Mémoires du maréchal Marmont, duc de Raguse (3/9)
LE MAJOR GÉNÉRAL À MARMONT
Schoenbrunn, le 29 juin 1809, midi.
«L'Empereur, monsieur le duc, a reçu votre lettre du 27 au soir, par laquelle vous lui annoncez que le général Giulay a fait sa retraite sur Rachesbourg, et que vous marchez, le lendemain, 28, à sa poursuite. Sa Majesté me charge de vous dire qu'elle est mécontente de ce que vous ayez perdu une seule heure pour marcher à sa poursuite, ce qui vous aurait mis dans le cas d'attaquer au moins son arrière-garde. Il parait que vous ne vous êtes mis en mouvement que vingt-quatre heures après qu'il a effectué sa retraite, et c'est vous mettre hors de la main de l'Empereur, sans avoir l'espoir d'entamer ce corps ennemi.
«Vous ne devez pas ignorer, général, que le destin des armées et celui des plus grands événements dépend d'une heure. Ainsi vous manquez le corps du général Giulay comme vous manquez celui du général Chasteler.
«L'Empereur, général, ordonne que vous dirigiez sur-le-champ le général Broussier, avec les troupes à ses ordres, par la route la plus courte sur Vienne. L'intention de Sa Majesté est que, avec votre corps d'armée, vous reveniez à grandes journées sur Vienne, aussitôt que vous aurez éloigné le corps du général Giulay. Si vous pouvez prendre le château de Gratz, vous y laisserez une garnison, ce qui serait fort avantageux pour maintenir nos communications. Si vous ne le pouvez pas, vous laisserez une arrière-garde pour bloquer le château, et vous donnerez pour instruction au commandant de n'évacuer la ville qu'un ou deux jours après votre départ. Il faut, général, que vous marchiez à grandes journées, afin d'arriver à Vienne dans quatre à cinq jours; il est essentiel que vous soyez rendu à six lieues de cette ville le 4 juillet. Vous aurez soin de faire toutes les démonstrations comme si vous marchiez en avant, afin d'en imposer le plus que vous pourrez à l'ennemi. Dans cet intervalle, vous ferez vos efforts pour prendre le château de Gratz. Vous aurez soin de prévenir le général Garrau, à Bruck, de votre mouvement, afin qu'il protége autant qu'il pourra la route de Bruck à Klagenfurth. Je n'ai pas besoin de vous recommander de faire évacuer les hôpitaux de Gratz sur Bruck, et de ne laisser dans cette ville aucun embarras.
«Le vice-roi a envoyé le général Macdonald pour couper au général Chasteler la route entre Wesperin et Bude. Il paraît que, quant à Giulay, il se dirige sur la Croatie.
«La ligne de communication de votre corps d'armée doit être sur Vienne, et tout ce que vous aurez laissé sur vos derrières doit rejoindre Klagenfurth ou Vienne, de manière que, si l'ennemi s'emparait de la Styrie et de la Carniole, vous ne puissiez rien y perdre. Klagenfurth et Laybach conserveront seuls des garnisons.»
LE MAJOR GÉNÉRAL À MARMONT.
«À l'île Napoléon, le 3 juillet 1809,
huit heures du matin.
«Vous devez, monsieur le général Marmont, être le 5 au matin dans l'île Napoléon; vous laisserez une arrière-garde de cavalerie et quelques hommes d'infanterie à Neustadt; vous ordonnerez au commandant de cette arrière-garde de pousser des partis sur le Simering, et vous lui direz qu'il doit se mettre en communication avec le général Garrau à Bruck. Il devra également pousser des partis sur OEdenbourg, afin de pouvoir être instruit de ce qu'il y aurait d'important.
«Ayez soin, monsieur le général Marmont, de m'envoyer un aide de camp à l'avance, pour me prévenir où vous serez.»
ORDRE.
«Du camp de l'île Napoléon, le 2 juillet 1809,
onze heures du soir.
TITRE PREMIER.
1.
«Le 4, à l'heure que nous désignerons, le général Oudinot fera embarquer un général de brigade et quatre ou cinq bataillons de voltigeurs, formant quinze cents hommes, au lieu qui sera indiqué, par le capitaine de vaisseau Baste pour s'emparer du Hausl-Grund. Le capitaine de vaisseau Baste, avec huit bateaux armés, marchera devant et protégera leur débarquement par une vive canonnade en enfilant les batteries ennemies, qui, en même temps, seront canonnées par nos batteries.
2.
«Le général Bertrand donnera des ordres pour que le 5, à six heures du soir, il y ait quatre bacs près du lieu où l'on doit jeter le pont de l'embouchure, avec des marins et agrès nécessaires à la navigation, et avec un treuil et une cinquenelle. Aussitôt que le débarquement qui doit avoir lieu sera exécuté, conformément à l'article 1er, le général Oudinot fera placer huit cents hommes dans ces quatre bacs et les dirigera pour débarquer au pied de la batterie ennemie. Au même moment, une cinquenelle sera jetée; ces quatre bacs s'y attacheront et serviront à transporter des troupes à chaque voyage qu'ils feront en se servant de cette cinquenelle.
3.
«Le capitaine des pontonniers fera établir son pont, qu'il devra construire en deux heures, et, immédiatement après, le général Oudinot débouchera avec son corps, chassera l'ennemi de tous les bois, viendra porter une de ses divisions jusqu'à la Maison-Blanche, une autre sur Mulheiten.
«Le chemin le long et le plus près de la rivière sera mis en état pour pouvoir être la communication de l'armée, si cela était nécessaire. On travaillera à une tête pont, et, le plus tôt possible, le général Oudinot établira sa droite à Mulheiten, sa gauche à la Maison-Blanche, ayant trois ponts sur le petit canal. La plus grande partie de sa cavalerie sera sur Mulheiten. Le général Oudinot aura avec lui de quoi jeter deux ponts sur haquets de dix toises chacun. Dans cette position, il recevra des ordres. L'Empereur sera dans l'île Alexandre.
4.
«Le capitaine de vaisseau Baste s'emparera de l'île Rohr-Tsith et enverra des barques pour flanquer la droite. Deux pièces de canon seront débarquées à terre pour faire une batterie qui battra le Zanet et flanquera toute la droite. Il fera soutenir cette batterie par deux cents marins armés de fusils.
TITRE II.
5.
«Un quart d'heure après que la canonnade aura commencé sur la droite, et après que la fusillade se sera fait entendre, le duc de Rivoli fera partir les cinq bacs, portant dix pièces de canon, avec mille coups à tirer, dans des caissons, et quinze cents hommes d'infanterie, lesquels doubleront l'île Alexandre, et iront débarquer le plus haut qu'ils pourront. Une cinquenelle sera jetée; les bacs y seront attachés, et serviront à porter des hommes, des chevaux, des caissons et des canons.
6.
«Aussitôt que les bacs auront doublé l'île Alexandre, le pont d'une pièce descendra jusqu'à soixante toises de l'île Alexandre, et là sera abattu et placé. Aussitôt tout le reste du corps du duc de Rivoli passera sur ce pont.
7.
«Immédiatement après que le pont d'une pièce sera descendu, les radeaux fileront, et un pont sera construit vis-à-vis l'île Alexandre. Le duc d'Auerstädt sera chargé de faire construire ce pont, ses troupes devant passer dessus.
8.
«Au même moment, le pont, sur pontons, sera jeté par-dessus l'îlot, vis-à-vis l'île Alexandre, et aussitôt l'artillerie du duc de Rivoli et sa cavalerie passeront sur ce pont.
9.
«Le duc de Rivoli se placera selon les circonstances; il se tiendra sous la protection des batteries de l'île Alexandre jusqu'à ce que le général Oudinot ait pris le bois et que les ponts soient faits. Le duc de Rivoli fera la gauche de l'armée. La première position sera sous la protection des batteries de l'île Alexandre; la deuxième, sous la protection des batteries de l'île Lannes; la troisième, dans Enzersdorf.
10.
«Le corps du prince de Ponte-Corvo, la garde et l'armée du prince Eugène, passeront immédiatement après sur les différents ponts et formeront la deuxième ligne. L'Empereur leur désignera, au moment, les ponts sur lesquels ils doivent passer.
11.
«L'armée doit être placée de la manière suivante le plus tôt possible:
«Trois corps eu première ligne: celui du duc de Rivoli à la gauche, celui du général Oudinot au centre, celui du duc d'Auerstädt à la droite.
«En deuxième ligne, le corps du prince de Ponte-Corvo à la gauche, la garde; le corps du duc de Raguse et la division Wrede au centre; l'armée du prince Eugène à la droite. Chaque corps d'armée sera placé, une division faisant la gauche, une le centre et une la droite.
12.
«Le 5, à la pointe du jour, toutes les divisions seront sous les armes, chacune ayant son artillerie, l'artillerie de régiment, dans l'intervalle des bataillons.
13.
«Les cuirassiers, en réserve sous les ordres du duc d'Istrie, formeront la troisième ligne.
14.
«En général, on fera la manoeuvre par la droite, en pivotant sur Enzersdorf, pour envelopper tout le système de l'ennemi.
TITRE III.
15.
«Le duc de Rivoli aura ses quatre divisions d'infanterie; il laissera un régiment badois aux ordres du général Reynier. Sa cavalerie sera commandée par le général Lasalle, qui ne recevra d'ordre que du duc, et, qui aura sous lui les brigades Piré, Marulaz et Bruyère.
16.
«Le général Oudinot aura ses trois divisions d'infanterie et la brigade de cavalerie légère du général Colbert. Il laissera deux bataillons, formés des compagnies du centre, aux ordres du général Reynier.
17.
«Le corps du duc d'Auerstädt sera composé de ses quatre divisions d'infanterie, de la brigade de cavalerie du général Pajol et de celle du général Jacquinot, sous les ordres du général Montbrun; plus, d'une des deux divisions de dragons de l'armée d'Italie, celle du général Pully ou du général Grouchy, ce qui fera neuf régiments de cavalerie.
18.
«Le prince de Ponte-Corvo aura son corps.
19.
«La garde sera augmentée du corps du duc de Raguse et de la division Wrede.
20.
«L'armée d'Italie formera le corps du prince Eugène.
21.
«Les cuirassiers formeront une réserve à part, sous les ordres du duc d'Istrie.
TITRE IV.
De la défense de l'île.
22.
«Le général de division Reynier sera chargé du commandement de l'île; il prendra le service le 4 à midi; il donnera le commandement des différentes îles et postes détachés aux officiers d'artillerie les plus anciens ou les plus propres employés dans les batteries desdites îles.
23.
«Le général Reynier aura sous ses ordres:
«1° Un régiment de Bade que fournit le corps du duc de Rivoli;
«2° Les deux bataillons que fournit le corps du général Oudinot;
«3° Deux bataillons saxons que fournira le corps du prince de Ponte-Corvo;
«4° Le bataillon du prince de Neufchâtel.
«Le bataillon de Neufchâtel et un bataillon badois seront placés dans la tête de pont, dans laquelle il y aura six pièces de canon en batterie. Ce mouvement ne se fera que pendant la nuit du 4 au 5.
«L'autre bataillon badois mettra vingt-cinq hommes dans l'ile Saint-Hilaire, vingt-cinq hommes dans l'île Masséna, deux cents hommes dans l'île du Moulin, vingt-cinq dans l'île Lannes, vingt-cinq dans l'île Espagne et vingt-cinq dans l'île Alexandre, ce qui fera trois cent vingt-cinq hommes. Le reste sera en réserve pour se porter partout où il sera nécessaire.
«Des deux bataillons du corps du général Oudinot, un sera placé à la tête de son pont, et l'autre à la tête des grands ponts du Danube.
«Des deux bataillons saxons, l'un sera placé en réserve; l'autre aux grands ponts du Danube.
24.
«Toutes les batteries des îles et la garde de tous les ponts seront sous les ordres du général Reynier. Il fera exécuter les changements et fera transporter les pièces où les circonstances, pendant la bataille, pourront les rendre nécessaires.
TITRE V.
Des bâtiments de guerre.
25.
«Il y aura deux bâtiments de guerre armés de pièces de canon en station entre Stadelau et la rive gauche, tant pour inquiéter l'ennemi que pour prévenir de ce qui viendrait à leur connaissance et des entreprises que l'ennemi voudrait faire contre le Prater, ou tout autre point de la rive droite, et pour arrêter les brûlots qu'il voudrait envoyer. Deux autres bâtiments armés seront placés entre Gross-Aspern et notre pont pour inquiéter ce que l'ennemi a dans les îles et observer ses mouvements.
«Le reste des barques armées se tiendra sur notre droite pour protéger la descente et toute notre droite.»
LE GÉNÉRAL MONTBRUN À MARMONT.
«Hohen-Ruppersdorff, le 8 juillet 1809.
«Mon général, d'après les ordres que j'ai reçus hier, je suis venu prendre position ici et fais éclairer le pays le long de la March. Le parti qui a été dirigé sur Marchek a trouvé beaucoup de blessés à Schoenkirchen; il y en avait aussi beaucoup à Genserndorff, où la reconnaissance a trouvé trois cents chevaux ennemis, près desquels elle est restée en présence jusqu'à la nuit. L'officier qui la commandait m'a rapporté que les habitants et les déserteurs lui avaient assuré que dix-neuf escadrons, tant hussards que dragons, avaient de passer la March, soit à Marchek, soit en descendant cette rivière dans la direction de Presbourg. Mes régiments, qui ont bivaqué la nuit dernière à Spanberg et à Erdpress, ont poussé des reconnaissances sur Dürnkrut, Leuterstall et Enzersdorf. On n'a pu aller jusqu'au premier endroit, parce qu'on a trouvé l'ennemi à moitié chemin de Spanberg à Dürnkrut. L'officier qui les commandait a appris par les habitants, et ce qui m'a été confirmé par des déserteurs, que le quatrième corps de l'armée autrichienne, commandé par le comte de Rosenberg, composé en partie des régiments de Ferdinand, Lichtenstein, Blankenstein et Stipsitz, de deux divisions de hussards d'insurrection et des deux régiments d'infanterie de Wokazowitz et Starrey, qui avaient souffert beaucoup, s'étaient retirés par Dürnkrut. Au village d'Enzersdorf, nous avons trouvé un hôpital où il y avait beaucoup de blessés; hier, nous en avons ramassé une grande quantité, ainsi que de traîneurs, dans tous les villages où ma division et mes détachements ont passé. D'après tous ces renseignements, je dois supposer que le corps de Rosenberg descend la March et que les autres corps font leur retraite par les routes de Nikolsburg, Znaïm et Horn. Il serait bon cependant qu'on observât le cours de la March depuis Dürnkrut jusqu'à son embouchure, afin d'éviter les coups de main que pourraient faire sur les derrières de l'armée les dix-neuf escadrons dont il est fait mention. J'ai prévenu le général Grouchy, qui, d'après les ordres de Son Altesse, doit rester à Ruppersdorff, de tous les renseignements que j'ai obtenus, pour qu'il ait à se conduire comme il l'entendra le mieux.
«Je pars à l'instant pour me rendre aux derniers ordres que j'ai reçus de Son Altesse, et marche sur Nikolsbourg par la grande route de Vienne. Je pousserai aujourd'hui la brigade du général Colbert aussi loin que je le pourrai; demain, j'espère rencontrer l'arrière-garde ennemie, ainsi que ses bagages; je les ferai poursuivre de manière à ce qu'il nous en reste au moins une partie. Il ne dépendra pas de moi que vous ne soyez content de ma division.»
LE MAJOR GÉNÉRAL À MARMONT.
«Wolkersdorf, le 8 juillet 1809,
trois heures après midi.
«Je reçois à l'instant, monsieur le duc, votre lettre de Wüllfersdorf, à midi. Comme il est trois heures, vous aurez eu d'autres renseignements sur l'ennemi, qui paraît effectivement se retirer en Bohême. L'Empereur vous laisse maître de marcher sur Znaïm si, par ce moyen, vous croyez vous trouver plus près de la gauche de l'ennemi. Le duc d'Auerstädt, avec son corps d'armée, se met en marche; il sera, vers huit heures du soir, à Wüllfersdorff. Dans quelque direction que vous soyez, donnez de vos nouvelles au duc d'Auerstädt. Le duc de Rivoli était ce matin de bonne heure à Stockerau; si l'ennemi était sur la route de Znaïm, il l'aura poursuivi, et il sera probablement cette nuit à Hollabrunn. La rivière qui est devant vous à Znaïm n'est rien; elle est partout guéable. L'Empereur vous recommande de bien conserver les manutentions et les magasins. Vous ne nous avez pas envoyé les lettres de la poste: il faut les enlever partout. Il y a à Znaïm une fabrique de tabac très-importante; il faut la conserver, d'autant mieux qu'on en manque à Vienne.»
