Manuel de politique musulmane
CHAPITRE V
LES BIENFAITS PÉRILLEUX
Caliban. — Vous m’avez appris à parler et le profit que j’en retire est de savoir comment vous maudire. La peste rouge vous tue !
Shakespeare. La Tempête.
Rien de trop, dit la sagesse antique et de toujours. Et d’autre part, ne forçons point notre talent. Accordons aux musulmans ce qu’ils demandent et satisfaisons à leurs souhaits justifiés, tacites ou exprimés. N’allons pas au delà ; cette erreur psychologique serait une source de graves fautes politiques dont nous serions les premiers punis.
Il ne faut pas donner aux musulmans ce qu’ils ne demandent pas et qui ne correspond ni à leurs besoins ni à leur mentalité.
Or, il est beaucoup de ces présents d’Artaxercès dont on veut à toute force faire cadeau aux musulmans, alors qu’ils les goûtent médiocrement. On s’étonne qu’ils ne soient pas pleins de gratitude pour ces beaux dons inutiles. On part, comme toujours, des généreux et absurdes principes révolutionnaires venus par fil spécial de Sirius à la Terre dans la substance grise de terribles logiciens. Les êtres humains sont partout identiques ; il n’y a entre eux que différences de développement ; par conséquent, la « mission civilisatrice » des peuples évolués est de faire parvenir au même point de progrès des peuples prétendus arriérés. Et le meilleur moyen d’éducation, n’est-ce point de les assimiler pour que, du contact, des habitudes et des idées, de la pratique des mêmes mœurs politiques, surgisse la fusion désirée ?
Un principe aussi erroné ne peut être qu’une source jaillissante d’erreurs. La civilisation musulmane n’est pas seulement « arriérée » par rapport à la nôtre, il n’y a pas seulement différence de degré ou de niveau, un trou dans la durée à combler hâtivement (et quand cela serait, quel danger encore de brûler tant d’étapes !) ; il y a différence de nature dans sa forme et sa contexture mêmes ; de part et d’autres, modes de représentation et catégories de l’entendement ne sont pas les mêmes.
Par suite, quels troubles profonds ne va-t-on pas apporter dans les esprits musulmans, où tout est fixé par l’usage et l’hérédité, par le milieu, l’état social, en leur imposant des façons de voir, de juger et d’agir, alors que, sauf quelques rares individualités, ils ne possèdent pas la même manière de sentir et de « réagir » que nous.
Néanmoins, nos politiciens ne sont point embarrassés de pareilles considérations, sans doute jugées réactionnaires. Ils se sont persuadé qu’il fallait, pour faire de nos protégés musulmans nos amis et presque des nationaux, les instruire. La clarté des notions acquises dissiperait les préjugés et les erreurs, faciliterait les rapprochements, éclaircirait tous malentendus. Bourde écrivait dans le Temps, en un style et avec des images dignes d’Homais, des phrases de ce genre qu’on ne peut qualifier que du nom même de leur auteur : « L’enseignement des indigènes est la clef de voûte de notre œuvre au delà de la Méditerranée. De lui dépend l’avenir de notre action elle-même, car ce n’est que par l’instruction que la France peut espérer absorber les quinze millions d’indigènes qu’elle va désormais porter logés dans ses flancs. »
Et feu Albin Rozet, qui fut un parlementaire digne et laborieux, mais dont les idées sur la politique musulmane étaient à la fois les plus absolues et les plus saugrenues (ce qui va assez bien ensemble), déclarait hautement : « Le jour où notre Nord-Africain parlera français, il sera véritablement une terre française et un prolongement de la patrie. Il sentira et pensera comme la France. »
