Missions au Sahara, tome 2 : $b Sahara soudanais
Histoire. — L’Aïr est beaucoup plus peuplé que l’Ahaggar et l’Adr’ar’ des Ifor’as ; sa population est aussi moins homogène, et l’organisation politique y est très compliquée. Quelques renseignements historiques (?) sont nécessaires pour l’éclaircir un peu.
Quelques tribus nomades, Kel Fédé, Kel Gress, Kel Ferouan, Kel R’arous, Hoggar, etc., sont blanches et appartiennent aux races méditerranéennes ; mais la plupart des Touaregs de l’Aïr sont des noirs ou des mûlatres, apparentés de près aux Haoussas qui auraient été les premiers habitants du pays.
La langue haoussa est très répandue dans tout l’Aïr ; elle est comprise généralement de tous et paraît employée dans les villages de préférence au tamachek. On la retrouve dans les noms propres où « dan », fils, en haoussa, tient la place du « ben » des Arabes ou du « ag » des Berbères : Yato dan Kasseri est le nom d’un des principaux chefs du pays, l’anastafidet.
Agadez et In Gall ont été des colonies de Gao au temps de sa splendeur et la langue sonr’ai y est encore parlée ou tout au moins comprise (Lt Jean). Quant aux conquêtes bornouannes, dont la légende a conservé le souvenir, elles paraissent avoir été sans influence sur le pays.
Avant notre installation, toute récente[51], dans l’Aïr, le sultan d’Agadez, le serki n’Asbin des Haoussas, commandait, théoriquement au moins, aux Kel Gress et aux Kel Oui ainsi qu’à une fraction des Oulimminden.
Le lieutenant Jean a recueilli, avec grand soin, les traditions historiques des Asbinaoua ; les Kel Gress et les Kel Oui auraient quitté, vers le VIIIe siècle, le Fezzan devenu trop peuplé (?) ; ils se seraient installés dans l’Aïr, les premiers à l’ouest, les seconds à l’est de la route d’Iférouane à Agadez. Les Kel Gress restèrent peu de temps au contact des Kel Oui ; ils continuèrent leur migration vers le sud et s’étendirent jusqu’au Sokoto, où ils seraient arrivés à la fin du XVIIIe siècle.
Quant au sultan, il serait d’origine étrangère : naguère, las des luttes incessantes qui déchiraient les tribus, les plus sages des Touaregs décidèrent d’aller demander à Constantinople un chef qui pût les mettre d’accord. La députation qui partit comprenait surtout des Itessehen, appartenant au groupe des Kel Gress et actuellement fixés dans le Sokoto ; pour cette raison, jusqu’à notre établissement dans le pays, les chefs des Itessehen sont restés les grands électeurs du sultan.
Le Commandeur des Croyants leur donna un de ses fils, Ihounés, né d’une femme captive, qui partit accompagné de quelques esclaves, ancêtres de tous les ministres actuels. Dès le début, l’intervention de six sœurs, sultanes imenanes, provenant d’une tribu de l’Ahaggar, amena la séparation des Kel Oui en deux fractions principales : trois d’entre elles, les plus jeunes, restèrent à Agadez et furent les mères des tribus qui dépendent directement du sultan ; les trois aînées retournèrent à Iférouane et eurent pour descendants les Kel Oui proprement dits, qui dépendent de l’anastafidet, le véritable chef de l’Aïr et son intermédiaire auprès du sultan. Tout ceci est évidemment en partie légendaire, mais il est intéressant de retrouver les Imenan, qui sont des Cheurfa, descendants probables des premiers missionnaires musulmans qui vinrent en pays touareg, jouer un rôle en Aïr ; chez les Touaregs du nord, ils ont été longtemps les chefs de toute la confédération et ont eu une très grande importance ; ils ont provoqué récemment les guerres qui ont mis aux prises les Ahaggar d’Aïtar’el et les Azdjer d’Ikhenoukhen, l’ami de Duveyrier, guerres qui auraient amené, à la demande d’Ikhenoukhen, l’installation d’une garnison turque à R’at (1877 ?) [Benhazera, Six mois chez les Touaregs, p. 101-122].
De l’ambassade à Constantinople et de la démarche des six sultanes, est résulté un protocole extrêmement précis et très compliqué qui se manifeste à l’élection de chaque sultan et, tous les ans, à la réunion des chefs, à la « sansanié », où, sous la présidence du serki, la justice est rendue. On trouvera le détail de ces cérémonies dans Gadel et dans Jean : l’étiquette y est très ridicule, très stricte et aurait certainement satisfait la Palatine, juge difficile et sévère.
Il est peu aisé de fixer une date à l’établissement de la dynastie d’Agadez ; on connaît le nom d’une centaine de sultans et, d’après les marabouts instruits d’Aïr, le premier serait arrivé à Agadez vers 1420, la prise de Constantinople par les Turcs est de 1453[52] ; il y a donc contradiction flagrante entre la date indiquée et la légende d’Ihounés qui paraît cependant reposer sur des faits positifs.
Les habitants. — Les habitants de l’Aïr se partagent en un certain nombre de castes, analogues à celles que l’on trouve chez les Touaregs du nord.
Il y a d’abord des tribus nobles, les Imajeran, puis les Ifor’as, récemment venus en Aïr, et dont la noblesse n’est pas certaine ; les Imr’ad, qui sont analogues à ceux de l’Ahaggar, comme eux libres, mais vassaux des Imajeran.
Les Irraouellan sont des affranchis ou des descendants d’anciens captifs ; les enfants d’un Touareg libre et d’une esclave sont de droit Irraouellan, en même temps que la mère est affranchie. Ces affranchis (bouzou, pluriel bougajié en haoussa) sont extrêmement nombreux ; quelques-uns sont établis dans le Haoussa où ils se livrent à la culture et à l’élevage ; jusqu’à notre arrivée, ils payaient un léger tribut à leurs anciens maîtres. D’autres sont restés en Aïr et vivent surtout du commerce et des caravanes ; ils seraient 4 ou 5000.
Enfin les captifs (bellah en haoussa, iklan en tamachek), dont quelques-uns vivent auprès de leurs maîtres, tandis que le plus grand nombre gardent au loin les troupeaux et sont en fait à peu près libres, forment la dernière caste.
Beaucoup de ces esclaves sont très attachés à leurs patrons et ne veulent pas être libérés ; captifs, ils n’ont pas à se préoccuper de leur nourriture ; la sécurité et le repos d’esprit qui en résultent pour eux compensent largement l’absence de liberté : un usage très humain de l’Asbin autorise les marabouts à s’opposer à l’affranchissement d’un esclave lorsqu’il est infirme ou âgé, ou bien, pour une cause quelconque, hors d’état de gagner sa vie. Ce manque d’enthousiasme pour une vaine liberté s’observe dans les États noirs aussi bien qu’en Aïr.
Les données de Jean permettent d’établir les statistiques suivantes :
Tribus dépendant directement du Sultan.
| NOMBRE DE TRIBUS | TOUAREGS | POPULATION TOTALE | CHAMEAUX | CHEVAUX | BŒUFS | ÂNES | CHÈVRES ET MOUTONS | |
|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
| Immakitane | 7 | 95 | 460 | 400 | 19 | 20 | 100 | 2000 |
| Kel Tadek | 3 | 100 | 470 | 300 | 5 | 30 | 20 | 1800 |
| Amazegzel | 3 | 30 | 125 | 0 | 50 | 0 | 30 | 500 |
| Kel Ferouan | 14 | 685 | 4320 | 3000 | 120 | 1100 | 900 | 11000 |
| Tribus non groupées | 13 | 520 | 2830 | 4500 | 90 | 450 | 600 | 9000 |
| 40 | 1430 | 8205 | 8200 | 284 | 1600 | 1650 | 24300 |
Les Kel Ferouan seraient arrivés en Asbin avec le sultan Ihounés, qui, à la demande d’une jeune fille noble de la tribu (Ibouzahil ou Izoubahil, Isabelle ?), aurait consenti à installer les Kel Ferouan autour d’Agadez et à faire de leurs guerriers sa garde particulière, garde d’une indépendance souvent dangereuse. Les Kel Ferouan ont toujours conservé une grande liberté ; leur chef entretient à Agadez, auprès du sultan, une sorte d’ambassadeur, le Rastamala (Pl XXXI, phot. 59).
Tribus Kel Oui dépendant de l’anastafidet.
| NOMBRE DE TRIBUS | TOUAREGS | POPULATION TOTALE | CHAMEAUX | CHEVAUX | BŒUFS | ÂNES | CHÈVRES ET MOUTONS | |
|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
| Kel Oui | 13 | 312 | 1795 | 1800 | 30 | 170 | 250 | 4000 |
| Kel Tafidet | 8 | 305 | 2555 | 1350 | 40 | 300 | 160 | 6000 |
| Azanières | 6 | 160 | 1080 | 1800 | 30 | 100 | 140 | 2000 |
| Ikaskazan[53] | 15 | 480 | 3170 | 7000 | 160 | 320 | 640 | 6000 |
| 42 | 1257 | 8600 | 11950 | 260 | 890 | 1190 | 18000 |
Il y aurait d’après cela, en Aïr, environ 20000 habitants dont 3000 guerriers. Leur fortune en troupeau serait, en chiffre rond, de 20000 chameaux, 600 chevaux, 3000 ânes, 2600 bœufs et 45000 chèvres ou moutons.
Un rapport manuscrit du capitaine Posth permet de préciser ou de rectifier quelques points ; il confirme le chiffre de 20000 habitants, mais augmente sensiblement le nombre des tribus ; chez les nobles surtout, la pulvérisation est poussée à l’extrême et certaines fractions ne comptent que trois ou quatre tentes ; l’une d’entre elles même, celle des Kel Taguei, du groupe des Ikaskazan, n’a plus qu’un seul représentant (en 1907).
Les 20000 habitants comprendraient 8 à 10000 Touaregs (Imajeran, Ifor’as et Imr’ad) ; 4 à 5000 Iraouellen ; 2500 à 3000 sédentaires (Agadez et région des Teguidda) et 2 à 3000 captifs.
J’avais noté, à Agadez, que les guerriers comprenaient 2149 hommes libres et 827 bellah.
Tous ces renseignements sont assez concordants, de sorte que le chiffre de la population peut être considéré comme exact.
Quant au bétail, Posth l’estime beaucoup plus nombreux que les statistiques de Jean ; 400000 chèvres et moutons, et 60000 chameaux.
Les Kel Gress qui nomadisent surtout entre In Gall, Sokoto et Kano ne sont pas compris dans les statistiques précédentes. Ils tendent de plus en plus à s’installer avec leurs nombreux troupeaux dans le Tessaoua et le Gober ; ils ne paraissent plus à Agadez que pour les fêtes officielles ; ils y passent aussi pour aller chercher du sel et des dattes à Bilma.
Ils compteraient 46 tribus ; leur nombre serait d’environ 20000.
Quant aux Oulimminden de l’est, ce ne serait que depuis le XIVe ou le XVe siècle qu’ils auraient eu des rapports avec l’Aïr, rapports très lâches d’ailleurs et très intermittents. 7 à 8000 individus, partagés entre une dizaine de tribus qui nomadisent dans la région de Tahoua, payaient seuls l’impôt à Agadez ; l’autre fraction des Oulimminden forme une confédération indépendante qui habite surtout l’est de Gao et fréquente la région des mares de Menaka et de l’Azaouak, sous la direction de l’amenokal Fihroun ; Pasquier, dans un rapport resté inédit, donne la statistique suivante pour les Touaregs qui dépendant de Fihroun : Imochar (nobles), 350 tentes ; Imrad, 600 ; bellah, 900. Soit à peine 2000 hommes ; les Oulimminden, dépendant d’Agadez, formeraient à peu près la moitié du groupe.
Par sa position géographique et la pointe qu’il fait vers le nord au milieu des tanezrouft, l’Aïr a toujours eu une grande importance : les routes qui vont des États haoussas à la Méditerranée sont obligées d’y passer. Relativement au bassin du Niger, l’Adr’ar’ a une fonction analogue. L’originalité humaine de l’Aïr tient à une autre cause : les Touaregs qui l’habitent ne sont pas tous de vrais Touaregs ; la plupart des Kel Oui ne sont pas des Méditerranéens, mais des Haoussas. L’Aïr est probablement la région la plus septentrionale d’Afrique où vive actuellement, en liberté, à l’état spontané, un rameau des races noires.
Ces Touaregs blancs et ces Touaregs noirs sont d’ailleurs extrêmement mélangés ; toutefois les blancs se trouvent surtout dans les tribus qui dépendent du Sultan et qui vivent presque constamment dans l’Aïr, les noirs dominent dans les tribus de l’anastafidet qui sont en relations très suivies avec les États haoussas.
Cette dualité de races explique sans doute les guerres incessantes dont l’Aïr a été le théâtre ; elle explique aussi les demandes d’intervention qui se sont manifestées à maintes reprises à Zinder : c’est à la demande formelle des tribus noires et du sultan qu’Agadez a été occupé.
Les Touaregs blancs, les véritables nomades de l’Asbin, sont des éleveurs qui, vivant surtout de laitage, peuvent se passer de relations régulières et suivies avec les pays producteurs de mil. Leurs qualités guerrières leur permettaient d’ailleurs, en cas de disette, de trouver, par la force, dans le sud, le complément nécessaire.
