Madame de Chevreuse: Nouvelles études sur les femmes illustres et la société du 17e siècle
«Le lundi, vingt-huitième jour de février mil six cent trente-trois,
environ les huit à neuf heures du matin, Nous Claude de Bullion et
Claude Bouthillier, conseillers du roi en ses conseils d'État et privé,
et surintendants de ses finances, et Léon Bouthillier, aussi conseiller
du Roy en sesdits conseils et secrétaire de ses commandements, en
vertu de la commission de Sa Majesté du vingt-sixième dudit mois,
nous sommes transportés, assistés du sieur Testu, chevalier du guet
de la ville de Paris, au logis du sieur de Chateauneuf, ci-devant garde
des sceaux, pour y faire perquisition de tous les papiers qui s'y pouvoient
trouver, pour iceux faire transporter où nous verrions bon
être, suivant la volonté de sadite Majesté; où étant arrivés, nous y
aurions trouvé le sieur de Boislouer, enseigne d'une des compagnies
des gardes du corps qui étoit en garnison audit logis par commandement
de Sa Majesté, lequel nous auroit fait faire ouverture de la
porte dudit logis où serions entrés et à l'instant montés en la chambre
où couchoit ordinairement ledit sieur de Chateauneuf, où nous aurions
fait appeler les nommés Mignon et Menessier, l'un ayant charge de ses
affaires, et l'autre son secrétaire, auxquels nous aurions fait commandement
de nous montrer les cabinets et autres lieux où pouvoient être
les papiers appartenant audit sieur de Chateauneuf, ce qu'ils auroient
à l'instant fait; et nous aurions montré la porte d'un cabinet qui
donne dans ladite chambre, duquel nous aurions demandé la clef; et
à faute de la pouvoir trouver nous aurions à l'instant envoyé quérir
un serrurier nommé Duval, par lequel nous aurions fait faire ouverture
de ladite porte et serions entrés dans ledit cabinet, où nous
aurions trouvé des papiers, et iceux mis dans un coffre avec tous les
autres qui étoient sur les tables de ladite chambre et sur les cabinets;
de là nous serions entrés dans une autre chambre qui est à
main gauche, dans laquelle il y a deux cabinets, lesdits Mignon et
Menessier étant toujours avec nous, et nous serions entrés dans celui
dont la porte est à la ruelle du lit, dans lequel il y a des armoires
fermées de fil d'archal qui étoient pleines de papiers, comme aussi
il y en avoit force sur la table, tous lesquels nous aurions fait tirer et
mettre pareillement dans un coffre. Ce fait, nous sommes entrés
dans un autre cabinet dont la porte est dans ladite chambre, duquel
nous en avons aussi tiré tous les papiers et mémoires qui étoient
dans un cabinet d'Allemagne tout ouvert, lesquels nous avons pareillement
fait mettre dans un coffre; de sorte qu'il s'en est trouvé
de quoi en emplir trois, lesquels nous avons à l'instant fait fermer et
d'iceux pris les clefs. De là nous sommes retournés en la première
chambre dans laquelle s'est trouvé un grand cabinet d'ébène noir et
un autre petit desquels nous n'avons pu faire ouverture, attendu que
nous n'en avions pas les clefs ni lesdits Mignon et Menessier, non
plus que de celui qui étoit dans l'autre chambre; tous lesquels trois
coffres pleins de papiers, ensemble lesdits trois cabinets avec deux
grandes écritoires d'ébène, l'une en long et l'autre en espèce de
carré, ont été transportés au logis de M. de Bullion, pour y être lesdits
papiers vus et visités suivant l'exprès commandement du Roy et
en vertu de la commission de Sa Majesté; et ont lesdits Mignon et
Ménessier signé. Ce fait, nous nous sommes retirés.
«Bullion, Bouthillier, Bouthillier.»
«Et le samedi, cinquième jour de mars, audit an, à neuf heures du matin, Nous, commissaires susdits, assistés du sieur chevalier du guet, en vertu de l'exprès commandement du Roy et de la commission de Sa Majesté pour procéder à la visite de tous les papiers par nous saisis et trouvés, comme dit est, en divers lieux de la maison dudit sieur de Chateauneuf, nous sommes transportés au logis de M. de Bullion, où lesdits papiers avoient été portés, où nous avons fait venir le sieur Joly, un des domestiques dudit sieur de Chateauneuf, en la présence duquel nous avons fait faire ouverture des deux cabinets d'Allemagne qui avoient été trouvés dans la chambre dudit sieur de Chateauneuf avec les clefs que ledit Joly auroit mis dans nos mains quelques jours après le transport desdits papiers, nous déclarant qu'elles lui avoient été données par ledit sieur de Chateauneuf, à Saint-Germain-en-Laye, à l'heure qu'il fut arrêté, lequel lui dit qu'il les portât à la dame de Vaucelas, sa sœur, pour en tirer de l'argent et des lettres qui étoient dedans lesdits cabinets, et mesme ledit sieur de Chateauneuf a mandé par un courrier qui lui avoit été dépesché qu'il avoit donné lesdites clefs audit sieur Joly; dans lesquels cabinets ayant été ouverts il fut trouvé grande quantité de lettres et entre autres beaucoup en chiffres, toutes lesquelles ont été tirées et comptées en la présence dudit Joly et mises dans une cassette, laquelle nous avons fait fermer à l'instant et d'icelle pris la clef; et a ledit Joly signé. Ce fait, nous nous sommes retirés et avons remis l'assignation au lendemain neuf heures du matin, au même lieu.»
«Le dimanche, sixième dudit mois, à neuf heures du matin, Nous, commissaires susdits, assistés dudit chevalier du guet, nous sommes transportés audit logis de M. de Bullion pour faire la visite des papiers; où procédant avons commencé par l'ouverture d'un coffre de campagne, façon de bahut avec serrure, plein de papiers entre lesquels il s'est trouvé quantité de lettres, à savoir:
«Quarante-quatre lettres que nous avons mises dans une liasse cottée A; partie desquelles il y a du chiffre et du jargon. (Suit la mention détaillée du nombre de pages et de lignes de chacune de ces quarante-quatre lettres.)
«Et d'autant qu'il étoit tard, nous nous sommes retirés et avons continué l'assignation au lendemain environ les neuf heures du matin au mesme lieu.»
«Le lundi, septième dudit mois, Nous, commissaires susdits, nous sommes transportés à l'heure dite au logis de mondit sieur de Bullion, assistés dudit sieur chevalier du guet; où, en continuant la visite desdits papiers, avons fait l'ouverture d'un autre coffre tout plein de lettres et liasses, et entre autres:
«Trente lettres toutes en chiffres du caractère suivant (divers chiffres et lettres), desquelles nous avons fait pareillement une liasse cottée B. (Suit la mention du nombre des pages et lignes de chacune de ces trente lettres.)
«Item, trente-deux autres lettres signées de Montégu, desquelles nous avons aussi fait une liasse cottée C. (Suit la mention détaillée de chacune de ces trente-deux lettres.)
«La trente-unième est une réponse aux articles projetés entre la France et l'Angleterre, écrite de la main de Montégu, contenant une page et deux tiers.
«Ce fait, nous nous sommes retirés et avons continué l'assignation au lendemain à neuf heures du matin au mesme lieu.»
«Le mardi, huit dudit mois, Nous, commissaires susdits, assistés dudit sieur chevalier du guet, nous sommes transportés à l'heure prise audit logis de monsieur de Bullion, où en continuant la visite desdits papiers, avons procédé à l'ouverture de l'autre troisième coffre tout plein de papiers entre lesquels se sont trouvées trente-quatre lettres signées de la dame de Vantelet, partie avec jargon, desquelles nous avons aussi fait une liasse cottée D. (Suit la mention détaillée.)
«Item, vingt-neuf lettres, dont quelques-unes sont signées le chevalier de la Rochechouart, écrites toutes de mesme main, desquelles nous avons aussi fait une liasse cottée E. (Suit leur mention détaillée.)
«Item, nous avons trouvé dans ledit coffre trente-une lettres de la reine de la Grande-Bretagne, et dans un papier douze vers que l'on croit être de sa main dont nous avons fait pareillement une liasse cottée F.
«Ce fait, nous nous sommes retirés et avons continué l'assignation au lendemain neuf heures du matin au mesme lieu.»
«Le lendemain mercredi, neuvième dudit mois, Nous, commissaires susdits et assistés dudit sieur chevalier du guet, nous sommes transportés en l'heure dite au logis de mondit sieur de Bullion, où étant avons procédé à l'ouverture de la cassette dans laquelle nous avions mis les lettres qui s'étaient trouvées dans les susdits deux cabinets d'ébène, en la présence dudit sieur Joly, entre lesquelles s'en est trouvé cinquante-deux contenant des caractères de chiffre pareils à ceux qui en suivent (diverses figures): desquelles lettres nous avons fait pareillement une liasse cottée G. (Suit la mention de ces cinquante-deux lettres qui sont celles de Mme de Chevreuse.)
«Item, vingt lettres du comte de Holland dont nous avons aussi fait une liasse cottée H. (Suit la description.)
«Une autre lettre signée R. Weston, contenant presque vingt lignes sans jargon.
«Item, cinquante-six autres lettres, sans chiffre ni jargon, que l'on juge être d'amour et écrites par une femme, dont nous avons pareillement fait une liasse cottée L.
«Item, neuf autres lettres dont nous avons fait une autre liasse cottée, à savoir:
«Une lettre du sieur d'Estissac adressante au sieur de la Vacherie.
«Une lettre écrite de la main dudit sieur de Chateauneuf contenant quatre pages.
«Deux lettres signées Duplessis, dont l'une est adressée à Mlle de Minieux à Bruxelles, et l'autre sans superscription.
«Deux autres lettres, l'une du sieur de Puislaurens, et l'autre sans superscription, adressantes toutes deux audit sieur de Chateauneuf.
«Deux autres lettres du sieur comte de Brion, l'une adressante à Mlle d'Arscot, et l'autre à Mme la comtesse de Ganvillers.
«Une lettre du sieur duc de Vendosme, du vingt-huit octobre mil six cent trente, signée César de Vendosme, adressante audit sieur de Chateauneuf.
«Et le mesme jour avons de nouveau fait ouverture du susdit grand cabinet d'Allemagne pour chercher s'il n'y avoit point quelque cachette où il y pût encore avoir quelques papiers, et dans icelui avons trouvé une panetière d'or garnie de pierres façon de turquoises à l'entour, et deux morceaux d'ambre gris, lesquels nous avons fait peser, revenant l'un à quatre onces et l'autre à onze, lesquels nous avons pareillement tirés dudit cabinet.
«Ce fait, nous nous sommes retirés et avons continué l'assignation au lendemain neuf heures du matin au mesme lieu.»
«Le lendemain jeudi, dixième dudit mois de mars, Nous, commissaires susdits, assistés dudit sieur chevalier du guet comme ci-devant, nous sommes transportés à l'heure dite au logis dudit sieur de Bullion, où étant avons procédé à l'ouverture de l'autre cabinet et des deux écritoires d'ébène, lesquels nous avons fait ouvrir par un serrurier nommé Duval pour n'avoir pû trouver les clefs, dans lesquels cabinets et écritoires ne se sont trouvés aucuns papiers; et après avoir vu et visité tous lesdits papiers qui étoient dans les coffres, cabinets et écritoires mentionnés ci-devant, avons iceux remis dans lesdits coffres, à la réserve des liasses de lettres ci-devant spécifiées au nombre de onze inventoriées et cottées ainsi qu'il appert ci-dessus, toutes lesquelles lettres nous avons paraphées, ne varietur, excepté la liasse des trente-une lettres de la reine de la Grande-Bretagne cottées F, que nous n'avons pas voulu parapher pour son respect, et l'autre liasse contenant cinquante-six lettres cottées L; et icelles retenues pour être mises entre les mains du Roy; ensemble la susdite panetière d'or et lesdits deux morceaux d'ambre et lesdits coffres et cabinets sont demeurés encore dans le logis du mondit sieur de Bullion. Ce que nous certifions être vrai.»
«Le mardy vingt-deux du mois de mois audit an, Nous, commissaires
susdits, nous sommes transportés au logis du sieur Testu,
chevalier du guet de la ville de Paris, où est détenu prisonnier le
sieur Joly par commandement de Sa Majesté, auquel, assistés dudit
sieur Testu, avons représenté cinquante-deux lettres toutes en chiffres
inventoriées sous la cotte G, et lesquelles font partie de celles qui
ont été trouvées en sa présence dans le grand cabinet d'ébène marqueté;
et après avoir pris le serment dudit Joly l'avons interpellé
de reconnaître si le caractère desdites lettres n'est pas semblable à
celui que lui montra le nommé Guyon, valet de garde-robe de Mme de
Chevreuse, ainsi qu'il nous a déclaré par son écrit; lequel a dit,
après lui avoir montré toutes lesdites cinquante-deux lettres les unes
après les autres qu'il a toutes bien vues et regardées, qu'il reconnoît
être toutes de semblable caractère que celui que lui montra
ledit Guyon, valet de garde-robe de Mme de Chevreuse, au logis de
lui répondant où il le fut trouver le jour même qu'il assista à l'ouverture
desdits cabinets. Lecture à lui faite de notre présent procès-verbal
et de ses réponses, a dit le tout contenir vérité et a signé
ledit Joly et approuvé les ratures.
«Bullion, Bouthillier, Bouthillier, Testu.»
Nous aurions bien voulu donner intégralement les 52 lettres de Mme de Chevreuse; mais, outre que nous n'avions entre les mains qu'une copie assez peu correcte, elle contenait trop de chiffres dont nous n'avions pas la clef; en sorte que le lecteur n'en eût pas tiré beaucoup d'agrément ni d'instruction. En les étudiant avec soin, nous trouvons, au milieu de la lettre 51, un passage qui nous semble ne pouvoir être de Mme de Chevreuse et où nous croyons reconnaître une ou même plusieurs lettres de Châteauneuf; nous les transcrivons pour donner une idée du style d'amour du galant garde des sceaux:
«Si vous me croyiez autant à vous que j'y suis, vous me commanderiez de vous servir en toutes les occasions où vous désirez être obéie. Il est vrai que c'est assez que je sache que 90 est votre serviteur pour m'obliger à faire ce qu'il désire; toutefois ne dépendant que de votre volonté et n'ayant point d'autre satisfaction au monde que de la suivre, faites-moi la grâce de me le dire souvent.»
«Bon Dieu! que je suis malheureux de me trouver avec si peu de moyens de vous servir, étant en désir de le faire! Mais vous qui ressemblez trop aux divinités pour n'en avoir pas toutes les qualités, vous agréerez comme elles toutes les adorations que l'on vous rend, quoiqu'elles ne puissent rien ajouter à votre gloire, quand elles vous sont rendues par un cœur rempli d'obéissance, de respect et de fidélité. Je proteste que le mien en est si rempli pour vous, qu'il ne veut plus respirer sur la terre que pour y admirer la vertu et la générosité du vôtre. J'attends avec impatience votre commandement. Si c'est de parole que vous me le voulez faire, je suis plus heureux que je ne mérite et que je n'ose espérer.»
«Le Roy sera ici demain, et n'y sera que dix jours. Bon Dieu, faut-il que j'en passe un de ceux de ma vie sans vous servir! Que je me trouve lâche d'employer mes soins à autre chose, et que vous êtes bonne de souffrir que je vous jure une éternelle fidélité et obéissance sans que je vous la puisse témoigner par mes services pour les deux personnes que vous m'avez dit. Il suffit de dire: Je veux, car vous devez commander et moi obéir.»
En terminant cette note, disons que Richelieu confia la garde de Châteauneuf, dans la forteresse d'Angoulême, sous la haute autorité de l'honnête et respectable comte de Brassac, à l'un de ses affidés d'assez bas étage, ce même Lamont, qu'en 1626 à Nantes il avait chargé de surveiller Chalais, et qui sut en effet, par un air d'intérêt et en profitant de l'abandon trop naturel à un prisonnier jeune et inexpérimenté, en tirer plus d'aveux qu'il n'en fallait pour le faire monter sur l'échafaud. Après Chalais, Lamont avait eu aussi à Vincennes la garde des Vendôme; il avait employé auprès d'eux les mêmes manœuvres qui n'avaient pas moins bien réussi. Mais elles échouèrent devant l'innocence ou la prudence de Châteauneuf. Confiné dans une étroite prison, il eut recours sans doute à toutes les soumissions pour obtenir de bien légers adoucissements aux rigueurs exercées contre lui et qui mirent quelque temps sa vie en péril; il reconnut ce qu'on savait et ce qu'attestait la correspondance saisie chez lui, ses condescendances pour Mme de Chevreuse; il s'accusa tant qu'on voulut d'avoir trop aimé les dames, lui ecclésiastique, car il était d'abord l'abbé de Préaux; il s'avoua coupable envers Dieu, mais il refusa constamment d'avouer qu'il fût coupable envers le roi; il traita tout cela de folies de femmes et de badineries, et dit qu'après tout le roi n'étoit pas son confesseur. Et quand on en vint aux intrigues de son ami Jars en Angleterre, avec le comte de Holland, contre le grand-trésorier Weston, auxquelles on l'accusait d'avoir pris part, il rejeta bien loin une pareille accusation; il soutint qu'il n'avait jamais eu avec Holland que des relations de politesse et qu'il ne le connoissait que pour l'homme que Mme de Chevreuse avait le plus aimé et qu'elle aimait encore; il prétendit que toutes les intrigues de Jars étaient de pure galanterie, qu'il le savait amoureux d'une des femmes de la reine d'Angleterre, qu'il lui avait souvent dit qu'il était un fol, et qu'il prît bien garde aux démarches où il se laisserait entraîner. Il repoussa avec force l'idée de s'être mêlé de la fuite du duc d'Orléans. A son tour il accusa le cardinal de La Valette qu'il nomme, et d'autres qu'il ne nomme pas, d'être ses ennemis et de l'avoir desservi auprès du cardinal et du roi. Voilà ce que nous tirons des nombreux rapports adressés par Lamont à Richelieu qui se trouvent aux archives des affaires étrangères, dispersés dans les divers volumes de la collection France. Il est assez curieux de voir dans plusieurs de ces rapports que Richelieu consulte indirectement Châteauneuf sur plus d'une affaire importante. Lamont mettait la conversation sur telle ou telle nouvelle du jour qu'il lui donnait. Le prisonnier prenait feu et se prononçait avec l'énergie et la décision qui le caractérisaient. On lui parle du mariage du duc d'Orléans avec la sœur du duc de Lorraine: il n'hésite pas à déclarer ce mariage nul, puisqu'il est fait sans la permission du roi. Lamont lui annonce que le cardinal, pour faire cesser les discordes de la maison royale, songe à s'accommoder avec la reine mère. Le vieil homme d'État s'emporte, il s'écrie avec véhémence que si le cardinal fait cette faute, il est perdu, que jamais la reine mère ne changera, et qu'elle recommencera tout ce qu'elle a fait. Un des points les plus intéressants des rapports de Lamont est l'admiration sincère et constante qu'ils attribuent à Châteauneuf pour l'Espagne. Il ne lit guère que des livres espagnols. A tout propos il fait l'éloge de l'Espagne; il vante son génie politique et militaire, et sans songer à plaire à celui de qui dépend sa vie il se montre partisan de l'alliance espagnole. Cette opinion était aussi celle de Mme de Chevreuse. Après l'avoir exprimée sous Richelieu, l'un et l'autre la maintinrent sous Mazarin, et ils tâchèrent de la pratiquer pendant la Fronde. En un mot, ces lettres de Lamont sur Châteauneuf, loin de le diminuer, le peignent, à travers bien des misères, tel à peu près que nous le verrons dans le chapitre VII, pendant son rapide passage aux affaires en 1652.
III.—CORRESPONDANCE DE LA REINE ANNE AVEC MME DU FARGIS.
Cette correspondance se trouve dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale, ancien fond françois, no 9241, d'où nous avons tiré les lettres de Craft, page 116-118. Ainsi que nous l'avons dit, note de la page 128, il y a là une trentaine de lettres de Mme du Fargis à la reine, une douzaine de la reine à Mme du Fargis, cinq ou six en espagnol de la reine à M. de Mirabel, autant à son frère le cardinal infant, avec les réponses de ceux-ci. Ces lettres s'étendent de l'année 1634 jusqu'au milieu de 1637. Sans doute la plupart contiennent des compliments assez innocents, mais il s'y mêle des choses fort coupables. Par les nouvelles qu'on donne à la reine, on peut juger de celles qu'elle désire. On l'entretient des espérances et des complots de la reine mère, de Monsieur, du comte de Soissons, des préparatifs de l'ennemi, de ses succès probables. La reine avec Mme de Chevreuse travaille à enlever le duc de Lorraine à la France et à le donner à l'Espagne. Il est à regretter que cette correspondance n'ait pas été publiée. On y verrait à découvert les misères de l'émigration, les illusions, les discordes, les jalousies, les soupçons, les trahisons vraies ou fausses, tout l'intérieur d'un parti vaincu conspirant avec l'étranger et soldé par l'étranger. Mme du Fargis, malgré sa naissance, ses anciennes charges et celles de son mari, est contrainte par la détresse à tendre la main et à demander de tous côtés de quoi vivre; elle frappe à toutes les portes, et elle ne se soutient que par les bienfaits ou plutôt les aumônes intéressées de l'Angleterre et de l'Espagne. Nous devons nous borner à citer quelques passages de ces lettres qui suffisent à montrer leur vrai caractère.
La Fargis a la Reine, 15 Avril 1634: «...L'on croit l'accommodement de Monsieur assuré à d'étranges conditions, celui de la Reyne mère rompu, quoique l'on dise ici qu'elle avoit fait toutes les avances raisonnables pour ne pas être seulement reçue, mais applaudie, recherchée et désirée. Dieu en a ordonné autrement. On lui a même refusé par deux fois le passe-port qu'elle avoit fait demander pour le père Suffren, son confesseur, homme sincère et d'incomparable probité, qui mieux qu'aucun autre pouvoit assurer le Roi des saintes intentions de la Reyne sa mère. La défaite du duc de Weimar par Galas est confirmée. Il est fort blessé, s'il n'est mort. L'échec est rude pour les Suédois. Ratisbonne est assiégée par le duc de Bavière pour l'Empereur, qui promet au duc Charles de l'assister de tout son pouvoir à le rétablir.»
13 Septembre 1636: «...Le frère de la Reyne s'est abouché avec le prince Thomas (de Savoye). La résolution est d'entreprendre bientôt quelque chose d'important. On croit qu'ils ont attendu que Galas entre. Des lettres du 23 août disent qu'il devoit passer entre Langres et Chaumont avec 20 mille hommes d'infanterie et 12 mille chevaux, qu'il vient encore 12 mille Polacres. Le roi de Hongrie est encore à Brissac. Les Hollandois ont fait semblant de bouger, mais on croit que c'est seulement pour changer d'air, la peste étant en leur armée. Aucuns doutent si ceux-ci pourront avancer plus, puisqu'ils manquent d'infanterie. Le bruit est que l'armée de France se grossit; mais aussi elle doit être forte pour résister en cas que Galas entre, lequel y est contraint pour faire vivre tout son monde. Les Bourguignons ont fait chanter le Te Deum, où la princesse de Phalsbourg et toutes les dames étoient. Force feu de joye. On dit que Monsieur n'est pas à Compiègne. On doute fort si on lui donnera de l'emploi.»
27 Septembre: «Le marquis de Velade est arrivé. L'armée est encore à Corbie que l'on fortifie jusques aux dents. On en fait autant à Ancre. Les Espagnols attendent que Galas soit entré en France pour agir. Les Hollandois ne font rien ni n'en ont envie, à ce qu'il semble. Les Espagnols ont envoyé leur flotte pour se battre avec celle de France. On fait courir ici un bruit que M. le Cardinal est mort. On dit que le Roy très chrétien consulte à qui fier le ministère; si cela est, La Fargis prie à mains jointes que la Reyne parle pour le marquis de la Vieuville qui est le plus homme de bien de la terre, fidèle à la France et serviteur de la Reyne et de Monsieur jusques au centre de l'âme, et capable d'un si grand fardeau que le ministère.»