Ainsi l’on parsema d’écoles l’Afrique du Nord. Il y a plus de vingt-cinq ans que ce mouvement de « fureur scolaire » a commencé de sévir ; on peut donc en voir les conséquences, qui ne sont pas des plus fameuses. L’expérience, d’une manière générale, a montré que plus les indigènes avaient acquis de culture française et davantage ils avaient tendance, en secret ou ouvertement, à nous haïr ; cette constatation, évidemment décevante, vient de l’avis unanime de ceux qui ont observé sans parti pris les résultats offerts. En 1886, le Gouverneur général de l’Algérie le reconnaissait loyalement. « L’expérience, disait-il, tend à démontrer que c’est quelquefois chez les indigènes à qui nous avons donné l’instruction la plus étendue que nous rencontrons le plus d’hostilité. » Et M. Louis Vignon, signalant le fait, d’ajouter : « C’est presque toujours parmi les anciens élèves des écoles primaires que l’Administration rencontre des opposants, réclameurs, fabricants de faux papiers. D’autre part, si l’on voit encore en Algérie, où les esprits sont murés, donc peu curieux d’acquérir, très peu de « jeunes », ceux-ci, loin d’être ralliés et sûrs, sont généralement ennemis. Leurs journaux en témoignaient avant la guerre ; leur abstention, à l’heure des engagements volontaires, l’a souligné. Un certain nombre d’instituteurs indigènes réclament âprement les droits électoraux, discutent l’autorité. Passez la frontière : depuis longtemps on jugeait pour ennemis la plupart des « Jeunes-Tunisiens ». Bien qu’ils fussent très prudents et très habiles, ils se sont découverts une première fois lors des incidents de 1912, une seconde fois pendant la guerre[30]. »
[30] Vignon, Un programme de politique coloniale. Plon, 1919, p. 526. « L’expérience de l’Inde avec sa classe encombrante de babous ou lettrés aurait pu nous servir ; ce ne sont que des arrivistes forcenés, écrivait lord Curzon, animés de la haine la plus profonde non seulement contre tous les Anglais, mais contre tous les Européens, prêts à toutes les destructions pour satisfaire leur vanité exaspérée… Au point de vue politique, les agitateurs professionnels sont ceux qui ont fait leurs études en Angleterre et qui s’inspirent des principes de la liberté politique sans être devenus capables d’en apercevoir les difficultés et d’en saisir les contradictions. »
Au Maroc, on a cru ou feint de croire que les interprètes et instituteurs algéro-tunisiens que nous importions seraient de bons agents de pénétration ; on fut bien obligé de se servir d’eux ; d’ailleurs, on n’avait pas l’embarras du choix ; or, on est contraint de reconnaître que, d’une manière générale, on n’a pas eu de pires ennemis de notre influence.
La « politique musulmane » fait donc, en général, fausse route dans le domaine de l’instruction. Qu’on nous entende bien : on ne prêche pas ici l’obscurantisme, mais l’instruction ne doit pas être distribuée et imposée larga manu, comme la quinine ; elle doit être offerte, mise à la disposition des musulmans, nous dirons plus, elle doit être proposée à petites doses, comme une prime et un honneur réservés à l’aristocratie indigène ; ingurgitée à tort et à travers, elle peut devenir un véritable poison pour des intelligences non adaptées ; elle suscite alors la vanité, la paresse, crée des déclassés.
Dans l’esprit de nos idéologues islamisants, l’acquisition des lumières doit pouvoir rendre les indigènes aptes à conquérir la liberté, les droits du citoyen, l’électorat ; le tout considéré comme bien suprême. On ne prend pas garde encore que nous sommes dans une société radicalement incapable, sauf au dire de quelques intrigants ou ambitieux qu’elle peut comprendre, de jouir de ces prétendus avantages. En pays d’Islam, on est toujours dans un monde patriarcal, autoritaire, ou tout au moins très hiérarchisé : il y a le popolo grasso et le popolo minuto, les chefs et ceux qui doivent obéir ; le fonctionnement de la vie sociale repose sur le principe de l’autorité détenue par certains, qui l’ont acquise par la naissance, la possession d’état résultant de quelque coup de force ou la faveur du gouvernement.
Quelle révolution énorme au sein de cette société patriarcale qui n’obéissait jusqu’alors qu’au chef de famille ou au chef de tribu que d’y imposer les principes libéraux et individualistes !
