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Missions au Sahara, tome 2 : $b Sahara soudanais

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Fig. 42. — Mamelons de microgranites alcalins du Mounio, partiellement ensablés.

Du poste de Gouré. — Horizon sud.

Le pays est assez pittoresque ; les mamelons granitiques sont enfouis jusqu’à mi-hauteur dans du sable qui, sûrement, a été amené par le vent ; j’ai pu vérifier à plusieurs reprises que c’est bien du sable siliceux assez pur et non un amas de minéraux divers, provenant de la décomposition sur place des granites. Les fonds sont occupés le plus souvent par des mares habituellement éphémères, mais qui suffisent à faire croître de grands arbres parmi lesquels dominent les acacias et les doums, accompagnés parfois de dattiers. Sur les pentes sableuses, la végétation est assez dense et les sommets rocheux eux-mêmes sont couverts presque partout d’euphorbes et d’aderas ; dans les parties dénudées, le granite est rose ou gris bleu et l’ensemble fait un paysage en somme agréable (fig. 61, p. 151).

Le Mounio a un aspect jeune ; il est à peine entamé par l’érosion ; vers la périphérie, on peut suivre les lits de quelques rivières ; aucune n’a remonté sa source au cœur du pays ; les différentes cuvettes sont sans lien entre elles et c’est là une circonstance fâcheuse ; chaque cuvette ne peut conserver que la pluie qui est tombée sur le petit bassin dont elle occupe le centre ; nulle part, l’eau ne peut s’accumuler en quantité assez considérable pour qu’il y ait des puits tout à fait permanents. Chaque village est à la merci des averses qui, chaque année, tombent dans son voisinage ; les puits sont peu profonds (5-10 m.), et la nature imperméable du sous-sol granitique ne permet pas de croire qu’en les creusant davantage ils auraient un débit moins inconstant.

Aussi les villages sont-ils d’importance très variable ; la population est obligée à de fréquents déplacements. Vers 1850, Barth a évalué la population de Gouré à 9000 habitants ; les cases ruinées sont assez nombreuses pour confirmer ce chiffre. Vers 1900, Gouré était presque complètement abandonné ; en 1906, c’était un village de 600 habitants.

Malgré ces conditions défavorables, le Mounio est toujours resté assez peuplé ; son relief est trop accentué pour qu’il ne soit pas facile à défendre ; il est traversé par la grande route, assez fréquentée, qui, du Tchad et du Bornou, va au Niger, en sorte que le commerce y a une certaine importance.

Fig. 43. — Mamelons de microgranites alcalins du Mounio, partiellement ensablés.

Du poste de Gouré. — Horizon ouest.

Koutous. — Le Koutous est essentiellement un plateau gréseux dont les dimensions n’excèdent pas une cinquantaine de kilomètres ; son altitude s’abaisse progressivement de l’ouest vers l’est. Auprès de Guesket, la cote du plateau est voisine de 650 ; elle n’est plus que de 500 mètres à Guirbo ; plus à l’est, le Koutous disparaît sous l’erg. Quelques vallées pour la plupart ensablées, presque des cañons, entaillent profondément le plateau et en font une chebka ; vers l’ouest leur sol se raccorde avec celui de la haute plaine voisine et contiguë du Tegama. Les flancs de ces vallées sont toujours envahis par le sable qui, vers l’ouest, à Guesket, masque à peine le pied de la falaise ; à mesure que l’on s’avance vers l’est, on voit le sable arriver à mi-hauteur, comme à Kellé, et enfin au sommet du plateau comme à Guirbo ; la distance verticale entre le sommet de la falaise et l’orifice des puits met bien ce fait en évidence : cette distance est de 120 mètres à Guesket, de 60 à Laraba et de 20 seulement à Guirbo (Planche de coupes hors texte, coupe VI).

Les puits, creusés dans les grès du Tegama, sont très profonds surtout vers l’ouest. Sur une carte manuscrite que j’ai pu consulter à Gouré, le lieutenant Paquette donne les chiffres suivants :

Bilakora 70 mètres Laraba 58 mètres.
Boultoum 20 Magadji 46
Dallacori 54 Malammi 80
Guesket 65 Marthium 40
Guirbo 28 Mondoa 18
Kaokilloum 24 Tiokodda 60
Kellé 18

J’ai pu vérifier l’exactitude de quelques-uns de ces nombres[92].

Ces puits ont un diamètre de deux à trois mètres ; tous les matériaux de déblais sont accumulés autour de l’orifice qui se trouve ainsi au milieu d’un monticule haut de quelques mètres ; l’eau en est protégée contre les impuretés ; un coffrage de bois, formé de pieux enfoncés radialement, protège les parties ébouleuses du puits. Pour tirer l’eau, on se sert d’un seau de cuir contenant une quarantaine de litres au moins ; la corde de traction tirée par un bœuf est le plus souvent en cuir et passe sur un tronc d’arbre à peine dégrossi que deux fourches soutiennent à un mètre du sol et qui tient lieu de poulie ; le seau, sorti du puits, est descendu à bras d’homme au pied du monticule de déblais et l’eau est versée dans des auges de bois. L’outre à manche qui se vide toute seule et les canalisations semblent inconnues dans le Koutous.

Fig. 44. — Les plateaux du Koutous. Du village de Kellé.

Le fond de la vallée, couvert d’une haute brousse (dasi), est indiqué en hachures fines.

La principale occupation des habitants est l’extraction de l’eau nécessaire à leurs nombreux troupeaux ; jour et nuit, sans aucun arrêt, on travaille aux puits pour abreuver les zébus, les chèvres et les moutons qui sont nombreux et en très bel état.

Les pâturages du Koutous sont permanents et toujours bons ; pendant la saison sèche les troupeaux de chameaux y affluent en grand nombre ; il en vient de loin, même de la région de Zinder.

La culture du mil réussit assez bien, sans irrigation, de sorte que, malgré la profondeur de ses puits, le Koutous est un pays moyennement riche ; mais il a un mauvais voisinage ; au nord et à l’est, les Tebbous, à l’ouest, les Touaregs le menacent constamment. Aussi les villages sont-ils presque tous éloignés des puits et établis au voisinage immédiat du plateau qui, en cas de danger, fournit une bonne position défensive : les pierres qui le recouvrent donnent en abondance des munitions qui ont, à maintes reprises, permis aux habitants du Koutous de repousser de puissants ennemis et de rester à peu près indépendants. Pour plus de sécurité, les magasins à mil et à niébé sont établis dans les recoins des falaises, où des réserves d’eau sont installées en cas de nouvelles alarmantes.

Fig. 45. — Grès du Koutous.

Du puits de Laraba. Le village dont la place est indiquée est Guéréré. La falaise a une vingtaine de mètres.

Dans le Koutous et le Mounio réunis, il y aurait environ 20000 habitants (capitaine Chambert), qui font partie du groupe bornouan et parlent des dialectes béri-béri.

Alakhos. — L’Alakhos n’est que la partie occidentale du Koutous ; l’érosion y est plus avancée et au lieu qu’il soit un plateau entaillé de vallées, il est constitué par une plaine parsemée de quelques étroits plateaux, derniers témoins des grès du Koutous. Les villages assez nombreux de ce district sont tous adossés à l’un de ces témoins, le plus souvent à mi-côte, au sommet de la partie ensablée (fig. 60, p. 150) ; ils sont donc assez souvent éloignés des puits qui sont habituellement profonds, comme dans toute la zone infracrétacée. Les habitants, une population noire, de langue béri-béri[93], sont apparentés à ceux du Koutous. Mais les villages de l’Alakhos, isolés les uns des autres, n’ont pas pu, comme leurs voisins de l’est, résister à l’invasion des nomades ; ils sont sous la domination des Touaregs qui font paître leurs troupeaux dans la plaine entre les gours. Cette conquête, par une tribu des Ikaskazan, daterait de la fin du XVIIIe siècle.

Le Manga. — Contrastant avec ces différents districts qui presque tous vivent essentiellement de culture, entre le Mounio et le Tchad, au nord de la Komadougou-Yobé, s’étend, au milieu de la brousse à mimosées, une région, le Manga, essentiellement industrielle ou plutôt minière. Le Manga est dans l’ensemble une plaine, caractérisée par des dépressions, des cuvettes à contour elliptique, à parois abruptes taillées comme à l’emporte-pièce. Au nord, le long de la ligne Gouré, Mirrh, Woudi, les pluies sont rares ; elles ne suffisent pas pour ramener, de la profondeur, le sel à la surface du sol. Plus au sud, elles deviennent plus abondantes ; quelques dépressions sont occupées par des mares permanentes, d’autres, plus nombreuses, par des mares temporaires dont la dessiccation laisse, comme résidu, une croûte saline. Quelques autres ne s’assèchent qu’à moitié et l’eau y arrive à saturation ; il se forme à leur surface une couche de sel, scintillant au beau soleil du Soudan et qui donne l’illusion d’un étang glacé sous un ciel de feu.

Bien que le pays ne présente que de mauvaises dispositions défensives, que l’eau douce y soit rare et la culture difficile, il s’est établi dans le Manga un certain nombre de gros villages qui ont un caractère industriel marqué, comme Garankawa ou Gourselik ; les exploitations sont loin d’occuper tous les bas-fonds où elles seraient possibles ; il semble toutefois que leur nombre tend à s’accroître ; en 1905 un nouveau village, Garé, venait de s’établir près d’une mare jusqu’alors dédaignée.

Une richesse minérale a permis à des sédentaires de vivre dans un pays qui convient surtout à l’élevage et où les Peulhs ont de nombreux troupeaux.

Kaouar. — A une grande distance vers le nord, se trouvent les oasis du Kaouar ; les conditions géologiques qui ont permis leur création sont encore mal connues. On sait que les terrains crétacés arrivent au voisinage ; on sait aussi que les roches anciennes s’y rencontrent. Le sergent Lacombe a rapporté des granites du mont Fosso, et le Dévonien se trouve probablement à peu de distance à l’est de Bilma et de Fachi. Il est donc vraisemblable qu’autour de l’oasis les terrains cristallins (Archéen et Silurien), imperméables, sont recouverts par un manteau peu épais de grès crétacé et que l’eau, provenant du Tibesti où, grâce à l’altitude, il pleut tous les ans, comme dans l’Aïr, se trouve à une profondeur médiocre ; au centre du bassin, dans sa partie la plus déprimée, l’eau est à fleur de sol et les oasis du Kaouar ont pu s’y établir. Ces oasis s’étendent, du nord au sud, sur environ 80 kilomètres ; la largeur de la bande fertile est peu considérable ; Nachtigal lui attribuait 8 à 10 kilomètres ; d’après Gadel elle ne serait que de 4 à 5.

Elle contient une dizaine de villages habités par 2500 Tebbous et Béribéris (dont 500 captifs) ; le cheptel est négligeable ; il se réduit à 540 chameaux, 43 chevaux, 252 ânes et 980 chèvres et moutons. Il y a environ 100000 palmiers, à l’ombre desquels on cultive des céréales, surtout du blé.

Les habitants ont heureusement pour vivre d’autres ressources que celle de la culture ; la plus importante est le commerce du sel, qu’ils peuvent échanger contre du mil. Ils exportent annuellement peut-être 40000 charges qui, prises sur place, ont une bien faible valeur ; d’ailleurs les Kel Aïr, qui, ces dernières années, étaient les maîtres du pays, prétendaient, en cette qualité, ne rien payer en enlevant le sel.

En dehors du commerce du sel, Bilma a été un point de transit important ; l’oasis est une halte forcée sur la route de Tripolitaine au Tchad et aux états Bornouans. Cette route était suivie, il y a peu d’années encore, par de nombreuses caravanes. Les attaques trop fréquentes des Tebbous et des Ouled Sliman l’on fait abandonner. Ce délaissement de la plupart des routes caravanières par suite de l’insécurité est un fait constant ; il semble facile d’en indiquer la cause. Au beau temps du commerce des esclaves, les caravanes étaient nombreuses ; les droits qu’elles payaient pour s’assurer la protection des nomades, les chameaux qu’elles leur louaient, procuraient à tous des ressources suffisantes pour vivre ; ils savaient en général s’en contenter.

Depuis que la traite des noirs est devenue plus difficile, ou même impossible, ces ressources ont diminué ; la misère s’est accentuée ; le pourcentage que les nomades touchaient ne les a plus contentés et ils ont pris le tout. La même cause a produit dans tout le Sahara les mêmes effets : Flye Sainte-Marie[94] a mis ce phénomène en évidence pour les routes de l’Iguidi.

A Taoudenni même, la situation est devenue particulièrement grave. En 1905 et en 1906, les r’ezzou marocains qui jusqu’alors s’étaient contentés de piller les caravanes venues du sud et de leur enlever des chameaux, trouvant que leurs prises devenaient insuffisantes, s’attaquèrent aux commerçants du ksar. L’un d’eux qui avait vécu en bonne amitié avec les habitants, acceptant chaque jour la diffa, enleva tous les captifs qui travaillaient aux salines et ne les rendit à leurs propriétaires que contre une forte rançon. Ce fait, sans précédents dans l’histoire de la saline, contraire à toutes les bonnes traditions du désert, scandalisa fort les commerçants de Taoudenni[95].

L’insécurité au Sahara a été fille de la civilisation ; tout semble indiquer qu’elle ne sera que passagère.

A Bilma, la raréfaction des caravanes a obligé les habitants à travailler un peu plus et déjà, au moment du passage d’Ayasse (1905), beaucoup d’entre eux se rendaient compte de la nécessité qu’il y avait pour eux à développer les cultures.

