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Mémoires du maréchal Marmont, duc de Raguse (3/9)

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LE MARÉCHAL MARMONT AU MINISTRE DE LA GUERRE.

«Laybach, le 10 novembre 1810.



«Monsieur le duc, j'ai reçu la lettre que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire le 31 octobre, qui demande de nouveaux renseignements sur les jeunes Croates envoyés en France. Je ne perds pas un instant pour y répondre; vous les trouverez ci-joints aux listes de cent quarante-sept jeunes gens, dont cent quarante-cinq partis.

«Les cinquante-trois autres jeunes gens se composent de tous ceux qui étaient entretenus dans les lycées autrichiens aux frais de l'empereur d'Autriche, et qui ne sont pas encore arrivés. Les parents ont écrit à plusieurs reprises pour les obtenir, mais on n'y a fait aucune réponse.

«J'ai écrit à l'ambassadeur de France pour le prier de réclamer ces jeunes gens; aussitôt que j'aurai sa réponse, les mesures seront prises pour les réunir et les acheminer sur la France.

«Votre Excellence me demande des renseignements sur les grandes professions et fortunes des pères des enfants: une colonne de l'état satisfait à la première question; quant à la fortune, ils sont tous presque également pauvres dans la Croatie militaire. En ce pays, il n'existe pas de classe qui ressemble ni à la noblesse ni à la bourgeoisie des autres pays: il n'y a que des paysans et des soldats, des officiers et des sous-officiers, en retraite ou en activité; les dernière, avec leurs appointements faibles, ont besoin de beaucoup d'économie pour vivre; les autres, sans leurs pensions, ne sauraient comment exister, parce que presque tous les officiers sortent de la classe des soldats. Les sous-officiers subsistent avec leur modique paye, plus la part qu'ils ont dans leur famille.

«J'ai fait le choix de la manière suivante: j'ai pris d'abord la totalité des jeunes gens qui étaient en Autriche entretenus par l'empereur; ensuite la totalité des fils d'officiers de neuf à quinze ans.--J'ai complété le nombre par des enfants du même âge appartenant à des sous-officiers qui jouissaient de la meilleure réputation dans leur régiment.

«Le nombre que l'Empereur a fixé est très-considérable; j'ai pensé qu'il était utile d'y faire concourir les jeunes gens des familles de la Croatie civile et du littoral hongrois, qui, par leur voisinage, ont jusqu'à un certain point de l'influence sur l'opinion des Croates. Les premières, choisies parmi celles qui jouissent de plus de considération et qui remplissent les emplois les plus respectés, qui sont de juges, de comitat et de cercle; en général, ces familles-là ont quelque aisance. Ceux du littoral appartiennent à des familles les plus recommandables qui ne sont pas riches et dont l'opinion passe pour être favorable aux Français.

«Votre Excellence verra, d'après les développements ci-dessus, qu'il est impossible d'espérer que les familles fournissent un trousseau de trois cent cinquante francs, tel que le porte votre lettre du 10 octobre; à l'exception peut-être pour des enfants de la Croatie civile, demander cette somme serait détruire les effets précieux que l'acte de bienfaisance et de générosité de l'Empereur a produits sur les esprits; l'exiger serait superflu, par l'impossibilité où se trouverait le plus grand nombre d'y satisfaire.»


LE MARÉCHAL MARMONT AU MINISTRE DE LA GUERRE.

«Laybach, le 17 décembre 1810.



«Monsieur le duc, le général Lauriston m'a communiqué, conformément aux ordres de Sa Majesté, les projets d'organisation des mines d'Idria, afin que je puisse faire les observations dont je les croirais susceptibles; je ne peux que me réunir à lui pour faire, en général, l'éloge de l'organisation faite par les Autrichiens, et que je crois parfaitement bien entendue. Mais je crois de mon devoir de représenter l'inutilité et les inconvénients qui résulteraient de l'exemption d'impôt qu'il propose.

«Une exemption d'impôt ne pourrait avoir ici d'autre objet que d'accroître les revenus de l'ordre des Trois-Toisons; mais, si telle était l'intention de Sa Majesté, il serait préférable de l'enrichir d'une tout autre manière que d'adopter un système d'exception et de privilége, qui enfanterait toute sorte d'abus.