Cette limitation et ce contrôle de l’autorité, cette mise en question (qui viendra vite) de la légitimité elle-même de la domination du peuple conquérant, n’est-elle pas extrêmement nouvelle pour le peuple algérien, mis à part quelques agitateurs ? On ne peut pas mieux préparer soi-même les verges dont on se fera fouetter. Nous avions l’exemple des caricatures de suffrage universel que donnent les consultations électorales de nos vieilles colonies et de l’Inde, des scandales permanents qu’elles entraînent. A quoi bon transporter toute cette misère en Algérie qui en avait été encore exempte ?
Il fallut cependant le tenter.
Issu du sentimentalisme d’une démagogie considérément étendue hors de ses frontières métropolitaines et de l’ignorance exagérée de trop de parlementaires touchant les choses coloniales et islamiques, votée enfin par une poignée de députés présents dans une séance du matin, la loi du 4 février 1919 a, on le sait, un objet double : en premier lieu, elle donne à tous les indigènes autres que les journaliers agricoles ou les ouvriers urbains qui n’ont pas fait de service militaire la faculté d’obtenir de plein droit la naturalisation au titre de citoyen français. En un mot, les neuf dixièmes des jeunes générations peuvent obtenir ad libitum la citoyenneté française. Ce beau cadeau n’a eu aucun succès, comme on pouvait s’y attendre ; c’est une manifestation de notre libéralisme et de nos bonnes dispositions à l’égard des Algériens, un geste noble et platonique, et pas autre chose. « Vous devriez comprendre, disent les notables de la société indigène, qu’il y a incompatibilité absolue à ce qu’un musulman fidèle à sa religion recherche la qualité de citoyen français avec les obligations qui en découlent. Croyez-nous, aucun musulman digne de ce nom n’acceptera de renoncer à son statut, c’est-à-dire à sa loi religieuse, divine, qui est à prendre tout entière et telle qu’elle est. Ce dogmatisme est peut-être fait pour vous surprendre, mais notre loi est d’essence divine et votre loi française est purement humaine. Vous ne pouvez les considérer à un point de vue d’assimilation, ni en rien les comparer. » La seconde innovation de la loi de 1919 remet aux mêmes catégories d’indigènes un droit électoral très étendu. Elle appelle la moitié presque des autochtones à élire les conseils municipaux, les conseillers généraux et les délégués nommés à titre indigène.
Or, la masse de la population n’a jamais rien demandé de pareil ; elle n’en avait ni le goût ni le désir ; l’indigène, nullement préparé à exercer le droit électoral, ne l’a pas réclamé. On ne peut confondre une minorité d’agités ambitieux ou aigris, semi-intellectuels, semi-primaires, se faisant, à dessein ou non, illusion sur la mentalité de leurs coreligionnaires avec les couches profondes de la population ; celles-ci n’ont pas la notion du contrôle et la discussion de l’autorité ; elles veulent la justice du beylik, c’est-à-dire du gouvernement, mais elles n’ont jamais pensé à lui dicter leurs volontés. A ces mentalités inévoluées encore, Il fallait cependant d’urgence remettre l’arme du bulletin de vote comme récompense à l’acceptation de l’impôt du sang. L’immense majorité n’y comprit rien ; les joies du scrutin devaient être sans saveur pour des gens admettant jusqu’à ce jour sans discussion le principe d’autorité ; ils n’appréciaient que l’article 14, article qu’on fut obligé de remanier, qui permettait aux électeurs conscients l’achat d’armes à feu.
Cependant les élections eurent lieu. Elles se traduisirent d’un mot : elles furent faites contre l’administration ou, plus exactement, contre les candidats supposés patronnés par elle et contre toute francisation. Les naturalisés furent battus à Alger ; ils furent combattus comme renégats ; on les jugea trop voisins de nous, mal qualifiés par conséquent pour faire triompher les âpres revendications d’un programme qui ne tendait à rien moins qu’à amoindrir ou même à ruiner la souveraineté française. Nulle part la masse des indigènes n’a donné l’impression qu’elle appréciait un libéralisme dépassant son entendement. Le parti des Vieux-Croyants, soutenu par les familles maraboutiques, plutôt hostiles à notre influence, l’a emporté sur toute la ligne.
