Missions au Sahara, tome 2 : $b Sahara soudanais
Fig. 70. — Ergs morts.
1, Transformation de la section d’une dune. — 2, 3, Dunes à Boguent (Mauritanie) ; 2, A l’ouest, dune actuelle, vivante ; à l’est, dune morte (environ 500 mètres d’une pointe à l’autre du croissant) ; 3, Section des deux dunes suivant αβ. La crête de la dune est à 15 mètres au-dessus de la plaine. 4. La dune de Nouakchott (Mauritanie). — Les hachures indiquent les dunes fossiles.
Les ergs morts du Soudan ont une importance moins considérable que les ergs vivants du Sahara. La surface qu’ils occupent paraît un peu plus restreinte et surtout les dunes sont moins hautes ; la plupart d’entre elles ont à peine 3 ou 5 mètres ; beaucoup sont encore plus basses et n’excèdent pas quelques décimètres. L’une des plus élevées, celle de Nouakchott, n’a pas 15 mètres ; l’on aurait vite épuisé la liste des dunes du Soudan qui atteignent une semblable altitude. La dune de Tassr qui, de très loin, sert de signal, n’a pas 20 mètres ; elle se détache nettement sur tout l’erg environnant. Il est bien clair qu’il faut faire la part de l’érosion dans ce faible relief ; toutes les dunes du Soudan ont été évidemment plus hautes, peut-être du double, mais elles n’ont certes jamais atteint à la hauteur de celles du Sahara. Il semble qu’il y ait, de ce fait, une explication assez simple : les dunes continentales proviennent d’un remaniement, opéré presque sur place, des alluvions fluviales. Les grands ergs du Sahara correspondent aux bassins de fleuves puissants, l’Igharghar et la Saoura, qui n’ont pas d’équivalents dans le nord du Soudan, où, à part les dallols, les vallées quaternaires sont à peine indiquées. On sait quel rôle jouent au Sahara les regs, c’est-à-dire les sols alluvionnaires dépouillés par le vent de leurs matériaux les plus légers, le limon et le sable : dans le tanezrouft d’In Zize [cf. t. I, p. 4], le reg est particulièrement typique et l’évolution semble complète. A l’est de l’Ahaggar, le désert paraît plus jeune et le reg est moins dépouillé d’argile : au sud du tassili de l’oued Tagrira, on marche pendant quelques heures dans une vaste plaine d’alluvion dont la surface est couverte de graviers ; parfois même des traînées de galets, légèrement en relief, indiquent les places où les courants étaient rapides ; c’est en petit ce que l’on peut voir au nord de l’Ahnet où des levées de galets, en saillie parfois de près de 1 mètre, indiquent la place des cours d’eau qui traversaient le marais dont la sebkha Mekhergan est le dernier avatar. Mais dans l’oued Tagrira, comme dans l’oued El R’essour, sous la couche de graviers épaisse à peine de 1 à 2 centimètres, on trouve de suite le sable argileux qui, dans l’ouest, n’apparaît qu’à une dizaine de centimètres de profondeur. Nulle part, comme dans le Sahara d’In Zize, les alluvions n’ont été raclées à fond, laissant voir à nu le sous-sol géologique. Il est difficile de ne pas rapprocher de cette évolution incomplète du reg, l’absence ou du moins l’insignifiance des dunes dans le bassin de Taffassasset : entre l’Ahaggar et l’Aïr, il n’y a aucun erg important.
Dans la zone des ergs morts, les regs font à peu près complètement défaut : à l’ouest de Moa (100 kilomètres au nord-est de Zinder), on suit pendant quelques kilomètres une traînée de graviers, large d’une cinquantaine de mètres ; au nord de la mare de Tarka (à l’ouest du Damergou), quelques galets de latérite jalonnent peut-être un ancien cours d’eau. Au sud de l’Adr’ar’, dans la vallée du Télemsi, auprès de l’oued Idachi, quelques graviers de quartz et de quartzites indiquent un reg que recouvrent souvent les alluvions actuelles.
Ainsi donc le contraste est profond entre le Sahara et sa bordure soudanaise : le réseau hydrographique du nord bien tracé, mais fossile, n’a pas son équivalent dans le sud : les alluvions ont fait défaut dans presque toute la région des ergs morts ; malgré la sécheresse, le vent ne trouvait nulle part les matériaux qui lui sont nécessaires pour construire une dune : le sable libre était trop rare pour que les ergs puissent acquérir l’ampleur qu’on leur connaît dans le Sahara algérien.
On a souvent constaté que les dunes étaient de bons enregistreurs météorologiques ; elles indiquent nettement la direction du vent dominant dans le pays où elle se sont formées ; mais cet enregistrement n’est valable que pour l’époque où elles ont pris naissance : les dunes de Mauritanie le montrent fort nettement.
L’étude des ergs fossiles ne peut nous donner aucun renseignement sur le régime actuel des vents au Soudan, mais bien sur le régime qui régnait lorsque ce pays était un désert ; elle nous apprend qu’autrefois, comme de nos jours, les vents dominants venaient de l’est et du nord-est ; elle nous montre que le Tchad était un centre de haute pression et que, dans l’Azaouad, les vents venaient du sud. Les renseignements précis sont encore trop clairsemés pour que l’on puisse pousser bien loin l’examen de cette météorologie fossile.
Âge des ergs morts. — L’âge de ces ergs morts est impossible à fixer avec précision et sans doute n’est-il pas unique.
Dans la région de Tombouctou, les dunes fossiles recouvrent les couches quaternaires à marginelles ; comme il était probable, elles ne sont pas très anciennes ; j’ai indiqué que, sur le littoral de Mauritanie, ces dunes fossiles tracent les étapes successives du recul de la mer ; elles ne sont pas contemporaines les unes des autres ; les plus anciennes sont voisines du Tegant, les plus jeunes de l’Atlantique.
Les tombeaux berbères ne sont rares ni dans la région de Gao ni dans celle de Tahoua ; ils ne sont jamais ensablés et plusieurs d’entre eux sont bâtis au sommet de dunes fixées.
Les dunes fossiles sont plus jeunes que le Quaternaire marin de Tombouctou ; elles sont plus anciennes que les tombeaux berbères. Ces limites sont évidemment assez vagues, mais il importerait surtout d’être fixé de manière précise sur les relations chronologiques qui existent entre les oueds du Sahara et les ergs du Soudan : a priori en effet deux hypothèses se présentent : la période de vie des fleuves du tanezrouft est antérieure à l’établissement du désert au Soudan ou contemporaine de ce désert. Il serait probablement absurde de penser qu’elle a pu être postérieure.
Dans le premier cas, il faudrait admettre qu’après une période quaternaire humide, tout le nord de l’Afrique s’est desséché[175] et que le désert beaucoup plus étendu jadis que maintenant a perdu vers le sud tout le domaine des ergs morts : le Soudan aurait largement gagné sur le Sahara.
Dans la seconde hypothèse, nous aurions eu une simple migration du désert : au sud de la région qu’irriguaient l’Igharghar et la Saoura, région largement habitée dans les vallées par les néolithiques, s’étendait une zone sèche, le Sahara de l’époque.
Un fait important semble indiquer que cette seconde hypothèse est la vraie : un des caractères principaux des pays que couvrent les ergs morts est le caractère provisoire et inachevé de leur réseau hydrographique. Dans le Tegama, les vallées ne sont que des chapelets de mares ; entre Gouré et le Tchad on ne connaît que des dépressions fermées ; dans le bassin de Tombouctou, le Niger n’a pas de berges, et son lit est à peine marqué.
Seuls les dallols de la région de Tahoua sont des vallées bien dessinées et qui, par leur ampleur, témoignent de l’importance des fleuves qui les ont creusées. J’ai indiqué dans un chapitre antérieur (ch. V, I) que ces fleuves disparus de l’hydrographie actuelle ne pouvaient venir que du Nord : les dallols sont les vallées anciennes du Taffassasset et de quelques-uns de ses affluents, c’est-à-dire de fleuves descendus de l’Aïr, de l’Adr’ar’ des Ifor’as, et surtout de l’Ahaggar et de ses contreforts, tout comme l’Igharghar, le Tamanr’asset et l’oued Botha. Cette communauté d’origine permet de croire que tous ces fleuves ont vécu à la même époque : les dallols seraient contemporains des vallées sahariennes.
Les principales vallées que l’on connaisse vers le 15° de Lat. N. ont été creusées par des fleuves venus du nord, et à l’époque où le Sahara était vivant ; partout ailleurs l’érosion n’a pu qu’amorcer son œuvre : le temps lui a manqué pour raccorder les différents tronçons des vallées.
Il n’y aurait donc pas eu changement notable dans les dimensions du désert, mais une simple migration : à un certain moment, encore indéterminé, du Quaternaire, le Sahara aurait été plus méridional que maintenant.
Quelle que soit d’ailleurs l’hypothèse admise, plus grande extension du Sahara ou migration du désert, le changement de climat est indéniable et il resterait à en chercher les causes.
Des modifications importantes du régime météorologique sont connues dès longtemps en Europe et dans l’Amérique du Nord ; les diverses périodes glaciaires en sont une des plus manifestes et l’on a souvent cherché à les expliquer par des causes astronomiques : la précession des équinoxes, les variations de l’excentricité de l’orbite terrestre ont été à maintes reprises invoquées. Il n’est pas niable que ces causes puissent avoir un effet sur le climat de la terre, mais des causes plus voisines, des modifications dans la distribution des mers et des continents interviennent d’une manière plus efficace dans la constitution des climats : en janvier, la température moyenne des îles Feroë dépasse de plus de 40° celle d’Iakoutsk, situé à la même latitude.
Il ne faut pas remonter bien loin dans l’histoire de la terre, pour rencontrer une cartographie bien différente de celle que nous connaissons actuellement : les effondrements qui ont donné naissance à la mer Rouge, à la Méditerranée, à l’Atlantique nord sont d’hier et l’homme a peut-être assisté à quelques-uns de ces phénomènes, comme semblent l’indiquer certaines légendes, dont l’Atlantide est la plus connue.