Les Kel Oui, au contraire, sont peu guerriers ; on prétend dans l’Ahaggar que, pour aller chez eux, il suffit d’être armé d’un bâton : le guide qui nous avait amenés à Iférouane, en 1905, a profité de son passage dans ce village pour s’approvisionner de beaucoup de choses utiles ; la terreur que le nom de sa tribu inspirait à tous, lui a fait donner tout ce dont il avait besoin ; et, par crainte de représailles venant de lui ou de ses contribules, ce n’est que plusieurs jours après son départ, que j’ai été avisé de ses manœuvres. Les Kel Oui vivent surtout de commerce ; ils assurent le passage des caravanes jusqu’à Zinder et à Kano ; ils leur vendent des céréales et entreposent leurs marchandises. Pour eux, les bonnes relations avec le sud et la sécurité des routes sont des conditions nécessaires : on comprend qu’ils soient venus rapidement à nous ; la soumission des vrais Touaregs, qui ne gagnaient rien d’immédiat, a été plus difficile à obtenir.
[2]Haug, C. R. Ac. Sciences, 7 août 1905.
[3]Haug, in Foureau, Documents scientifiques, 1905, p. 753 ; Flamand, C. R. Ac. Sc., 3 avril 1905.
[4]Ce terme d’Archéen ne serait tout à fait correct que s’il était établi que les noyaux granitiques sont antérieurs au Silurien. Quelques faits rendent cette antériorité probable, mais, jusqu’à présent, les preuves positives font défaut.
[5]Voinot, Bull. Comité Afr. fr., mars, avril, août, sept., oct., 1908, p. 218.
[6]Rens. col. Comité Afr. fr., juin 1907, p. 142-155.
[7]Revue coloniale, 1907, p. 361-386.
[8]La Géographie, XVI, 1907, p. 225.
[9]Études sur la Géographie physique et la Géologie de Fouta Djalon. — Thèse, 1905.
[10]La Géographie, XVII, 1908, p. 201.
[11]Contribution à l’étude de la Géographie physique du Dahomey, thèse, 1908.
[12]In Chevalier, L’Afrique centrale française, 1908, p. 646.
[13]Gentil et Lemoine, Bull. du Comité de l’Afr. française, Rens. col., avril 1908, p. 98-100.
[14]Bruel, Renseignements coloniaux du Comité de l’Afrique française, avril 1908, p. 98, — Lœffler, ibid., sept. 1907, p. 224. — Lancrenon, Bull. du Comité de l’Afr. française, janvier 1908, p. 18 ; Rens. col., Id., p. 38.
[15]La Géographie, XVIII, 1908, p. 219.
[16]Notice géologique sur la région de Dori, Rev. des troupes coloniales, 1904, p. 228.
[17]Quelques-uns des détails donnés par Hubert sur les quartzites de l’Atacora, semblent indiquer des surfaces de charriage et des plis couchés. L’analogie avec le Jura paraît bien contestable.
[18]Motylinski et Basset, Grammaire, Dialogues et Dictionnaire Touaregs, Alger, 1908.
[19]L’alphabet tifinar’ a deux z ; j’indique ici, d’après Motylinski, l’orthographe exacte de Tanez’rouft, quitte à la négliger dans le reste de l’ouvrage.
[20]Tous les après-midis, le thermomètre a dépassé 45° ; ces hautes températures n’interrompaient pas la marche.
[21]Mussel, Rens. col. Comité de l’Afr. fr., mars 1907, p. 57.
[22]Rens. col. Comité de l’Afr. fr., avril 1907, p. 90. — Nieger, La Géographie, XVI, déc. 1907.
[23]Cortier, De Tombouctou à Taoudenni, La Géographie, XIX, 1906, p. 317. — Cauvin, Société de Géographie commerciale de Paris, XXX, août-sept. 1908.
[24]R. Arnaud, Rens. col. Comité de l’Afr. fr., XVII, mai 1907, p. 123.
[25]La Géographie, XII, octobre 1905, p. 218.
[26]Barth, Reisen, I, p. 333. Les noms sont bien reconnaissables : Tarhadjit : Tar’azi ; Ne-ssua : In Azaoua ; Tagerèra : Tagrira ; El Arh-ssul : El R’essour ; vallée d’Erararem ; Od Igharghar ; Serser : Zazir ; Temârhasset : Tamanr’asset ; Utul : Outoul. Les distances indiquées sont bonnes : de l’oued Outoul à In Salah, il y a quelques confusions.
[27]Le lieutenant Halphen a récemment reconnu le point d’eau d’Ilifek, au S.W. d’In Azaoua. Les renseignements détaillés font encore défaut.
[28]Six mois chez les Touaregs du Ahaggar, Alger, 1908, p. 205-208.
[29]Dinaux, Rens. col. Comité de l’Afr. fr., mars 1908, p. 80. — Cortier, D’une rive à l’autre du Sahara, Paris, 1908, p. 129.
[30]Laperrine, Nieger, Rens. col. Comité de l’Afr. fr., février 1905. — Villate, La Géographie, XII, octobre 1905.
[31]Voinot, Bull. du Com. de l’Afr. fr., mars, avril, août, sept., oct. 1908.
[32]Sur la carte hypsométrique (Pl. I), l’Oudan a été marqué par inadvertance à l’est de l’Igharghar.
[33]Dinaux, Rens. col. Comité de l’Afr. fr., 1908, p. 76-85. — Arnaud et Cortier, Nos confins Sahariens, Paris, 1908.
[34]Ce nom d’Igharghar se trouve ainsi deux fois, au nord et au sud de la Coudia. Il est sans doute une simple variante du nom commun ir’azar, synonyme berbère de oued.
[35]Esquisse du Sahara Algérien, à 1/2500000 (Gouvernement général. Alger, 1907).
[36]Les bœufs sont certainement un peu plus nombreux que ne l’indique ce tableau : Motylinski en a compté 37 dans un seul troupeau. Il y a une douzaine de chevaux dans l’Ahaggar. Les ânes sont très nombreux.
[37]Les Touaregs du nord prononcent et écrivent Ad’ar’ (Benhazera, l. c., p. 191). Mais, les habitants du pays et les Touaregs du sud en général, écrivent Adr’ar’ (Cortier, l. c., p. 253). Motylinski admet cette dernière orthographe.
[38]E.-F. Gautier, La Géographie, XV, 1, 1907, p. 1-28.
[39]Cortier, La Géographie, XVII, 1908, p. 265-280. — D’une rive à l’autre du Sahara, Paris, 1908. — Dinaux, Renseignements coloniaux publiés par le Comité de l’Afrique française, mars 1908. — Combemorel, id., janvier 1909.
[40]La valeur de l’argent dans ces pays sera à peu près fixée par les salaires ; à l’Ahaggar, la journée de travail d’un jardinier lui est payée au plus 0 fr. 625.
[41]Gautier, l. c. p. 26. — R. Arnaud, Renseignements coloniaux publiés par le Comité de l’Afr. fr., avril 1907, p. 93-94. — Cortier, D’une rive à l’autre..., p. 203-210 et 378-381.
[42]D’après Jean. Posth indique plus d’un siècle pour leur arrivée en Asbin.
[43]Jean, Les Touaregs du Sud-Est. L’Aïr. Paris, 1908.
[44]Fouqué, Santorin et ses éruptions, 1879, p. 41. — Lacroix, La Montagne Pelée et ses éruptions, 1904.
[45]Du verbe koré, conduire. Le mot goulbi s’applique aux grandes vallées ou aux grandes masses d’eau, il est l’équivalent de l’arabe beh’ar. Ir’azar ou ar’azar (dialecte d’Aïr) est le synonyme Tamachek de oued ; il devient Ir’ahar dans l’Ahaggar, et Ir’achar dans l’Adr’ar’.
[46]Pasquier, in R. Arnaud, Rens. col. du Comité Afr. fr., mai 1907, p. 123.
[47]Talak veut dire argile en Tamachek.
[48]Gadel, Notes sur l’Aïr, Bull. de la Soc. de Géogr. de l’A. O. F., t. I, Dakar, 1907.
[49]150 cases en tout. — Il y aurait des citronniers dans ces villages. Jean, l. c., p. 132, 133.
[50]Près de Takaredei, à 25 km. N.W. d’Agadez, un cimetière important serait la dernière trace d’une ville occupée jadis par les Icherifan et les Iberkoran. A la suite d’un combat malheureux contre les Kel Gress, les Iberkoran se seraient réfugiés chez les Oulimminden, les Icherifan à In Gall. D’après les renseignements que j’avais recueillis, ces faits remonteraient à l’époque des premiers sultans d’Agadez, à une date beaucoup plus ancienne que celle qui est indiquée par Posth, qui donne les Icherifan comme de nouveaux venus en Aïr.
[51]Ce n’est que depuis 1906, qu’une garnison est installée définitivement à Agadez. Les années précédentes, depuis 1904, les tirailleurs n’y avaient fait que des séjours de quelques semaines ou de quelques mois (Jean, l. c. — Cauvin. Bull. de la Soc. de Géogr. commerciale, 1908).
[52]D’après Barth, Agadez aurait été fondé en 1460.
[53]Une tribu des Ikaskazan, les Taraouaza, a pour chef une femme nommée Tekeloui.
CHAPITRE II
LES HAUTES PLAINES DU SOUDAN
I. Structure géologique. — Crétacé inférieur. — Crétacé supérieur. — Éocène. — Miocène. — Extension géographique.
II. Les Pays. — Nomades. — Adr’ar’ de Tahoua (Djerma). — Tessaoua. — Demagherim. — Damergou. — Mounio. — Koutous. — Alakhos. — Manga. — Kaouar. — Fachi. — Les îles du Tchad.
I. — STRUCTURE GÉOLOGIQUE
Intercalée entre les deux pénéplaines cristallines étudiées dans le chapitre précédent, se trouve une haute plaine qui se développe, sans interruptions notables, depuis Koulikoro jusqu’au voisinage de l’Ouadaï.
Il est commode de la subdiviser de la façon suivante :
1o Entre l’Aïr et Zinder, le Tegama forme une région bien nette à laquelle il convient de rattacher, au moins provisoirement, les pays encore mal connus qui s’étendent vers Bilma et le Tchad. Les terrains crétacés y jouent le principal rôle.
Le Damergou, le Mounio, etc., ne sont que des enclaves de cette grande région.
2o Entre la coupure du Niger à Tosaye et le sultanat de Tessaoua, la région des Dallols et le bassin d’Ansongo forment un groupe dont le caractère commun est d’être recouvert d’un manteau d’argiles, de grès ou de calcaires éocènes.
3o Enfin à l’est de Tosaye, le bassin de Tombouctou semble caractérisé par des formations quaternaires marines.
Toutes ces régions ont un trait géologique commun : au nord comme au sud, dominent des formations anciennes, le plus souvent en strates redressées, dont la fréquence en Afrique a fait croire longtemps que, depuis les temps primaires, la mer avait définitivement abandonné le continent noir. Des découvertes récentes ont montré qu’il n’en était rien. A la fin des temps secondaires et correspondant peut-être à la zone de rebroussement des plis calédoniens qui, vers le 15° de longitude nord, quittent leur direction subméridienne pour se diriger de l’ouest à l’est, un affaissement s’est produit, permettant à la mer d’envahir l’Afrique centrale et d’y laisser des traces incontestables du Crétacé supérieur et du Tertiaire inférieur, tout au moins. Ces assises plus jeunes, restées horizontales, caractérisent les hautes plaines du Soudan.
Crétacé inférieur. — La région qui s’étend entre l’Aïr et Zinder est constituée par des grès et des argiles en couches horizontales. Ces assises débutent à 6 kilomètres au nord d’Agadez, auprès du village d’Alar’sess, par un poudingue que j’ai pu suivre assez longtemps vers l’ouest. Dans la région où je l’ai vu, ce poudingue repose sur les couches siluriennes verticales, à affleurements subméridiens ; le littoral était de type atlantique. Posth a retrouvé les mêmes poudingues auprès de Tin Taboirak, au contact des terrains anciens des Taraouadji.
Jusqu’à une soixantaine de kilomètres au sud d’Agadez, on voit assez mal le sol qui est souvent masqué par des dunes, ou bien, comme dans la région des mares de Teguidda n’Adrar et de Teguidda n’Taguei, par une formation récente, reste probable d’un lac tertiaire. Ces dépôts lacustres contiennent quelques traces de fossiles indéterminables ; on y trouve des grès à ciment calcaire, riches en débris volcaniques prouvant qu’ils sont postérieurs aux volcans d’Aïr ; ces grès abondent près du puits d’Assaouas notamment ; mais les roches dominantes sont siliceuses : des jaspes et une meulière violette ou brun chocolat y sont le type le plus commun. L’examen microscopique montre que cette roche, qui est presque une quartzite, résulte de la transformation de bancs calcaires (Cayeux). Elle est un très bel exemple de l’enrichissement en silice des roches superficielles sous l’influence d’un climat désertique. Ces meulières sont, par places, couvertes de dunes dont la couleur brune ou violette indique que les éléments qui les constituent ont été pris sur place (fig. 25).
Malgré cette couverture, éolienne ou lacustre, on peut s’assurer cependant que le terrain dominant est formé surtout de grès, qui sont bien visibles en nombre de points et qui se montrent sur une dizaine de mètres à la falaise d’érosion sur laquelle est bâtie Agadez, et d’argiles violettes qui, dans les vallées des affluents du Teloua, occupent de grandes surfaces ; ces affluents ont une pente très faible ; leurs berges sont à peines indiquées ; les parties argileuses de leurs bassins forment, à la saison des pluies, de véritables fondrières dont la traversée est difficile ; les chameaux y laissent des empreintes de pas, profondes souvent d’une vingtaine de centimètres, qui confirment pleinement les renseignements des guides. Les puits d’Agadez, profonds de 20 mètres (Pl. IX, phot. 17), sont entièrement creusés dans ces argiles et ces grès.