LE MAJOR GÉNÉRAL À MARMONT.
«Wülfersdorf, le 10 juillet 1809,
neuf heures et demie du matin.
«Je vous préviens, monsieur le duc, que le maréchal duc d'Auerstädt est arrivé hier à Nikolsbourg et qu'il part aujourd'hui pour se diriger sur Znaïm. Le duc de Rivoli s'est battu hier à Hollabrunn avec l'arrière-garde ennemie. L'Empereur n'a point encore de nouvelles de votre arrivée à Laah; Sa Majesté en attend d'un moment à l'autre; elle va partir dans une heure ou deux, à la tête de sa garde, pour se diriger de votre côté. Ainsi nous aurons demain, du côté de Znaïm, des forces imposantes pour y combattre l'ennemi s'il prend position; mais on a plus lieu de penser qu'il se retire en Bohême.»
NAPOLÉON À MARMONT.
«Laah, le 11 juillet 1809,
deux heures du matin.
«Monsieur le général Marmont, l'officier de génie italien que vous avez expédié est arrivé à minuit. Il a donc mis six heures pour faire cette mission: depuis, il n'est arrivé personne. Cet officier pouvait s'égarer; les règles de la guerre voulaient que vous en envoyassiez trois à demi-heure de distance les uns des autres. Je n'ai trouvé à Laah aucun commandant, aucune garnison, pas même un poste à vos ponts; cependant, si les hussards qui rôdent dans la plaine étaient venus les brûler, votre retraite eût été compromise: vous n'avez pas appris cette insouciance en servant avec moi. Comment n'avez-vous pas laissé des postes de cavalerie pour jalonner la route et pour que vos nouvelles arrivassent promptement? Le duc d'Auerstädt avait ordre de vous appuyer; vous l'avez si peu pressé de venir à vous, qu'il s'est porté à Nikolsbourg, c'est-à-dire à deux journées de vous: heureusement qu'hier je l'ai fait venir ici. La lettre que vous lui écrivez n'est pas assez pressante; il est tout simple qu'aucun général n'aime à venir en seconde ligne. Je monte à cheval avec toute la cavalerie; mais il est déjà deux heures du matin; ayez soin de ne rien engager de sérieux jusqu'à ce que je sois à portée de vous. Le général Oudinot, qui a pris une direction à gauche, a dû vous envoyer un officier pour avoir des nouvelles. Envoyez-moi quelqu'un qui connaisse bien votre position et celle de l'ennemi. Quel est le village pris et repris? Faites-m'en un croquis que vous m'enverrez en route.»
MARMONT À NAPOLÉON.
«Quartier général de Znaïm, 11 juillet 1809.
«Sire, j'ai reçu la lettre que Votre Majesté m'a fait l'honneur de m'écrire; je crois pouvoir me justifier des reproches qu'elle contient.
«L'uniformité des rapports m'a autorisé à croire que l'armée ennemie avait dépassé Znaïm, et que, tout au plus, une simple arrière-garde s'y trouvait: j'ai pu croire, d'après ce qui m'a été affirmé, que deux régiments de cavalerie et deux régiments d'infanterie, ainsi qu'on le disait, occupaient seulement la ville de Znaïm, se disposant à la retraite, ayant entendu le canon le 9, presque dans la direction de cette ville. L'ennemi ne m'a d'abord présenté que de la cavalerie, ensuite quelques tirailleurs. Plusieurs de ces tirailleurs pris ne m'ont parlé que de quatorze bataillons de grenadiers, qui venaient d'être envoyés ici pour protéger la retraite, et j'ai dû me croire assez fort pour les battre.
«Ce n'est qu'après deux heures de combat que j'ai pu juger que l'ennemi avait environ trente mille hommes, divisés par la rivière, et que le maréchal Masséna marchait à eux.
«Dans cette situation, je me trouvais encore à même d'obtenir les plus grands succès sans secours.--Plus tard enfin, les mouvements de cavalerie m'ont donné l'occasion de voir encore trente mille hommes à une lieue de moi, et j'ai jugé alors que le concours du général Davoust était nécessaire, et je lui ai écrit en toute hâte. J'aurais cru manquer à mes devoirs de le faire plus tôt, puisque j'aurais influé sur les combinaisons de Votre Majesté par une alarme prématurée. J'ai envoyé trois officiers au général Davoust, et l'officier de génie italien était le premier. Ainsi je n'ai négligé aucun moyen de lui donner de mes nouvelles.
«Une fois maître de la position que j'avais attaquée, j'ai dû la conserver, parce que tous les mouvements de l'ennemi indiquaient évidemment l'intention de se retirer, parce que ma position était bonne, et que je pouvais, pendant cinq à six heures, soutenir tous les efforts de l'armée ennemie, ma gauche étant appuyée à la rivière dans un endroit qui n'est pas guéable et où les rives sont escarpées: mon front, couvert par un ravin extrêmement facile à défendre et par un village offensif et défensif; ma droite, par deux fermes qui sont voûtées, que j'ai fait créneler, qui sont deux forteresses et qui sont placées précisément à la distance convenable pour soutenir et rendre inexpugnables les quatre mille chevaux que j'ai; enfin la ferme la plus à droite, étant appuyée par un bois très-vaste, complète tout le système de défense. En dernier lieu, je devais toujours faire entrer en balance le concours du maréchal Masséna, dont j'avais vu le feu, et la terreur d'un ennemi qui se retire, qui est tourné, et la vigueur des troupes que je commande.
«Quant à ce qui regarde la communication, Sire, voilà ce que j'ai fait. J'ai laissé le 7e régiment de chasseurs à Laah, jusqu'à huit heures du matin, partie au pont de Ruhauf et partie à Schonau sur la route de Nikolsbourg, et il n'a quitté cette position que quand j'ai connu officiellement que l'avant-garde du maréchal Davoust était arrivée à Nikolsbourg, et que les postes du 1er dragons occupaient le cours de la rivière; enfin, Sire, j'ai eu constamment deux escadrons occupés à observer les bords de la Taya, depuis la position que j'occupe jusqu'à deux lieues en arrière de nous.
«Sire, j'espère que Votre Majesté agréera avec bonté l'exposé de ces faits, et qu'il rétablira dans son opinion autant ma prudence que mon désir de bien faire.
«J'ai l'honneur d'envoyer à Votre Majesté le croquis qu'elle m'a demandé.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Au camp devant Znaïm, le 12 juillet 1809.
«L'Empereur ordonne, monsieur le maréchal, que vous fassiez partir, demain 12, la division bavaroise du général de Wrede, pour se rendre, à petites journées, à Lintz. Vous lui ordonnerez de traverser le cercle d'Ober-Manhartsberg, et, en y passant, d'installer l'intendance et le commandant de la province dans la principale ville. Le général commandant cette division verra M. l'intendant général, qui fera partir avec lui l'intendant qu'il aura désigné; quant au commandant, l'adjudant-commandant Maucune est nommé à cet emploi. Vous prescrirez aussi à la division de Wrede de laisser, en passant, un bataillon au chef-lieu de la province.
«L'Empereur remet sous les ordres de M. le maréchal duc d'Auerstädt la division de cavalerie légère du général Montbrun tout entière. J'en ai prévenu ce général, et je lui ai prescrit de prendre sur-le-champ les ordres du duc d'Auerstädt, ayant un mouvement à faire dès ce soir.
»Sa Majesté, monsieur le maréchal, ordonne que vous preniez le commandement du cercle de Vienne, sur la rive gauche du Danube qui confine à la March. Vous établirez votre quartier général dans le chef-lieu de ce cercle, et vous ferez baraquer votre corps d'armée par division, à une ou deux lieues de distance. Vous commencerez demain votre mouvement; faites-moi connaître l'itinéraire de votre marche.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU PRINCE DE NEUFCHÂTEL.
«14 juillet 1809.
«Monseigneur, quoique mes rapports journaliers vous aient fait connaître dans le plus grand détail les événements qui viennent d'avoir lieu, je crois de mon devoir de vous rendre un compte qui en présente l'ensemble.
«Le 7, je reçus l'ordre de me porter en avant avec mon corps d'armée, augmenté de la division bavaroise et de la cavalerie légère du général Montbrun, pour marcher à la recherche de l'ennemi par la route de Nikolsbourg. Arrivé à Wüllersdorf, j'y acquis la certitude que très-peu de troupes ennemies y avaient passé, et qu'au contraire la masse de ses forces était dirigée sur Znaïm. Je me mis en marche pour me porter sur cette ville, à une lieue et demie de laquelle j'arrivai le 10, à onze heures du matin. Tous les rapports qui m'avaient été faits s'accordaient à m'annoncer que l'armée ennemie avait dépassé cette ville, et que je n'y trouverais plus qu'une arrière-garde.
«Je vis bientôt paraître, sur les hauteurs qui couvrent le bassin de Znaïm, six à sept mille hommes d'infanterie qui voulaient m'en disputer la possession. Je les fis immédiatement attaquer par la division Clausel, soutenue par la division bavaroise, ayant en réserve la division Claparède.
«Le 8e régiment d'infanterie légère, soutenu du 23e, chargea avec tant de vigueur et de confiance l'ennemi, que, dans peu d'instants, il fut forcé à la retraite. Le général Delzons conduisait cette charge avec son habileté ordinaire. La cavalerie du général Montbrun culbuta toute la cavalerie ennemie qui était sur la gauche, et nous arrivâmes bientôt sur les bords du ravin qui borde la plaine.
«J'aperçus alors bien distinctement dix à douze mille hommes de troupes autrichiennes dans le bassin, et un corps de vingt à vingt-cinq mille sur la rive droite de la Taya, qui n'avait pas eu le temps de passer cette rivière. Déjà différents indices me faisaient soupçonner le voisinage du maréchal Masséna par la route de Stokerau.
«Je pensai que la fortune m'offrait la plus belle occasion possible, et que je pouvais détruire l'armée ennemie en battant ce que j'avais devant moi, en coupant les ponts, et livrant tout ce qui était de l'autre côté de la rivière au maréchal Masséna.
«Je fis mes dispositions d'attaque; mais, avant de les faire exécuter, je crus utile de bien faire éclairer ma droite, et j'ordonnai un mouvement offensif à la cavalerie du général Montbrun. Ce mouvement nous découvrit près de quarante mille hommes de l'armée ennemie, avec tout le parc d'artillerie qui était en avant de Znaïm. La présence d'une force aussi considérable me fit renoncer à attaquer l'ennemi; mais, fort de l'opinion qui soutient les armées victorieuses, assuré de l'ignorance de l'ennemi sur mes véritables forces, je pris avec sécurité position sur les bords du ravin. Je fis retrancher deux fermes qui servaient d'appui à ma droite, couvraient ma cavalerie, et j'occupai le village de Tisevich, qui était en avant de mon front et me donnait action sur les ponts de la Taya, et je fis garnir d'une nombreuse artillerie toutes les hauteurs.
«L'ennemi voulut bientôt nous faire évacuer le village, et l'attaqua avec beaucoup de vigueur. Il fut défendu avec opiniâtreté par le général bavarois Becker, commandant la deuxième brigade. Mais, après un certain temps, de nouveaux secours lui furent nécessaires pour conserver une partie du village dont l'autre lui avait été prise par l'ennemi. Le combat se soutint avec des alternatives de revers et de succès, et la moitié du village fut prise et reprise trois fois de suite; mais la fortune fut fixée quand le 81e régiment marcha au secours du général Becker.
«Je dois beaucoup d'éloges à la manière vigoureuse dont ce général s'est conduit, et je dois beaucoup de louanges au colonel Bonté à la défense qu'il a faite pendant ces événements.
«L'ennemi, après de fréquentes charges sur le village, se trouvant en désordre, j'ordonnai au général comte Preiken, qui commande les chevaux bavarois, de déboucher et de charger l'ennemi. Cette charge, faite avec beaucoup de vigueur, eut pour résultat ce que je devais en attendre, et l'ennemi perdit un bon nombre de prisonniers.
«L'ennemi dirigea plusieurs colonnes sur d'autres points de ma ligne, mais sans succès; et, après un combat de neuf heures, nous restâmes maîtres des positions dont nous nous étions emparés.
«Le lendemain, l'ennemi se disposa à la retraite. Lorsque je vis déboucher sur les bords de la Taya l'avant-garde du maréchal Masséna, je me portai en toute hâte sur les flancs de l'armée ennemie, espérant pouvoir l'entraver dans son mouvement. La disproportion de mes forces avec celles de l'ennemi m'obligeait à attendre que, d'un côté, le corps du maréchal Masséna eût fait des progrès, et que, de l'autre, celui du maréchal Davoust fût en liaison avec moi. L'ennemi, qui s'aperçut de mon projet, vint m'attaquer, et il en résulta un combat où l'ennemi, malgré les avantages du nombre, ne put nous faire céder le terrain. Mais Votre Altesse Sérénissime en est aussi bien instruite que moi, puisqu'elle y a assisté sur le soir.
«Sa Majesté m'ordonna de marcher sur Znaïm, afin d'aider au mouvement du maréchal Masséna, et nous allions entrer dans cette ville lorsque je reçus l'ordre de faire cesser le feu.
«Les résultats de cette journée sont d'avoir pris deux drapeaux, deux mille hommes à l'ennemi; d'avoir retardé sa marche, de manière à ce qu'elle aurait pu être combattue avec avantage si la générosité de l'Empereur n'eût fait accorder une suspension d'armes à l'ennemi.
«L'ennemi a perdu plus de trois mille hommes tués ou blessés dans ces deux journées. Nous avons eu seize cents hommes hors de combat. Parmi les blessés se trouvent le général de division Claparède, les généraux de brigade Delzons et Bertrand. C'est la deuxième fois dans la campagne que le général Delzons est blessé.
«Je ne saurais trop me louer des généraux, officiers et soldats. Mais je dois particulièrement des éloges aux généraux Clausel et Delzons.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Schoenbrunn, le 17 juillet 1809.
«Je vous préviens, monsieur le maréchal, que l'intention de l'Empereur est que votre corps d'armée prenne la dénomination de onzième corps.
«Je donne l'ordre au général Lariboissière de faire les dispositions nécessaires pour y attacher trente pièces d'artillerie; correspondez à cet égard avec lui.
«Le prince vice-roi m'a annoncé qu'il vous avait envoyé tous les troisièmes et quatrièmes bataillons qui étaient à l'armée d'Italie, et dont les premiers bataillons étaient sous vos ordres. Faites-moi connaître si tous ces bataillons sont arrivés, et envoyez-m'en la liste, ainsi que l'état de situation.
«Je donne l'ordre à la brigade de cavalerie légère du général Thiry, composée du 1er régiment provisoire de chasseurs, d'un régiment de chevaux légers wurtembergeois et du 25e régiment de chasseurs, de se rendre de Presbourg auprès de vous, pour faire partie de votre corps d'armée. Le prince vice-roi vous fera donner avis de sa marche.
«Je donne l'ordre aux généraux Bertrand et Lariboissière de réorganiser les équipages de pont, et, par suite de cette disposition, votre corps d'armée aura une compagnie de pontonniers avec trois pontons sur trois haquets munis de leurs poutrelles, madriers, ancres, cordages, etc., de manière à pouvoir jeter un pont de vingt toises.
«Le général Bertrand est chargé aussi d'organiser sur-le-champ le service du génie et d'attacher à votre corps d'armée une compagnie de sapeurs, le nombre d'officiers du génie nécessaire, et six mille outils sur des chariots attelés.
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Schoenbrunn, le 17 juillet 1809.
«L'Empereur ordonne, monsieur le maréchal, que vous portiez votre quartier général à Krems, et que vous fassiez camper votre corps d'armée, par deux divisions, aux environs de cette ville. Sa Majesté vous recommande de former des magasins et d'utiliser toutes les ressources du cercle dont Krems est le chef-lieu, pour l'approvisionnement de votre armée. Elle verrait avec plaisir que vous établissiez à Krems un atelier d'habillement pour reformer l'habillement de vos troupes. Vous mènerez avec vous la division de cuirassiers commandée par le duc de Padoue, qui est maintenant à Stokerau; vous la cantonnerez dans tout le cercle, en choisissant les lieux les plus favorables pour son établissement, et vous emploierez tout pour la mettre en état. Je joins ici un ordre pour cette division.