Au sud du Sahara, nous avons des preuves que dans la région de Tombouctou, la mer existait encore à une époque récente pendant le Quaternaire ; un lac qui lui a succédé, a dû subsister assez longtemps dans la région de Taoudenni ; la présence d’une grande nappe d’eau, dans ce qui est aujourd’hui un des tanezrouft les plus terribles du désert, modifiait certainement le régime des vents. Les lacs que les géologues d’Égypte signalent dans le Quaternaire ancien du désert de Libye, avaient un effet analogue.
Nous avons donc, à portée de la main, toute une série de changements géographiques qui nous donneront la clef des modifications survenues dans le climat de l’Afrique du Nord ; il serait prématuré de chercher à préciser ; la chronologie du Pleistocène et du Quaternaire est à peine établie en Europe ; elle n’existe pas pour l’Afrique. On ne pourrait que bâtir des hypothèses, jeu dangereux et sans portée, lorsqu’elles ne reposent pas sur des faits indiscutables.
Quelle que soit d’ailleurs l’hypothèse qui prévaudra pour justifier ces changements de climat, il semble établi qu’il n’y a pas aggravation continue des conditions météorologiques du Soudan ; il y a eu, au contraire, depuis le Pleistocène, une amélioration considérable puisque, au désert, s’est substituée une zone demi-fertile, la brousse à mimosées où l’élevage est partout possible.
Les phénomènes de dessèchement que l’on observe localement à la limite nord des pluies tropicales, dans la zone sahélienne, tiennent sans doute à des oscillations à courte période, comme on en connaît partout ; elles ne prouvent pas une péjoration générale du climat. Les études précises sont encore trop jeunes au Soudan, pour confirmer pleinement les traditions indigènes, mais l’accord de ces traditions avec la loi de Brückner, loi basée sur l’observation, leur donne du poids et ne permet pas de les rejeter sans une discussion sérieuse, appuyée sur de nombreuses années d’observations.
[171]Rens. Col. Bull. Comité Afr. fr., mai 1907, p. 122.
[172]Lahache (Bull. Soc. Géogr. et d’études coloniales de Marseille, XXXI, 1907, p. 147-185) a donné un bon résumé critique des travaux parus sur le desséchement de l’Afrique française.
[173]C’est ce que Parran a proposé d’appeler des dunes de coteau. Bull. Soc. Géol. Fr. [3], XVIII, 1890, p. 245.
[174]Rens. Col. Bull. Com. Afr. Fr., XVIII., oct. 1907.
[175]L’hypothèse, souvent émise, d’un dessèchement général de la terre, paraît bien discutable.
CHAPITRE VII
QUELQUES QUESTIONS TECHNIQUES
I. Roches. — Roches anciennes. — Roches éruptives récentes (In Zize ; — Ahaggar. — Air ; — Mounio ; — Zinder ; — Melfi ; — Fita). — Provinces pétrographiques à roches alcalines.
II. Latérites. — Latérites. — Grès ferrugineux. — Produits de décalcification.
III. Salines. — Taoudenni. — Bilma. — Les Teguiddas. — Terre d’Ara. — Manga. — Folé.
IV. Les agents désertiques. — Érosion éolienne. — Insolation.
I. — ROCHES[176]
Roches anciennes. — Les roches éruptives, abondent dans tous les terrains cristallins ; elles appartiennent principalement aux deux séries des roches granitiques et des gabbros.
Un granite porphyroïde dont les grands cristaux sont souvent des microclines a été signalé un peu partout, au Sahara, comme au Dahomey ; des pegmatites à pâte rose ou rouge sont abondantes, dans l’Adr’ar’ des Ifor’as, comme dans l’Ahaggar ou l’Aïr.
Des roches de couleur plus foncée, diabases et gabbros, sont également très répandues. De même que les granites, elles sont accompagnées de types porphyriques.
Toutes celles de ces roches qui jusqu’à présent ont été étudiées, sont très semblables à celles que l’on rencontre en Europe dans les formations de même âge (Archéen et Silurien surtout au Sahara), et sont de type banal.
Il y a lieu de noter toutefois que, jusqu’à présent, les filons ou les gîtes métallifères qui, ailleurs, accompagnent fréquemment les roches éruptives paraissent manquer dans une bonne partie de nos possessions africaines. Les minerais de cuivre et de plomb sont faciles à reconnaître et l’on s’explique mal que, si ces métaux existaient au Sahara, les indigènes n’aient su ni les découvrir ni les utiliser. La chose serait d’autant plus invraisemblable que dans la chaîne d’Ougarta [cf. t. I, p. 182] aussi bien que plus au sud, au Congo et dans l’Ouadaï par exemple, le cuivre a été ou est encore exploité par les indigènes. Presque partout d’ailleurs, le fer, dont les minerais attirent moins l’attention et dont la métallurgie est plus difficile, est connu des nègres, et dans tout le Sahara, il existe au milieu des nomades quelques familles de forgerons ; tout le cuivre qu’ils emploient, dans l’Aïr, comme dans l’Ahaggar, provient d’Europe.
Il est donc vraisemblable que cette rareté des filons est réelle et qu’elle ne tient pas aux lacunes de nos connaissances sur le pays.
Parmi les roches anciennes, deux encore méritent une courte mention. On a souvent insisté sur la grande rareté des calcaires en Afrique : le plus souvent, pour préparer de la chaux, on a recours à des coquilles de mollusques, les Ætheria qui, dans tous les cours d’eau de l’Afrique intertropicale, forment des bancs importants. Dans certaines parties du Sahara tout au moins, les calcaires cipolins sont fréquents dans le Silurien ; il y en a de belles lentilles au pied de l’Adr’ar’ Ahnet, dans l’Ahaggar, près de Tamanr’asset et surtout dans l’Adr’ar’ des Ifor’as, notamment au Nord d’In Ouzel et dans l’Adrar Tidjem ; j’en ai vu quelques galets dans l’Aïr. Foureau a noté plusieurs fois des cipolins [Doc. Scientifiques, p. 740 et sv.] et l’itinéraire de Barth porte, en quelques points, la mention de marbre.
La serpentine est, elle aussi, assez répandue et donne lieu à de petites exploitations : les beaux morceaux servent à faire les bracelets de bras (abedj) que portent les Touaregs et un grand nombre de noirs. La carrière que Voinot a vue, est au nord-ouest du reg d’Amadr’or, dans les gours de Tin’Aloulagh ; elle consiste en de petites excavations de 1 mètre carré tout au plus et profondes d’une trentaine de centimètres. La roche est extraite avec une simple pioche ou tout simplement avec le fer de la lance. D’autres exploitations existent dans l’oued Aceksen (affluent de la rive gauche de l’Igharghar), dans l’oued Tin Belenbila, entre le Mouidir et l’Ahaggar, et dans l’Adr’ar’ des Ifor’as. Le capitaine Posth en a trouvé dans l’Aïr à Gofat, près d’Agadez et les carrières de Hombori sont célèbres dans la boucle du Niger.
L’âge des roches éruptives anciennes est difficile à fixer d’une manière précise. Dans tout le Sahara central, elles semblent antérieures au Dévonien ; les grès que constituent les tassilis du nord, comme ceux du sud, ne sont coupés par aucun filon ; il n’y existe même pas de filonnets de quartz. Les régions où le Silurien paraît le plus jeune, l’Adr’ar’ Ahnet, le Bled El Mass, sont au contraire lardées de filons éruptifs. N’oublions pas toutefois que, sur les couches à graptolithes, les seules qui soient nettement datées, tout renseignement stratigraphique fait défaut.
Vers l’ouest, dans la région de Taoudenni, le Carbonifère est horizontal ; Mussel n’y signale pas de roches éruptives. Dereims n’en a pas vu non plus dans le plateau dévonien de l’Adr’ar’ Tmarr.
Vers le nord, dans le Touat, à Tazoult, une roche ophitique traverse le Carbonifère ; le Dévonien de la chaîne d’Ougarta est riche en filons de quartz et a été parfois minéralisé. Mais nous sommes ici dans la zone hercynienne et l’âge plus jeune des roches éruptives est d’accord avec l’âge plus jeune des plissements.
Au sud du Sahara la question devient bien douteuse : E.-F. Gautier a vu, dans les grès qui surmontent le Silurien à Tosaye, de nombreux filons de quartz ; j’en ai noté aussi dans les schistes interstratifiés de grès qui forment les rapides de Labezzanga. Ces grès et ces schistes, plongeant parfois de 45°, reposent en discordance sur le Silurien. Mais l’âge des roches de Tosaye, comme de celles de Labezzanga, n’est prouvé par rien et ce n’est que très provisoirement qu’on peut les rattacher au Dévonien. Plus au sud encore, ni dans les grès de Gourma, ni dans ceux de Hombori, d’âge indéterminé, peut-être dévonien, on n’a signalé de roches éruptives.
Roches éruptives récentes. — Les roches éruptives récentes présentent un intérêt plus considérable ; leur existence au Sahara est connue depuis longtemps ; Barth avait signalé des volcans et des laves dans l’Aïr, surtout dans sa partie méridionale ; von Bary et Foureau ont confirmé ces indications.
Duveyrier avait ramassé quelques échantillons de basaltes, et les renseignements qu’il avait recueillis lui faisaient croire à l’existence de volcans dans l’Ahaggar. La mission Flatters, celles de Foureau, le raid de Guilho-Lohan ont apporté de nombreuses confirmations à l’hypothèse de Duveyrier.
Il est possible de présenter, dès maintenant, un tableau des principaux centres éruptifs du Sahara et de donner quelques détails sur quelques laves intéressantes.
| R. Chudeau. — Sahara Soudanais. | Pl. XXXV. |
Cliché Laperrine
67. — IN ZIZE.
Le ravin qui conduit au point d’eau.
Cliché Laperrine
68. — IN ZIZE.
L’aguelman, creusé dans une coulée de rhyolite.
In Zize. — Un premier volcan, assez isolé, se trouve entre l’Ahnet et Timissao, au milieu du tanezrouft. Ce massif d’In Zize (In Zizaou-In Hihaou) est assez considérable ; il n’en reste qu’un cratère ébréché en fer à cheval dont Tihimati est la branche orientale, In Zize la branche occidentale ; au fond du fer à cheval on aperçoit un erg.