L’architecture du sol se voit mieux à la falaise de Tigueddi. Cette falaise, haute d’une soixantaine de mètres, constitue un des traits les plus remarquables de la structure des hautes plaines soudanaises ; elle débute auprès d’In Gall et décrit, vers l’est, un arc de cercle long de près de 200 kilomètres. Je ne sais comment elle se termine ; les renseignements très précis que je dois au capitaine Posth, permettent toutefois de compléter ou de rectifier les indications de la carte au 1250000e que j’ai données dans La Géographie [XV, 1907, Pl. 2]. A une vingtaine de kilomètres à l’est d’Agadez, au puits de Tin Taboirak, commencent à se montrer des roches cristallines qui prolongent vers le sud le massif ancien de l’Aïr (Pl. VI, phot. 11). Un peu plus loin, à 60 kilomètres d’Agadez, le massif de schistes et de granite de Taraouaji est le dernier refuge, en cas de surprise, des Touaregs de la région. Ces roches anciennes affleurent d’une manière continue, à part quelques interruptions dues à des laves récentes, jusqu’à Bidei et Aoudéras. Au delà de ce massif de Taraouadji, la falaise de Tigueddi semble se continuer ; du moins Barth indique-t-il quelque chose d’analogue sur son itinéraire (fig. 22).
Fig. 25. — Bassin lacustre des Teguidda.
1, Grès blancs à patine noire (Infracrétacé ?) ; 2, Jaspes et meulières violettes ; A, B, C, D, Diaclases. Les sources de Teguidda n’Taguei sont sur la diaclase D. Les dunes (en pointillé) sont violettes.
Quant au massif de Toureyet, il n’a encore été vu par aucun Européen ; on sait seulement qu’au sud des Taraouadji se trouve une région déprimée, où viennent se réunir de nombreux koris en une rivière unique (K. d’Abrik ?) qui présente sur son parcours quelques mares d’hivernage.
Les Toureyet formeraient, au sud de cette dépression, un petit massif élevé, simple témoin gréseux détaché du Tegama, ou dernier contrefort des terrains cristallins d’Aïr. A coup sûr, le puits de Toureyet est important ; il est situé sur une des grandes routes qui, de Zinder, vont en Asbin et qui est fréquentée par les Ikaskazan ; les alentours renferment des pâturages permanents et il y a toujours des campements au voisinage.
L’origine de cette longue falaise est encore obscure ; elle est peut-être une falaise d’érosion ; mais son importance, son allure curviligne rendent plus probable une faille, en relation avec les éruptions récentes de l’Aïr : de pareils effondrements circulaires abondent, en effet, dans les régions volcaniques.
Quoi qu’il en soit de cette question, j’ai pu relever la coupe suivante, prise au cap que forme la falaise, à l’est des puits de Marandet (fig. 26) :
6. Grès jaunâtres à stratification oblique. Ce sont des grès grossiers contenant des grains dont le diamètre varie de 1 millimètre à 1 centimètre. Leur puissance est d’environ 3 mètres, mais il n’en reste ici que des lambeaux ; cette assise augmente rapidement d’importance vers le sud.
5. Grès blancs de même type que les précédents, 5 mètres.
4. Argiles violettes (0 m. 25). Les bois silicifiés abondent dans cette assise. J’ai trouvé, éboulés dans les ravins, des troncs de près de 1 mètre de diamètre. Ces arbres sont certainement des conifères, mais leur très médiocre état de conservation n’a pas permis à M. Fliche de les déterminer avec certitude. On peut hésiter entre trois genres, Araucaryoxylon et surtout Cedroxylon ou Cupressoxylon ; ces deux derniers genres ne sont pas connus avant l’Infracrétacé.
3. Bancs alternant d’argiles violettes et vertes, 10 mètres. Ces argiles contiennent de nombreux débris de Dinosauriens. Le peu de temps que j’ai pu consacrer à l’étude de ce gisement, ne m’a pas permis de trouver de pièces déterminables. Celles que j’ai rapportées, suffisent, en tout cas, à prouver l’âge secondaire des argiles et des grès.
2. Marnes blanches (0 m. 25).
1. Marnes violettes et vertes visibles sur 10 mètres. La base est masquée par les éboulis.
A quelque distance au nord, on retrouve dans la plaine (A. fig. 26) des argiles et des grès analogues à ceux qui constituent la falaise de Tigueddi. Malheureusement des dépôts quaternaires et des dunes masquent pendant quelques kilomètres, les relations entre la falaise et la plaine.
| R. Chudeau. — Sahara Soudanais. | Pl. XII. |
Cliché Posth
23. — LA FALAISE DE TIGUEDDI.
Limite nord du Tegama.
Cliché Posth
24. — LE VILLAGE DE DOGON DOUTCHI.
Dallol Maouri, en aval de Matankari.
Foureau a coupé deux fois cette falaise, à Irhayenne et à Tigueddi ; les détails qu’il donne indiquent que partout la coupe est la même ; il a noté aussi de nombreux débris de bois silicifié[54]. Il y a toutefois à noter à Tigueddi, comme à Irhayenne, l’existence d’un calcaire travertineux dont les conditions de gisements, lorsqu’elles seront mieux connues, permettront peut-être de décider si la falaise de Tigueddi est due à une faille ou à l’érosion [Foureau, Doc. Sc., p. 647-649].
Fig. 26. — Coupe de la falaise de Tigueddi à Marandet.
1, Argiles violettes et vertes visibles sur 10m ; 2, Marnes blanches (0m25) ; 3, Argiles violettes et vertes (10m), Reptiles ; 4, Marnes violettes (0,25), Bois silicifiés ; 5, Grès blancs à stratification oblique (5m) ; 6, Grès jaunes à stratification oblique (3m) ; q, Quaternaire ; 7, Graviers blancs visibles sur 0m20 ; 8, Graviers et argiles rouges (1m), Sépultures musulmanes ; 9, Argiles et Graviers avec débris de charbon (1m), entraînés de A, par ruissellement ; A, Plaine de l’Azaouak (Grès et Argiles) ; C, Vallée quaternaire ; B, Tilmas et puits de Marandet.
Cette falaise délimite au nord, avec beaucoup de précision, la haute plaine du Tegama (Pl. XII, phot. 23). Ce sont les grès, visibles au sommet de la falaise, qui en forment le sol ; leur épaisseur s’accroît vers le sud, autant du moins que l’on en peut juger par l’examen des puits : le puits de Tiou Mousgou a 33 mètres de profondeur ; les deux premiers mètres sont creusés dans des alluvions que soutient un coffrage en bois ; les 10 mètres suivants traversent des grès de couleur claire, à grain moyen, avec quelques intercalations de lits de graviers ; malgré la largeur du puits, je n’ai pas pu voir plus profondément, mais les déblais ne montrent non plus que des grès ; l’eau de Tiou Mousgou est restée très limpide pendant toute la corvée d’abreuvoir, ce qui ne s’expliquerait pas s’il y avait des argiles au fond du puits. Un peu plus à l’est, Foureau a vu le puits de Tédalaka (37 m.) et les détails qu’il donne [Doc. sc., p. 650], indiquent la même structure géologique.
A 3 kilomètres au nord de la mare de Tarka, qui est dans un creux marqué, quelques ravins, profonds de 3 à 4 mètres, sont creusés dans des grès tendres, blancs ou noirs avec quelques veinules d’argile. Au-dessus des grès se montrent quelques blocs de latérite, la plupart roulés, et qu’il faut rattacher, je pense, au Crétacé supérieur du Damergou.
Partout, en somme, où on peut voir les terrains qui constituent le Tegama, on retrouve toujours ces mêmes grès tendres horizontaux. La surface de la haute plaine est bien horizontale aussi ; il y a quelques ondulations à grands rayons, mais le modelé du sol indique constamment un terrain perméable ; le sol partout est formé de grès tendres, qui dans les sentiers s’est effrité et transformé en sable.
Les quelques rares mamelons, hauts de 5 à 6 mètres, qui émergent de la surface, surtout dans la partie méridionale du Tegama, sont bien probablement des dunes fossiles, fixées par la végétation.
Il paraît légitime de conclure que dans son ensemble le Tegama a, en tous ses points, la même structure géologique et qu’il est formé partout de grès horizontaux qui prolongent, vers le sud, ceux que l’on observe à la falaise de Tigueddi.
Au sud du Damergou on retrouve la même plaine jusqu’au voisinage d’Ouamè ; les matériaux de déblais des puits sont, à Achaoudden tout au moins, des grès tendres de couleur claire.
Reste à fixer l’âge des grès du Tegama ; nous avons une limite supérieure bien nette : dans le Damergou ils sont recouverts, en concordance, par des assises fossilifères qui appartiennent au Turonien, probablement même au Turonien inférieur.
Leur sommet, tout au moins, est donc du Crétacé et bien que rien ne s’oppose d’une manière absolue à ce que, en quelques points, ces assises aient commencé à se déposer au Trias ou au Jurassique, leur puissance assez faible ne permet guère de croire qu’ils puissent représenter de bien longues périodes.
Il semble assez logique, et, en tout cas commode, de les rattacher au Crétacé inférieur.
Ces puits profonds, si fréquents dans le Tegama, sont extrêmement remarquables : la tradition les attribue à une race éteinte ou tout au moins émigrée, les Goberaoua[55] ; ils n’ont, en tous cas, pu être creusés qu’à une époque de grande tranquillité et par des sédentaires.
Les indigènes ne connaissent que les outils en fer, de qualité médiocre, car l’acier manque au Soudan, comme au Sahara ; ils ne peuvent creuser des puits que dans des roches assez tendres ; il faut de plus que ces roches aient un peu de tenue et ne soient pas ébouleuses.
La réunion de ces différents caractères porte à croire que la plupart des puits profonds que l’on connaît au nord du Soudan, ont été creusés dans des terrains très analogues entre eux comme constitution lithologique. Cette remarque nous permettra de suivre assez loin ces grès vraisemblablement infracrétacés.
D’Alar’sess au voisinage de Zinder, sur plus de 300 kilomètres, cette formation est facile à observer ; elle est à peine masquée pendant une vingtaine de kilomètres par le Turonien du Damergou.
Vers l’est, on la suit facilement jusqu’à l’Alakhos et au Koutous.
Les puits ordinairement très profonds de ces deux pays sont creusés dans un terrain identique à celui du Tegama : le puits de Guesket a 65 mètres ; les déblais forment, autour de son orifice, un talus haut de près de 5 mètres : ces déblais sont presque uniquement des grès ; il y a cependant un peu d’argile. Le talus seul est soutenu par un coffrage de bois.
Au nord du Koutous, la ligne des puits de Tassr, Boulloum, Dalguian, semble jalonner une vallée en contre-bas du plateau d’une trentaine de mètres. Cette vallée est d’ailleurs très ensablée et couverte de dunes ; les puits y ont une quinzaine de mètres, soit 45 mètres depuis le plateau ; l’aspect du sol, lorsqu’il apparaît entre les dunes, est bien celui du Tegama.
A l’est de l’Aïr, Barth et von Bary ont signalé des grès formant des plateaux horizontaux, dont quelques-uns recouverts d’une nappe de basalte. Les itinéraires par renseignements entre Agadez et Fachi n’indiquent qu’une immense plaine.
Près de Fachi, on signale un mamelon rocheux (granitique) et des plateaux gréseux à patine noire (sergent Lacombe) et à l’est du Kaouar, des grès peut-être dévoniens. Mais, au sud de Bilma, le Crétacé supérieur marin est connu et autorise, sans trop d’invraisemblance, à étendre les grès du Tegama jusqu’au voisinage de Bilma.
Au sud du Koutous, les grès du Tegama se prolongent jusqu’au Mounio dont ils entourent au moins la partie nord : ce point est important parce qu’il donne une indication précise sur l’âge des granites alcalins de Gouré.
A peu de distance à l’est de Gouré, commence un erg qui s’étend jusqu’auprès de Chirmalek : entre Chirmalek et le Tchad, comme dans la région des mares à natron de Gourselik (Manga), on retrouve une plaine dont la surface rappelle singulièrement le Tegama ; à l’est du lac, le Kanem reproduit les mêmes traits. J’ai déjà indiqué ailleurs que tout le bassin du Tchad était probablement infracrétacé, tout en signalant des divergences notables entre le Tegama et la région du Tchad.
La végétation n’est plus exactement la même ; le Kalgo (Bauhinia reticulata) et quelques autres arbres disparaissent à l’est de Gouré ; le Salvadora persica, absent du Tegama, s’y montre abondant. Les termitières disparaissent en même temps que le Kalgo ; elles manquent aussi dans le Kanem et le Chittati : on ne les retrouve que dans la partie méridionale du Tchad. Leur absence est complète, ce qui permet aux indigènes de conserver leur mil dans des silos, procédé inapplicable dès que se montre le dangereux insecte. Il ne semble pas que le climat puisse expliquer ces quelques faits, qui tiennent probablement à une particularité de la nature du sol.
Dans le Tegama, il existe un réseau hydrographique mal dessiné, mais reconnaissable ; les lits des rivières, à berges peu ou pas marquées, sont jalonnés par des mares d’hivernage, en chapelet, qui, lorsque la pluie a été suffisante, se déversent les unes dans les autres. Dans la région du Manga, à l’est, comme à l’ouest du Tchad, il n’y a rien de semblable : on y rencontre fréquemment des cavités à fond plat, profondes d’une dizaine de mètres et d’un diamètre moyen de 7 à 800 mètres. Les bords sont probablement abrupts, mais toujours ensablés ; je n’ai pu les voir nulle part. Dans toutes ces cuvettes, l’ensablement indique que les vents dominants venaient de l’est ou du nord-est. La falaise orientale est parfois surmontée d’une dune, haute de 2 à 3 mètres tout au plus ; la falaise occidentale est affleurée par une pente douce de sable (fig. 27). Quelques-unes de ces dépressions ont des affluents que l’on peut suivre sur quelques kilomètres ; on ne connaît d’effluent à aucune d’entres elles. Parfois, comme entre Gourselik et Bornoyazu, ces creux ont une tendance à s’aligner, bien que la liaison ne soit pas évidente entre eux. Freydenberg[56] a décrit avec soin des accidents semblables, notamment dans le Chittati [l. c., p. 56]. Les cuvettes sont parfois plus profondes et la falaise qui les limite atteindrait jusqu’à 50 ou 60 mètres. Malgré cette divergence, l’identité des deux régions n’est pas douteuse : Freydenberg, qui a vu les cuvettes à l’est et à l’ouest du Tchad, est très affirmatif sur ce point.