«Je vous préviens aussi, monsieur le duc, que l'intention de Sa Majesté est qu'on ait soin d'établir des hôpitaux de convalescence dans les lieux où sont placées les divisions. Les divisions doivent camper; les administrations doivent être avec elles, et Sa Majesté recommande expressément que l'on s'occupe de remonter la cavalerie et de se mettre dans le meilleur état possible.
«Je n'ai point reçu vos états de situation, depuis la bataille; je vous prie de me les faire adresser.»
NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.
«Schoenbrunn, le 24 juillet 1809.
«Mon cousin, je ne conçois pas que vous fassiez dépendre la construction de vos camps de savoir si vous conserverez ou non les quatrièmes bataillons; c'est tout à fait de l'enfantillage. Faites camper sans délai vos troupes et faites-les exercer, c'est le meilleur moyen de maintenir parmi elles l'ordre et la discipline; et les mois d'août et de septembre sont les plus favorables pour le campement. J'irai dans huit jours passer la revue de votre corps; faites que je voie les camps en bon état.»
NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.
«Juillet 1809.
«Mon cousin, le 25e régiment de chasseurs, qui fait partie de votre corps d'armée, a, au dépôt de cavalerie de Klosterneubourg, cent cinquante hommes à pied. Il vous est facile de faire acheter des chevaux à un prix raisonnable, sur les confins de la Bohême, pour monter ces hommes. Occupez-vous de cela, et tâchez de procurer à ce régiment, qui n'a que quatre cents chevaux à l'armée, une centaine de chevaux, ce qui, avec les deux cents qui lui viennent d'Italie, le porterait à sept cents chevaux.»
LE MARÉCHAL MARMONT À MARET.
«28 juillet 1809.
«Monsieur le comte, je ne reçois qu'en ce moment la lettre que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire le 23 juillet, et je ne perds pas un moment pour y répondre. Je commence d'abord par vous remercier du sentiment qui l'a dictée, et je m'empresse de vous donner les renseignements que vous me demandez.
«Il y a dix généraux qui comptent en ce moment à mon corps d'armée, dont deux généraux de division et huit généraux de brigade. Le général de division Claparède, le général de brigade Delzons, le général Soyez, le général Thiry, sont les seuls qui, jusqu'ici, aient reçu des titres. Les autres méritent tous d'en recevoir, et j'ai la conviction intime que, dans aucun corps de son armée, Sa Majesté n'a de plus braves généraux et de plus dévoués à sa personne. Voici leurs noms:
«Le général de division Clausel est un officier de la plus grande distinction, et auquel je ne saurais donner trop d'éloges pour sa conduite dans la campagne que nous venons de faire pendant tout le temps qu'il a servi sous mes ordres.
«Le général de brigade Tirlet, commandant l'artillerie. C'est un officier rempli du zèle le plus ardent, qui a fait toutes les campagnes d'Égypte, qui est déjà fort ancien général de brigade, et dont tous les cadets ont été faits généraux de division et revêtus de titres. Je n'ai jamais eu, depuis six ans qu'il sert avec moi, que des éloges à lui donner.
«Le général Launay a été blessé très-grièvement à l'affaire de Gospich, où il s'est comporté de manière à mériter beaucoup d'éloges; il est un des plus anciens généraux de l'armée française.
«Les trois autres généraux sont MM. Bertrand, Bachelu et Plauzonne, que Sa Majesté a promus il y a deux mois. Ils sont tous les trois des officiers de la plus grande distinction.
«Le général Delzons et le général Soyez ont reçu précédemment le titre de baron et une dotation de quatre mille francs. Je vous les recommande pour y faire ajouter ce que les bontés de l'Empereur voudraient leur accorder. Ce sont des officiers de fortune et des plus braves que je connaisse. Le général Delzons, entre autres, est un officier de la plus grande capacité. Le général Soyez a été blessé à l'affaire de Gospich d'une manière très-grave. Le général Delzons l'a été plus légèrement, mais deux fois, l'une à l'affaire d'Ottochatz, et l'autre devant Znaïm.
«Je finirai par vous prier de recommander aux bontés de Sa Majesté l'adjudant général Delort, qui remplit les fonctions de chef d'état-major de mon corps d'armée, qui est, pour ainsi dire, le plus ancien colonel de l'armée, et mon premier aide de camp Richemont, officier de la plus grande valeur et digne des bontés de l'Empereur.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU PRINCE DE NEUFCHÂTEL.
«14 août 1809.
«Monseigneur, j'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 11 août.
«Je n'ai point eu l'intention de changer les dispositions ordonnées par l'Empereur; mais bien, au contraire, d'exécuter, fidèlement et ponctuellement, ce qui a été prescrit par l'ordre du jour dont j'ai l'honneur de vous envoyer copie.
«Il est accordé aux soldats, dans les cantonnements, seize onces de viande, vingt-quatre onces de pain de munition, quatre onces de pain de soupe, une bouteille de vin, et une ration d'eau-de-vie.»
Et, comme il n'est pas possible que l'intention de Sa Majesté soit que les troupes campées soient moins bien traitées que les troupes cantonnées, mais que, au contraire, il me paraît clair que sa volonté est qu'elles reçoivent cet accroissement de nourriture pendant tout le temps qu'elles seront nourries par le pays, j'ai cru devoir ordonner l'application au camp de l'ordre relatif aux cantonnements. J'ajouterai que les troupes de mon corps d'armée sont arriérées de trois mois de solde, et que, si elles ne recevaient pas un accroissement de nourriture, elles souffriraient beaucoup et seraient loin de se refaire, ne pouvant rien acheter pour mettre à l'ordinaire tant qu'il ne sera pas possible de leur faire le prêt régulièrement.
«Ces considérations et le texte de l'ordre de Sa Majesté m'ont décidé à vous adresser ces représentations et à vous demander de me faire connaître les ordres de l'Empereur.»
NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.
«Schoenbrunn, le 29 août 1809.
«Mon cousin, allez voir Presbourg, la position de Theben, Marcheck, Augern, et remontez la March jusqu'à Göding. De là, allez à Nikolsbourg et Brunn, visitez la citadelle de Brunn, et revenez par Znaïm sur Krems. Cette tournée est convenable pour bien observer la nature du terrain entre les monts Krapacks et la March; suivez la chaîne des Krapacks, aussi loin que vous le pourrez, jusqu'aux postes ennemis. Reconnaissez bien Presbourg et le terrain depuis Presbourg jusqu'à Marcheck et le long de la March.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Schoenbrunn, le 6 septembre 1809.
«Je vous préviens, monsieur le maréchal, que l'Empereur partira d'ici, le 8, à quatre heures du matin, et se rendra, par la rive droite du Danube, à l'abbaye de Gottweig, où Sa Majesté déjeunera. Sa Majesté passera ensuite le Danube à Mautern, et se tendra au camp de Krems, où elle verra toutes les troupes qui sont sous vos ordres, infanterie, cavalerie, artillerie, tant la cavalerie légère que la grosse cavalerie. Donnez, en conséquence, monsieur le duc, tous les ordres nécessaires pour cet objet, et, à cet effet, vous ferez reployer tous les postes.
«Je vous préviens en même temps que Son Altesse Impériale le prince vice-roi d'Italie se rendra demain, 7, pour passer une revue détaillée de la troisième division de cuirassiers. Donnez vos ordres pour que tout soit prêt pour cette revue.»
(Par duplicata.)
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Schoenbrunn, le 10 septembre 1809.
«L'Empereur ordonne, monsieur le maréchal, que vous placiez la division de cuirassiers aux ordres du général duc de Padoue, savoir les derniers postes à la distance de dix lieues de Stokerau, le long du Danube, sur la route de Krems, sur celle de Bohême et sur celle de Znaïm. Le général commandant la division placera son quartier général à deux lieues au plus de distance de Stokerau, et il ne devra avoir aucune troupe à Stokerau.
«Je donne l'ordre à M. le maréchal duc de Reggio de retirer ce qui appartient à la division de cuirassiers du général Saint-Germain et à toute autre espèce de cavalerie, pour les pousser sur la route de Brunn et sur la March.
«Sa Majesté ordonne aussi, monsieur le duc, que vous fassiez faire, par un officier d'état-major, une reconnaissance de Krems à Lintz par la rive gauche du Danube, de Krems à Znaïm, et de Krems à Stokerau. Cette reconnaissance devra être faite sur l'échelle de trois lignes pour cent toises, et il faudra avoir soin d'y faire connaître la nature des chemins, leur voie et celle des montagnes.»
LIVRE TREIZIÈME
1809--1810
SOMMAIRE.--Le duc de Raguse à Paris.--Conversations intimes.--Le duc Decrès.--L'Empereur à Fontainebleau.--Pouvoir du gouverneur des provinces illyriennes.--Le cardinal Fesch.--Les provinces illyriennes.--Régiments frontières.--Les faiseurs de Paris.--Les pachas turcs.--Expédition d'Isachich et de Bihacz.--Reddition de Czettin.--Administration.--Le blocus continental; son influence.--Garde nationale.--Système de contributions directes.--Emprunt à Trieste.--Ponts et chaussées.--Instruction publique.--Régie des tabacs, poudres et salpêtres.--Inspection des régiments frontières.
Je revenais content, satisfait, après avoir été nommé maréchal avec le suffrage de l'armée. La campagne avait été glorieuse, et véritablement elle était une des plus belles qu'eût faites l'Empereur, si l'on songe à la nature et à la faiblesse des moyens dont il avait disposé à son début. C'était toujours le grand capitaine, objet de l'étonnement du monde. Il n'était tombé encore dans aucune des aberrations qui ont marqué la fin de sa carrière. Si, comme politique et comme souverain, on pouvait l'accuser, je ne l'avais pas vu assez longtemps, et j'avais surtout perdu de vue la France depuis trop d'années, pour juger sainement les changements qui s'étaient opérés en lui et dans la situation des choses. Mon admiration pour sa personne était toujours la même. J'arrivai à Paris avec ces sentiments, peu en harmonie avec ceux du public. Certes, on appréciait cette campagne de 1809; on était satisfait de la paix; mais on était blasé sur la gloire militaire. On voulait du repos, on désirait plus de liberté, une existence plus calme, et on voyait l'avenir encore chargé de tempêtes. Je retrouvai mes amis avec grand plaisir; ils me revirent avec joie; mais j'étais surpris de leur froideur et de leur calme sur les questions politiques. Un d'eux surtout m'étonna à un point impossible à exprimer; les paroles qu'il m'a dites, il y a bientôt trente ans, retentissent encore à mon oreille, et je ne puis m'empêcher de les consigner ici.
Le duc Decrès, ministre de la marine, était mon compatriote; nous avions des alliances communes; j'avais navigué à son bord dans la traversée d'Égypte. C'était un homme de beaucoup d'esprit. Nous nous étions convenus et liés intimement. Je ne ferai pas l'éloge de son caractère passionné et vindicatif; je connais plusieurs traits de lui blâmables; mais, personnellement, j'ai toujours eu à me louer de ses procédés envers moi. Il me vit bien satisfait, bien ardent dans mes récits. Après m'avoir laissé dire, après m'avoir écouté, il prononça ces propres paroles: «Eh bien, Marmont, vous voilà bien content, parce que vous venez d'être fait maréchal. Vous voyez tout en beau. Voulez-vous que moi je vous dise la vérité, que je vous dévoile l'avenir? L'Empereur est fou, tout à fait fou, et nous jettera tous, tant que nous sommes, cul par-dessus tête, et tout cela finira par une épouvantable catastrophe.»
Je reculai deux pas et lui répondis: «Êtes-vous fou vous-même de parler ainsi, et est-ce une épreuve que vous voulez me faire subir?
--Ni l'un ni l'autre, mon cher ami: je ne vous dis que la vérité. Je ne la proclamerai pas sur les toits; mais notre ancienne amitié et la confiance qui existe entre nous m'autorisent à vous parler sans réserve Ce que je vous dis n'est que trop vrai, et je vous prends à témoin de ma prédiction.» Et là-dessus, il me développa ses idées en me parlant de la bizarrerie des projets de l'Empereur, de leur mobilité et de leur contradiction, de leur étendue gigantesque, que sais-je? Il me présenta un tableau que les événements n'ont que trop justifié. Plus d'une fois, depuis la Restauration, j'ai rappelé à Decrès notre conversation et son étonnante, mais bien triste prédiction.
L'Empereur arriva et fut s'établir à Fontainebleau. Je m'y rendis plusieurs fois et j'y restai quelques jours pour connaître ses intentions sur les provinces illyriennes et recevoir ses instructions. Une organisation provisoire fut faite. Elle m'investissait de tous les pouvoirs, et me transmettait l'autorité du souverain. On me donna divers agents principaux. D'abord un intendant général pour l'administration proprement dite, sous mon autorité, au moyen des décisions et des arrêtés que je prendrais sur ses rapports. Cet intendant était chargé des finances, de l'intérieur, de la police, des douanes, etc. Un commissaire général de justice exerçait, également sous moi, les fonctions de ministre de la justice. Je ne devais correspondre qu'avec un seul ministre, celui des finances, pour toutes les affaires de l'Illyrie, et avec le ministre de la guerre pour l'armée française qui y était placée. En un mot, j'étais, dans toute l'étendue du terme, un vice-roi dont le pouvoir n'avait pas de bornes.
Aucun de mes actes, pendant tout le temps de mon séjour en Illyrie, n'a été l'objet d'une désapprobation. Je rendrai compte, dans ces Mémoires, des principales circonstances de mon administration. L'Empereur me donna, en partant, pour instruction générale, de faire pour le mieux. Je pense avoir rempli cette tâche, puisque j'ai tout à la fois tiré le plus grand parti de ce pays sous le rapport des ressources, ménagé les habitants, fait régner l'ordre et la justice, et laissé chez eux des souvenirs honorables, dont j'ai reçu de grandes marques, et qui, plus d'une fois, ont été pour moi, dans d'autres temps, le motif de véritables consolations et des plus douces jouissances.
Lors de mon séjour à Fontainebleau, l'Empereur avait de fréquents débats avec son oncle, le cardinal Fesch. Pendant l'été qui venait de s'écouler, Napoléon s'était porté aux derniers actes de violence contre le saint-père, ce pontife vénérable qui l'avait sacré, et dont le concours, en cette solennelle circonstance, avait servi si puissamment à sa grandeur aux yeux des peuples. Au milieu de la nuit du 5 au 6 juillet, le pape avait été fait prisonnier. Aux heures mêmes de cette mémorable bataille de Wagram, au moment où Napoléon, ce puissant monarque, déployait les forces immenses qu'il avait rassemblées, ses agents faisaient, par ses ordres, la guerre à un vieillard, retranché dans son palais, à un vieux prêtre, dont toute la force, tous les moyens de résistance, étaient placés dans ses droits et dans l'opinion des peuples. Grand contraste! mais grave sujet de réflexions. Cinq ans ne s'étaient pas écoulés, et le glorieux souverain, que la raison et la justice ne gouvernaient plus, était tombé, tandis que le vieux prêtre était remonté sur son trône.
Fesch, devenu cardinal, avait repris avec ardeur les sentiments propres aux gens d'Église: il fut, dans tous ces temps, un des plus zélés défenseurs des droits du pape, et il l'a témoigné par une résistance constante, énergique et honorable pour son caractère. Il savait, il est vrai, que la sévérité de l'Empereur envers lui aurait des bornes, et effectivement elle n'a jamais dépassé les paroles et les menaces. Un jour, à Fontainebleau, Fesch disputait avec aigreur, comme cela lui était assez habituel: l'Empereur se fâcha et lui dit qu'il lui allait bien de prendre ce ton hypocrite, à lui, libertin, incrédule, etc. «C'est possible, c'est possible, disait Fesch; mais cela n'empêche pas que vous ne fassiez une injustice, vous êtes sans raison, sans droits, sans prétexte; vous êtes le plus injuste des hommes.» À la fin, l'Empereur le prend par la main, ouvre sa fenêtre et le mène sur le balcon.--«Regardez là-haut, lui dit-il, voyez-vous quelque chose?--Non, lui dit Fesch, je ne vois rien.--Eh bien, sachez donc vous taire, reprit l'Empereur, moi je vois mon étoile; c'est elle qui me guide. Ne comparez plus vos facultés débiles et incomplètes à mon organisation supérieure.»