Malgré tout ce qui a été enlevé par érosion, ce qui reste du volcan a encore 35 kilomètres de diamètre ; peut-être davantage s’il y faut joindre l’Adr’ar’ Nahlet.
Ce pâté montagneux a été autrefois un centre habité, comme en témoignent de nombreux tombeaux ; parfois encore les oueds qui en descendent se couvrent de verdure et les tentes de l’Ahnet ont pu y passer l’hiver 1905-1906. Mais en général il est impossible d’y séjourner avec un troupeau, et ce n’est pas ce pâturage accidentel qui a rendu In Zize célèbre au Sahara.
L’altitude d’In Zize est assez considérable (800 m.) et il domine la pénéplaine voisine d’environ 300 mètres. Ce relief suffit pour y attirer quelques orages qui alimentent un point d’eau très constant, en même temps qu’il permet de reconnaître de loin la route : il est impossible, même à un mauvais guide, de manquer l’aguelman d’In Zize, qui se trouve sur la route la plus suivie de l’Ahnet, c’est-à-dire du Touat et du Tidikelt, à l’Adr’ar’ des Ifor’as.
Le caractère volcanique d’In Zize n’est pas douteux ; au nord du fer à cheval, la piste coupe une série de dykes verticaux convergents ; nous avons dû, malheureusement, passer très vite en ce point ; nos provisions d’eau, un peu courtes, ne nous permettaient aucun arrêt.
Quand on s’approche d’In Zize et qu’on double la pointe nord de ce massif, on a, de loin, l’impression d’une série de roches stratifiées plongeant vers l’ouest ; cette apparence est due aux coulées de rhyolithe, de couleur brun chocolat, dont la superposition forme la masse principale du volcan. Ces laves sont encore souvent recouvertes d’une gaine de scories qui prouvent qu’elles ont coulé ; elles affectent souvent la forme de colonnes prismatiques. Au microscope la roche est une rhyolite typique à grands cristaux de quartz et d’orthose ; la pâte contient du quartz globulaire avec amandes à larges sphérolites de feldspaths, passant parfois à la micropegmatite. M. Lacroix, avec sa complaisance habituelle, a bien voulu examiner les préparations de la roche d’In Zize, comme d’ailleurs toutes celles que j’ai fait faire de mes roches sahariennes ; on ne peut songer à une erreur de diagnostic.
Le caractère de la roche confirme donc pleinement l’impression que donne l’aspect d’In Zize, dont Villate avait déjà affirmé le caractère volcanique. Je n’insisterais pas sur ce point s’il n’avait été contesté par Flamand ; bien que le savant pétrographe d’Alger n’ait pas vu In Zize, un désaccord aussi formel est de nature à alarmer. Flamand a été très frappé de l’absence de cendres et de cinérites, dans les nombreux échantillons rapportés d’In Zize. Une pareille lacune serait grave partout ailleurs qu’au Sahara ; elle est ici facilement explicable. On n’a jamais vu de près que l’aguelman et ses abords immédiats : cet aguelman est dans le lit d’un torrent à pente rapide : il n’y a sur le sol que de gros galets de roches dures ; on ne peut espérer trouver de blocs de cinérites dans un semblable milieu où ils seraient de suite pulvérisés (Pl. XXXVII, phot. 71, 72). Sur les flancs du ravin, on voit souvent deux coulées superposées, parfois séparées par des fentes de quelques mètres de long, et béantes de quelques centimètres dans leur partie la plus large : souvent, à l’Etna ou au Vésuve par exemple, il existe, entre deux coulées, des amas de cendres dont la forme rappelle singulièrement celle des fentes d’In Zize. La place de ces cavités et leur forme montrent qu’elles n’ont pas pu être creusées par l’eau ; elles ne paraissent guère explicables que comme dernière trace de couches de cendres dispersées depuis longtemps par le vent du désert ; ceci est d’accord avec les caractères généraux du tanezrouft, que le décapage éolien a privé depuis longtemps de ses éléments les plus mobiles. Les cendres, qui se trouvaient entre les coulées, ont eu le même sort que les argiles dans les alluvions ; le volcan d’In Zize a subi la même évolution qui, tout à côté, donnait naissance aux regs.
L’âge du volcan d’In Zize est difficile à fixer ; les seuls indices que l’on puisse invoquer sont tirés de l’état de l’érosion. In Zize repose sur un socle archéen que l’on voit nettement au nord de Tihimati et, au sud-ouest du volcan, à Foum Ilallen. En ce dernier point, à 500 mètres du volcan, quelques mamelons granitiques, hauts d’une quinzaine de mètres, portent à leurs sommets des coulées de rhyolite ; le ravin qui conduit à l’aguelman a creusé son lit dans les laves ; on voit par place, sur 40 ou 50 mètres de haut, les coulées superposées tranchées par l’érosion.
On ne peut évidemment pas conclure, en l’absence de données paléontologiques, mais il semble probable que le volcan d’In Zize date de la fin du Pliocène ou du début du Quaternaire : il est trop bien conservé dans son ensemble pour être très vieux et, dans le détail, il est trop érodé pour ne pas avoir subi l’action du ruissellement à l’époque où il pleuvait au Sahara et où les grands oueds, morts aujourd’hui, creusaient leurs lits.
On a la preuve que, plus au nord, la faille du Touat a rejoué récemment ; toutes les rivières de l’Ahnet présentent des phénomènes de capture et des traces de remaniements profonds que confirme l’état jeune du relief. Il est difficile de ne pas établir un rapprochement entre ces accidents tectoniques et le volcan d’In Zize, qui se rattachent en somme à la même cause.
Ahaggar. — Dans l’Ahaggar les volcans sont nombreux et la période d’activité a duré longtemps.
Entre Silet et Abalessa, la route coupe le cratère encore assez bien conservé de l’Adrar Ouan R’elachem ; on met une heure et demie à le traverser ; les débris du cône forment une série de monticules, disposés en cercle, et dont les plus hauts atteignent 200 mètres ; au centre de ce cercle, la place de la cheminée est encore indiquée par du basalte en boules grosses comme la tête. L’activité de ce volcan n’a cessé qu’à une époque récente ; une coulée en descend le long de l’oued Ir’ir’i et s’arrête à environ 300 mètres au nord des ruines de la kasbah de Silet ; elle a été à peine entamée par l’érosion. La lave est un basalte à péridot.
Dans l’Edjéré, Roche[177] avait signalé des coulées de basalte aussi jeunes. Les recherches récentes de Voinot ont confirmé ces indications ; et Flamand a reconnu, parmi les échantillons rapportés, un basalte à péridot et une limburgite.
A Tit’, la vallée de l’oued est limitée au nord par un étroit plateau (400 à 500 m. de large) couvert d’une coulée de basalte que l’on peut suivre pendant une quinzaine de kilomètres, dominant la rivière de 20 mètres. Sa pente m’a paru être vers l’est. Sur les flancs du plateau on voit, par places, les débris d’une autre coulée certainement plus jeune.
L’oued Tit’ traverse ce plateau à 7 ou 8 kilomètres en amont du village ; plusieurs de ses affluents le coupent également.
Au voisinage du confluent des oueds Outoul et Adjennar, les coulées sont nombreuses, mais insignifiantes ; elles sont à peine à quelques mètres au-dessus des vallées ; elles paraissent converger vers un petit mamelon qui pourrait bien être un cratère.
Autour de Tamanr’asset, les phénomènes volcaniques ont laissé des traces nombreuses et importantes. L’Adr’ar’ Haggar’en (la Montagne Rouge), dont le point culminant, le Tin Hamor, a une altitude voisine de 1800 mètres, est bien vraisemblablement le reste d’un volcan fortement démantelé dont il ne subsiste plus que les parties profondes, consolidées par de nombreux dykes verticaux (fig. 71). Une roche porphyrique rose forme la masse principale de la montagne. Tout autour, de puissantes coulées de laves couronnent les hauteurs, mais il n’en reste que des lambeaux formant le plus souvent des gours isolés (Har’en (le pilon), Tindi (le mortier), Télaouas) ; le lambeau le plus étendu forme le plateau d’Hadrian, qu’entaille la brèche d’Elias, œuvre de quelque Roland berbère (fig. 19, p. 43). Ce volcan est ancien : les coulées d’Hadrian superposées sur une grande épaisseur, atteignent souvent 30 mètres de puissance et dépassent parfois 70 mètres, au nord de la brèche d’Elias par exemple ; leurs parties les plus basses sont à environ 120 mètres au-dessus des vallées. Ces coulées reposent souvent sur des cinérites qui permettront sans doute de fixer leur âge. — A 20 kilomètres au sud de l’Hadrian, l’Adjellella (fig. 72) est un plateau de même type qui montre la grande étendue de la nappe de laves : en tous cas, la roche est la même, une rhyolithe ægyrinique de couleur grisâtre.
Fig. 71. — Le Tin Hamor et le Telaouas (Ahaggar). — De Tamanr’asset (cf. fig. 19).
A dix kilomètres au nord-ouest de Tamanr’asset, une coulée basaltique moins puissante, 5 à 6 mètres seulement, forme le plateau de Tideri, élevé de 150 mètres au-dessus de la vallée.
Fig. 72. — Coulée de rhyolithe ægyrinique, formant le plateau de l’Adjellela. Ahaggar.
Probablement la même coulée qu’au plateau d’Hadrian (fig. 19) et au Telaouas, à 25 kilomètres au nord.
A quelques kilomètres au sud de Tamanr’asset, sur le piste qui conduit à l’Adjellela, quelques petits oueds, affluents de l’Ezerzi, ont une vallée assez encaissée ; on voit cependant par places des débris d’alluvions quaternaires qui, à partir du lit du ruisseau, donnent la coupe suivante (de bas en haut) :
1o Graviers et cailloux, 1 m. 60.
2o Tufs volcaniques, 1 mètre.
3o Éboulis des pentes.
La période d’activité volcanique a persisté longtemps autour de l’Haggar’en ; elle n’a cessé qu’assez récemment et il n’est peut-être pas déraisonnable de placer son début au Miocène.