La concession du droit de vote aux indigènes, dans les conditions où il fut établi, avec un cadre électoral trop large, peut, en temps de crise, permettre à des agitateurs de manier dangereusement les masses indigènes, cette innovation paraît donc, dès le début de son application, ne servir en rien la cause française.
L’idée de donner une souveraineté locale aux indigènes était bonne en soi-même, mais il fallait poursuivre ce but en réorganisant les djemâas, assemblées communales des seuls indigènes, plutôt que d’élargir encore au sein des assemblées mixtes la fusion de l’élément français et de l’élément indigène.
Il ne faut pas perdre de vue que l’Algérie est directement visée par la propagande bolcheviste et le sera demain peut-être par les menées allemandes. Nombre d’indigènes des ports sont affiliés à la C. G. T., ont fait des grèves de solidarité auxquelles ils ne comprenaient rien et suivi et acclamé le drapeau rouge. Lénine s’est félicité de sa propagande en Afrique du Nord.
Le souvenir des luttes religieuses du Donatisme qui ravagèrent la Berbérie aux premiers siècles du christianisme peut être ici utilement rappelé : le succès de ce schisme provint pour une large part de la vive inclination des Berbères, en embrassant une cause d’ordre spirituel, à manifester leur impatience contre la domination romaine. Les indigènes musulmans n’entendent rien au marxisme ; aussi bien la propagande communiste, en s’adressant à eux, a moins pour objectif de commenter les théories du Capital ou de développer les phases du matérialisme historique que de préconiser la haine religieuse de l’étranger. Il s’agit d’aliéner toutes les populations musulmanes contre les gouvernements capitalistes. Dans ce but, tous les moyens sont bons, même et surtout celui d’exciter le vieux levain d’anarchie et d’insurrection de ces Berbères qui ont supporté et vu disparaître aussi, au cours de l’histoire, tant de dominations étrangères.
Or, ne sait-on pas que lorsque « les problèmes sociaux puisent leur force dans des ressentiments religieux et nationaux, ils ont une force d’explosion incomparable » ? Attendons-nous pour l’avenir à de lourdes complications, si nous abandonnons « notre vieille politique sage et prudente en Afrique du Nord pour nous jeter dans une politique d’utopie, d’idéologie et d’aventure qui pourrait coûter cher à la France et la mener à de véritables désastres ».
A ce propos, on ne saurait trop méditer ces lignes du beau rapport de Jules Ferry, rédigé en 1892 au nom de la commission d’enquête sur l’Algérie : « Assimiler l’Algérie à la métropole ; leur donner à toutes deux les mêmes institutions, le même régime administratif et pénal ; leur assurer les mêmes lois, c’est une conception simple et bien faite pour séduire l’esprit français. Elle a, dans l’histoire de notre colonie, une influence tour à tour bienfaisante et désastreuse ; même aujourd’hui, après nombre d’expériences, il faut quelque courage d’esprit pour reconnaître que les lois françaises ne se transportent pas étourdiment, qu’elles n’ont pas la vertu magique de franciser les rivages sur lesquels on les importe, que les milieux résistent et se défendent et qu’il faut, dans tout pays, que le présent compte grandement sur l’avenir. »
La France, de tout temps, fut le pays des beaux gestes qui servent d’illustration et de prétextes à des développements oratoires ; la guerre n’a pas fait changer et rien ne fera changer, en ce domaine comme en d’autres, le pays des Gaulois et de la Révolution, car un peuple, encore moins qu’un individu, ne peut échapper au fatalisme de son tempérament.
Il y a des actes politiques qui satisfont surtout ceux qui les préconisent et les mettent en œuvre et très peu ceux à qui on les destine.
De ce nombre peut se classer l’institution d’une mosquée à Paris.
Nous avons montré plus haut de quelle circonspection, de quelle adroite tolérance, de quels ménagements effectifs il était indispensable que notre domination s’inspire, en terre d’Islam, dès qu’elle aborde ce domaine de la religion, maîtresse universelle des âmes.
Mais là encore, la formule du « rien de trop » peut être opportunément invoquée. Il nous appartient d’avoir une déférence discrète et un peu distante vis-à-vis de la religion musulmane. De là à l’exalter et à nous constituer ses prosélytes, il y a quelque nuance.