Il semble que, depuis fort longtemps, la région de Bilma a formé un centre ethnique distinct : parmi les outils néolithiques que Ayasse a rapportés, à côté des types que l’on trouve à l’ouest et au sud de Bilma, se trouvent quelques pièces très spéciales ; l’une d’elles est très curieuse ; elle a la forme d’une hache étroite et épaisse, mais au lieu d’un tranchant, elle présente à son extrémité la plus large une pointe formée par une sorte de pyramide triangulaire ; l’une des faces de cette pyramide, parallèle au plan sagittal de la pièce, est large, les deux autres beaucoup plus étroites. Jusqu’à présent, on ne connaît aucun spécimen analogue à cette espèce de gouge.

On peut donc penser que, à l’époque néolithique, « il s’était constitué en pays tebbou un centre industriel qui, tout en ayant fait des emprunts aux contrées septentrionales et méridionales, n’en avait pas moins conservé des caractères propres. Le fait mérite d’être vérifié, car il permettrait de supposer qu’il a vécu autrefois en ce point un îlot ethnique particulier qui avait cependant des relations avec les tribus du nord et avec celles du sud[96] ».

Fachi. — L’oasis de Fachi (oasis Agram) située à 150 kilomètres à l’ouest de Bilma, est beaucoup moins importante ; elle couvre 14 kilomètres du nord au sud avec une largeur de 3 ou 4 kilomètres.

Sur toute sa longueur, elle est limitée à l’est par une chaîne rocheuse dont le point le plus élevé est le mont Fosso qui domine l’oasis d’une centaine de mètres. Entre cette chaîne granitique (?), surmontée de plateaux gréseux revêtus de la patine du désert, et l’Aïr, s’étend probablement une plaine formée par les grès du Tegama où vont se perdre les eaux de quelques koris d’Aïr (K. Ténéré, K. de Tafidet) ; il est vraisemblable que ce sont ces koris qui alimentent Fachi.

L’oasis a été vue pour la première fois par des Européens en octobre 1907 (commandant Mouret, capitaine Martin, sergent Lacombe).

Les îles du Tchad. — Les peuplades qui habitent les alentours du Tchad sont assez nombreuses ; au nord les Tebbous, à l’est les Ouled Sliman, au sud les Peuhls représentent les principaux éléments nomades. Les populations du lac sont plus intéressantes ; elles ont trouvé dans les îles du Tchad un refuge presque assuré contre les invasions ; même lorsque les eaux sont basses, il reste dans les bahrs trop de parties marécageuses pour que l’on puisse s’y aventurer sans risques.

Il semble que deux peuplades différentes au moins occupent ces îles : les archipels du sud sont occupés par les Kouris ou Kanembous, qui sont venus probablement du Kanem et se rattachent peut-être aux Tebbous. Tous sont musulmans. Ils ont de nombreux troupeaux, mais se déplacent peu ; chez eux l’agriculture est assez développée et ils sont en réalité sédentaires. D’après le colonel Destenave[97] ils seraient environ 25000. La population ne semble pas s’accroître rapidement et l’on a attribué ce fait à l’abus des mariages consanguins. Chevalier [L’Afrique centrale française, p. 406-410] donne quelques statistiques détaillées ; dans trois villages il y a en tout 764 habitants dont 292 enfants ; dans deux d’entre eux, le tiers des unions est stérile ; peu de familles ont plus de deux enfants.

Les îles du nord du Tchad sont habitées par les Boudoumas (25000) dont l’origine est obscure ; Destenave, d’après les traditions qu’il a recueillies, pense qu’ils avaient quitté le Sokoto il y a trois siècles ; pour Freydenberg[98], qui donne une longue suite de chefs, ils seraient au contraire venus de l’est, du Chittati. Il est probable qu’ils doivent rentrer dans les groupes peuhls. Ce sont presque exclusivement des éleveurs, restés en général fétichistes et qui ont conservé quelques vieilles coutumes : les mariages entre gens de même clan sont interdits ; le lévirat, c’est-à-dire le mariage obligatoire de la veuve avec le frère aîné du défunt, se retrouve chez les Boudoumas.

Complètement à l’abri dans leurs îles, les habitants du Tchad ont longtemps profité de leur position presque inexpugnable pour razzier les caravanes qui passaient sur les bords du lac. Leurs pirogues en jonc, qui nous semblent cependant bien rudimentaires, leur permettaient d’aborder la rive bornouanne, ce qui nécessite deux jours de navigation.

[54]En Égypte et dans le désert Libyque, on connaît des grès d’âge albien (Infracrétacé) riches en bois silicifiés (Grès de Nubie).

[55]Le Gober est une région actuellement presque inhabitée qui s’étend à l’est de l’Adr’ar’ de Tahoua, au sud du 14° Lat. Barth, qui l’a traversé, donne quelques détails sur son histoire.

[56]Freydenberg, Le Tchad et le bassin de Chari. Thèse, 1908.

[57]Il n’est certainement pas question de couches calcaires, au moins superficielles (Chevalier).

[58]Capitaine Lelean, Geological Magazine, I, 1904, p. 290.

[59]Le puits de Tabrichat (30 m.), voisin de Tabankort, contenait 8 mètres d’eau en mars 1904 (Combemorel).

[60]Ormaïort est à une demi-journée au nord de Bémba. Combemorel, Rens. col. Bull. Comité Afr. fr., janvier 1909.

[61]Rens. col. Bull. Comité de l’Afr. fr., 1907.

[62]Cortier écrit Lernachiche.

[63]Cortier, La Géographie, 1906. — Cauvin. Bull. Soc. Géogr. commerciale, 1908.

[64]Amer. Journal of Sc., XIX, 1905, p. 171.

[65]Les premières ont été rapportées par le commandant Gadel. — De Lapparent, C. R. Ac. Sc., CXXXV, 1903, p. 1298. Le capitaine Cauvin en a donné quelques-unes au Muséum.

[66]M. Choffat (in litteris) n’ose pas affirmer que les échantillons que je lui ai soumis rentrent bien dans cette espèce. Il faudrait, pour être certain, des matériaux abondants.

[67]Nouvelles données sur la zone littorale d’Angola. Lisboa, 1905.

[68]De Lapparent, C. R. Ac. Sc., 1901, CXXXII, 388.

[69]La Géographie, XVII, 15 février 1908.

[70]Beiträge zur Geologie von Kamerun. Stuttgard, 1904, p. 85-241.

[71]De Lapparent, C. R. Ac. Sc., CXXXVI, 1903, p. 1118.

[72]Ce poste est habituellement désigné sous le nom de Guidambado, village situé à 3 kilomètres à l’est de Bouza.

[73]De Lapparent, C. R. Ac. Sc., 26 déc. 1904.

[74]Au sud de Tahoua, à Mogguer, une dépression importante est tapissée de concrétions ferrugineuses qui ont peut-être une origine lacustre.

[75]Cette observation de Hubert (Thèse, p. 10 et 376) est exacte, mais le fait a si peu d’importance que j’avais jugé inutile de le signaler. Le même auteur nie l’âge éocène des grès du Niger, sans fournir d’arguments sérieux.

[76]C’est un débris végétal informe. — Stanislas Meunier, C. R. Congrès des Sociétés Savantes, 1904, p. 156.

[77]Choffat, Nouvelles données sur la zone littorale d’Angola, Lisboa, 1905.

[78]Bullen Newton, Ann. and Magazine of Natural History, [7], XV, 1905, p. 83-91.

[79]Bather, Geological Magazine, [5], 1, 1904, p. 292. — Lambert, Bull. Soc. Géol. de France, [4], 6, 1906, p. 693 ; contrairement à la tendance générale, Lambert place les couches de Tahoua dans l’Éocène inférieur.

[80]Cottreau, Bull. Soc. Géol. de France, Séance du 21 déc. 1908.

[81]W. Wolff, in Bornhardt, Zur Oberflächengestaltung und Geologie Deutsch-Ostafrikas. Berlin, 1900, p. 572. Wolff fait une nouvelle espèce (Op. africana) qui ne me semble pas distincte de O. canalifera.

[82]Bull. Soc. Géol. de France, [4], VII, 1907, p. 334.

[83]Chautard, Bull. Soc. Géol. de France, [4], VI, 1906. — État actuel de nos connaissances sur les formations sédimentaires de l’Afrique occidentale Française, Dakar, 1906 (extrait du Journal officiel de l’A. O. F., 20 janvier). Bibliographie étendue.

[84]Beiträge zur Geologie von Kamerun, p. 245-285, et communication verbale.

[85]On a fort peu de renseignements sur les Touaregs de la rive droite du Niger, encore à peine soumis.

[86]Ces tombeaux se trouvent aussi au nord de Tahoua, dans la région des mares et dans l’Azaouak (Pasquier).

[87]Il faut probablement rapprocher ce mot de Garamante.

[88]Les Mousgou ou Kel Azoua sont une tribu des Oulimminden.

[89]Gadel, Notice sur la résidence de Zinder, Revue des troupes coloniales, 1903, 2e sem., p. 614.

[90]Le dernier sultan, à la suite d’un complot heureusement étouffé, a été déposé et banni en 1906.

[91]Jusqu’en 1906, d’importantes caravanes Kel Oui, de 5 à 6000 chameaux, ont été enlevées à quelques kilomètres du Damergou. Voir, pour les détails, Jean et Gadel.

[92]Ces puits sont la demeure de nombreuses chauves-souris ; le 18 avril 1906, à Marthium, un peu avant le coucher du soleil, elles ont mis près de dix minutes à sortir du puits, en vol serré.

[93]Le village de Moa, au sud de l’Alakhos, est encore de langue béribéri ; à l’ouest, commence le domaine du haoussa.

[94]Flye Sainte Marie, Le commerce et l’agriculture au Touat. Bull. Soc. Géogr. d’Oran, XXIV, 1904.

[95]Nieger, La Géographie, XVI, 1907, p. 375.

[96]Verneau, La Géographie, XVII, 1908, p. 116.

[97]Destenave, Revue Générale des Sciences, XIV, 1903, p. 717.

[98]Freydenberg, Le Tchad et le bassin de Chari, 1908, p. 155.


CHAPITRE III

MÉTÉOROLOGIE

Le Climat. — La Brume.

I. — LE CLIMAT

Un chapitre sur la météorologie du Sahara central ne peut guère être qu’un constat de carence.

On possède seulement plusieurs séries d’observations, de trop courte durée en général, et de valeur souvent médiocre, pour quelques stations du pourtour du désert. Malgré le peu de sécurité qu’offrent la plupart de ces observations, elles mettent bien en évidence l’allure essentiellement différente des saisons, au nord et au sud du Sahara.

Fig. 46. — Moyennes des températures à Ghardaïa.

Les courbes indiquent les moyennes des maxima et des minima.

Dans la région algérienne ou tunisienne, les courbes thermiques présentent un seul maximum en juillet, parfois en août ; les différences entre les moyennes des maxima et celles des minima sont considérables dans l’intérieur ; les chiffres relatifs à Ghardaïa sont suffisamment caractéristiques à cet égard ; la figure se rapporte à la moyenne de cinq années 1887-1892 ; les températures extrêmes observées pendant cette période ont été + 50° en juillet 1892 et − 1° en décembre 1889 et janvier 1891. Ghardaïa (32°,35′ Lat. N., 1°,20′ Lat. E.) est à 500 mètres d’altitude environ, au fond d’une large vallée, entourée de plateaux calcaires.

Fig. 47. — Tozeur.

Les courbes indiquent les moyennes des maxima et des minima.

Fig. 48. — Bizerte.

Lorsque l’on se rapproche du littoral, l’amplitude des variations diminue, mais conserve à peu près les mêmes caractères comme en témoignent les courbes de Tozeur (fig. 47) et de Bizerte (fig. 48) empruntées à Ginestous[99]. Les températures extrêmes observées à Bizerte ont été 0° et + 44°,8 ; à Tozeur − 4° et + 49°. A Paris, les variations journalières sont beaucoup moins amples et beaucoup moins fixes : si on les calcule, comme dans les exemples précédents, sur la moyenne des maxima et des minima, on trouve 5°,4 en janvier et 11°,9 en juillet. A Ghardaïa l’amplitude est toujours supérieure à 20° et approche parfois de 30°.

Fig. 49. — Kayes.

Fig. 50. — Niamey.

Au sud du Sahara, les courbes de température présentent une allure toute différente. A Kayes par exemple (fig. 49) (14°,25′ Lat. N., 13°,54 Long. W., Alt. 60m.), la moyenne de quatre années (1902-1905) indique deux maxima, le premier en avril-mai, le second en octobre ; l’amplitude des variations moyennes passe, en chiffres ronds, de 10° en août à près de 20° pendant l’hiver ; les chiffres extrêmes observés ont été de 10° en janvier 1905 ; 47° en mai 1904. Les courbes de Niamey (fig. 50) (1906) et de Tombouctou (fig. 51) (1905-1906) sont très analogues ; les quelques chiffres que l’on possède pour Zinder, Guidambado et le territoire du Tchad indiquent tous un minimum au mois d’août. Les maxima extrêmes observés, en mars et avril, sont compris entre 45° et 48° ; les minima de décembre et de janvier varient habituellement de 4° à 7°,5 ; Freydenberg a noté − 2° à Kouloa en 1906. La même courbe subsiste pour Porto-Novo (fig. 52), mais très adoucie par la proximité de la mer.

Fig. 51. — Tombouctou.

Le contraste très marqué que présentent les courbes thermiques des stations situées au nord et au sud du désert, s’explique facilement par les différences que présente le régime des pluies dans les deux régions (fig. 53).