Tous les itinéraires autour de l’Ahaggar mentionnent de nombreuses coulées de laves ; sur la Coudia, Guilho-Lohan et Motylinski en signalent à plusieurs reprises. Enfin beaucoup plus à l’est, Foureau a recueilli des téphrites et des limburgites provenant vraisemblablement du Télout[178] (cf. Esquisse géologique).
Fig. 73. — Montagne d’Aoudéras. Aïr.
Cinérites et coulées basaltiques. — Aoudéras est à la cote 800 mètres, le sommet de la montagne à la cote 1400.
Aïr. — On a déjà insisté sur le caractère volcanique des principaux massifs de l’Aïr, dont beaucoup sont des dômes[179]. Comme dans l’Ahaggar, la période active a persisté longtemps : quelques coulées ont été à peine entamées par l’érosion ; dans l’oued Tidek, au voisinage de l’Ohrsane, les laves sont au niveau des vallées ; dans la plaine de Tar’it, au nord d’Aoudéras, les coulées de basalte très étendues et provenant sans doute du Doghen, sont récentes : le petit r’edir d’Akara, creusé dans des granulites roses, est bordé à l’ouest par des basaltes épais de 4 mètres dont la base est au niveau de l’eau. Cette impression de jeunesse est confirmée par l’existence à Tafadek (60 kilomètres au sud-ouest d’Aoudéras) d’une source chaude dont la température atteint, d’après le capitaine Posth, 48°.
D’autres coulés sont certainement beaucoup plus anciennes ; à une douzaine de kilomètres au nord-ouest d’Iférouane, l’oued Kadamellet traverse, par un défilé étroit, un plateau de gneiss et de micaschistes, dont la table est formée d’un basalte doléritique, à structure ophitique. La coulée, épaisse d’une dizaine de mètres, a sa base à 50 mètres au-dessus de l’oued.
Il est difficile de préciser le début de ces éruptions ; nous avons cependant pour l’Aïr quelques éléments d’informations qui jusqu’à présent font défaut dans l’Ahaggar. Le lieutenant Jean a remis au laboratoire de géologie de la Sorbonne quelques échantillons de calcaires provenant de Tafadek et d’un point situé un peu au nord, Tamalarkat. L’âge de ces calcaires n’est pas douteux ; outre quelques moules de mollusques, ils contiennent de nombreux échantillons d’Operculina canalifera d’Archiac, de l’Éocène moyen. Les renseignements stratigraphiques font défaut ; Jean [l. c., p. 141] signale seulement à Tafadek des calcaires, des ardoises et des pierres ponces ; mais l’examen de plusieurs plaques minces taillées dans les échantillons fossilifères n’y montre qu’un calcaire très franc, sans aucun élément attribuable aux volcans voisins. Les grès, les calcaires et les meulières lacustres d’Assaouas et de Teguidda n’Adr’ar’, situés à plus de 100 kilomètres au sud-ouest d’Aoudéras, renferment de nombreux minéraux éruptifs, surtout des feldspaths. Les échantillons ne contiennent malheureusement que des traces de fossiles indéterminables, qui ne permettent pas de fixer leur âge (p. 76).
Fig. 74. — Adr’ar’ Ohrsane (Nord de l’Aïr). Pris de l’oued Tidek.
L’Ohrsane est une muraille de syénite.
Tout incomplètes qu’elles soient, ces données prouvent cependant que les volcans d’Aïr sont postérieurs à l’Éocène, comme leur examen direct permettait d’ailleurs de le prévoir.
D’autres roches d’épanchement ont été signalées dans des régions voisines : Nachtigal mentionne expressément des volcans dans le Tibesti et les détails qu’il donne (sources thermales, etc.), montrent que certains de ces volcans au moins sont récents. Sur la route de N’Guigmi à Bilma, Ayasse a recueilli, près de Béduaram et près d’Agadem, des basaltes[180] dont quelques-uns au moins sont assez anciens pour que leurs vacuoles aient pu se tapisser de minéraux secondaires (calcédoine).
Au sud du Tchad, les cinq pitons rocheux de Hadjar El Hamis (déformation par les noirs d’El Khémès) sont formés d’une rhyolithe alcaline verdâtre étudiée par Lacoin et Gentil et dont Courtet a pu rapporter de nouveaux échantillons. On trouvera dans Chevalier [L’Afrique Centrale française, p. 409] un croquis du piton principal, haut de 80 mètres environ.
Des rhyolithes à ægyrine, sont connues sur le Mayo Kæbbi, au pied des chutes Gauthiot, non loin du Toubouri[181].
J’ai donné peu de détails pétrographiques sur les roches volcaniques ; ils sont en général de petit intérêt géographique, et la plupart des laves donnent naissance à des formes topographiques analogues. Toutes, pendant leur refroidissement, se sont plus ou moins fendues ; ces fissures de retrait les ont débitées en blocs arrondis ou en dalles ; plus rarement, elles y ont découpé des colonnades prismatiques. Grâce à ces fentes, les coulées ont acquis une perméabilité marquée qui en a fait souvent des réservoirs d’eau importants ; ce fait, observable partout, prend une importance spéciale au Sahara.
Certaines roches, cependant, par leurs caractères particuliers méritent une courte mention. Leur composition chimique se singularise par une grande pauvreté en chaux et en magnésie et une certaine abondance en métaux alcalins (potasse et soude). Quelques minéraux spéciaux comme la népheline, l’ægyrine, la riébeckite se développent à la faveur de cette composition chimique et donnent aux roches qui les contiennent un cachet assez inaccoutumé. Ces roches, assez rares en Europe, sont au contraire abondantes au Sahara ; nous aurons à préciser leur répartition géographique, mais auparavant il importe de dire quelques mots de roches de profondeur, parfois franchement granitiques, probablement d’âge récent et qui, par leur composition se rattachent à la même famille que les roches d’épanchement alcalines, dont il vient d’être question.
Mounio. — Un premier groupe éruptif constitue le Mounio, massif qui mesure du nord au sud une cinquantaine de kilomètres sur 25 de large ; on doit probablement lui rattacher les hauteurs qui avoisinent les villages de Mia et de Yamia. Les caractères géographiques et topographiques du Mounio ont déjà été indiqués. Les roches sont des granites, des microgranites et des rhyolites avec ægyrine et une amphibole sodique voisine de la riébeckite, roches dont la couleur varie du gris bleu au lie de vin.
A 200 mètres au nord du poste de Gouré, on peut observer le contact avec les roches sédimentaires (fig. 76).
Ces roches sont des argiles et des grès tendres en couches horizontales qui, à cause de leurs caractères lithologiques et de la continuité géographique, doivent être rattachés aux formations du Crétacé inférieur du Tegama. Sur une vingtaine de mètres à l’est du granite, ces grès et ces argiles ont été dérangés de leur horizontalité primitive ; ils ont été profondément métamorphisés et transformés en quartzites et en micaschistes ; quelques filons de quartz les traversent.
Fig. 75. — Mounio. Du poste de Gouré. Les premiers mamelons sont les microgranites m de la figure 76. Au fond à droite, les premiers plateaux du Koutous. — Le camp des tirailleurs est entre les balanites et les mamelons granitiques.
Freydenberg a observé des faits analogues à la frontière ouest du Mounio, près de Gabana.
Les granites alcalins de Gouré sont donc postérieurs à l’Infra-crétacé ; on ne trouve dans les poudingues, qui, à Kellé, forment la base des grès du Koutous, aucun élément qui puisse leur être attribué. On peut donc affirmer que les roches éruptives du Mounio ne sont pas plus anciennes que le Crétacé ; le caractère peu avancé de l’érosion dans le massif de Gouré et surtout les grandes analogies de ces roches avec celles de l’Aïr, certainement postlutétiennes, sont de fortes présomptions en faveur de l’âge tertiaire de ces granites et microgranites.
Zinder. — Le massif de quartzites verticales et probablement siluriennes de Zinder et d’Alberkaram est flanqué, à l’est comme à l’ouest, de roches analogues ; vers Dan Beda (30 km. ouest de Zinder) ces granites sont en relation avec des grès tendres : il serait probablement facile de trouver en ce point une confirmation de l’âge récent des roches de Zinder, qu’il est difficile de ne pas rattacher de très près à celles du Mounio : la série est la même et va du granite franc à la rhyolite. Les deux massifs sont très voisins : il y a à peine 60 kilomètres de Gidi-Mouni à Gabana ; il y a moins encore de Karouaram au Mounio.
Melfi. — Au sud-est du Tchad, le poste de Melfi est au centre d’un cirque de collines granitiques, hautes parfois de 200 mètres, formées de roches assez variées dont le type le plus habituel est une syénite à amphibole sodique et à riébeckite, plus pauvre en silice et plus riche en chaux que les roches de Gouré et de Zinder [Freydenberg, Thèse, p. 107 et 180].
Fig. 76. — Coupe relevée à 200 mètres au nord du poste de Gouré (Mounio).
m, Microgranite alcalin (hauteur 10 mètres). — q, Filons de quartz. — 1, Argiles du Tegama disloquées et transformées en micaschistes. — 2, Grès ferrugineux superficiels. — La coupe a 50 mètres de long.
Ce massif éruptif se continue vers le sud et se relie aux granites alcalins de Miellim sur la rive gauche du Chari.
Fita. — Beaucoup plus à l’ouest, au Dahomey, Hubert [Thèse, p. 242], à signalé la chaîne de Fita, qui, un peu au sud du 8° Lat. N. s’étend sur une dizaine de kilomètres du nord au sud avec une largeur de 2 kilomètres au plus ; ses plus haut sommets dominent de 150 mètres la plaine voisine ; les roches [l. c., p. 466-467] sont des granites et des microgranites alcalins dont la riébeckite est l’élément le plus caractéristique. D’après un renseignement oral, Hubert considère ces roches comme beaucoup plus jeunes que les gneiss des régions voisines.