Un fait encore semble bien établi : le fond de toutes ces cuvettes est occupé par des dépôts blanchâtres, identiques à ceux du Tintoumma et de certains bahr du Tchad. Toutes ces cuvettes auraient, à une époque indéterminée, été occupées par des eaux ayant donné naissance à des sédiments identiques.
Freydenberg va plus loin et il suppose qu’il s’agit d’un lac unique, et que, à l’époque de sa plus grande extension, le Tchad aurait couvert une immense surface : vers l’ouest sa limite serait indiquée par Kakara à 200 kilomètres du Tchad, vers le nord par N’Gourti, à 100 kilomètres de N’Guigmi. Les limons blancs de toutes les cuvettes seraient, dans cette hypothèse, des dépôts d’un même lac, en continuité les uns avec les autres. Le plateau qui les isole serait d’origine éolienne et représenterait une série de dunes très anciennes, que je ne sais quel agent aurait exactement nivelées. « Le Chittati a été probablement le premier pays asséché ; les dunes y sont plus anciennes qu’au Kanem (profil plus doux) et des dunes transversales ont eu le temps de se former, bouchant les vallées dunaires » [c’est-à-dire, je pense, la dépression qui sépare deux dunes] « et donnent à cette région son aspect de plateau sablonneux, percé d’une quantité de cuvettes » [l. c., p. 63]. Ces cuvettes seraient tout simplement les points non encore ensablés.
Il est bien certain que le Tchad a été autrefois beaucoup plus étendu qu’il ne l’est actuellement : les sédiments, amenés par le Chari et la Komadougou le comblent peu à peu : toutes les terres qui bordent le sud et l’est du lac, toutes les îles du Tchad font partie du delta du fleuve. Mais les limites qu’il convient de donner à l’ancienne extension de la nappe lacustre sont sans doute beaucoup plus restreintes que ne l’indique Freydenberg ; j’ai trouvé à mes deux passages (11 février et 12 mars 1906) que le fond de la cuvette de Myrrh était à une cinquantaine de mètres au-dessus du Tchad : on ne peut cependant attacher grande importance à ces indications ; les nivellements que donne un anéroïde que l’absence d’observations voisines empêche de corriger étant toujours suspects.
La grosse objection que l’on pourra faire à l’hypothèse de Freydenberg est, en dehors de l’hypsométrie, la difficulté d’expliquer comment le nivellement d’un erg peut être assez parfait pour donner l’illusion d’un plateau. Ni le ruissellement, ni l’érosion éolienne ne peuvent amener ce résultat et il semble difficile d’admettre une crue du Tchad assez forte pour avoir récemment inondé tout le pays.
Freydenberg fait observer que tous les puits de la région sont creusés dans le même sol ; mais tous les puits sont dans des dépressions et celui qui a été creusé à Lilloa [l. c. p. 69], sur la pente de l’oued, est beaucoup trop près du fond de la dépression pour que l’on en puisse tirer une conclusion ferme.
Il me semble qu’un plateau aussi parfait que celui du Manga ne peut être formé que de couches horizontales. L’absence de réseau hydrographique prouve que ces couches sont très perméables[57] comme celles du Tegama : la différence entre les deux pays tient à leur altitude ; le Tegama, voisin de 500 mètres, reçoit un peu plus de pluie que le Tchad (moins de 300 m.) qui occupe évidemment le centre d’une dépression. Grâce à cette moindre sécheresse, des vallées rudimentaires ont pu se former sur le premier.
Fig. 27. — Coupe schématique d’une cuvette du Manga.
F, Failles hypothétiques ; a, Limon noir ; b, Limon gris, 3 m. ; c, limon blanc, 2 m.
Quant aux innombrables cuvettes que l’on rencontre dans le Manga et les régions voisines, il semble qu’un effondrement, dû à la dissolution de roches solubles, en soit l’explication la plus simple. L’abondance des mares à natron et des mares salées est à l’appui de cette hypothèse. Pour la renverser il aurait fallu creuser un puits non pas en un point tel que A (fig. 27), mais beaucoup plus loin, à quelques cents mètres des bords du plateau.
Vers l’ouest, les assises du Tegama disparaissent sous le Crétacé supérieur et le Tertiaire ; cependant dans la région de Sokoto, au sud de l’Éocène de Tahoua, le pays est formé de plaines sableuses où seuls des puits profonds assurent de l’eau en toute saison ; quelques-uns atteignent 400 pieds (120 m.[58]).
Les puits de Filingué (50 m.) dans le dallol Bosso, et de Lehem (70 m.) permettent de suivre cette zone vers le nord.
Gautier a signalé, entre l’Adr’ar’ des Ifor’as et Gao, des puits profonds dont l’orifice est au niveau des calcaires du Crétacé supérieur[59]. Il a dû choisir, pour y boire, le puits de Tabankort (35 m.) parce qu’il était, au dire des guides, moins profond que d’autres. On en cite de 100 mètres, et s’il ne faut accepter que sous bénéfice d’inventaire des chiffres ronds fournis par ouï-dire, du moins est-il certain que quelques puits atteignent de grandes profondeurs, dépassant de plusieurs dizaines de mètres celle de Tabankort, déjà respectable. Par son grand diamètre (6-7 m.), comme par sa profondeur, ce puits rappelle ceux du Tegama. Il en diffère cependant par un caractère important ; il serait taillé en plein calcaire : je ne pense pas que ceci puisse s’entendre de toute la profondeur, mais seulement de l’orifice ; les calcaires sont bien durs pour les outils des Soudanais. Il faut cependant se méfier : les puits de Ghardaïa, profonds de 70 mètres, ont été creusés dans les calcaires compacts du Crétacé supérieur : malgré les rapports constants des Mozabites avec la Méditerranée, il n’est pas certain que leur outillage ait été moins imparfait que celui des Soudanais.
Quoi qu’il en soit de cette difficulté, les puits profonds se retrouvent tout le long de la bordure ouest de l’Adr’ar’ où ils jalonnent, à partir de Teleyet et de Tessalit, une grande plaine stérile, l’Adjouz, où les calcaires de Tabankort se retrouvent avec des fossiles, à Asselar’, Mabrouk, El Houz.
Plus à l’ouest encore, jusqu’au méridien de Tombouctou tout au moins, cette zone des puits profonds est bien indiquée : El Adjou aurait 70 mètres et Inalaye 90 mètres. La ligne dite des puits, entre Tombouctou et Ormaïort (210 km.), au nord du Niger, suit un plateau coupé de quelques dunes ; elle est jalonnée par des puits situés à un ou deux jours de marche les uns des autres. Ces puits profonds de 30 à 40 mètres ont un débit important[60].
Ce n’est évidemment que par une induction, peut-être un peu trop audacieuse, que le sous-sol de ces différentes régions, dont le seul caractère commun est l’éloignement de la surface de leur nappe d’eau permanente, peut être rattaché aux grès du Tegama, c’est-à-dire à l’Infracrétacé.
Il semble cependant que les observations géologiques faites au cours du raid à Taoudenni du colonel Laperrine, par le lieutenant Mussel[61], apportent un appui sérieux à cette hypothèse.
Partant du Touat où des grès à sphéroïdes et des argiles gypsifères multicolores, recouvertes par les calcaires fossilifères crétacés supérieurs du Tadmaït, représentent l’Infracrétacé, Mussel a pu suivre de proche en proche cette formation ; il l’a vue former entre Adr’ar’ (Touat) et Tin Haïa, une série de gours, de témoins isolés. A El Biar, à Taoudenni, les mêmes couches bariolées que Lenz avait déjà signalées (grès rouges) forment quelques mamelons qui témoignent de la continuité de cette formation (fig. 6, p. 11).
Ce même Infracrétacé se montre nettement à la falaise d’El Khenachiche[62] qui laisse voir des couches horizontales d’argiles bariolées gypsifères passant parfois à des grès rouges.
Cette haute falaise, que l’on coupe à 100 kilomètres au sud de Taoudenni, limite vers le sud la dépression au centre de laquelle se trouvent les salines d’Agorgott ; elle a été coupée sur la route d’Ounan à Taoudenni par le capitaine Cauvin[63] et 100 kilomètres plus à l’est par le colonel Laperrine ; d’après les indigènes, les routes de Taoudenni à Oualata et à l’Adr’ar’ Tmar ont à la franchir ; vers l’est elle se rapproche un instant de la hammada El Haricha (Carbonifère), puis se redressant vers le nord-est, se développe pendant des centaines de kilomètres à travers le tanezrouft.
Quelle que soit l’exagération toujours possible des données des guides, il n’en est pas moins acquis que la falaise d’El Khenachiche est un des traits les plus remarquables de la région de Taoudenni, où elle joue un rôle à tout le moins comparable à la falaise de Tigueddi, au sud de l’Aïr.
Cette haute falaise franchie, on ne trouve plus jusqu’au Niger aucun relief ; quelques dunes mises à part, les pistes se déroulent sur une haute plaine où se trouvent les puits profonds déjà signalés et qui, vers l’est, va se perdre sous les calcaires crétacés de Mabrouka et de Tabankort.
Tout cela est, en somme, assez concordant : autour du massif ancien du Sahara central, une série d’assises détritiques de grès et d’argiles, restées franchement horizontales, forment une ceinture presque continue ; elles reposent, en discordance, sur les terrains primaires, Silurien à Alar’sess, Dévonien à l’Aougueroutt, Carbonifère près de Taoudenni. Les grès à sphéroïdes du Touat, comme les grès du Tegama, ne présentent presqu’aucun accident tectonique ; ils sont donc beaucoup plus jeunes que le Dévonien ou le Carbonifère qui, dans le Sahara du Nord, dans la zone hercynienne, sont nettement plissés et qui, plus au sud, dans les régions de structure tabulaire, sont affectés de plis à grands rayons et de dénivellations brusques, dus à des diaclases ou à des failles.
Ces grès, dans un grand nombre de points (Tadmaït, Mabrouka, Tabankort, Damergou, Bilma) sont en relation avec des assises fossilifères, toutes de la fin des temps secondaires. La zone d’affaissement où ils se sont déposés pendant l’Infracrétacé a été occupée, un peu plus tard, par les mers du Crétacé supérieur [cf. t. I, 234].
Il est digne de remarque que, dans l’archipel touatien, cette région affaissée coïncide avec la région où voisinent les plissements hercyniens et calédoniens, voisinage qui entraîne une assez grande complication de la tectonique, et que, au sud, elle paraisse masquer, à Labezzanga, au nord de Niamey, une zone de rebroussement des plis calédoniens.
Dans des notes antérieures, j’ai qualifié les grès de Tegama de formation continentale ; je regrette d’avoir usé de cette expression équivoque qui devrait être réservée aux dunes, à la latérite et à quelques autres roches dans la genèse desquelles l’atmosphère sèche ou humide est le principal facteur.
Les grès du Tegama sont certainement des dépôts qui se sont formés dans l’eau et même dans la mer ; leur stratification régulière sur d’immenses surfaces ne saurait laisser aucun doute. La disposition oblique de certains lits de sables et de graviers prouve seulement que cette mer était le siège de courants rapides. Il est bien clair qu’un affaissement, de l’importance de celui dont il s’agit, amène nécessairement de profonds changements dans le régime de tous les cours d’eau de la région qui, à la faveur du déplacement de leur niveau de base, sont obligés de remanier leur profil ; ils prennent une allure de torrent et tendent à combler rapidement la dépression nouvellement formée : les grès souvent grossiers du Tegama indiquent tout simplement le début d’un cycle de sédimentation. Pour que des lacs comme le Nyassa ou le Tanganika n’aient pas été comblés au fur et à mesure que jouait la fracture qui leur a donné naissance, il a fallu des conditions très spéciales. Penck[64] admet qu’ils n’ont pu se former que dans une région déserte, où les rivières étaient des oueds coulant aussi peu que ceux du Sahara.
Après que les fleuves qui se jetaient dans cette zone déprimée ont eu rectifié leur lit, les courants ont diminué d’importance et il a pu se déposer des marnes et des calcaires plus favorables que les grès à la conservation des fossiles.
Il s’agit donc bien d’une formation marine, et l’épithète malencontreuse que j’ai employée voulait indiquer seulement qu’il s’agissait d’une aire continentale et que toute trace de géosynclinal, même de mer moyennement profonde, faisait défaut.
Crétacé supérieur. — Au-dessus des grès et argiles du Tegama, on trouve dans le Damergou une série de collines hautes d’une trentaine de mètres et constituées par le Crétacé supérieur avec fossiles marins.
La base en est formée par des grès rouges contenant quelques bancs d’une lumachelle à huîtres. Ce niveau est bien visible dans le flanc d’une vallée à l’ouest de Danmeli, où il est nettement surmonté par des argiles gypsifères, qui, grâce à la sécheresse, forment une petite falaise très nette.
Ce niveau inférieur de grès rouges se retrouve tout autour du poste de Djadjidouna qui semble occuper le centre d’un petit bombement anticlinal, mais il est beaucoup moins nettement visible qu’à Danmeli et son existence n’est prouvée que par les nombreux débris de grès rouge et de lumachelle que l’on trouve dans les champs de mil et le long des sentiers.