On retrouve sans cesse, comme je l'ai remarqué, et comme je le remarquerai encore, le besoin qu'avait Napoléon de chercher à rattacher au ciel son origine. Le jour même où cette scène eut lieu, Duroc, qui en avait été témoin, me la raconta, et j'eus la pensée que Decrès pouvait bien avoir raison.
Je partis de Paris le 4 novembre, et je me rendis sans retard en Illyrie. Je m'arrêtai quelques moments à Milan, pour y voir le vice-roi et m'entendre sur divers objets à régler pour la rétrocession de la Dalmatie et de l'Istrie au gouvernement français. J'arrivai à Laybach le 16 novembre.
La ville de Laybach est bien inférieure en population, en richesses et en importance à Trieste; mais elle fut choisie pour la résidence du gouverneur, à cause de la proximité de la frontière d'Autriche et de l'avantage que cette position lui donne comme poste d'observation. J'habitais de ma personne, l'hiver seulement, Trieste, dont le climat est plus doux et la résidence plus agréable. Pendant ce temps, je m'occupais d'une manière particulière des intérêts de cette ville.
Les provinces illyriennes, agrégation de provinces, les unes autrefois vénitiennes et les autres autrichiennes, diffèrent entre elles par le climat, par le langage, par la nature de leur population enfin par toutes les circonstances qui constituent la diversité des peuples. Leur longueur du nord au sud est de deux cent trente lieues. Leurs frontières, au nord, contiguës au Tyrol, se terminaient au sud à la frontière du pachalik de Scutari. Composées du bailliage de Lientz et de Lillion, dans le Tyrol, du cercle de Villach, en Carinthie, de la Carniole, du comté de Goritz, de Trieste, de la Croatie civile et militaire, sur la rive droite de la Save; de l'Istrie vénitienne et autrichienne, de Fiume, de la Dalmatie, de l'État de Raguse et de la province des Bouches de Cattaro, leur population approchait de deux millions d'âmes et se composait d'Allemands, d'Illyriens, d'Italiens, d'Albanais, enfin d'individus de tous les pays, réunis à Trieste. Il y a donc autant de moeurs diverses que de provinces, autant de produits différents que de localités, et surtout les diverses manières d'exister n'ont aucun rapport entre elles. Ainsi les lois et l'organisation ne pouvaient pas être uniformes, et le même régime ne pouvait convenir aux Croates militaires qui gardent les frontières, aux négociants de la ville de Trieste, aux seigneurs de la Carniole, aux mineurs d'Idria et de Bleiberg, et aux matelots de la Dalmatie et de l'Albanie.
La première chose à faire en arrivant était de rétablir l'ordre en Dalmatie. Les Autrichiens, pendant la campagne, avaient fait une invasion dans le plat pays. Le général Knesevich y était entré, et ses troupes avaient occupé tout l'espace compris entre la Zermagna et la Cettina; mais elles n'avaient pas passé cette dernière rivière. Après avoir bloqué Zara, Knim, Klissa et le fort San Nicolo, elles firent prendre les armes contre nous à une partie de la population, séduite par l'espérance d'être traitée plus doucement. Plusieurs agents de l'administration se joignirent à eux; d'autres, restés fidèles, furent arrêtés et conduits en Hongrie. J'envoyai des troupes et des instructions pour faire tout rentrer dans l'ordre, et je punis par le bannissement les employés qui nous avaient abandonnés. Je réclamai les autres qu'on refusait de me rendre, et, afin d'assurer leur retour, j'écrivis au maréchal Macdonald, encore à Gratz, pour lui demander de faire prendre des otages dans cette ville. Cette menace les fit rendre à la liberté. Tout ce qui n'avait pas été envahi était resté tranquille, preuve du bon esprit de la province. Parmi les individus dont la fidélité appela sur eux la colère des Autrichiens, se trouvaient des moines de Saint-François, les mêmes qui, dans d'autres temps, avaient été les promoteurs de la révolte. J'avais donc bien fait de chercher à m'emparer de leur affection, et de mettre à profit leur influence.
Un des premiers actes de mon administration fut de déterminer les divisions territoriales et administratives. Je cherchai la règle à suivre, persuadé qu'en toute chose il y a un principe générateur qui domine la matière. Quand on l'a trouvé, tout est facile: quand on ne le connaît pas, on marche au hasard, et rien n'est coordonné. Ce devoir à remplir m'inspira les réflexions suivantes:
Les divisions administratives doivent varier suivant les localités. À l'exception des très-grandes villes, où l'accumulation de la population multiplie à l'infini les affaires, ce n'est pas le nombre des administrés qui doit servir de règle, mais l'étendue du pays qu'ils habitent. Un administrateur doit pouvoir recevoir, en cas d'urgence, dans les vingt-quatre heures, des nouvelles de ce qui se passe dans le pays qui lui est confié. Suivant la nature du pays, les arrondissements doivent donc être plus ou moins étendus: dans un pays de montagnes, plus petits que dans un pays de plaines; et, dans un pays traversé par de grandes routes, plus grands que dans un pays qui en est privé. Après ce principe, il en est un autre aussi évident. Dans beaucoup de pays, on a borné les cercles et les provinces par les rivières: rien n'est plus absurde. Les rivières, bornes naturelles des États, ne doivent pas être employées aux divisions de l'intérieur. Elles servent de limites aux États: 1° parce qu'elles sont des barrières; 2° parce que chaque État veut profiter des avantages qu'elles apportent par la navigation; 3° parce que c'est un tracé permanent qui n'est pas sujet à contestation. Mais, si, dans un cas, elles servent à diviser, dans l'autre elles doivent réunir. Les intérêts des habitants des deux rives d'un fleuve sont toujours les mêmes; leurs rapports sont multipliés et constants, leurs affaires de tous les moments. Il est donc contraire à la raison de faire ressortir de deux administrations différentes les habitants des deux rives, et les divisions d'administration doivent être circonscrites par bassins, et non se terminer aux bords des rivières.
Ces réflexions m'ont porté à examiner la division de la France en départements, souvent admirée, on ne sait pourquoi: elle a été faite par caprice, sans système, sans principe; on a peine à concevoir jusqu'à quel point on ignorait la règle à suivre. Lyon, par exemple, était frontière de trois départements, et son faubourg de la rive gauche du Rhône n'appartenait pas anciennement au même département que la ville.
Je fis donc ma division territoriale d'après ces principes, en conservant toutefois, autant que possible, les divisions déjà existantes; car rien ne contrarie autant les populations que de changer leurs habitudes sans nécessité.
J'eus à m'occuper promptement des régiments frontières. Grand admirateur de cette organisation remarquable, tout à la fois utile à un peuple barbare par la direction qu'elle lui donne dans le développement de ses facultés, économique pour la défense de la frontière, satisfaisante pour la police et le maintien du bon ordre, et bonne pour le gouvernement qui entretient une véritable et excellente armée, toujours au complet, toujours prête à marcher, et presque sans frais en temps de paix, j'en avais parlé souvent à l'Empereur, et lui en avais fait goûter les avantages. Cependant les faiseurs de Paris, accoutumés à porter des jugements absolus, sans prendre la peine de rien étudier, et convaincus que le développement de l'intelligence humaine date seulement de leur époque, ne veulent pas comprendre que la législation et les institutions, chez tous les peuples, doivent varier de mille manières: bizarres aujourd'hui, elles ont été, dans le temps de leur création, l'expression des besoins publics. Les faiseurs dont je parle prennent pour terme unique de comparaison la France, qu'ils connaissent seule et souvent fort mal. Ils trouvaient monstrueuse la réunion des pouvoirs entre les mains des mêmes individus: ils criaient au scandale, à la violation des principes; ils demandaient la suppression de cette organisation, qui seule donnait du prix à ce pays nouvellement cédé.
Leurs clameurs arrivèrent jusqu'à moi, et je vis toute l'étendue du péril. Si elles eussent été écoutées par Napoléon, c'en était fait de la Croatie, l'anarchie y régnait; une partie de la population passait en Autriche, et les troupes françaises eussent été écrasées de service pour satisfaire aux nécessités de la frontière. Je rédigeai un mémoire où je fis de mon mieux le tableau de l'organisation frontière, des changements qu'elle avait subis, et de la perfection à laquelle elle était arrivée. Les mêmes mains réunissaient tous les pouvoirs; mais il y avait un contre-poids, et des précautions étaient prises pour empêcher l'abus. Je fis voir les avantages immenses qu'en tiraient les services publics, en ménageant une population pauvre, à laquelle on peut demander des travaux, des services militaires, et les produits de sa chétive industrie, mais non de l'argent qu'elle n'a pas. Enfin, je fis remarquer l'harmonie de ses lois tout à la fois dans l'intérêt du souverain et des sujets. Ce mémoire, rédigé en deux jours, et envoyé à l'Empereur par estafette, fut lu aussitôt, et une réponse immédiate m'annonça qu'aucun changement ne serait apporté à l'organisation des régiments croates, que si je le jugeais nécessaire. Je devais les réorganiser, et j'étais autorisé à nommer à tous les emplois vacants, soit en prenant les sujets dans les troupes, soit en les choisissant dans l'armée française. Cette importante besogne fut promptement terminée.
Je nommai colonel du premier régiment (licca) le lieutenant-colonel Slivarich, venu du service d'Autriche: il me parut le plus digne. Les cinq autres régiments furent donnés à des officiers de l'armée française, dont je faisais un cas particulier. Je mis à peu près autant d'officiers français que d'officiers croates, et, de ce moment, les uns et les autres, suivant leurs mérites, furent traités également. L'union s'établit parmi eux; un grand amour du service, une émulation louable, s'empara de leurs esprits, et les officiers croates, afin de se montrer dignes de l'armée dont ils faisaient partie maintenant, déployèrent une activité qu'ils n'avaient jamais connue. Les soldats, fiers de leur nouvelle destinée et des soins dont ils étaient l'objet, regardés dans l'armée autrichienne comme inférieurs aux autres, purent être comparés aux meilleures troupes connues.
J'avais souvent annoncé ce résultat à l'Empereur sans le persuader: en quittant les provinces, je lui prédis qu'à la première guerre il en tirerait un grand parti. À son retour de Russie, il reconnut la vérité de mon assertion: il n'avait jamais eu, me dit-il, de soldats plus braves et meilleurs sous tous les rapports. Cette organisation, véritable chef-d'oeuvre, mérite d'être connue; ceux qui en seront curieux pourront eu lire les détails dans la relation d'un voyage que j'ai publié en 1837.
Des magasins de subsistances, habituellement formés en Croatie, préparent les secours nécessaires dans les années de disette, et donnent le moyen au gouvernement autrichien de faire des avances de cette nature aux Croates. L'année précédente avait été mauvaise; l'invasion des Turcs, au commencement de la campagne, sur une lisière très-fertile, invasion accompagnée d'un incendie général, avait causé de grandes pertes et diminué les moyens de subsistance. Il fallait pourvoir tout à fait à la nourriture de cette population dépossédée de ses terres et de ses maisons, et s'élevant à vingt-cinq mille individus. La chose, peu facile en elle-même, devint embarrassante surtout par la difficulté d'en faire comprendre la nécessité à une espèce de fou que l'on m'avait donné pour intendant général, un conseiller d'État nommé d'Auchy. Cet homme, capable autrefois, mais alors abruti par la débauche et tombé fort bas, était d'une fiscalité incroyable: des peuples placés dans des circonstances particulières et devant plutôt recevoir que donner blessaient sa raison. Je parvins cependant à pourvoir aux besoins de cette population. Mais une autre question s'élevait, et celle-ci était assez délicate. Les Turcs voisins de la frontière avaient envahi le territoire croate, et un peu à mon instigation. Le consul de France à Traunik, David, les y avait poussés: cette diversion alors était dans notre intérêt. Aujourd'hui mon rôle avait changé: gouverneur de l'Illyrie, j'étais chargé des intérêts des Croates; mon devoir me commandait de les protéger, de leur faire rendre justice, et l'acte dont ils avaient été victimes était en lui-même très-irrégulier. Je n'hésitai pas; j'écrivis au pacha, au chargé d'affaires de France à Constantinople, au consul de France en Bosnie, pour réclamer la restitution des terres envahies, ainsi que la remise du fort de Czettin, enlevé par surprise. Le pacha promit de donner l'ordre; mais son ordre ne fut pas exécuté, comme il arrive toujours dans cette province quand le vizir commande une chose qui déplaît aux habitants. Le consul de France répugnait à faire des démarches trop vives en opposition avec le langage qu'il avait tenu quelques mois auparavant. Des ordres de Constantinople furent envoyés, mais ils furent reçus comme ceux du pacha.
Je réitérai mes plaintes et mes demandes auprès du vizir. Ce n'était plus mon ami Khosrew-Pacha, qui eût fait, probablement sans fruit, au moins toutes les démarches possibles pour me satisfaire. Son successeur me déclara son impuissance; il avait, quant à lui, disait-il, rempli son devoir complétement; je devais maintenant m'adresser directement aux capitaines de la frontière.
L'empire ottoman, en Europe, ressemble beaucoup à l'état où était la France à la fin de la seconde race et au commencement de la troisième; tout est anarchie, et la province de Bosnie est celle où l'on retrouve davantage l'exemple de la féodalité du moyen âge. Deux espèces de pachas existent en Turquie: premièrement, ceux qui se sont élevés eux-mêmes à ce pouvoir par le brigandage, la révolte et des usurpations successives, d'abord d'un petit territoire, ensuite d'un plus grand, puis d'un plus étendu, et qui ayant obtenu à Constantinople, par la corruption, des titres de possession légitime, ont fait disparaître ainsi le scandale de leur rébellion. Ces pachas-là sont puissants chez eux, et n'obéissent guère au Grand Seigneur, qui ne leur donne des ordres que rarement; de ce nombre sont: le pacha de Scutari; Méhémet-Ali, pacha d'Égypte; et autrefois Ali-Pacha de Janina, et Djezzar-Pacha à Acre. Ensuite viennent les pachas de cour, envoyés dans les provinces soumises. Officiers de la Porte, ils viennent résider, pendant quinze mois, souvent pendant deux ans et demi, quelquefois pendant trois ans, sont respectés et reçus avec égards, touchent un tribut plus ou moins considérable, ordinairement assez léger, mais restent étrangers à tout ce qui regarde la province, et ne sont obéis en rien. Ils cèdent leur place à d'autres, qui sont traités de même, et la province est entre les mains des propriétaires des fiefs, ou timariotes, des possesseurs des châteaux fortifiés. Quand leurs intérêts communs sont en souffrance, ces derniers se réunissent et y pourvoient. Ainsi, dans les pachaliks, où les pachas sont les maîtres, les pachas n'obéissent pas au Grand Seigneur, et, là où les pachas sont soumis au Grand Seigneur, ils sont sans pouvoir dans les provinces qu'ils sont censés gouverner. Les pachas de Bosnie sont dans cette dernière catégorie. Je crus devoir faire quelque démonstration pour appuyer mes réclamations auprès des capitaines de la frontière. En conséquence, je réunis trois ou quatre mille hommes d'infanterie, huit cents chevaux et vingt pièces de canon à Szluin; j'y établis mon quartier général et j'entrai en communication avec les capitaines turcs. Ceux-ci, réunis à Isachich, amenèrent environ dix mille hommes, en grande partie composés de cavalerie, et ils discutèrent entre eux ce qu'il y avait à faire dans la circonstance.
Le consul de France, David, dont j'avais jusque-là constamment eu à me louer, et reconnu le zèle et la capacité, se conduisit mal en cette occasion. Au désespoir d'être forcé de tenir un langage qui le mettait en contradiction avec lui-même, il ne voulait pas comprendre que souvent la politique commande des actions réprouvées par la stricte équité et défendues à un homme privé, dans son intérêt bien entendu; que les devoirs varient suivant les circonstances. Il engageait sous main les Turcs à la résistance, et croyait ainsi mettre fin à mes instances, et conserver à ses protégés les terres dont ils s'étaient enrichis. Il aurait dû mieux juger ma position. Faire rendre justice aux Croates était pour moi une chose vitale, un moyen à saisir avec empressement pour me faire connaître à eux, et montrer l'efficacité de la protection de la France; rétrograder eût été nous perdre gratuitement dans leur esprit.