Provinces pétrographiques à roches alcalines. — L’abondance de ces roches alcalines en Afrique est connue depuis longtemps ; Lacroix a montré qu’elles se rattachaient à deux provinces pétrographiques distinctes : la province occidentale comprend d’abord les îles atlantiques (Açores, Canaries, îles du cap Vert) ; les îles de Los, près de Konakry, contiennent des roches analogues. Chautard[182] a récemment montré qu’il fallait définitivement rattacher à la même province les roches de Dakar dont le trachyte du cap des Biches est le type le plus remarquable ; toutes ces roches de la presqu’île du Cap Vert sont nettement volcaniques ; au point de vue chronologique elles appartiennent à deux séries : entre Rufisque et Dakar les roches éruptives sont contemporaines du Crétacé supérieur ; plus tard, entre l’Éocène moyen et le Pleistocène, les épanchements se sont produits un peu plus au nord et s’ordonnent autour de l’appareil volcanique des Mamelles.
Dans l’intérieur, à Senoudébou (cercle de Bakel), un trachyte à noséane, recueilli dans un mur, a été étudié par Arsandaux ; le gisement d’origine de la pierre est à rechercher, mais il est douteux que l’on ait été chercher bien loin des matériaux de construction. Quiroga a trouvé dans le Rio de Oro, à Hassi Aussert, à moitié chemin entre le littoral et la sebkha d’Idjil, une syénite néphélinique. Dans le Sud marocain, les laves du Siroua, étudiées par Gentil [C. R. Ac. Sc., janvier 1908] sont des trachytes et des phonolites.
Cette province occidentale s’étend probablement jusqu’au voisinage d’Oran.
La province centrale, celle du Tchad, contient un grand nombre de gisements : le massif de l’Ahaggar avec les rhyolithes de l’Adjellela et les phonolithes à ægyrine de la Coudia lui appartient, mais semble marquer sa limite occidentale : la rhyolithe d’In Zize ne renferme aucun des minéraux qui caractérisent les roches alcalines ; immédiatement autour du tassili des Azdjer, le massif volcanique du Télout a émis une coulée de phonolithe à ægyrine, très voisin de la roche du Tekout (85 kilomètres au sud de Tripoli) recueillie autrefois par Overweg. L’abondance des roches alcalines dans l’Aïr, à Zinder et à Gouré, ainsi qu’autour du Tchad, a déjà été indiquée.
Il est vraisemblable que, malgré leur éloignement, Fita et le Cameroun appartiennent à la même province.
Sa limite orientale est complètement inconnue ; on ne sait rien sur les roches éruptives du Tibesti ; le désert de Lybie est ignoré, même au point de vue géographique. On sait toutefois qu’à l’extrémité orientale de l’Afrique et, au delà de la mer Rouge, en Arabie, les roches alcalines sont fréquentes ; celles d’Abyssinie, certainement post-kimmeridgiennes et probablement beaucoup plus récentes, ont été étudiées de très près par Arsandaux[183]. Lacroix a donné des détails sur quelques autres.
Il est actuellement impossible de savoir si cette province orientale est distincte de celle du Tchad ou si elle se relie avec elle.
Des analyses assez nombreuses de ces roches alcalines ont été publiées ; elles accusent des divergences de détail. Mais dans l’ensemble toutes ces roches semblent pouvoir être ramenées à un même magma alcalino-granitique. Suivant le mode d’éruption, qui modifie les conditions de refroidissement et qui permet le départ plus ou moins rapide des éléments minéralisateurs, ce magma a donné naissance à diverses roches : les granites de Zinder et de Gouré sont les types de profondeur ; les microgranites se sont refroidis plus vite : dans le Mounio notamment, ils semblent former une zone de contact entre les granites et les roches sédimentaires. Les rhyolithes, les phonolithes et certains trachytes sont la forme d’épanchement, la forme vraiment volcanique du même magma.
On pourrait être tenté de rapprocher la pauvreté en chaux de ces roches alcalines de la rareté des calcaires dans le continent africain ; on sait que, par endomorphisme, un granite normal, traversant des assises calcaires, peut s’entourer d’une auréole de granite amphibolique. On a même émis l’hypothèse que dans les éruptions, la matière qui constitue la roche injectée dans les fentes des divers terrains ou épanchée à leur surface, provenait de la fusion sur place de roches assez superficielles, fusion déterminée par les phénomènes thermiques qui résultent de l’écrasement de l’écorce terrestre : il n’y aurait pas à proprement parler de magma éruptif profond, et la composition chimique des roches ignées résulterait immédiatement de la composition chimique des terrains au milieu desquels se manifestent les phénomènes éruptifs.
En fait il est douteux que la rareté en chaux des roches éruptives et des roches sédimentaires de l’Afrique soit autre chose qu’une simple coïncidence : l’exemple de Madagascar [Lacroix, Nouv. Arch. du Muséum, 1902, 1903], où les roches alcalines abondent au milieu de districts calcaires, doit rendre singulièrement prudent. Tout ce qui se rattache à la pyrosphère et à l’origine vraie des magmas éruptifs reste encore un des chapitres les plus obscurs de la géologie.
II. — LATÉRITES
Au sens strict du mot, la latérite est caractérisée par la présence de l’alumine qu’accompagnent toujours les hydrates de fer ; elle est à peine différente de la bauxite, le principal minerai d’aluminium.
Malheureusement, l’usage a prévalu d’appliquer ce mot à tous les sols superficiels des régions tropicales, pour peu qu’ils présentent une teinte rougeâtre, c’est-à-dire qu’ils contiennent un peu de fer. On est arrivé ainsi à englober sous un même nom les produits les plus différents.
Les véritables latérites, provenant de l’altération des roches éruptives, diffèrent des produits similaires de nos climats par deux caractères principaux : en Europe, l’alumine reste d’ordinaire combinée à la silice sous forme d’argile ; l’hydrate de fer est le plus souvent de la limonite, de couleur jaunâtre. Dans les pays chauds, l’alumine se sépare de la silice, et les hydrates de fer sont souvent de la turgite, de couleur rouge. Les éléments alcalins (potasse, soude) et alcalino-terreux (chaux) disparaissent à la faveur de la solubilité de leurs sels, aussi bien dans les climats tempérés qu’entre les tropiques ; la teneur en oxygène et en eau augmente dans les deux cas. Le départ de la silice, qui manque parfois complètement, est le trait le plus original de cette transformation des roches éruptives en latérite.
L’analyse d’une diabase de Guinée (a) et de la latérite qui en provient (b), que j’emprunte à Chautard et Lemoine[184], permettra de préciser le sens de la transformation.
| a | b | |
|---|---|---|
| — | — | |
| TiO2 | 2,96 | 9,05 |
| SiO2 | 48,51 | 5,52 |
| Al2O3 | 14,18 | 34,1 |
| Fe2O3 | 2,4 | 27,13 |
| FeO | 10,35 | 1,26 |
| CaO | 8 | 0 |
| MgO | 6,05 | 0,65 |
| K2ONa2′O | 5,18 | 0,51 |
| Perte au feu | 3,12 | 22,5 |
De plus, tandis que, dans les climats tempérés, la décomposition des roches se fait très progressivement sans déterminer dès l’abord une décomposition totale, dans les pays tropicaux humides, au contraire, la latérisation s’effectue tout d’une pièce, parfois sur une grande épaisseur, et la roche intacte succède assez brusquement à la roche entièrement décomposée.
Chautard[185] a observé en Guinée, dans le massif de Kakoulima, au kilomètre 52 de la voie ferrée de Konakry au Niger, un gabbro à gros éléments (labrador-diallage) qui présentait à partir de la roche non altérée : 1o une zone où les éléments feldspathiques ne sont attaqués qu’à leur périphérie, les éléments ferromagnésiens sont transformés en actinote, tous les cristaux conservant en général leurs formes granitiques ; 2o une zone où les feldspaths sont complètement altérés et où les cristaux de diallage, au même stade que dans la zone précédente, commencent à s’écraser mutuellement ; 3o une zone où tous les cristaux ont disparu : les feldspaths ne sont plus indiqués que par des taches blanches, et les pyroxènes par des taches brunes d’oxyde de fer ; enfin 4o une zone où il ne reste plus qu’une roche homogène de coloration rouge brique.
Hubert [Thèse, p. 91-97] signale des phénomènes analogues au Dahomey, et Courtet mentionne dans le bassin du Chari des latérites qui entourent d’une auréole diverses roches éruptives [Niellim, etc., in Chevalier, L’Afrique Centrale, p. 631].
Souvent ce produit d’altération, au lieu de rester au contact de la roche qui lui a donné naissance, est repris par les agents d’érosion et ces latérites remaniées forment parfois dans les vallées des dépôts considérables.
On a beaucoup écrit sur l’origine de cette latérite. Walther et Passarge y voudraient voir un effet des orages de la zone tropicale. La pluie des tornades serait riche en acide azotique, par suite particulièrement oxydante ; son action serait d’autant plus décisive que dans la zone tropicale, les débris organiques, toujours réducteurs, font défaut dans le sol superficiel où les termites les détruisent. Cette manière de voir, que ne semble appuyer aucune expérience précise, rend mal compte de la localisation, parfois très marquée, de la décomposition des roches : des mamelons éruptifs voisins, soumis par suite aux mêmes conditions météorologiques, présentent souvent des différences notables dans leurs transformations.
Holland fait jouer à des facteurs biologiques un rôle très actif dans la genèse des latérites : ce serait un phénomène d’origine microbienne. On connaît déjà, d’une manière positive, le rôle des bactéries dans la nitrification : on sait établir des milieux de culture pour la préparation des azotates et l’on a songé à employer industriellement ce procédé. La production du minerai de fer des marais, la réduction des sulfates et leur transformation en soufre et en hydrogène sulfuré sont dues aussi à des algues microscopiques et ces analogies rendent acceptable la manière de voir de Holland. Malheureusement elle n’est confirmée par aucune recherche expérimentale ; le microbe de la latérite est inconnu et le meilleur argument que l’on puisse faire valoir en sa faveur, est l’irrégularité de ce mode de transformation, irrégularité qui est marquée surtout lorsque l’on s’éloigne de l’équateur ou des plaines pour arriver à des régions où les variations de température sont plus considérables, où surtout les minima sont plus bas, que ce changement soit dû à la latitude ou à l’altitude. Pareille allure est bien conforme à ce que l’on sait de la distribution géographique des animaux et des végétaux, à la limite de leur aire.
Cette transformation des roches éruptives en véritable latérite ne se produit pas au Sahara non plus que dans le nord du Soudan : ce n’est qu’au sud du 11° de latitude qu’elle semble devenir générale.