1er Décembre: «...On est fort surpris de la nouvelle que Monsieur et M. le Comte se sont retirés, et croit-on que la comédie ne fait que commencer: il faut voir ce qui en sera. Le frère de la Reine dans trois jours sera ici, où il retourne aussi glorieux que la prudence humaine le pouvoit rendre, puisque le dessein n'étoit pas de prendre des places, mais de faire des diversions pour contribuer au secours de Dôle, et advancer si avant en la Picardie que, quand le Roi de France y viendroit, comme cela étoit certain, les volontaires ne trouvant de quoi faire long séjour, le Roi de France n'eût le pouvoir de venir ici, et ainsi auroit de quoi exercer sa patience comme sur Corbie, jusques à ce que la saison obligeât ici chacun au petit compliment de la retraite.»
20 Décembre: «...La fuite de Monsieur à Blois a bien donné sujet d'espérances, évanouies maintenant que l'on en entend autre suite. Mirabel n'a cru autre chose de cette levée de boucliers. Le comte de Soissons passe ici aussi pour un de ces François qui n'ont pas un marc de plomb en la tête. Dieux! quelle sorte de génération! La Reine mère et Madame sont confuses de cette banqueroute, car les François ici s'étoient imaginé de grandes choses.»
31 Janvier 1637: «L'Infant se porte fort bien. Mirabel a été malade. La Reine mère au désespoir que Monsieur n'est sorti, Fabroni tâche à faire grandes choses avec M. le comte de Soissons.»
6 Mars: «Les actions de Monsieur font bien parler le monde; et certes la Reine avoit raison de dire: con los Franceses basta por una ver; c'est ce que l'on m'a dit. Parlons de l'Infant qui mérite après la Reine autant de mondes qu'il y a d'étoiles au firmament; il a été saigné deux fois, par précaution, non autrement. Le prince Thomas se porte aussi bien; on se prépare à la campagne. Monsigot a été à Sedan; il dit que Soissons attendoit réponse du Roi de France et qu'il se résoudroit selon; on croit qu'il s'accommodera. Monsieur lui avoit envoyé dire qu'il avoit un nouveau mécontentement, mais le diable s'y fie.»
18 Avril 1637: «Madame (Marguerite de Lorraine) tient force correspondance avec Soissons qui a mandé ne vouloir entendre un accommodement. La princesse de Phalsbourg procure assistance pour le duc son frère et pour le prince François douze mille écus par mois. L'Infant part dans trois jours pour se pourmener sept jours à Anvers et en Flandre, voir peintures qui pour mille écus serviront al buen retiro. Le comte Palvasin est envoyé à Sedan pour offrir au Comte tout ce qu'il pourroit désirer d'ici. Les François se divisent et font caballe pour Madame, et à cet effet voudroient avoir pour chef le marquis de la Vieuville qui n'a pas envie, dit-on, d'accepter la condition.»
2 Mai: «...Tout est en nécessité, jusqu'à la Reine mère qui de trois mois n'a pas eu un sol. Certes le Comte-duc fait à sa mode, mais aussi faut-il avouer que la conservation des États du Roi d'Espagne paroît venir de quelque autre pouvoir, et non pas de la dextérité et diligence de ceux qui gouvernent. La Fargis peut assurer la Reine que le prince Thomas n'y fait pas beaucoup, étant chose remarquable que l'indifférence du personnage qui cause désespoir à plusieurs. Du temps que les ennemis sont alertes, il chasse; on se demande s'il veut être un saint Hubert. L'Infant vaut un monde, mais aussi est-ce parce qu'il ressemble à la Reine comme deux gouttes d'eau; il ne se faut pas fâcher contre lui, car il est impossible. La Reine mère est toujours en l'attente pour voir ce que fera le Comte. Palvasin y est encore qui écrit que la Comtesse (douairière) vouloit venir, ce que le Comte n'a pas voulu, craignant que si son accommodement ne se faisoit ce voyage ne lui portât préjudice. Les pères Chanteloub et Champagne sont en exécration. Fabroni consulte les astres si lui ou Deslandes tireront à la courte-paille.»
23 Mai: «On commence à faire les aprests pour la campagne parce que l'on dit que le Roi de France fait marcher son armée. Picolomini n'étant pas encore venu, et y ayant peu d'apparence que ce soit tôt, cela cause des appréhensions à ces peuples, auxquelles le prince Thomas est si peu sensible qu'il semble ne penser qu'à la chasse... Il y a cabale chez la Reine mère contre Fabroni. Le parti est le duc d'Elbœuf, Saint-Germain, Deslandes, princesse de Phalsbourg à qui Madame tend les mains, et le confesseur de ces bonnes âmes. Le prince Thomas a envoyé Pascal au Comte avec promesse.»
30 Mai: «L'Infant se prépare pour la campagne, et n'attend-on que jusques à ce que le Roi de France paroisse avancer son poste. Le comte de Soissons fait croire ici que le Roi de France ne fera rien cet été, et qu'il aura de l'ouvrage chez soi. On a despêché vers Milan pour obliger Leganez de faire diversion.»
27 Juin: «J'ai reçu la lettre de la Reine du 11 du présent. Sitôt que j'aurai le portrait de l'Infant, je l'enverrai. L'incluse est pour Chevreuse, m'étant donnée par l'homme qu'elle a envoyé à Mirabel qui est parti en bonne compagnie. L'Infant, à ce qu'on dit, ne bougera pas d'ici; le prince Thomas y est encor; il est fort haï du peuple et des officiers parce qu'il ne fait que chasser. On fait ici tout ce qu'on peut pour demeurer sur la défensive; le secours de Picolomini est limité, ne pouvant servir contre les Hollandois; Galas l'a négocié ainsi par dépit. Si la Reine mère et le cardinal Infant peuvent trouver argent, le comte de Soissons montera à cheval, Bouillon joindra avec deux mille hommes de pied et cinq cents chevaux; sinon tout ira en fumée. La Reine mère est au désespoir que le président Rose fait difficulté de fournir quatre cens mille livres au comte de Soissons. Saint-Ibar est encor ici sollicitant.»
La Reine a la Fargis, 9 Juillet:—«J'ai reçu deux de vos lettres, et une pour la Chevreuse que je lui ai fait tenir, et aussi celles de l'Infant et Mirabel à qui je fais mes excuses si je ne leur fais point de réponse. Je n'ai pas le loisir pour cette fois, et je ne vous écris que pour vous dire que je suis en une extrême peine de ce que le Roi d'Angleterre a fait avec le Roi de France, parce que j'appréhende fort que cela ne mette le Roi d'Espagne et le Roi d'Angleterre mal ensemble; si cela étoit j'en aurois une très grande peine; et aussi Gerbier seroit obligé de quitter le lieu où il est, par conséquent la Reine seroit privée d'avoir des nouvelles de l'Infant qui ne lui est pas une petite satisfaction. Je vous prie de me mander votre opinion là-dessus et le plutôt que vous pourrez, vous m'obligerez infiniment, et d'être assurée de mon affection.»
La Reine a la Fargis, 23 Juillet:—«Je suis toujours bien en peine des bruits qui courent que le roi d'Angleterre et le roi d'Espagne vont être mal ensemble. Que je sçache de vous ce qui en est; je vous avoue que cela me touche bien sensiblement; je ne vous en dirai pas davantage sur ce discours; les incluses sont pour l'Infant et Mirabel, et je vous prie de lui dire qu'au nom de Dieu il ne parle jamais de moi en façon du monde et pour cause.»
Voici la lettre de la reine dont nous avons parlé, p. 130:
Carta de la Reyna al cardinale Infante para embiar al comte D (uque), 28 May 1637. «Por ser cosa que importa mucho al servicio del Rey el conservar en el al Duque de Lorena, he procurado con mi amiga (Mme de Chevreuse) que hallasse una comodidad segura con que poder escrivir al amigo (le cardinal Infant); ha me dicho que la tiene, que lo es mucho, y as si digo que se de parte muy segura, que de aqui se haze quanto se puede con el para que salga del servicio del Rey y de toda sù casa, haviendo le embiado persona expresa para proponer se lo, y prometer le que le bolueran todo lo que le han quitado y quanto el quisiere, como haga lo que se desea. A lo qual se tambien que ha respondido, como deve, que por quantas cosas hay, no dexarà el servicio del Rey y de sù casa, y que, aunque tuviera mucho mas que perder de lo que ha perdido, lo haria de bonissima gana, pues no podrià reconocer con menos las obligaciones que les tiene. Ha me parecido dezir lo todo esto al amigo para que lo diga al amo nuevo; y tambien, que lo otro lo sepa, para que puedan mostrar que saben reconocer los servicios que les hazen, y que lo muestren as si al Duque de Lorena, pues verdaderamente lo merece muy bien; y save el amigo la parte que a mi me toca en esto, pues save que he hecho lo que he podido para que el Duque de Lorena serviesse al Rey, como lo haze; y me holgarè tambien infinito que continue siempre en serville, y que lo reconoscan como es justo; y como me parece tambien que les importa tener al Duque de sù parte, no dirè mas en esta materia, pues el amigo sabra hazer mejor que yo se lo digo todo lo que le pareciese sobre ello, etc., etc.»
IV.—AFFAIRE DE 1637
Ainsi que nous l'avons dit, la bibliothèque impériale possède aujourd'hui, Supplément françois, no 4068, in-fol., les papiers relatifs à l'affaire du Val-de-Grâce que renfermait la cassette du cardinal de Richelieu et dont le père Griffet a donné des extraits au t. III de son Histoire du règne de Louis XIII. Dispersés à la révolution, recueillis nous ne savons comment par M. le marquis de Bruyère-Chalabre, vendus à sa mort en 1833 (Catalogue des livres imprimés et manuscrits et des autographes composant le cabinet de feu M. de Bruyère-Chalabre, Paris, Merlin, 1833), achetés d'abord par le libraire Fontaine, puis par la société des Bibliophiles, revendus publiquement par cette société en 1847 (Catalogue de documents historiques et de lettres autographes, etc., Techener, 1847), la bibliothèque impériale les a définitivement acquis. Nous donnons ici quelques-uns des plus importants.
«Relation de ce qui s'est passé en l'affaire de la Reyne au mois d'août 1637, sur le sujet de La Porte et de l'abbesse du Val-de-Grâce.»
Cette relation est de la main même de Richelieu, et a servi à ses Mémoires. On voit par là comment cet ouvrage a été composé, et qu'il n'est bien souvent qu'une collection de mémoires particuliers, fondés sur des pièces officielles et liés entre eux par quelques mots de narration.
«Le Roy ayant divers avis qu'un nommé La Porte, porte-manteau de la reyne sa femme, faisoit divers voyages dont on ne savoit pas la cause et estoit en confiance assez estroite pour un valet avec la reyne, se résolut de le faire prendre lorsqu'il pourroit soubçonner apparemment qu'il auroit des lettres de la reyne. Pour cet effect, le 11e aoust (1637), Sa Majesté donna charge que, la reyne estant partie pour aller à Chantilly trouver sa dite Majesté, le dit La Porte fût arrêté par le sr Goulart, enseigne des mousquetaires du Roy. En le prenant on le trouva saisi d'une lettre de la reyne pour Mme de Chevreuse, qui faisoit cognoistre que la dite dame de Chevreuse vouloit venir trouver la reyne déguisée, à quoi Sa Majesté n'inclinoit pas trop. Au mesme temps le Roy commanda à M. le chancelier d'aller avec M. de Paris au Val-de-Grâce, où le procès-verbal qui y fut fait fait foi de ce qui s'y passa.
«D'abord que la Reyne sçut la prise de La Porte, elle envoya le sr Le Gras, son secrétaire, vers le cardinal de Richelieu pour sçavoir ce que c'estoit, et l'assurer cependant qu'elle ne s'estoit servie du dit La Porte que pour écrire à Mme de Chevreuse, protestant n'avoir écrit en aucune façon ni en Flandres ni en Espagne, soit par son moyen ou par quelqu'autre voye que ce pût estre. Le jour de l'Assomption estant arrivé, la reyne ayant communié fit appeler le dit sr Le Gras, et lui jura de nouveau sur le Saint-Sacrement qu'elle avoit reçu qu'elle n'avoit point escrit en pays estranger, et lui commanda d'en assurer de nouveau le dit cardinal sur les serments qu'elle avoit faits. Elle envoya mesme querir le père Caussin pour lui parler de toutes ces affaires-là, et lui fit les mesmes sermens qu'elle avoit faits au sr Le Gras; en sorte que le bon père qui ne sçavoit pas ce que le Roy sçavoit en demeura persuadé par raison.
«Deux jours après, la Reyne estant assurée par le sr Le Gras qu'on sçavoit davantage qu'elle ne disoit, commença à parler au dit sr Le Gras, et lui en avoua une partie, niant toujours le principal, et commanda au dit sr Le Gras de dire au cardinal qu'elle désiroit lui parler et lui dire ce qu'elle sçavoit. Le lendemain le cardinal la fut trouver par l'ordre de Sa Majesté. D'abord après lui avoir rendu plus de témoignages de sa bonne volonté qu'il n'en osoit attendre, elle lui dit qu'il estoit vrai qu'elle avoit écrit en Flandres à M. le cardinal infant, mais que ce n'estoit que de choses indifférentes pour sçavoir de sa santé, et autres choses de pareille nature. Le cardinal lui disant qu'à son avis il y avoit plus, et que si elle se vouloit servir de lui, il l'assuroit que, pourvu qu'elle lui dît tout, le roi oublieroit tout ce qui s'estoit passé, mais qu'il la supplioit de ne l'employer point si elle vouloit user de dissimulation. Estant pressée par sa bonté et par sa conscience, elle dit lors à Mme de Senecé, MM. de Chavigny et de Noyers, qui estoient présens et avoient esté appellés par le cardinal pour estre témoins de l'offre qu'il lui faisoit de la part du Roy d'oublier tout le passé, qu'ils se retirassent, pour lui donner lieu de dire en particulier au cardinal ce qu'elle lui vouloit dire; alors elle confessa au cardinal tout ce qui est dans le papier qu'elle a signé depuis, avec beaucoup de desplaisir et de confusion d'avoir fait les sermens contraires à ce qu'elle confessoit. Pendant qu'elle fit la dite confession au cardinal, sa honte fut telle qu'elle s'escria plusieurs fois: Quelle bonté faut-il que vous ayez, M. le cardinal! Et protestant qu'elle auroit toute sa vie la recognoissance de l'obligation qu'elle pensoit avoir à ceux qui la tiroient de cette affaire, elle fit l'honneur de dire au cardinal: donnez-moi la main, présentant la sienne pour marque de la fidélité avec laquelle elle vouloit garder ce qu'elle promettoit; ce que le cardinal refusa par respect, se retirant par le mesme motif au lieu de s'approcher.
«La reyne ayant dit tout ce qu'elle vouloit dire, le cardinal l'alla dire au Roy qui trouva bon qu'elle l'écrivît et promit de l'oublier entièrement. Ensuite de quoi Sa Majesté monta dans la chambre de la reyne qui lui demanda pardon, ce que le Roy lui accorda volontiers, s'embrassant tous deux à la supplication du cardinal.
«Est à noter que la mère supérieure du Val-de-Grâce d'abord nia tout ce qu'elle sçavoit, ainsi qu'il appert par les procès-verbaux, et depuis supplia M. le chancelier de lui pardonner si elle n'avoit pas recogneu la vérité, ainsi qu'il appert par les actes.
«Est à noter que La Porte nia aussi d'abord la vérité, et ne la voulut recognoistre que par commandement de la Reyne, ainsi qu'il paroist.
«Est à noter que le sieur Patrocle (écuyer de la reine) dit avant la confession de la reyne au père Caussin qu'elle estoit très-innocente, que cette accusation estoit un effet de la mauvaise volonté du cardinal qui lui vouloit mal parce que la reyne n'avoit pas fait arrêter son carrosse devant le sien au cours, et que déjà autrefois on avoit traité la reyne de la sorte, lui supposant des lettres de Mme du Fargis [388] qu'elle avoit esté contrainte d'avouer.
«Est à noter que lorsque la reyne fit sa confession on lui demanda en cette considération s'il estoit vrai que les lettres de Mme du Fargis lui eussent esté supposées. Elle recognut de nouveau qu'elles estoient vraies, ainsi qu'il est clairement vérifié en son procès; et cependant Patrocle ne pouvoit apparemment avoir ouï dire ce qu'il disoit que de la Reyne qui, auparavant cette découverte, prenoit plaisir à faire croire ou laisser croire à diverses personnes dans le monde qu'elle avoit à souffrir du cardinal pour des raisons semblables et pires que celles que disoit Patrocle, toutes fausses comme celles qu'il mettoit en avant, ainsi qu'il a plu à la dite dame reyne le recognoistre par une lettre escrite au cardinal sur la permission qu'il lui fit demander par M. de Chavigny de se pouvoir justifier des calomnies qu'on lui mettoit à sus.»
Déclaration de la reine Anne, du 17 aoust 1637.
«Sur l'assurance que nostre très-cher et très-amé cousin le cardinal duc de Richelieu, qui nous est venu trouver à nostre prière, nous a donnée que le Roy, nostre très-honoré seigneur et espoux, lui avoit commandé de nous dire qu'ainsi qu'il avoit déjà oublié diverses fois quelques-unes de nos actions qui lui auroient été désagréables, et notamment ce qui s'estoit passé sur le sujet de la dame du Fargis en l'année 1631 et 1632, il estoit encore disposé de faire de mesme, pourvu que nous déclarassions franchement les intelligences que nous pouvions avoir eues depuis à l'insçu et contre l'intention de Sa Majesté, tant au dedans qu'au dehors du royaume, les personnes que nous y avons employées, et les choses principales que nous avons sçues ou qui nous ont esté mandées; Nous, Anne, par la grâce de Dieu, royne de France et de Navarre, advouons librement, sans contrainte aucune, avoir escrit plusieurs fois à M. le cardinal infant, nostre frère, au marquis de Mirabel, à Gerbier, résident d'Angleterre en Flandres, et avoir reçu souvent de leurs lettres;
«Que nous avons escrit les susdites lettres dans nostre cabinet, nous confiant seulement à La Porte, nostre porte-manteau ordinaire, à qui nous donnions nos lettres, qui les portoit à Auger, secrétaire de l'ambassade d'Angleterre, qui les faisoit tenir au dit Gerbier;
«Qu'entre autres choses nous avons quelques fois tesmoigné du mécontentement de l'estat auquel nous estions, et avons reçu et escrit des lettres au marquis de Mirabel qui estoient en des termes qui devoient déplaire au Roy;
«Que nous avons donné advis du voyage d'un Minime en Espagne pour que l'on eust l'œil ouvert à prendre garde à quel dessein on l'envoyoit;
«Que nous avons donné advis audit marquis de Mirabel que l'on parloit ici de l'accommodement de M. de Lorraine avec le Roy, et que l'on y prit garde;
«Que nous avons témoigné estre en peine de ce que l'on disoit que les Anglois s'accommodoient avec la France aulieu de demeurer unis avec l'Espagne;
«Et que la lettre dont La Porte a esté trouvé chargé devoit estre portée à Mme de Chevreuse par le sieur de la Thibaudière, et que la dite lettre fait mention d'un voyage que la dite dame de Chevreuse vouloit faire incognue devers nous.
«Advouons ingénuement tout ce que dessus comme choses que nous recognoissons franchement et volontairement estre véritables. Nous promettons de ne retourner jamais à pareilles fautes, et de vivre avec le Roy nostre très-honoré seigneur et espoux comme une personne qui ne veut autres intérests que ceux de sa personne et de son Estat. En tesmoing de quoi nous avons signé la présente de nostre propre main, et icelle faict contresigner par nostre conseiller et secrétaire de nos commandements et finances. Fait à Chantilly, ce dix-septième aoust 1637. Signé: Anne. Et plus bas: Legras.
«Et audessoubs est escrit de la main du Roy:
«Après avoir veu la franche confession que la reyne, nostre très-chère espouse, a faite de ce qui a pu nous desplaire depuis quelque temps en sa conduite, et l'assurance qu'elle nous a donnée de se conduire à l'advenir, selon son devoir, envers nous et nostre Estat, nous lui déclarons que nous oublions entièrement tout ce qui s'est passé, n'en voulons jamais avoir souvenance, ains voulons vivre avec elle comme un bon roy et un bon mary doibt faire avec sa femme. En tesmoing de quoi j'ay signé la présente, et icelle faict contresigner par l'un de nos conseillers et secrétaire d'Estat. Fait à Chantilly, ce dix-septième jour d'aoust, 1637. Signé de la propre main du Roy: Louis. Et plus bas: Bouthillier.»
Nouvelle déclaration de la reine du 22 aoust 1637, de la main de Legras.
«La Reyne m'a commandé de dire à monseigneur l'éminentissime cardinal duc de Richelieu ce qui ensuit:
«Qu'elle avoit baillé un chiffre à La Porte pour escrire au marquis de Mirabel ce que Sa Majesté a dit avoir escrit audit marquis par sa déclaration du 17 de ce mois, et que ledit La Porte lui avoit rendu ledit chiffre il y a quelque temps, lequel elle a bruslé;
«Que Sa Majesté sçait que M. de Lorraine a envoyé un homme à Mme de Chevreuse, ne sçait si c'est pour traiter avec ladite dame de Chevreuse pour affaires générales ou particulières, n'entendant Sa Majesté charger ni décharger ladite dame de Chevreuse de la négociation dudit envoyé par monseigneur de Lorraine, ne voullant que si ladite dame de Chevreuse doist estre chargée ce fust par elle, laissant à La Porte à dire sur ce sujet ce qu'il sçaura;
«Que Mme de Chevreuse est venue trouver deux fois Sa Majesté dans le Val-de-Grace, lorsqu'elle estoit releguée à Dampierre, et qu'elle a reçeu quelques lettres de ladite dame de Chevreuse dans le Val-de-Grace, et que mesme depuis peu un homme lui estoit venu apporter des nouvelles dans le Val-de-Grace;
«Que Sa Majesté a escrit, devant la rupture de la paix, plusieurs fois dans le Val-de-Grace à ladite dame de Chevreuse;
«Que lord Montaigu l'est venu trouver une fois dans le Val-de-Grace, et qu'elle a reçu quelque lettres dudit sieur de Montaigu par la voye d'Auger, tant pour elle que pour Mme de Chevreuse, qui n'estoient que compliments;
«Que lorsque la Reyne escrivoit de Lyon à la supérieure du Val-de-Grace: donnez ces lettres à vostre parente qui est dans la conté de Bourgogne, c'est à dire: donnez-les à Mme de Chevreuse.»
Copie d'un mémoire écrit de la main du roi, le 17 aoust,
et d'un engagement de la reine à se conformer à toutes
les choses qui lui sont prescrites.
«Mémoire des choses que je desire de la royne.»
«Je ne desire plus que la royne escrive à Mme de Chevreuse, principalement pour ce que ce prétexte a esté la couverture de toutes les escritures qu'elle a fait ailleurs.
«Je désire que Mme de Senecey me rende conte de toutes les lettres que la royne escrira et qu'elle soient fermées en sa présence.
«Je veux aussi que Fillandre, première femme de chambre, me rende conte touttes les fois que la royne escrira, estant impossible qu'elle ne le sçache puisqu'elle garde son escritoire.
«Je deffends à la royne l'entrée des couvents des religieuses jusques à ce que je le lui aye permis de nouveau; et lorsque je lui permettrai je désire qu'elle aye toujours sa dame d'honneur et sa dame d'atours dans les chambres où elle entrera.
«Je prie la royne de se bien souvenir quand elle escrit ou fait escrire en pays estrangers, ou y fait sçavoir des nouvelles par quelque voye que ce soit, directe ou indirecte, qu'elle mesme m'a dit qu'elle se tient deschue par son propre consentement de l'oubli que j'ai fait aujourd'hui de sa mauvaise conduite.
«La royne sçaura aussi que je ne desire plus en façon du monde qu'elle voye Craft, et autres entremetteurs de Mme de Chevreuse. Fait à Chantilly, ce 17 aoust 1637.
«Et plus bas est escrit de la propre main de la Reyne ce qui ensuit:
«Je promets au roy d'observer relligieusement le contenu cy dessus. Fait à Chantilly le jour que dessus.
«Cette copie a été escrite par commandement de la Reyne à Chantilly, ce 21 aoust 1637, pour estre mise ès mains de monseigneur l'eminentissime cardinal duc de Richelieu.»
