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Mémoires d'Outre-Tombe, Tome 3

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Monsieur le baron,

On s'est permis de publier des morceaux d'un ouvrage dont je suis l'auteur. Je juge, d'après cela, que vous ne verrez aucun inconvénient à laisser paraître l'ouvrage tout entier.

Je vous demande donc, Monsieur le baron, l'autorisation nécessaire pour mettre sous presse, chez Le Normant, mon ouvrage intitulé: Essai historique, politique et moral sur les Révolutions anciennes et modernes, considérées dans leurs rapports avec la Révolution française. Je n'y changerai pas un seul mot; j'y ajouterai pour toute préface celle du Génie du christianisme.

J'ai l'honneur d'être, etc.

Paris, ce 17 novembre 1812.

Dès le lendemain, M. de Pommereul lui répondait:

Paris, ce 18 novembre 1812.

Je mettrai mardi prochain, Monsieur, votre demande sous les yeux du ministre de l'Intérieur; mais votre ouvrage, fait en 1797, est bien peu convenable au temps présent, et s'il devait paraître aujourd'hui pour la première fois, je doute que ce pût être avec l'assentiment de l'autorité. On vous attaque sur cette production; nous ne ressemblons point aux journalistes qui admettent l'attaque et repoussent la défense, et la vôtre ne trouvera pour paraître aucun obstacle à la direction de la librairie. J'aurai soin, Monsieur, de vous informer de la décision du ministre sur votre demande de réimpression.

Agréez, je vous prie, Monsieur, la haute considération avec laquelle j'ai l'honneur d'être, etc.

Le 24 novembre, Chateaubriand reçut de M. de Pommereul cette autre lettre:

Paris, le 24 novembre 1812.

J'ai mis aujourd'hui, Monsieur, sous les yeux du ministre de l'Intérieur, la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 17 courant, et la réponse que je vous ai faite le 18. Son Excellence a décidé que l'ouvrage que vous me demandez à réimprimer, puisqu'il n'a point été publié en France, doit être soumis aux formalités prescrites par les décrets impériaux concernant la librairie. En conséquence. Monsieur, vous devez, vous ou votre imprimeur, faire à la direction générale de l'imprimerie la déclaration de vouloir l'imprimer, et y déposer en même temps l'édition dont vous demandez la réimpression, afin qu'elle puisse passer à la censure.

Agréez, Monsieur, etc.

Baron de Pommereul.

Il était clair que la censure aurait enlevé tout ce que l'auteur disait à l'éloge de Louis XVI, des Bourbons, de la vieille monarchie, et toutes ses réclamations en faveur de la liberté. Ainsi dépouillé de tout ce qui servait de contre-poids à ses erreurs, l'extrait se serait réduit à un extrait à peu près semblable à celui dont Chateaubriand se plaignait. Force lui était donc de renoncer à le réimprimer.

Si la censure ne lui permettait pas de rééditer son livre, du moins ne s'opposait-elle pas à ce que ses amis prissent sa défense dans les journaux. Ces querelles avaient le grand mérite, aux yeux du gouvernement, d'occuper les esprits, de les détourner des affaires publiques. Cette petite guerre faisait oublier la grande. C'était l'heure où nos soldats tombaient chaque jour par milliers dans les plaines de la Russie. Les bulletins de la Grande-Armée dissimulaient soigneusement ces horribles désastres, à ce point, que la veille même du jour où il devint nécessaire aux projets de Napoléon de faire connaître enfin la vérité, la veille de cette sombre journée du 18 décembre 1812, où éclata comme un coup de foudre la publication du vingt-neuvième bulletin, il était permis de croire que notre armée, toujours victorieuse, n'avait encore éprouvé que des pertes insignifiantes et que seule l'armée russe était détruite. Les journaux, tous dans la main de la police, avaient mission d'entretenir le public dans sa quiétude et son ignorance. Paris trompé ne s'occupait que de querelles littéraires et théâtrales, des attaques de Geoffroy contre Talma ou de celles de Charles His et de ses compères contre Chateaubriand.

