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Manuel de politique musulmane

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NOTE V
L’Église et la Mosquée

Apologue.

Paris possédera un institut musulman. Le Conseil municipal a fait don d’un terrain aux fils de l’Islam qui fréquentent le boulevard et à ceux qui encouragent leur entreprise. Si Kaddour ben Ghabrit, qui est le gardien du protocole marocain et qui veille encore sur beaucoup d’autres traditions, louait Allah, l’autre jour, d’avoir donné à la capitale de la France une « djemâa » pleine de munificence et de courtoisie.

J. L. Le Minaret Parisien.
Le Temps du 28 juin 1921.

… Quand Abdesséryl, roi d’Andalousie, succéda à son père, El-Hassan-El-Mostancir, les poètes de cour habiles à flatter les débuts de tout nouveau règne annoncèrent sur des rythmes ingénieux que des torrents de miel et des brises de fleurs d’oranger allaient désormais répandre leur douceur sur le royaume. El-Mostancir, à qui son fils pieux fit ordonner des funérailles magnifiques, était un musulman fervent, mais intolérant et farouche : il persécutait les chrétiens et les juifs et l’on garda le souvenir de cette fête qu’il donna un jour dans son aguedal où les parterres étaient garnis de têtes infidèles fraîchement coupées.

« Quel plaisir, disait-il, que la vue d’un pareil jardin ; il me réjouit le cœur davantage que le jasmin blanc et la rose pourpre fraîchement éclos à l’aurore ! » Abdesséryl fit succéder aux horreurs de la guerre et des massacres le charme bienfaisant de la paix. Il cultivait les lettres, aimait la lecture et l’entretien des philosophes, et des traducteurs diligents garnirent sa bibliothèque de textes issus du grec ou de l’hébreu ; il fit proclamer qu’on ne molestât point les sectateurs de la loi de Moïse et de celle de Jésus… Davantage, et cela faisait parler tout bas les vieux courtisans de son père, il tolérait près de lui les infidèles et jusque dans son intimité. Pendant que les juifs, négociants et trafiquants, ainsi soutenus, contribuaient à la prospérité du royaume, des chrétiens étaient admis à la cour dans de petits emplois. Aux ministres d’El-Mostancir qui s’étonnaient d’une bienveillance, laquelle semblait un fléchissement de sa foi musulmane, Abdesséryl répondait : « Je pratique comme vous l’aumône, le jeûne et la prière ; je n’ai point failli à la devise de ma glorieuse race : Lâ ghâliba illa’llah (il n’y a de vrai vainqueur que Dieu) ; mais je crois qu’on peut bien mieux gagner les cœurs à notre sainte religion en usant de bonté au lieu de violence, en répandant la parole et non le sang. » Peu à peu les bas officiers, médecins, interprètes chrétiens prirent de l’influence ; l’un d’eux, que son intelligence avait fait nommer l’Amin-des-Truchements, devint même le confident et le favori du prince ; il lui dit un jour : « O roi, si tu veux séduire toutes les âmes chrétiennes et en faire comme un rempart inexpugnable autour de la loi de tes pères, accomplis un grand geste de paix, édifie une église où les chrétiens de la ville et du royaume puissent venir célébrer Dieu suivant leur coutume et leurs rites ; les chrétiens désormais soutiendront ta fortune, aussi bien que les musulmans. » Et l’on vit bientôt s’élever une église non loin des mosquées consacrées, et le son des cloches se mêlait le soir à l’appel du muezzin. Bien que les tenants de l’ancien régime criassent à l’hérésie, la richesse générale et la prospérité ayant semé chez les musulmans le scepticisme et l’indifférence, la plupart se bornèrent à sourire de l’audacieuse fantaisie de leur prince ; mais le scandale, pour être plus caché, n’en fut que plus grand chez les chrétiens, car les persécutions de naguère avaient fortifié leur foi. « De quoi se mêle ce mécréant hypocrite ? dirent-ils. Nos misérables chapelles nous suffisent. Mieux vaut dire la sainte messe dans les caves, comme les martyrs au temps des Césars, que de fréquenter un temple bâti par un disciple de Mahom. A chacun sa religion. Si vraiment il nous aimait, le prince veillerait à ce qu’en dessous et malgré ses instructions ostentatoires, le bas peuple ne nous insulte et ses sbires ne nous tracassent de cent manières… »

Mais le prince ne sut rien de ce sentiment populaire. Ses conseillers chrétiens, que leurs frères depuis longtemps considéraient comme demi-renégats, lui assuraient que l’impression produite était immense chez les chrétiens, tous émus, ravis et fréquentant en foule l’église nouvelle ; à la vérité, eux seuls y faisaient apparition et, au nombre d’une ou deux douzaines, ils y créaient par leur va-et-vient et leurs simagrées l’agitation de plusieurs centaines de fidèles…

… Des années passèrent, et puis vinrent des jours sombres. Des conquérants surgis du fond du Maghreb envahirent l’Andalousie, où ils venaient, proclamaient-ils, régénérer la foi défaillante ; mais leur but était surtout de piller sans vergogne. Abdesséryl vit son palais détruit, ses beaux jardins saccagés, ses femmes en larmes enlevées par des gaillards lubriques, et lui-même, chargé de fers, fut traîné devant l’émir africain. Les seigneurs de l’Atlas n’avaient pas alors la réputation de suprême élégance qu’ils acquirent dans la suite des temps, et fort vite ; c’étaient de sauvages guerriers, vêtus de laine rêche et se nourrissant d’orge et de lait de chamelle ; leur politique du moment n’était pas d’affecter le raffinement, aux yeux des crédules, mais l’austérité. « Te voilà, chien immonde, cria le Moghrébin, renégat, abjurateur dans le fond de ton âme de la foi de tes pères ; non seulement tu as laissé la corruption et l’incroyance s’établir dans ton royaume puant, mais encore tu as facilité les manigances de ces suppôts de l’Enfer — que Dieu leur donne la lèpre ! — en osant leur élever un temple ! Ce lieu d’erreurs est en flammes, et tous ces manuscrits, sans doute couverts de formules de diableries, que mes hommes ont découvert dans un coin de ton palais, serviront à faire rôtir les méchouis de la victoire ! »

Abdesséryl, emmené en captivité en Ar’mat, y vécut des jours misérables et mourut. On raconte qu’à ses rares serviteurs fidèles qui l’avaient accompagné dans l’exil il répétait parfois avec des larmes : « J’ai voulu le bonheur de tous les habitants de mon royaume et telle est ma récompense ici-bas… Aucun de ces chrétiens que j’ai tant favorisés n’a vraiment contribué à défendre mes citadelles ; les seuls qui se firent tuer pour moi furent nombre de ces vieux croyants irréductibles, chrétiens modestes et sages, qui ne fréquentaient pas le palais et dont j’étais loin de soupçonner le dévouement secret, fait, pour une grande part, d’accoutumance secrète à ma dynastie ; quant à mes favoris, m’ayant lâchement abandonné, ils n’ont trouvé la vie sauve qu’en se réfugiant, O dérision ! dans le mausolée de mon père, leur persécuteur, lieu d’asile que l’émir épargna… Il est plus facile en ce monde de faire le mal que de tenter le bien. »

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