Instructions adressées au chancelier Seguier pour interroger La Porte et l'abbesse du Val-de-Grâce, du 22 août.
Premier mémoire. «La Reyne a avoué que la lettre que La Porte avoit lorsqu'il a esté arresté, estoit pour Thibaudière qui la devoit porter à Mme de Chevreuse. Elle a avoué de plus que La Porte estoit celui qui portoit et recevoit les lettres qu'elle escrivoit en Flandre.
«M. le chancelier doit, s'il lui plaist, envoyer querir La Porte, le soir en un carrosse, bien accompagné de son exempt et de ses fustes et de quelques soldats de la Bastille, et lui demander lui-mesme qui devoit porter la lettre qu'on lui a trouvée à Mme de Chevreuse, lui déclarant en parole de Chancelier que la Reyne a déclaré qui estoit le gentilhomme qui la devoit porter, et que s'il manque à dire la vérité le Roy le fera pendre. Après cela M. le Chancelier lui dira: On sait bien que ce n'est pas vous qui deviez porter la lettre, c'est un gentilhomme; qui est-il?
«Pour l'autre article le Chancelier lui peut dire: Je veux vous aider à vous tirer de peine. La Reyne a dict que c'étoit par le moyen d'un nommer Auger qu'elle escrivoit et recevoit des lettres de Flandre, que c'estoit vous qui estiez porteur; comment y alliez-vous? A quelle heure? Qui vous les bailloit de la part de la Reyne? Les receviez-vous de sa main ou par personnes interposées? Où les escrivoit plus commodément la Reyne pour empescher qu'on ne les descouvrist? Qui vous donnoit celles qu'elle escrivoit au Louvre? et qui celles qu'elle escrivoit au Val-de-Grâce? Les donniez-vous vous-mesme au sieur Auger, ou si elles passoient encore par quelque main?
«Enfin il le faut exhorter à dire la vérité par toutes sortes de menaces, et d'autre part l'assurer qu'il n'aura point de mal, s'il la dit, sur l'assurance qu'on lui donnera que la Reyne a déjà dit ce qu'on lui demande, qui lui est seulement redemandé pour voir son ingénuité ou sa malice.»
Second mémoire. «La Reyne a avoué que, lorsqu'il est dit dans ses lettres que la dépositaire du Val-de-Grace apporta à M. le Chancelier, donnez cette lettre à vostre parente, c'est à dire Mme de Chevreuse, et qu'elle n'avoit jamais cognu mesme par imagination aucune parente de la supérieure du Val-de-Grace. Elle a recognu avoir escrit quelquefois dans le Val-de-Grace en Espagne lorsque la marquise de Mirabel estoit ici. Elle dit encore avoir donné en garde à la supérieure du Val-de-Grace deux reliquaires avec des pierreries.
«De ces trois confessions qui ne disent pas tout, il en faut tirer les faits qui s'ensuivent pour interroger dessus la supérieure, qui est à la Bussière, sans lui dire d'abord que la Reyne ait rien avoué.
«Il lui faut demander, savoir: si elle persiste à dire que la Reyne n'ait jamais escrit dans son couvent; si elle dit encore qu'elle n'y a point escrit, on lui demandera en particulier si du temps que la marquise de Mirabel estoit ici, la Reyne n'a point escrit en Espagne, en Flandre ou autre lieu, dans ledit couvent.
«Si elle dit que non, on passera à un autre article, la sommant de dire si elle a dit vérité lorsqu'elle a soutenu que ces mots qui se trouvent dans les lettres que la Reyne lui a escrites: donnez cette lettre à vostre parente, signifient une des parentes de ladite abbesse ou quelque autre.
«Si elle persiste à dire qu'ils signifient une de ses propres parentes comme elle l'a soutenu en son premier interrogatoire, on lui fera prêter nouveau serment si cela est vrai, l'exhortant premièrement à ne jurer pas faux.
«Après, si elle prête nouveau serment, là-dessus on lui représentera la misère à laquelle elle est tombée de jurer des choses si notamment fausses, que la Reyne a avoué tout le contraire au Roy de ce qu'elle dit, confessant avoir escrit, dès le temps que la marquise de Mirabel estoit ici, des lettres en Espagne et en Flandre, dans le Val-de-Grace, et recognoissant que ces mots: donnez cette lettre à vostre parente, signifient à Mme de Chevreuse.
«Ensuite on verra ce qu'elle dira, désavouant la Reyne ou confessant ce que la Reyne a recognu. Si elle recognoist la vérité, il faudra la convier de continuer à la dire, lui demandant si, depuis le partement de la marquise de Mirabel, la Reyne n'a pas continué à escrire dans le Val-de-Grace selon que les occasions s'en sont présentées. Si elle dict que non, on lui fera faire nouveau serment, l'exhortant à ne jurer pas faux.
«Après cela on lui demandera si la Reyne ne lui a déposé aucuns papiers, chiffres ou autre chose en garde. Si elle dit que oui, on lui demandera quoi. Si elle dit que non, on lui demandera si elle le veut jurer, l'exhortant à ne jurer pas faux. Après cela on lui dira que la Reyne a déclaré lui avoir mis ès mains un grand et petit reliquaire de pierreries.»
Note du chancelier Seguier au cardinal.
«De Paris, ce 24 aoust mil six cents sept. Les religieuses ont tesmoigné estre fort surprises de l'ordre qu'elles ont reçu. La mère supérieure a paru fort estonnée. L'on juge néanmoins qu'il y avoit eu quelques avis donnés, non pas de la venue de Monseigneur l'Archevesque, d'autant qu'il ne le sçavoit pas lui-mesme, mais peut-estre la Reyne se doubtant de quelque chose peut en avoir adverti la mère qui aura donné ordre que l'on n'ait trouvé aucuns papiers.
«Les lettres sont toutes escriptes en mil six cent trente. Il n'y a pas d'apparence que la Reyne n'ait escript depuis sept ans. Y ayant eu plusieurs voyages, si les porteurs ont esté destournés, il faut que ce soit avant que l'on soit entré dans le couvent, le chancelier ayant donné ordre de veiller que personne n'entrast dans la chambre de la Reyne pendant qu'il estoit en la cellule de la mère où l'on a fait une recherche exacte.
«Ce qui est encore à remarquer est que la mère vouloit paroistre plus malade qu'elle ne l'estoit en effet. Elle avoit dit qu'elle avoit la fiebvre, et néantmoins le médecin a dit le contraire et a dit qu'elle n'avoit aucune esmotion, bien que ce qui se passoit lui en put donner.
«Après les serments qu'elle a faits, il faut qu'elle ait de grandes subtilités et équivoques, si elle n'a dit la vérité. L'on lui a prononcé l'excommunication, et qu'elle ne pourroit en estre relevée si elle ne respondoit avecq vérité, et ensuite elle a juré sur la damnation de son âme et sur la vérité de la sainte Eucharistie; c'est tout ce qu'il y a de plus relligieux et de plus fort pour presser une conscience.
«Elle tesmoigne grande passion pour la Reyne. Elle a dit que l'on l'avoit accusée de plusieurs choses qui estoient fausses, que c'estoit une princesse grandement vertueuse. En partant, elle a dit que l'on leur faisoit injustice et que Dieu les en vengeroit, et que cella ne dureroit pas long temps.
«L'on dict que cette supérieure [389] est fort advisée; elle est Comtoise et a ses parents en la Franche-Comté.
«La communauté a eu grand peine à la laisser partir. Il y a eu beaucoup de larmes, mais point de résistance, et une obéissance tout entière, et telle qu'en vérité on auroit peine d'en trouver une pareille dans les autres monastères. Elles s'offrirent toutes pour l'accompagner.»
Le dernier interrogatoire et les aveux définitifs de la mère de sainte Estienne sont dans le manuscrit précité de la Bibliothèque impériale, et nous avons transporté dans Mme de Hautefort les nombreux interrogatoires de La Porte et tout ce qui regarde la conduite de ce fidèle et courageux serviteur.
V.—FUITE DE MME DE CHEVREUSE EN ESPAGNE.
Nous avons dit, pages 136 et 137, que Richelieu envoya à Mme de Chevreuse des commissaires pour lui poser diverses questions, auxquelles elle répondit avec son aplomb ordinaire. Nous avons retrouvé l'original même de sa réponse aux archives des affaires étrangères, France, t. LXXXV, fol. 350.
«RÉPONSE AUX FAITS QUI M'ONT ÉTÉ APPORTÉS PAR MM. LES ABBÉS DE CINQ-MARS ET DU DORAT.»
«Sur ce qui m'a été demandé par MM. les abbés du Dorat et de Cinq-Mars de la part de M. le cardinal, si je n'avois pas eu dessein de voir la Reine en cachette, j'ai dit qu'il étoit vrai que j'avois eu cette volonté depuis douze ou quinze mois, laquelle j'avois écrite à Sa Majesté par une lettre que je donnai à M. de la Tibaudière, passant par Tours, afin de savoir si elle l'agréoit et si elle croyoit pouvoir trouver un temps à propos pour l'exécuter. Sur quoi Sa Majesté m'ayant fait réponse, par une autre lettre que m'apporta M. de la Tibaudière, passant par Tours avec MM. le comte d'Arcourt et l'archevêque de Bordeaux pour aller à l'armée navale, qu'elle ne voyoit aucun moyen de le pouvoir faire en ce temps-là; je n'y pensai plus pour lors; et pourtant continuant dans le même désir en une saison plus propice, j'écrivis à la Reine quelques mois après pour savoir si le temps ne seroit point commode pour cela; ce qui ne se trouvant point, je n'en parlai plus jusques à depuis trois ou quatre mois que M. de la Tibaudière s'en allant à la cour me vit ici. J'écrivis encore par lui à la Reine la suppliant de trouver une commodité pour cela s'il se pouvoit; de quoi je n'ai point eu de réponse, et ne pouvant savoir son sentiment là-dessus, et les moyens que je devois tenir pour cela, je n'avois encore rien résolu tout à fait, attendant de savoir la résolution de la Reine avant de former la mienne. Bien avois-je déjà pensé d'aller à Saint-Amand, qui est une petite maison que j'ai proche de Tours, disant que je voulois aller chasser là six ou sept jours, et laisser tout mon train à Tours, n'ayant point intention de me servir d'aucuns de mes gens pour aller avec moi, mais plutôt de mener un gentilhomme d'auprès d'icy nommé Martigni, à qui je ne l'eusse dit que deux jours devant; mais l'affaire n'ayant pas été trouvée à propos à entreprendre, je ne lui en ai pas parlé. La raison pourquoi j'eus cette envie d'aller voir la Reine était premièrement l'extrême affection que j'ai pour Sa Majesté que j'eusse fort contentée en la voyant; de plus que connoissant le mauvais estat de mes affaires je songeois à demander la séparation de biens d'avec M. mon mari que j'ai obtenue par arrêt de la cour du parlement; et craignant de rencontrer bien des obstacles dans ce dessein, je crus n'en pouvoir mieux venir à bout que par l'entremise de la Reine pour m'obtenir en cette occasion la protection de M. le cardinal, et parler à M. de Chevreuse selon ce qu'il seroit à propos pour le faire résoudre. Et ce qui m'a fait écrire depuis peu à la Reine avec le plus de presse pour cela a été deux ou trois lettres de M. du Dorat, par lesquelles il me mandoit que M. le cardinal étoit fort mal satisfait d'elle, et que Sa Majesté ne vivoit pas comme elle devoit à son endroit. Je lui écrivis sur cela mon sentiment, et m'ayant fait réponse qu'elle n'ignoroit pas les obligations qu'elle avoit à M. le cardinal et le soin qu'il prenoit de ses intérêts, elle ne croyoit pas avoir manqué à lui en témoigner ses ressentiments, et qu'elle étoit fort trompée s'il n'étoit satisfait d'elle. Et M. du Dorat m'écrivant toujours le contraire, cela me faisoit doublement désirer de lui parler pour avoir un éclaircissement d'où venoit cet embarras, et la porter en tout ce que je pourrois, s'il en étoit de besoin, à donner sujet à M. le cardinal d'être satisfait de sa reconnoissance pour son particulier et le mien, et aussi à résoudre avec elle du biais que l'on pourroit prendre pour retirer les pierreries qui sont entre les mains de M. de Chevreuse ou en celles où il les a mises, et pour conclusion avoir l'honneur et le contentement de voir et entretenir Sa Majesté.
«Pour ce qu'on m'a demandé quelles nouvelles j'avois eues de M. de Lorraine depuis que je suis hors de la cour, soit par lettres ou par personnes confidentes, j'ai répondu n'en avoir pas eu depuis que M. de Ville vint à Paris trouver le Roi de la part de mondit sieur de Lorraine, qui fut trois ou quatre jours à peu près devant que je m'en allasse à Bourbon-les-Bains, auquel temps il y avoit déjà plus de sept ou huit mois que je n'avois point eu de ses lettres; et me faisoit de fort simples compliments par ceux qu'il envoyoit à la cour. Et je croyois qu'il étoit mal satisfait de moi parce que je l'avois prié de ne me plus écrire après que M. le cardinal m'eut témoigné que ce commerce de lettres pouvoit donner soupçon au Roi. Toutefois je connus le contraire par le discours que me fit M. de Ville de sa part qui fut qu'il étoit fort fâché de la brouillerie qui m'étoit arrivée, et d'autant plus qu'en cette occasion il ne me pouvoit servir, et qu'il me prioit de croire qu'il avoit autant de volonté de le faire en toutes les choses où je le jugerois propre, qu'il m'en avoit témoigné en ma première disgrâce, et qu'il n'y avoit rien qu'il ne fist pour me le témoigner si je l'employois pour mes intérêts. De quoi le remerciant par le dit M. de Ville, je le priai de l'assurer du ressentiment éternel que j'ai de ses bontés pour moi, et de me conserver sa bonne volonté et continuer à ne me point écrire puisque cela n'étoit pas nécessaire pour m'assurer de son affection et me pourroit beaucoup préjudicier. Voilà toutes les nouvelles que j'ai eues de M. de Lorraine depuis la brouillerie qui m'est arrivée jusques à cette heure. Et par ce que j'ai dit à M. du Dorat que je n'étois pas si malheureuse que je n'espérasse encore un jour servir M. le cardinal, ç'a toujours été généralement parlant, et de même à M. de La Meilleraye, ainsi que j'ai déjà répondu sur ce sujet lorsqu'on m'en a écrit. Touchant la dépêche surprise en Bourgogne, je ne sais ce que c'est; mais si on m'en veut donner plus d'éclaircissement, je répondrai comme je dois pour ma justification, et bien loin d'avoir voulu porter M. de Lorraine à ne point s'accommoder avec la France, je souhaiterois de tout mon cœur qu'il y fust bien, et si j'y pouvois contribuer je croirois avoir rendu le plus grand service que je pourrois faire; et si parce que j'ai dit ici qu'il m'a témoigné de l'estime, M. le cardinal croit que j'y puisse contribuer, ce me sera un extrême contentement que Sa Majesté approuve que j'essaie de lui rendre ce bon office, selon les ordres qu'elle me prescrira, que je suivrai toujours en toutes choses de point en point.
«J'ai aussi dit à MM. les abbés du Dorat et Cinq-Mars avoir eu quelques
lettres de M. de Montégu depuis qu'il est en Angleterre, où il
m'écrivoit en une qu'il croyoit que le traité avec la France seroit signé
avant que je reçusse une autre lettre de lui; et depuis six jours il
m'en a écrit une autre où il me mande que Mousigot est là de la part
de la Reine-mère et qu'il devoit partir à deux jours de là et revenir
avec des propositions d'accommodement, sans spécifier rien d'avantage.
Ayant toujours reconnu M. de Montégu affectionné à la France
et fort particulièrement serviteur de M. le cardinal, j'ai cru ne point
faillir de recevoir de ses lettres et de lui écrire; mais en ce sujet comme
en tous les autres, mon intention est de me gouverner comme Sa Majesté
m'ordonnera et M. le cardinal me conseillera.
Marie de Rohan.—Fait à Tours, ce 24 août 1637.»
Il faut avouer que l'envoi d'une commission rogatoire n'était pas fait pour rassurer Mme de Chevreuse, quoi que l'abbé du Dorat eût pu lui dire des bonnes intentions du cardinal. Après l'événement, du Dorat a bien prétendu que, soit à Tours dans la conférence qu'il eut avec elle, soit dans les lettres qu'il lui écrivit de Paris après avoir rendu compte de sa mission au cardinal, il lui répéta sans cesse qu'elle n'avait rien à craindre (France, t. LXXXVI, fol. 65, lettre du 21 septembre); mais il devait lui adresser de Paris ou plutôt lui apporter la pièce officielle qui seule pouvait ôter toute appréhension à Mme de Chevreuse, ce qu'on appelait alors une lettre d'abolition. Or, le 28 août, l'abbé du Dorat était encore à Paris, annonçant qu'il va partir pour Tours; mais il n'était pas parti (ibid., t. LXXXV, fol. 358, lettre du 28 août 1637); une indisposition le retint; ce retard inattendu effraya Mme de Chevreuse. Elle fit part de ses craintes à son mari qui les transmit au cardinal, s'affligeant de la maladie de l'abbé, et suppliant qu'on envoyât à sa place, à Tours, Boispille ou Boispillé, l'intendant de leur maison, afin de lui ramener l'esprit (t. LXXXVI, lettre du duc de Chevreuse à Richelieu). On différa. Pendant ce temps, Craft, au refus de La Rochefoucauld, vint dire à Mme de Chevreuse ce qui se passait, et Montalais lui annonça les Heures de Mme de Hautefort rouges ou vertes, selon les circonstances; elle se trompa de couleur, reçut des Heures qui lui parurent l'ordre de pourvoir à sa sûreté. De là la résolution prise subitement le 5 septembre, à Tours, par Mme de Chevreuse. Elle ne pouvait plus songer à se retirer en Angleterre, comme elle l'eût bien désiré; elle n'avait d'autre asile que l'Espagne, et elle s'y précipita à travers les aventures que nous avons racontées. On n'apprit à Paris la fuite de la duchesse que le 11 septembre; on perdit assez de temps en délibérations, et on finit par envoyer après la fugitive, comme on aurait dû le faire quinze jours auparavant, Boispille, avec une abolition pleine et entière du passé, et même la promesse de la laisser revenir bientôt à Dampierre. Mais Boispille n'arriva à Tours que neuf jours après que Mme de Chevreuse en était sortie, et sur les indications qu'il reçut de l'archevêque, il s'engagea dans mille courses qui durèrent plus d'un mois. Il ne revint à Paris qu'au milieu d'octobre, et là rédigea pour M. de Chevreuse et le cardinal la Relation qui se trouve aux archives des affaires étrangères, France, t. LXXXVI, folio 9.
Mais bien avant de recevoir cette relation, le cardinal avait su que Mme de Chevreuse était passée près de Verteuil, et que La Rochefoucauld, alors prince de Marcillac, du vivant du duc son père, lui avait envoyé un carrosse et des chevaux. Celui-ci s'était bien douté que sa mère, sachant ce qui était arrivé, ne manquerait pas de le mander à son mari qui était alors à Paris. Il avait donc jugé à propos de prendre les devants, et il avait écrit à son secrétaire Serisay, celui qui fut plus tard de l'Académie française, la lettre suivante, du 13 septembre, qui donna le premier éveil à M. de Chevreuse et à Richelieu. Ibid., t. LXXXVI, fol. 51.
«Je me donnerois l'honneur d'escrire à Monsieur (son père le duc de La Rochefoucauld) sy je ne savois que Madame (de La Rochefoucauld) lui mande toutes les nouvelles qu'elle sçait, et les particularités d'une affaire qui nous met en peine. Vous saurez donc que Mme de Chevreuse m'a fait l'honneur de m'escrire une lettre dont je vous envoie une copie [390], à laquelle j'ai obéi en lui envoyant un carosse et des chevaux pour aller à Xaintes; mais nous avons appris par leur retour qu'elle a pris un autre chemin, comme vers Bordeaux, de sorte que ne sachant si cette affaire là n'est point de conséquence, nous avons creu qu'il en falloit donner avis à Monsieur. Si ce n'est rien je serai bien aise qu'on n'en fasse point de bruit. J'ai reçeu aujourd'hui de vos lettres, mais je n'en suis pas plus informé de nouvelles que j'estois auparavant. Je vous prie de faire retirer soigneusement une quaisse qui est portée par la charette de Poitiers qui partira jeudi; voillà toutes mes commissions pour ceste heure. J'espère que vous aurez plus de curiosité d'apprendre des nouvelles affin de pouvoir m'en instruire mieux que vous n'avez fait jusques à présent. Je vous donne le bonsoir; adieu, mandez-moi toujours l'estat de votre santé, etc.—A Vertœil, ce 13 septembre [391].»
La Rochefoucauld avait bien deviné ce que ferait sa mère, car nous trouvons, à côté de sa lettre, la suivante de Mme de La Rochefoucauld, vraisemblablement écrite à son mari. Ibid., t. LXXXVI, f. 49.
«J'avois été jusqu'à aujourd'hui dans la croyance d'une visite de haut appareil. Mme de Chevreuse avoit écrit à mon fils en passant par Rufec qu'elle alloit à Xaintes pour une affaire d'importance et en diligence, et qu'elle le prioit de lui envoyer un carrosse, et qu'au retour elle me verroit. Mon carrosse est revenu aujourd'hui, et j'ai su qu'elle a pris un chemin tout contraire à celui qu'elle avoit mandé. Ainsi j'ai soupçonné qu'elle eût quelqu'autre pensée et qu'il étoit à propos de vous en donner avis, ce que je fais par ce porteur que j'envoie exprès de peur que mon paquet se perdît à la poste et que vous vous fachassiez si je manquois à vous avertir de cela. Vous jugerez mieux que moi si la chose peut être de conséquence. Qu'elle en soit ou n'en soit pas, je voudrois bien qu'elle se fut avisée d'aller par un autre pays que celui-ci, ou que Rufec n'eut été dans le voisinage de Verteuil, car une plus fine que moi y eut été de même trompée. Encore que je n'ai su qu'après que le carrosse a été parti qu'elle l'avoit demandé, et quand elle me l'eut demandé je lui eusse de même envoyé, croyant, aussi bien que mon fils l'a cru, que c'étoit une civilité qui ne se pouvoit pas refuser et qui n'importoit à personne, sachant assez qu'elle a des affaires avec M. son mari qui ne regardent que leurs seuls intérêts, et peut-être n'est-ce que cela. Je m'en remets au jugement de ceux qui ont meilleure vue.—De Verteuil, ce 19 septembre.»
Le duc de La Rochefoucauld s'était empressé de communiquer au cardinal la lettre de sa femme et celle de son fils, et Richelieu avait fait écrire bien vite à Boispille d'informer sur cet incident. En conséquence, Boispille avait fait l'enquête consignée dans la Relation que nous avons citée plus haut, et où il représentait la conduite de Marcillac sous des couleurs assez peu favorables, et appuyait la déposition d'un domestique déclarant que le prince avait conduit Mme de Chevreuse à une de ses maisons et lui avait donné collation. La relation de Boispille, assez confuse, ne satisfit point le cardinal, qui voulait pénétrer dans tous les replis d'une affaire et n'y laisser aucune obscurité. On ne savait pas même où était Mme de Chevreuse. Il résolut donc de recommencer l'enquête, et il la confia cette fois à un de ses agents les plus sûrs, le président Vignier, du parlement de Metz. Le président s'acquitta de sa commission avec le zèle d'un serviteur dévoué et les lumières d'un magistrat. Il interrogea successivement le vieil archevêque de Tours, le lieutenant général de Tours, Georges Catinat, qui était aussi un ami de Mme de Chevreuse, La Rochefoucauld et ses domestiques, particulièrement Thuillin et Malbasti. Toutes les recherches et procès-verbaux de Vignier sont aux Affaires étrangères, France, t. LXXXVI, pages 16, 22, 77, 190, 194 et 211. Nous donnons ici seulement ce qui concerne La Rochefoucauld.