«Les mines d'Idria jouissaient, il est vrai, de diverses exemptions sous les Autrichiens; mais cette disposition n'était nullement motivée, car les autres mines de la Carniole et de la Carinthie sont imposées sans inconvénients pour leur prospérité. La mine d'Idria appartient à l'ordre des Trois-Toisons, et je ne concevrais pas pourquoi cet ordre, qui doit être considéré comme un particulier, jouirait d'un privilége dont le bon ordre de l'administration a privé les autres mines de ces provinces.

«Mais ce n'est pas seulement la mine d'Idria que l'on voudrait exempter: c'est la seigneurie d'Idria, le domaine d'Idria, les habitants d'Idria, enfin jusqu'au commerce de cette mine. Or j'avoue que je ne puis le concevoir! Si, par la raison que la forêt d'Idria sert aux travaux de la mine, on ne doit pas l'imposer, il faut aussi exempter de l'impôt foncier les terres qui produisent le blé destiné aux habitants, les manufactures qui produisent le drap qui habille les ouvriers, car les mêmes raisonnements y sont applicables: il faudrait exempter les prairies qui fournissent le foin qui nourrit les animaux destinés au transport du mercure; enfin, par de semblables raisonnements, on tombe dans l'absurde. Mais ce n'est pas tout: on a été jusqu'à demander l'exemption des droits de péage sur les routes d'Illyrie, tant pour les objets sortant d'Idria que pour ceux qui y entrent. Ces transports dégradent les routes, et les droits de barrières ne sont établis que pour subvenir aux frais de leurs réparations.

«Le système qui a été adopté à Idria, et qui a déterminé l'administration à fournir aux mineurs tous les objets de première nécessité à bas prix, a pour but d'empêcher le prix de la main-d'oeuvre de s'élever, première cause de la prospérité de toute manufacture.

«Je crois donc qu'il est extrêmement précieux de conserver ce système. Mais, s'il y a des pertes à éprouver, c'est à l'administration des mines à les supporter, et le gouvernement ne doit jamais perdre ses droits. Ainsi, par exemple, l'impôt personnel qui pourrait être dû par des individus employés à la mine doit être supporté par l'administration des mines, afin que les prétentions de ces individus ne s'élèvent pas envers elle dans une proportion supérieure à l'impôt, ce qui ne manquerait pas d'arriver s'ils payaient directement. Mais les individus qui appartiennent à la seigneurie d'Idria, et qui ne sont rien à la mine, ne doivent, par aucune espèce de raison, être soumis à un régime particulier.

«Quant aux droits de vente de vin, qui peuvent être considérés comme un octroi, je ne vois aucune espèce d'inconvénient à l'abandonner à l'administration des mines, puisqu'elle se charge des dépenses communales, des écoles, de l'hôpital, etc., et qu'il convient qu'elle ait toutes ces attributions, afin d'avoir l'autorité qui lui est nécessaire. Il convient aussi qu'elle ait la police municipale de l'arrondissement. Mais, quant à la justice proprement dite, elle doit être rendue à Idria comme dans tous les autres points centraux. Un juge de paix me semble devoir y être établi, et ressortir, comme les autres juges de paix, des tribunaux supérieurs.

«Je me résume donc, et je pense:

«1° Que la mine d'Idria doit être imposée comme les autres mines;

«2° Que le domaine d'Idria doit être imposé comme toutes les autres propriétés semblables de l'Illyrie;

«3° Que les impôts de la nature de ceux que des employés ou ouvriers de la mine seraient dans le cas de supporter devraient être payés par l'administration de la mine impériale;

«4° Que le juge préposé pour membre du conseil d'administration doit être remplacé par un commissaire de police, et qu'il doit y avoir à Idria un juge de paix indépendant de l'administration, soumis aux tribunaux ordinaires, tant pour le civil que pour le criminel;

«5° Enfin qu'il est convenable que l'administration de la mine soit investie de tous les droits et pouvoirs municipaux sur Idria.

«Telles sont, monsieur le duc, les observations que j'ai cru devoir faire à Votre Excellence, et que je la prie de faire valoir auprès de Sa Majesté.


FIN DU TOME TROISIÈME.

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