Les assises suivantes sont au contraire mieux visibles autour de Djadjidouna qu’auprès de Danmeli, où les argiles gypsifères n’ont que 3 mètres de puissance. La falaise de Béréré montre les mêmes argiles sur une vingtaine de mètres avec intercalation, vers leur milieu, de plusieurs bancs de calcaires de 0,10 à 0,20 de puissance.
Ces bancs sont très fossilifères ; les ammonites y abondent[65] et la forme la plus commune est très voisine de Vascoceras Durandi Thomas et Peron, du Turonien inférieur de Tunisie. Les huîtres, très fréquentes elles aussi, appartiennent aux groupes de O. Columba, de O. Rollandi Coquand et de O. Olissiponensis Sharpe[66] ; cette dernière espèce a été longtemps considérée comme cénomanienne ; les recherches récentes de Choffat montrent qu’au Portugal elle est turonienne et que, dans l’Angola, elle existait encore au Sénonien[67]. On retrouve, à quelques kilomètres autour du poste de Djadjidouna, le même niveau fossilifère en un grand nombre de points, surtout vers l’ouest.
Les argiles gypsifères sont partout recouvertes d’un manteau de latérite de puissance variable. Les débris de ce manteau recouvrent le flanc de la plupart des collines du Damergou, de sorte que, vues de loin, elles donnent bien l’illusion « d’ondulation rocheuses uniformément recouvertes de latérites ferrugineuses rouges ». [Foureau, Doc. Sc., II, p. 551.]
Fig. 30. — Damergou. Coupe de Djadjidouna à Béréré.
1, Grès rouge ; 2, Argiles gypsifères ; 3, Calcaires à huîtres et ammonites ; 4, Argiles gypsifères ; 5, Latérite ; q, Vallée d’un petit affluent du Goulbi n’Kaba ; d, Dunes mortes.
L’une de ces collines, située au nord de Sabankafi, a un relief plus marqué que les autres ; il est possible qu’elle contienne des niveaux plus élevés. Je n’ai pu la voir que de loin.
L’existence, au nord de la mare de Tarka, de nombreux débris de latérite permet de suivre avec quelque certitude vers l’ouest l’ancienne extension du Turonien. Parmi ces latérites de Tarka se trouvent de véritables minerais de fer, constitués par des oolithes de limonite avec ciment de sidérose (carbonate de fer), identiques à ceux qu’exploitent encore maintenant les forgerons du Damergou.
Pour une raison purement stratigraphique, j’ai rattaché au Crétacé supérieur des niveaux gréseux qui forment les plateaux du Koutous et de l’Alakhos, au nord de Gouré, plateaux superposés au Tegama comme le sont les collines d’argile du Damergou (Planche de coupes hors texte, fig. VI).
Ces grès, puissants d’une centaine de mètres, sont parfois gris, plus souvent roses ou violets ; ils sont habituellement de grain assez fin, quoique partout on y trouve intercalés quelques bancs de graviers ou de galets. La stratification y est souvent entrecroisée, témoignant ainsi de courants rapides. Tous sont tendres et mal cimentés.
Ces grès, suivant la région où on les examine, présentent quelques différences de détail ; dans le sud, du côté de Kellé surtout, ils sont plus grossiers ; les débris de quartz et de quartzite, de la grosseur d’une noix, n’y sont pas rares, non plus que les poudingues à galets parfois gros comme le poing. J’ai pu examiner d’assez près un assez grand nombre de ces galets, qui disparaissent vers le nord : tous proviennent de l’Archéen ou du Silurien, aucun ne m’a paru attribuable aux granites alcalins de Zinder ou du Mounio, ce qui donne une indication sur l’âge de ces derniers, et rend probable l’existence de massifs anciens, analogues à celui d’Alberkaram, à proximité du Koutous. Le grand développement des ergs de la région cache presque partout le véritable sol et empêche de bien voir.
Fig. 31. — Bord du massif d’Alberkaram. 30 kilomètres au nord de Zinder.
A, Quartzites ; B, Roche très altérée, feldspathique ; C, Grès tendre. Continuation de la plaine du Tegama ; 1, Arkose et poudingues à galets de 4 à 5 cm. ; 2, Grès fins en bancs bien lités ; 3, Grès fins.
Des lambeaux de la même formation se trouvent au nord de Zinder, à Ouamé (fig. 31) et à l’ouest, vers Tirminy ; entre Tirminy et l’Adr’ar’ de Tahoua (250 km.) les mêmes grès semblent jouer un rôle très important ; ils sont bien visibles dans une vallée très encaissée, entre Kongoumè et Maïjirgui (fig. 32).
Cette vallée, d’abord orientée de l’est vers l’ouest, prend bientôt une direction méridienne ; Barth l’a rencontrée sur son itinéraire.
En dehors de cette coupure, le pays est en général très ensablé ; mais rien à la surface, ni dans l’aspect de la végétation, n’indique de changement dans la nature du sol ; tout le long de la route les puits sont nombreux et les matériaux de déblais, accumulés à leur orifice, ne montrent jamais que des grès. Ce n’est qu’au voisinage de Gueydoum que des débris latéritiques indiquent l’approche d’une région différente.
Dans la région de Bilma, le Crétacé supérieur existe aussi d’une manière authentique ; Rohlf avait signalé, il y a longtemps, au sud de Bilma des grès riches en fossiles, notamment en empreintes d’ammonites ; et, auprès d’Agadem, des calcaires, diversement colorés, très fossilifères ; aucun exemplaire n’était parvenu en Europe ; dans sa belle traversée du Sahara (1892), le colonel Monteil a recueilli, à Zau Saghaïr, un oursin qui a été étudié par V. Gauthier ; le Noetlingia Monteili est voisin d’une forme du Maestrichtien du Beloutchistan[68]. Bien que, depuis, la route du Tchad à Bilma ait été parcourue à plusieurs reprises, aucun nouveau fossile n’a été rapporté ; les matériaux que le lieutenant Ayasse a recueillis et qui ont été étudiés par Freydenberg[69] montrent cependant qu’à côté de roches éruptives variées, il existe des roches sédimentaires, les unes peut-être anciennes (quartzites), d’autres certainement récentes : des grès à ciment argileux avec taches rouges ou violettes ont été trouvés en plusieurs points. Ils sont accompagnés de formations latéritiques et la petite collection de Ayasse, que j’ai pu voir à la Sorbonne, indique d’assez grandes analogies avec la région de Zinder. Les derniers envois du sergent Lacombe au Muséum confirment bien cette complexité de la région Fachi-Bilma ; il y a des roches granitiques, des quartzites (Silurien ?) des grès peut-être dévoniens ; les roches dominantes cependant (grès tendre bariolé, latérite, etc.), semblent se rapporter au Crétacé ou au Tertiaire.
On connaît encore des terrains du même âge à l’ouest et au sud de l’Adr’ar’ des Ifor’as. M. Théveniaux a rapporté de Mabrouka le Cardita Beaumonti ; MM. Combemorel, Desplagnes, E. Gautier et Cortier ont trouvé, dans la vallée du Telemsi, la même forme accompagnée de nombreuses huîtres (O. Pomeli Coq., O. Nicaisei Coq., O. Bourguignati Coq.), caractéristiques du Crétacé supérieur d’Algérie.
MM. Arnaud et Pasquier ont rencontré les mêmes huîtres un peu plus à l’est ; un lamellibranche, probablement le Roudairia Drui Mun-Chalmas, forme commune dans le Crétacé supérieur algérien, était représenté dans leur envoi par deux moules assez médiocres. Ces Roudairia, qui sont connues depuis le Gabon jusqu’aux Pyrénées, semblent indiquer des communications faciles à travers le continent africain, entre la Méditerranée et l’Atlantique.
Cette bande de calcaires fossilifères a été recoupée par la plupart des itinéraires qui sont maintenant assez nombreux dans cette région ; Cortier a pu indiquer sa position avec assez de certitude sur une carte manuscrite qu’il a eu l’obligeance de me communiquer. Mais elle n’est pas uniquement crétacée et, dans la plupart des gisements, des fossiles éocènes ont été recueillis en même temps que les formes secondaires. Dans la majeure partie de son parcours, cette bande voisine avec les terrains archéens et primaires, mais les relations du Crétacé avec ces formations anciennes sont encore énigmatiques ; Lemoine [in Cortier, D’une rive à l’autre..., p. 409] serait disposé à admettre l’existence d’une faille, perpendiculaire aux plissements anciens. La chose est possible quoique l’allure de la bande calcaire soit bien peu rectiligne, mais il reste à l’établir.
Cette zone calcaire, qui est parfois limitée au nord par une falaise peu élevée, ne s’étend pas vers l’ouest jusqu’au méridien de Tombouctou ; du moins n’a-t-elle pas été rencontrée par les reconnaissances qui ont poussé jusqu’à Taoudenni. Elle commence à l’ouest de Mabrouka et, au sud du Timétr’in, s’étend d’abord de l’ouest vers l’est ; elle s’infléchit vers le sud au voisinage de l’Adr’ar’, constituant la plaine désolée de l’Adjouz, puis vers Tabankort reprend sa direction ouest-est.
A l’ouest de l’Adr’ar’ des Ifor’as, elle est doublée par une seconde bande calcaire qui vient mourir au voisinage de Bemba ; près des puits d’In Killa et d’In Akaoual, ces calcaires sont très fossilifères ; ils contiennent surtout de petits « cérithes » ? et cette indication semble se rapporter plutôt à des calcaires éocènes qu’à des couches crétacées ; ils s’agit probablement de turritelles, fossiles communs dans l’Éocène de l’Afrique centrale, et dont le capitaine Cauvin a rapporté des échantillons provenant de régions voisines.
La bande crétacée se poursuit depuis Mabrouka sur plus de 1000 kilomètres ; elle est connue à l’est de Gao, à Azigui et au nord du puits de Tiguirirt jusqu’au voisinage de 3° de long. orientale, plus près d’Agadez que du Niger, au centre des terrains de parcours des Oulimminden.
De Mabrouka jusqu’à l’Adr’ar’ Tiguirirt, ces calcaires restent au voisinage des terrains anciens ; mais au delà de cet Adr’ar’, vers leur extrémité orientale, d’après une obligeante communication du capitaine Pasquier, on trouve, au nord des calcaires fossilifères, des affleurements de latérite. A cette latitude, la véritable latérite, produit d’altérations des roches éruptives, fait défaut, comme en témoignent l’Aïr et l’Adr’ar’ des Ifor’as ; les grès ferrugineux qui sont le résultat de la cimentation des dunes semblent eux aussi un peu plus méridionaux. La latérite du capitaine Pasquier, par la latitude où elle se rencontre, est plutôt analogue, autant qu’on peut juger sans échantillons, à celles du Damergou ou de l’Adr’ar’ de Tahoua qui résultent de l’altération, de la décalcification surtout des roches sédimentaires : la mer du Crétacé supérieur aurait pénétré assez loin dans la vallée du Taffassasset où l’on connaît, d’une manière authentique, l’Éocène jusqu’au voisinage du 18° de latitude nord, à Tafadek et à Tamalarkat.
Dans les lignes précédentes je n’ai pas cherché à préciser de niveaux stratigraphiques ; la chose serait prématurée. Les divers fossiles recueillis semblent indiquer que, depuis le Turonien, les mers du Crétacé ont occupé, d’une manière continue, le centre africain qu’elles n’ont abandonné qu’après l’Éocène ; mais les gisements fossilifères connus sont souvent fort loin les uns des autres, et sans liens entre eux ; les renseignements stratigraphiques font défaut sur la plupart des gisements et il est nécessaire d’attendre de nouvelles recherches sur le terrain avant de pouvoir systématiser nos connaissances sur le Crétacé de la région de Gao et de Zinder.
La mer qui, pendant le Crétacé supérieur, recouvrait le centre africain, se reliait certainement par la basse Égypte et le désert libyque à celle qui, passant par la Palestine et la Perse, s’étendait jusqu’au Beloutchistan ; les affinités avec l’Algérie et la Tunisie sont, elles aussi, bien marquées ; un bras de mer est peut-être indiqué à l’ouest de l’Aïr (fig. 68, p. 225).
Un autre bras de mer plus méridional, reliant le Damergou à l’Atlantique, est bien jalonné entre les roches anciennes du sud du Tchad et les massifs cristallins de Kano, de Sokoto et du Dahomey ; vers Gongola (11° latitude nord, 9° longitude est) des ammonites turoniennes ont été recueillies ; dans le Cameroun, Solger[70] a décrit une faune du même âge, dont les espèces présentent les plus grandes analogies avec celles de l’Inde et de la Tunisie.
Enfin au cap Lopez, comme au voisinage de Libreville, les dépôts du Crétacé supérieur forment, le long du littoral, une bande parfois assez large.
Éocène. — La première mention de l’Éocène dans le centre africain date déjà de quelques années : le commandant Gadel avait recueilli à Tamaské un nautile et quatre oursins[71]. L’année suivante, pendant la mission de délimitation du Sokoto, le capitaine Moll et le commandant Lelean rapportaient des mêmes régions une série plus nombreuse qui confirmait les premières indications.
La stratigraphie de l’Adr’ar’ de Tahoua paraît assez simple : dans son ensemble, la région est un plateau dont les assises horizontales sont profondément entaillées par des vallées importantes, les dallols.
Fig. 33. — Coupe de la falaise de Bouza. — Adr’ar’ de Tahoua.
1, Argiles blanches visibles sur 10 m. ; 2, Banc d’oolithes ferrugineuses (0,25) ; 3, Argiles blanches, maculées de lie de vin (10 m.) ; 4, Roche latéritique (1 m.) manquant sur une partie du premier plateau ; 5, Argiles feuilletées avec gypse (12 m.) ; 6, Banc calcaire très fossilifère (0,10) ; 7, Argiles feuilletées avec gypse (3 m.) ; 8, Roche latéritique (0,50).
J’ai pu relever quelques coupes avec détail.