«Aujourd'hui huitième jour du mois de novembre mil six cent
trente-sept, en continuant notre information et procès-verbal, sommes
arrivés au bourg le Verteuil, à l'hôtellerie où pend pour enseigne le
Dauphin; d'où nous nous serions transporté au chasteau du dit lieu
où nous aurions dit à M. le duc de La Rochefoucauld, pair de France,
et à M. le prince de Marcillac son fils, que nous avons reçu ordre de
nous transporter en ce lieu pour leur donner communication de la
commission de laquelle il a plu à Sa Majesté nous honorer, donnée
à Saint-Germain-en-Laye, le vingt-sixième octobre de la présente
année, laquelle nous leur aurions fait lire afin qu'ils eussent à nous
répondre sur le contenu en icelle. Puis, ayant fait savoir au dit sieur
duc les choses que Sa Majesté nous auroit ordonné de lui dire de vive
voix, il nous auroit fait réponse qu'il rédigeroit par écrit celles qui
étoient venues en sa connoissance du contenu en notre dite commission
et les remettroit entre nos mains pour être envoyées à Sa Majesté [392].
Et pour le regard de M. le prince de Marcillac son fils, il se
seroit offert de répondre et nous dire ingénument tout ce qu'il sauroit
en cette affaire. Sur quoi serions venus ensemble en notre dit
logis, et après avoir d'icelui pris le serment en tel cas requis et accoutumé,
nous a dit que la veille de la fête de Notre-Dame de septembre
dernier le nommé Hilaire, valet de chambre de Mme la duchesse
de Chevreuse, lui auroit apporté une lettre de ladite dame,
laquelle il nous a représentée et mise entre les mains par laquelle,
entre autres choses, elle le prioit de lui envoyer secrètement un carrosse
et promptement pour la mener à Xaintes pour des affaires
d'importance lesquelles elle lui communiqueroit à son retour qu'elle
viendroit voir Mme de La Rochefoucauld; ensuite de quoi il lui
envoya un carrosse tiré par quatre chevaux, conduit par un cocher
nommé Pierre et suivi d'un postillon nommé Villefagnan. Et outre
cela le dit Hilaire lui demanda quatre chevaux de selle, lesquels il lui
fit donner et fit conduire par un sien valet de chambre nommé
Thuillin, et le dit Hilaire, lequel lui laissa la haquenée de la dite
dame, le priant de la garder jusques à son retour, depuis lequel temps
et départ de la dite dame il n'avoit ouï parler d'elle que par le retour
du dit Thuillin, qui fut sept ou huit jours après, lequel lui ramena
deux de ses chevaux et lequel arriva un jour devant le dit carrosse,
ayant laissé la dite dame à Douzain, à une lieue de Castillonnet, et
le dit carrosse à demie lieue au deçà de Mussidan. Et trois semaines
après arriva le nommé Malbasty, lequel dit avoir laissé la dite dame
à Bannières, laquelle lui avoit commandé de revenir apporter une
lettre à M. l'archevêque de Tours, et des compliments et assurances
de sa santé à lui déposant; laquelle lettre il auroit envoyé au dit sieur
archevêque par un laquais du sieur d'Estissac. Et pour justifier de
tout ce que dessus offre le dit sieur de nous représenter les susdits
Thuillin et Malbasty pour être par nous ouïs, et nous conduire par
les lieux où a passé la dite dame. Et ce qui a empêché lui déposant
de dire les choses ci-dessus au nommé La Grange, qui lui apporta un
mémoire et une lettre de la part du sieur de Boispillé, lesquels il
nous a mis entre les mains, et même au dit Boispillé, c'est qu'il le
trouva si extravagant qu'il ne vit pas que les choses qu'il pourroit lui
confier pussent produire aucun bon effet, outre qu'il avoit déjà donné
avis à M. le duc son père qui étoit à la cour de tout ce qu'il a ci-dessus
dit, pour en informer le Roi et son Eminence, auxquels seuls
il croyoit avoir à rendre compte de ses actions. Et sur ce que nous
l'avons enquis s'il n'avoit pas vu la dite dame duchesse sur le chemin
de Ruffec à La Tesne, et envoyé un des siens pour faire sortir
tous ceux qui étoient dans la dite maison de La Tesne, et s'il n'y
avoit pas mené la dite dame, donné la collation, et séjourné avec elle
deux heures, nous auroit denié tous les dits faits et soutenu calomnieusement
avoir été inventés par le dit Boispillé en haine du peu de
cas qu'il auroit fait de lui, ce qui est tellement vrai qu'il le justifiera
par le témoignage de tous les domestiques de sa maison et par quantité
d'habitants du dit Verteuil, gens de bien et sans reproche, que
non-seulement il ne sortit point de la maison et bourg du dit Verteuil
les jours qu'il envoya son carrosse à la dite dame, mais même
de plus de huit en suivant; déclarant qu'il consent être déclaré convaincu
en toutes les choses ci-dessus esnommées s'il est trouvé un
seul homme de bien qui die l'avoir vu, pendant les jours que passa la
dite dame et les huit suivants, hors le susdit lieu de Verteuil. Sur ce
que nous l'aurions enquis, s'il n'auroit point donné quelqu'une de ses
maisons pour retraite à la dite dame ou de celles de M. son père et entre
autres villes Cuzac, nous a répondu que non, et que tant s'en faut
qu'il l'eût pu au dit Cuzac que les gens de M. le duc de La Vallette y
étoient et sont encore logés dans le château; qu'il y est bien vrai que
le dit Thuillin lui a dit qu'elle avoit passé dans le bourg, mais que ce
fut sans s'y arrêter et qu'elle alla coucher à Douzain, d'où elle renvoya
le dit Thuillin et y prit en sa place Malbasty qui fait sa récidence
ordinaire. Et sur ce que nous l'aurions enquis si à son retour
de la cour, il n'auroit point vu ou fait voir la dite dame par quelqu'un
des siens et lui auroit donné de ses nouvelles par quelque
autre voie: nous a dit que non, et qu'étant à Clerq (?) il reçut de
M. de Liancourt une lettre à lui écrite de la part du Roi par laquelle
il lui mandoit qu'il eût à dire au sieur de Thibaudière de ne voir
point la dite dame, ce qui le confirma dans la résolution qu'il avoit
déjà prise de ne la voir point et de ne lui faire aucuns compliments.
Et l'ayant aussi enquis si ce n'avoit pas été lui qui auroit commandé
au nommé Pauthet, concierge de La Tesne, d'aller guider la dite
dame passant par le dit lieu, auroit dit que non, et que cette dame
auroit reconnu le dit Pauthet pour l'avoir vu autrefois chez feu M. le
connétable son premier mari, et l'avoit prié d'aller avec elle, ce qu'il
lui auroit accordé, et d'autant plus aisément qu'il la vit accompagnée
du dit Thuillin, et dedans le carrosse du dit sieur prince de
Marcillac, lequel dit avoir ouï dire du depuis que la dite dame ne
l'avoit emmené qu'à cause qu'il savoit parler le langage basque; qui
est tout ce qu'il nous a dit savoir, et assuré ce qu'il a ci-dessus dit
contenir vérité, et a signé, après lecture faite, F. de La Rochefoucauld.»—«Sur
quoi, et pour exécuter le contenu de notre dite
commission, lui aurions fait commandement de la part du Roi qu'il
eût à se rendre près de Sa Majesté incessament pour lui rendre raison
de ses actions, à quoi il a dit être pressé d'obéir et de fidèlement
exécuter toutes les choses qui lui seront prescrites de la part de Sa
Majesté. Signé:
F. de La Rochefoucauld.» [393]
C'est sur ces documents authentiques et sur d'autres encore que le savant collectionneur Pierre Du Puy a fait l'extrait suivant, conservé dans ses papiers, Bibliothèque impériale, collection Du Puy, nos 499, 500, 501, réunis en un seul volume. Dernière pièce du volume écrite de la main de Pierre Du Puy, qui, comme il le dit, a fait cet extrait de mémoire, après avoir lu les pièces originales.
«Extrait de l'information faite par le président Vignier de la sortie de Mme de chevreuse hors de france.»
«Le président Vignier commença à Tours ses informations, exposa à l'Archevesque dudit lieu sa commission, puis l'interrogea s'il n'avoit vu passer Mme de Chevreuse. L'Archevesque dit que oui, qu'elle estoit venue chez lui disant qu'elle avoit eu advis, par deux différentes personnes venues exprès la trouver, qu'on vouloit attenter à sa liberté, et qu'une compagnie de cavaliers avoit ordre de la prendre pour la mener à la Bastille; que sans cela elle n'eût pas sorti de France, et qu'elle estoit fort pressée de se sauver et qu'il falloit qu'elle s'en allât tout à l'heure, et pour cela qu'elle se retiroit en Espagne. L'Archevesque lui offrit cinq cents piastres. Elle n'en voulut point, disant que son Eminence lui avoit depuis peu fait toucher dix mille livres. Pour son carrosse, elle s'en servit deux journées pour aller jusques auprès d'une maison du prince de Marcillac. Dit aussi ledit Archevesque qu'au sortir de Tours son cocher lui a rapporté qu'elle fut dîner en une maison appartenant à M. de Montbazon.
«Le prince de Marcillac, interrogé s'il a vu ladite dame, dit que non, mais qu'il a reçu une lettre d'elle sous un nom incognu, et la donna. La teneur est à peu près telle: «Monsieur, je suis un gentilhomme françois qui demande un service pour ma liberté, et peut-être pour ma vie. Je me suis malheureusement battu, et j'ai tué un seigneur de marque. Cela me force de quitter la France et promptement parce qu'on me cherche. Je vous crois assez généreux pour me servir sans me cognoistre. J'ai besoin d'un carrosse et de quelques valets pour me servir.» M. de Marcillac avoue lui avoir donné son carrosse, et un nommé Potet (Pauthet) qui se doutoit que c'estoit elle, mais qu'il ne le savoit pas asseurément.
«Potet interrogé répond qu'il avoit trouvé à cent pas de là un jeune gentilhomme qui avoit la perruque blonde, lequel s'estoit mis seul dans le carrosse où il s'estoit couché paroissant fort las, et qu'il l'avoit conduit jusqu'à une autre maison de M. de Marcillac, où demeuroit un gentilhomme aussi à lui, nommé Malbasty, et que le gentilhomme à la perruque blonde avoit deux laquais avec lui qui l'avoient suivi à cheval, l'un nommé Renaud et l'autre Hilaire.
«Malbasty interrogé a dit que Mme de Chevreuse arriva chez lui à trois heures de nuit, lui n'y estant pas, que sa femme se leva pour ouvrir à cause qu'elle cognust Potet qui lui dit que c'estoit un seigneur de qualité, ami intime de M. de Marcillac, qui s'enfuyoit pour s'estre battu en duel. Malbasty arriva là-dessus, auquel fut dit la mesme chose. Il demanda le nom de ce jeune seigneur, et qu'il désiroit savoir qui il devoit servir. L'inconnu lui respondit qu'il lui diroit le lendemain, cependant qu'il l'accompagnât une journée ou deux, parce qu'il craignoit que les deux gentilshommes qui estoient à lui ne fussent cognus, qu'il les lairroit là jusques à un nouvel advis de lui. On renvoya le carrosse du prince de Marcillac, et ladite dame monta sur une haquenée qui se trouva là. Malbasty et Potet la suivirent. Elle estoit vestue d'une casaque noire, les chausses et le pourpoint de mesme. Elle avoit la teste bandée, et un morceau de taffetas noir par-dessus, et dit audit Malbasty que c'estoit un coup d'épée qu'elle avoit reçu en son combat et que cela l'empeschoit d'oster son chapeau, et aussi qu'elle en avoit un à la cuisse qui l'empeschoit de monter légèrement à cheval. Comme ils arrivoient à la dînée, la selle de la haquenée se trouva pleine de sang, et Malbasty lui dit qu'il en estoit fort en peine, qu'il falloit que sa plaie se fût ouverte, et que l'on devoit envoyer querir un chirurgien. Elle ne le voulut pas, et prit deux chemises qui estoient audit Malbasty dont elle dit qu'elle feroit des linges pour se bander, que sa plaie lui faisoit fort mal. On a remarqué que ledit Potet couchoit dans sa chambre sous le prétexte de lui panser ses plaies, et qu'à cette heure-là même elle l'y mena, disant que c'estoit pour le même sujet. Les lits de l'hôtellerie lui semblèrent mauvais; elle se coucha sur du foin dans une grange pour se reposer, paraissant extrêmement affaiblie, où pour toutes choses on lui apporta à dîner le quartier d'une oie bouillie dont elle ne put manger. Une bourgeoise de ce bourg-là passa fortuitement et la vit couchée sur ce foin, et s'écria: Voilà le plus beau garçon que je vis jamais! Monsieur, dit-elle, venez vous-en reposer chez moi, vous me faites pitié. Elle la remercia s'excusant qu'elle avoit hâte, ne parlant néanmoins que fort bas, parce qu'elle disoit avoir un rhume qui l'empêchoit de hausser la voix. Ladite bourgeoise lui fut querir chez elle demi-douzaine d'œufs frais et lui en fit prendre quatre. Malbasty pressa ladite dame de lui dire son nom, comme elle lui avoit promis: elle lui dit qu'elle estoit le duc d'Enguyen, et que pour un sujet qu'elle ne pouvoit déclarer, il falloit qu'elle sortit de France pour un temps.
«Malbasty et Potet déposent encore qu'il vint un homme vestu de rouge, lequel, de loin qu'ils l'aperçurent, descendit de cheval et lui fit de grandes inclinations; elle lui fit signe de la main comme en colère, et lui dit moitié entre ses dents qu'elle n'estoit pas en état qu'on lui fît tant d'honneur; elle s'écarta avec l'homme susdit, et parla à lui environ demi-heure, et puis s'en retourna. Potet dépose avoir vu encore une fois le même homme sur le chemin la venir trouver en une hôtellerie où il lui parla en particulier environ une heure ou deux. A une lieue de là, un laquais aussi vêtu de rouge lui amena une haquenée en bride, et elle monta dessus, et lui ramena la sienne. Comme ils furent au second gîte, Malbasty dit à Mme de Chevreuse: Vous ne m'aviez demandé que deux jours, permettez que je m'en retourne. Elle lui dit que tout du bon elle lui vouloit dire son nom, qu'elle estoit la duchesse de Chevreuse, qu'il lui envoyât ses deux gentilshommes en un lieu qu'elle lui nomma, qu'il lui envoyât aussi son fils qu'elle avoit jugé qu'il avoit de l'esprit et qu'elle feroit pour lui [394]. Malbasty lui dit qu'elle se perdroit, qu'elle rencontreroit mille voleurs, qu'elle n'avoit qu'un homme avec elle, qu'il craignoit qu'on lui fît du desplaisir. Elle lui dit que le gouverneur de la première ville d'Espagne lui enverroit son carrosse en relais, et que le vice-roy de Sarragosse avoit ordre de la Reyne de la secourir. Elle l'assura qu'elle ne desserviroit point le Roy ni son Éminence, qu'elle leur avoit trop d'obligations, qu'elle ne verroit ni le Roy ni la Royne d'Espagne et qu'elle passeroit les Rois en Angleterre, et que si les passages par la France ne lui en eussent pas été bouchés, elle y auroit esté et non pas en Espagne. Offrit audit Malbasty un grand rouleau de pistoles qu'il refusa, et n'en prit que sept pour s'en retourner.
«Malbasty interrogé pourquoi il lui avoit baillé son fils, a respondu qu'il ne l'avoit pas envoyé, que sa femme, estant en peine pourquoi il mettoit tant à revenir, l'avoit envoyé, et qu'il falloit que ladite duchesse l'eût emmené. Avant que le dit Malbasty se séparât de Mme de Chevreuse, ils rencontrèrent dix ou douze hommes de cheval dont le marquis d'Antin en estoit un. Elle se détourna un peu appréhendant d'être cogneue, et Malbasty accosta un de ces hommes de cheval qui lui dit qu'ils venoient de prendre un homme qui avoit tué une demoiselle de ce pays-là.
«La Reyne est citée deux ou trois fois dans les dites informations, mais l'on n'a pu se souvenir comment. Car cet extrait n'est que de mémoire, et néantmoins très-véritable. Pour les temps, les lieux, les circonstances et force mots de pratique, l'on s'en est peu souvenu, comme aussi de plusieurs autres choses qui se sont échappées de la mémoire.
«Monsieur le président Vignier a porté l'abolition en allant faire les informations, et n'ayant pas pu entrer en Espagne, il a envoyé un trompette ou hérault à la duchesse de Chevreuse lui faire sçavoir qu'il lui portoit son abolition, et que si elle vouloit revenir le Roy lui promettoit toutes sortes de grâces et M. le cardinal toute assistance. Le Roy a fait commandement au prince de Marcillac de le venir trouver; on ne donne pas ceci pour certain comme tout le reste. Les informations n'arrivèrent à la cour que samedi au soir 15 novembre 1637.»
Extrait d'une lettre écrite de Toulouse le 2 novembre 1637: «Un gentilhomme de notre voisinage, qui a charge dans nos montagnes, m'a dit ces jours-ci que Mme de Chevreuse estoit passée par une des vallées de sa charge pour entrer en Espagne, qu'un des siens le lui a mandé et que la recognoissant il lui avoit dit qu'il la prendroit pour Mme de Chevreuse si elle estoit vestue d'une autre façon, et qu'elle lui avoit respondu que lui estant fort proche elle lui pouvoit bien ressembler; qu'après cela estant entrée en Espagne à deux lieues de là, elle lui avoit mandé qu'il ne s'étoit pas trompé, et qu'ayant recogneu en lui une civilité extraordinaire elle prenoit la liberté de le prier de lui faire trouver des étoffes pour se vêtir conformément à son sexe et à sa condition avant de passer outre.»
NOTES DU CHAPITRE IV
—Dédicace de la collection in-4 des portraits de Daret.
A MADAME LA DUCHESSE DE CHEVREUSE.
«Madame, après toutes les faveurs et toutes les graces que j'ai
reçues de Votre Altesse, je devrois demeurer dans l'admiration et
dans le silence, ou, ne pouvant rien davantage, lui témoigner au
moins par la confession de mon impuissance le ressentiment que
j'ai de ses bienfaits. Mais, Madame, je suis forcé de lui faire de nouvelles
supplications et de lui demander de nouvelles preuves de sa
bonté. Ce n'est pas assez, Madame, que je lui sois obligé de l'honneur,
de la liberté et peut-estre de la vie; il faut, s'il lui plaist,
qu'elle m'accorde quelque chose de plus, et que, ne pouvant rien se
promettre de moi, elle ait la générosité de se charger de mes dettes,
et de me desgager elle-mesme de toutes celles dont je lui suis redevable.
Comme elle est toute seule le juste prix et la véritable récompense
de ses grandes actions, il n'y a qu'elle aussi qui puisse se
rendre ce qu'elle a presté, et acquitter pleinement les obligations de
ses débiteurs. Mais je parle, Madame, comme une personne qui n'est
pas bien instruite de la noble manière que les grandes âmes agissent.
Elles ne donnent jamais pour recevoir; elles ne prestent jamais afin
qu'on leur rende ce qu'elles ont presté; elles font toujours des libéralités;
laissant aux âmes vulgaires à faire des constitutions et des
prests, elles regardent les bienfaits qui peuvent leur estre rendus
comme des bienfaits qui ne sont pas dignes d'elles. Ce fut aussi dans
cette vue, Madame, que Votre Altesse eut la bonté de me prendre en
sa protection et de me donner un asile dans son palais. Elle ne se
proposa point d'autre objet ni d'autre prix dans une action de si
extraordinaire charité, que l'excellence et la beauté de l'action même.
Elle se considéra, dans ce haut point de gloire où Dieu l'a élevée pour
estre l'étonnement de plusieurs siècles, comme ayant une obligation
toute particulière d'employer sa puissance pour secourir les faibles
et les abandonnés, et pour tirer l'innocence persécutée d'entre les
mains de ses persécuteurs. A peine la voix publique, Madame, lui
eût-elle appris l'état déplorable où je me voyois réduit par la violence
et par la haine de personnes que je n'ai point offensées, qu'elle se
déclara pour un innocent malheureux [395]. Elle ne voulut pas attendre
que mes pleurs et mes gémissements fussent parvenus à ses oreilles;
elle ne me donna pas le temps de lui faire le récit de mes tristes
aventures; elle se contenta de sçavoir que j'estois faible, que j'estois
poursuivi, et que je n'estois point coupable; elle crut d'abord que
ma cause estoit la bonne, et comme telle, quoique abandonnée et
quoique honteuse en apparence, elle lui fut recommandable, elle lui
fut précieuse. Elle entreprit ma défense avec cette fermeté et cette
grandeur de courage qu'elle s'est toujours portée aux choses difficiles.
Elle n'eut égard ni au temps ni à la coutume; elle ne considéra ni
l'intérêt ni le crédit des puissants; elle me vit misérable, elle me secourut.
Il faut aussi que je publie à sa gloire que, par une magnanimité
inconnue dans ces derniers siècles, elle a toute seule empêché
l'épouvantable exemple qu'on alloit faire d'une vertu humble et pauvre.
Oui, Madame, si mon innocence n'a pas esté punie comme un
crime, c'est que la constance et la protection de Votre Altesse ont
arresté la fureur de ceux qui ne connoissent point de plus grands
crimes que la bassesse de la naissance ou que celle de la fortune.
Mais, Madame, quels efforts n'ont point faits ces redoutables ennemis?
Quels prétextes spécieux et quelles belles apparences n'ont-ils
point proposés à Votre Altesse pour la rendre favorable à leurs passions,
et, par l'exemple de ces vertueux et de ces incorruptibles
qui m'avoient déclaré coupable, la réduire à la nécessité de démentir
sa propre connoissance et ne me plus croire innocent? On lui
représenta toutes ces puissantes mais dangereuses raisons de prudence,
de gloire et d'interest, qui sont aujourd'hui les règles de la
conscience des ambitieux. On essaya de la picquer de ce faste payen
et de ce faux honneur qui sont directement opposés à la vertu chrétienne
et au véritable et solide honneur. On voulut même intéresser à
ma ruine la splendeur de votre naissance, la majesté de votre condition
et les grandes et fortes actions de toute votre vie. On passa des
moyens ordinaires aux extrordinaires, des profanes aux sacrés, et
d'une affaire d'aigreur et de vanité on en fit une affaire de conscience.
On fut dans les maisons religieuses troubler la paix et le silence des
saints. On fit prendre les armes aux forts d'Israël; on les engagea
même dans le combat, et il ne s'agissoit que d'écraser un ver de
terre. Mais Votre Altesse, Madame, repoussa la force par la force: la
vertu fut victorieuse de l'artifice, et les forts de Juda qu'elle avoit
appelés à son secours triomphèrent des forts d'Israël. Cependant les
ennemis ne se contentèrent pas d'avoir esté battus une fois; ils retournèrent
au combat avec une obstination de vaincre si ardente
qu'elle eût ébranlé un courage moins haut et moins intrépide que celui
de Votre Altesse. Elle parut aussi en cette nouvelle attaque plus
grande et plus forte qu'en toutes les précédentes. Elle s'éleva au-dessus
d'elle-même. On vit éclater quelque chose de divin sur son visage.