Fig. 52. — Porto Novo.

Les courbes indiquent les moyennes des maxima et des minima.

Dans le bassin méditerranéen, il pleut surtout pendant l’hiver ; au Soudan, pendant l’été, d’où un abaissement de température marqué et une moindre amplitude des variations diurnes, l’air étant moins sec. Comme pour les températures, les chiffres relatifs à la pluie ne portent en général que sur un petit nombre d’années d’observations ; les installations sont parfois médiocres ; les observateurs changent souvent et sont plus ou moins attentifs ; il serait illusoire de vouloir chercher à serrer d’un peu près l’étude du climat du Soudan. La géographie botanique permettra cependant de définir quelques zones, caractérisées, au fond, par l’abondance relative de la pluie. Cependant les différentes courbes sont assez d’accord entre elles, assez conformes à ce que font prévoir les théories météorologiques, pour que l’on puisse admettre quelles représentent en gros l’allure du climat du Soudan.

Fig. 53. — Régime des pluies au nord et au sud du Sahara.

Les hauteurs de pluie sont données en millimètres.

Dès maintenant il est établi qu’il y a de grandes variations dans les quantités de pluie que reçoit annuellement chaque station ; à Kayes on a recueilli 525 mm. 9 en 1902 et 1072 mm. 9 en 1905. A Tombouctou, d’après Yacouba, la pluie aurait varié depuis une dizaine d’années entre 150 et 300 millimètres ; les années 1905 avec 230 mm. 6 et 1906 avec 259 mm. 5 peuvent passer pour bonnes[100].

Fig. 54. — Moyennes des températures d’In Salah.

Les courbes indiquent les moyennes des maxima et des minima.

Au Sahara, on a de bonnes séries pour In Salah (27°,17′ Lat. N., 0°,7′ Long. E., Alt. 280 m.) encore un peu courtes malheureusement. La figure 54 donne la moyenne des minima et celle des maxima pour les années 1903, 1904 et 1905 ; les extrêmes observés ont été − 1°,4, le 19 janvier 1904 ; et 50°,2, le 4 juillet de la même année. C’est bien le même type qu’à Ghardaïa. Chaque année on a noté quelques jours de pluie (9 en 1903), mais la pluie n’a jamais été mesurable.

Il semble que dans toutes les parties basses du Sahara, le régime des pluies est le même qu’à In Salah : sur tous les itinéraires on trouve mentionnés des puits qui cessent de contenir de l’eau deux ans, trois ans, sept ans, après le dernier orage. On parle même aux oasis de périodes de dix-huit ou vingt ans sans pluie. Les nomades, comme les sédentaires, ne tiennent compte dans ces affirmations que des pluies sérieuses ; celles qui ne mouillent pas le sol, qui ne sont pas mesurables, sont complètement négligées.

Il ne survient dans la majeure partie du Sahara que des orages accidentels, parfois très violents ; le printemps 1907 a été presque partout pluvieux ; le ksar de Noum en Nas, dans le Timmi (Touat) a été détruit par un torrent descendu du plateau voisin. Le 25 mars 1907[101], un orage de grêle a dévasté l’oasis de Brinken ; la direction suivie par l’orage était exactement sud-nord. Son action s’est fait sentir par bandes parallèles nettement délimitées ; chacune des bandes dévastées était large de 80 à 150 mètres, les bandes indemnes, où n’est pas tombé un seul grêlon, étaient plus étroites (15-60 m.).

Au cours de leur rezzou vers l’Ouest en 1906, les Taïtok, au voisinage des puits d’El Ksaïb, à quatre étapes au nord-ouest de Taoudenni, ont été sauvés de la soif par un orage qui leur a permis d’abreuver leurs chameaux et de remplir leurs outres.

Aux oasis ces orages accidentels sont considérés comme un malheur ; ils empêchent parfois la fécondation des dattiers et peuvent gravement compromettre la récolte ; ils ramènent, dans les parties basses, le sel de la profondeur à la surface du sol : après un orage, les jardins trop voisins d’une sebkha sont perdus pour plusieurs années ; il faut longtemps pour que l’eau des seguias puisse en laver la terre. Enfin dans les ksour les constructions en terre sèche, en « tin », avec leurs terrasses plates, supportent mal la pluie : chaque averse cause des ruines et nécessite des réparations. A Tombouctou, où malgré des pluies régulières on a conservé le type de construction des ksour, les maçons se chargent, à l’abonnement, de l’entretien des maisons. Chaque année, à Zinder, à Agadez, etc., il faut faire de grosses réparations au poste. Dans la zone vraiment pluvieuse, on ne trouve guère que des toits coniques ; les toits en terrasse disparaissent.

Sur les plateaux et les régions élevées, les pluies sont moins rares ; on n’a pas de renseignements sur les Eglab, mais les oueds qui en descendent sont humides et contiennent de nombreux points d’eau ; le Tadmaït arrose le Touat et le Tidikelt et contribue à la fertilité du Gourara et des oasis du Sud constantinois ; il faut donc qu’il y pleuve assez régulièrement. Bien que le Tadmaït soit assez mal connu, on sait qu’il y existe des daïa, qui contiennent parfois de l’eau et sont plus souvent couvertes de pâturages.

Les pluies ne sont pas très rares sur la Coudia et dans son voisinage immédiat ; elles peuvent survenir en toutes saisons ; d’ordinaire, comme au Soudan, elles arrivent pendant l’été, ou bien parfois, comme dans le bassin méditerranéen, pendant l’hiver.

En avril 1880 Flatters a noté 7 jours de pluie.

Dans leurs contre-rezzou à l’Ahaggar, Cottenest (printemps 1902) et Guilho-Lohan (hiver 1902)[102] ont reçu des averses. Du 1er août au 11 septembre 1905, j’ai noté onze fois de la pluie et il y avait eu des orages dès le mois de juin. Malheureusement il y a des années de sécheresse (1903-1904) ; le pays n’en souffre que peu si la mauvaise série ne dépasse pas trois ans, mais elle en dure souvent quatre ou cinq.

En 1906, au cours de sa tournée dans l’Ahaggar, Voinot a eu deux journées entières de pluie (27 et 29 janvier) ; il est tombé quelques gouttes d’eau le 6, 7, 19 et 21 avril. En décembre 1905 il avait plu entre In Salah et Amgad et il est tombé quelques averses en mai 1906 dans l’Ahnet. Enfin Cortier mentionne, dans les contreforts ouest de la Coudia, une petite pluie le 30 mars 1907 et de fortes averses le 31 mars et le 3 avril.

Ces orages sont en général assez brusques et très localisés. Le 4 août 1905, dans l’oued Tit, à 15 kilomètres à l’ouest d’Abalessa, la matinée avait été belle et sans vent. A midi et demi, très légère brise du sud-ouest ; à deux heures, tonnerre vers l’est ; le vent, toujours faible, s’établit entre nord et nord-ouest ; le ciel est à moitié couvert et le vent, franchement nord, est devenu grand frais ; à trois heures, toutes nos tentes sont arrachées et l’orage commence à tomber par très grosses gouttes, le vent passe au nord-est ; à cinq heures quarante-cinq, la pluie cesse et il y a une légère brise de l’ouest. La température, au cours de cet orage, a présenté quelques sauts brusques :

Thermomètre sec. Thermomètre mouillé.
12h,30m 43°,5 22°,5
 2 , 43°,5 25°
 2 ,50m 32°,5 «
 3 ,15 27°,5 23°
 5 ,45 23°,5 21°,5
 6 ,45 31°,5 23°,5

Le relèvement de température de six heures quarante-cinq, après le soleil couché, est remarquable. A Abalessa, il n’était tombé qu’une averse insignifiante, et cette localisation des tornades explique que de l’air plus chaud puisse être amené par le moindre coup de vent au point refroidi par l’orage.

Des observations plus suivies ont été faites à Tamanr’asset[103] ; elles portent sur une année.

Août 1905. Chaleur très modérée ; les températures moyennes pendant la seconde quinzaine ont été 20°,8 à six heures du matin ; 36°,2 à deux heures et demie ; 30°,5, à six heures du soir.

Cinq ou six forts coups de vent durant quelques heures. Deux ou trois fortes averses durant de une à quatre heures.

Septembre. Température moyenne. Très peu de vent. Un fort orage avec pluie pendant cinq ou six heures.

Octobre. Température moyenne. Très peu de vent, pas de pluie.

Novembre. Nuits fraîches, mais non froides ; journées tempérées. Très peu de vent, pas de pluie.

Décembre. Nuits fraîches, mais non froides, journées tempérées. Dans les premiers jours du mois deux ou trois pluies légères de trois à quatre heures chacune ; l’oued coule pendant deux jours à Tamanr’asset.

Janvier 1906. Assez froid la nuit, tempéré le jour. Très peu de vent, pas de pluie. Rosée. Ni glace ni gelée blanche.

Février. Froid la nuit, frais le jour. Très peu de vent ; deux fortes pluies d’environ douze heures chacune dans les premiers jours du mois. Rosée abondante, ni glace, ni gelée blanche. L’oued coule pendant quatre jours à Tamanr’asset.

Mars. Du 1er au 10. Froid la nuit, frais le jour. Très peu de vent. Pas de pluie.

A partir du 10. La température change brusquement et devient tempérée le jour ; les nuits, ni chaudes ni froides. Presque tous les jours grand vent venant du sud et amenant brume et chaleur. Pas de pluie.

Avril. Température moyenne. Presque tous les jours grand vent venant souvent du sud. Pas de pluie.

Mai. Du 1er au 20. Température modérée. De dix heures du matin au coucher du soleil, grand vent venant ordinairement de l’ouest ; le reste du temps pas de vent. Le 11, quelques gouttes de pluie ; le 12 quelques très légères averses.

A partir du 20, la température change brusquement, les journées deviennent chaudes, les nuits restent tempérées et fraîches. De dix heures du matin au coucher du soleil, vent modéré venant souvent du sud ; le reste du temps, pas de vent. Une très petite averse le 30.

Juin. La moyenne des températures est 14° à cinq heures, 36° à midi, 30° à six heures. De dix heures du matin au coucher du soleil vent modéré, venant souvent du sud ; le reste du temps, pas de vent.

Les 8, 25 et 26, quelques gouttes de pluie. De minuit au lever du soleil, l’air est souvent humide.

Juillet. Moyenne des températures : cinq heures 15° ; midi 37° ; six heures 31°. De dix heures du matin au coucher du soleil vent modéré venant souvent de l’est ; le reste du temps, presque pas de vent. Ciel souvent couvert le jour, ordinairement découvert la nuit. Le 1er et le 2, quelques gouttes de pluie.

Pour la pluie, l’année 1905-1906 a été exceptionnelle ; d’ordinaire, il pleut en été plutôt qu’en hiver.

D’après Duveyrier, la neige serait assez fréquente sur la Coudia et tiendrait parfois trois mois sur l’Ilamane. Au cours de la période août 1905-juillet 1906, l’absence de neige est expressément mentionnée sur l’Ilamane qui, de Tamanr’asset, est très en vue. L’indication de Duveyrier est probablement erronée et tient à une faute de traduction : le tamahek n’a qu’un seul mot (ar’eris) pour désigner l’eau solide sous toutes ses formes (glace, grêle, neige, gelée blanche).

Le sol de l’Ahaggar est d’ordinaire imperméable, de sorte que toute l’eau tombée se rassemble rapidement dans les vallées et s’écoule parfois à de grandes distances : les crues de l’oued Tamanr’asset dépassent parfois Timissao.

Ces crues sont extrêmement brusques : le 5 août 1905, un orage survint vers trois heures de l’après-midi à notre campement près de l’oued Tit (15 km. est d’Abalessa) ; vers cinq heures, l’oued commence à couler avec une vitesse d’environ 2 mètres par seconde ; il contient 0 m. 25 d’eau ; vers sept heures, il n’en contient plus que 0,12 et sa vitesse n’est guère que de 1 mètre ; vers neuf heures il est à sec.

Cet exemple est insignifiant ; mais parfois l’eau est assez profonde pour noyer un homme ; on trouve souvent accrochés aux branches, à deux ou trois mètres du sol, des débris qui n’ont pu être amenés que par les crues. A la suite de ces orages, les alluvions sont largement mouillées et peuvent conserver d’importantes réserves d’humidité, que la structure du pays rend assez facilement utilisables.

Plus au sud, les régions élevées comme l’Aïr ou l’Adr’ar’ des Ifor’as appartiennent, par leur climat, au Soudan et présentent une saison de pluies régulières.

A notre arrivée dans l’Adra’r’, à In Ouzel, le 23 juin 1905, il pleuvait depuis deux ou trois semaines ; l’état de la végétation herbeuse qui sortait du sol toute fraîche, confirmait les indications des indigènes ; jusqu’à la fin de notre séjour (28 juillet) il a été noté 10 jours de pluie.

En 1907[104], le 6 mai, un gros orage forme dans l’oued Tekakand de beaux aguelmans. Il est probable que cet orage isolé est exceptionnel et que la saison pluvieuse ne commence régulièrement qu’un peu plus tard. Voici, pour la première quinzaine de juin, les observations de Dinaux : le 30 mai, une heure de pluie violente à quatre heures du soir ; le 2 juin, trois heures de pluie torrentielle (entre trois heures et huit heures du soir) : l’oued Eferir est transformé en un marécage de deux kilomètres de large ; le 8 juin, une demi-heure de pluie violente (trois heures du soir) ; le 9 juin une heure d’averses intermittentes (quatre heures) ; le 12 juin, pluie torrentielle de trois à six heures du soir. L’Oued in Ouzel coula une partie de la nuit.