Ces manières de voir opposées produisirent une négociation difficile; car, au moment où je menaçais les Turcs, celui qui devait me seconder, et qui publiquement tenait le même langage, disait secrètement tout le contraire. Les pourparlers et les discussions durèrent un mois. Un de mes aides de camp résidait auprès de cette espèce de congrès et pressait sa décision. Je montrais une grande longanimité pour prévenir une fausse interprétation de mes mouvements, empêcher le peuple de Bosnie de croire à un commencement de guerre avec la Porte, pour bien établir enfin que ce n'était qu'une discussion de frontière. Plus je montrais de patience, et plus les capitaines turcs se rassuraient. Comme les Turcs ne cèdent jamais qu'à la nécessité et à la nécessité du moment, ils ne supposent pas qu'on puisse être inspiré par un autre sentiment. En conséquence, ne me voyant pas agir, ils ne crurent pas à des hostilités de ma part. Malheureusement cette opinion était partagée par le consul de France, qui eut l'indiscrétion de la leur laisser voir, et dès lors le parti de ne pas céder fut arrêté entre eux. Ils renvoyèrent mon aide de camp et ils répondirent, par l'organe d'Hadgi-Ali, que leurs droits aux terres envahies étaient incontestables, parce que le Grand Seigneur ne les avait pas indemnisés, que, par conséquent, ils les gardaient. Quant aux menaces d'employer la force contre eux, ils savaient parfaitement que je n'oserais jamais les exécuter. C'était me mettre dans la nécessité de les attaquer immédiatement.
Dès le lendemain, au soleil levant, je sortis de mon camp et je marchai à eux. Le spectacle offert par mes diverses colonnes descendant des montagnes était fort imposant; derrière moi marchait toute cette population dépossédée. L'armée des Turcs se composait de dix mille hommes, la plus grande partie formée de cavalerie. Ils avaient construit trois redoutes dans lesquelles ils avaient mis une quinzaine de bouches à feu, dont plusieurs sans affûts étaient en batterie sur des rouleaux. Quelques volées de canon mirent en désordre cette masse confuse; les plus braves se jetèrent sur notre infanterie et se firent tuer. Tout s'éparpilla; nous prîmes les redoutes, l'artillerie, et nous tuâmes environ deux cents hommes. Notre perte fut de cinq hommes.
Je marchai sur Isachich, lieu de rassemblement des capitaines. Les habitants l'avaient évacué. Isachich, avec les hameaux environnants, formait un total d'environ quinze cents maisons. La peine du talion étant la plus juste, les représailles toujours naturelles et opportunes avec des gens semblables, et l'unique moyen d'assurer le repos de l'avenir, je donnai ordre à tous les Croates qui me suivaient de se rendre dans les maisons abandonnées, d'en enlever ce qui était transportable et de quelque prix, et ensuite de mettre le feu partout.--Jamais ordre ne fut exécuté plus consciencieusement et avec plus de joie. Ayant pris la meilleure maison pour mon logement, le lendemain matin, dix Croates attendaient impatiemment, avec des torches, le moment où j'en serais sorti pour y mettre le feu, et tremblaient qu'elle n'échappât à l'incendie. Il est bon et utile de servir l'intérêt des siens; mais qu'on se les attache bien davantage encore en servant leurs passions! Ce pillage et cet incendie, commandés aux Croates, nous conquirent leur affection plus que toutes les faveurs possibles, et la circonstance contribua puissamment à donner à cette population le bon esprit qu'elle a conservé pendant tout le temps de notre domination.
Après avoir fait ce terrible exemple, je me rendis devant Bihacz, ville fortifiée, boulevard de la province, capitale de la Croatie turque. Au moyen d'un pli de terrain qui permettait d'approcher de la place, j'établis des batteries d'obusiers et de petits mortiers de huit pouces. Avant de commencer le feu, j'envoyai aux habitants de cette ville, où s'étaient réfugiés les principaux capitaines, auteurs de tout ce qui s'était passé, un parlementaire avec une lettre, pour leur faire connaître mes intentions. Je venais de leur prouver que jamais mes menaces n'étaient vaines; ils devaient juger combien peu je les redoutais. J'étais prêt à cesser mes hostilités si j'obtenais justice, c'est-à-dire la reconnaissance de nos droits, la libre possession des terres reprises et le repos de la frontière. La terreur régnait partout; aussi ma lettre fut-elle reçue avec reconnaissance et comme moyen de salut. Le capitaine Hadgi-Ali, principal auteur de la résistance, et qui, sur la foi du consul David, avait joué le principal rôle dans cette affaire et m'avait répondu la lettre insolente citée plus haut, crut de son devoir de se dévouer pour apaiser ma colère s'il fallait une victime. Il proposa de se rendre de sa personne dans mon camp afin d'implorer ma miséricorde. La proposition fut agréée. Il se présenta aux avant-postes, accompagné de deux autres députés. Un de mes interprètes alla le recevoir et me l'amena. L'action de ce capitaine était généreuse, car il croyait s'exposer au plus grand danger. Il connaissait l'interprète, et, aussitôt qu'il le vit, il lui dit: «Nicoletto (c'était son nom), parlez-moi franchement, dites-moi la vérité, j'ai assez de courage pour l'entendre: le maréchal demande-t-il ma tête?»--Nicoletto le rassura. J'exigeai une reconnaissance écrite de nos droits, signée de tous les capitaines de l'arrondissement. J'aurais pu obtenir des otages; cette garantie me parut superflue. Je demandai la remise de la forteresse de Czettin; mais ils me déclarèrent et me prouvèrent que la chose était hors de leur pouvoir, le capitaine qui l'occupait n'étant pas avec eux ni dans leur union, et je les crus.
Les tschardaks ou postes fortifiés ayant été replacés, les Croates rentrèrent en possession de leurs biens. La paix fut donc rétablie dans cette partie de la frontière, et n'a pas été troublée depuis. Il était difficile de rentrer de vive force dans Czettin si les Turcs eussent voulu s'y défendre. Un équipage de siége, dont je n'étais pas pourvu, eût été nécessaire. Cette opération m'aurait entraîné dans des dépenses et des travaux supérieurs à mes moyens. Czettin avait résisté aux Autrichiens pendant vingt jours de tranchée ouverte, et les mêmes Turcs de la frontière avaient battu seuls le général Devins. Ne perdant pas un moment et profitant de la terreur causée par les événements d'Isachich et de Bihacz, je crus pouvoir arriver à mes fins. En conséquence, aussitôt mon arrangement terminé, j'écrivis au capitaine qui occupait Czettin la lettre suivante:
«Vous avez été informé des événements d'Isachich et de la soumission des habitants de Bihacz. Je vous préviens qu'à l'instant même je me mets en marche contre vous. Si demain, en arrivant devant la forteresse de Czettin, je la trouve occupée par vos gens, je ne m'amuserai pas à en faire le siége, mais je détruirai toutes vos possessions et mettrai à feu et à sang votre territoire.»
Le lendemain matin, je trouvai le fort évacué par les Turcs, tout le matériel intact, les canons en batterie sur les remparts, et les magasins remplis de vivres et de munitions. Les postes furent rétablis sur cette partie de la frontière comme sur l'autre, et tout rentra dans l'ordre.
Les Croates trouvèrent, dans notre autorité, une protection efficace à laquelle ils n'étaient pas accoutumés. Sous le gouvernement autrichien, on leur donnait toujours tort dans toutes leurs discussions, tant ce gouvernement craignait de se brouiller avec ses incommodes voisins. Ma règle de conduite fut d'être de la plus scrupuleuse justice, mais de soutenir avec énergie les Croates toutes les fois qu'ils auraient raison. Ce qui venait de se passer prouvait, aux uns et aux autres, ma résolution et mon pouvoir; et, depuis ce moment, une parole de moi suffit toujours pour tout terminer.
Les Croates, relevés à leurs propres yeux, étaient devenus fiers, et les Turcs disaient d'eux qu'ils avaient pris la peau française. Parmi ceux-ci, mon nom était resté un objet de terreur. Je l'ai ouï dire il n'y a pas très-longtemps à plusieurs personnes revenant de ce pays. Il est devenu populaire comme moyen de crainte; et quand une mère veut faire taire son enfant qui pleure, elle lui dit: «Tais-toi, ou Marmont va venir.» C'est ainsi qu'autrefois, en France, on menaçait de l'ogre les petits enfants.
Je le répète, la manière dont cette affaire fut traitée a eu une grande influence sur l'esprit des Croates; elle leur a donné, pour ainsi dire, une nouvelle existence auprès des Turcs. J'ai raconté ici cette petite campagne, parce qu'elle concerne les Croates, dont je viens de parler si longuement. Mais cette courte expédition n'eut lieu qu'au commencement du printemps. Un mouvement de troupes au milieu de l'hiver, dans des pays difficiles et pauvres, dépourvus de moyens de cantonnement, aurait été trop pénible. Mes réclamations auprès du pacha furent faites immédiatement; mais la réunion des troupes, les menaces et l'exécution n'eurent lieu qu'au mois de mai.
Une partie de l'hiver fut employée à prendre connaissance de l'administration, à décider tout ce qui pouvait être réglé. Je ne trouvais aucun concours utile dans la personne de M. d'Auchy; au contraire, ses prétentions et son extrême nullité multiplièrent les obstacles. Cependant je parvins à exécuter diverses choses utiles. Après avoir pourvu aux premiers besoins de l'administration, je m'occupai d'une opération urgente, résultant de la séparation de ces provinces avec l'Autriche, c'est-à-dire du tarif de douanes. Un comité d'hommes experts en cette matière fut chargé de faire un projet d'après les bases suivantes:
1° Établir, à l'entrée des provinces illyriennes, des droits assez forts pour donner le plus de revenus possible, et assez faibles pour que la contrebande n'y soit pas encouragée. Cette dernière considération était d'une grande importance, vu l'immense développement et l'étendue du contour des provinces, comparé à leur surface et à leur richesse.
2° Favoriser d'abord l'industrie propre des provinces illyriennes, ensuite celle de la France, puis celle du royaume d'Italie, et enfin celle du royaume de Naples.
3° Établir un droit de transit pour les marchandises entrant en Autriche ou en sortant, dont Vienne est le lieu de consommation présumé ou le point de départ, et le calculer de manière à ce qu'il ne puisse pas élever le prix des marchandises assez pour faire prendre au commerce une autre direction.
4° Augmenter le droit de transit, pour les objets manufacturés en Autriche, en raison du voisinage des provinces illyriennes, et, par conséquent, de la dépendance dont ils étaient de nos communications, mais sans courir risque de les repousser.
J'envoyai le projet du tarif, avec l'indication des bases ci-dessus, au consul de France à Trieste, M. Maurice Séguier, un des hommes les plus distingués, les plus instruits, les plus spirituels et les plus agréables que j'aie jamais connus. Il communiqua ce travail aux négociants les plus éclairés, et nous parvînmes à faire assez promptement et avec succès ce travail, très-difficile de sa nature.
Je pris connaissance des ressources sur lesquelles on pouvait compter; les résultats étaient fort tristes; les revenus ne pouvaient pas s'élever pendant l'année 1810, en raison des pertes occasionnées par la guerre, à plus de cinq millions; et nos dépenses, en y comprenant les troupes françaises destinées à y rester, et dont la force avait été fixée à vingt-quatre bataillons et douze escadrons, devait s'élever à dix-neuf millions. Diverses améliorations pouvaient faire espérer de porter ces revenus de douze à quatorze millions pour les années suivantes; mais il devait toujours rester un déficit, qui, dans ce cas, serait réduit à cinq millions. Nous avions, comme ressources extraordinaires, les domaines de la Carniole, dont l'étendue formait le cinquième de la province, les riches mines de mercure d'Idria, et celles de plomb de la Carinthie. Mais, d'un côté, les biens se composaient en partie de droits féodaux dont la suppression était posée en principe, et l'on ne pouvait pas vendre un objet dont la valeur était au moment d'être réduite. D'ailleurs, l'Empereur disposa de ces biens pour en faire des dotations, ainsi que des mines de Bleiberg; et, quant à celles d'Idria, il les prit pour doter l'ordre des Trois-Toisons, dont il avait décrété la fondation en mémoire de la conquête de Vienne, répétée deux fois, et de celle de Madrid. Ainsi nous étions réduits aux plus minces ressources. Nos embarras étaient encore augmentés par la présence du papier-monnaie, laissé par les Autrichiens, et de la monnaie de cuivre, dont nous étions inondés. L'Istrie, la Dalmatie, Raguse et Cattaro s'en trouvaient exemptées, ce qui compliquait notre position. On ne pouvait brusquement mettre hors de la circulation le papier-monnaie, parce que l'argent était rare et insuffisant pour servir aux moyens d'échange. Afin de rapprocher le moment où l'on pourrait s'en passer et accélérer le retour de la monnaie effective, j'établis la valeur du florin en papier beaucoup au-dessous du cours de Vienne, soit pour les échanges de particulier à particulier, soit pour le payement dans les caisses publiques. Chacun s'empressa d'envoyer son papier à Vienne et d'en faire venir de l'argent, et, dès le mois de mars 1810, je pus prendre un arrêté qui le mettait hors de cours.
Nous fixâmes aussi, par un tarif, la valeur des monnaies de cuivre et de billon; mais, l'évaluation avant été mal faite, et les monnaies arrivant d'Autriche chez nous, il fallut faire un nouveau tarif pour les maintenir à leur juste valeur.
Tous les tribunaux des provinces illyriennes, la Dalmatie et l'Istrie exceptées, ressortissaient autrefois du tribunal d'appel de Vienne. Depuis la séparation et jusqu'à l'organisation de l'ordre judiciaire, il y eut suspension de justice, ce qui fut une grande calamité. Tout était dans le chaos, et la confusion s'augmentait encore par les exigences de l'Empereur, qui demandait des choses impossibles. Il voulait qu'on trouvât de l'argent pour tous les besoins, et cependant son premier acte avait été de déterminer que, pour l'an 1810, les impôts ne seraient pas changés, en ordonnant, d'un autre côté, qu'on appliquât sur-le-champ à ce pays les principes de l'administration française, principes entièrement différents.
Les travaux les mieux faits, les recherches les plus consciencieuses, démontrèrent l'impossibilité d'obtenir, à l'avenir, plus de douze millions de revenus des provinces illyriennes, vu les circonstances dans lesquelles elles étaient placées, c'est-à-dire avec la cessation du commerce et la distraction des domaines et des mines. Nous opérâmes sur cette base, et, de prime abord, nous doublâmes les contributions établies dans les provinces nouvellement cédées. Quant à la Dalmatie, on ne put rien changer à ce qui existait. Toutes les terres de l'intérieur, primitivement concédées à titre de fiefs, payaient autrefois au gouvernement la dîme en nature comme redevance; l'administration italienne ayant rendu les Morlaques propriétaires, la dîme forma l'impôt. Changer chez cette population, dans l'état de misère où elle était, l'impôt eu nature en impôt en argent, quelque faible que fût ce dernier, était tout à fait impossible: aussi je conservai l'ordre de choses établi; mais, au lieu d'avoir une nuée d'employés, et d'embarrasser l'administration de beaucoup de magasins, je fis affermer la dîme par arrondissement.
Le sel était un des plus grands revenus de l'Illyrie, et par la consommation propre de ses habitants, et par les ventes faites aux Turcs. J'ordonnai tout de suite que le payement du sel vendu aurait lieu en argent, et cette disposition fit rentrer quelques sommes dans les caisses publiques. Un contrôle bien entendu établit l'ordre dans cette administration et la plaça à l'abri de la fraude.