Près de Bouza, le long de la falaise à laquelle est adossé le poste[72], on rencontre successivement, de bas en haut, les niveaux suivants (fig. 33) :
1o Argiles blanches visibles sur une dizaine de mètres, elles contiennent des traces de grands bivalves.
2o Un banc d’oolithes ferrugineuses, 0,25.
3o Argiles blanches, se maculant de rouge et de lie de vin surtout vers le sommet (10 m.) Ces argiles contiennent de nombreux grains de sable quartzeux.
Formations latéritiques (2 m.) ; formation assez complexe ; certaines veines sont formées d’oolithes ferrugineuses, indiquant un produit de décalcification ; d’autres, à grain plus fin, contiennent des empreintes de roseaux.
Cette couche résistante forme le couronnement d’un premier plateau qui porte le village de Bouza ; elle disparaît rapidement vers l’est avant la seconde falaise qui se montre à quelques kilomètres.
5o Argiles feuilletées bleuâtres avec gypse (15 m.). Ces argiles reposent directement sur 3.
6o Banc calcaire (0,10) très fossilifère. Les fossiles sont surtout des moules de bivalves et de gastéropodes de petite taille (Cardium, Turritella, Ostrea, etc.) ; un foraminifère, Operculina canalifera d’Arch., très caractéristique de l’Éocène moyen du Soudan, y est rare ; il y a aussi des dents de poissons, déterminées par Priem [B. S. G. F., VII, 1907, p. 334] qui y a reconnu Scyllium, Aprionodon, Cimolichthys ?
Fig. 34. — Falaise limitant un dallol près Bouza. — Adr’ar’ de Tahoua.
Les flancs de la falaise sont formées des couches 1-4 de la figure 33.
7o Argiles bleuâtres avec gypse, 2 m.
8o Latérite et grès ferrugineux, 0,50.
A quelques kilomètres au nord, à Gamé, le commandant Moll a rencontré un banc calcaire avec de nombreux fossiles, que j’ai pu voir au Muséum (Nautile, Oursins, Polypiers) ; les relations de ce niveau avec ceux de Bouza sont inconnues.
Au sud-est de Keita une falaise, haute d’une centaine de mètres montre les couches suivantes :
1o Grès à ciment ferrugineux, 0,20.
2o Argiles grises, 10 m.
3o Calcaires blancs, se débitant en rognons, 20 m.
4o Marnes (1 m.). Les oursins (Linthia, Plesiolampas) sont abondants à ce niveau.
5o Calcaires blancs (20 m.) Les moules de grandes bivalves (Lucina ?) y abondent. Ces moules, dont la détermination précise est impossible, sont très répandus dans l’Éocène de l’Afrique centrale ; ils ont une valeur stratigraphique locale.
6o Argiles feuilletées blanches (20 m.) contenant des débris de grands bivalves.
7o Formations latéritiques (3-4 m.). Oolithique ferrugineuse et grès ferrugineux.
Cette falaise, que je n’ai pu voir qu’en passant, est l’une des plus hautes de la région ; elle mériterait un examen approfondi.
A Tamaské, la coupe est beaucoup moins complète, et seules les assises 5, 6 et 7 ne sont pas masquées par les éboulis ; notons toutefois qu’à mi-chemin entre Keita et Tamaské, on voit affleurer les argiles maculées de Bouza. Sans qu’il soit nécessaire d’insister davantage sur le détail des observations, l’Éocène de la région de Tahoua comprendrait essentiellement les deux termes suivants : à la base, des argiles blanches maculées de taches rouges ou lie de vin et qui n’ont fourni jusqu’à présent que des traces de fossiles indéterminables ; au sommet, des assises souvent calcaires, d’ordinaire très fossilifères et que l’ensemble de leur faune rattache nettement à l’Éocène moyen (Lutétien).
Fig. 35. — Coupe de l’Adr’ar’ de Tahoua.
Il y a environ 110 km. de Tahoua à Bouza. Le trait épais indique les plateaux couverts de formations latéritiques.
Miocène. — On a signalé[73], au sud de Bouza, vers Boutoutou, une roche ferrugineuse où abondent les empreintes fossiles ; M. Douvillé y a reconnu une forme voisine du Protho rotifera du Miocène français. Au-dessus de ce gisement un schiste sableux, brun jaunâtre, contient des débris végétaux où M. Zeiller a signalé des fougères voisines de la Scolopendre et du Polypodium, des Scitaminées et des Dicotylédones. Ces schistes à végétaux sont surmontés d’une lumachelle où se rencontrent des Cardita, qui rappellent une forme du Miocène supérieur du Cotentin. La collection Moll, au Muséum, contient quelques troncs silicifiés provenant de la partie supérieure du plateau de Bouza. J’ai recueilli, près de Korema-Alba (50 km. à l’est de Bouza), des latérites formées d’oolithes de limonite et qui, d’après Cayeux, semblent provenir de la décalcification d’un calcaire lacustre. Ces limonites sont probablement au-dessus du Lutétien.
La présence de gypse à plusieurs niveaux, la flore de Boutoutou permettent de croire que des épisodes lagunaires et lacustres se sont intercalés à plusieurs reprises au milieu de formations marines[74], mais il semble acquis que la mer n’a quitté définitivement l’Afrique centrale que depuis la fin du Miocène.
| R. Chudeau. — Sahara Soudanais. | Pl. XIII. |
Cliché Posth
25. — LE NIGER A NIAMEY.
Ile granitique au milieu du fleuve. Falaise de grès du Niger, recouverts d’éboulis latéritiques.
Cliché Posth
26. — LE PUITS DU VILLAGE D’YENI.
Dallol Bosso, au sud de Sandiré.
Extension géographique. — Il est possible de suivre au loin une partie de ces formations.
Le Lutétien fossilifère se rencontre encore un peu au sud de l’itinéraire que j’ai suivi : les fossiles recueillis par le capitaine Lelean proviennent de Garadoumi. Vers le nord, son extension est très considérable : le capitaine Allouard m’a signalé deux gisements fossilifères (avec nautiles) à moitié route entre In Gall et Tahoua ; le lieutenant Jean a remis à la Sorbonne, où j’ai pu les étudier, quelques blocs calcaires recueillis au nord-ouest d’Agadez, à Tamalarkat et à Tafadek ; ces blocs sont riches en Operculina ammonea. M. R. Arnaud, le capitaine Pasquier et plus récemment le lieutenant Théral ont recueilli, au voisinage de l’Azaouak, de beaux fossiles éocènes qui sont déposés au Muséum.
Combemorel, E.-F. Gautier et le lieutenant Cortier ont rapporté du haut Telemsi toute une faune de même âge, que le capitaine Cauvin a retrouvée à l’ouest de l’Adr’ar’ des Ifor’ass, ainsi qu’entre Mabrouka et Bemba ; les gisements fossilifères commencent à 20 kilomètres au nord de ce poste. Antérieurement, de Lapparent avait signalé les fossiles éocènes que le lieutenant Desplagnes avait ramassés dans la région de Bourem.
A Ansongo, parmi les galets des alluvions anciennes sur lesquelles est bâti le poste, à 7 mètres au-dessus du Niger, et qui sont surtout formés de quartz et de roches cristallines, se trouvent des silex jaunâtres, à peine roulés, sur lesquels on peut distinguer quelques traces de fossiles, notamment des empreintes de turritelles qui ne paraissent pas différentes de celles que l’on connaît dans les gisements typiques de la région. Ces silex sont évidemment le dernier reste d’assises calcaires importantes.
Fig. 36. — Village de Kaouara (40 km. à l’est de Matankari).
Le campement est sur la dune fixée, au premier plan.
Fig. 37. — Matankari ; au nord du poste. Au dernier plan, entre les plateaux, le col où passe la piste de Tougana.
Matankari est à quelques kilomètres en amont de Dogon Doutchi sur le dallol Maouri.
Cet Éocène moyen fossilifère de l’Afrique centrale est dès main tenant bien connu dans ses grandes lignes ; toute sa faune, par son caractère littoral, indique une mer peu profonde et cette considération bathymétrique explique l’absence de nummulites, absence qui ne présente aucune sorte de gravité ; les relations de cette mer avec les mers éocènes voisines sont plus obscures. La faune indique des affinités profondes avec le bassin de la Méditerranée ; il est bien vraisemblable aussi que les communications qui, pendant le Crétacé supérieur, reliaient cette mer à celle du Cameroun, persistaient encore à l’époque lutétienne. Mais la trace précise de ces bras de mer nous fait jusqu’à présent défaut : j’ai indiqué antérieurement que, au nord-ouest d’In Azaoua, sur les grès dévoniens du tassili Tan Tagrira, se trouvaient des grès d’aspect beaucoup plus jeune et qui pourraient être crétacés ou tertiaires ; les documents manquent pour suivre cette voie encore hypothétique vers le nord. Les calcaires à silex, sans fossiles, qui surtout vers l’est couronnent le Tadmaït, sont attribués par Rolland et Flamand à l’Éocène ; toutefois ce n’est que beaucoup plus au nord que l’Éocène est connu d’une manière authentique. Vers l’est, par Bilma, une communication avec le désert lybique est probable, de même que vers le sud avec le Cameroun et l’Atlantique par Gongola ; mais jusqu’à présent à Bilma comme à Gongola, le Crétacé seul est connu. Une communication vers l’ouest avec le Nummulitique du Sénégal est possible ; c’est une question qui sera mieux à sa place dans un chapitre ultérieur.
Les argiles bariolées qui, dans l’Adr’ar’ de Tahoua, sont recouvertes par les couches lutétiennes, ont, elles aussi, une grande extension ; mais l’absence de fossiles ne permet pas de les suivre avec autant de sécurité que les assises qui les surmontent.
Ces argiles se prolongent à l’ouest de Tahoua ; et, jusqu’à Niamey, on les voit à chaque étape, toutes les fois que l’érosion a fait disparaître le manteau latéritique qui couvre la haute plaine du Djerma : les figures consacrées à Kaouara, Dinkim, Matankari (fig. 36, 37, 41), les photographies (Pl. XII, XIV) de Dogon Doutchi et d’Yéni montrent avec quelle netteté on peut suivre cette assise ; jusqu’au dallol Bosso (Sandiré-Yéni), on ne la perd pas de vue.
Une marche de 90 kilomètres sur un plateau couvert de latérites, parfois ensablé, mais en tout semblable à celui que l’on suit depuis Tahoua, permet de retrouver à Niamey une formation analogue. Lorsque l’on remonte le Niger, on voit très fréquemment sur les deux rives, au moins jusqu’à Bourem, des plateaux, hauts d’une trentaine de mètres au plus, couverts d’une nappe de latérite, et dont les flancs montrent des formations sédimentaires horizontales d’aspect jeune, formées d’ordinaire d’assises de couleurs claires souvent maculées de rouge. Les croquis (fig. 38 et 39) montreront leur allure au Tondibi et au Kennadji. La photographie (Pl. XIII), prise à Niamey, permettra de voir quelques détails.
Un plateau tout semblable, le mont Asserarbhou de la carte au 2000000e du ministère des Colonies, justifie mal cette dénomination pompeuse : ce plateau a tout au plus 20 mètres de haut. Depuis le Niger jusqu’à mi-hauteur se montrent des argiles gréseuses blanches et violettes, surmontées de grès roses. Sur le couronnement, d’origine latéritique, s’élève le poste de Bourem. A quelques kilomètres au nord du poste, d’après les renseignements du lieutenant Barbeyrac, les calcaires à Linthia apparaissent à la surface du sol, au-dessus des argiles bariolées que l’on ne peut observer que dans les puits. Les relations stratigraphiques sont donc les mêmes que dans la région de Tahoua et cette similitude donne une certaine importance aux fossiles mal conservés que j’ai signalés à Ansongo.
Fig. 39. — Le plateau de Kennadji (grès du Niger) sur la rive droite du fleuve.
Au premier plan, une île basse, couverte de végétation ; des porphyres y affleurent. — Sous les grès du Niger, mamelons granitiques.
Ces grès du Niger forment donc, au point de vue géographique, un ensemble très homogène de Tahoua à Niamey et à Bourem. Leurs caractères lithologiques varient peu : à Bouza ce sont des argiles avec quelques grains de quartz, à Dinkim de véritables grès à ciment argileux ; au voisinage des roches éruptives, comme à Niamey, des arkoses[75] ; des modifications aussi légères n’enlèvent rien à l’homogénéité de cette assise : dans les deux seuls points où son âge peut être fixé, elle est recouverte par l’Éocène moyen. On doit donc la rattacher à l’Éocène inférieur.
Plus au sud, à Bossia, Hubert signale [l. c., p. 365] un certain nombre de montagnes tabulaires, assez élevées (100 m.), formées de grès argileux où l’on peut distinguer de nombreuses assises ; il serait intéressant de les étudier de près et de voir si leur partie supérieure n’appartiendrait pas à l’Éocène moyen ou au Miocène.
La limite de cette formation vers l’ouest est inconnue ; cependant Boussenot [Revue des troupes coloniales, 1904, p. 243] signale auprès de Dori, reposant sur les granites et les schistes cristallins, des argiles et des sables gréseux qui sont peut-être la suite des grès du Niger ; les très rares renseignements que j’ai pu recueillir sur la région des mares qui s’étend au nord de Dori, indiquent une plaine recouverte de formations ferrugineuses, qui semble la continuation de ce que l’on observe sur la rive droite de Niger. Au delà des collines cristallines qui relient Tosaye à Hombori, on ne signale plus rien de semblable.
Dans toute cette région voisine du Niger, les grès et argiles bariolées reposent directement sur les terrains anciens et non plus, comme à l’est de l’Adr’ar’ de Tahoua, sur le Crétacé. Il y a donc une transgression marquée vers le début des temps tertiaires ou peut-être à la fin du Crétacé.