Le caractère particulier de ces crues a déjà été indiqué ; à cause de la largeur des vallées, elles ne sont jamais violentes ; la nappe d’eau n’a pas de profondeur et le courant n’est pas rapide, sauf peut-être dans quelques oueds de montagne.

Cette saison des pluies de juin, juillet, août paraît très régulière et chaque région de l’Adr’ar’ reçoit trois ou quatre grandes tornades chaque année, habituellement dans la soirée : c’est vers quatre ou cinq heures de l’après-midi que le ciel commence à se couvrir ; les nuages apparaissent souvent au sud-est.

Parfois cependant une seconde période pluvieuse se produit deux mois après la fin des orages réguliers. Les crues qui peuvent survenir ainsi à la fin d’octobre sont en général redoutées ; elles détruisent la végétation herbacée qui s’était établie dans les oueds et restreignent singulièrement les pâturages.

Les observations thermométriques sont encore peu nombreuses ; cependant, pendant la saison des pluies, les maxima sont relativement peu élevés ; pendant la première quinzaine de juin 1905, dans le tanezrouft d’In Zize, la température dépassait tous les jours 45° et approchait parfois de 50° ; dans la seconde quinzaine de juin et de juillet, dans l’Adr’ar’, le thermomètre a rarement indiqué plus de 40° ; dix-huit fois sur trente-quatre, c’est-à-dire dans la majorité des cas, le maximum est resté inférieur à ce chiffre ; le 9 juillet, il a été de 31° ; la plus haute température observée (44°) a été notée une seule fois. A cinq heures du matin les lectures sont en général voisines de 25°.

Il est probable que, si l’on pouvait la construire, la courbe aurait une allure voisine de celle de Tombouctou ; mais on ne sait rien sur les températures de l’hiver dans l’Adr’ar’ ; il est vraisemblable que dans les mois de décembre, janvier et février, le thermomètre descend parfois au voisinage de 5° ou 6°, mais ce n’est là qu’une impression.

Dans l’Adr’ar’, comme dans toute la zone sahélienne, l’air est en général sec ; même pendant la saison des pluies, l’écart entre les deux thermomètres, sec et humide, atteint facilement 15° dans l’après-midi ; le matin cependant l’humidité est parfois sensible ; l’écart entre les deux thermomètres est souvent faible, 4° ou 5° ; il tombe rarement à 2°.

Le climat de l’Aïr est très comparable à celui de l’Adr’ar’ ; il présente aussi une saison de pluies régulières, mais plus tardive ; le Teloua, qui passe à Agadez, coule habituellement, d’après les renseignements qu’a bien voulu me donner Lefebvre, six à sept fois par an ; les années sèches, il ne présente que deux ou trois crues ; en 1905, qui a été une année particulièrement pluvieuse, il a coulé 19 fois. Du 17 septembre 1905, date d’arrivée à l’oued Tidek, jusqu’au 5 novembre, départ d’Agadez, j’ai noté neuf fois de la pluie.

Foureau pendant son séjour dans l’Aïr (mars-juillet 1899) a noté trente-trois jours de pluie ; pour la plupart des jours, il s’agit seulement de quelques gouttes d’eau et la Mission Saharienne n’a reçu que quatre averses sérieuses.

Les températures paraissent les mêmes que dans l’Adr’ar’ ; du 17 septembre au 5 novembre 1906, j’ai noté deux fois 40°, le 27 septembre dans l’oued Kadamellet et le 26 octobre à Alar’sess ; une seule fois 43°, le 14 octobre, près d’Iférouane. Les températures de 38° ou 39° ont été fréquentes. En septembre, les minima ont toujours été supérieurs à 20° ; en octobre, ils sont descendus quelquefois à 19°. Le 6 novembre, j’ai observé 13° à quelques kilomètres à l’ouest d’Agadez. Dans l’Aïr comme partout, un temps couvert s’oppose au rayonnement : le 7 octobre à Iférouane, après une nuit couverte qui avait amené la pluie sur le Timgué, il y avait 36° à six heures du matin ; 39° à deux heures et 36° à six heures du soir.

L’état hygrométrique a été le même que dans l’Adr’ar’.

La région de Tombouctou, le Télemsi, le Tégama, le bassin du Tchad qui appartiennent eux aussi à la zone sahélienne, ne se distinguent guère, au point de vue climatérique, de l’Adr’ar’ ou de l’Aïr. Du 27 juillet ou 22 août 1905, de Tabankort à Tombouctou, Gautier a noté dix tornades dont deux d’une extrême violence ; à Bourem, d’après le lieutenant Barbeyrac, il tombe en moyenne 8 à 9 tornades par an ; il est très remarquable que ces tornades soient amenées par vent du nord-est ; l’humidité ne peut cependant provenir que de l’Atlantique. Pendant les reconnaissances qu’il a exécutées à l’intérieur de la partie nord du Tchad (juin-août 1905), le capitaine Freydenberg a observé dix tornades suivies de pluie, cinq venant du nord-est et cinq du sud-ouest. Un peu plus au sud, à Massakory, le lieutenant Deschamps a compté, du 19 mai au 26 septembre 1905, 269 heures de pluies. Du 1er mai au 12 août 1906, en allant de Zinder à Tombouctou, j’ai suivi jusqu’à Niamey la limite méridionale de la zone sahélienne ; j’ai reçu, pendant ce voyage, 28 averses ; à partir du 15 mai surtout, presque chaque jour on voyait une ou deux tornades à l’horizon. L’année 1906 a cependant été plutôt sèche, du moins au début de l’hivernage ; au moment de mon passage dans la région de Tahoua, pendant la première quinzaine de juin, on n’avait pas encore pu, faute de pluie, semer le mil ; les indigènes commençaient à être inquiets.

Il pleut d’ailleurs accidentellement, dans tout le Soudan, en dehors de la saison d’hivernage : en février 1906, on a recueilli à Tombouctou 2 mm. 3 d’eau ; Foureau, en janvier 1900, a noté trois ondées au Tchad.

Les tornades de l’été présentent les mêmes caractères dans toute la zone sahélienne, mais, dans l’Adr’ar’ et dans l’Aïr, l’horizon est toujours borné, de sorte qu’on voit mal l’ensemble des phénomènes. Dans les pays de plaine, on les voit au contraire fort bien ; de loin, les tornades sont nettement délimitées et on peut les embrasser d’un seul coup d’œil. Elles sont habituellement d’une violence extrême ; sur le fleuve, les chalands sont obligés de se mettre à l’abri et malgré cette précaution, ils sont violemment agités par la houle qui accompagne le coup de vent ; malgré l’abri que procurent les berges du fleuve, les vagues embarquent fréquemment. La tornade pousse le plus souvent devant elle une colonne de poussière que l’on voit s’avancer de loin comme un grand mur jaunâtre ou rougeâtre et qui semblé être l’origine des brumes du Soudan. Au-dessus de cette colonne, on aperçoit souvent un cumulo-nimbus.

Parfois il n’y a pas autre chose et la tornade est sèche ; souvent aussi elle amène la pluie ; dès qu’il pleut, le vent change complètement de direction et diminue de vitesse.

Les cyclones (?) qui donnent naissance à ces tornades sont de très petit diamètre, aussi sont-ils en général sans influence sur le baromètre.

La plupart de ces tornades sont de courte durée ; elles sont accompagnées d’ordinaire d’éclairs et de tonnerre et apparaissent le plus souvent le soir ou la nuit ; parfois aussi elles commencent à minuit ou une heure du matin.

Ces perturbations violentes et brèves sont certainement les plus fréquentes dans la zone sahélienne ; cependant la pluie prend quelquefois un caractère différent. Le 22 juin 1906, à l’est de Matankari (13°,40′ Lat. N.) tout près de la limite des zones soudanaise et sahélienne, de huit heures et demie à huit heures trois quarts du matin, j’ai noté un fort orage, accompagné de grêle, par vent d’est ; à neuf heures le vent (3)[105] était passé au sud-est et une pluie fine, très continue et peu abondante, d’un type familier en Europe, commençait à tomber ; vers dix heures le vent devenait sud-ouest (2) ; la pluie cessa à onze heures ; pendant ces deux dernières heures, il n’y a eu ni éclair ni tonnerre.

Le 26 juin au soir, le vent était assez faible et soufflait du sud ; vers minuit il passait brusquement à l’ouest ; dès que la pluie, qui dura de minuit à onze heures du matin, le 27, commença à tomber, le vent assez faible s’établit à l’est ; à 11 heures, il était passé au sud-ouest (4) ; toute l’après-midi, il se maintenait à l’ouest (1).

Dans la majeure partie du Sahara, le vent dominant souffle du nord-est ; les dunes fournissent à cet égard un excellent enregistreur et il ne saurait y avoir de doute ; les dunes fossiles qui s’étendent du Sénégal au Tchad montrent qu’à une époque antérieure le régime était le même, comme il fallait s’y attendre puisque les causes qui déterminent les alizés sont permanentes.

Il y a cependant quelques exceptions. Les unes sont très locales et probablement négligeables : le bras d’erg qui borde à quelques cents mètres la falaise orientale du tassili Tan Adr’ar’ indique des vents d’ouest. D’autres sont plus importantes ; dans la région du Cap Blanc les vents viennent du nord d’une façon presque constante. La même direction domine entre Araouan et Taoudenni : les bras d’erg s’étendent de l’est à l’ouest sur 300 kilomètres et il ne peut être question ici de remous locaux. Les dunes fossiles entre Araouan et Tombouctou indiquent au contraire des vents du sud ; l’asséchement du lac de Taoudenni n’est peut-être pas étranger à ce changement de régime.

D’ailleurs les dunes ne peuvent donner que la résultante du vent ; les quelques observations que l’on a montrent des variations saisonnières considérables. Tamanr’asset, d’après les observations relatées plus haut, en fournit un bon exemple. A In Salah, en 1905, on a noté 460 fois le vent du nord-est ; 194 fois du nord ; 84 fois du sud-ouest ; à Tombouctou, 215 fois du nord, 194 fois du nord-est, 188 fois du nord-ouest, 166 fois du sud-ouest et 146 fois de l’ouest ; les autres directions sont rares. La même année, à Zinder, le vent dominant a été est-nord-est de janvier à fin avril ; il a été sud-ouest en mai et juin, variable en juillet et août ; en septembre et octobre, le vent d’ouest a été le plus fréquent ; celui d’est, en novembre et décembre.

Ces changements sont évidemment liés à la saison des pluies ; il semble que l’Adr’ar’ est un centre de pressions basses pendant l’été, hautes pendant l’hiver. Gautier [cf. t. I, p. 52] a insisté sur le rôle possible des grands ergs, plus chauds en été et plus froids en hiver que les hammadas voisines, dans la distribution des pressions : les hammadas et les ergs constituent peut-être au Sahara, au point de vue météorologique, des entités aussi distinctes que, à la surface du globe, les mers et les continents.

Malgré les nombreux documents déjà connus, il semble qu’un essai de synthèse serait prématuré.

II. — LA BRUME

La brume est fréquente au Sahara où elle se présente sous deux aspects essentiellement différents. Par beau temps, le sol est surchauffé, la température du sable dépasse souvent 60°. Les couches d’air voisines du sol acquièrent une température élevée ; les filets d’air chaud qui s’élèvent à travers l’air plus froid ne s’y mélangent pas de suite. Les parties basses de l’atmosphère ne sont pas homogènes et perdent leur transparence ; les différences entre les indices de réfraction de l’air chaud et de l’air froid amènent des déformations des images qui sont le plus souvent très allongées dans le sens vertical ; une touffe d’herbe prend figure d’un arbre ; un méhariste simule un peuplier. Ce phénomène extrêmement fréquent se complique souvent de mirage, dû lui aussi à des différences de température entre couches d’air voisines.

Cette brume de réfraction et le mirage sont visibles surtout pendant les heures chaudes de la journée ; un vent moyen ne fait disparaître ni l’un ni l’autre ; on les observe dans tout le Sahara et dans le nord du Soudan.

Dans les parties méridionales du Sahara, au sud d’In Zize comme au sud de l’oued Tagrira, ainsi que dans l’Ahaggar, une brume d’origine toute différente, et que l’on retrouve au Soudan, accompagne la saison des pluies tropicales. C’est une brume aussi opaque que n’importe quel brouillard septentrional, épaisse à ne pas voir un chameau à 5 mètres ; elle atténue considérablement l’éclat du soleil qui prend une couleur blanche et ressemble à la pleine lune ; parfois même la brume est assez épaisse pour masquer complètement le soleil ; en plein midi, on ne voit même pas où il est et il devient impossible de s’orienter sans boussole.

Cette brume est souvent presque journalière ; entre Timissao et In Ouzel, nous l’avons notée les 19, 20, 21 et 22 juin 1905. A cette dernière date, la caravane a passé au pied de la gara Tirek, sans pouvoir la distinguer ; des gazelles, habituellement plus farouches, ont marché quelque temps au milieu du convoi. Cette brume se manifeste fréquemment la nuit, ce qui montre son indépendance des phénomènes thermiques : dans la nuit du 23 au 24 juin, à In Ouzel, un coup de vent d’une violence extraordinaire amène une obscurité absolue ; on a l’impression de la cécité la plus complète ; jamais la nuit la plus sombre n’a donné une pareille sensation.

