoit avoir été dit par le garde des sceaux.
Il est vrai qu'estant à Lectoure, dans la chambre de la Reyne, Mme de Chevreuse demanda au cardinal en présence de la Reyne: Dites-nous un peu ce que M. de Montmorency a mandé au Roy par Launay. Sur quoi, le cardinal disant: il a mandé plusieurs choses; je ne sais pas ce que vous voulez sçavoir. Elle reprit la parole avec sa promptitude ordinaire et dit: il lui a mandé que le mariage de Lorraine est fait; je le dis afin que vous ne pensiez pas que nous ignorions ce dont vous faites secret. Elle n'adjousta pas qui lui avoit donné cet advis, mais apparemment celui qui l'avoit advertie du dessein de Moyenvic [381] lui avoit donné cette cognoissance.
Le procédé du garde des sceaux, dans la maladie du cardinal, est à considérer, où il est vrai qu'il le quitta, n'oubliant rien de ce que l'adresse lui put suggérer pour que le cardinal lui conseillât d'en user ainsi, ce qu'il sçavoit bien qu'il vouloit faire, Mme de Chevreuse ayant dit audit cardinal qu'il y avoit plus de quatre jours il avoit dit chez la Reyne que le dit cardinal demeureroit si bon lui sembloit, mais qu'il iroit avec elle.
Est à noter l'affectation particulière que M. le garde des sceaux eut d'envoyer Leuville [382] en Piedmond, et la proposition qu'il fit au cardinal que le dit Leuville tueroit Toiras [383] s'il ne vouloit obéir au roi, ce que le cardinal rejeta; en suite de quoi cependant Leuville ne fut pas plustôt en Piedmont qu'il se mit tout à fait du parti de M. de Toiras qui se roidit plus que jamais à n'obéir pas, selon que M. Servien le mande, disant qu'il croit que la venue du sieur de Leuville n'a pas peu servi à lui donner du cœur pour résister aux volontés du Roy. Le Roy mesme m'a dit que de Montpellier le garde des sceaux avoit envoyé un de ses secrétaires en Piedmont à Leuville, ce qui s'estoit justifié par l'ordonnance du voyage que longtemps après le dit secrétaire avoit tâché de tirer en secret. Il est vrai que Leuville estant retourné d'Italie, le garde des sceaux m'a escrit et avoué de bouche qu'il estoit tout à fait pour Toiras, ce qui aussi estoit si clair qu'on ne le pouvoit nier.
Le dit garde des sceaux qui avoit affecté le voyage de Leuville en Piedmont, depuis la mort du roy de Suède a eu grand désir de faire envoyer le maréchal d'Estrées vers les protestants d'Allemagne, ce qui fit que le cardinal ayant fait résoudre à son arrivée d'y envoyer le sieur de Feuquières, il ne se put tenir de dire au sieur Bouthillier le jeune qu'il avoit fait une grande faute, et qu'il y falloit envoyer un officier de la couronne; et cependant chacun sçait que les meilleures affaires ne se font pas toujours par les plus grands, et que Feuquières, maréchal de camp et lieutenant du Roy en la frontière, est cognu en Allemagne fort entendu et homme de bien.
Au mesme temps le dit garde des sceaux eût bien désiré que son frère (Hauterive) eût été envoyé en Hollande pour empescher la trève, mais il s'est moins ouvert de ce desir pour mieux cacher son dessein.
Au mesme temps le roy d'Angleterre ayant eu la petite vérole, et estant à propos que le Roy envoyast le visiter, il pria le jeune Bouthillier de proposer le chevalier de Jars pour faire ce voyage, et le faire en sorte que l'on ne cognût point qu'il lui en eût parlé.
Au mesme temps il proposa au cardinal d'envoyer Berruyer à Bruxelles, sous prétexte de parler au prince d'Espinoy, lui disant qu'il verroit par ce moyen la dame de Barlemont et Puylaurens pour sçavoir à quelles conditions ils voudroient revenir en France.