Grès ferrugineux. — On désigne aussi, au Soudan, par le nom de latérite, de simples grès à ciments ferrugineux ; ils sont assez communs au nord du 11° : sur son itinéraire, E.-F. Gautier a noté les premiers au sud de l’Adr’ar’ des Ifor’as, mais ils ne deviennent abondants que dans le bas Telemsi ; le lieutenant Ayasse en a rencontré entre Bilma et le Tchad[186] ; j’en ai vu à plusieurs reprises entre l’Aïr et Zinder ; plus au sud ils sont fréquents ; Foureau[187] les mentionne à plusieurs reprises le long du Gribingui, dont les berges, hautes de 2 à 5 mètres, sont formées de bancs d’argile rouge alternant avec des assises horizontales de grès ou de conglomérats ferrugineux, dont les éléments sont le plus habituellement quartzeux.
Dans le haut Logone, Lancrenon a trouvé des latérites dans le fond des vallées, où elles sont recouvertes de plusieurs mètres d’alluvions[188] ; Courtet signale le même fait dans le Chari.
Cette formation de grès et de conglomérats paraît surtout en rapport avec des phénomènes d’évaporation ; le sable des dunes mortes ou les graviers des alluvions transformées en reg ont été cimentés par les sels solubles dissous par les eaux météoriques. Ce phénomène peut se produire partout ; il est peut-être permis de le rapprocher de la formation de l’alios dans les sables des Landes. Cet alios est un grès quartzeux, souvent ferrugineux, qui résulte de l’entraînement par dissolution des matières solubles de la surface et de leur concentration, qui s’opère pendant les chaleurs de l’été, par suite de l’évaporation à un niveau à peu près constant de la nappe d’infiltration. Les sables de la forêt de Fontainebleau présentent souvent des accidents analogues.
Il n’est pas certain cependant que cette comparaison des grès du Soudan et de l’alios des Landes soit correcte. Aucune analyse du ciment des grès africains n’a été faite ; le sesquioxyde de fer se présente sous cinq formes différentes, plus ou moins hydratées, qui peuvent introduire, entre les grès ferrugineux, des dissemblances notables ; de plus, l’alios se produit toujours à quelques décimètres de profondeur, tandis que, au Soudan, le grès ferrugineux est habituellement superficiel.
En tous cas, c’est bien au Sahara et dans la zone la plus sèche du Soudan que des phénomènes analogues ont été le plus souvent signalés ; dans les oasis situées en bordure d’une sebkha, un orage est un désastre : l’eau de pluie est vite ramenée à la surface par évaporation ; elle revient accompagnée de sel et de gypse qu’elle dépose à la surface du sol, obligeant ainsi à abandonner, pour plusieurs années, un certain nombre de jardins. Dans la région du Manga, à Gourselick par exemple, le natron se renouvelle au fond de la cuvette par le même mécanisme. Enfin, le fameux vernis du désert ne semble pas avoir une origine différente : au Sahara, la plupart des roches sont recouvertes d’une pellicule mince de produits concrétionnés, luisants, qui tranchent souvent par leur couleur sur la roche qu’ils recouvrent [J. Walther] : les grès blancs des tassili, avec leur patine couleur de poix, en sont un exemple classique.
Fig. 78. — Les plateaux à l’est de Tamaské. — Adr’ar’ de Tahoua. (Vue prise du poste de Tamaské).
A, Plateaux calcaires, protégés par un manteau de roches latéritiques. B, Amas de roches latéritiques, dernier témoin des plateaux.
Produits de décalcification. — D’autres latérites enfin sont liées à des roches sédimentaires : elles recouvrent tous les mamelons crétacés du Damergou et leur extension vers l’ouest, au moins jusqu’à la mare de Tarka, indique probablement l’ancienne extension des calcaires à ammonites.
On retrouve des formations analogues au-dessus des dépôts éocènes qui recouvrent l’Adr’ar’ de Tahoua ; ces formations peuvent être suivies jusque sur les bords du Niger.
La plupart de ces produits sont dus à des phénomènes de décalcification ; les oolithes ferrugineuses de Korema Alba paraissent provenir d’un calcaire lacustre : Cayeux, qui les a examinées, les a trouvées identiques à certains minerais de France dont l’origine est certaine. Hubert n’admet pas cette manière de voir pour les latérites des bords du Niger « parce que les indices de la présence de calcaires dans ces régions sont nuls » [Thèse, p. 112]. Il oublie qu’un caractère négatif, surtout dans une région aussi mal connue que le Soudan, a une bien faible valeur ; il ne tient pas compte de la grande extension des calcaires éocènes depuis Bemba jusqu’à Guidambado ; il néglige l’existence des silex éocènes d’Ansongo qui sont, au cœur de la région qui nous intéresse, la preuve décisive de l’existence d’un niveau calcaire.
Malgré leur composition, leur origine très spéciale et leur allure parfaitement horizontale qui montre leurs relations avec des roches sédimentaires, ces latérites différent peu par leur aspect des latérites d’origine éruptive.
Ces produits de décalcification, qui couvrent les grès du Niger et le calcaire de Tahoua, ne semblent pas être de formation actuelle ; une coupe, prise en aval de Gao (fig. 79), montre que la latérite en place (4) couvre un plateau peu élevé ; elle présente une structure parfois oolitique (les oolites ont 1 millimètre de diamètre) mais plus souvent rubannée et les zones que l’on y peut distinguer, sont, en gros, parallèles aux couches de grès du Niger.
Fig. 79. — Un plateau de grès du Niger, en aval de Gao.
1, Grès blancs, à stratification entrecroisée, 3 mètres ; — 2, Niveau ferrugineux (1 cm.) ; — 3, Grès blancs, à stratification entrecroisée, 2 mètres ; — 4, Formation latéritique souvent rubannée, 2 mètres (produit de décalcification) ; — 5, Brèche latéritique contenant des galets quartzeux de 4 à 5 centimètres et des blocs, à peine roulés, de la roche 4, de 15 à 20 centimètres de diamètre. Quelques galets sont des oolithes d’oxyde de fer. Ciment ferrugineux ; — 6, Brèche latéritique mal cimentée.
Depuis la formation de cette latérite, une vallée s’est formée dont le fond (5) est occupé par des graviers et des galets qui atteignent jusqu’à 15 à 20 centimètres de diamètre, galets formés aux dépens de la latérite (4), et cimentés par des produits ferrugineux.
A une époque plus récente, le niveau des vallées s’est un peu abaissé et dans le fond de ces vallées plus jeunes on trouve par place des débris de brèche latéritique (6), mal cimentés.
Il y aurait plusieurs stades à distinguer : la latérite s’est d’abord formée sur le plateau et son mode de formation suppose des pluies assez abondantes ; la formation d’un conglomérat latéritique dans le fond de la vallée suspendue (5) est analogue à celle des grès ferrugineux et suppose, pour la formation du ciment, un climat plus sec ; dans les vallées plus jeunes (6), la cimentation des débris ne s’est pas produite. Postérieurement enfin, s’est creusé le lit actuel du Niger qui est sans doute plus jeune que les ergs morts de la région, mais probablement plus ancien que le Néolitique africain. Cette conclusion est du moins celle à laquelle l’étude de la répartition des tombeaux a amené Desplagnes.
Ces divers climats, que permet d’entrevoir l’étude de cette latérite, ne sont pas forcément quaternaires et ces épisodes ont pu commencer à se manifester dès la fin de l’Éocène. Il ne faut pas perdre de vue d’ailleurs que l’étude géologique du Soudan est à peine ébauchée ; on essaie ici de poser une question bien plutôt que de donner la solution d’un problème dont trop d’éléments sont encore mal connus.
Il est toutefois difficile de croire que la disparition du calcaire soit la seule cause de l’arrêt de la décalcification ; au nord, tout autour de l’Adr’ar’ des Ifor’as, à l’est, dans la région de Tahoua, les calcaires sont à découvert sur les flancs des vallées ; leur surface est restée de couleur claire ; parfois, comme à Bouza, ils forment des plateaux où la roche est restée absolument blanche (fig. 33, p. 94). L’érosion actuelle semble trop insignifiante pour avoir pu enlever un manteau de latérite. Une modification dans le climat paraît mieux rendre compte des faits.
Au Sénégal, « la latérite paraît avoir été formée avant l’invasion des sables, car, sous une épaisseur de 4 mètres de sable, nous avons trouvé de la latérite présentant à la surface le même faciès poli, que celle qui est actuellement à la surface du sol[189] ».
Dans le lit du Niger qui, à partir de Tosaye, est certainement jeune, affleurent souvent, entre Niamey et Ansongo des blocs de roches éruptives ; leur surface est peu altérée (fig. 80) : les parties immergées à toutes les crues (1-3) ont une patine noire ; plus haut, la patine est rouge. Ces diverses patines sont d’ailleurs très minces ; les écailles que détachent à la surface les variations de température, permettent de voir nettement la roche, kaolinisée sans doute, mais dont tous les éléments restent en somme bien reconnaissables. La séparation entre les différentes zones est accentuée par la présence, sur certaines d’entre elles, de mousses et d’hépatiques. Ces zones sont nettement distinctes et les lignes qui les séparent sont trop horizontales pour ne pas être en rapport avec les différents niveaux du fleuve.
Comme l’étude des produits de décalcification, ces patines minces semblent prouver que, depuis que le Niger s’est creusé un nouveau lit dans ces régions, les phénomènes d’altération superficielle n’ont eu, dans la partie sèche du Soudan, qu’une médiocre intensité.
Fig. 80. — Un bloc de granite sur les bords du Niger, à Gari.
aa′, Niveau du Niger le 14 juillet 1906 ; — 1, Bande couverte d’une patine noire. Aucune végétation (0 m. 10) ; — 2, Patine noire. La roche est couverte d’hépatiques (1 m. 40) ; — 3, Patine noire. La roche est couverte de mousses et d’hépatiques (0 m. 50) ; — 4, Patine rouge. Aucune végétation. Quelques écailles, épaisses de 1 centimètre, détachées par insolation.