Cette brume n’a rien à voir avec le brouillard ; elle n’est pas humide ; le 19 juin, en pleine brume, les thermomètres, sec et humide, indiquent respectivement 27° et 14° ; le 30 juin, 32°,5 et 21° ; le 22 juin, 28° et 18° ; le 30 juillet, 42° et 24°,5. Elle est due à de fines particules argileuses en suspension dans l’atmosphère ; ces poussières très ténues sont impalpables ; elles ne décèlent leur présence que par un dépôt jaunâtre qu’elles laissent sur les vêtements et les cheveux. On les voit bien surtout lorsqu’il commence à pleuvoir : chaque goutte de pluie aussitôt évaporée laisse sur la peau une tache de boue.

Parfois la nuée argileuse est nettement visible et les deux observations suivantes permettront de saisir le mécanisme de sa formation.

Le 25 juillet 1905, dans la vallée de l’oued En Néfis, au sud de Timissao, la journée avait été assez belle ; la brume, légère le matin, avait disparu vers midi ; il y avait eu peu de vent, sauf une brise légère de l’ouest, vers trois heures.

A six heures et demie un arc-en-ciel double était visible vers l’est ; vers le sud, il y avait une menace d’orage ; quelques minutes plus tard un nuage de poussière, couleur terre de Sienne, bien délimité, venait rapidement sur nous ; il suivait assez exactement la vallée, large en ce point de 3 km. 5 à peu près et bordée de falaises hautes d’une quarantaine de mètres. Ce nuage était amené par un fort coup de vent du sud qui dura une heure environ. Après une heure de calme, le vent se remettait à souffler du nord ; il était accompagné de pluie et il y eut plusieurs averses dans la nuit.

Le lendemain l’atmosphère était claire.

Le 8 août, à Tit, dans l’Ahaggar, la journée avait été belle ; depuis le lever du soleil jusqu’à midi, un peu de vent d’est avait atteint sa plus grande intensité vers neuf heures (petite brise). De midi à trois heures, le vent était venu du sud, pour repasser à l’est dans la soirée ; il était resté plus faible que le matin.

Fig. 55. — Un coup de brume, le 25 juillet 1905, dans la vallée de l’oued en Néfis.

A une demi-journée au sud de Timissao. Les falaises de grès dévonien qui limitent la vallée ont 40 mètres de hauteur.

Après le coucher du soleil, le vent s’établissait à nouveau au sud et devenait frais, 6 de l’échelle de Beaufort ; un nuage sombre, et très bas sur l’horizon, apparaissait au sud. Vers sept heures et demie, on en pouvait distinguer le détail (fig. 56) : la partie supérieure, vivement éclairée par la lune à son premier quartier, était blanche ; la partie inférieure était noire, et lançait vers le haut de nombreux tourbillons d’argile : quelques-uns, comme les trombes de sable, étaient simples et souvent épanouis en champignon à leur sommet, quelques autres étaient, ou paraissaient, bifurqués et parfois ramifiés. A neuf heures un quart le nuage atteignait le piton de Tit, le Tinési, et présentait la même apparence (fig. 57). Cinq minutes après, il couvrait le camp situé à un peu plus de 2 kilomètres au nord du piton. Pendant un quart d’heure, l’obscurité a été complète ; la lune avait complètement disparu ; vers dix heures et demie ou onze heures, le vent tombe et le ciel redevient visible ; le lendemain, il y avait une brume légère, suffisante cependant pour masquer l’Ilamane situé à une trentaine de kilomètres de Tit. Il n’a pas plu la nuit.

Fig. 56. — Un coup de brume le 8 août 1905 à Tit (Ahaggar).

Aspect vers 7 h. 1/2. — Le piton de Tit a 60 mètres de haut.

Ces brumes paraissent avoir une influence marquée sur la variation diurne des températures ; quand le temps est clair, la température s’élève rapidement jusque vers neuf heures, croît ensuite plus lentement jusqu’à son maximum vers deux heures et demie, et décroît lentement jusqu’au lendemain matin. Le 30 juillet, dans le tanezrouft de Silet, une brume épaisse, qui s’était formée la veille au soir, nous a obligé à marcher à la boussole ; les températures observées ont été les suivantes : six heures, 32° ; sept heures et demie, 34°,5 ; huit heures, 35° ; neuf heures, 37° ; dix heures, 38° ; onze heures, 41° ; midi, 43° ; une heure, 42°, 5 ; deux heures, 42° ; trois heures et demie, 42° ; cinq heures, 41°,5 ; six heures, 40°. Le maximum a eu lieu à midi et la température a à peine varié jusqu’au soir ; le vent assez faible s’est tenu toute la matinée au sud ; il est tombé dans l’après-midi. Ces observations de température ont été faites pendant la marche, mais dans une plaine très plate. Le déplacement du maximum semble d’ailleurs confirmé par quelques autres observations moins détaillées.

Fig. 57. — Le coup de brume du 8 août 1905 à Tit.

Aspect vers 8 h. 1/2. — Les collines du second plan sont masquées.

Les orages secs sont fréquents dans tout le Sahara, mais ce sont habituellement des orages de sable ; ils charrient de menus projectiles quartzeux dont le choc est parfaitement perceptible ; les tourbillons de sable, les djinn valseurs, sont également fréquents. Mais sous quelque forme qu’ils se présentent, les nuages de sable s’élèvent peu et disparaissent dès que le vent tombe ; au contraire, les poussières argileuses sont lentes à se disperser ; elles restent dans l’atmosphère où elles créent des brumes épaisses qui persistent tant que l’air n’a pas été lavé par la pluie.

Pour les Touaregs, l’apparition de ces brumes dans le Tanezrouft est un signe certain que la saison des pluies est commencée au Soudan ; la liaison entre les tornades et ces nuages de poussière soulevée par le vent paraît en effet évidente.

Il semble aussi facile de comprendre pourquoi ces brumes sont localisées dans la partie méridionale du Sahara : dans le désert, les alluvions ont depuis longtemps été remaniées par le vent ; toutes les fines poussières en ont été enlevées et elles sont allées tomber dans l’Atlantique ; le sable a édifié les dunes ; il ne reste plus dans les vallées, sur les regs, que du sable grossier et des cailloux. Si l’on creuse un peu, on trouve, à une dizaine de centimètres de profondeur, des alluvions plus normales avec des argiles, mais le manteau de graviers qui les couvre les met hors d’atteinte du vent. Les crues peuvent bien remanier ces alluvions, et ramener les poussières au jour ; mais, loin des régions montagneuses, les crues sont un accident bien rare et il n’y a guère à en tenir compte.

Dans l’Ad’rar’ des Ifor’as, dans l’Ahaggar, dans l’Aïr, les alluvions sont restées argileuses ; les oueds y coulent tous les ans ; la poussière qui a été enlevée de la surface de leurs vallées par les tornades, est sans cesse renouvelée par l’action des eaux dont les remous, à chaque crue, ramènent au jour les parties profondes des alluvions ; soumis à des alternatives de sécheresse et d’humidité, les feldspaths des roches cristallines, tous plus ou moins kaolinisés, s’effritent peu à peu, et préparent ainsi de nouveaux matériaux pour les brumes que provoquent les tornades.

La liaison entre la pluie et les brouillards secs est très nette et très profonde.

Les brumes sont fréquentes dans tout le Soudan, et en relation aussi avec les tornades ; je ne crois pas qu’elles y atteignent jamais une intensité comparable à celles qu’elles présentent parfois au désert : on voit toujours assez clair pour se diriger et pour suivre le guide.

Les cultivateurs noirs ont la plus grande estime pour ces brouillards secs : « Quand ils ont été fréquents, la récolte est bonne », disent-ils. Cette croyance peut très bien ne pas être absurde ; les années très brumeuses sont sans doute aussi des années très pluvieuses ; la grande extension des incendies de brousse au Soudan rend probable que, à l’argile, s’ajoute un bon engrais, les cendres végétales, dans la formation des nuages de poussière.

[99]Ginestous, Études sur le climat de la Tunisie (Thèse). Paris, 1906.

[100]Marc, La répartition de la pluie au Soudan. Ann. de Géogr., 15 janvier 1909.

[101]Bull. du Comité de l’Afrique française, mai 1907, p. 179.

[102]R. de Caix, La Reconnaissance du lieutenant Cottenest chez les Hoggar, Bull. Comité Afr. fr., 1902, p. 307. — Guilho-Lohan, Renseignements coloniaux, sept.-octobre 1903.

[103]De Motylinski et Basset, Grammaire et dictionnaire français-touareg, Alger, 1908, p. 89-92.

[104]Dinaux, Rens. col. Bull. du Comité Afr. fr., avril 1908, p. 106.

[105]Échelle de Beaufort.


CHAPITRE IV

CHOROLOGIE

I. Géographie botanique. — Les grandes zones. — Zone sahélienne. — Zone saharienne. — Les adaptations (les plantes grasses, les lianes, les graines, défense contre les animaux). — La culture (cultures irriguées). — Remarques sur quelques espèces.

II. Géographie zoologique. — Cœlentérés. — Insectes (termites, insectes des tanezrouft). — Crustacés. — Mollusques. — Reptiles et Batraciens. — Oiseaux (l’autruche). — Mammifères. — La chasse. — Les troupeaux (moutons et chèvres, bœufs, chevaux, ânes, chameaux). — Les hommes (les Touaregs, l’habitation).

I. — GÉOGRAPHIE BOTANIQUE

I. Les grandes zones. — Le désert, au point de vue climatique, est caractérisé par l’absence ou la rareté des pluies ; la végétation en est le plus souvent rare ou absente, et le Sahara forme une zone botanique qui peut être limitée avec une certaine précision.

Il confine au nord au domaine méditerranéen, domaine très étendu auquel appartiennent la Cyrénaïque et l’Afrique mineure. Les arbres et arbustes à feuillage toujours vert (olivier, bruyères arborescentes, chênes verts), de nombreuses conifères (une dizaine d’espèces, dont les plus notables sont le pin d’Alep, le cèdre, le callitris et les genèvriers) caractérisent le littoral et les régions accidentées de la Berbérie ; les steppes à alfa et à absinthe (chih) des Hauts Plateaux font partie du même domaine.

Bien qu’appartenant à la zone méditerranéenne, le littoral atlantique du Maroc présente quelques traits particuliers qui permettent de le mettre un peu à part : des Euphorbes cactoïdes et l’Arganier (Sideroxylon) sont parmi les espèces les plus caractéristiques.

Dès que, vers le sud, on a dépassé l’Atlas saharien, la végétation change assez brusquement ; une ligne de dénivellation sépare le Sahara de la Berbérie et en général il n’y a pas mélange entre les deux flores. Cette limite est, en gros, jalonnée par Gafsa, Biskra, Laghouat, Figuig et le cap Noun.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XV.

Cliché Posth

29. — ZONE SAHELIENNE.

Région du Tegama.

Cliché Pasquier

30. — ZONE SAHELIENNE.

Région de Gao.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XVI.

Cliché Pasquier

31. — UNE HALTE DANS LA RÉGION DE GAO.

Zone sahelienne.

Cliché Laperrine

32. — UN “ TAMAT ” [ACACIA ARABICA, WILLD] — ADR’AR’ DES IFOR’AS.

Les branches sont mutilées pour la récolte des fruits, riches en tannin.

La frontière botanique méridionale du Sahara est moins nette et moins précise.

Au nord de la forêt tropicale, où des chutes de pluies supérieures à 1 m. 50 permettent le développement d’une riche végétation arborescente, où les arbres atteignent jusqu’à 50 mètres de haut, où les lianes abondent et rendent la circulation difficile, on peut, avec Chevalier[106], distinguer plusieurs zones, grossièrement parallèles entre elles ; leurs limites sont à peu près ouest-nord-ouest, est-sud-est et correspondent à des différences dans les quantités annuelles de pluie.

Dans la première, la zone guinéenne, la pluie varie de 0 m. 50 à 1 m. 15 ; le sol est le plus souvent formé de plateaux arides, domaine de la savane, c’est-à-dire de prairie accompagnée d’arbres ; mais dans les dépressions apparaissent des bouquets impénétrables de grands bois avec de nombreuses lianes. Dans les endroits les plus humides, au bord même du ruisseau, de nombreux palmiers (Elæis, Raphia), des dracæna, des pandanées attestent une grande analogie avec la sylve équatoriale ; ils forment, le long de la vallée, un rideau de grands arbres. Ainsi caractérisée par ses « galeries forestières » [on en trouvera un bon schéma dans Chevalier, l’Afrique Centrale française, p. 751], la zone guinéenne qui, au Dahomey, s’étend jusqu’à l’Atlantique, s’arrête vers le 12° Lat. N. au sud de Bammako et vers le 8° Lat. N. dans la région du Chari. Le manioc y est la principale culture vivrière ; on y trouve déjà le karité et les lianes à caoutchouc.

Au nord de la zone guinéenne, la zone soudanaise est formée surtout, dans le haut bassin du Niger, par un vaste plateau de grès couvert de latérite ; dans le bassin du Chari, les alluvions récentes dominent ; malgré ces différences lithologiques, sa constitution botanique est assez homogène ; elle est couverte, en général, par une haute savane où domine un petit nombre d’espèces de graminées (Imperata cylindrica Pal. Beauv., Ctenium elegans Kunth, plusieurs Andropogon, etc.). Les arbres les plus caractéristiques sont un palmier, le rônier (Borassus æthiopicus Mart.), les baobabs (Adansonia) et le fromager (Eriodendron anfractuosum D. C.). Le karité dépasse rarement cette zone, et les lianes à caoutchouc y atteignent leur limite nord. Cette zone s’arrête sur le Niger vers Mopti (14°,30 Lat. N. au confluent du Bani) et vers Sansané Haoussa (14° Lat. N.). Plus à l’est, elle passe au voisinage de Zinder et coupe l’extrémité sud du Tchad. C’est la zone des grandes cultures soudanaises : le grand et le petit mil presque partout, le riz dans les régions plus humides, et l’arachide. Bien qu’on la rencontre jusqu’au Tchad, cette dernière plante n’est cultivée en grand qu’au Sénégal, la seule région de la zone qui, jusqu’à présent, puisse facilement exporter en Europe les produits de médiocre valeur.