Par tout ce que dessus, il appert qu'il veut tenir toutes les négociations importantes de l'Estat en sa main.
Dès que le cardinal fut revenu de son voyage, le soir mesme qu'il arriva à Rochefort, le dit garde des sceaux, quoiqu'estonné de ce qu'il cognoissoit n'estre pas bien avec le Roy, tira une lettre de sa pochette, que lui escrivoit Mme de Barlemont, qui estoit de deux ou trois pages pressées dont il ne montra que trois lignes au cardinal, ès quelles mesme il y avoit des mots en chiffres qu'il lui expliqua, en sorte que ces trois lignes signifioient que Puylaurens estoit déjà las d'estre là où il estoit, qu'il voudroit bien revenir et ramener son maistre en France, qu'il avoit eu envie d'escrire pour cet effet au garde des sceaux, mais qu'elle n'avoit osé prendre la lettre, que mesme pour donner assurance de lui il feroit faire le mariage de Monsieur et de la princesse Marie. Le dit garde des sceaux représenta fort au cardinal que le mieux qu'on pût faire estoit de l'y faire revenir, mais qu'il n'oseroit en parler au Roy. Le cardinal lui tesmoigna approuver son advis et dit qu'il en parleroit bien, mais qu'il falloit un peu attendre.
Le lendemain ledit garde des sceaux reparla encore de cette affaire au cardinal. Sur quoi le cardinal lui disant: Mais quelle sûreté Puylaurens pourroit-il donner de lui? Il lui respondit: Elle consisteroit en deux choses: à marier Monsieur à une autre personne que la princesse de Lorraine, et à ce que Puylaurens espousât une des filles du baron de Pontchasteau. Sur quoi le cardinal respondit que cette sûreté estoit bien maigre, et qu'il ne voudroit pas y penser de peur de donner le moindre ombrage au Roy, à qui il devoit tout.
Est à noter que le mesme jour le garde des sceaux dit au cardinal qu'il avoit une prière à lui faire, qui estoit d'agréer que sa nièce de Chasteauneuf, qui avoit dix mille livres en fonds de terre et cinquante mille escus comptant, espousât quelqu'un de ses parents, tel qu'il voudroit, pour que par ce moyen il entrast en son alliance, et qu'il seroit très-aise qu'il la voulût donner au fils du baron de Pontchasteau. Sur quoi le cardinal lui respondit qu'il se sentoit obligé de cette offre, mais qu'il feroit bien mieux de donner sa nièce à Leuville ou au fils de Mme de Vaucelas, comme il avoit ouï dire qu'il l'avoit projeté, qu'aussi bien le fils du baron de Pontchasteau estoit-il aucunement engagé avec la fille du baron de Quervenau. A cela le garde des sceaux répliqua que Leuville et cette fille se haïssoient, qu'il ne la vouloit point donner à son neveu de Vaucelas, et qu'il désiroit grandement cet honneur. Puis adjousta: Y a-t-il contract ou articles passés entre le fils de Pontchasteau et la fille de Quervenau? Le cardinal respondit: Non. Sur quoi il dit: Il n'y a donc rien qui empesche cette affaire. Sur quoi le cardinal se voyant pressé lui dit: Je sçaurai de M. et de Mme de Pontchasteau comme cette affaire va.
Est à noter le discours que Leuville a fait à Roquemont allant en Italie, le priant de favoriser le sieur de Toiras; ce que M. le premier [384] a sçu de Roquemont et l'a dit au Roy de qui je l'ai appris.
Est à noter que le garde des sceaux a fait cognoistre aux jesuites qu'il ne tenoit pas à lui qu'il ne les favorisast en l'affaire du collége du Mans, se déchargeant tacitement sur le cardinal; ce que j'ai appris du père Maillan.