Toutes ces roches ferrugineuses présentent souvent à la surface une modification intéressante, dernier terme de l’altération latéritique : cette modification est due à l’évaporation rapide d’eau qui en profondeur s’est chargée de sels de fer ; c’est un mécanisme que j’ai déjà signalé plusieurs fois. Il se produit ainsi une roche souvent caverneuse, d’aspect scoriacé, parfois vernissée, en somme assez variable ; souvent elle englobe des galets, des fragments de roches, et dans ce cas seulement le nom de conglomérat ferrugineux [Hubert, Thèse, p. 103, Chautard, Thèse, p. 143], est justifié. Ce sont en réalité des roches concrétionnées que leur apparence a souvent fait prendre pour des laves ou des scories volcaniques, notamment dans la région de Tahoua.
Parfois, au lieu d’une remise en mouvement du fer, il s’est produit un enrichissement superficiel en silice. C’est un fait qui a été signalé dans tous les déserts : il est extrêmement net dans la région d’Assaouas, à l’ouest d’Agadez, où des calcaires lacustres ont été transformés en quartzites rougeâtres ; sur la côte de Mauritanie, dans le Tasiast, des calcaires du Quaternaire ancien reposent sur des grès tendres et forment le couronnement d’un certain nombre de plateaux. Leur enrichissement en silice est très marqué et leur dureté est devenue considérable.
Malgré son caractère technique, il a fallu insister un peu sur cette question : l’histoire de la latérite est en effet intéressante à de nombreux points de vue ; d’abord on ne sait pas au juste comment elle se forme et les hypothèses émises à propos de son origine, (bactéries, acide azotique) n’ont jamais été l’objet de vérifications expérimentales ; il y a d’ailleurs plusieurs latérites et certainement plusieurs modes de formation ; il y en a aussi de plusieurs âges. Il est malheureusement difficile de serrer de près la question ; les rapports d’itinéraires n’indiquent que rarement s’il s’agit de vraies latérites, en place ou remaniées, de grès ferrugineux ou de produits de décalcification.
On connaît en Europe une roche très analogue à la vraie latérite, la bauxite, qui, depuis que s’est développée l’industrie de l’aluminium, a donné lieu à de très importantes exploitations : cette parenté de la latérite et de la bauxite permettra peut-être de préciser les conditions de climat qui ont présidé en France à la production encore très obscure de cet important minerai d’aluminium, en même temps qu’elle peut faire entrevoir pour l’Afrique occidentale une source de richesses qui peut devenir importante.
Il faut noter aussi que c’est parmi les latérites que se trouvent les seuls minerais de fer qui alimentent la sidérurgie indigène ; l’exploitation est très simple : le forgeron nègre, dans les points favorables, soupèse les blocs de latérite et choisit les plus denses.
Les minerais de manganèse que signale Desplagnes sur les bords du Niger [Plateau central nigérien, p. 11 et fig. 25 et 26] appartiennent à la même série de formations.
Certains gîtes aurifères enfin sont en relation évidente avec les produits d’altération superficielle et ne sont que des latérites au sens propre du mot.
La rareté des filons métallifères dans l’Afrique occidentale française est donc partiellement compensée par l’existence de ces latérites, où, sans compter l’or, on connaît trois métaux importants, le fer, le manganèse et l’aluminium. L’organisation des voies de transport qui se poursuit si activement permet de croire que plusieurs de ces gisements seront bientôt exploitables, et dès maintenant il est permis de les considérer comme une précieuse réserve pour l’avenir.
Enfin l’importance des divers modelés latéritiques dans les paysages soudanais, l’emploi constant de ce mot, mal défini, dans tous les rapports d’itinéraires feront excuser le développement donné à une question à première vue aussi spéciale.
III. — SALINES
Taoudenni. — Les mines de Taoudenni sont probablement les plus importantes du Sahara ; les renseignements qu’ont donnés sur elles Cortier, Mussel et Nieger sont très concordants et ils sont confirmés par les indications et les photographies de Cauvin.
Les détails qui suivent sont empruntés presque textuellement à Nieger[190].
Taoudenni est en bordure septentrionale d’une immense sebkha limitée au nord par un dos d’âne rocheux sans gros relief[191], la hammada El Haricha (fig. 6, p. 11). Ce dos d’âne s’étend sur 300 kilomètres environ du sud-est au nord-ouest. Agorgott, centre d’exploitation des salines, est sur la sebkha au débouché d’un oued descendu du djebel El Haricha, l’oued Agorgott.
Les mines de sel se trouvent à environ 4 kilomètres au sud-ouest du ksar de Taoudenni. La majorité des nègres et haratins qui travaillent à l’exploitation se sont construit en ce point des gourbis en barres de sel dont l’ensemble est appellé aussi Agorgott.
La mine n’a pas de propriétaire. L’individu qui désire exploiter fait délimiter les surfaces à creuser, suivant le nombre de bras qui constituent ses ateliers (ces derniers se composent de trois à dix travailleurs). Les fouilles [cf. t. I, pl. XI] sont menées par couches sur toute la surface délimitée ; il y avait, en 1906, 100 à 150 fosses en exploitation. On rencontre de haut en bas :
1o Argile rouge (trab el hamra). La puissance de cette couche est d’environ 2 mètres ; travail facile dans de l’argile humide.
2o Argile verte (harma larma). Également humide, contient de petits cristaux de sel ; environ 30 centimètres d’épaisseur.
3o Argile verte (afarai el ouara) dure à creuser, environ 15 centimètres.
4o Sel mélangé à la terre (el ouara el foukania), contient de nombreuses impuretés, très difficile à entamer, épaisseur variant de 10 à 60 centimètres. Ce sel n’est pas exploité. On trouve, noyés au milieu de cette masse, des nodules de cristaux de sel (ainin el melah) d’une pureté et d’une limpidité remarquables. Ces nodules ont, pour la plupart, la grosseur d’un œuf de poule et au-dessus.
5o Argile verte (afarai zekkou), environ 15 centimètres d’épaisseur.
6o Argile verte (afarai el hammamia), environ 15 centimètres d’épaisseur.
7o Sel qui s’exploite (el hammamia) ; il était autrefois emporté en morceaux cassés à la pioche ; se débite actuellement, comme les suivants, en barres.
8o Argile verte (afarai el bieda) environ 15 centimètres d’épaisseur.
9o et 10o Sel de première qualité (koukchat[192] el bieda, et el bieda). Ces deux couches, soudées l’une à l’autre, forment un banc de 0 m. 25 à 0 m. 30 et s’enlèvent du même coup.
11o Argile rouge. Quelques centimètres.
12o Sel de deuxième qualité (el bent, la fille).
13o Argile rouge. Quelques centimètres.
14o et 15o. Sel de première qualité (koukchat el kamra et el kamra). Même observation que pour les 9e et 10e couches.
16o Sel non exploité (el ouara tahtania).
17o On arrive à l’eau.
Jusqu’à la 7e couche (el hammamia), la première qui soit exploitée, la fosse est creusée sur toute l’étendue délimitée, et les matériaux sont jetés en dehors sur le terre-plein, ou dans une fosse voisine dont l’exploitation est terminée.
Sur la surface plane de la 7e couche, une série de petites rigoles parallèles sont creusées dans le sens de la largeur et celui de la longueur et tracées de telle façon que la fosse se trouve divisée en rectangles de cinq pieds et demi sur un et demi. Les rigoles sont approfondies jusqu’à ce que l’on puisse soulever à la pioche les barres provenant de ce morcellement.
On procède de la même façon pour les couches de sel inférieures, mais les koukchat sont enlevées avec les couches auxquelles elles sont soudées.
L’eau qui se trouve au-dessous d’« el ouara tahtania » (16e couche) est jaillissante. Au dire des ouvriers, il faut une certaine habitude pour enlever la dernière couche de sel exploité (el kamra).
En enfonçant la pioche un peu trop profondément au-dessous de cette dernière pour la décoller, il arrive fréquemment, aux inexpérimentés, de crever « el ouara tahtania » et l’eau, se précipitant par l’ouverture ainsi pratiquée, a assez de force pour briser la barre de sel sur laquelle on travaille. A l’air libre, si l’on perce « el ouara tahtania », l’eau jaillit et s’élève à un mètre environ. Cette abondance de l’eau, serait, au dire des principaux entrepreneurs, un des principaux obstacles à l’exploitation de la saline [cf. t. I, p. 56].
Une fois tout le sel enlevé dans la fosse, les ouvriers creusent au-dessous de la quatrième couche, « el ouara », de petites niches qu’ils transforment progressivement en galeries ; l’exploitation du sel, jusqu’alors à ciel ouvert, se continue sous terre.
Souvent l’eau sourd dans ces galeries et empêche de les mener bien loin. Cependant, elles atteignent parfois 10 mètres de profondeur dans les terrains propices. Les galeries sont creusées sur chacune des faces de la fosse centrale ; on ménage entre elles des intervalles d’environ un mètre, qui remplissent l’office de piliers, de murs de soutien.
Les barres de sel débitées, les ouvriers les plus habiles séparent les koukchat du bied, et de la kamra, en frappant tout simplement à la pioche sur l’un des côtés de la barre, au point de jonction des couches superposées. Il est quelquefois nécessaire d’introduire le pic entre les deux et de faire levier avec le manche pour arriver au décollement complet. Le sel de la 12e couche, el bent, ne donne qu’une barre.
Les barres ainsi obtenues ont une épaisseur qui varie de 10 à 15 centimètres, leur surface rugueuse est tapissée d’impuretés. Elles sont dégrossies et polies avec une herminette et ramenées à des proportions mieux d’accord avec le mode de transport, 4 ou 5 centimètres d’épaisseur, 1 m. 10 à 1,20 de long et 0,40 à 0,50 de large. La barre de sel ainsi préparée, prête à être enlevée par les caravanes, pèse en moyenne 40 kilogrammes. Les poids extrêmes varient entre 28 et 47 kilogrammes (Cauvin) ; quatre barres font une charge de chameaux (120 à 150 kg.)
D’autres mines ont existé, dans la même région, notamment à Ter’azza, à 120 kilomètres au nord-ouest de Taoudenni. D’après la légende, Ter’azza, refusant de payer l’impôt, aurait été détruite par ordre du sultan marocain Moulaï-Sliman, il y a environ trois cents ans Taoudenni lui aurait succédé.