Quoiqu’il en soit isolé par une bande de brousse aride, le Damergou peut être rattaché à la même province.

Le district levé du Fouta Djalon, qui dépasse souvent 1000 mètres d’altitude, présente des caractères spéciaux, assez nombreux pour qu’il soit nécessaire de le mettre à part : certains traits le rapprochent de l’Abyssinie, et il forme dans les zones guinéenne et soudanaise un îlot spécial, avec une flore subalpine.

La zone sahélienne est la bordure méridionale du désert ; le doum (Cucifera thebaïca Del.), rare dans la zone soudanaise, devient commun et, dans tous les points un peu humides, remplace le rônier. L’aderas (Balsamodendron africanum Arn.), l’afernane (Euphorbia balsaminifera Aït.), le tadane (Boscia senegalensis Lam.), le gommier (Acacia verek Guill.), l’Acacia arabica Willd., rares plus au sud, y forment des peuplements importants ; ils sont souvent accompagnés par le talah (Acacia tortilis Hayne), l’asabay (Leptadenia Spartum Wight) et quelques autres formes que l’on retrouve dans une bonne partie du désert. En revanche la plupart des plantes salées (had, etc.) caractéristiques du Sahara, manquent dans le Sahel, où il faut donner du sel aux chameaux.

La limite nord de cette zone, voisine du 18° Lat. N. vers l’Atlantique, s’abaisse dans la région du Tchad vers le 15° Lat. ; mais elle est loin d’être rectiligne et présente vers le nord quelques crochets dont deux correspondent à l’Adr’ar’ des Ifor’as et à l’Aïr à qui leur altitude assez élevée procure tous les ans quelques tornades ; d’après les renseignements de Nachtigal, le Tibesti semble appartenir lui aussi à cette zone sahélienne.

Cette limite paraît correspondre assez rigoureusement à celle des pluies tropicales régulières ; les précipitations annuelles y varient probablement entre 150 et 500 millimètres ; plus au nord, il n’y a plus que des orages accidentels et le désert commence.

Dans la zone sahélienne les pâturages sont abondants ; dans sa partie méridionale, elle convient fort bien à l’élevage. La culture n’y est possible que dans des conditions particulières ; elle nécessité l’irrigation ; sous cette condition, le petit mil et le blé, et, dans la zone d’inondation du Niger, le riz, donnent de beaux produits.

Quant au Sahara, compris entre l’Afrique mineure et la zone sahélienne, il semble que l’on y peut distinguer par quelques caractères botaniques un Sahara soudanais et un Sahara algérien. Au-dessus de 1000 mètres, l’Ahaggar paraît y former une province alpestre assez nette.

Fig. 58. — Zones de végétation de l’Afrique occidentale.

+++ Limite du Karité ; I, Zone forestière équatoriale ; II, Zone guinéenne ; III, Zone soudanaise ; IV, Zone sahélienne ; V, VI, Zone saharienne ; VII, Zone méditerranéenne ; VIII, Région de l’Ahaggar ; IX, Région du Fouta Djalon.

Il convient d’ajouter, à ces zones parallèles à l’équateur et qui sont fonction de la latitude, et à celles que détermine l’hypsométrie (Fouta-Djalon, Ahaggar), la région littorale qui, comme partout, présente des caractères particuliers. Le cocotier, introduit il y a quelques siècles par les Portugais, pousse bien jusqu’à St-Louis. Le long du littoral de Mauritanie viennent s’adjoindre, aux formes nettement sahariennes qui constituent le fond de la végétation, quelques espèces sénégalaises qui remontent plus haut en latitude sur les côtes de l’Atlantique que dans l’intérieur ; vers le cap Blanc, quelques formes canariennes sont à signaler. Enfin les tamarix forment presque des taillis en un grand nombre de points du littoral, surtout au sud de Nouakchott.

La zone sahélienne et le Sahara[107] méritent une étude un peu plus détaillée.

Zone sahélienne. — La haute plaine du Tegama appartient à cette zone et semble en présenter nettement les caractères moyens ; elle forme très nettement la transition entre le désert et les zones fertiles de l’Afrique centrale.

Lorsque l’on vient d’Agadez, jusqu’à Ekelfi (16° Lat.), à 40 kilomètres de la falaise de Tigueddi, le sol est souvent à nu pendant plusieurs kilomètres ; les arbres, des talah surtout, sont rares et rabougris ; seuls quelques oueds renferment des graminées. Au sud d’Ekelfi, les grandes clairières disparaissent ; il y a presque partout des arbres hauts de 2 à 4 mètres, une cinquantaine à l’hectare. Après Takado (80 kilomètres au sud d’Ekelfi) les graminées ne sont plus localisées dans les vallées et forment un tapis continu ; les arbres atteignent souvent 5 à 6 mètres et sont plus rapprochés ; les essences sont aussi plus variées et il y a parfois des clairières avec de véritables prairies (Pl. XIX, phot. 35).

Toute cette partie sud du Tegama constitue une excellente région d’élevage que l’insécurité du pays avait obligé à abandonner : avant notre arrivée, pendant la saison sèche, les nomades d’Agadez ne pouvaient utiliser ces très bons pâturages et étaient obligés d’envoyer leurs troupeaux jusqu’aux pays haoussa[107].

Plus au sud encore, vers la mare de Tarka (14°,30′ Lat.), comme entre le Damergou et Ouamé, la brousse devient assez serrée pour qu’il soit difficile de quitter les sentiers. A l’est de l’itinéraire que j’ai suivi, d’après les renseignements concordants de Barth et de Foureau, ainsi que du commandant Gadel, la transition se fait de la même façon ; il y a à noter toutefois que la zone dénudée du nord est plus large.

J’ai observé cet aspect en novembre 1905 ; quelques semaines plus tôt, après la saison des pluies, la poussée des plantes annuelles doit apporter quelques changements à l’aspect du Tegama.

La transition entre le désert d’un côté et la forêt ou la prairie de l’autre, se fait très graduellement ; la steppe, qu’il est aussi classique qu’inexact de décrire comme entourant le désert, fait ici entièrement défaut.

Le Tegama est en somme un pays sec ; la nappe d’eau y est très profonde et a peu d’influence sur la végétation. Il y existe cependant quelques mares permanentes (tin Teborak, Tarka) où la végétation devient fort belle ; des arbres de haute taille, l’Acacia arabica surtout, poussent en grand nombre dans les parties régulièrement inondées, et donnent, à quelques hectares, l’aspect d’une véritable futaie. Autour de cette végétation forestière, on observe habituellement une ceinture, large d’une centaine de mètres, où abondent les teboraq, les jujubiers, les delga, qui manquent dans les parties plus sèches. Quelques sous-arbrisseaux à port de bruyère les accompagnent. Enfin, dans certaines mares tout au moins, comme à Tarka, les plantes aquatiques abondent : les nénuphars et les utriculaires couvrent de vastes espaces ; les Cyperus, accompagnés d’un grand volubilis à fleurs rouges (Ipomæa asarifolia ?), forment d’épais massifs dans les points où l’eau est peu profonde.

L’allure de la végétation dans le Tegama parait bien typique pour toutes les parties sèches de la zone sahélienne ; Nieger [La Géographie, XVI, p. 369] indique que, au nord du Timétr’in[108], les gommiers couvrent les thalwegs de certains oueds en fourrés assez épais pour que, de loin, on puisse croire à de véritables forêts ; les tribus touaregs, qui nomadisent dans cette région, exigent des caravanes qu’elles respectent leurs arbres ; E.-F. Gautier [La Géographie, XV, p. 110 et suiv.] insiste sur la continuité de la brousse à mimosées, tout le long de l’oued Tilemsi, continuité qui a également frappé Combemorel [Bull. Comité Afr. Française, déc. 1908]. La forêt de gommiers de Tombouctou, qui dessine trois bandes entre le Niger et Araouan, appartient à la même formation végétale qui s’étend jusqu’au voisinage de l’Atlantique où j’ai pu l’observer récemment entre Saint-Louis et Nouakchott ; vers l’est, de Zinder au Tchad, on retrouve le même aspect : les arbres n’ont disparu qu’autour de certaines mares à natron (Garamkawa, Gourselik) dont l’utilisation industrielle exige beaucoup de combustible.

J’ai déjà indiqué, à propos du Tegama, que les mares créaient des stations botaniques bien caractérisées ; du Niger au Tchad, on observe le même fait ; mais parmi les arbres, le doum, qui manque à peu près complètement dans le Tegama, prend la première place. Lorsque le bas-fond humide est éloigné de tout village, les doums deviennent de beaux arbres ; dans le cas contraire, leurs troncs assez droits étant un des bois les plus utilisés pour la construction, l’on ne trouve plus que de jeunes pousses formant d’épais fourrés dont l’aspect rappelle les palmiers nains d’Algérie. Les postes militaires surtout, avec leurs constructions assez importantes, ont dû sacrifier de nombreux palmiers qu’il a souvent fallu aller chercher à une cinquantaine de kilomètres.

J’ai pu suivre en février 1906, à un moment où les eaux du lac s’étaient retirées, la rive nord du Tchad ; les arbres y sont rares, sauf sur les dunes, où l’Acacia tortilis et le Salvadora persica forment de nombreux buissons ; entre les dunes et le lac, s’étend un terrain plat où dominent les graminées : le mrokba, dans les points ensablés où il pousse sur des buttes de sable hautes d’un demi-mètre (nebka), et des graminées plus humbles qui forment une véritable prairie dans la régions où les argiles quaternaires sont à nu. Sur les bords mêmes du lac, le sommet de la berge est occupé par le Calotropis procera auquel se joignent quelques rares Leptadenia et Salvadora ; plus près de l’eau des roseaux (Arundo Phragmites) et de grands scirpes forment d’épais fourrés, au milieu desquels on trouve souvent des buissons de grandes composées et de grandes malvacées ; un acacia, remarquable par la légèreté de son bois, l’Ambadj (Hermineria elaphroxylon) y est assez commun.

Lors de mon passage, la sécheresse du sol, causée par le retrait du Tchad, avait amené en bien des points la mort, au moins apparente, des roseaux dont il ne subsistait plus que des tiges desséchées. Entre ces tiges, une végétation nouvelle cherchait à s’établir, où dominaient de jeunes Calotropis ; Chevalier [L’Afrique centrale, p. 416] a observé des faits bien analogues sur la lisière méridionale du lac, au voisinage de Hadjar El Hamis, où cependant la végétation est plus variée.

La zone d’inondation du Niger présente aussi quelques caractères spéciaux parmi lesquels le plus remarquable est l’existence de prairies aquatiques où domine le Panicum burgu A. Chev.[109].

Ces prairies, qui sont fréquentes surtout entre Segou et Ansongo, couvrent au moins 250000 hectares ; elles atteignent leur plus beau développement dans la région du lac Débo ; mais on les trouve aussi dans les régions lacustres de la boucle du Niger et de Goundam ; le bourgou est encore répandu dans les mares des Daouna ; il manque à peu près complètement dans le Faguibine.

Ces grandes graminées, dont les chaumes atteignent 2 mètres de haut, fournissent un fourrage excellent, et, coupées jeunes, donnent un foin de bonne qualité. Les indigènes les utilisent en cas de disette pour leur propre nourriture ; en tout temps, ils en extraient le sucre qui y est abondant et l’emploient à la préparation de liqueurs fermentées. On a pu en extraire un alcool assez pur, produit qui dans ces régions où le bois est rare et où les combustibles minéraux manquent, peut être appelé, comme producteur d’énergie, à un grand avenir.

Il semble cependant que pour la fabrication de l’alcool au Soudan, il vaut mieux s’adresser aux céréales indigènes (riz, mil, etc.,) dont la culture, facile et bien connue des noirs, peut être considérablement accrue, et dont le rendement en alcool est certain.

Les mares à natron de la région de Manga montrent quelques particularités intéressantes ; les nénuphars et quelques autres plantes d’eau douce y font défaut et sur leurs bords il y a parfois des tamarix ; mais l’aderas n’y est pas rare, malgré l’humidité : on a souvent signalé des convergences analogues entre la flore des régions sèches et celle du bord de la mer.

Les dépressions salées, situées à l’est du Tchad, présentent les mêmes caractères.

Il existe, dans la zone sahélienne, quelques districts accidentés : le Koutous et l’Alakhos présentent quelques faits dignes de remarque (fig. 59 et 60). Dans ces deux régions, qui sont en somme des plateaux gréseux posés sur la haute plaine du Tegama, la nappe d’eau qui alimente les puits est trop profonde pour que la végétation puisse en profiter, aussi le fond de toutes les vallées est-il occupé par une brousse serrée où dominent les acacias et les aderas caractéristiques des parties les plus sèches du Tegama ; les plateaux gréseux et les dunes qui s’y appuient, très perméables, jouent le rôle d’éponge et emmagasinent l’eau qui tombe assez régulièrement sur ces régions un peu élevées, situées juste à la frontière des zones saharienne et sahélienne. Sur les dunes, des essences à feuillage moins maigre, le Balanites Ægyptiaca, le Bauhinia reticulata, le Salvadora persica, le Calotropis procera forment le fond de la végétation spontanée ; c’est également sur les mêmes dunes que sont établis les champs de mil et, en quelques points privilégiés, d’ordinaire au contact de la dune et des grès, les cultures de coton ; sur le plateau reparaissent les talah et les aderas.