Ce dernier avait eu d'abord l'idée de répondre à la brochure de Charles His. Il voulait réfuter lui-même un libelle où la loyauté de son caractère et la sincérité de ses sentiments étaient mises en doute. Ses amis, convaincus que sa rentrée en scène aurait pour effet de lui attirer de nouvelles persécutions, obtinrent, non sans peine, qu'il garderait le silence. Seulement, il fut convenu qu'un jeune écrivain, qui venait de débuter, non sans éclat, dans le Journal de l'Empire, M. Damaze de Raymond, se chargerait du soin de sa défense.

Damaze de Raymond s'acquitta en effet de ce soin avec un plein succès. Sa brochure était intitulée: Réponse aux attaques dirigées contre M. de Chateaubriand. Un des meilleurs critiques du temps, M. Dussault, la qualifia, dans le Journal de l'Empire, de «réfutation victorieuse», «complète», d'«écrit désormais inséparable des autres livres sortis de la plume brillante» de M. de Chateaubriand.—Les adversaires de cet écrivain, disait encore Dussault, ne seraient-ils que des amis déguisés? Et l'auteur de la dernière brochure n'a-t-il cherché, par une attaque si maladroite, qu'à lui préparer un nouveau triomphe? M. Damaze de Raymond entre en part de cette gloire nouvelle. La voilà donc vidée, cette grande querelle, suscitée à l'un des écrivains qui font le plus d'honneur aux temps actuels, comme pour le punir de sa gloire.—Depuis quelque temps, il n'est question que de M. de Chateaubriand: articles plus ou moins violents, pamphlets plus ou moins scientifiques, brochures amères, pasquinades burlesques, tout a été mis en usage pour l'attaquer. Jamais auteur ne fut en butte à plus de traits. Je ne sais pas à quel point il peut aimer à occuper la renommée, mais il me semble que ses adversaires, ou plutôt ses ennemis, se sont comportés comme s'ils eussent craint qu'elle ne l'oubliât trop. Sans cesse, ils ont replacé son nom sous les yeux du public, et rappelé, même en dépit d'eux, ses titres à la gloire; on dirait qu'ils sont fâchés que M. de Chateaubriand laisse un moment se reposer sa plume éloquente, et qu'ils veulent suppléer par le fracas de leurs colères aux intervalles de silence que garde cet écrivain...»

Dussault avait raison de dire que la brochure de Damaze de Raymond était désormais inséparable des autres écrits de l'auteur des Martyrs. Si cette brochure, en effet, n'est pas dans toutes ses parties l'œuvre de Chateaubriand, elle a été faite, à n'en pas douter, sur des notes de lui. M. Damaze n'est pas seulement en mesure de citer le livre de l'Essai, devenu pourtant comme introuvable; il cite aussi des morceaux du discours non prononcé à l'Académie et resté manuscrit. Il y a de plus, dans sa Réponse, des traits qui, par la vigueur et l'éclat, rappellent la touche du Maître. Exemple:

Comme il rapporte à la mort de sa mère son retour aux idées religieuses, on a remué la tombe de Mme de Chateaubriand, et l'on a prétendu qu'elle était morte avant la publication du livre dont M. de Chateaubriand faisait le sacrifice à ses volontés dernières. Mais il est constant que l'Essai a été publié en 1797, et que Mme de Chateaubriand est morte en 1798, comme le prouve surabondamment son extrait mortuaire. Je tiens ce fait, d'ailleurs facile à vérifier, de personnes dont la véracité ne peut être soupçonnée. Quelle imputation que celle qui forcerait un honnête homme à descendre à de pareilles explications et qui obligerait un fils à produire l'acte de décès de sa mère!

Or, ce trait se retrouvera plus tard dans les Mémoires d'Outre-Tombe: «Quelle critique que celle qui force un honnête homme à entrer dans de pareils détails, qui oblige un fils à produire l'extrait mortuaire de sa mère!»

Damaze de Raymond eut à ce moment son heure de gloire. Il venait d'inscrire son nom au bas de celui de Chateaubriand. Peut-être était-il appelé à conquérir plus tard une renommée durable. Un malheureux événement arrêta soudain les espérances que ses brillants débuts avaient fait concevoir. Le 27 février 1813, il périt en duel à la suite d'une querelle de jeu.