A une grande distance à l’ouest, contrastant nettement avec les grès anciens du plateau de Bandiagara, des grès rigoureusement horizontaux, reposant souvent sur le Silurien, se rencontrent sur les bords du Niger, entre Bammako et Koulikoro ; le chemin de fer de Kayes au Niger permet de les suivre assez loin vers l’ouest ; vers le nord ils forment tout le Bélédougou ; on les retrouve entre Mopti et Kabarah ; ils sont bien visibles au lac Débo ; les collines qui avoisinent Goundam et le Faguibine paraissent appartenir au même ensemble. Ce sont des grès de dureté variable, passant parfois à des arkoses (Goundam) à grain souvent assez fin, mais contenant des bancs de graviers ; la stratification y est souvent entrecroisée et leur couleur varie du blanc au rouge. Jusqu’à présent, un seul fossile y a été signalé, entre Bammako et Koulikoro ; il ne présente malheureusement aucune signification stratigraphique[76].
Chautard a rencontré en Guinée des formations semblables ; au Sénégal, au cap Rouge, des grès bien voisins d’aspect reposent sur les calcaires de Rufisque à Physaster inflatus.
Cette analogie permettrait d’attribuer provisoirement à ces grès un âge crétacé supérieur ou éocène : sur le littoral d’Angola[77], la mer du Crétacé supérieur a laissé, dans des grès, des fossiles assez nombreux. Mais il y a encore beaucoup trop de lacunes entre ces diverses formations pour que l’on soit autorisé à conclure, et à identifier les grès de Bammako et ceux du Niger.
Les fossiles recueillis dans l’Éocène de l’Afrique centrale sont surtout des moules internes de gastéropodes ou de lamellibranches d’une détermination souvent douteuse[78]. Quelques-uns, cependant, mieux conservés, permettent de ne pas hésiter sur l’âge de cette formation ; les suivants méritent d’être signalés.
Un nautile, du groupe du N. Lamarcki Deshayes, a été trouvé en plusieurs points de l’Adr’ar’ de Tahoua et dans le Telemsi ; il semble se rapporter assez exactement à Nautilus Deluci d’Archiac, du Nummulitique de l’Inde.
Un grand ovule, du sous-genre Gisortia, est voisin de O. depressa Sow. Le capitaine Arnaud l’a recueilli dans le Telemsi et le capitaine Pasquier, beaucoup plus à l’est, dans la région de l’Azaouak. On connaît O. depressa en Asie Mineure et dans l’Inde.
Les moules de Velates, Natica, Rostellaria, Cypræa semblent se rapporter aussi à des formes de l’Inde et de la Méditerranée. Une turritelle, au moins très voisine de Mesalia fasciata, se rencontre dans la région de Tahoua et à Tenekart ; le capitaine Cauvin l’a rencontrée à l’ouest de l’Adr’ar’ des Ifor’ass, en allant de Bemba à Timiaouin ; elle se retrouve probablement sur les silex d’Ansongo.
Parmi les lamellibranches il n’y a guère de vraiment déterminable qu’une huître, récoltée par R. Arnaud et Pasquier entre Gao et Menaka ; elle est très voisine de l’Ostrea elegans Deshayes, et ressemble surtout à des formes de cette espèce recueillies autrefois par Lemesle dans le Sud tunisien et que M. Douvillé m’a montrées à l’École des Mines. Une autre huître du même gisement peut être rapportée à O. punica Thomas.
Le moule d’une grande lucine, de la taille de L. gigantea du bassin de Paris, mais beaucoup trop épais pour que l’on puisse le rapprocher de cette espèce, est extrêmement commun ; il permet de suivre facilement au loin certains niveaux de l’Adr’ar’ de Tahoua.
Les oursins sont en général très bien représentés dans toutes les récoltes ; les deux espèces que Bather[79] a décrites de Garadoumi (Hemiaster sudanensis, Plesiolampas Saharæ) ont été souvent recueillies ; Lambert a distingué Plesiolampus Paquieri provenant de l’est de Gao, et il se peut que les matériaux assez nombreux qui sont actuellement à l’étude permettent d’accroître un peu cette liste[80].
Parmi les foraminifères, une espèce seule semble jusqu’à présent importante. L’Operculina canalifera d’Archiac est abondante à Tamaské et se retrouve, aux confins de l’Aïr, à Tamalarkat et à Tafadek (lieutenant Jean). C’est une forme du Lutétien de l’Inde et d’Égypte que l’on connaît aussi de l’Est africain allemand où elle accompagne Nummulites Ramondi Defr., N. cf. lævigata Lam, N. perforata Mont., Assilina granulosa d’Arch., A. spira de Roissy[81].
Les vertébrés n’ont fourni jusqu’à présent que peu de débris. R. Arnaud et Pasquier ont recueilli une vertèbre de Crocodilien qui peut être du Crétacé supérieur ou du Tertiaire inférieur ; la mission Moll a rapporté de la région de Tamaské des plaques de tortues. Priem a bien voulu examiner quelques dents de poissons trouvées près de Bouza ; il y a reconnu Scyllium, Aprionodon et Cimolichthys (?), espèces qui indiquent certainement le Tertiaire et probablement l’Éocène moyen[82].
Les affinités de cette faune, que l’étude non encore achevée des nombreux matériaux qui se trouvent à Paris permettra de préciser, sont très nettes avec l’Inde, l’Asie Mineure, l’Égypte et le Sud tunisien.
Les autres gisements éocènes des régions voisines, le Cameroun et le Sénégal[83], bien que présentant des analogies manifestes avec la même zone méditerranéenne, sont assez distincts des gisements de Tahoua ; ces divergences entre pays aussi rapprochés tiennent sans doute à des différences d’âge entre les niveaux fossilifères explorés ; d’après Oppenheim[84], les fossiles du Cameroun seraient paléocènes. Cet étage est représenté probablement à Tahoua par les grès du Niger qui, comme presque tous les grès, sont pauvres en débris organiques ; des recherches suivies seront nécessaires pour en connaître la faune.
Nulle part on n’a pu encore relever de coupes continues ; mais tous les indices portent à croire que depuis le Turonien inférieur jusqu’à la fin de l’Éocène au moins, la mer n’a pas abandonné ces régions ; la série doit être complète dans le centre du bassin.
II. — LES PAYS
Dans toute cette zone des hautes plaines sédimentaires du Soudan vit une population assez nombreuse, malgré les ravages qu’y a faits jusqu’en ces dernières années la traite des esclaves.
Presque partout deux demi-civilisations coexistent ; des villages, habités par des populations noires, vivent surtout de la culture ; entre les villages nomadisent des pasteurs sans liens anthropologiques ou ethniques avec les sédentaires.
Au cours de luttes interminables entre les innombrables sultans noirs, les villages ont souvent changé de maîtres et fait partie des groupements les plus divers. Leur longue histoire, sans grand intérêt probablement, ne pourra guère être débrouillée, et seulement pour une courte période, que par des gens résidant longtemps dans le pays.
Le travail a été commencé ; et, aux traditions soigneusement recueillies par Barth, sont venues s’ajouter quelques monographies excellentes comme celle que le commandant Gadel a consacrée à Zinder.
Il est encore impossible cependant de chercher à faire une synthèse de tous ces renseignements. Il faudra se borner à mettre en évidence quelques groupements naturels qui ont été imposés par des conditions géographiques ou géologiques.
Dans l’ensemble, la région de hautes plaines dont nous venons de chercher à définir la structure géologique, forme d’une manière très graduelle la transition entre le Sahara où il ne pleut pas et la région équatoriale où il pleut beaucoup. Dans leurs parties septentrionales, les plus proches du désert, ces hautes plaines se prêtent mal à la vie des hommes ; à mesure que l’on va vers le sud, l’eau devient moins rare et la vie plus aisée ; les villages apparaissent, localisés surtout, d’abord, dans quelques districts où des reliefs insignifiants suffisent cependant à accroître les précipitations atmosphériques et fournissent de bonnes positions de défense. Plus que la certitude d’avoir de l’eau facilement, la préoccupation de la sécurité a déterminé le choix de l’emplacement des villages, non seulement en Afrique, mais dans le monde entier, comme en témoignent encore tant de vieux villages français, juchés sur des collines d’accès difficile.
Nomades. — A part ces régions favorisées, la zone qui s’étend du Tchad au Sénégal est habitée surtout par des nomades de différentes races, qui se pénètrent peu.
A l’est, les Tebbous, fort mal connus, ont leur centre dans le Tibesti ; depuis des siècles, jusqu’à notre arrivée, ils étaient en lutte avec les gens de l’Aïr pour la possession de Bilma ; leurs campements les plus éloignés vers l’ouest sont au nord du Koutous, à Garagoa ; on les retrouve entre Chirmalek et le Tchad ; le poste de Mirrh a été établi pour les surveiller. Ils ne vont que peu au sud de cette ligne, qui forme à peu près la limite commune à leurs parcours et à ceux des Peuhls.
Entre le Tchad et le Borkou, ils ont été refoulés par une tribu arabe, les Ouled Sliman venus du Fezzan il y a un petit nombre d’années ; tribu sur laquelle Nachtigal, et plus récemment Mangin [La Géographie, XV, 1907], ont donné d’assez nombreux détails.
Le domaine des Touaregs commence à l’Aïr ; plus au sud, ils s’étendent davantage à l’est et campent dans l’Alakhos ; leurs dernières tentes dans cette région sont à Zéno. On les retrouve vers l’ouest, après quelques interruptions entre le Télemsi et Tombouctou, jusqu’à la région du Faguibine. Leur limite méridionale paraît compliquée et semble décrire de nombreux crochets : les Kel Gress pénètrent jusqu’à Sokoto ; à l’est et à l’ouest de l’Adr’ar’ de Tahoua, où les nomades sont Touaregs, les Peuhls au contraire remontent assez loin vers le nord : on les rencontre tout au moins à Kankara et à Amashi, comme autour de Matankari. Je n’ai pas de documents suffisants pour préciser la limite des deux races ; il semble en tous cas qu’elles ne nomadisent pas ensemble. De la vallée du Télemsi à Tombouctou, la plaine au nord du Niger et jusqu’au Timetrin est occupée par des nomades de langue arabe, Kountah et Berabiches qui séparent les Oulimminden et les Ifor’as, des Touaregs de Tombouctou (Kel Antassar, etc.[85]).
Parfois les habitats de ces différents peuples correspondent visiblement à des régions naturelles : l’Adr’ar’ des Ifor’as arrête les Kountah. Vers l’ouest, le Djouf semble être la limite extrême des Touaregs ; mais le plus souvent les limites sont indécises et ne semblent correspondre à aucun accident géographique notable. Chaque peuplade nomade a quelques districts montagneux où elle est solidement installée et qui lui servent de citadelle ; elle s’étend plus ou moins dans la plaine suivant le hasard des combats : les oasis du Kaouar ont de tout temps été l’objet de luttes entre les Tebbous du Tibesti et les Touaregs de l’Aïr. Les premiers y étaient les maîtres au moment du passage de Nachtigal (1870) ; lors de notre installation à Bilma (1906), les salines dépendaient des Kel Aïr.
A quelque race qu’ils appartiennent, la vie de tous les nomades est la même : du Sud algérien aux falaises de Hombori, les nomades sont à la recherche de bons pâturages pour leurs troupeaux ; ils ajoutent, aux bénéfices un peu aléatoires de l’élevage, l’escorte et au besoin le pillage des caravanes et quand ils sont en contact avec des sédentaires, ils leur imposent une protection onéreuse : l’histoire du Damergou ou de Tahoua reproduit celle des Oasis, et cette manière de faire, qui est pour les peuples pasteurs presque une nécessité, n’est pas spéciale aux bergers africains.
Quant au choix des animaux qui constituent le cheptel, il est une affaire de météorologie et non pas de race humaine. Partout l’élevage du mouton et de la chèvre est important ; dans les pays les plus secs on y ajoute le chameau ; quand la pluie devient moins rare, le bœuf apparaît à côté du chameau ; un peu plus loin du désert, en Algérie comme au Soudan, le cheval devient possible et le dromadaire disparaît d’abord comme monture, puis comme animal porteur. Ces substitutions progressives se font chez les Tebbous tout comme chez les Arabes et les Touaregs. Seuls les Peuhls, qui ne touchent nulle part au Sahara, n’élèvent, comme animaux de bât ou de selle, que le cheval et le bœuf.
Ce n’est pas le lieu de discuter ici sérieusement la question controversée de savoir si la vie, nomade ou sédentaire, est un caractère de race ; les caractères anthropologiques des Africains sont encore trop mal connus pour qu’ils puissent servir d’appui à une semblable discussion. Il semble toutefois que les conditions de milieu ont, plus que les caractères anatomiques, une influence sur le mode d’existence que chaque groupement humain adopte. Malgré leur nom, les Kel Oui sont des Haoussas et ils vivent de la vie des Touaregs ; sur les rives du Niger, il y a des villages de Peuhls. Quant aux Touaregs véritables, ils sont apparentés de bien près à des populations sédentaires d’Europe ou d’Afrique mineure.
Adr’ar’ de Tahoua. — Tahoua est le chef-lieu d’une région bien caractérisée, l’Adr’ar’ de Tahoua, appelé parfois l’Adr’ar’ Doutchi. Cette expression bizarre est formée du mot tamachek adr’ar’ et d’un mot haoussa « doutchi » qui veut dire caillou, rocher ou colline pierreuse. Cet Adr’ar’ est un plateau de calcaires et d’argiles éocènes (fig. 35, p. 96), protégé le plus souvent par un manteau latéritique ; il est entaillé par de profondes vallées, les « dallols », souvenir d’un état hydrographique antérieur. Ces vallées, larges souvent de 5 à 6 kilomètres, sont flanquées de falaises élevées, hautes parfois de plus de 100 mètres ; ce sont certainement des vallées d’érosion, creusées naguère par des fleuves venus de l’Aïr et de l’Ahaggar, fleuves aujourd’hui décapités (fig. 68, p. 225).