Est à noter ce que Servien escrit que Toiras a dit ouvertement avoir sçu les résolutions portées par Gagnot, et qui plus est celles qu'un courrier porta à M. Servien pour faire avancer les régimens de Saulx et d'Aiguebonne; ce qui fut fait pendant que le cardinal estoit encore en Brouage, sans qu'autres personnes en eussent cognoissance que le ministère.
Est à noter les paroles de mépris que le chevalier de Toiras a dites au jeune Bouthillier du Roy, ce qui tesmoigne l'impression qu'il y a en cette maison.
Est à noter la découverte qui a esté faite chez l'ambassadeur d'Espagne d'un homme qui donnoit des advis, laquelle est arrivée ainsi qu'il s'en suit. La Reyne envoya quérir Navas [385] et lui dit: Prenez garde à vous; je suis assurée qu'il y a quelqu'un chez vous qui advertit de ce qui s'y passe. Navas parla le soir à C. (Châteauneuf) et lui dit: Il n'y a que vous et moi qui ayons cognoissance des despesches; la Reyne m'a dit qu'on découvre ce qui se passe. C. l'assura de sa fidélité. La Reyne donna cet advis en un temps que Calori (le cardinal) avoit rapporté deux ou trois choses découvertes des malices de Mirabel [386], disant qu'elles estoient mandées par M. de Barrault; mais il se souvient qu'on pouvoit soubçonner qu'elles ne vinssent pas de si loin. Il disoit que M. de Barrault les découvroit en Espagne par un espion, mais la nature des choses pouvoit faire cognoistre que l'espion estoit en France, et de fait il a esté si bien soubçonné que la Reyne en a eu l'advis. Tels advis n'ont jamais esté rapportés au Roy que devant le garde des sceaux, le maréchal de Schomberg, et Bouthillier. Le secret du Roy, de Schomberg, de Bouthillier et de Calori sont à l'espreuve. L'affaire de Moyenvic fait cognoistre par expérience qui ne reçoit point la réplique que le garde des sceaux donne des advis d'importance à la Reyne. La conjecture tombe donc tout entière sur lui par la règle: semel malus semper presumitur.
«Desroches, neveu de Chanleci, a dit le 30 janvier 1633 à M. de Fossé qu'un nommé La Forest, maître d'hotel de Puylaurens, qui fut tué au combat de Castelnaudary, a esté une partie de l'hiver passé à Paris et voyoit les nuits M. le garde de sceaux.
«M. de Guron m'a dit que M. de Lorraine lui a dit que lorsque le Roy estoit à Metz la première fois, il se faisoit diverses allées et venues vers Puylaurens de la part de M. le garde des sceaux par un homme de Mme de Verderonne, et que ce qui se faisoit se faisoit par son conseil.
«MM. de Bullion et de Fossé estant à Besiers auprès de Monsieur de la part du Roy, Puylaurens leur dit, sur les difficultés de la signature qu'on lui proposoit de faire pour la garantie de Monsieur, qu'il signerait ce qu'il refusoit si M. le garde des sceaux lui conseilloit; sur quoi ces messieurs lui disant qu'il en demeureroit d'accord et qu'il lui envoyast demander son conseil, Puylaurens repartit qu'il entendoit sçavoir l'advis dudit sieur garde des sceaux par un des siens qu'il prétendoit lui envoyer pour communiquer particulièrement avec lui.
«Le Boulay [387] a dit à M. de Bullion que depuis le retour du voyage de Languedoc, le garde des sceaux lui parlant en particulier à Paris lui demanda: Quel homme est-ce que ce Puylaurens, et que dit-il? et que le Boulay lui respondit: Il faut que le cardinal soit un mal habile homme ou qu'il vous ruine à cause de Puylaurens.»
PROCÈS-VERBAL DE LA VISITE DES PAPIERS DE M. DE CHATEAUNEUF
FAITE FAR MM. BOUTHILLIER ET DE BULLION
(Copie communiquée par M. le duc de Luynes.)