TABLE DES MATIÈRES

DEUXIÈME PARTIE

LIVRE V

Années 1807, 1808, 1809 et 1810. — Article du Mercure du mois de juillet 1807. — J'achète la Vallée-aux-Loups et je m'y retire. — Les Martyrs. — Armand de Chateaubriand. — Années 1811, 1812, 1813, 1814. — Publication de l'Itinéraire. — Lettre du cardinal de Bausset. — Mort de Chénier. — Je suis reçu membre de l'Institut. — Affaire de mon discours. — Prix décennaux. — L'Essai sur les Révolutions. — Les Natchez. 1

TROISIÈME PARTIE

LIVRE PREMIER

De Bonaparte. — Bonaparte. — Sa famille. — Branche particulière des Bonaparte de la Corse. — Naissance et enfance de Bonaparte. — La Corse de Bonaparte. — Paoli. — Deux pamphlets. — Brevet de capitaine. — Toulon. — Journées de Vendémiaire. — Suite. — Campagnes d'Italie. — Congrès de Rastadt. — Retour de Napoléon en France. — Napoléon est nommé chef de l'armée dite d'Angleterre. — Il part pour l'expédition d'Égypte. — Expédition d'Égypte. — Malte. — Bataille des Pyramides. — Le Caire. — Napoléon dans la grande pyramide. — Suez. — Opinion de l'armée. — Campagne de Syrie. — Retour en Égypte. — Conquête de la Haute-Égypte. — Bataille d'Aboukir. — Billets et lettres de Napoléon. — Il repasse en France. — Dix-huit brumaire. — Deuxième coalition. — Position de la France au retour de Bonaparte de la campagne d'Égypte. — Consulat. — Deuxième campagne d'Italie. — Victoire de Marengo. — Victoire de Hohenlinden. — Paix de Lunéville. — Paix d'Amiens. — Rupture du traité. — Bonaparte élevé à l'empire. — Empire. — Sacre. — Royaume d'Italie. — Invasion de l'Allemagne. — Austerlitz. — Traité de paix de Presbourg. — Le Sanhédrin. — Quatrième coalition. — Campagne de Prusse. — Décret de Berlin. — Guerre en Pologne contre la Russie. Tilsit. — Projet de Partage du monde entre Napoléon et Alexandre. — Paix. — Guerre d'Espagne. — Erfurt. — Apparition de Wellington. — Pie VII. — Réunion des États romains à la France. — Protestation du Souverain Pontife. — Il est enlevé de Rome. — Cinquième coalition. — Prise de Vienne. — Bataille d'Essling. — Bataille de Wagram. — Paix signée dans le palais de l'Empereur d'Autriche. — Divorce. — Napoléon épouse Marie-Louise. — Naissance du roi de Rome. 63

LIVRE II

Projets et préparatifs de la guerre de Russie. — Embarras de Napoléon. — Réunion à Dresde. — Bonaparte passe en revue son armée et arrive au bord du Niémen. — Invasion de la Russie. — Wilna. — Le Sénateur polonais Wibicki. — Le parlementaire russe Balachof. — Smolensk. — Murat. — Le fils de Platof. — Retraite des Russes. — Le Borysthène. — Obsession de Bonaparte. — Kutuzof succède à Barclay dans le commandement de l'armée russe. — Bataille de la Moskowa ou de Borodino. — Bulletin. — Aspect du champ de bataille. — Extrait du dix-huitième bulletin de la Grande-Armée. — Marche en avant des Français. — Rostopschin. — Bonaparte au Mont-du-Salut. — Vue de Moscou. — Entrée de Napoléon au Kremlin. — Incendie de Moscou. — Bonaparte gagne avec peine Petrowski. — Écriteau de Rostopschin. — Séjour sur les ruines de Moscou. — Occupations de Bonaparte. — Retraite. — Smolensk. — Suite de la retraite. — Passage de la Bérésina. — Jugement sur la campagne de Russie. — Dernier bulletin de la Grande-Armée. — Retour de Bonaparte à Paris. — Harangue du Sénat. — Malheurs de la France. — Joies forcées. — Séjour à ma vallée. — Réveil de la légitimité. — Le pape à Fontainebleau. — Défections. — Mort de Lagrange et de Delille. — Batailles de Lützen, de Bautzen et de Dresde. — Revers en Espagne. — Campagne de Saxe ou des poètes. — Bataille de Leipzick. — Retour de Bonaparte à Paris. — Traité de Valençay. — Le corps législatif convoqué, puis ajourné. — Les alliés passent le Rhin. — Colère de Bonaparte. — Premier jour de l'an 1814. — Notes qui devinrent la brochure: De Bonaparte et des Bourbons. — Je prends un appartement rue de Rivoli. — Admirable campagne de France, 1814. — Je commence à imprimer ma brochure. — Une note de Madame de Chateaubriand. — La guerre établie aux barrières de Paris. — Vue de Paris. — Combat de Belleville. — Fuite de Marie-Louise et de la régence. — M. de Talleyrand reste à Paris. — Proclamation du prince généralissime Schwarzenberg. — Discours d'Alexandre. — Capitulation de Paris. 255