Le feu de ses yeux fut comme celui des éclairs, et les foudres
qui sortirent de sa bouche avec ses paroles jetèrent de la terreur
dans l'âme des plus hardis du parti contraire. Ils vous cédèrent enfin
la victoire, Madame, mais pour cela ils ne se réputèrent pas vaincus;
ils se résolurent de tenter de nouveaux moyens, et vous faisant une
dernière déclaration de leur mauvaise volonté à mon égard, protestèrent
hautement qu'il n'y avoit rien au monde qui les pût empêcher
de me perdre. Votre Altesse, Madame, se sentit obligée d'estre d'autant
plus ferme et plus constante dans la résolution de me protéger,
que mes ennemis lui paroissoient injustes et irréconciliables. Elle
leur dit aussi qu'elle feroit de sa part toutes les choses auxquelles son
honneur, sa conscience et sa foi l'engageoient, et les prit eux-mêmes
pour témoins du serment qu'elle en voulut faire. Que Dieu, Madame,
eût ce serment agréable, et qu'il a bien montré par l'événement des
choses que non-seulement il l'avoit formé dans le cœur de Votre
Altesse avant qu'il fût dans sa bouche, mais qu'il en vouloit demeurer
lui-même le garant et le certificateur! Il a bientôt fait voir, Madame,
qu'il est toujours véritable en ses promesses, et qu'il est toujours
le protecteur des foibles contre toute la violence de ceux qui les
oppriment. Il a répandu ses bénédictions sur une famille fugitive et
désolée, et par des succès incroyables il a miraculeusement changé
la face d'une affaire désespérée. La sagesse humaine, je dis la plus
fine et la plus délicate, y a visiblement esté confondue. La puissance
qui se croit capable de tout y a manqué à soi-même, et la justice
devant les yeux de laquelle les harangues des beaux parleurs et les
sortiléges de la chicane élèvent tant de brouillards et tant de nuages,
a même au travers de ces corps opaques démêlé la vérité du mensonge,
et reconnu mon innocence, quoiqu'elle eût esté toute noircie
et toute défigurée. Ce grand changement, Madame, est un coup de la
droite du Tout-Puissant. Après lui, Madame, c'est l'ouvrage de votre
magnanimité toute chrétienne. Je sçais que mes ennemis renouvellent
l'orage et se vantent qu'il ne finira point que par mon naufrage. Mais
la même puissance qui m'a sauvé dans le fort de la tempête, ne me
laissera pas périr au rivage. Je le vois, déjà, Madame, et ma petite
barque estant toujours conduite par un pilote qui a toujours triomphé
des vents et des flots, doit estre toute assurée du port. En effet,
Madame, je commence à respirer avec liberté et rentrer en possession
de moi-même; je jouis, à l'ombre du grand nom de Votre Altesse, du
premier repos et de l'ancienne paix de ma condition inconnue, mais
heureuse. En un mot, Madame, je suis encore, pour ce que vous ne
m'avez point abandonné; et je regarde tous les jours, toutes les
heures et tous les moments de ma vie comme autant de présents que
je dois, après Dieu, aux bontés et à la protection de Votre Altesse.
Faudra-t-il cependant que tant de bienfaits demeurent sans reconnoissance,
et que je devienne ingrat par la multitude des graces que
j'ai reçues? Non, Madame, cette souveraine Providence, qui est la
source de tous les biens, ne permettra pas que je tombe dans un
malheur si déplorable; elle a mis dans le cœur de l'homme un trésor
qui est comme un rayon et comme une image de sa toute-puissance,
afin qu'il n'y en eût pas un de si misérable et de si endetté qui fût
contraint de vivre et de mourir insolvable. C'est sa bonne volonté,
Madame, qui s'étend même au delà du pouvoir des plus grands Roys
de la terre. Quiconque la possède est riche; quiconque la possède a
de quoi obliger ses propres bienfaiteurs, et de quoi changer la qualité
de débiteur en celle de créancier. Dieu, Madame, non-seulement
nous la donne comme la plus grande de ses libéralités, mais il nous
la redemande en même temps comme le plus saint et le plus agréable
de tous nos sacrifices. C'est une victime dont il n'a jamais détourné
ses yeux; c'est une odeur qui lui est plus douce que la fumée de
l'encens le plus pur; et, bien que ce soit un présent de son amour,
il la couronne néanmoins comme la plus haute de nos vertus. Si cela
est ainsi, comme il n'en faut point douter, je me trouve bien plus
puissant que je me suis cru, et je n'ai pas besoin de la nouvelle grâce
qu'au commencement de ma lettre, Madame, j'ai pris la liberté de
demander à Votre Altesse; je la supplie donc très-humblement
d'agréer que je m'acquitte envers elle, et que recevant de mes mains
une chose précieuse et rare comme est la bonne volonté, elle se contente
d'un payement dont elle est bien persuadée que Dieu se contente
lui-même. Votre Altesse la verra peinte à l'entrée de l'ouvrage
que je prends la hardiesse de lui dédier [396]. Elle y paroît en action de
sacrifiante, et bien qu'elle n'aie dans les mains que des fleurs et des
branches de palmes et d'olivier, j'ose dire à Votre Altesse, Madame,
que de ces fleurs et de ces branches elle lui fera des couronnes plus
augustes et plus durables que celles qui sont composées de perles et
de diamants. Je ne désire point que Votre Altesse fasse considération
sur le grand monde qui assiste à la célébration de ce sacrifice. Ce
sont, à la vérité, des Roys et des Reines, des Princes et des Princesses;
ce sont des personnes de l'un et de l'autre sexe, illustres par
leur naissance, par leur vertu ou par leur fortune. Mais quelque fameux
que soient ces héros et quelque recommandables que soient
ces héroïnes, ou ils ne sont déjà plus ou ils ne sont que pour quelques
années, et par conséquent il n'y a rien en cela de véritablement
grand, puisqu'il n'y a rien d'éternel. La bonne volonté a seule ce privilége,
Madame, et c'est elle seule aussi qui peut estre le digne prix
des actions héroïques de Votre Altesse et des grâces que j'en ai reçues.
Je la lui consacre avec toute la sincérité qui lui est inséparablement
unie, et avecque tout le zèle d'un homme qui n'a d'honneur,
de liberté, ni de vie, que ce qu'il tient de votre bonté, et qui, par
toutes sortes de loix divines et humaines, est obligé en cette considération
de vivre et mourir, Madame, de Votre Altesse, le très-humble,
très-obéissant et très-obligé serviteur,
Daret.»
II.—Négociation de l'année 1638 et 1639 entre Richelieu et Mme de Chevreuse pour le retour de celle-ci en France.
Ainsi que nous l'avons dit, p. 150, la Bibliothèque impériale possède deux manuscrits qui éclairent cette négociation. L'un, Supplément français, no 4067, in-fol., récemment acquis de la société des bibliophiles, contient, avec bien des lettres étrangères à notre objet, des lettres relatives à l'affaire qui nous intéresse, en trop petit nombre, mais autographes, et qui viennent certainement de la cassette du cardinal de Richelieu, comme les pièces sur l'affaire du Val-de-Grâce: ce manuscrit porte au dos ce titre: Lettres originales. L'autre est le tome II in-folio des Manuscrits de Colbert, Affaires de France; ce sont des copies des papiers de Richelieu concernant la négociation dont nous nous occupons. Ces copies l'embrassent tout entière; elles reproduisent les pièces originales du Supplément français, et elles en donnent beaucoup d'autres. Malheureusement elles sont assez défectueuses. Le P. Griffet n'a connu ou du moins il ne cite que ces copies de Colbert, et il en a le premier tiré plusieurs lettres importantes. Nous mettons ici, dans toute leur teneur, les principales pièces dont nous nous sommes servi.
LA REINE D'ANGLETERRE AU CARDINAL DE RICHELIEU, SUR LA GROSSESSE DE LA REINE ANNE ET SUR L'ARRIVÉE DE Mme DE CHEVREUSE EN ANGLETERRE. MARS 1638 [397].
«Mon cousin, ce m'est une joie si sensible que la grossesse de la Reyne ma sœur que, envoyant ce gentilhomme pour en témoigner mon ressentiment au Roy mon frère et à elle, j'ai cru que vous estiez une personne avec qui, après eux, je m'en pouvois resjouir. C'est ce que je fais par cette lettre. Et aussi connoissant le soin que vous prenez de m'obliger, en ayant eu des preuves depuis peu, je vous donne avis de l'arrivée de ma cousine la duchesse de Chevreuse en ce pays, et vous prie que son arrivée ici ne lui porte aucun préjudice dans ses affaires. Je me fie tant en votre générosité que je ne fais nul doute que vous ne voudriez pas tant me désobliger, après m'avoir tant obligée que vous avez fait, que de ne lui pas accorder son bien, ainsi que vous lui aviez procuré avant son partement. C'est la justice et son mérite qui le demandent; s'estant comportée en Espagne et en ce pays comme elle a fait, elle mérite bien cela de vous, et moi je me tiendrai pour obligée qu'elle ne reçoive point de mauvais traitements estant avec moi. Je ne vous en parlerai davantage, me fiant à ce que vous m'avez promis qui est de m'obliger quand vous en auriez les occasions. En voici une qui me fera demeurer toute ma vie, votre bien affectionnée cousine, Henriette Marie R.»
LE ROI D'ANGLETERRE AU ROI LOUIS XIII [398].
«Monsieur mon frère, envoyant ce gentilhomme pour me resjouir
avec vous de la grossesse de la Reyne, ma sœur, et vous assurer
que personne n'en peut estre plus aise que moi, sachant la joie que
vous en recevez. J'ai voulu aussi vous avertir de l'arrivée de ma cousine
la duchesse de Chevreuse, vous priant que sa demeure ici ne lui
apporte point de préjudice dans ses affaires, et si je puis vous faire
voir mon affection en quelque chose que vous m'ordonnerez, vous
verrez que je serai si prompt que vous me croirez, Monsieur mon
frère, votre très-affectionné frère,
Charles R.»
LA REINE D'ANGLETERRE AU MÊME [399].
«Monsieur mon frère, si je pouvois moi-même estre si heureuse
que de pouvoir aller témoigner à Votre Majesté l'extrême joie que
j'ai de la bénédiction qu'il a plu à Dieu lui envoyer par la grossesse
de la Reyne, ma sœur, elle connoistroit par ma diligence mon ressentiment;
mais ne le pouvant j'ai cru que ce gentilhomme que j'envoie
suppléeroit à mon intention, et que Votre Majesté prendroit en bonne
part le témoignage de mon ressentiment, priant Dieu de lui vouloir
envoyer la joie parfaite par un fils. Aussi j'ai cru de mon devoir
d'avertir Votre Majesté de l'arrivée de ma cousine la duchesse de
Chevreuse en ce pays. J'espère qu'elle ne recevra point de mauvais
traittement pour estre venue ici, et que Votre Majesté lui fera l'honneur
et à moi aussi qu'elle puisse jouir de son bien, selon qu'il a été
arresté devant son partement de France. Je ne la ferai plus longue
de peur d'importuner Votre Majesté. Me remettant à sa bonté ordinaire,
je demeurerai à jamais, Monsieur mon frère, votre très-humble
et très-obéissante sœur et servante,
Henriette Marie R.»
MADAME DE CHEVREUSE A M. DU DORAT [400].
«L'estat où j'ai esté jusqu'à cette heure ne m'a pas permis de
pouvoir escrire plus tôt, ni celui où je suis d'y demeurer davantage
sans le faire, pour vous prier de donner une lettre que j'escris à la
Reyne touchant l'affaire que vous sçavez de l'argent que m'envoya
Monsieur le cardinal, laquelle je vous prie de dire à Sa Majesté, ainsi
que je lui mande que vous ferez, et la très-humble supplication que
je lui fais de le rendre sur ce qu'elle me doit. Je crois qu'il lui sera
aussi aisé en l'estat où elle est, qu'à moi difficile en celui où je suis,
auquel elle m'obligeroit beaucoup de m'envoyer le reste; mais pour
ne l'importuner, je n'ose lui demander. Je fais bien de rendre cela à
M. le cardinal, avouant que si cela ne m'eût esté impossible je l'aurois
desjà fait avec tous les remercîments que je dois. J'espère que
la bonté de la Reyne fera tous les deux pour moi, et que cela lui sera
autant agréable que peut-estre mon malheur lui feroit désagréer ce
qui viendroit de ma part. S'il est si grand que cela ne puisse estre,
je ne manquerai de satisfaire à cela par quelque moyen que ce soit,
et de témoigner, en quelque estat que je sois, que si j'ai beaucoup de
mauvaise fortune, je n'ai pas moins d'innocence et autant de résolution
de la conserver que d'envie de vous servir.
M. de Rohan.»
MADAME DE CHEVREUSE A LA REINE ANNE [401].
«J'ai chargé ce porteur de vous dire une affaire que je ne puis oublier ni ne dois vous céler; l'état où je suis m'oste le moyen de la payer, celui où vous estes vous le donnera facilement. Je vous conjure de le faire et d'en témoigner votre ressentiment. Si vous pouviez achever le surplus de la dette, croyez qu'il viendroit bien à propos pour moi, qui suis absolument à vous que je sçais qui le croyez, et que je ne puis vous récompenser du bien que vous me faites en cela.»
A LA REYNE, MA SOUVERAINE DAME [402].
«Madame, je ne serois pas digne de pardon, si j'avois pu et manqué de rendre conte à Vostre Majesté du voyage que mon malheur m'a obligé d'entreprendre. Mais la nécessité m'ayant contrainte d'entrer en Espagne où le respect de Vostre Majesté m'a fait recevoir et traiter mieux que je ne méritois, celui que je vous porte m'a fait taire jusques à ce que je fusse en un royaume lequel estant en bonne intelligence avec la France ne me donne pas sujet d'appréhender que vous ne trouviez bon de recevoir les lettres qui en viennent. Celle-ci, Madame, parlera devant toutes choses à Vostre Majesté de la joie particulière que j'ai ressentie de la publique, qui est partout, de la grossesse de Vostre Majesté. Dieu, qui connoît sa bonté si parfaitement, la sait seul récompenser, et consoler tous ceux qui sont à elle par ce bonheur que je lui demande de tout mon cœur d'achever par l'heureux accouchement d'un dauphin. Encore que ma mauvaise fortune m'empesche d'estre des premières à le voir, croyez, Madame, que mon affection au service de Vostre Majesté ne me laissera des dernières à m'en rejouir. Le souvenir que je ne sçaurois douter que Vostre Majesté n'aye de ce que je lui dois, et celui que j'ai de ce que je lui veux rendre, lui persuadera, sans que je lui die, le déplaisir que ce m'a esté de me voir réduite à m'éloigner d'elle pour éviter les peines où j'appréhendois que les soupçons injustes qu'on a donnés de moi me missent. Je jure à Vostre Majesté que dans ce dessein je ressentois tant de maux que je ne l'exécutai pas dans l'espérance de m'en délivrer, mais seulement de faire voir un jour que je ne les méritois pas. Je croyois venant ici me soulager en les disant à Vostre Majesté; mais la difficulté du passage m'obligeant d'entrer en Arragon, et depuis celle de passer en Angleterre m'obligeant d'aller à Madrid, il m'a fallu priver de cette consolation jusques à cette heure que je puis me plaindre à Vostre Majesté de ma mauvaise fortune, n'accusant qu'elle seule de mon malheur et espérant que la protection de Vostre Majesté me garantira de celui que ce me seroit de la colère du Roy et des mauvaises grâces de M. le Cardinal, puisqu'en ce sujet je n'ai manqué ni au respect ni au ressentiment à quoi j'estois obligée. Je n'ose le dire moi-même à Sa Majesté et ne le fais pas à M. le Cardinal, m'asseurant que vostre générosité le fera, et rendra agréable ce qui pourroit estre importun par mes lettres, par lesquelles je ne pourrois pas si bien témoigner mon innocence comme par la grâce que je demande à Vostre Majesté de la représenter; et la vertu de Vostre Majesté m'asseure qu'elle s'exercera volontiers en cette occasion, et qu'elle emploiera sa charité pour me dire ce que je sçais qu'elle fait, qui est d'estre toujours elle-même. Vostre Majesté sçaura par les lettres du Roy et de la Reyne de la Grande-Bretagne l'honneur qu'ils me font. Je ne le sçaurois mieux exprimer qu'en disant à Vostre Majesté qu'il mérite sa reconnoissance. Plût à Dieu le pouvoir faire par mes services! Je crois que vous approuverez ma demeure en leur cour, et que cela ne me rendra pas digne d'un mauvais traitement de la vostre, ni de me refuser les choses que l'autorité de Vostre Majesté et le soin de M. le Cardinal m'avoit procurées, que je demande à cette heure à M. mon mari; à quoi je supplie Vostre Majesté de me protéger, afin que j'en aie bientôt les effets si justes que j'en attends.»
MME DE CHEVREUSE AU CARDINAL DE RICHELIEU [403].
«Monsieur, je ne doute pas que vous ne soyez satisfait de la raison qui m'a empeschée jusques à cette heure de vous écrire, vous ayant esté donnée par une personne de qui j'espère autant de grâce comme vous de justice. Maintenant ayant appris ce que je crois aisément, pour le désir que j'en ai, que vous recevrez agréablement cette lettre, je vous la fais avec beaucoup de contentement, sachant bien que la vérité seroit bien reçue de vous, sans l'assistance que votre bonté promet à la personne de qui elle vient. J'espère que le malheur qui m'a contrainte de sortir de France s'est lassé de me suivre si longtemps, et que les soupçons qui m'ont donné des appréhensions auront en partie justifié ma peur, dont je serois très-aise d'estre tout à fait guérie par la connoissance que mes ennemis ne fussent pas plus puissants que mon innocence. Je ne puis pas mieux décharger votre bonté qu'en lui imputant les diverses demandes qu'on me fit; sur quoi, j'ai cru estre obligée de m'esloigner pour gagner ce qui m'estoit seulement besoin pour ma justification, à savoir, le temps. Les assurances qu'on m'a données depuis mon arrivée ici de votre bonté pour moi me font espérer le succès que je me suis promis. Je souhaite extrêmement encore que cela n'augmente pas la peine de mon éloignement, et comme les honneurs et grâces que j'ai reçues par tout ne font qu'exercer non pas abattre ma gratitude, vous devez estre assuré qu'ils contribuent à la mémoire de vos faveurs; car cependant que j'aurai cette qualité, je ne puis jamais perdre celle, monsieur, de votre très-humble et très-affectionnée servante, M. de Rohan.—Greniche, ce 1er juin.»
«MÉMOIRE [404] DE CE QUE Mme DE CHEVREUSE A DONNÉ CHARGE AU SIEUR DE BOISPILLE DE DIRE A MONSEIGNEUR LE CARDINAL.»
«Ce qui la fit résoudre à partir, après l'avis qu'elle reçut, ce fut qu'elle n'eut point de lettre de M. du Dorat, et qu'elle fit réflexion sur les choses dont M. d'Auxerre l'avoit enquise, et sur le mémoire qu'elle avoit vu [405] qui portoit vouloir sçavoir d'elle s'il n'estoit pas vrai qu'elle avoit escrit pour empêcher M. le duc de Lorraine de quitter le service du roy d'Espagne, et que si elle répondoit que non, comme l'on croyoit qu'elle feroit, qu'elle dispensast à l'avenir son Éminence de s'entremettre entre le roy et elle, et que l'avoüant il l'avoit bien tirée de plus grandes affaires, et que son Éminence lui demandoit cela comme son ami, sachant la chose assurément par lettres interceptées d'un courier en Luxembourg, avec les paroles de M. le grand maistre [406], et ce qui se passa ensuite comme elle escrivit n'avoir promis ce que M. le grand maistre avoit dit; la dite légation de MM. d'Auxerre et du Dorat, et le dit avis, le tout mit son esprit dans les troubles que l'on peut juger, ayant peur que l'on crût qu'elle fût obligée ailleurs, ayant refusé de faire ce que mondit seigneur de La Meilleraie désiroit. C'est donc ce qui l'étonna, disant avoir vécu, mesme s'estre corrigée de toutes choses, et étudiée pendant son séjour à Tours à ne rien faire particulièrement qui pût déplaire à M. le cardinal, depuis l'obligation qu'elle lui avoit pour l'affaire de M. de Chasteauneuf: voulant avec le temps et sa façon de vivre et comportement lui faire perdre entièrement le souvenir de cette action qu'elle avoit faite. Et après cela voyant qu'on s'enqueroit de choses à quoi elle n'avoit jamais pensé, et lui dire que l'on en avoit en main la vérité, cela lui fit imaginer que l'on la vouloit perdre. Voilà les points sur lesquels elle a fait toutes ses réflexions.
«Pour son retour elle le désire si fort, pourvu qu'elle ait les bonnes graces de son Éminence, qu'elle ne conditionne point le lieu de sa retraite; ce sera où il lui plaira et pour faire tout ce qu'il lui commandera.
«Elle ne s'est obligée à rien du tout en Espagne ni en Angleterre; ne se trouvera pas qu'elle ait pris un teston fors les bonnes chères et traitements; et pour le témoigner, les dernières paroles que lui dit le roy d'Espagne furent de faire ses recommandations en Angleterre, et que si elle alloit en France, comme il espéroit, qu'elle assurast la reyne sa bonne sœur de ses bonnes volontés qui ne diminueront point pour estre [407]...
«Elle supplie que son Éminence dise qu'elle a oublié cette créance du duc de Lorraine, disant que depuis l'avis que l'on en avoit eu il ne s'est pas trouvé tel, ou telle autre chose qu'il plaira à son Éminence, s'offrant de sa part qu'après son retour, si on le peut vérifier, elle se soumet à punition [408].
«Représenter qu'elle a escrit quatre fois d'Espagne, la première du fort de Sistam (?), première place de garnison d'Espagne; la seconde de Saragoce; la troisième de Madrid, et la dernière fois une lettre seule à Boispille du dit Madrid dont elle n'a reçu aucune nouvelle, et que le courier, à qui elle avoit donné la dite dernière lettre, a dit à son retour l'avoir donnée au dit Boispille et lui en avoir demandé réponse, et celui-ci avoir répondu: nous ne faisons point de réponse en Espagne.
«Elle a parlé comme elle devoit en Espagne, et croit que c'est une des choses qui l'a le plus fait estimer du comte duc, lequel, elle croit, n'aura pas rabattu de l'estime qu'il faisoit de son Éminence. Qu'à son arrivée d'Espagne en Angleterre elle a tenu les mêmes discours, et tellement exprimé les obligations qu'elle a à la bonne volonté et bonté de son Éminence, qu'elle s'est presque mise dans le hazard de faire condamner ses craintes(?).
«Pour ce qui est de l'ambassadeur d'Espagne, elle le voit parce qu'il est venu avec elle, joint les ordres qu'il a de la voir et lui faire compliment, ce qu'elle ne peut refuser, mais bien ne passer jamais cela. Pour Bruxelles, véritablement elle s'est acquittée d'une lettre avec un présent à l'infant cardinal, seulement de la part de la reyne d'Espagne, et ayant reçu compliment à son arrivée en Angleterre de Mme la princesse de Phalsbourg, sur la nouvelle qu'elle a eue qu'elle estoit malade d'une fièvre, elle l'a envoyée visiter par un laquais.
«Que véritablement elle est visitée par tous les ambassadeurs et agents étrangers, ce qu'elle ne peut refuser pour le présent au lieu où elle est.»
LE CARDINAL A MME DE CHEVREUSE [409].
«Madame, monsieur de Chevreuse ayant désiré que le roy lui permit de vous envoyer le sieur de Boispille, je n'ai pas voulu le laisser aller sans vous témoigner par ce mot de response, que prenant part à ce qui vous touche, je ne serai point content quand je penserai que vous n'avez pas sujet de l'estre. Ce qu'il vous plaît me mander est conçu en tels termes que ne pouvant y consentir sans agir contre vous par une trop grande complaisance, je ne veux pas y respondre de peur de vous déplaire en voulant vous servir. En un mot, madame, si vous êtes innocente, votre sûreté dépend de vous-même; et si la légèreté de l'esprit humain, pour ne pas dire celle du sexe, vous a fait relascher à quelque chose dont sa Majesté ait sujet de se plaindre, vous trouverez en sa bonté ce que vous en pouvez attendre et que vous devez désirer. Je tiendrai en cette occasion, comme en toute autre, à faveur singulière de vous servir, pourvu que vous vouliez vous-même embrasser vos intérêts [410], comme vous y estes obligée. J'apprendrai votre intention par le retour de ce porteur et demeurerai cependant, etc.»
24 JUILLET 1638. LE CARDINAL A MME DE CHEVREUSE [411].
«Madame, le roy a volontiers consenti à ce que vous avez désiré. Puisque vous ne vous sentez coupable que de votre sortie du royaume, il m'a commandé de vous mander qu'il vous en donne de bon cœur l'abolition, comme il eût fait de toute autre chose que vous eussiez tesmoigné avoir sur votre conscience. Quand le sieur de Boispille vous alla trouver, je lui dis ce que j'estimois pour votre service et pour votre sûreté, qui consistoit, à mon avis, à ne tenir rien de caché; ce à quoi j'estimois que vous vous dussiez porter d'autant plus facilement que l'expérience vous a fait connoistre, par ce qui s'est passé au fait de Monsieur de Chasteauneuf, qu'en ce qui vous intéresse ce dont vos amis ont la preuve en main est plus secret que s'ils ne l'avoient point. Je vous puis bien assurer que je n'ai pas moins d'intention de vous servir aux occasions présentes qu'en celle-là, et que tant s'en faut qu'on ait voulu vous faire avouer une chose qu'on ne sçût pas, qu'on voudroit ne savoir pas ce qu'on sçait pour ne vous obliger à le dire. Tant y a qu'on vous envoie les sûretés que vous avez désirées. Que si vous avez besoin de plus grandes, je vous y servirai volontiers, comme je vous l'ai desjà mandé, vous assurant que je serai toujours, etc.»