Fig. 59. — Fragment de topographie de l’Alakhos.

Il y a 12 kilomètres de Guidjamon à Ganadja ; le puits de Ganadja a 40 mètres ; les plateaux gréseux atteignent une centaine de mètres de hauteur.

Un peu plus au sud, le Mounio, situé lui aussi sur les confins de deux zones, présente quelques caractères spéciaux. Auprès de Gabana, par exemple (fig. 61), le fond de la cuvette (A) est occupé par des dattiers et des doums ; les sommets rocheux (C) portent quelques aderas et surtout des euphorbes ; pendant la saison sèche, ces arbustes sont dépourvus de feuilles : l’aspect est celui que présentent en hiver les maigres taillis des coteaux de la Mayenne ou de la coupure de la Meuse ; les pentes ensablées (B) présentent, en janvier, l’aspect d’un champ de chaume, où seraient plantés quelques arbres (Balanites, Bauhinia, Salvadora, Tamarindus, Ziziphus, Calotropis, Acacia) ; ils rappellent assez bien, après les moissons, certains champs de blé des collines du Perche avec leurs pommiers à cidre. Dans la partie méridionale du Mounio, les essences sont encore plus variées.

Fig. 60. — Profil de Guidjamon à Ganadja.

a, au contact des dunes et des plateaux gréseux, Balanites ægyptiaca. Culture médiocre de coton. b, Culture de petit mil. Arbres à feuilles larges (Bauhinia reticulata, etc.) ; d, Graminées. L’arbuste dominant est le Sabera ; d′, Graminées seulement, à cause de la proximité du village ; e, Sol du Tegama, Balsamodendron africanum (Aderas).

Les plateaux gréseux que Chevalier a décrits dans la région de Goundam et du Faguibine paraissent se rapprocher beaucoup du Mounio ; l’Euphorbia balsaminifera y est abondant, et y atteint parfois une grande taille. Il est accompagné de Balsamodendron africana, haut parfois de 10 mètres, son compagnon habituel dans la région de Gouré.

Bien que, par sa latitude, il appartienne au désert, l’Aïr, que Barth, avec un peu d’exagération, a qualifié d’Alpes sahariennes, doit être rattaché à la zone sahélienne. C’est en effet à partir de l’oued Tyout que les pluies tropicales se font sentir tous les ans ; les pâturages y sont souvent fort beaux. Plus au nord, les tornades deviennent accidentelles et se produisent, comme partout au Sahara, à des saisons quelconques et à des périodes toujours éloignées les unes des autres. Au nord des derniers contreforts de l’Aïr, Tar’azit et Zélim, il avait plu, dans le Tiniri, peu de temps après le passage de Foureau (février 1899) ; quand j’ai traversé cette région avec Dinaux (septembre 1905), le développement des plantes annuelles, de l’acheb, prouvait quelques averses récentes ; d’après les renseignements indigènes, il n’avait pas plu dans l’intervalle des deux passages. Les averses de 1905 avaient d’ailleurs été très localisées, et à son retour par la route directe d’Aguellal à In Azaoua, Dinaux a dû faire à partir de l’oued R’arous (40 kilomètres au nord-ouest d’Iférouane) 250 kilomètres sans trouver de pâturages : ce ne fut guère qu’en arrivant à l’Ahaggar que les méharis purent brouter à leur aise.

Fig. 61. — Stations botaniques du Mounio. Du campement de Gabana, 17 janvier 1906.

A, Fond de cuvette. Dattiers et Doums. — B, Mamelons ensablés. Le sol est couvert de graminées desséchées, donnant l’aspect d’un champ de chaume. Balanites ægyptiaca est l’arbre dominant ; il est accompagné de Bauhinia reticulata, Salvadora persica, Calotropis procera, Euphorbia balsaminifera. Acacia et jujubier. — C, Mamelon rocheux à pente raide. Euphorbia balsaminifera et Balsamodendron africanum y forment un taillis clairsemé haut de 2 à 3 mètres ; en janvier toutes les feuilles sont tombées. Aspect d’hiver de quelques coteaux arides de la Mayenne ou de l’Ardenne. Le sommet de C est à 150 mètres au-dessus du fond de la cuvette A.

Dans l’oued Tidek, couvert, d’après la carte du service géographique de l’armée, d’une végétation tropicale, apparaissent en effet de grands arbres : l’Acacia arabica Willd est surtout commun ; il porte souvent un beau parasite à fleurs rouges (Loranthus Chevalieri ?) commun d’ailleurs dans toute la zone sahélienne, où on le trouve, au moins accidentellement, sur presque tous les arbres[110].

Cette riche végétation ne quitte jamais les vallées : la section schématique du kori Teloua (fig. 63) à Salem-Salem (35 kilomètres au nord-est d’Agadez) montre d’abord le long de la berge de l’oued (en 1) quelques mousses et hépatiques, notamment des Riccia ; en 2, il y a surtout des graminées, des aristoloches, des Ipomæa et quelques Calotropis ; cette zone ne dépasse pas une largeur d’une dizaine de mètres. Puis vient, s’étendant sur une largeur qui atteint parfois 100 mètres, une véritable forêt où les grands arbres sont des doums et des Acacia arabica entre lesquels croissent des formes plus humbles (Boscia senegalensis, Salvadora persica, Balanites Ægyptiaca et des jujubiers ; des lianes herbacées (Cucurbitacées, Asclépiadées) grimpant jusqu’au faîte des palmiers, permettent de rapprocher ce rideau d’arbres des galeries forestières de la zone guinéenne.

Fig. 62. — Aïr. Extrémité nord de l’Adesnou, vue de l’oued Tidek.

Acacia arabica (10 m.). Ce sont les premiers arbres que l’on voit, en venant du Nord.

Au delà des alluvions humides, commencent les roches cristallines où le sol, le plus souvent dénudé, ne porte plus que quelques touffes de graminées et de loin en loin un talah (A. tortilis). Les parois abruptes des rochers qui s’élèvent parfois à 5 ou 600 mètres de haut sont presque toujours à découvert : dans les fentes de la roche, il pousse cependant quelques graminées et plus rarement une asclépiadée à port de cactus (Boucerozia tombuctuensis A. Chev. ?). La belle végétation de l’Aïr est étroitement liée à l’humidité de ses koris.

Le Teloua est une des rivières les plus vivantes de l’Aïr ; à Salem-Salem, il a déjà reçu plusieurs affluents importants, aussi son lit est-il bien marqué. Dans un grand nombre d’autres koris, le lit est à peine creusé ; il n’y a qu’une plaine d’alluvions presque horizontale ; les zones sont alors moins nettes et les arbres, moins nombreux, sont plus disséminés ; la vallée est couverte de graminées avec quelques acacias de loin en loin. Ce n’est plus l’étroite galerie forestière, mais la savane.

Placé, comme l’Aïr, aux confins du désert et devant aussi à son altitude des pluies régulières, l’Adr’ar’ des Ifor’as, ne présente lui aussi de belles végétations que dans ses vallées.

Fig. 63. — Coupe demi-schématique d’une vallée d’Aïr : le K. Teloua à Salem-Salem (35 km. au nord-est d’Agadez).

A, Alluvions ; B, Gneiss et Micaschistes ; B′ Roches éruptives ; 1, berge du Kori. Mousses et hépatiques (Ricciées) ; 2, zone du Calotropis procera. Grandes graminées. Aristoloche. Ipomæa. Gazon de graminées avec nombreuses dicotylédones herbacées. La largeur très variable de cette zone ne dépasse pas 10 mètres ; 3, zone des Cucifera thebaica et Acacia arabica, atteignant 8 à 10 mètres de haut. Le sous-bois, très gazonné, contient des arbustes, Salvadora persica, Boscia senegalensis, Jujubier, etc. La largeur de cette galerie forestière varie de 10 m. à 50 m. ; 4, zone de l’Acacia tortilis (2 à 3 m. de haut). Quelques touffes isolées de Graminées, Cassia, etc. ; 5, Végétation presque nulle. Quelques graminées dans les fentes de la roche ; parfois, Boucerozia.

Mais ici les vallées d’alluvions sont parfois fort larges ; elles peuvent atteindre plusieurs kilomètres et forment à la saison des pluies de véritables prairies couvertes d’un gazon continu, parsemé de quelques arbres.

Ce qui domine en somme et de beaucoup, dans cette zone sahélienne, c’est la brousse à mimosées, variété de la forêt, mieux armée contre la sécheresse que la prairie ou la steppe. La savane ne s’y rencontre que très accidentellement dans quelques larges vallées où les alluvions restent toujours humides ; quant à la véritable prairie, elle est encore plus rare ; elle ne pousse que dans quelques bas-fonds inondés l’hiver, bas-fonds qui se couvrent, après les pluies, d’un gazon épais, haut d’un pied, et au milieu duquel se montrent quelques grandes fleurs comme dans les prairies de France.

Dans l’étude de la zone sahélienne, un point important reste encore à élucider ; beaucoup d’espèces végétales connues au voisinage de l’Atlantique se retrouvent jusqu’en Nubie : sur les 49 espèces ligneuses que Chevalier énumère autour de Tombouctou, les quatre cinquièmes sont dans ce cas. Il y a donc une grande uniformité dans la végétation depuis le Sénégal jusqu’à la mer Rouge. L’Euphorbia balsaminifera cependant n’atteint pas le Tchad et dépasse peu le Mounio ; quelques autres espèces, qui s’étendent du bassin du Nil jusqu’à Tombouctou, ne sont pas connues plus à l’ouest. Il y a donc au moins des indices d’une subdivision de la zone sahélienne en longitude. Les faits connus avec précision ne sont malheureusement pas encore assez nombreux pour que l’on puisse chercher à définir ces régions botaniques, d’importance évidemment secondaire.

Zone saharienne. — Les deux types principaux de végétation, les forêts et les prairies, qui se partagent la terre exigent tous deux une certaine abondance d’eau ; le développement des forêts n’est pas entravé par de longues sécheresses de l’atmosphère, pourvu qu’il existe toujours, à portée des racines, une nappe aquifère suffisante. Au contraire, les prairies ont besoin de pluie pendant la période de végétation.

Forêts et prairies se développent à l’ordinaire sur de vastes surfaces, les causes climatiques qui les déterminent ne variant que lentement. La continuité de ces deux formations est parfois localement interrompue par des détails tenant au sol même (causes édaphiques[111]) ; par exemple, une coulée volcanique récente créera au milieu de la forêt de châtaigniers qui couvre les flancs de l’Etna une bande dépourvue de toute végétation ; au sud du Massif Central de France, les calcaires fissurés des Causses permettent à l’eau de descendre rapidement à de grandes profondeurs : la surface du plateau est presque un désert. De semblables particularités sont l’accident et les petits déserts édaphiques qui en résultent n’ont qu’une importance minime dans l’étude de la géographie botanique de l’Europe.

Au Sahara il en est tout autrement : la rareté des pluies, la haute température de l’été, les froids de l’hiver, la fréquence des vents desséchants sont autant de causes qui s’opposent au développement des plantes.

Quelques points privilégiés comme les dunes, presque toujours humides en profondeur et où le peu de cohésion du sol permet aux racines de pousser rapidement, comme les vallées de l’Ahaggar où des seuils rocheux arrêtent de place en place l’eau qui imprègne les alluvions, se prêtent à la vie des végétaux. Au Sahara, le désert est climatique ; c’est l’absence de toute végétation qui est la règle. La vie ne reparaît que sur des points isolés ; elle est rendue possible par des causes édaphiques, causes variables d’un point à un autre et s’opposant à toute description vraiment générale des types de végétation.

Le désert diffère profondément des deux autres types de formation végétale dues au climat : il est hostile à toute végétation. La sécheresse, comme d’ailleurs le froid, atténue les différences qui séparent d’ordinaire la forêt de la prairie : sous le climat du désert, le sol est occupé de loin en loin par des végétaux, herbacés ou ligneux, qui sont adaptés à des conditions aussi défavorables. La forêt et la prairie sont des formations « complètes » : le sol est partout productif ; il n’y a pas de vides ; de nouveaux éléments ne peuvent s’y introduire que difficilement ; beaucoup de graines peuvent germer, mais la plupart des jeunes plantes sont étouffées par leurs voisines. Le désert au contraire est une formation « inachevée » : il y a toujours des places libres entre les touffes espacées et beaucoup de plantes meurent sans être remplacées. Les graines qui tombent sur le sol ne germent pas, ou bien les jeunes plantes succombent sous l’inclémence du climat. La lutte pour l’existence est dirigée contre des forces physiques et non plus biologiques.

Comme la zone sahélienne, le Sahara paraît, au point de vue botanique, en négligeant les quelques plantes venues du nord ou du sud, très homogène depuis la mer Rouge jusqu’à l’Atlantique : les 155 plantes du Sahara touareg, que M. Battandier a récemment étudiées, se décomposent à ce point de la façon suivante : 36 espèces à peu près cosmopolites ; 89 nettement sahariennes, dont 70 sont connues des rives de l’Atlantique jusqu’à l’Égypte ou l’Arabie.