LIVRE III

Entrée des alliés dans Paris. — Bonaparte à Fontainebleau. — La régence à Blois. — Publication de ma brochure: De Bonaparte et des Bourbons. — Le Sénat rend le décret de déchéance. — Hôtel de la rue Saint-Florentin. — M. de Talleyrand. — Adresses du gouvernement provisoire. — Constitution proposée par le Sénat. — Arrivée du comte d'Artois. — Abdication de Bonaparte à Fontainebleau. — Itinéraire de Napoléon à l'île d'Elbe. — Louis XVIII à Compiègne. — Son entrée à Paris. — La vieille garde. — Faute irréparable. — Déclaration de Saint-Ouen. — Traité de Paris. — La Charte. — Départ des alliés. — Première année de la Restauration. — Est-ce aux royalistes qu'il faut s'en prendre de la Restauration? — Premier ministère. — Je publie les Réflexions politiques. — Madame la duchesse de Duras. — Je suis nommé ambassadeur en Suède. — Exhumation des restes de Louis XVI. — Premier janvier à Saint-Denis. 387

LIVRE IV

L'île d'Elbe. — Commencement des Cent-Jours. — Retour de l'île d'Elbe. — Torpeur de la légitimité. — Article de Benjamin Constant. — Ordre du jour du maréchal Soult. — Séance royale. — Pétition de l'école de droit à la Chambre des Députés. — Projet de défense de Paris. — Fuite du roi. — Je pars avec madame de Chateaubriand. — Embarras de la route. — Le duc d'Orléans et le prince de Condé. — Tournai. — Bruxelles. — Souvenirs. — Le duc de Richelieu. — Le roi à Gand m'appelle auprès de lui. — Les Cent-Jours à Gand. — Suite des Cent-Jours à Gand. — Affaires à Vienne. 465

APPENDICE

I. L'article du Mercure. 531

II. Les Martyrs et M. Guizot. 535

III. Armand de Chateaubriand. 543

IV. Le discours de réception à l'Académie. 547

V. Les prix décennaux et le Génie du christianisme. 562

VI. Petite guerre pendant la campagne de Russie. 569

ERRATA ET ADDENDA

Page 99, ligne 8, au lieu de Mottedo, lire Moltedo, et ajouter la note suivante:

Jean-André-Antoine Moltedo, né à Vico (Corse) le 14 août 1751, grand-vicaire de l'évêque constitutionnel de la Corse, membre de l'administration de ce département, député de la Corse à la Convention nationale, puis au Conseil des Cinq-Cents, consul de France à Smyrne (1797-1798), directeur des Droits-réunis dans les Alpes-Maritimes (1804), conseiller à la Cour impériale d'Ajaccio (1811-1815), mort à Vico le 26 août 1829.

Page 389, note 1. Cette note doit être complétée ainsi:

Le roi de Prusse occupa l'hôtel de Villeroi, rue de Bourbon (aujourd'hui rue de Lille); les princes Henri et Guillaume de Prusse descendirent à l'hôtel de Salm, quai d'Orsay. Cet hôtel était, depuis 1802, le palais de la Légion d'honneur. Le prince de Schwarzenberg qui, au moment de l'entrée des Alliés à Paris, représentait l'empereur d'Autriche absent, était logé dans l'hôtel qui lui appartenait rue du Mont-Blanc (aujourd'hui rue de la Chaussée-d'Antin). L'empereur d'Autriche n'arriva que le 16 avril; il habita l'ancien hôtel Charost, rue du faubourg Saint-Honoré. Cet hôtel était contigu à l'Élysée-Bourbon.

Paris. (France).—Imp. Paul Dupont (Cl.).—7.8.1925

Notes

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