8 SEPTEMBRE 1638. MME DE CHEVREUSE AU CARDINAL [412].
«Monsieur, si je doutois de vos paroles je n'en mériterois pas les
effets; au contraire [413] la liberté qu'elles me font prendre à cette heure
de vous représenter mes intérêts, n'estant digne du soin qu'il vous
plaist d'en prendre. Considérez, Monsieur, l'état où je suis, très satisfaite
d'un côté des assurances que vous me donnez de la continuation
de votre amitié, et fort affligée de l'autre des soupçons ou pour mieux
dire des certitudes que vous dites avoir d'une faute que je n'ai jamais
commise, laquelle, j'avoue, seroit accompagnée d'une autre, si, l'ayant
faite, je la niois, après les graces que vous me procurez du Roy en
l'avouant. Je confesse, Monsieur, que ceci me met en un tel embarras
que je ne vois aucun repos pour moi dans ce rencontre. Que si vous
ne vous estiez pas persuadé si certainement de la sçavoir, ou que je la
pusse avouer, ce seroit un moyen d'accommodement; mais vous laissant
emporter à une créance si ferme contre moi qu'elle n'admet point
de justification, et ne me pouvant faire coupable sans l'estre, j'ai
recours à vous même, Monsieur, vous suppliant, par la qualité d'ami
que votre générosité me promet, d'aviser un expédient par lequel
Sa Majesté puisse estre satisfaite, et moi retourner en France avec
sûreté, ne m'en pouvant imaginer aucun, et me trouvant dans des
grandes peines. Comme je suis avec d'entières résolutions de vous
servir, j'espère que vous trouverez bon la franchise avec laquelle je
vous supplie de m'en tirer, et de me donner occasion de vous tesmoigner
ce que je suis, Monsieur, votre très humble et très affectionnée
servante,
«Marie de Rohan.»
8 JANVIER 1639. LE CARDINAL A MME DE CHEVREUSE [414].
«Les continuelles instances que M. de Chevreuse fait pour vous garantir de votre perte, joint à l'affection que j'ai toujours eue pour ce qui vous touche, m'ont porté à obtenir du roy un passeport pour M. l'abbé du Dorat et le sieur de Boispille qui vous vont trouver en intention de vous servir et de vous faire plus penser à vous que vous n'avez jamais fait. Si vous en avez autant de dessein qu'ils en assurent, et que vous vouliez par une bonne conduite me donner lieu de respondre au Roy de la suite de vos actions, je m'y engagerai de très bon cœur, me promettant que vous ne voudriez tromper de nouveau une personne qui veut estre, etc.»
Le cardinal remit à Boispille l'abolition ci-jointe, mais sous cette réserve que nous trouvons aux Archives des affaires étrangères, France, t. LXXXXI, fol. 38:
«Je, François Eveillard, sieur de Boispille, reconnois avoir reçu
l'abolition générale qui m'a été donnée pour Mme la duchesse de Chevreuse,
sur l'assurance que j'ai donnée de ne la délivrer point qu'elle
n'ait premièrement reconnu par écrit ce dont elle prétend être absoute
par ladite abolition, et particulièrement ce qu'elle a négocié avec le duc
Charles de Lorraine pendant son séjour à Tours et autres lieux hors
de la cour, pour le faire demeurer dans le service du roi d'Espagne.
Fait en mon seing et 9e jour de février mil six cent trente-neuf,
«Eveillard de Boispille.»
«Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à tous
présents et à venir, salut. Nous n'avons point de plus grand déplaisir
que quand nous nous voyons obligé par la nécessité du bien et repos
de notre État de laisser aller le cours de la justice à quelque exemple
de sévérité pour maintenir nos sujets dans le devoir et les plus qualifiés
dans l'obéissance, la fidélité et le respect qu'ils nous doivent, et
au contraire ce nous est un grand contentement lorsque par la reconnoissance
de leurs fautes ils nous donnent sujet de les oublier. Notre
cousine la duchesse de Chevreuse a autant de connoisssance que personne
du monde de notre inclination plutôt à la clémence qu'à la
rigueur, dont voulant lui départir présentement un effet particulier
sur le sujet de sa dernière sortie hors du royaume contre l'ordre et le
commandement exprès qu'elle avoit de nous de demeurer en notre ville
de Tours, de sa retraite et séjour en pays ennemi, des intelligences
qu'elle a eues avec le duc Charles, et autres fautes qu'elle auroit pu
commettre contre la fidélité et le service qu'elle nous doit; sçavoir faisons
que nous avons favorablement reçu sa très-humble supplication
sur le sujet desdites fautes, et par ces présentes, signées de notre main,
nous avons remis, quitté, pardonné et aboli, remettons, quittons,
pardonnons et abolissons à notre dite cousine, la duchesse de Chevreuse,
la faute qu'elle a commise s'en allant de notre ville de Tours
contre l'exprès commandement que nous lui avions donné d'y demeurer,
ensemble sortant de notre royaume sans notre congé et se retirant
au pays de nos ennemis déclarés, comme aussi ce qu'elle a négocié
avec ledit duc Charles de Lorraine contre notre service, et généralement
toutes autres fautes qu'elle auroit commises contre nos intentions,
service et fidélité qu'elle nous doit, demeurant content et satisfait
de la confession qu'elle nous a particulièrement fait faire. Voulons et
nous plaît que pour raison desdites fautes elle ne puisse dorénavant
être recherchée en quelque façon que ce soit, imposant pour ce regard
silence perpétuel à nos procureurs généraux et leurs substituts présents
et avenir, et l'avons restituée et restituons au même état qu'elle
étoit auparavant celui-ci. Si donnons en mandement à nos amés et
féaux conseillés séants en notre cour du parlement à Paris, que de
notre présente grâce et abolition ils fassent, souffrent et laissent jouir
notre dite cousine, la duchesse de Chevreuse, pleinement et paisiblement,
et qu'ils aient à l'entériner sans que notre dite cousine soit
tenue de se représenter devant eux, dont, de notre grâce spéciale, pleine
puissance et autorité royale, nous l'avons dispensée et dispensons; car
tel est notre plaisir; et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours,
nous avons fait mettre notre sceau à ces présentes. Donné à Saint-Germain-en-Laye,
le 10 février l'an de grâce mil six cent trente-neuf et
de notre règne le vingt-neuvième,
«Louis, Bouthillier.»
LONDRES, 23 FÉVRIER 1639. MME DE CHEVREUSE A M. LE CARDINAL [415].
«Monsieur, jamais je n'avois cru mon malheur si grand que je fais à cette heure, puisque la bonne volonté que vous me faites l'honneur de me témoigner ne le peut pas surmonter, et ne m'y fait trouver autre soulagement que la liberté qu'elle me donne de lui représenter les raisons pourquoi elle ne m'en tire pas. Je commencerai, Monsieur, par l'obligation que vous m'avez fait la grâce d'obtenir du Roy, en laquelle il est spécifié une négociation avec Monsieur de Lorraine contre le service du Roy, laquelle vous sçavez que je vous ai toujours protesté n'avoir jamais faite. Que si j'avois été capable de cette faute, je croirois en commettre une seconde de ne le vous pas avouer, ayant tant de connoissance de votre générosité que non-seulement j'eusse espéré que vous en eussiez obtenu le pardon de Sa Majesté, mais encore par votre bonté accoutumée vous l'auriez voulu étouffer, en causant l'abolition qu'il eût plu au Roy me donner que sur ma sortie de France qu'il me pardonnoit, et toutes autres fautes que j'aurois pu commettre, sans particulariser cet article touchant Monsieur de Lorraine, lequel n'estant point je n'ai pu vous confesser. Ainsi, Monsieur, je vous avoue que je suis doublement étonnée de le voir dans l'abolition que Boispille m'a montrée, et d'entendre à quelle condition il s'estoit engagé de me la donner. J'arriverai à la seconde chose qu'il m'a dite de votre part touchant mon retour à Dampierre sans sçavoir ni le temps que j'y demeurerai ni la liberté que j'y aurai, ientes (sic) si le roy voudra m'éloigner davantage un peu après, ou s'il lui plaira que j'y demeure sans avoir la liberté d'aller ailleurs. Sur ce sujet, je vous supplie très-humblement de croire que si vous me jugez méprisable jusqu'au point de m'obliger à la demeure d'un lieu, ou à estre reléguée à soixante lieues de mes plus proches et des moyens de donner ordre à mes affaires, il n'y a ville dans l'Europe où je me trouve mieux qu'à Angers, ni maison où je demeure plutôt qu'au Verger. C'est pourquoi, Monsieur, je vous demande cette grâce de considérer l'état où me laissent toutes les assurances d'amitié que vous me donnez, et de trouver bon que V. E. m'en procure une entière par une abolition qui ne me noircisse pas éternellement de ce que je n'ai pas fait, et ma demeure certaine chez moi avec la liberté d'aller par tout le royaume comme toutes les autres de ma condition, hors où seront Leurs Majestés, puisque mon malheur est tel que le Roy ne l'a pas agréable; afin qu'au moins estant privée, en lui obéissant, du plus grand bien de ma vie par l'absence de la Reyne, j'aie cette consolation de me voir sans honte avec mes plus proches, et les moyens de donner ordre à mes affaires. Alors, Monsieur, j'aurai une résolution fort constante d'attendre avec patience les effets que je me veux toujours promettre de votre protection, que je ne prétendrai que lorsque vous m'en croirez digne. C'est une ambition si juste que j'ose croire que vous ne la désapprouverez pas, et si quelques obstacles s'opposent à me faire obtenir ce bien, vous me plaindrez de n'y pouvoir atteindre, et ne me blâmerez pas de l'avoir demandé, vous assurant qu'en quelque état que je sois je conserverai toujours si parfaitement le souvenir des faveurs que j'ai reçues de vous, et le désir de les reconnoistre par mes services, que vous me croirez peut estre un jour digne des grâces dont vous ne m'avez pas crue jusques ici capable, et me trouverez en tout temps et en tout lieu ce que je dois, qui est, Monsieur, votre, etc., M. de Rohan.»
17 MARS 1639. LE CARDINAL DE RICHELIEU A L'ABBÉ DU DORAT [416].
«Monsieur, la dernière lettre que j'ai reçue de madame de Chevreuse estant plutôt un reproche de ce que je ne la sers pas selon son gré qu'une aprobation de ce que j'ai pu faire pour son contentement, au même temps que la civilité qui est due aux dames m'empesche de lui faire réponse de peur de lui déplaire, son intérêt me met la plume en main pour vous faire savoir ce que j'estime qui lui doit estre représenté pour son avantage.
«Elle trouve étrange qu'on la veuille obliger à quelque reconnoissance de ce qu'elle a négocié avec certains étrangers. Sa sureté requiert qu'on en use ainsi. On a point encore vu de malade qui ait voulu et pu estre guéri d'un mal dont il ne veut pas qu'on croie seulement qu'il soit malade. Comme la connoissance des maux est nécessaire aux médecins, leur discrétion est telle qu'ils savent bien la cacher aux autres. Vous sçavez mieux que personne qu'en ce qui touche madame de Chevreuse, j'ai gardé le secret et de confesseur et de médecin en diverses choses qui lui sont assez importantes, et dont j'ai la preuve entre les mains. J'ose vous dire même que depuis l'affaire de monsieur de Chasteauneuf il m'en est tombé quelque autre aussi entre les mains, dont je ne vous ai jamais dit le détail, bien que je vous aie parlé en gros de quelque nouveau chiffre découvert. Je n'ai, graces à Dieu, pas moins de discrétion que j'ai eu par le passé, et j'aurai certainement autant de soin à l'avenir comme j'ai eu ci-devant en ce qui importera à madame de Chevreuse. Quelque passion qu'elle puisse avoir en ce qui la touche, elle est trop raisonnable pour vouloir que je choque les sentiments du Roy, et ne trouver pas bon qu'en la servant je serve l'Estat, mesme en ce qui ne lui peut porter préjudice. Cependant pour lui complaire j'ai obtenu du Roy une abolition pure et simple comme elle l'a désiré, laquelle monsieur de Chavigny vous envoie.
«Elle témoigne encore un grand étonnement de ce qu'on ne lui permet pas d'aller et de demeurer en tout lieu que bon lui semblera en France lorsque le Roy et la Reyne n'y seront pas actuellement. Auparavant qu'elle fit la promenade qu'elle a faite depuis un an, Tours estoit sa demeure. Si depuis ce temps elle a fait quelque chose qui mérite une meilleure condition, j'ai grand tort de ne travailler pas à la lui faire obtenir; mais si ses actions n'ont pas esté de cette nature, il me semble qu'elle n'a pas raison de vouloir que, contre toute règle d'une bonne politique, on augmente les graces à proportion de l'augmentation des fautes.
«Le temps et sa bonne conduite peuvent lui donner tout le contentement qu'elle désire, mais mon pouvoir n'est pas assez grand pour l'opposer à celui de la raison, ni ma volonté assez déréglée pour vouloir des choses aussi préjudiciables à l'Estat qu'inutiles à son service, bien qu'elles lui fussent agréables. Vous l'assurerez, s'il vous plaît, que j'aurai toujours une très-sincère affection à ce qui lui sera avantageux, et la conjurerai de trouver bon que tandis qu'elle sera en l'humeur où elle est, on mesure plutôt ce qui lui sera utile par le jugement de ceux qui sont ses amis et ses serviteurs, entre lesquels vous n'estes pas des moindres, que par elle-même, à l'esprit de laquelle je déférerai toujours très volontiers, lorsqu'il ne sera point prévenu de passion à son préjudice. Il ne me reste qu'à vous assurer que je suis, Monsieur, votre très-affectionné, etc.»
ADDITION DE LA MAIN DU CARDINAL. L'ORIGINAL AU SUPPLÉMENT FRANÇAIS.
«Madame, ces trois mots ne sont que pour vous dire qu'une lettre que j'escris à Monsieur Du Dorat servira de réponse à celle que j'ai reçue de vous, me contentant seulement de vous faire connoistre par ces lignes que je suis, etc. Si la demeure du Verger et d'Angers n'est pas agréable à madame de Chevreuse, on en pourra trouver quelque autre qui lui plaira davantage; mais il est impossible d'obtenir qu'elle demeure présentement à Dampierre plus de huit ou dix jours.»
LONDRES, 28 MARS 1639. Mme DE CHEVREUSE A M. LE CARDINAL [417].
«Monsieur, j'ai vu en la réponse qu'il vous a plu me faire par la lettre à monsieur Du Dorat, combien je vous suis obligée, et combien je suis malheureuse, vous trouvant avec tant de bonté pour moi et demeurant avec tant de mauvaise fortune. Je prie Dieu que mes services vous puissent un jour faire paroistre que je ne suis pas tout à fait indigne des grâces que j'ai reçues de vous, mais seulement du malheur où je suis duquel j'espérois que vos bontés me feroient voir la fin, alors que mon malheur m'en fait rencontrer la continuation, par celle de mon éloignement des lieux qui me pouvoient tirer des incommodités qu'il m'a fait souffrir, auxquelles je vous confesse, Monsieur, qu'il m'est impossible de me résoudre. Je me promets qu'il ne le vous sera pas toujours d'obtenir du Roy un repos pour moi si juste que celui que je vous ai demandé, ainsi que messieurs Du Dorat et Boispille vous le feront encore particulièrement entendre. C'est pourquoi, m'en remettant absolument à eux, je vous supplie seulement de les vouloir entendre et croire que jamais je ne serai autre que, Monsieur, votre, etc., M. de Rohan. Londres, ce 28 mars.»
NOUVELLE ABOLITION DE Mme DE CHEVREUSE [418].
«Louis, par la grâce de Dieu, Roy de France et de Navarre, à tous présents et à venir, Salut: Nous n'avons point de plus grand desplaisir, que quand nous nous voyons obligé par la nécessité du bien et repos de notre Estat, de laisser aller le cours de la justice à quelque exemple de sévérité pour maintenir nos sujets dans le devoir, et les plus qualifiés dans l'obéissance qu'ils nous doivent. Et au contraire ce nous est un grand contentement lorsque par la reconnoissance de leurs fautes ils nous donnent sujet de les oublier. Notre cousine la duchesse de Chevreuse a autant de connoissance que personne du monde de notre inclination plutôt à la clémence qu'à la rigueur; dont voulant présentement lui départir un effet particulier sur le sujet de sa dernière sortie hors du royaume, contre l'ordre et le commandement exprès qu'elle avoit de nous de demeurer en notre ville de Tours, et sa retraite et séjour en pays ennemi, et autres fautes qu'elle auroit pu commettre en conséquence contre la fidélité et service qu'elle nous doit; sçavoir faisons que nous avons favorablement reçu sa très-humble supplication, sur le sujet desdites fautes, et par ces présentes, signées de notre main, nous avons remis, quitté, pardonné et aboli, remettons, quittons, pardonnons et abolissons à notre cousine, la duchesse de Chevreuse, la faute qu'elle a commise s'en allant de notre ville de Tours contre l'exprès commandement que nous lui avions fait d'y demeurer, ensemble sortant de notre royaume sans notre congé et se retirant au pays de nos ennemis déclarés, et généralement tous autres crimes et fautes qu'elle auroit commis en conséquence contre nos intentions, service et fidélité qu'elle nous doit. Voulons et nous plaît que pour raison desdites fautes ne puisse dorénavant estre recherchée en quelque façon que ce puisse estre, imposant pour ce regard silence perpétuel à nos procureurs généraux et à leurs substituts présens et à venir, et l'avons restituée et restituons au mesme état qu'elle estoit auparavant icelles; si donnons en mandement à nos amez et féaux conseillers, les gens tenant notre cour de Parlement à Paris, que de notre présente grâce et abolition ils fassent, souffrent et laissent jouir notre dite cousine la duchesse de Chevreuse pleinement et paisiblement, et qu'ils aient à l'entériner sans que notre dite cousine soit tenue de se représenter devant eux, dont nous l'avons dispensée et dispensons de notre grâce spéciale, pleine puissance et autorité royale; car tel est notre plaisir; et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, nous avons fait mettre notre scel aux susdites propositions, etc. Donné à Saint-Germain-en-Laye, au mois de mars, l'an de grace 1630 et de notre règne le vingt-neuvième. Signé Louis, par le Roy.—Bouthillier. Et scellé en placart de cire verte: Copie collationnée par moi, Boispille.»
LONDRES, 21 AVRIL 1630. BOISPILLE A L'ABBÉ DU DORAT [419].
«Monsieur, j'arrivai ici mardi devant l'ordinaire bien las et fatigué, où j'ai rendu Madame très-contente et satisfaite des graces et bontés de Son Éminence, qui ne parle plus que de son retour, et aussi très satisfaite de vos soins et peines. Il faut pourtant tout dire: ayant voulu m'entretenir, avant de lire ses lettres, croyant que j'en sçavois la teneur, je la trouvai fort émue, même estonnée et en des appréhensions; mais après qu'elle eut lu la lettre de Son Éminence, surtout les trois lignes de sa main, ce fut un changement et une satisfaction si entière que je ne vous le sçaurois représenter. Je crois que ces trois lignes ont plus de force que toutes les abolitions en cire verte qu'elle a reçues; et en effet entre vous et moi elle en avoit grand besoin, et vous fîtes un grand coup quand vous suppliâtes son Éminence de prendre cette peine, car j'en eusse bien eu à l'assurer, après les appréhensions qu'on lui donne de Paris et novissime depuis cinq ou six jours. Elle avoit encore la lettre en sa poche qu'elle m'a fait l'honneur de me montrer, c'est-à-dire me donner part de la lecture, sans avoir voulu que j'aie sçu qui (la lettre anonyme qui précédoit celle du duc de Lorraine). En substance on lui mandoit qu'elle ne prenne aucune créance et qu'il n'y a pour elle aucune sureté. Je crois pourtant sçavoir à peu près qui c'est. Enfin, Monsieur, il faut partir et s'en aller, c'est à ceste heure que l'on en parle tout de bon, et pour cet effet il faut payer où elle doit, car de prendre de l'argent de ceux qui lui en ont offert, il y a fort longtemps qu'elle n'en a voulu prendre, ni aussi refusé sur l'incertitude de son affaire; elle ne le fera pas; c'est sur ce sujet que nous vous ferons une dépêche dans un jour ou deux; car de quitter et retourner pour cela, je ne le crois pas à propos, et crois que son Éminence ne le trouveroit pas bon; toujours elle ne pourroit partir qu'après la Quasimodo, et si la Reyne la veut retenir tant qu'elle pourra. Je remets donc le reste de cette affaire à la dépêche que je vous ferai par ordre et commandement de ma dite dame, pour vous dire que M. de Lorraine est arrivé dès le 17e à Bruxelles. Madame n'en a aucunes nouvelles, ni n'en a eu aucune depuis celles qu'elle vous dit en avoir reçues. Londres, 21 avril 1639.»
RECONNAISSANCE DE DU DORAT ET BOISPILLE COMME M. LE CARDINAL DE RICHELIEU LEUR A REMIS ES MAINS 18000 FR. POUR LES DETTES DE MME DE CHEVREUSE EN ANGLETERRE [420].
«Nous soussignez reconnoissons que monseigneur le cardinal duc
de Richelieu ayant sçu par nous le désir qu'a Mme de Chevreuse de
revenir en France pour amender le passé par l'avenir, en découvrant
tout ce qu'elle sçaura qui puisse servir au bien des affaires de Sa
Majesté, ce qu'elle ne peut faire si elle n'est secourue dans la nécessité
et incommodité où elle se trouve; son Éminence nous a mis
entre les mains la somme de dix-huit mille livres pour donner moyen
à la dite dame de s'en revenir et accomplir les bonnes intentions
qu'elle a pour le service du Roy; laquelle somme de dix-huit mille
livres nous promettons à son Éminence d'employer aux fins que dessus.
Fait à Ruel ce 19 mai 1639.
Du Dorat, Boispille.»
5 JUIN 1639, BOISPILLE A MONSEIGNEUR LE CARDINAL [421].
«Monseigneur, je puis avec vérité assurer votre Éminence qu'estant ici de retour il y a aujourd'hui huit jours, j'y ai trouvé Mme de Chevreuse m'y attendant avec de grandes impatiences pour donner ordre à ses affaires, et y régler le jour de son départ. A l'heure même que je fus arrivé, elle le fut dire à la Reyne de la Grande-Bretagne pour demander congé; laquelle, pour conclusion, lui dit qu'elle n'auroit point de vaisseau de quinze jours. Il fallut promettre ces quinze jours, et son partement fut arrêté au 13 de ce mois pour aller à Douvres s'embarquer, avec résolution même que nous avons prise ensemble, que s'il n'y avoit un vaisseau du Roy de la Grande-Bretagne, d'en prendre un marchand. Le lendemain Madame fit sa dépêche au Roy de la Grande-Bretagne, pour ses remerciements et son adieu; laquelle dépêche j'ai vue et estoit bien faite. Enfin, Monseigneur, tout est ainsi arrêté. (Elle) a écrit à monseigneur son mari lui envoyer carrosse et chevaux à Dieppe, et à M. Du Dorat l'y venir trouver. Nous sommes donc en cet état, et moi j'ai trouvé que de vérité elle doit plus que je ne croyois, ayant vécu toute cette année d'emprunt, n'ayant voulu prendre l'argent qu'on lui a offert pour s'acquitter, et a donné des pierreries en gage et nantissement. Elle vivoit contente en cette résolution jusques à hier au soir, qu'elle reçut la lettre de laquelle j'envoie copie à votre Éminence, la dite lettre écrite et signée de la main de celui qui l'écrit (la lettre du duc de Lorraine). Tout aussitôt elle me fit chercher pour me la communiquer, et je la trouvai dans des peines extrêmes et des appréhensions non imaginables. Je lui ai dit toutes les raisons que je sçais et qu'elle même connoist parfaitement pour lui ôter ces inquiétudes. Ce faisant elle m'a dit que je lui faisois plaisir, et qu'elle même croyoit plutôt le bien que le mal. Toutefois, Monseigneur, ce pauvre esprit travaille tant que cela est pitoyable. A même temps que nous eûmes lu cette lettre ensemble, il arriva compagnie, entr'autres M. Digby qui fut cause qu'elle me laissa la lettre quelque temps entre les mains, laquelle secretement je copiai promptement, et ai cru vous devoir faire promptement cette dépêche secrète et sans son sçu par cet homme exprès. Votre Éminence verra, comme celui qui écrit promet que le sieur de Ville la doit, ce semble, voir; c'est pourquoi elle a quelque opinion qu'il sera ici dans quatre ou cinq jours; qui fait que je n'ai pas voulu quitter, ni faire semblant d'avoir aucune alarme; car sans cela je fusse allé moi-même. Votre Éminence aura, s'il lui plaist, pitié de cet esprit à qui on donne tant de peines, lequel elle peut guérir et consoler si par charité et bonté elle avoit agréable de lui faire un mot de sa main, ou à moi me mander et commander ce qu'il lui plaira pour l'ôter de ces peines et inquiétudes, pour partir avec contentement: car quoiqu'elle soit entièrement résolue et assez courageusement pour son retour en France, nonobstant tous les autres écrits et avis, il lui est impossible de ne faire de grandes réflexions sur celui-ci si positif, ainsi que votre Éminence le verra. Si ce porteur est promptement dépêché, il sera ici bientôt de retour, et au temps qu'elle croit que le sieur de Ville y sera. Je détournerai plus facilement ces méchants et pernicieux conseils et avis, et votre Éminence fera une œuvre grandement charitable et officieux, et (elle) lui sera de plus en plus obligée.