Cette flore est d’ailleurs très pauvre et il est douteux qu’il y ait 1000 espèces phanérogames sur toute la surface du désert : seule, la flore polaire (800 espèces) peut lui être comparée, encore convient-il d’ajouter que les mousses et les lichens, qui existent à peine au désert, prennent une importance énorme, comme nombre d’individus et comme nombre d’espèces, dans les toundras du Nord. Dès qu’on arrive à des régions plus normales, le nombre des espèces s’accroît considérablement : le domaine méditerranéen, dont l’étendue est moindre que celle du désert compte environ 7000 phanérogames ; il y en a 3000 en Algérie, dont près de 1500 se trouvent, dans un rayon de quelques kilomètres, autour de Constantine. En France (4500 espèces), il est peu de cantons, même dans les régions les plus homogènes, dont le catalogue n’énumère 7 à 800 espèces, à peu près autant que dans tout le Sahara.

Cette flore est d’ailleurs encore assez mal connue ; les ouvrages des botanistes français se réduisent à peu près, pour le Sahara proprement dit, à : Cosson, in Duveyrier, Les Touaregs du Nord, 1864, p. 148-216[112] ; — Battandier, Résultats botaniques de la mission Flamand, in Bull. Soc. Bot. de France, XLVII, 1900, p. 441 ; — Plantes du Hoggar, récoltées par M. le Prof. Chudeau en 1905, in Bull. Soc. Bot. de France, LIV, 1907, p. XIII-XXXIV ; — Bonnet, in Foureau, Documents scientifiques de la Mission Saharienne, 1905, I, pp. 401-413 (la plupart des plantes proviennent du Soudan) ; — Abbé Chevalier, Notes sur la flore du Sahara, in Bull. de l’herbier Boissier, II, 3, 1903, p. 669-684 et p. 756-779 ; — II, 5, 1905, p. 440-444 ; — Ascherson, in Rohlf, Kufra, 1881, p. 386-559, donne plusieurs listes de plantes recueillies au sud de la Tripolitaine. La liste bibliographique assez étendue qui se trouve p. 407-408 dans le même ouvrage, sera facile à compléter avec les indications de Schimper, Plant Geography upon a physiological basis, 1903, p. 649-650.

Malgré l’homogénéité de la flore saharienne, il semble que les arbres permettent, à première vue tout au moins, d’y distinguer trois régions. Le talah qui, d’ailleurs vers le sud, atteint la zone soudanaise, semble se rencontrer partout, de la Mauritanie à l’Arabie ; quoique plus fréquent dans le Sahara méridional, on le connaît cependant avec certitude dans le Sud tunisien. Les tamarix qui viennent du nord, traversent eux aussi tout le désert ; on les retrouve dans la région du Tchad ; ce n’est cependant que jusqu’à l’Ahaggar qu’ils sont fréquents, la région littorale mise à part, bien entendu.

La plupart des autres arbres ou arbustes sont plus étroitement localisés. Le betoum (Pistacia atlantica Desf.), arbre des plateaux algériens, se rencontre encore, entre Laghouat et le M’zab, dans la région des Daya ; il pénètre à peine dans le désert. Un peuplier à feuilles coriaces et persistantes, dernier représentant d’un groupe qui a été fort abondant dans le tertiaire européen, le Populus Euphratica Ol. se trouve encore en quelques points du domaine méditerranéen (bords de l’Euphrate, Palestine, Constantine, etc.) ; on le connaît jusqu’au Tadmaït.

Quelques genêts (Retama Retem Webb., par exemple) qui se rattachent à des formes de la flore de la Méditerranée, jouent un grand rôle dans le Sahara algérien ; on les trouve dans le Grand Erg et ils se continuent dans l’Iguidi ; plus au sud, ils disparaissent.

Ces quelques exemples suffisent à expliquer pourquoi les botanistes qui ont étudié le nord du désert ont été amenés à dire que, « au point de vue de la composition de sa flore[113], le Sahara est actuellement une dépendance de la Méditerranée[114] ».

Le teborak (Balanites Ægyptiaca Del.), l’irak (Salvadora persica L.), l’asabai (Leptadenia Spartum Wight) et quelques autres, tous communs dans la zone sahélienne, remontent plus ou moins haut vers le nord ; ils s’arrêtent presque tous au tassili des Azdjer ou au Tidikelt. Ils permettraient d’affirmer, si on ne considérait qu’eux seuls, que dans sa partie méridionale, le Sahara est une dépendance du Soudan. On est donc amené par la considération des plantes en quelque sorte étrangères au désert, des plantes immigrées, à distinguer dans le Sahara deux zones, l’une algérienne au nord, l’autre soudanaise au sud.

La ligne qui les sépare vers le 26° Lat. N. du Tidikelt, se relève un peu vers l’est, contrairement à ce que l’on observe pour les limites des zones méridionales. Cosson[115] avait déjà fait remarquer que le Cucifera thebaïca qui remonte jusqu’au 29° Lat., en Égypte n’est noté par Barth que jusqu’au 21° Lat. ; le Cassia obovata (le séné) atteint le 30° Lat. au Caire et seulement le 25° Lat. à R’ât ; dans le sud de l’Ahnet, 24°,30′ Lat., il est commun.

En plein centre du Sahara, l’Ahaggar doit à sa haute altitude de former une région probablement très distincte. Quelques plantes, comme le câprier (Capparis spinosa L.), le tataït (Deverra fallax Batt.), un arbre à port d’olivier, l’oléou, encore indéterminé, et quelques autres ne se rencontrent qu’au-dessus de 1000 mètres. Un sedra, voisin du petit jujubier d’Algérie, le Zizyphus Saharæ Batt., paraît confiné dans l’Ahaggar et l’Adr’ar’ des Ifor’as. Quelques rosettes de larges feuilles, rappelant les grandes sauges d’Algérie, indiquent que, au cœur de l’Ahaggar, il y a quelques ruisseaux permanents et des conditions climatiques plus voisines de celles du Tell.

Ces apparitions de plantes nouvelles ne sont pas le seul fait à noter ; l’asabai, le teborak, le korounka, l’irak, si abondants dans les contreforts de l’Ahaggar, deviennent rares ou disparaissent à une altitude plus élevée ; le froid probablement les arrête. Voinot mentionne expressément l’absence de pâturages à chameaux sur la Coudia, au voisinage d’Idélès, et l’aspect très particulier de la végétation.

D’après les renseignements de Duveyrier, et les recherches anatomiques de Tristam, Grisebach[116] a supposé que la Coudia portait deux ceintures de forêts dont la plus élevée serait une forêt de conifères. Il n’y a certainement pas de forêts sur l’Ahaggar ; il ne peut être question que de quelques bouquets d’arbres isolés comme dans le reste du désert : Motylinski est très affirmatif sur ce point et signale expressément la rareté des arbres, presque leur absence sur le haut plateau (cf. p. 30).

Les deux faits qui permettaient de croire à l’existence de conifères dans l’Ahaggar sont d’abord la présence affirmée à Duveyrier d’un arbre portant le nom d’arrar qui, en Algérie, s’applique à un thuya (Callitris articulata Desf.) et à un genévrier (Juniperus phœnicea L.), puis l’examen anatomique de quelques ustensiles en bois achetés à des Touaregs. Ces ustensiles étaient bien en bois de conifères ; il est impossible que Tristam se soit trompé sur ce point, mais la provenance exacte du bois est évidemment douteuse. L’absence des conifères en Afrique, la Barbarie et l’Abyssinie mises à part, donnerait à la confirmation de l’existence d’un genévrier sur la Coudia une grande importance.

Motylinski cependant ne mentionne rien de semblable et sa profonde connaissance du Sahara lui aurait bien probablement fait remarquer, s’il en avait vu, des formes végétales aussi tranchées.

Malgré le peu de précision de ces renseignements, on a l’impression très nette que l’Ahaggar s’écarte par un assez grand nombre de traits du reste du Sahara. Une exploration botanique sérieuse permettra seule de dire s’il doit être considéré comme une sous-région du désert, ou s’il doit former une province botanique plus autonome. Il suffit pour le moment d’attirer l’attention sur ce point.

Si nous revenons maintenant à l’ensemble du Sahara, je crois qu’il est impossible d’en faire une dépendance soit de la Méditerranée, soit du Soudan. A côté de quelques plantes émigrées, et qui se rattachent aux domaines voisins, il existe toute une série de formes absolument spéciales au désert, et qui manquent à l’Afrique mineure comme au Soudan. Un très grand nombre sont vivaces ; beaucoup ont un aspect sec et rigide très particulier ; d’autres ont les tiges et les feuilles épaisses et sont des plantes grasses.

Beaucoup d’espèces et même beaucoup de genres sont spéciaux au désert et tout indique pour cette flore, à cachet si particulier, une ancienneté très reculée. Même, pour Schirmer, son existence serait la meilleure preuve de l’antiquité du Sahara. Mais comme l’a fait observer M. Battandier[117], cela prouve tout simplement que depuis fort longtemps il existait en Afrique des pays où ces plantes spéciales pouvaient vivre : elles ont pu habiter antérieurement la zone des ergs morts (cf. chap. VI, fig. 69) et émigrer en même temps que le désert lui-même ; il ne semble plus possible de douter qu’au début du quaternaire le Sahara ait été un pays relativement humide, trop humide certainement pour que les plantes qui l’occupent actuellement, aient pu y vivre : la concurrence vitale les aurait eu vite éliminées.

Dans les trois subdivisions botaniques du Sahara que nous venons de chercher à définir, il reste à préciser quelles sont les stations habituelles des plantes et quel est l’aspect de la végétation du pays.

Pour le Sahara algérien, les observations précises de Massart donnent toutes les indications nécessaires. Un premier point est mis en évidence : aux confins de l’Algérie, « le désert n’est pas vide, il est seulement monotone. C’est son uniformité qui donne à la flore saharienne son caractère propre » (p. 227). Dans les dunes du Souf, en quatre jours de marche, 27 espèces différentes seulement ont pu être notées : les dunes sont une des parties riches du désert.

Les stations du Sahara algérien sont en relation immédiate avec la nature du sol ; les caractères édaphiques sont très nets. On peut distinguer trois types principaux : les terrains salés, les dunes et les hammadas.

Dans les chotts et les sebkhas, lorsque le sel est trop abondant, la végétation fait complètement défaut ; mais parfois, sur le sel, s’établissent des buttes de sable qui se couvrent de végétation : à la base, tout contre le sel, des salsolacées à feuilles charnues (Suæda, Halocnemum etc.) ; un peu plus haut, un arbuste tout couvert de sécrétions salines, le zeita (Limoniastrum Guyonianum Coss. et Dur.), que ses fleurs roses font reconnaître de loin, enfin tout au sommet de la butte, lorsqu’elle atteint quelques mètres, des tamarix.

Sur les sols argileux moins salés, domine le guétaf (Atriplex halimus L.), parfois l’harmel (Peganum harmala L.).

La localisation si précise de ces végétaux est déterminée par de bien faibles variations dans la salure et l’humidité du sol : chaque espèce reste strictement cantonnée dans sa zone. Lorsque les conditions de milieu ne varient pas, une seule espèce se développe : souvent au Sahara on marche quelques heures au milieu d’un pâturage, où une seule espèce de plante a pu pousser.

Dans le désert pierreux, sur les hammadas, qui, au Sahara algérien, sont calcaires, dominent de petits arbrisseaux à feuilles et à tiges velues. La végétation y est très clairsemée, très rabougrie ; son revêtement pileux lui donne la teinte grise des rochers sur lesquels elle pousse. A peu près seuls, le câprier (Capparis spinosa L.), d’ailleurs assez rare, et une ombellifère très commune au M’zab, le Deverra chlorantha Coss. et Dur., sont glabres ; la seconde est à peine verte ; quant au câprier, ses feuilles arrondies, de 4 à 5 centimètres de diamètre, le séparent nettement de presque toutes les plantes sahariennes dont les organes foliaires sont en général très réduits.

Les dunes sont les parties les plus riches du désert ; cette richesse est d’ailleurs toute relative et le botaniste n’y fait que de maigres récoltes. La plante peut-être la plus répandue dans l’erg est probablement le « drinn » (Aristida pungens P. B.) une graminée qui forme le fond de pâturages excellents. A part quelques différences dans l’inflorescence, le drinn rappelle assez bien l’oyat (Ammophila arenaria Rœm.) qui se trouve sur toutes les dunes maritimes de l’Europe, qu’il contribue à fixer : ces deux graminées poussent par touffes isolées, avec des feuilles assez serrées, raides et piquantes et d’un ton un peu glauque.

Les arbrisseaux sont représentés par des légumineuses dont les rameaux sans feuilles simulent le genêt d’Espagne ; l’une des plus répandues, le r’tem (Retama Retem Webb.) est couvert en mars et en avril de belles fleurs blanches ; l’alenda (Ephedra alata) et le harta (Calligonum comosum L’Her.), également dépourvus de feuilles, sont fréquents aussi dans l’erg.

Dans le Sahara arabe, où dominent les ergs presque toujours couverts de pâturages, il est rare que la végétation fasse longtemps défaut ; il n’y a pas, à proprement parler, de tanezrouft.

Au contraire, d’une manière générale, au Sahara touareg, de même que dans le nord de l’Adr’ar’ des Ifor’as et de l’Aïr, la végétation, quand elle existe, est limitée aux oueds. Dans la pénéplaine cristalline, comme dans le Tiniri, cette limitation est stricte : quelques touffes d’arbrisseaux desséchés suffisent presque à prouver un thalweg ; dans l’Ahaggar, lorsque l’on examine d’un point élevé une région étendue, le réseau hydrographique est nettement dessiné par la végétation qui y est moins clairsemée que sur les collines voisines ; dans les petits oueds, dominent des stipées dont les panaches murs simulent un ruban de soie blanche ; dans les oueds plus larges, la végétation plus variée donne des tons le plus souvent d’un vert glauque, avec quelques taches vert franc.

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