Les douanes étaient une grande affaire: le blocus continental, idée fixe de l'Empereur, exigeait impérieusement qu'on s'en occupât. Ce malheureux système, cette combinaison funeste, cause et prétexte de tant et de si criantes injustices, dont l'idée gigantesque avait quelque chose de séduisant pour une imagination comme celle de Napoléon, devenait monstrueuse et absurde dans son application; absurde, car l'Empereur, seul intéressé à l'établir contre le voeu et le besoin de toute l'Europe, pouvant seul en obtenir des résultats favorables, était obligé d'y déroger par des licences, autre scandale, autre infamie. Du jour où l'Empereur, par l'action du despotisme le plus violent exercé sur tous les princes de l'Europe, eut dérogé à son système par des exceptions à son profit, il transforma une idée grande en une misérable spéculation financière, faite aux dépens de ses propres alliés. Aucune raison politique ne justifiant plus alors la mesure la plus tyrannique qui fut jamais, elle mettait le comble à l'humiliation de tous les souverains de l'Europe, et ils durent chercher à s'en affranchir. Mais, par rapport à ses propres sujets, vit-on jamais monstruosité plus grande? Ces licences donnaient le privilége du commerce à un petit nombre d'individus, au détriment de tous ceux de leur classe; faisaient intervenir, dans l'expédition de chaque navire, le gouvernement, qui partageait le profit du commerce par le prix qu'il faisait payer la licence. Sans admettre une liberté illimitée du commerce, question d'une tout autre nature, et en admettant le droit d'en restreindre l'étendue et d'en modifier l'exercice, le gouvernement ne peut intervenir que par des règles générales, laissant à chacun, dans ses actions, la même liberté qu'à son voisin. Avec les licences, un individu corrupteur, mal famé, sans crédit, mais protégé, fait scandaleusement sa fortune; et l'honorable négociant, dont le crédit embrasse le monde, qui a répugné à employer des moyens réprouvés par la délicatesse pour obtenir une faculté qui lui est refusée, végète et consomme ses capitaux au lieu de les faire fructifier.
L'injustice était entre les individus, entre les villes, elle était partout; et, pour compléter le tableau de ce temps d'aberration et de folie, il faut rappeler deux faits dont il y a eu beaucoup d'exemples: des denrées coloniales confisquées, vendues publiquement, confisquées de nouveau et vendues encore; et la confiscation d'objets apportés par des bâtiments munis de licence, mais absents pendant que la mobile législation des douanes avait changé. Ce système, si fatal et si funeste, fut au moment d'être abandonné: on peut en juger par les demandes que l'Empereur fit adresser partout. À la fin de juillet 1810, il posa la question de savoir si l'admission des marchandises coloniales avec des droits extrêmement élevés ne valait pas mieux que la répulsion et la confiscation. Cette question, débattue avec soin, nous amena à conclure pour l'affirmative dans notre réponse. Si la résolution eût été conforme, elle rendait la vie à ce malheureux pays, et particulièrement à Trieste, monument admirable des effets de la liberté du commerce; mais il n'en fut rien. Au contraire, on exagéra toutes les mesures déjà si rigoureuses; et l'Europe, constamment insultée, avilie par le mépris de tous les droits et de toute équité, se disposa à rompre ses chaînes.
L'orgueil a toujours été un des traits les plus marquants du caractère de Napoléon; aussi tous les actes qui mettaient sa puissance en relief lui causaient de grandes jouissances. Cette action constante qu'il exerça pendant quelque temps sur tous les points de l'Europe, à l'occasion du système continental, a eu pour lui un grand charme et une grande séduction, indépendamment des calculs de la politique; mais il oubliait que, par la nature des choses, l'action de la force doit seulement être passagère; sa durée ne peut avoir qu'un temps borné, elle s'use d'elle-même: elle s'use par les intérêts; elle s'use par l'opinion, son auxiliaire indispensable. La puissance, pour être durable, doit être fondée sur la raison, et son action réglée par la modération et la justice. Et combien les flatteurs de Napoléon, qui l'ont précipité ou maintenu dans cette voie, en caressant sa passion dominante, ont eu d'influence sur sa destinée à la fin de sa carrière! Ces flatteurs sont les auteurs véritables de la catastrophe qui l'a englouti.
La forme des provinces illyriennes, dont la largeur est dans plusieurs parties très-petite, et qui se trouvent ainsi avoir une frontière d'une immense étendue, comparée à sa surface, me détermina à mettre en dehors du système continental le pays au sud de Fiume; ainsi le pays enveloppé par les douanes se composa des provinces acquises, plus l'Istrie. Les points d'observation spéciaux lurent les ports de mer et les côtes. L'étendue de celles-ci, ne pouvant être défendue par le faible corps d'armée d'Illyrie, réduit de beaucoup par l'impossibilité de l'entretenir avec les ressources du pays, me détermina à m'occuper de l'établissement d'une garde nationale garde-côtes, depuis Trieste jusqu'à Cattaro. Il en existait déjà une excellente à Raguse, à Cattaro et à Zara: je m'occupai particulièrement de celle de Trieste et d'Istrie, et je réussis au delà de mes espérances. Je développai une émulation extraordinaire dans toute cette population: l'admission dans la garde nationale fut une distinction, et, quelques priviléges plus honorifiques qu'utiles y ayant été attachés, tous les gens riches y arrivèrent en foule. Ils s'habillaient à leurs frais. Une caisse établie dans chaque compagnie, au moyen d'une légère contribution levée sur les hommes aisés, donna même les fonds nécessaires pour habiller ceux qui étaient pauvres. Tous les hommes furent exercés à la manoeuvre du canon et au maniement du fusil. Je fis armer les villes de Capo-d'Istria, Pirano, Rovigno, Pola, etc., etc., et on leur confia des batteries que, dans l'occasion, ils servirent avec intelligence et courage. Pola, à cause de sa belle rade, eut quarante pièces de canon; et, comme les gardes nationales auraient été insuffisantes et que ce point avait d'ailleurs une grande importance, je leur adjoignis deux compagnies d'artillerie de l'armée. Les gardes nationales de service recevaient le pain, et, quand elles quittaient leurs communes pour le service, elles avaient la solde de l'armée.
Jamais je n'ai vu nulle part, en aucun temps, une garde nationale si digne d'être comparée aux troupes de ligne. On peut faire des hommes ce qu'on veut. Tout est dans la manière de s'y prendre; et, quand on ne réussit pas, l'autorité a toujours tort. Je trouvai à Rovigno un ecclésiastique encore jeune, qui semblait regretter d'être prêtre, et je lui demandai pourquoi il avait choisi cet état. Il me répondit: «Hélas! monsieur le maréchal, les idées changent suivant les temps: autrefois, tout le monde voulait être prêtre, comme aujourd'hui tout le monde veut être garde national.»
J'organisai ainsi, depuis Trieste jusqu'à Fiume, un corps de deux mille cinq cents hommes qui servait à merveille, ne me coûtait presque rien et m'assurait la défense des côtes. La totalité des gardes ainsi organisés à Trieste, en Istrie, en Dalmatie et en Albanie, s'élevait à une force d'environ dix mille hommes.
Je me trouve naturellement conduit à raconter ce que je fis pour délivrer l'Istrie de l'oppression exercée sur elle depuis un grand nombre d'années par une bande de brigands sous laquelle elle gémissait.
Depuis trente à quarante ans, des voleurs, au nombre de cent cinquante au moins, cantonnés entre Rovigno et Pola, dans les bois qui couvrent cette partie de la province, faisaient trembler toute la population des environs. Sous les Vénitiens, une faible guerre, rendue peu efficace par l'argent distribué à propos, leur était faite. La proximité de la frontière de la Croatie donnait d'ailleurs aux coupables le moyen d'échapper aux poursuites. Sous le gouvernement autrichien, ils s'étaient un peu modérés, et la mollesse des autorités avait fait leur salut. Quand l'Istrie appartint au royaume d'Italie, les désordres anciens avaient recommencé dans tous leurs excès. C'était à cet état de choses que j'avais à remédier.
Le désordre était tel, que les habitants du sud de l'Istrie et de Rovigno n'auraient pas osé sortir de leurs villes si, d'avance, ils n'avaient pris l'engagement de payer, chaque année, aux brigands une contribution dont la quotité était proportionnée à leur fortune. Un homme voulait-il s'affranchir de cette dépendance, sa campagne était infailliblement brûlée. Une fois la taxe acquittée, chacun pouvait aller et venir librement; ses biens, sa famille et sa personne étaient constamment respectés. On s'était soumis à cette espèce de souveraineté de fait, en payant une somme modérée, plutôt que d'attendre sa sûreté de la protection d'une autorité dont l'impuissance était démontrée.
Mon devoir était de faire disparaître ce scandale, qui rappelait la Turquie; mais j'avais à vaincre, pour ainsi dire, la résistance des habitants, effrayés de se brouiller avec les brigands, et de faire courir des risques à leurs habitations et à leurs personnes si l'autorité, comme il était arrivé tant de fois, n'atteignait pas son but.
Je formai plusieurs détachements de troupes, sous le commandement d'officiers choisis. J'ajoutai à chacun d'eux des détachements de gardes nationales, composés d'hommes sans propriétés, moins exposés que d'autres à la vengeance des brigands, et connaissant bien le pays.
Toutes ces colonnes étant mises sous les ordres d'un officier supérieur, on commença la chasse. Au moment même où on poursuivait les brigands, je fis placer des soldats dans toutes les maisons des villages à portée, dont les habitants étaient, pour la plupart, complices des brigands. Ordre rigoureux fut donné de les retenir tous, hommes, femmes, enfants, jusqu'à la fin des opérations.--Par ce moyen, les brigands perdirent à la fois les avis et les vivres qu'ils tiraient de ces villages ainsi que les refuges qu'ils pouvaient y trouver dans un cas pressant. Abandonnés ainsi à eux-mêmes et privés de tout secours étranger, ils ne pouvaient plus se défendre ni subsister. Une commission militaire en permanence jugeait immédiatement les hommes saisis. La chasse dura trois semaines environ. Soixante et quelques de ces misérables furent pris et pendus sur le lieu même de leurs exploits; une douzaine se soumirent, donnèrent des sûretés, et le reste disparut. Depuis, et tant que dura le régime français, on n'en entendit plus parler. Cette province devint aussi sûre que le reste de l'Illyrie.
Je complétai l'organisation civile des provinces en établissant, à l'instar de la France, une administration des contributions directes, et en faisant faire la répartition de l'impôt fixé pour l'année suivante.
Quoique le pays soit cadastré depuis Marie-Thérèse, cette opération était difficile à la suite d'un si long temps; chaque propriété avait, pour ainsi dire, changé de nature. L'impôt du timbre et de l'enregistrement fut adopté et une régie des domaines créée; mais on ajourna la perception de l'impôt de l'enregistrement jusqu'à là publication du Code civil. Une règle unique est indispensable, et alors il y avait autant de lois et de coutumes que de provinces. Ces divers changements promettaient de l'argent pour l'avenir, mais ne nous en donnaient pas pour le moment. Nos besoins étant extrêmes et d'une urgence impossible à exprimer, je fis un emprunt de cinq cent mille francs à Trieste. Couvert aussitôt, ce fut une ressource momentanée. J'établis une administration des postes et un service régulier pour toute l'étendue des provinces. J'avais, deux fois par semaine, des nouvelles des points les plus éloignés.
Enfin je créai un corps des ponts et chaussées, composé des meilleurs ingénieurs civils des villes et de la province de Carniole, et je mis à sa tête un ingénieur nommé Blanchard, envoyé de France, homme fort capable. Je m'occupai aussi de l'instruction publique, et j'établis deux écoles centrales, une à Laybach et l'autre à Zara, et huit lycées dans les principales villes; deux écoles d'arts et de métiers; des écoles primaires dans toutes les communes. L'instruction enseignée dans les écoles supérieures comprenait le latin et le français, les mathématiques et la physique; et, avec le temps, les écoles de Laybach et de Zara auraient reçu plus de développement. Un assez grand nombre de bourses fut créé, et le tout établi si économiquement, que l'ensemble de l'instruction publique, hors des écoles primaires, ne s'élevait pas, en y comprenant les bourses, au delà de deux cent cinquante mille francs.
Pour achever l'indication sommaire des établissements faits alors, je parlerai encore d'une régie intéressée pour la vente des tabacs, d'une entreprise pour la fabrication des poudres, et des salpêtrières dans toutes les villes. Notre situation devant nous porter aux économies, je fis répartir chez les cultivateurs solvables douze cents chevaux d'artillerie et d'équipages, avec obligation de les représenter au moment du besoin, ou d'autres de même valeur. Cette mesure, en usage en Prusse de tout temps, avait déjà été pratiquée en France, après la paix de Lunéville. Il n'y en a pas de plus utile. On devrait toujours y revenir, car elle donne des moyens d'armement très-prompts. Elle réserve pour le service du gouvernement et utilise pour le pays des chevaux qui, à la fin des guerres, n'ont aucune valeur au moment où ils sont vendus. N'en retrouva-t-on que la moitié au moment où on les réclame, il y aurait encore pour l'État un grand bénéfice de temps et d'argent.
Aussitôt que la saison et les affaires la permirent, je commençai une inspection de détail dans les régiments frontières, et un voyage dans le reste des provinces. Je vis les Croates, compagnie par compagnie, je pourvus à leurs besoins, je satisfis à leurs demandes, et je laissai ce peuple content d'appartenir à son nouveau souverain; il n'avait pas perdu au change, et il le sentait. Il devait conserver ses institutions, auxquelles il tenait beaucoup, et il était l'objet de soins plus empressés et d'une protection plus efficace; et puis le nom français alors était si grand!
J'avais fait traduire en illyrien nos ordonnances sur les manoeuvres. Afin de les faire apprendre aux Croates, j'attachai momentanément deux bons instructeurs français, pris dans les régiments français, à l'état-major de chaque régiment croate. Une instruction normale fut donnée, et un officier et deux sous-officiers par compagnie venaient, sous les yeux des colonels, apprendre à servir eux-mêmes d'instructeurs. J'attachai aussi à chaque régiment français des officiers et sous-officiers croates, pour y être instruits. Dans le cours de l'été, les régiments croates acquirent l'instruction nécessaire pour servir et manoeuvrer avec les troupes françaises, et les Croates, fort intelligents, apprirent assez vite tous les commandements français, pour les faire eux-mêmes et les exécuter. Dès lors, tous les commandements eurent lieu en notre langue, chose indispensable pour des troupes qui devaient servir avec nous.
De bonne heure, j'avais pensé à étendre nos relations de commerce avec la Turquie, et, pour les favoriser, j'avais donné l'ordre de construire un grand lazaret à Costanitza. Le confluent de la Culpa dans la Save m'avait d'abord paru un emplacement plus avantageux, comme pouvant servir également aux marchandises venant par eau et par terre; mais, ces dernières étant de beaucoup les plus nombreuses et devant le devenir davantage encore, leur intérêt particulier dut prévaloir. Le commerce avait déjà les habitudes de Costanitza, et il ne faut pas changer la marche du commerce sans nécessité. Les travaux, conduits avec activité, furent terminés dans la campagne. Cependant un entrepôt secondaire fut établi à Sissek.
J'allai voir aussi les Croates, dont j'avais vengé la querelle et qui rebâtissaient leurs demeures: elles y gagnèrent, comme il arrive toujours en pareil cas; des ingénieurs présidèrent à leurs travaux, et leurs habitations furent réunies par masses de vingt à vingt-cinq maisons. Les régiments étant autorisés à venir à leur secours, des bois leur furent fournis gratuitement; on leur abandonna un certain nombre de journées de travail qu'ils devaient à l'État. L'ouvrage, très-régulièrement exécuté, fut terminé avant la mauvaise saison.
Je réformai une disposition de l'état civil des Croates contraire aux intérêts de la population. Les mariages, trop précoces et autorisés dès l'âge de douze à quinze ans, furent défendus avant seize ans pour les filles et dix-huit ans pour les hommes. J'avais obtenu de l'Empereur d'envoyer deux cents enfants croates, fils d'officiers et de sous-officiers, en France, pour y être élevés, aux frais de l'État, dans nos lycées et nos écoles. Cette disposition fut reçue avec joie et reconnaissance. Je fis faire les choix sous mes yeux. Les jeunes gens partirent sans retard en deux détachements, à pied et conduits par des officiers. Peut-être un jour la France retrouvera-t-elle les fruits de ces soins!
Après avoir visité ainsi la Croatie et revu les champs de bataille où l'année précédente j'avais combattu, je revins par Segna, Fiume, Trieste, Gorizia, Villach et Laybach.
Trois vaisseaux et une frégate nous avaient été cédés par les Russes. L'Empereur voulait, avec un de ces vaisseaux et la frégate, faire le fond de la marine d'Illyrie; les matelots étaient faciles à fournir, mais où était l'argent pour les payer? car l'Empereur se refusait à reconnaître la disproportion existante entre les charges qu'il nous imposait et nos ressources; son esprit présentait déjà, et fréquemment, les contradictions extraordinaires qui depuis ont été toujours en augmentant.