«Pour les nouvelles d'ici, le Roy de la Grande-Bretagne est à présent à Neufchastel (Newcastre) avec 20,000 hommes de pied et 3,000 chevaux et 10,000 volontaires qui se doivent rendre bientôt auprès de lui. C'est ce que j'entendis dire hier au soir à la Reyne à la promenade dans le parc de Saint-James, faisant ce rapport sur des lettres qu'elle venoit de recevoir. Elle dit aussi qu'elle prenoit bon augure, parce que quelqu'un s'étoit avancé vers les Écossois avec dix hommes de cheval, et en avoit fait fuir et battre trente, dont un fut tué; dit que M. le comte de Holland estoit entré jusques à dix mille en Écosse, lui cinq ou six, et où il n'y avoit point de gens de guerre, et avoit trouvé force peuple à qui il avoit demandé s'ils vouloient estre rebelles à leur Roy, qui dirent que non, lui disant qu'ils avoient ouï dire qu'il y avoit une déclaration du Roy qui leur avoit esté envoyée, qui leur estoit favorable, mais qu'ils ne l'avoient point vue et que leurs généraux et principaux ne la leur faisoient voir, qui fit que le dit sieur de Holland, qui en avoit des copies, leur en donna. Ainsi je vis hier au soir qu'ils estoient en bonne espérance et plus contents que de coutume. L'on avoit dit ici que le général Leslie étoit tombé de cheval et fort blessé, mais j'ai appris qu'il se porte fort bien. L'on désire fort l'accommodement avec les Écossois.
«Au nom de Dieu, Monseigneur, que votre Éminence fasse quelque
chose pour assurer encore ce pauvre esprit qui est en grandes peines;
car elle est résolue à s'en aller; et lui est impossible que dans cette
résolution ces lettres et écrits ne l'inquiètent au dernier point. Cela
estant, je ne fais aucun doute qu'elle ne parte le même jour qu'elle
a résolu. Il se trouve encore des gens assez qui nourrissent ce mal.
Tout cela est pour étonner un plus fort esprit que le sien, à quoi
votre Éminence peut facilement remédier par sa bonté et charité, laquelle
je supplie très humblement me faire l'honneur de me croire.
Monseigneur, votre, etc.
Boispille.—Londres, ce 5 juin 1639.»
8 JUIN 1639. BILLET DU CARDINAL DE RICHELIEU A BOISPILLE [422].
«Monsieur Du Dorat m'ayant fait sçavoir qu'il craint qu'on n'inquiète mal à propos l'esprit de Mme de Chevreuse en lui donnant des appréhensions qui n'ont point de fondement, ce billet est pour assurer le sieur de Boispille que Mme de Chevreuse n'a rien à craindre en France, et qu'elle y aura toute sûreté, et si quelqu'un lui veut persuader le contraire, il la trompe méchamment. Ledit sieur de Boispille peut faire voir ce billet à Mme de Chevreuse; à quoi j'ajoute ces trois mots de ma main, afin qu'elle en connoisse plus tôt la vérité.»
9 AOUST 1639. BOISPILLE AU CARDINAL DE RICHELIEU [423].
«Monseigneur, j'ai ci-devant donné avis à M. Cheré de l'arrivée
de M. de Ville, et à présent je lui envoie une relation plus ample
pour faire voir à Votre Éminence, avec le mémoire que Mme de Chevreuse
vous envoye écrit et signé de la main dudit sieur de Ville.
J'ai cru nécessaire et à propos, quelque temps après que j'eus donné
à ma dite dame l'écrit que Votre Éminence me fit l'honneur de m'envoyer
d'Abbeville, d'avouer à ma dite dame que Votre Éminence savoit
le sujet qui la retenoit, afin de lui faire connoistre cette augmentation
d'obligation qu'elle vous avoit; et la voyant aussi en peine de
sçavoir comment Votre Éminence avoit pris ce soin de m'envoyer cet
écrit, joint les inquiétudes où elle estoit de la longueur du dit sieur
de Ville, crainte que cela ne vous déplût, je le fis encore pour lui faire
voir par cet exemple comme Votre Éminence continuoit à lui vouloir
autant de bien comme je l'en ai toujours assuré. Nous avons fort
contesté ledit sieur de Ville et moi en la présence de ma dite dame,
jusques à me moquer d'alléguer les morts, et que quand cela seroit
l'on y avoit remédié. J'avoue que ledit sieur de Ville m'a toujours
parlé avec tous les respects et devoirs, que je pouvois désirer de lui,
de Votre Éminence; mais il m'a dit qu'estant serviteur très humble
de ma dite dame, et croyant que partie des peines qu'elle avoit souffertes
estoient à cause de la créance que l'on avoit qu'elle penchoit
du côté de son maître, il estoit obligé de lui dire ce qu'il sçavoit. Je
lui dis que ce n'estoit pas grand'chose, et qu'il venoit un peu tard.
Après tout cela, Monseigneur, il me prit à part, dans une chambre
du logis de ma dite dame, ne l'ayant vu ailleurs, et m'entretint des
discours que Votre Éminence trouvera dans l'écrit enfermé en cette
lettre; il me le dit, comme j'ai jugé, sur la créance qu'il avoit que je
serois le porteur de cette dépêche, et me témoigna qu'il l'eût fort
désiré, ne doutant point, puisque ma dite dame a désiré qu'il lui ait
écrit et donné sous son seing son avis, qu'elle n'envoyast vous trouver.
Mais, Monseigneur, je n'ai pas cru à propos de laisser ma dite dame,
joint aussi que, quoique très-innocent, j'ai appréhendé de me trouver
devant Votre Éminence après avoir rapporté fidellement à ma dite
dame les obligations qu'elle lui a et les peines que je lui ai vu prendre
pour elle, et néanmoins n'avoir pas effectué ce que je vous ai promis
de sa part, et la voir encore arrêtée à ce qu'elle fait en continuant à
vous donner les peines qu'elle fait, que je n'ai pu souffrir sans m'emporter.
Elle l'a souffert, et m'a dit qu'elle est très assurée que Votre
Éminence ne le trouvera mauvais, vous l'écrivant, et n'aura désagréables
les supplications très-humbles qu'elle lui fait. Il est vrai,
Monseigneur, qu'ils la mettent quelques fois en telles allarmes, ces
bons conseillers, et son esprit en telles peurs et inquiétudes qu'elle
me dit, lorsque je lui donnai des exemples de la vérité du contraire,
que je lui fais grand plaisir, et que véritablement elle vous connoist
mieux qu'eux tous, que Votre Éminence est très-généreuse et bonne,
et qu'elle est assurée qu'elle ne lui manquera jamais. Au surplus,
Monseigneur, pour n'importuner Votre Éminence, je supplie M. Cheré
l'en entretenir, pour l'absence de M. de Chavigny, suivant les mémoires
que je lui adresse. Je suis donc resté ici, Monseigneur, à attendre
le retour de ce porteur, espérant que le proverbe sera, Dieu
aidant, véritable, que la patience amène tout à bien, et que Votre
Éminence me fera l'honneur de me croire, Monseigneur, son très
humble, etc.
Boispille.—A Londres, ce 9 aoust 1639.»
MÉMOIRE DE BOISPILLE AU CARDINAL DE RICHELIEU, TOUCHANT LA SURETÉ QUE DEMANDE MME DE CHEVREUSE, AVEC LA RELATION DE L'ENTREVUE DE LADITE DAME AVEC LE SIEUR DE VILLE [424].
«Madame la duchesse de Chevreuse a vu M. de Ville qui arriva à Londres le troisième jour d'aoust, et en repartit le dimanche septième dudit mois, de grand matin, allant prendre un vaisseau anglois aux Dunes. Son dessein estoit de voir le Roy de la Grande-Bretagne de la part de son maître, et l'aller trouver où il estoit vers l'Ecosse, sans Mme de Chevreuse qui l'en a empêché, n'ayant voulu absolument qu'il se soit servi de son nom pour venir voir le Roy. Il a vu seulement une fois la Reyne, présenté par monsieur le comte Dorcé (d'Orsay), à cause que ma dite dame estoit malade, et la Reyne sortant de son cabinet dans sa drinchambre pour aller en une autre où un peintre l'attendoit; il ne fut pas longtemps avec elle, et y avoit force monde; salua et prit congé en même temps.
«Son Éminence verra par le mémoire écrit et signé de la main dudit sieur de Ville, ce qu'il a dit à ladite dame, qui supplie son Éminence l'assurer par lettres que le contenu audit mémoire n'est point, ou quoi que ce soit, qu'elle est contente et satisfaite d'elle jusques à présent au moyen des protestations qu'elle lui fait de n'avoir à l'avenir autre soin que de ses intérêts, et si bien vivre avec elle qu'elle lui donnera tout sujet de contentement, et qu'estant de cette façon assurée il n'y a obstacle qu'elle ne surmonte; ou s'il ne lui veut faire cet honneur et lui écrire de la sorte, de l'en assurer par personnes de sa part avec lettres et créances.
«Lange, à qui je n'avois jamais parlé, m'a dit au logis de monseigneur de Chavigny, m'y voyant pour les affaires de ma dite dame, qu'il avoit conduit M. de Ville et qu'il lui avoit dit qu'en partant on lui avoit dit et assuré que Mme de Chevreuse seroit plustôt en France que lui de retour. Il me fit force autres discours qui ne tendoient, non plus que celui-ci, à ce que dit M. de Ville, mais au contraire.
«Enfin, ma dite dame demande à Monseigneur, que puisque l'honneur de ses bonnes graces est le seul fondement de son retour, qu'il plaise à son Éminence de lui vouloir écrire comme elle lui a autres fois fait l'honneur de le faire dans les soins qu'il prenoit de ses intérêts, se persuadant qu'elle le peut espérer, se souvenant du temps passé et des biens et honneurs qu'elle a reçus de Son Éminence, afin qu'elle puisse entrer en France avec repos.
«Au fond, ce qui la presse continuellement et lui revient en l'esprit à toutes heures, c'est l'affaire de M. de Lorraine, quoique je l'aie assurée que l'on n'en parlera plus, ainsi qu'elle lui fut proposée à Tours par MM. d'Auxerre et Du Dorat, et dont son Éminence a continué à l'excuser jusques à sa dernière dénégation, la bonté de son Éminence lui accordant sa maison de Dampierre, et que l'on ne parlerait plus de l'affaire de M. de Lorraine. Elle craint donc qu'estant de retour l'on ne lui en parle encore, non par accusation mais par conférence, ou que ses malheurs ordinaires lui suggèrent qu'on lui fasse quelques autres demandes où elle ne pourra satisfaire, et ainsi qu'elle soit privée de l'honneur des bonnes graces de son Éminence.
«Par ainsi elle le supplie très humblement, qu'attendu la confession qu'elle fit à messieurs d'Auxerre et Du Dorat des autres articles dont elle fut questionnée, il plaise à son Éminence que vu cette confession volontaire des unes et dénégation de l'autre qu'elle en a fait, il lui mande qu'il croit que l'avis qu'il en avoit eu n'est pas véritable, et ainsi que c'est une affaire morte et qu'il n'y pense plus.
«Il est vrai, et ma dite dame me l'a avoué, que ledit sieur de Ville, de la part de son maître, a fait tout son pouvoir pour lui faire rompre son traité, et pour qu'elle ne s'en retourne, l'assurant que M. de Lorraine la viendroit voir cet hiver en ce pays; mais, Dieu aidant, son Éminence y remédiera. Je sçais aussi que c'est ce qu'il n'a pu obtenir et qu'il lui en a fait reproche par une lettre qu'il lui écrit en s'embarquant.
«Elle m'a juré et protesté encore hier au soir, lui parlant des défiances que j'ai d'elle, qu'elle n'a autre désir que son retour, mais toujours qu'elle le veut et désire avec une entière assurance de l'honneur des bonnes graces de son Éminence, soit par lettre positive, ou une de créance par un homme de sa part.
«Elle se persuade et croit si fort estre bien auprès de son Éminence, qu'elle croit qu'elle ne lui doit rien refuser de ce qui est dépendant de son bien, contentement et repos, puisqu'ainsi est qu'il lui pardonne tout le passé, disant qu'il lui a souvent promis d'effectuer tellement son bien jusqu'à en vouloir prendre un soin particulier.
«Elle m'a encore commandé de faire entendre à son Éminence que si elle lui parle d'une dernière abolition, ce n'est pas qu'elle craigne le passé ni le présent, mais l'avenir; parce que son abolition, dont j'envoie copie, porte positivement qu'elle est quitte généralement de tout ce qu'elle a fait depuis sa sortie de France et en conséquence d'icelle. Elle désireroit, lorsqu'il plaira à Monseigneur, en avoir une générale aussi qui parle de toutes fautes qu'elle auroit faites tant devant sa dite sortie que depuis, soit en la forme et façon du mémoire que j'envoie ou autre façon que son Éminence jugera pour son mieux, s'y rapportant absolument. Mais si cette grande généralité de devant heurte en quelque façon son Éminence, j'ai pensé à ajouter en ce mémoire qu'elle eut agréable qu'elle fut au moins depuis son absence dernière de la cour, et depuis sa sortie de Tours. Elle dit qu'elle a un malheur qu'elle ne date jamais ses lettres, si bien que si elle avoit fait quelque chose et que ses ennemis et malheurs lui fussent encore contraires, ses lettres seroient prises pour estre du temps que l'on voudroit. Ce n'est pas pour le présent qu'elle craint cette supercherie, mais pour l'avenir. Elle dit que son Éminence lui a dit autres fois qu'elle vouloit en lui faisant plaisir la mettre entièrement à couvert, et qu'il n'y eut rien à redire. Elle proteste et promet que, cet homme de retour avec l'effet des supplications qu'elle fait à son Éminence, elle partira aussitôt.
«Il semble qu'elle s'est portée plus facilement à ce long séjour ici depuis la résolution qu'elle avoit prise d'en partir le 14 juin dernier, à cause de l'absence de son Éminence de Paris; mais elle désire à présent passionnément pouvoir arriver à Dampierre quelques jours avant l'arrivée et retour de son Éminence.—A Londres, ce 9 aoust 1639.»
30 AOUST. LE CARDINAL DE RICHELIEU A MME DE CHEVREUSE [425].
«Madame, le Roy a trouvé fort étrange qu'ayant reçu votre abolition il y a plus de trois mois telle qu'on la désiroit pour vous en ce temps et dont il vous a plu me remercier vous-même, vous ayez fait difficulté de vous en servir comme vous disiez le vouloir faire. Je vous avoue que je n'ai sçu jusques à présent attribuer le délai que vous avez pris à autre chose qu'à un dessein formé de ne revenir pas en France. L'esprit que Dieu vous a donné m'a empêché de croire que les faux avis que l'on vous a pu donner, aient esté capables de produire cet effet si préjudiciable à votre propre bien, vous croyant trop judicieuse pour ne connoistre pas que sa Majesté ne voudroit pour rien du monde vous donner une abolition pour une chose dont elle voulût par après vous rechercher en France. N'estant pas à Paris, elle n'a pu vous en envoyer une nouvelle, et quand elle y auroit esté, elle n'auroit pas jugé à propos de le faire, vu que celle que vous avez, qui a déjà été plusieurs fois changée à votre gré, ne peut estre plus grande et plus expresse.
«Cependant, parce que le sieur de Ville vous a voulu persuader qu'on vous vouloit rechercher sur le fait de M. de Lorraine, je ne crains point de vous déclarer que l'intention du Roy n'a jamais esté et n'est point telle, et que vous jouirez de votre abolition selon son plein et entier effet, sans qu'il soit plus parlé de négociations faites avec M. de Lorraine. Reste donc à vous, Madame, de faire ce que vous estimerez plus à propos pour votre avantage, que je souhaiterai toujours autant que vous même, comme estant véritablement, etc.»
LONDRES, 16 SEPTEMBRE 1639. MME DE CHEVREUSE AU CARDINAL [426].
«Monsieur, il est vrai que je vous ai remercié comme je fais encore des obligations que je vous ai des soins que vous avez pris de m'obliger auprès du Roy pour m'en faire obtenir les graces que j'en ai reçues et tiens de vous, lesquelles je vous jure ne vous avoir jamais demandées qu'avec un dessein ferme de m'en servir; mais, Monsieur, les rencontres qui se sont faites du depuis et que j'attribue à mon malheur, m'ont fait faire la dernière dépêche que je vous ai faite, afin de les vous faire sçavoir pour chercher les remèdes que la foiblesse de mon esprit ne pouvoit trouver sans votre aide. A ceci, Monsieur, je vous avoue que vous avez beaucoup remédié par la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, dont je n'ai point de remercîments capables pour en exprimer mes ressentiments. Mais, Monsieur, il faut que je vous confesse aussi que les appréhensions où l'on m'a mise ont esté telles que mon esprit n'a pas été capable de les surmonter tout d'un coup en m'en retournant présentement en France, où je vous proteste que je n'ai jamais eu ni n'ai encore autre dessein que de m'y voir dans l'honneur de votre bienveillance. Seulement il faut, s'il vous plaist, que vous pardonniez à ma foiblesse qui a besoin de quelque temps pour remettre mon esprit si étonné par tant de diverses rencontres. C'est ce que je vous supplie de ne point trouver mauvais que je fasse, en vous assurant que je crois mon bien si attaché à mon retour en France que je me hâterai tant que je pourrai pour me délivrer des inquiétudes qui travaillant mon esprit m'empêchent de m'en aller présentement. A quoi, Monsieur, j'avoue que la considération de votre éloignement du lieu ordonné pour ma demeure m'est encore un grand obstacle. J'espère qu'elle ne sera pas longue, et que, votre bonté n'ayant autre vue en cette occasion que celle de mon repos, vous trouverez bon de me donner le temps que je vous demande pour m'y mettre, lequel je rendrai le plus court que je pourrai, puisque je vous assure encore une fois que je ne le sçaurois trouver parfait qu'en vous pouvant assurer de vive voix que je suis, Monsieur, etc., Marie de Rohan.—Londres, ce 16 septembre.»
PARIS, 12 SEPTEMBRE 1839. DU DORAT AU CARDINAL [427].
«Monseigneur, j'ai jugé qu'il estoit à propos de donner avis à votre
Éminence que j'ai de vendredi dernier fait tenir la lettre qu'il lui a
plu écrire à madame de Chevreuse, à laquelle j'ai fait aussi une bien
longue lettre pleine de raisons qui la doivent porter à ce qui est du
devoir d'une dame d'honneur [428]. Mais parce que je crains que dans le
sentiment où elle est à présent, elle ne sera peut-estre pas satisfaite
ni de mes vérités ni de mes respects, j'en ai retenu copie pour faire
voir que mon intention a bien toujours esté de la servir, mais non
pas de l'offenser. Mais comme je pensois fermer ma lettre un homme
de condition m'est venu dire une nouvelle que votre Éminence ne
doit pas ignorer, qui est que le mariage d'Espagne et d'Angleterre est
conclu, et par la négociation de madame de Chevreuse. Je l'ai bien
pressé de m'en dire davantage, mais il m'a juré n'en sçavoir que le
bruit commun. J'ai ajouté cette nouvelle à ma lettre et lui ai mandé
qu'elle pouvoit s'assurer que si la chose estoit, quoiqu'elle semblât
bien cachée, ou votre Éminence la sçavoit ou la sçauroit dans peu de
jours; que c'estoit un péché qui ne se remettoit ni en ce monde ici
ni en l'autre, et que qui auroit commis ce crime feroit bien de mourir
hors son pays et ne mériteroit pas de la terre pour l'y couvrir, qu'il
ne falloit néantmoins jamais désespérer tant que votre Éminence
seroit dans cette bonne volonté dont elle a si souvent reconnu les
effets. Et quoique cette nouvelle m'ait à l'abord surpris, je ne l'ai
pourtant pas jugée impossible, quand j'ai bien songé à la soudaine
fuitte de Cousières, et sans sujet ni aucune apparence de crainte. Je
ne sçais pas si quelqu'un affectionné à l'Espagne ou à l'Angleterre
l'auroit voulu honorer de cette pénible et périlleuse commission, mais
il faudroit estre plus fin et moins innocent que moi pour deviner. Cependant,
Monseigneur, je crois qu'il faudra que cette dame s'explique
dans le 21 de ce mois, car je mande vertement à monsieur de Boispille
qu'il ne faut plus parler de retardement, et que s'il pense envoyer
ci-après des lettres, je ne les ouvrirai point, car pour elle trois ordinaires
se sont passés sans qu'elle m'ait écrit. Il y a quelques jours,
Monseigneur, que j'avois prié monsieur Cheré de communiquer à
votre Éminence un petit dialogue entre la Reyne et monsieur de Chevreuse
lorsqu'il fut à Saint-Germain conduire Monsieur le vice-légat
pour son congé. La Reyne demanda au mari des nouvelles de sa
femme. Il lui répondit sans songer qu'elle en sçavoit beaucoup plus
que lui, et lui dit d'un ton assez aigre qu'il se plaignoit bien fort de
sa Majesté de ce que seule elle empêchoit le retour de sa femme. La
Reyne, qui est toute bonne, fut surprise, et lui dit qu'il avoit grand
tort, qu'elle aimoit bien fort sa femme, qu'elle souhaiteroit bien de
la voir, mais qu'elle ne lui conseilleroit jamais de revenir. Et ayant
fait une pose, elle lui demanda si c'estoit Du Dorat qui lui avoit dit
cette nouvelle; il jura, et ne se parjura point, que je ne lui en avois
jamais parlé; car il est très véritable qu'il y a quinze mois que je n'ai
pas eu l'honneur de voir la Reyne, et m'en estimant indigne j'en ai
évité les occasions, jusques là que je n'ai jamais vu monseigneur le
Dauphin, et n'ai osé prononcer l'auguste nom de la Reyne qu'en demandant
à Dieu la conservation de sa personne; et il faudroit estre bien
abandonné de Dieu que d'avoir autre parole ni autre sentiment. Monsieur
de Chevreuse m'a fait l'honneur de me redire ceci aux mêmes
termes qu'il plaira à votre Éminence le lire, et le bon homme entreprend
d'écrire à votre Éminence pour une affaire qui lui importe de
la vie; car monsieur Prou, à qui il doit et qui fournit sa maison, le
veut prendre par famine. Il a ouï dire que votre Éminence a fait beaucoup
de bien à Madame sa femme, et que les jurisconsultes disent
que l'homme et la femme sont eadem persona; c'est pourquoi il en
espère aussi; mais les philosophes disent que nullum idem simile,
et que qui a de l'argent le garde. J'espère, Monsieur, que votre Éminence
me pardonnera d'oser tant écrire, puisque je suis, Monseigneur,
votre, etc.,
Du Dorat.—Paris, ce 12 septembre.»