Le fond des dallols a conservé des alluvions, mais le vent y a fait cependant son œuvre et des dunes nombreuses interrompent la pente de la vallée ; ces barrages ont favorisé l’établissement de grands étangs ; celui de Keita (Pl. XX) est presque un lac.
La majorité des villages, pour des raisons défensives, est établie au bord du plateau, souvent assez loin des puits dont la plupart, profonds d’une dizaine de mètres, sont creusés dans les alluvions, vers le milieu des dallols. Quelques villages cependant, comme Kalfou (Pl. XXVII, phot. 52), sont installés au milieu des plateaux, dans des cuvettes synclinales où ils ont pu trouver de l’eau.
La culture du mil est la seule importante ; on le sème dans la première quinzaine de juin et il est mûr quatre mois après ; il y a aussi quelques champs de coton.
Les sédentaires sont naturellement des noirs, mais le pays est sous la domination des Touaregs, les Kel Gress vers l’est et surtout lès Oulimminden, dont la région de parcours est au nord de l’Adr’ar’ et s’étend jusqu’à Gao. D’après les traditions locales cette domination remonterait à trois ou quatre siècles ; elle est vraisemblablement beaucoup plus ancienne ; les redjems, surtout des basinas, identiques à ceux du Sahara, sont abondants dans l’Adr’ar’ de Tahoua, comme dans tous les pays occupés actuellement par les populations berbères[86]. Quoique aucun d’eux n’ait été fouillé, il semble impossible de les confondre avec les autres types de sépulture décrits par Desplagnes [Le Plateau Central Nigérien] et qui sont attribuables à d’autres races.
L’influence targuie est en tous cas bien marquée, même chez les sédentaires ; habituellement, chez les noirs, ce sont les femmes qui font toutes les corvées ; dans la région de Tahoua, les hommes prennent une part active au travail.
La limite orientale de l’Adr’ar’ de Tahoua est très précise : un peu à l’est de Guidambado commencent les plateaux éocènes qui débutent par une falaise, au-dessus des grès du Crétacé supérieur. La plaine que forment ces grès au contact de l’Adr’ar’ (désert des Mousgou, Gober) est à peine habitée.
Djerma. — Vers l’ouest les limites sont beaucoup plus indécises. Les grès bariolés qui sont à la base de l’Éocène se continuent jusqu’au Niger, constituant la région du Djerma[87], région qu’habitent des populations de langue sonr’ai.
Quelques bandes de terrain, très allongées du nord au sud, et larges de l’est à l’ouest de 70 à 80 kilomètres, manquent d’eau ; elles sont désignées sur plusieurs cartes par le nom d’Azaoua. On trouve pour d’autres régions désertes ou tout au moins privées d’eau, les noms d’Azaouad, d’Azaouak, d’Ahaouak. La langue touareg présente au moins quatre dialectes, celui des Kel Ahaggar, celui des Kel Oui, celui des Ifor’as et celui des Oulimminden ; le premier seul est bien connu. Dans le dialecte des Kel Ahaggar, Azaoua est le nom d’un arbre, le tamarix, qui, sauf dans la région du Tchad, manque au Soudan. Il est donc possible que le mot Azaoua soit inexact : ce serait plutôt Azaouad ou Azaouak, dont le sens précis est inconnu, qui conviendrait. Quoi qu’il en soit de cette question philologique, les puits et par suite les villages sont localisés dans les grandes vallées (dallols Bosso, Maouri). Il semble que ces bandes désertes ont servi de barrière à l’extension des langues sonr’ai et haoussa, mais il y a eu, je crois, quelques pénétrations réciproques : la distribution géographique de ces deux langues, au voisinage de leur frontière, serait à préciser sur place.
| R. Chudeau. — Sahara Soudanais. | Pl. XIV. |
Cliché Posth
27. — LE DALLOL BUSSO, A YENI.
Cliché Pasquier
28. — LES RUINES DE LA MOSQUÉE DE GAO.
Les bœufs sont au milieu du cimetière musulman.
Tessaoua. — La plupart des pays où les villages sont rapprochés, sont des régions de collines ou de plateaux bien marqués ; le petit sultanat de Tessaoua fait exception à cette règle ; il correspond au point où une vallée importante, affluent du Goulbi n’Sokoto, reçoit plusieurs rivières. Toutes ces vallées (fig. 32, p. 91), encaissées de quelques mètres, sont creusées dans des grès ; à Kongoumé, les falaises, orientées est-ouest, dans la direction des vents dominants, sont à peine ensablées ; auprès de Tessaoua, le Goulbi, large de plusieurs kilomètres, coulerait, s’il y avait de l’eau, du sud au nord, de sorte que les falaises gréseuses ont à peu près complètement disparu sous un amoncellement de sable ; l’ensemble de la région forme à peine des collines surbaissées et d’accès facile ; ce sont de mauvaises conditions de défense, mais le pays est fertile : à la culture du mil, du coton et de l’indigo s’ajoutent les cultures maraîchères (oignon, manioc, arachide, etc.). Le tabac vient également fort bien ; sa préparation est très soignée et le tabac de Tessaoua, célèbre au loin, est un des meilleurs que l’on puisse fumer au Soudan.
Cette richesse du sol, qui tient uniquement à l’abondance de l’eau, a permis à la population de se réunir dans de gros villages (Maijirgui, 1000 h. — Kanambakachy, 1500 h., etc.), tous protégés par de fortes palissades. Ces villages sont rapprochés les uns des autres et les zones débroussaillées qui les entourent, d’un diamètre de 5 à 6 kilomètres, se rejoignent : on ne voit partout que des cultures autour de Tessaoua. Habituellement vers le 14° de latitude nord, les villages sont beaucoup plus éloignés les uns des autres et leurs champs sont séparés par d’épais massifs de savane ou de brousse à mimosées.
Grâce à sa densité, la population du Tessaoua a pu résister aux Peuhls qui font paître leurs troupeaux de bœufs vers le sud et aux Touaregs qui élèvent leurs chameaux vers le nord [Barth, Reisen, II, p. 13 et 10]. Le sultanat de Tessaoua a une soixantaine de kilomètres du nord au sud, une vingtaine de l’est à l’ouest ; sa population serait d’environ 70000 habitants.
Depuis notre occupation, la sécurité est devenue plus grande ; à Tessaoua et dans les gros villages, beaucoup de cases demeurent inoccupées, les cultivateurs préférant habiter de petits hameaux au milieu de leurs champs ; cet heureux symptôme de calme et de prospérité est d’ailleurs assez général au Soudan.
Le Tessaoua est séparé de l’Adr’ar’ de Tahoua par le désert du Gober ou des Mousgou[88]. Quelques villages seuls, Guidam Moussa (500 hab.), Kornaka (400 hab.), jalonnent la route d’étapes ; au nord il n’y a que des nomades et vers le sud, les premiers villages de la Nigeria sont à plus de 50 kilomètres. Malgré cet isolement on a pu créer à Amonkay Ouroua, à 23 kilomètres de Kornaka, un petit village : 4 ou 5 familles de noirs ont osé s’y installer, tentées par un sol assez fertile et un puits peu profond (8 m.). Vers l’ouest, les premiers villages de la région de Tahoua sont séparés d’Amonkay par une soixantaine de kilomètres où nomadisent des Peuhls.
Je crois qu’il est difficile de trouver un meilleur exemple de la confiance que les officiers du troisième territoire ont su imposer à leurs administrés.
Demagherim. — Les crêtes siluriennes, flanquées de mamelons granitiques, qui constituent les massifs d’Alberkaram et de Zinder, forment une région naturelle, le Demagherim, où la population sédentaire, de langue haoussa, est assez dense[89].
Les crêtes siluriennes sont constituées par des quartzites perméables à affleurements nord-sud entre lesquels, formant le fond de cuvettes ensablées, se trouvent des micaschistes et des roches éruptives. L’eau se conserve bien dans ces dépressions ; les mares temporaires sont fréquentes et les puits alimentés par des pluies régulières sont peu profonds : à la fin de la saison sèche, on trouve l’eau à une douzaine de mètres au plus.
Dans la plupart des dépressions, il y a des mares d’hivernage où la végétation arborescente devient fort belle (Daganou-Mazammi) ; certains arbres, en particulier les gao (Tamarindus) y atteignent une vingtaine de mètres.
Ce massif d’Alberkaram est d’un accès particulièrement difficile ; les cols sont rares dans les crêtes de quartzites ; aussi la population, les Kardas, a pu vivre assez isolée et est restée en majeure partie fétichiste.
Les districts granitiques qui bordent à l’est et à l’ouest ce massif silurien sont d’un accès plus facile : les hauteurs sont des mamelons isolés ; toutes les parties basses sont envahies par des dunes mortes qui, recouvrant des terrains imperméables, conservent d’abondantes réserves d’eau.
A Merria, l’ancienne capitale, il y a même une source, la seule du pays, qui donne naissance à un ruisseau permanent. Ce ruisseau qui coule pendant 5 ou 600 mètres est employé à l’irrigation. La culture maraîchère (légumes, citrons), très développée à Merria, alimente Zinder. Le marché hebdomadaire qui s’y tient a l’importance des marchés d’un chef-lieu de canton de France.
La structure mamelonnée des régions granitiques se prête admirablement à l’établissement de mares ; quelques-unes sont de véritables lacs. L’un des plus beaux est à Gidi-Mouni ; il a plusieurs kilomètres de long et est bordé de dômes granitiques.
Barth [Reisen, IV, p. 73] en donne une bonne représentation sous un nom inexact (Bada-Muni). Sur les bords du lac et dans les canaux qui en dérivent, la végétation est fort belle, et la culture très développée ; il y a quelques dattiers et les baobabs, plus rares au nord, sont abondants.
Dans tout le Demagherim, les villages sont nombreux et rapprochés ; beaucoup sont importants. Cependant, seule la capitale actuelle, Zinder, mérite le nom de ville. Zinder est le nom arabe, à peine connu des indigènes qui désignent l’enceinte fortifiée où résidait le sultan[90] sous son nom haoussa de Damangara ; à 1500 mètres au nord, le faubourg où résident les marchands et où s’arrêtent les caravaniers est Zengou.
Zinder est une ville récente qui a remplacé Merria comme capitale vers 1820 ; elle a été fondée et fortifiée, au commencement du XIXe siècle, par un chef de bande, d’origine kardas, qui en a fait surtout une place forte, une citadelle d’où il pouvait facilement aller piller ses voisins. Les sultans de Zinder ont reçu longtemps l’investiture du Bornou ; Ahmadou I (1893-1899) est le premier qui se soit déclaré indépendant.
Cette origine artificielle explique que Zinder se soit peu développée : l’emplacement a été choisi uniquement au point de vue du brigandage ; sa population, 10000 habitants, est la même en 1902 (Gadel) qu’en 1852 (Barth).
L’industrie y est à peu près nulle, le commerce médiocre ; les chances d’avenir paraissent assez faibles. Kano, beaucoup mieux située, est une concurrente redoutable, à moins de 100 kilomètres. Il n’y a pas place pour deux villes importantes dans la même région.
Damergou. — Le Damergou forme au milieu du Tegama une région bien délimitée ; ses dimensions n’excèdent pas 100 kilomètres de l’est à l’ouest et une trentaine du nord au sud. Cette région doit son existence aux argiles turoniennes qui forment à sa surface une série de collines ; malgré leur peu de hauteur, une trentaine de mètres, ces mamelons suffisent à accroître légèrement les chances de pluie ; les argiles, entraînées par le ruissellement, viennent colmater les fonds où abondent les mares d’hivernage. Peu de ces mares sont permanentes, mais le sol reste assez longtemps humide pour que la culture puisse donner de bons résultats ; le petit mil vient fort bien et donne lieu à une exportation importante vers Agadez et l’Aïr, plus de 10000 charges par an. Le coton y pousse bien et la culture maraîchère est assez développée.
Jusqu’à ces dernières années, malgré la protection des Ikazkazan, les sédentaires du Damergou, qui est un pays ouvert, étaient pillés régulièrement au cours des luttes entre les Touaregs de l’Aïr[91] ; aussi les habitants cherchaient-ils à se grouper dans un petit nombre de gros villages vaguement fortifiés. Depuis l’occupation française, la sécurité plus grande leur a permis de se disséminer davantage et de créer de petits hameaux au voisinage des terrains favorables à la culture.
Le commerce est important ; les grandes caravanes transsahariennes s’arrêtent dans le Damergou et plusieurs marchands de Tripolitaine y ont, à demeure, des représentants ; en plus de ce mouvement de transit, les gros villages (Djadjidouna, Sabankafi, Danmeli, etc.) ont, chaque semaine, leur marché où l’on vend surtout des céréales, du bétail, des nattes, des poteries et du savon, ces derniers articles fabriqués sur place.
Les puits sont malheureusement assez médiocres, et la profondeur de la nappe aquifère empêche de les multiplier ; mais les habitants savent se contenter de peu : à Achaouadden par exemple, il y a, près du village, une petite mare qui contient de l’eau pendant deux mois ; le reste de l’année, il faut aller à des puits dont le plus proche est à 7 kilomètres. Le village est cependant assez prospère.
Mounio. — Le Mounio est formé d’une série de massifs granitiques qui, à une époque récente (Tertiaire ?) ont été injectés dans les grès du Tegama. Le relief est médiocre ; les principaux sommets ne semblent pas dépasser 600 mètres et le chiffre qu’indique Barth pour le mont Guediyo, 950 m., à l’extrémité nord-ouest du Mounio, est probablement beaucoup trop fort ; les dépressions sont au voisinage de 400 mètres.