Avant ce temps, il était toujours d'accord avec lui-même: quand il voulait la fin, il voulait les moyens; mais alors il ordonnait l'une sans s'occuper des autres. Il fallait donc nécessairement lui désobéir, ou dans le résultat ou dans le choix des moyens. Je fis visiter le vaisseau; trouvé hors d'état de naviguer par la commission de marine chargée sous mes ordres du service, on le démolit; mais la frégate fut armée au moyen de nouvelles levées, et ces levées fournirent aussi l'équipage du vaisseau le Rivoli qui était à Venise. La frégate alla le joindre et passa à la solde de l'Italie. La flottille de l'Illyrie se trouva seulement composée de deux goëlettes, deux bricks, dix chaloupes canonnières et vingt péniches; elle se divisait en trois stations suffisantes à la protection de nos côtes.
CORRESPONDANCE ET DOCUMENTS
RELATIFS AU LIVRE TREIZIÈME
LE MINISTRE DE LA GUERRE AU MARÉCHAL MARMONT
«Paris, le 11 décembre 1809.
«Monsieur le maréchal, j'ai reçu la lettre que Votre Excellence m'a adressée de Laybach le 25 de novembre, et je me suis empressé de la mettre sous les yeux de Sa Majesté.
«Par cette lettre, monsieur le maréchal, vous demandiez des ordres prompts pour la réorganisation des régiments croates, que Votre Excellence présumait avec raison devoir être conservés au service de l'Empereur.
«Sa Majesté veut, en effet, que les troupes croates soient immédiatement réorganisées; mais elle m'ordonne de vous faire connaître que, pour effectuer cette organisation, Votre Excellence n'a besoin de recevoir aucun ordre de sa part, et que vous devez, de suite, donner tous ceux qui seront nécessaires pour remplir cet objet.
«Sa Majesté vous autorise spécialement, monsieur le maréchal, à faire donner des armes aux soldats croates et à nommer leurs officiers. Elle entend toutefois qu'avant de les armer Votre Excellence se soit assurée qu'on peut le faire avec confiance.»
LE MINISTRE DE LA GUERRE AU MARÉCHAL MARMONT.
«Paris, le 21 décembre 1809.
«Monsieur le maréchal, l'intention de l'Empereur est que Votre Excellence administre ce pays, en touche les revenus, et les fasse servir à l'entretien des troupes. Sa Majesté vous recommande cependant, monsieur le maréchal, de ne rien faire, pour les finances que de concert et par le canal de M. le conseiller d'État d'Auchy.
«Je vous préviens en même temps, monsieur le maréchal, que l'intention de Sa Majesté est que le commandant de la Dalmatie s'adresse à Votre Excellence pour tout ce qui aura rapport au bien du service et aux besoins des troupes stationnées dans celle partie des provinces illyriennes.»
LE MARÉCHAL MARMONT À D'AUCHY.
«1er janvier 1810.
«Monsieur l'intendant général, depuis sis semaines que j'ai rejoint l'armée, il ne m'a pas été difficile de démêler vos sentiments et de remarquer votre conduite. Mais j'espérais que de bonnes manières, et les égards particuliers que je vous ai montrés suffiraient pour vous ramener à des idées plus saines. Puisque le contraire est arrivé, je dois avoir une explication avec vous.
«Il est possible que vous ayez raison de vous plaindre de votre destination, de vous trouver employé d'une manière inférieure à vos droits et à vos talents; mais, quelle que soit votre position personnelle, elle ne vous permet pas de vous exprimer sur le compte de l'armée française comme vous le faites dans vos conversations habituelles: le texte de tous vos discours est l'injustice et l'arbitraire des militaires, et vos passions vous emportent au point de ne pas voir que vous scandalisez ceux mêmes que vous croyez qui y applaudissent.
«Où sont les actes arbitraires? Où sont les injustices? L'armée française ne mérite que des éloges, et mon corps d'armée, en particulier, est un modèle d'ordre, de discipline et de subordination, comme les généraux qui la commandent sont l'exemple de l'honneur et de la délicatesse. S'il y avait des abus, c'est moi que vous devriez en entretenir, et non de nouveaux sujets de l'Empereur, dont l'opinion n'est pas encore fixée, et que, sans doute, vous n'engagez pas ainsi à nous aimer.
«Croyez-vous donc bien servir l'Empereur en cherchant à nous rendre odieux? Non, monsieur, non; vous ne pouvez pas prendre une marche qui soit plus nuisible aux intérêts de Sa Majesté.
«Vous avez établi en principe de persécuter ceux qui ont de la déférence pour nous. Eh mais, monsieur, quelle erreur vous égare, et dans quel pays des généraux qui méritent l'estime et la confiance publique ne doivent-ils pas recevoir des témoignages de déférence? Vous avez menacé de destituer de vos employés par le seul motif qu'ils sont venus quelquefois chez moi. Vous avez traité injustement des hommes parce qu'ils ont montré de l'empressement à me donner des renseignements sur le pays. Vous avez suspendu pour plusieurs mois, après l'avoir menacé de destitution, un ingénieur, parce qu'il a accompagné le général Bertrand, aide de camp de Sa Majesté, dans une reconnaissance sur la Save. Vous avez menacé de destitution un autre ingénieur, s'il se rendait auprès du général Guilleminot, chargé de fixer les frontières, lors même que votre autorité sur eux est incertaine, n'ayant encore d'autre attribution que les finances.
«Mais, en vérité, monsieur, quel est l'esprit qui vous conduit? Y a-t-il guerre civile, et avons-nous des intérêts autres que ceux de l'Empereur?
«Il y a trente-six jours que les troupes françaises occupent Carlstadt. Le pays est dépourvu d'effets de casernement, et je vous ai écrit pour en faire acheter. Vous avez donné des ordres et des moyens à M. Koermelitz, administrateur. J'étais autorisé à espérer que tout serait promptement en ordre. À mon arrivée ici, rien n'est acheté, aucun marché même n'est fait, et les troupes sont dans l'état le plus minable.
«Je suis justement indigné de l'ineptie de M. Koermelitz; et, trouvant dans M. Litardi, auditeur au conseil d'État, un jeune homme plein d'intelligence, de zèle, et muni de votre confiance, je le charge d'établir le casernement. Immédiatement on éprouve les meilleurs effets des mesures qu'il a prises, et, au lieu d'applaudir, vous censurez, vous menacez, vous déclarez que rien de ce que M. Litardi a fait acheter ne sera payé, et vous renvoyez à M. Koermelitz, dont je suis autorisé à soupçonner beaucoup la probité, pour l'examen des fournitures faites à l'hôpital. Ainsi les troupes doivent être victimes de vos passions.
«N'aurai-je donc aucune action sur l'administration du pays? Ma seule qualité de chef de l'armée, et ma présence sur le lieu même, quand vous êtes à quarante lieues, auraient dû vous faire déférer avec empressement à ce que j'avais ordonné, et qui intéresse aussi puissamment la conservation des soldats. Mais, puisque j'ai d'autres pouvoirs, votre conduite est bien plus étrange.
«Monsieur l'intendant général, rien ne peut être plus fatal aux intérêts de l'Empereur, à la tranquillité et au bien-être du pays, que la division que fait naître votre amour-propre froissé. Élever autel contre autel, c'est préparer l'influence de l'Autriche, puisque c'est organiser des partis dont elle saura bien faire usage. Il n'y a et ne peut y avoir qu'un seul point de ralliement, c'est le premier magistrat délégué par l'Empereur.
«J'espère donc que vous ferez cesser une lutte qui ne pourrait offrir que du scandale et nuire aux intérêts de Sa Majesté. Je ne vois pas, d'ailleurs, quels avantages elle pourrait vous promettre; car, quelque répugnance que m'inspirent de pareilles discussions, je saurai, s'il le faut, les soutenir; mais je préférerai toujours vivre en bonne intelligence avec vous, si vous voulez y concourir. Je le désire même vivement, attendu que le bien du service de l'Empereur le commande.
«Je vous adresse un paragraphe d'une lettre du ministre de la guerre, en date du 21 décembre. Il vous fera connaître les intentions de Sa Majesté. En conséquence, je vous prie de vouloir bien, jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné, ne prendre aucune disposition et ne donner aucun ordre sur les choses de quelque importance dans l'administration des provinces illyriennes, sans m'en avoir rendu compte, et sans avoir pris mon assentiment et mon approbation.»
LE MINISTRE DE LA GUERRE AU MARÉCHAL MARMONT.
«Paris, le 1er janvier 1810.
«Monsieur le maréchal, j'ai eu l'honneur de prévenir Votre Excellence, par ma dépêche du 27 décembre, que, d'après les ordres de Sa Majesté, les troupes qui se trouvaient dans la Croatie devaient être mises sur le pied de paix.
«Par suite de nouveaux ordres de Sa Majesté, cette disposition s'applique à toutes les troupes qui composent l'armée d'Illyrie.
«Je vous prie, monsieur le maréchal, de vouloir bien ordonner toutes les dispositions nécessaires pour la mise sur le pied de paix de toutes les troupes que vous commandez.
«En conséquence de ces dispositions, les officiers généraux qui font partie de l'armée d'Illyrie ne recevront plus, à compter du 1er janvier, présent mois, le supplément de guerre, et ne jouiront, indépendamment de leur solde, que d'un traitement extraordinaire de six mille francs, pour les généraux de division, et de trois mille francs pour les généraux de brigade, le tout par année.
«Les adjudants-commandants ne toucheront plus le supplément de guerre, et ceux qui sont chargés des fonctions de chefs d'état-major, dans les divisions, ne recevront que cent cinquante francs par chaque mois.
«Les bataillons du train ne recevront que la solde déterminée pour le pied de paix.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU DUC DE FELTRE
«Laybach, 9 janvier 1810.
«Monsieur le duc, le colonel Leclère, aide de camp de Votre Excellence, est arrivé et m'a remis les dépêches dont vous l'aviez chargé pour moi. Je vais m'occuper sans retard de l'exécution des dispositions qui sont contenues dans les arrêtés de l'Empereur et dans vos lettres. Votre Excellence s'adressant à moi comme gouverneur général des provinces illyriennes, je crois devoir en remplir sur-le-champ les fonctions, quoique je n'aie pas encore reçu ma nomination.
«La lettre de Votre Excellence du 27 décembre m'annonce que l'intention de l'Empereur est que les troupes qui sont en Croatie soient mises sur le pied de paix, et que je fasse cesser les fournitures arbitraires qui pèsent sur les habitants.
«J'ai l'honneur de vous assurer qu'il n'y a aucune fourniture arbitraire depuis longtemps; que les réquisitions faites en Croatie n'ont eu pour objet que des services réguliers, et n'ont eu lieu, à l'entrée des troupes, que parce que M. l'intendant général n'avait pris aucune disposition pour les faire vivre et pourvoir à leurs besoins.
«Votre Excellence, ne me parlant que de la Croatie, me fait soupçonner que l'Empereur n'a eu pour objet, dans ce qu'il prescrit, que le redressement de torts qu'il croyait exister, et non la mise sur le pied de paix, qui semblerait dans ce cas devoir regarder tout mon corps d'armée. J'attends donc de nouveaux ordres, qui sans doute lèveront bientôt mon hésitation à cet égard.
«J'ajouterai à ce qui précède une observation dont je demande à Votre Excellence de peser l'importance. Si les troupes sont sur le pied de paix et qu'on n'ordonne pas leur solde en papier au cours déterminé et fixé par M. d'Auchy, qui est celui du marché, il est impossible que les troupes vivent, attendu qu'elles recevraient moins de dix sous pour un franc. Le cours fixé et suivi étant de cinq florins pour un, M. d'Auchy a refusé de payer à ce taux et a rendu compte au ministre des finances, qui n'a pas encore répondu. Je demande à Votre Excellence d'obtenir de Sa Majesté une décision qui fixe notre situation: et, puisque les troupes ne peuvent pas recevoir d'argent, il me paraît indispensable, pour qu'elles puissent subsister, qu'on leur donne des vivres en nature, et encore seront-elles très-misérables, ou du papier à sa valeur réelle et au cours fixé par M. d'Auchy, tel enfin que la caisse publique le reçoit.
«Il me reste une autre demande à adresser à Votre Excellence: c'est que, comme les provinces cédées par l'Autriche, et qui font la presque totalité des ressources de l'Illyrie, au moins pour le moment, ne pourraient pas donner, de plusieurs mois, les moyens de payer les troupes en argent, et que le papier n'a pas cours en Dalmatie, il serait nécessaire de donner un secours en numéraire pour les deux régiments qui sont dans cette province, et qui sont depuis longtemps sans aucune solde. Il y a un fonds de près d'un million à Venise, fait au commencement de la guerre pour l'armée de Dalmatie, qui, n'ayant pu le recevoir, n'en a pas disposé.»
LE MINISTRE DE LA GUERRE AU MARÉCHAL MARMONT.
«Paris, 13 janvier 1810.
«Monsieur le maréchal, j'ai soumis à l'Empereur la demande que vous me faisiez de quinze mille fusils pour armer les régiments de Croates que vous formez en ce moment, en priant Sa Majesté de me faire connaître ses intentions à cet égard.
«Sa Majesté me charge de vous mander qu'elle trouve cette demande bien prématurée et bien hasardée, et qu'elle pense qu'il faut ajourner cet armement jusqu'à ce que l'on connaisse bien les dispositions des Croates et que l'on en soit bien sûr. Sa Majesté craint que d'en agir autrement ce serait peut-être agir avec légèreté, et elle a voulu que son observation à ce sujet fût communiquée à Votre Excellence.
«Cependant l'Empereur vous autorise, si vous êtes bien assuré que les Croates ne se serviront pas contre nous des armes qu'on pourrait leur donner, à faire armer tout au plus une compagnie par régiment, mais sans excéder le nombre de mille hommes armés: vous pourrez tirer ces mille fusils de la place de Zara ou de celle de Venise.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU DUC DE FELTRE.
«Laybach, 24 janvier 1810.
«Je reçois la lettre que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire le 6 janvier en conséquence d'une lettre adressée au ministre des finances par M. d'Auchy, dans laquelle il se plaint que l'administration des troupes qui occupent les provinces illyriennes était confiée à plusieurs ordonnateurs. Cet état de choses était le résultat de la présence de l'armée d'Italie. Les réquisitions dont on se plaint n'ont été faites que par elle, et elles ont cessé au moment même de son départ.
«L'armée d'Illyrie est depuis longtemps, à l'exception des fourrages, fournie par entreprise.
«J'ai eu l'honneur de rendre compte à Votre Excellence de sa situation, particulièrement des troupes que je commande, qui, sans aucune solde depuis longtemps, seraient sans moyen de subsister si je n'avais pas fait continuer la fourniture de vivres de campagne jusqu'à ce qu'un mois d'appointements et quinze jours de solde et de masse d'ordinaires aient été donnés aux officiers et soldats.»
LE MARÉCHAL MARMONT À SÉGUIER.
«Laybach, 2 février 1810.
«Monsieur le consul général, j'ai l'honneur de vous adresser un projet de tarif de douanes qui a été rédigé pour les provinces illyriennes. Je désire que vous en preniez connaissance et que vous consultiez, sans éclat, les négociants qui vous inspireront le plus de confiance pour avoir leur opinion sur ce travail. Je désire enfin que vous cherchiez à reconnaître si l'application des principes que j'ai posés est bien faite. Ces principes sont:
«1° D'établir à l'entrée des provinces illyriennes des droits assez forts pour donner le plus de revenu possible et assez faibles pour que la contrebande offre peu d'avantages. Cette considération est d'une grande importance, attendu que l'étendue des provinces illyriennes ne permet pas une parfaite surveillance.
«2° Favoriser d'abord l'industrie des provinces illyriennes, ensuite celle de la France, puis celle du royaume d'Italie, et enfin celle du royaume de Naples.
«3° Établir un droit de transit pour les marchandises qui entrent en Autriche et qui en sortent, dont la consommation ou le départ est présumé être Vienne, et calculer le prix des marchandises de manière à ce que les négociants ne trouvent pas avantage à faire prendre une autre direction à leurs marchandises.
«4° Augmenter ce droit de transit pour les objets manufacturés en Autriche, en raison du voisinage des provinces illyriennes, et, par conséquent, de la dépendance où elles sont de nos communications.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU DUC DE FELTRE.
«Trieste, 6 février 1810.
«Je viens de recevoir la lettre que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire, le 25 janvier, et qui m'annonce que l'Empereur est dans l'intention de ne donner aucun secours pécuniaire à l'armée d'Illyrie, et qu'elle doit s'entretenir par les ressources du pays.