PARIS, 23 SEPTEMBRE 1639. DU DORAT AU CARDINAL RICHELIEU [429].
«Monseigneur, je supplie très humblement votre Éminence par sa
bonté ordinaire me pardonner cette importunité qui sera, à mon avis,
la dernière pour ce qui regarde les malheurs et fautes de Mme de Chevreuse,
de laquelle je désespère le retour après tant de fuittes et de
remises. Il est bien vrai que si je pouvois ajouter foi aux relations du
sieur de Boispille, qui arriva ici le 20 de ce mois, il me resteroit
encore quelque petit rayon d'espérance. Il est bien vrai qu'il a de
bonnes intentions, mais il se laisse aisément piper au chant des Sirenes.
Ses raisons, ou plutôt ses conjectures, sont, qu'il a l'argent
que votre Éminence lui a fait délivrer avant que partir, que Mme de
Chevreuse ne lui a point du tout demandé; seulement lui a esté
ordonné de le garder quand elle voudra partir pour revenir en France,
ce qu'elle ne veut faire que le Roy et votre Éminence ne soyent ici,
parce qu'estant à Dampierre et si proche de Saint-Germain elle a
assez d'ennemis qui pourroient rapporter qu'elle verroit toutes les
nuits la Reyne, comme elle faisoit souvent, il y a huit ou neuf ans.
Elle a encore une autre raison qui me semble bien ridicule, qu'elle
demande du loisir pour reposer son esprit après tant de frayeurs qu'elle
dit qu'on lui a faites; elle croit, à mon avis, que les esprits doivent
faire diète comme les corps; mais c'est un régime que le sien ne doit
pas pratiquer, car il se pourroit bientôt évaporer. Le dit sieur de Boispille
à toutes ces apparences de son retour ajoute un serment qu'elle
lui a fait de revenir, qui est si exécrable que je ne l'ose écrire. Je
crois qu'estant en Espagne elle l'a tiré de quelque formalité des anciens
Grenadins; et à tout cela le bourgeois de Londres et de Paris ajoute
que la Reyne ne veut pas qu'elle revienne devant qu'elle ait parlé à
votre Éminence, et disent-ils qu'elle n'est fort bien avec vous qu'afin
de faire part à Mme de Chevreuse de votre amitié. Votre Éminence me
pardonnera, s'il lui plaît, cette liberté de lui écrire ce qu'on dit ici.
J'avois écrit à Mme de Chevreuse qu'on l'accusoit d'avoir sollicité
l'alliance d'Espagne et d'Angleterre, mais le sieur de Boispille m'a
assuré de sa part que là il ne se parle point du tout de cette alliance,
et il m'assure que l'ambassadeur ou agent d'Espagne n'est pas fort
bien dans l'esprit du Roy de la Grande-Bretagne, qui ne l'a point vu
du tout depuis son retour d'Écosse, et que même il est mal satisfait
des Espagnols qui ont fait quelque déplaisir au sieur Gerbier à
Bruxelles; et de plus il ajoute qu'il y a trois mois que la Reyne mère
n'a reçu d'argent. Hier, un homme natif d'Orléans, nommé Bernard,
que j'ai autrefois présenté au feu père Joseph, me vint trouver et me
dit qu'il y a long temps qu'il a intention de rendre un bon service au
Roy, qui est que si on lui veut donner ce qu'il faut il baillera une
rude atteinte au fort de Mardic, près de Dunquerque. Je lui voulus
doucement demander les moyens, mais il me dit que c'estoit un
secret à dire au maître. C'est un homme qui a séjourné longtemps à
Bruxelles, et qui n'en est de retour que depuis dix-huit mois. Il m'a
dit que quelque esloignée que fût votre Éminence, s'il avoit de quoi
il y pourroit bien aller, et m'a conclu que son entreprise est une pièce
d'hiver, ou pour le plus tard du mois de mars; c'est tout ce que j'ai
pu tirer. Je vous supplie très humblement trouver bon, Monseigneur,
que je vous aie écrit tout ce que dessus, et de me faire
l'honneur de croire qu'il n'y a personne au monde qui ait plus de
passion que moi à tout ce qui regarde votre service, comme y estant
bien obligé, et voulant vivre et mourir dans la qualité de, Monseigneur,
votre, etc.,
Du Dorat.—Paris, ce 23 septembre 1639.»
16 NOVEMBRE. MME DE CHEVREUSE A M. DE CHEVREUSE [430].
«J'ai vu par vos lettres et entendu par Renaut les sentiments où vous estes pour mon retour, et le désir que vous avez de sçavoir quels sont aussi les miens. A quoi bien véritablement je vous respondrai que j'ose dire qu'ils sont encore plus grands que les votres de me voir en France en estat de remédier à nos affaires et de vivre doucement avec vous et mes enfants. Mais je connois tant de péril dans la résolution d'aller là, comme je sçais les choses, que je ne la puis prendre encore, sachant que je n'y puis servir à votre avantage ni au leur si j'y suis dans la peine. Ainsi il me la faut doublement éviter pour le pouvoir un jour faire, et cependant chercher avec patience quelque bon chemin qui enfin me mène là, avec le repos d'esprit que je ne puis encore trouver. C'est ce que je vous jure que je demande tous les jours à Dieu, et que je m'étudie à trouver tant que je puis, n'ayant autre dessein au monde que celui-là et le ciel. J'estois dans la même pensée quand Boispille partit, et, croyez moi, j'ai encore appris des particularités très importantes depuis, et dont je suis absolument innocente, ainsi que peut-estre même on connoist à cette heure, et toutes fois dont toutes les apparences montrent qu'on me vouloit accuser. Je ne puis pas m'expliquer plus clairement sur cela, mais je vous proteste bien qu'aussitôt que je connoistrai, selon les lumières que Dieu me donne, m'en pouvoir retourner surement, je ne perdrai un quart d'heure sans faire ce qu'il faut pour haster mon partement d'ici. Et puisque c'est mon intérêt aussi bien que le votre, vous devez en cela vous en reposer sur la parole que je vous en donne, vivant cependant le plus doucement que vous pourrez, et espérer avec moi que Dieu ne permettra pas que ce soit long-temps sans nous voir. Réglez votre maison le mieux que vous pourrez; ce sera toujours autant de fait quand je serai là, et la mienne le sera assez aussi pour n'y apporter point de désordre. C'est celle qui est absolument à vous, M.—16 novembre.»
16 NOVEMBRE. Mme DE CHEVREUSE A M. DU DORAT [431].
«Monsieur, encore que vous me fassiez grand tort de m'accuser de tant d'injustice contre moi-même que je ne veux pas mon propre bien en ne désirant pas mon retour en France, je ne puis me fascher contre vous, d'autant que j'attribue ce soupçon à l'amitié que vous me portez, qui vous fait souhaiter mon repos que je sçais, aussi bien que vous, ne pouvoir trouver que là, et encore mieux que je ne le cherche point autre part. Puisque vous doutez encore de mes sentiments d'y aller, (je vous dis que) quand Boispille vous a dit que j'avois résolu de ne point perdre de temps pour cela, il vous a dit vrai, et le motif qui m'arrête est fondé sur des appréhensions si raisonnables de la continuation de la persécution de mon malheur ordinaire, dont j'ai encore depuis peu sujet de craindre de nouveaux effets, que je m'étonne comme on me peut accuser d'une telle extravagance comme de feindre des appréhensions imaginaires pour n'aller pas jouir des biens véritables, au lieu de me plaindre des peines où ma mauvaise fortune me réduit. Enfin je conclus que Dieu seul sçait quand il m'en tirera, et moi que j'y travaillerai après mon salut comme à ce qui m'importe le plus au monde, et que, comme il y va du tout, je n'oublierai rien dès que je verrai jour à trouver la fin de mes misères; c'est-à-dire à vous pouvoir dire de vive voix que je suis de tout mon cœur à vous, M. de Rohan.»
«Je ne nie pas que je n'ai beaucoup d'obligation à M. le cardinal; mais il faut que je lui en aie encore davantage pour n'estre plus malheureuse.—16 novembre.»
MME DE CHEVREUSE A BOISPILLE [432].
«Boispille, il est vrai que vous m'avez laissée dans un très véritable
désir de retourner en France, et je proteste que j'y suis toujours;
mais j'ai eu encore depuis votre partement tant de nouvelles connoissances
de la continuation de mon malheur dans les soupçons qu'il
donne de moi, qu'il m'est impossible de me résoudre d'aller m'exposer
à tout ce qu'il peut produire contre moi. C'est ce qui m'arrête
encore de suivre le dessein que j'avois d'écrire et envoyer selon que
je vous avois parlé, et me fait attendre quelque temps qui me donne
la lumière que je n'ai pas de pouvoir avec sûreté travailler à me procurer
le repos de me voir chez moi, qui ne sçauroit estre tel jusques
à ce que j'y puisse aller hors des inquiétudes que j'ai présentement
sujet d'avoir. Croyez que je suis si partiale pour mon retour que je
passe pardessus beaucoup de choses, mais il y en a qui m'arrêtent avec
tant de raison qu'il faut nécessairement que je demeure encore où je
suis. Je l'écris à monsieur mon mari, et l'assure que toute mon étude
est le moyen de me procurer un retour exempt des maux que j'appréhende.
A quoi j'espère qu'après tout Dieu me fera la grace de
parvenir, peut-estre plus tôt qu'il me semble. Je sens et sens trop les
incommodités qu'il y a dans cet éloignement pour ne le pas faire
finir aussitôt que j'y verrai jour. En attendant il faut plutôt souffrir
que de périr; et comme j'ai le principal intérêt j'aurai le principal
soin de me retirer le plus tôt qu'il se pourra de l'état où je suis, ne
le pouvant faire sans me mettre en un pire, où n'estant pas bonne
pour moi-même je ne le serois pour personne. C'est tout ce que je
vous puis dire pour cette heure, et que je serai toute ma vie votre
très affectionnée amie,
Marie de Rohan.»
III.—Déclaration du Roy, vérifiée en Parlement le 21 avril 1643.
«Louis, par la grace Dieu, Roy de France et de Navarre, à tous présents et à venir, salut. Depuis nostre avénement à la couronne, Dieu nous a départi si visiblement sa protection que nous ne pouvons sans admiration considérer toutes les actions passées dans le cours de notre règne, qui sont autant d'effets merveilleux de sa bonté. Dès son entrée, la foiblesse de notre âge donna sujet à quelques mauvais esprits d'en troubler le repos et la tranquillité; mais cette main divine soutint avec tant de force notre innocence et la justice de notre cause que l'on vit en mesme temps la naissance et la fin de ces pernicieux desseins, avec tant d'avantage pour nous qu'ils ne servirent qu'à affermir notre puissance. Depuis, la faction de l'hérésie s'eslevant pour former un parti dans l'Estat qui sembloit partager nostre authorité, il s'est servi de nous pour en abattre la puissance; et nous rendant l'instrument de sa gloire, il a permis que nous ayons remis l'exercice de la religion et relevé ses autels en tous les lieux où la violence de l'hérésie en avoit effacé les marques. Lorsque nous avons entrepris la protection de nos alliés, il a donné des jours si heureux à nos armes qu'à la vue de toute l'Europe, contre l'espérance de tout le monde, nous les avons rétablis en la possession de leurs États. Si les plus grandes forces des ennemis communs de cette couronne se sont ralliés contre nous, il a confondu leurs ambitieux desseins. Enfin, pour faire paroistre davantage sa bonté envers nous, il a donné bénédiction à notre mariage par la naissance de deux enfants lorsque nous l'espérions le moins. Mais si d'un costé Dieu nous a rendu le plus grand et le plus glorieux prince de l'Europe, il nous a fait aussi connoîstre que les plus grands Roys ne sont pas exempts de la condition commune des autres hommes; il a permis, au milieu de toutes ces prospérités, que nous ayons ressenti des effets de la foiblesse de la nature; et, bien que les infirmités que nous avons eues et qui nous continuent encore, ne nous donnent pas sujet de croire que le mal soit sans remède, et qu'au contraire nous ayons par toutes les apparences l'assurance de recouvrer une personne entière, néantmoins comme les événements des maladies sont incertains, et que souvent les jugements de ceux qui ont le plus d'expérience sont peu asseurés, nous avons estimé estre obligé de penser à tout ce qui seroit nécessaire pour conserver le repos et la tranquillité de nostre Estat, en cas que nous vinssions à lui manquer. Nous croyons que comme Dieu s'est servi de nous pour faire tant de graces à cette monarchie qu'il désire encore cette dernière action de prudence qui donnera la perfection à toutes les autres, si nous apportons un si bon ordre pour le gouvernement et administration de nostre couronne que Dieu nous appellant à lui rien n'en puisse affoiblir la grandeur, et que dans le bas âge de nostre successeur le gouvernement soit soutenu avec la force et la vigueur si nécessaires pour maintenir l'authorité royale; nous croyons que c'est le seul moyen de faire perdre à nos ennemis toutes les espérances de prendre avantage de notre perte: et nous ne pouvons leur opposer une plus grande force pour les obliger à un traité de paix que de faire un si bon establissement dès nostre vivant qu'il rallie et reunisse toute la maison royale pour conspirer avec un mesme esprit à maintenir l'estat présent de nostre couronne. La France a bien fait voir qu'estant unie elle est invincible, et que de son union dépend sa grandeur, comme sa ruine de sa division. Aussi les mauvais François seront retenus de former aucune entreprise, jugeant bien qu'elles ne réussiront qu'à leur confusion, lorsqu'ils verront l'authorité royale appuyée sur de si fermes fondements qu'elle ne pourra estre esbranlée. Enfin nous affermirons l'union avec nos alliés, qui est une des principales forces de la France, quand ils sçauront qu'elle sera conduite par les mesmes maximes qui en ont jusques ici si heureusement et si glorieusement maintenu la grandeur. Nos actions passées font assez juger de l'amour que nous avons eu pour la conservation de nos peuples et de leur acquérir par nos travaux une félicité accomplie. Mais la résolution que nous prenons de porter nos pensées à l'avenir, avec l'image de nostre fin et de nostre perte, est bien une marque plus assurée de nostre tendre affection envers eux, puisque l'exécution de nos dernières volontés produira ses effets en un temps où nous ne serons plus, et que nous n'aurons autre part en la félicité du règne qui viendra que la satisfaction et le contentement que nous recevrons par avance de penser au bonheur de nostre Estat. Or, pour exécuter nostre dessein, nous avons pensé que nous ne pouvions prendre une voie plus assurée que celle qu'ont tenue en pareilles occasions les Rois nos prédécesseurs. Ces sages princes ont jugé avec grand'raison que la régence du royaume, l'instruction et éducation des Rois mineurs, ne pouvoit estre déposée plus avantageusement qu'en la personne des mères des Rois, qui sont sans doute plus intéressées à la conservation de leurs personnes et de leur couronne qu'aucun autre qui y pourroit estre appelé.
«A ces causes, de notre certaine science, pleine puissance et authorité royale, nous avons ordonné et ordonnons, voulons et nous plaist qu'advenant notre déceds avant que notre fils aîné le Dauphin soit entré en la quatorzième année de son âge, ou en cas que notre dit fils le Dauphin décedast avant la majorité de notre second fils le duc d'Anjou, nostre très chère et très amée épouse et compagne, la Reyne, mère de nos dits enfants, soit régente en France, qu'elle ait l'éducation et l'instruction de nos dits enfants, avec l'administration et gouvernement du Royaume, tant et si longuement que durera la minorité de celui qui sera Roy, avec l'advis du conseil et en la forme que nous ordonnerons ci après; et en cas que ladite dame régente se trouvant après notre déceds et pendant sa régence en telle indisposition qu'elle eust sujet d'appréhender de finir ses jours avant la majorité de nos enfants, nous voulons et ordonnons qu'elle pourvoye, avec l'advis du conseil que nous ordonnerons ci-après, à la régence, gouvernement et administration de nos enfants et du Royaume, déclarant dès à présent que nous confirmons la disposition qui en sera ainsi par elle faite, comme si elle avoit esté ordonnée par nous.
«Et pour témoigner à notre très cher frère le duc d'Orléans que rien n'a esté capable de diminuer l'affection que nous avons toujours eue pour lui, nous voulons et ordonnons qu'après notre déceds il soit lieutenant général du Roy mineur en toutes les provinces du Royaume, pour exercer pendant la minorité ladite charge sous l'authorité de ladite dame Reyne régente et du conseil que nous ordonnerons ci-après, et ce nonobstant la déclaration registrée en notre cour de Parlement qui le prive de toute administration de nostre Estat, à laquelle nous avons dérogé et dérogeons par ces présentes pour ce regard. Nous nous promettons de son bon naturel qu'il honorera nos volontés par une obeissance entière, et qu'il servira l'Estat et nos enfants avec la fidélité et l'affection à laquelle sa naissance et les grâces qu'il a reçues de nous l'obligent, déclarant qu'en cas qu'il vînt à contrevenir en quelque façon que ce soit à l'establissement que nous faisons par la présente déclaration, nous voulons qu'il demeure privé de la charge de lieutenant général, défendant très expressément en ce cas à tous nos sujets de le recognoistre et de lui obeir en cette qualité.
«Nous avons tout sujet d'espérer de la vertu, de la piété et de la sage conduite de notre très chère et bien amée épouse et compagne, la Reyne, mère de nos enfants, que son administration sera heureuse et advantageuse à l'Estat. Mais comme la charge de régente est de si grand poids, sur laquelle repose le salut et la conservation entière du Royaume, et qu'il est impossible qu'elle puisse avoir la connoissance parfaite et si nécessaire pour la resolution de si grandes et si difficiles affaires, qui ne s'acquiert que par une longue expérience, nous avons jugé à propos d'establir un conseil près d'elle pour la régence, par les advis duquel et sous son authorité les grandes et importantes affaires de l'Estat soient résolues suivant la pluralité des voix. Et pour dignement composer le corps de ce conseil, nous avons estimé que nous ne pouvions faire un meilleur choix pour estre ministres de l'Estat que de nos très chers et très amés cousins le prince de Condé et le cardinal de Mazarin, et de notre très cher et féal le sieur Seguier, chancelier de France, garde des sceaux et commandeur de nos ordres, et de nos très chers et bien amés Bouthillier, surintendant de nos finances, et de Chavigny, secrétaire d'Estat et de nos commandements; voulons et ordonnons que notre très cher frère le duc d'Orléans, et en son absence nos très chers et amés cousins le prince de Condé et le cardinal de Mazarin soient chefs dudit conseil, selon l'ordre qu'ils sont ici nommés, sous l'authorité de ladite dame Reyne régente. Et comme nous croyons ne pouvoir faire un meilleur choix, nous défendons très expressement d'apporter aucun changement audit conseil en l'augmentant ou diminuant, pour quelque cause ou occasion que ce soit, entendant néantmoins que vacation advenant d'une des places dudit conseil par mort ou forfaiture, il y soit pourveu de telles personnes que ladite dame Régente jugera dignes, par l'advis dudit conseil et à la pluralité des voix, de remplir cette place, déclarant que notre volonté est que toutes les affaires de la paix et de la guerre et autres importantes à l'Estat, même celles qui regarderont la disposition de nos deniers, soient délibérées audit conseil par la pluralité des voix; comme aussi qu'il soit pourvu cas échéant aux charges de la couronne, surintendant des finances, premier président et procureur général en notre cour du parlement de Paris, charges de secrétaire d'Estat, charges de la guerre, gouvernements des places frontières, par ladite dame Régente avec l'advis dudit conseil sans lequel elle ne pourra disposer d'aucune desdites charges; et quant aux autres charges, elle en disposera avec la participation dudit conseil. Et pour les archeveschés, eveschés et abbayes estant en notre nomination, comme nous avons eu jusques à présent un soin particulier qu'ils soient conférés à des personnes de mérite et de piété singulière et qui ayent esté pendant trois ans en l'ordre de prestrise, nous croyons, après avoir reçu tant de grâces de la bonté divine, estre obligé de faire en sorte que le même ordre soit observé pour cet effect; nous désirons que ladite dame Régente, mère de nos enfants, suive aux choix qu'elle fera pour remplir les dignités ecclésiastiques l'exemple que nous lui en avons donné, et qu'elle les confère avec l'advis de notre cousin le cardinal de Mazarin auquel nous avons fait cognoistre l'affection que nous avons que Dieu soit honoré en ces choix; et comme il est obligé, par la grande dignité qu'il a dans l'Église, d'en procurer l'honneur, qui ne sçauroit estre plus élevé qu'en y mettant des personnes de piété exemplaire, nous nous assurons qu'il donnera de très fidèles conseils conformes à nos intentions. Il nous a rendu tant de preuves de sa fidélité et de son intelligence au maniement de nos plus grandes et plus importantes affaires, tant dedans que dehors notre royaume, que nous avons cru ne pouvoir confier après nous l'exécution de cet ordre à personne qui s'en acquittast plus dignement que lui.
Et d'autant que pour des grandes raisons, importantes au bien de notre service, nous avons été obligé de priver le sieur de Châteauneuf de la charge de garde des sceaux de France, et de le faire conduire au château d'Angoulesme où il a demeuré jusques à présent par nos ordres, nous voulons et entendons que ledit sieur de Châteauneuf demeure au mesme estat qu'il est de présent audit château d'Angoulesme jusques après la paix conclue et exécutée, à la charge néantmoins qu'il ne pourra lors estre mis en liberté que par l'ordre de ladite dame Régente, avec l'advis dudit conseil qui ordonnera d'un lieu pour sa retraite dans le royaume ou hors du royaume ainsi qu'il sera jugé pour le mieux. Et comme notre dessein est de prévoir tous les sujets qui pourroient en quelque sorte troubler le bon establissement que nous faisons pour conserver le repos et la tranquillité de notre Estat, la cognoissance que nous avons de la mauvaise conduite de la dame duchesse de Chevreuse, et des artifices dont elle s'est servie jusques ici pour mettre la division dans notre royaume, les factions et les intelligences qu'elle entretient au dehors avec nos ennemis nous font juger à propos de lui défendre, comme nous lui défendons, l'entrée de notre Royaume pendant la guerre; voulons même qu'après la paix conclue et exécutée, elle ne puisse retourner dans notre Royaume que par les ordres de ladite dame Reyne régente, avec l'advis dudit conseil, à la charge néantmoins qu'elle ne pourra faire sa demeure ni estre en aucun lieu proche de la cour et de ladite dame Reyne. Et quant aux autres de nos sujets de quelque qualité et condition qu'ils soient que nous avons obligé de sortir du royaume par condamnation ou autrement, nous voulons que ladite dame Reyne régente ne prenne aucune résolution pour leur retour que par l'advis dudit conseil.
«Voulons et ordonnons que notre très chère et très amée épouse et compagne la Reyne, mère de nos enfants, et notre très cher et amé frère le duc d'Orléans fassent le serment en notre présence et des princes de notre sang, et aux princes, ducs, pairs, maréchaux de France et officiers de notre couronne, de garder et observer le contenu en notre présente déclaration sans y contrevenir en quelque façon et manière que ce soit.
«Si donnons en mandement à nos amés et féaux les gens tenant notre cour de parlement de Paris, que ces présentes ils ayent à faire lire, publier et registrer pour estre inviolablement gardées et observées sans qu'il y puisse être contrevenu en quelque sorte et manière que ce soit; car tel est notre plaisir. Et affin que ce soit chose ferme et stable à toujours, nous avons signé ces présentes de notre propre main et fait ensuite signer par notre chère et très amée épouse et compagne, et par notre très cher et amé frère le duc d'Orléans, et des trois secrétaires d'Estat et de nos commandements étant de présent près de nous, et fait mettre notre scel.
«Donné à Saint Germain en Laye, au mois d'avril l'an de grâce mil six cent quarante trois, et de notre règne le trente troisième.
«Ce que dessus est ma très expresse et dernière volonté que je
veux être exécutée. Signé
Louis, Anne, Gaston.
«A côté visa, et plus bas:
Phelipeaux, Bouthillier, et de Guenegaud.
«Scellées du grand seau de cire verte, sur lacqs de soye rouge et
verte. Et encore est écrit: lues, publiées, registrées, ouï et requerant
et consentant le procureur général du Roy, pour être exécutées selon
leur forme et teneur, à Paris, en Parlement, le vingt unième avril mil
six cent quarante trois. Signé
Du Tillet.»