Des islamomanes notoires ont donc préconisé à grands cris la création d’un institut musulman et d’une mosquée à Paris, symbole des liens de la France avec sa population musulmane ! On voit déjà tout ce que l’on peut broder de vibrant, de généreux ou tout simplement d’agréable sur ce thème. Parlementaires abusés ou publicistes gagés n’y ont point failli. N’insistons pas sur leurs développements littéraires ou oratoires d’effet facile.
Écoutons plutôt M. Louis Bertrand. Avec lui le ton change : « Pourquoi nous évertuer à organiser l’Islam qui ne l’est pas, à islamiser des gens qui n’ont pas envie de l’être, à rapprocher des fanatismes ou des ambitions politiques qui ne peuvent que se liguer contre nous ? Comme si les musulmans n’avaient pas déjà trop de tendances à s’aboucher en conciliabules séditieux, il faut que nous-mêmes leur fournissions les moyens de se voir et de comploter ensemble en toute sécurité, à notre barbe, avec l’estampille administrative !… Il faut qu’en plein Paris nous fondions ce qu’on appelle ridiculement une Université musulmane pour permettre aux gens de Boukhara, de Dehli de venir prendre langue, chez nous, avec ceux de Rabat ou de Marrakech ! Au lieu de les européaniser à Paris, nous les convions à s’y musulmaniser davantage ! Sommes-nous fous ou imbéciles ?[31] »
[31] Revue des Deux-Mondes. Sur un livre de Paul Adam, 15 juillet 1922.
Rude langage, moins fleuri, mais langage d’un esprit politique et latin.
Il est assez comique, en effet, lorsque tous les peuples musulmans se cantonnent maintenant dans des nationalismes jaloux, de nous voir pratiquer nous-mêmes, à notre manière, une sorte de panislamisme qu’ils semblent provisoirement avoir abandonné.
A la création d’une mosquée parisienne et d’un institut musulman applaudit à grands cris une poignée de jeunes Algériens plus habitués des boulevards que familiers de la tente ancestrale. Que tout ce bruit, pour ne pas dire tout ce battage, ne nous illusionne pas ! Cette initiative aura dans tout l’Islam le même effet inconsistant qu’aurait provoqué au moyen âge, dans la chrétienté, la lubie d’un Soliman élevant une église pour les chrétiens fréquentant les Échelles. Faut-il répéter encore et toujours que, pour saisir la mentalité de la masse islamique, il faut se transporter par la pensée à notre quatorzième siècle et même, quand il s’agit des Berbères, bien plus avant dans le cours de l’histoire[32] ?
Les Algériens, les Marocains, les Tunisiens sincères qu’on mènera visiter la mosquée parisienne souriront avec aménité et, comme la politesse est la grande vertu musulmane, ils nous loueront en termes subtils et choisis de notre geste gracieux et, pour nous faire plaisir, en augureront merveille.
Mais s’ils osaient parler, ils nous diraient : « Ne vous occupez pas plus de notre religion que nous ne nous occupons de la vôtre. Quand nous voyageons par le monde, loin des terres soumises spirituellement au drapeau vert du prophète, un bout de tapis où l’on s’agenouille, un instant de solitude et de recueillement nous suffisent pour satisfaire à notre devoir religieux ; nous n’avons pas besoin, comme vous, pour nous présenter devant la divinité, d’un prêtre, d’un temple et de tout un cérémonial…
« Votre intention est bonne… Mais, voyez-vous, nous préférerions passer inaperçus à Paris et qu’on n’y cherche pas, malgré nous, à nous y être agréables, plutôt que de nous voir, sur les quais d’Alger, dans les rues de Tunis ou sur les places de Casablanca, traiter impunément de « sale bicot » par le Maltais fraîchement débarqué, l’Espagnol néo-Français ou le petit juif en jaquette.
« Si vous voulez que nous nous sentions chez nous quelque part, eh bien ! que ce soit dans le pays de nos pères et non dans le tumulte de votre capitale, où nous serons toujours, certes, des passants amis, mais enfin des passants. »