«Sa Majesté aura reçu peu après le budget des provinces illyriennes, présentant le tableau exact des recettes et des dépenses, et elle aura été à même de juger combien ces provinces sont loin, au moins pour cette année, d'être en état de fournir aux besoins des troupes qui ont été désignées pour les occuper. Quoique je sois autorisé à croire qu'en ce moment Sa Majesté est parfaitement au fait de la véritable situation des choses, je vous demande de mettre sous ses yeux le résumé suivant.
«Le décret du 25 décembre 1809 détermine que les impositions dans les provinces illyriennes seront, dans l'an 1810, les mêmes qu'avant l'entrée des Français.
«Le tableau général des recettes et des dépenses présente, comme résultat disponible, cinq millions de francs environ, en comprenant comme recette un million d'économies qui doit résulter des suppressions à faire en Dalmatie et de celles qui seront la conséquence de la mise en activité de l'organisation projetée; et cependant les dépenses doubles, occasionnées par l'établissement des intendants, sans la suppression des capitaines de cercles, et les réformes à faire en Dalmatie, ne pourront cesser d'avoir lieu que lorsque Sa Majesté aura fait connaître sa volonté, ordonné les suppressions, et prescrit l'organisation qu'elle veut donner aux provinces illyriennes.
«Quelle que soit la promptitude avec laquelle arrivent les ordres, et quelque diligence que nous mettions à les exécuter, il est probable que, pour l'année 1810, les économies, évaluées à un million, n'arriveront pas à plus de six cent mille francs; de manière que l'on peut regarder comme certain que, malgré les bases établies, les produits nets n'iront pas cette année à cinq millions, et les provinces illyriennes ont besoin, pour leur administration, pour l'entretien de vingt-quatre bataillons, ainsi que l'a fixé Sa Majesté, de l'état-major de l'armée et des places; enfin la solde des officiers, sous-officiers et soldats des régiments frontières, de dix-huit à dix-neuf millions. Ainsi le déficit est certainement cette année, et d'après les bases ci-dessus, de treize à quatorze millions.
«Plusieurs circonstances rendent encore douteuse la rentrée de la totalité des revenus. Les consommations extraordinaires qui ont eu lieu dans le pays, les réquisitions qui ont été faites pendant six mois, l'entretien presque à discrétion d'une bonne partie de l'armée d'Italie en Carinthie et à Gorrizia pendant près de trois mois; enfin la chute du papier qui bouleverse les fortunes, et les suppressions prochaines d'une grande partie des droits féodaux dont le principe est consacré dans le décret de l'Empereur; tous ces motifs doivent faire craindre que les impôts ne soient payés que d'une manière incomplète; mais au moins ils autorisent à éloigner l'idée d'une augmentation dans les impôts pour cette année, idée qu'au surplus Sa Majesté a rejetée d'elle-même.
«À ces causes de la faiblesse des revenus, il faut ajouter que les révoltes qui ont eu lieu en Dalmatie ont réduit à rien les revenus pendant l'année 1809, tandis que l'organisation est restée la même, et qu'il est dû huit à dix mois d'appointements à tous les employés de la justice et de l'administration;--que l'état de blocus a fait émettre à Zara, tant pour les travaux de la place que pour le payement des troupes italiennes et de la flotte, une somme de trois cent mille francs en billets de siége, dont l'état a été envoyé au ministre des finances, et dont le royaume d'Italie n'a pas encore opéré le remboursement;--que la circulation de ces billets, qui éprouvent une perte assez considérable, embarrasse et gêne l'administration à Zara;--enfin que la cession au royaume d'Italie des salines du pays, faisant disparaître le peu d'industrie commerciale de la Dalmatie par la destruction des moyens d'échanges avec les Turcs, diminuera le produit des douanes, et enlève encore au trésor public un revenu de sept cent mille francs, tandis que les salines de l'Istrie portent à l'Italie un revenu net de cinq millions, en laissant seulement à l'Illyrie les charges de l'administration de ces deux provinces.
«En conséquence de toutes ces causes réunies, on doit conclure que les revenus nets des provinces illyriennes ne s'élèveront pas et ne peuvent s'élever, pour cette année, à cinq millions.
«Ces revenus, rapprochés du chiffre des dépenses que j'ai eu l'honneur d'exposer à Votre Excellence, tant pour l'administration du pays que pour l'entretien des troupes, telle que leur force a été déterminée par Sa Majesté, et la solde des officiers et sous-officiers des régiments frontières, etc., etc., s'élevant à une somme de dix-huit à dix-neuf millions, présenteront un déficit de treize à quatorze millions.
«Mais, si l'on doit conclure un déficit aussi considérable pour l'année 1810, il est facile d'envisager une amélioration certaine et très-forte dans la recette de l'année suivante.
«Un cinquième des domaines de la Carniole appartient à l'Empereur. L'administration de ces biens a été jusqu'ici très-vicieuse, les régisseurs en consommaient presque tous les revenus. L'opinion du pays à leur égard n'est pas équivoque et les accuse de la plus grande infidélité. Lorsque les domaines seront affermés, les produits tripleront infailliblement. Le désir d'améliorer l'administration m'avait fait former le projet de hâter le moment où ce régime sera établi; mais plusieurs raisons s'opposent à un changement immédiat.
«L'Empereur est dans l'intention de supprimer plusieurs droits féodaux; ainsi les domaines, dont les revenus se composent en partie de ces droits, ont une valeur variable, et personne ne peut souscrire des engagements à la veille de changements dont il ne connaît pas l'importance.--D'un autre côté, l'extrême rareté de l'argent, ou plutôt sa disparition absolue, rendant le moment actuel peu avantageux pour établir des fermages, il faut ajourner à plusieurs mois les changements qu'une bonne administration rend cependant nécessaires.
«L'exploitation des mines n'est certainement pas portée au point où elle peut être, et, après des recherches, des observations et des changements utiles, on peut raisonnablement espérer une augmentation de produits et par conséquent de revenus.
«Les bois sont administrés sans ordre, mais il faut du temps pour établir un système régulier.
«L'an prochain, les plaies de la guerre étant en partie cicatrisées, il sera naturel d'établir des impôts sur le sel, sur d'autres objets de consommation, et l'impôt sur le sel peut produire plusieurs millions.
«Enfin, si on ajoute les résultats de l'économie qu'il est probable que l'on pourra apporter avec le temps dans la perception de plusieurs impôts, on est autorisé à espérer une augmentation de revenus considérable, et je ne pense pas les évaluer alors trop haut en les portant à douze ou quatorze millions.--Dans ce cas, il ne resterait plus qu'un déficit de quatre à cinq millions.
«Il résulte de ce qui précède que la cause de la pauvreté des finances des provinces illyriennes est immédiate et qu'elle nous frappe aujourd'hui; tandis que celle de sa prospérité est nécessairement ajournée après l'exécution des dispositions qui doivent la faire naître, et que le temps est indispensable pour en obtenir l'effet, et le résultat satisfaisant ne pouvant pas, vu l'importance des changements, devoir être attendu avant une année.
«Tels sont, monsieur le duc, les principaux traits du tableau que j'avais à vous soumettre. Je vous le présenterai avec plus de détail, lorsque j'aurai reçu les renseignements que j'ai demandés, jusqu'ici infructueusement à M. l'intendant général, et je ne doute pas qu'ils ne confirment en tout point ces aperçus généraux.
«D'après l'exposé de notre situation, Votre Excellence peut juger de la gêne que nous éprouvons aujourd'hui. Les troupes ne sont pas payées depuis le 1er novembre. Les officiers, comme les soldats, sont dans le plus extrême besoin et souffrent beaucoup. Trois mille francs, que nous avons donnés avec beaucoup d'efforts à chaque bataillon, servent à peine à assurer la subsistance du moment. Sa Majesté jugera sans doute que des secours considérables nous sont nécessaires cette année; mais, comme ses intérêts et sa volonté sont la règle de toutes mes actions, elle aura lieu de reconnaître, j'espère, que je ne néglige aucune occasion de les rendre moins nécessaires chaque jour. Si l'intendant général veut y concourir avec zèle et plus d'activité, j'espère que nous approcherons au moins du terme indiqué par l'Empereur. Mais il faut le temps indispensable à tout changement, et particulièrement dans les circonstances difficiles où nous sommes.
«Je n'ajouterai plus qu'un mot, c'est que, les caisses des régiments frontières ayant été emportées par les colonels au moment de la remise du pays, ce ne sera qu'après la récolte que les régiments toucheront la plus grande partie des revenus qui forment leur dotation; que, jusqu'à cette époque, il faut que la solde mensuelle soit faite aux officiers, sous-officiers, prêtres, employés, etc., etc., par la caisse générale des provinces illyriennes, et qu'il serait extrêmement fâcheux que, dans les premiers mois qu'ils servent Sa Majesté, et au moment où doit se former l'opinion de leur bien-être à venir, ils éprouvassent du retard dans leur payement. Leur sort dans les six premiers mois influera beaucoup sur la conduite de toute leur vie.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU MINISTRE DE LA GUERRE.
«3 mai 1810.
«Monsieur le duc, j'ai eu l'honneur de rendre compte à Votre Excellence des négociations entamées par Surulu-Pacha avec les capitaines rebelles nos voisins; que le capitaine Vakup avait restitué le terrain envahi et s'était engagé à ne jamais troubler la frontière; que le capitaine de Bihacz tergiversait, ainsi que Hassan-Aga de Pekey, les deux principaux rebelles.
«Le 27 avril, il arriva un nouveau firman du Grand Seigneur, et de nouveaux ordres du vizir de Bosnie, qui furent lus à Roustan-Bey, capitaine de Bihacz, qui promit de s'y soumettre et de signer le lendemain les mêmes engagements que le capitaine de Vakup. Le pacha fit des dispositions pour se rendre à Kruppa, où il espérait amener Hassan-Aga au même point. Le lendemain, 28, Roustan-Bey changea d'avis, refusa toute espèce d'arrangement, et partit pour se rendre chez lui. Le pacha, voyant qu'il avait affaire à des gens sans parole et sans foi, et les troupes qui lui avaient été promises n'étant pas arrivées, et n'ayant qu'une simple escorte trop faible pour pouvoir soumettre Roustan-Bey, est parti pour Traunik, en me faisant prévenir qu'il ne pouvait plus rien et qu'il s'en remettait à Dieu.
«Le 29, Roustan-Bey surprit un de nos postes du régiment d'Ottochatz, et brûla le village de Neblue. Les rapports d'hier m'annoncent qu'il marche contre le capitaine de Vakup, pour le forcer à rentrer dans sa ligne; le capitaine de Vakup, qui ne veut pas manquer à ses engagements, et qui est peu en état de lui résister, m'en fait prévenir, afin que je mette à l'abri les terres du régiment de Licca et que je lui donne à lui-même des secours qui vont lui devenir extrêmement nécessaires.
«Telle est la situation actuelle des choses.
«Il y a trois partis à prendre dans cette circonstance: ou rester en position comme j'y suis, ou retenir les troupes françaises et abandonner les Croates à eux-mêmes, ou en imposer aux rebelles par un exemple.
«Premièrement, je ne puis rester dans la situation où je me trouve, car les troupes, accumulées, souffrent, et cette situation exige des frais. D'ailleurs, l'intendant général, ne faisant rien pour accroître nos revenus, quelque chose que nous ayons arrêté ensemble et quelque instantes que soient mes sollicitations pour leur exécution, il devient très-urgent de renvoyer deux régiments en Frioul. Ainsi il faut donc penser à évacuer promptement la Croatie; mais faut-il le faire sans avoir d'autres garanties de la tranquillité publique? Je ne le pense pas.
«Si presque en présence de l'armée française les Turcs viennent brûler les villages, ils le feront avec bien plus de confiance lorsqu'ils n'auront à combattre que les Croates armés en petit nombre, qui ont une étendue de pays de quarante lieues à défendre, et dont la frontière est tellement déchiquetée par les invasions des Turcs, qu'il faudrait le double de monde de ce qu'elle exige ordinairement pour être tenue avec la même sûreté.
«Mais quel serait le résultat infaillible de ce parti? D'un côté, les rebelles ne mettraient plus de bornes à leur insolence et à leurs prétentions; les capitanats de Vakup et d'Ostrerezza seraient dévastés pour avoir été obéissants envers le Grand Seigneur et s'être conduits en bons voisins envers nous, et forcés probablement à se réunir à eux pour renouveler l'invasion du régiment de Licca. Tous les vagabonds et les bandits de la Bosnie, certains de l'impunité, viendraient se réunir à Roustan-Bey pour accroître ses forces, et les autres capitaines des confins, qui, jusqu'ici, ont été fidèles, auraient peut-être bien de la peine à résister aux efforts de leurs populations, qui seraient jalouses des avantages des autres, attendu que cette guerre est une guerre de propriété, et qui a pour but de procurer des champs à cultiver.
«De l'autre côté, les Croates, qui sont si satisfaits, qui attendent toutes sortes de biens du nouvel ordre de choses, qui sont si fiers d'appartenir à l'Empereur, qui ont de si bonnes dispositions à l'aimer et à se dévouer à son service, n'auraient plus aucune espèce de confiance en nous ni dans la sollicitude du gouvernement pour eux, et plus de vingt-cinq mille individus, qui sont sans asile, qui n'ont pas un pouce de terre pour pourvoir à leur subsistance, seraient forcés d'émigrer et de passer en Autriche.
«Je le demande à Votre Excellence, quelle perte! quelle désorganisation du pays! quel effet funeste dans l'opinion! et tout cela pour avoir encore une guerre interminable, et qui nous forcerait à revenir ici dans un mois.
«Si, au contraire, j'en impose aux rebelles immédiatement en déployant mes forces, qui sont toutes rassemblées, tout rentre dans l'ordre, et il est rétabli pour toujours. Le capitaine de Vakup est préservé et nous reste attaché; la population des autres capitanats, qui pourrait avoir envie de remuer, malgré le capitaine, rendra grâce à la sagesse de leurs chefs, qui, jusqu'ici, les ont maintenus en amitié avec nous.
«Je fais rétablir en peu de jours les redoutes et les retranchements qui défendent toute la frontière, et qui permettent aux Croates de la garder avec peu de monde.
«Et quel inconvénient peut avoir ce parti? Cette affaire est étrangère au Grand Seigneur, puisqu'il a donné deux firmans pour rétablir la paix de la frontière et nous rendre le terrain usurpé.
«Cette affaire n'est pas celle du vizir, car il n'a cessé de donner des ordres, des exhortations, et de faire des menaces. Enfin, elle n'est pas celle de la province; car je sais, à n'en pouvoir douter, que toute la Bosnie s'est constamment prononcée contre cette usurpation, et que, en dernier lieu, les cinquante principaux personnages de cette province venus en députation ont mis tout en usage pour nous faire rendre justice.
«C'est donc une affaire qui regarde deux misérables insensés, et quelques brigands qui se croient invincibles, parce qu'il y a un an ils ont massacré des vieillards et des enfants.
«Je pense donc, monsieur le duc, qu'il n'y a pas à balancer, et que je dois rétablir l'ordre par la force; et, quoique cette disposition soit contraire au texte de mes instructions, cette circonstance me paraît être une de celles où, vu l'éloignement, un général investi de la confiance de son souverain ne doit pas craindre d'engager sa responsabilité. En conséquence, je vais me porter avec tous mes moyens réunis devant le régiment d'Ottochatz, faire rétablir les redoutes, corps de garde retranchés, et la ligne des postes, qui doivent mettre à l'abri ce régiment, et, s'il le faut, brûler quelques villages pour obtenir de Roustan-Bey la promesse qu'il ne troublera plus la frontière. Mes forces sont tellement considérables, que non-seulement il ne peut pas y avoir de résistance, mais à peine l'apparence d'un combat.
«Je suis disposé à croire que, lorsqu'il me verra bien décidé à user de rigueur envers lui, il me dispensera de le faire en me donnant toutes les garanties que je pourrai désirer, et qu'il fera évacuer Czettin. S'il n'en avait pas la puissance, après avoir rétabli les postes retranchés sur cette position de la frontière, j'en serais quitte pour bloquer ce fort, qui, après peu de jours, se rendra, faute de subsistance.
«Enfin, il est évident que l'intention de l'Empereur est que je me défende, et que je prévienne de nouveaux envahissements. Or le moyen que je vais prendre est le seul qui puisse conserver au régiment de Licca le pays dans la possession duquel il est rentré, et terminer une petite guerre sur tout le développement de notre frontière, qui, en continuant davantage, prendrait chaque jour plus de consistance.»