Ces renseignements détaillés sur les salines de Taoudenni, montrent bien qu’il s’agit de sel de sebkha, identique à celui de quelques chotts d’Algérie, comme la sebkha Melah, dans l’oued R’arbi, étudiée par Flamand, et aussi des sebkhas de la côte atlantique de Mauritanie, particulièrement à celle de N’Terert (100 km. au sud de Nouakchott) où, sous une couche de 0 m. 60 d’argiles verdâtres, se montrent des alternances de bancs de sel et d’argile.
Cette constitution ne permet pas de fixer l’âge de la saline d’Agorgott, qui est très vraisemblablement quaternaire. Lenz y a signalé des coquilles brisées ; Cortier a entendu dire aux indigènes que l’on y avait trouvé des débris d’hippopotames et de crocodiles, et même des traces humaines. Au surplus, l’âge quaternaire paraît bien d’accord avec le peu que l’on sait de l’hydrographie de la région.
Bilma[193]. — Les salines de Bilma (cf. p. 117) sont au nord-ouest du village ; pour les exploiter, les indigènes creusent dans le sol de petites mares rectangulaires, de 5 à 15 mètres de longueur sur 2 de largeur ; leur profondeur est de un demi-mètre. Les déblais, rejetés autour des mares, atteignent parfois 10 mètres de hauteur.
On arrose le terrain ; l’eau salée se rassemble dans les mares, et, par évaporation, les sels dissous viennent cristalliser à la surface ; les indigènes brisent la croûte ainsi formée pour que les cristaux tombent au fond de l’eau, où on les ramasse.
Le sel ainsi obtenu est très blanc ; on le comprime fortement dans des moules de façon à obtenir des pains d’une dizaine de kilogrammes. D’autres produits, moins purs, sont mélangés à du sable argileux et moulés en pains d’une autre forme.
Le sel de première qualité est très pur :
| Chlorure de sodium | 82 |
| Sulfate anhydre de sodium | 9,8 |
| Carbonate hydraté » | 2,6 |
| Quartz et matières organiques | 5 |
| 99,4 |
l’absence de la chaux et de la magnésie est remarquable[194]. Il présente des particularités minéralogiques intéressantes. Les cristaux ne sont jamais groupés en trémies ; ils forment de petits cubes isolés qui dépassent rarement 2 millimètres de côté ; les faces du cube sont habituellement accompagnées des faces de l’octaèdre régulier, forme très rare dans la plupart des gisements de sel et qui semble en relation avec l’abondance du sulfate. On ne connaît guère cette forme, en dehors de Bilma, qu’en Égypte, dans les cristaux extraits des lacs Natron, et en Californie, à San Bernardino.
A Fachi, à 145 kilomètres à l’ouest de Bilma, on exploite le sel dans des conditions analogues. Le sel de Fachi passe pour être de qualité inférieure.
L’exploitation du sel, à Bilma et à Fachi, est considérable ; plus de 20000 charges (peut-être 40000) sont enlevées tous les ans par les Kel Aïr, et répandues surtout dans le Bornou, le territoire de Zinder, le Sokoto, l’Adr’ar’ de Tahoua, etc.
Les Teguiddas. — A l’ouest d’Agadez, se trouvent un certain nombre de sources salées ; celles de Teguidda[195] n’Adrar et de Teguidda n’Taguei ont de l’eau presque douce ; elles ne sont pas exploitées : on se contente d’y mener les chameaux y faire de temps à autre une cure de sel. Dans ces deux stations, il y a un certain nombre de bassins, alignés sur des diaclases, qui intéressent des meulières tertiaires (chap. II, fig. 25). Quelques-uns sont assez bien alimentés pour donner naissance à des ruisseaux qui coulent pendant quelques cents mètres. L’eau d’une partie des sources est buvable ; à Teguidda n’Taguei, la source des Palmiers, il y a un cimetière important et les ruines d’une kasbah. J’ai vu, dans l’eau, un batracien anoure.
Le principal centre d’exploitation de cette région se trouve à 80 kilomètres au nord d’In Gall, à Teguidda n’Tecum, Teguidda les Salines ; les principales sources sont à Bourgoumouten. Chaque source appartient à une famille d’In Gall ; la rareté de l’eau douce rend le travail très pénible ; aussi chaque ouvrier, obligé de boire de l’eau contenant 41000 de sels, ne reste-t-il guère qu’un mois au chantier. Chaque source est captée au moyen de tuyaux, en bois ou en terre cuite, qui conduisent l’eau dans des bassins rectangulaires. Quand un bassin est plein, on bouche le tuyau qui lui correspond et on laisse agir l’évaporation, en ayant soin d’ajouter de l’argile à l’eau pour rendre plus solides les tablettes de sel. Dès qu’une première couche de sel est formée, on remplit à nouveau le bassin et l’on continue jusqu’à ce que la tablette ait 5 ou 6 centimètres d’épaisseur : il faut en moyenne remplir quatre fois le bassin ; chaque évaporation dure une journée. Le sel est découpé en dalles longues de 90 centimètres, larges de 40, du même type que celles de Taoudenni.
Il y aurait environ 200 ouvriers occupés à ce travail ; à cause de l’insécurité du pays, ils habitent des cases en argiles à entrée étroite, où il n’est possible de pénétrer qu’en rampant. Depuis que nous occupons Agadez, les pillages sont moins à craindre et l’exploitation devient plus importante.
Le sel de Teguidda, très estimé, est entreposé à In Gall ; les Kel Gress vont le vendre jusqu’au Sokoto[196].
Terre d’Ara. — Il existe dans l’Aïr quelques vallées sans écoulement où le sel s’est accumulé dans les alluvions. J’ai vu, entre Aoudéras et Bidei, un de ces gisements dont l’exploitation est restée très rudimentaire ; au moment de la saison des pluies on y creuse des trous profonds de 0 m. 50, avec un diamètre de 1 mètre. L’eau des tornades, après avoir lavé les matériaux de déblais, s’y rassemble et par évaporation laisse au fond de la cavité un sel très chargé d’argiles, la terre d’Ara, ou Ahara, qui est réservée aux chameaux. On l’exporte jusqu’au Damergou.
Dans l’Adr’ar’ des Ifor’as, les gisements de terre salée sont assez abondants et donnent lieu à un certain commerce qui est surtout aux mains des Ibottenaten de la région de Tadhaq.
Manga. — La région du Manga, entre Gouré et le Tchad, contient au fond des cuvettes qui ont déjà été signalées (chap. II, p. 82 et 117) un grand nombre de mares salées ; fort peu sont permanentes et se recouvrent, à la fin de la saison sèche, d’une couche de cristaux. La plupart se dessèchent complètement et un petit nombre sont exploitées. Les deux principaux centres industriels étaient, ces dernières années, Garamgava et Gourselik.
Le natron qui est exploité à Gourselik doit être abondant en profondeur, mais on se contente d’exploiter celui que, chaque année, la saison des pluies ramène à la surface. On racle le fond de la cuvette ; le natron, mélangé de terre, est placé dans des paniers qui servent de filtres et où se fait l’épuisement. Cet épuisement est presque systématique et permet d’obtenir divers produits.
Lorsque les eaux de lavage sont saturées, on active l’évaporation au moyen de foyers.
Les fours sont la partie la plus curieuse de l’exploitation ; ignorant l’art de faire des briques régulières et des voûtes, et son prix élevé, rendant le fer impossible, les industriels ont dû tout bâtir en terre cuite. Un mur, haut de 0 m. 50, circonscrit un espace rectangulaire dont les côtés varient de 1 m. 50 à 4 mètres ; des portes, ménagées à la base de ce mur permettent d’introduire le bois qui sert de combustible et laissent pénétrer l’air. Pour soutenir au-dessus des foyers les vases de terre, les canaris, qui contiennent le liquide à évaporer, le four est garni de piquets en terre cuite, fichés verticalement dans le sol ; les têtes élargies de ces piquets, disposés à peu près en quinconce, à 15 ou 20 centimètres les uns des autres, supportent les récipients entre lesquels passe la flamme.
L’inconvénient du procédé est la grande quantité de combustible qu’il nécessite : le pays est dès maintenant complètement déboisé à grande distance des villages ; il est devenu une steppe.
Folé. — Dans la zone côtière orientale du Tchad, il existe aussi des mares à natron ; les unes sont permanentes et l’on se contente de recueillir le sel peu estimé qui cristallise à la surface. Les autres sont presque toujours à sec, mais leur fond est occupé par une vase noirâtre, humide, où le jeu des saisons, sèche et pluvieuse, amène la formation de plaques cristallines épaisses de 5 à 10 centimètres et qui se trouvent à des profondeurs variant de 10 à 50 centimètres. Ces plaques forment des lentilles de dimensions assez faibles dont les indigènes déterminent l’emplacement au moyen de sondages ; on les extrait à la pioche et on les fait sécher à l’ombre, dans le sable : une dessiccation trop rapide les briserait. Le principal marché de ce natron est à Wanda d’où on l’emporte surtout, à travers le Tchad, vers le Bornou [Destenave, Revue gén. des Sc., 1903 ; — Freydenberg, Thèse, 1908].
Cette liste des points qui fournissent du sel ou du natron au Sahara et au Soudan n’a pas la prétention d’être complète ; il serait facile de la prolonger longuement, sans y trouver de nouveaux types de gisement ou de nouveaux modes d’exploitation. Jusqu’à présent, on ne connaît rien qui puisse être comparé aux rochers de sel du Trias d’Algérie, sauf peut-être dans le Guir [cf. t. I, p. 181].
Cependant à la suite de ces produits d’origine minérale, il convient d’ajouter un sel d’origine organique que l’on produit par lessivage des cendres végétales ; on obtient ainsi des sels surtout potassiques ; autour du Tchad cette industrie est assez développée et se fait au dépens des doums et des Salvadora persica : tous les ans, pendant quelques mois, une partie de la population de N’Guigmi va s’installer, par petits hameaux d’une douzaine de huttes, aux points où il y a de l’eau et des arbres, et se livre à cette fabrication.
Cette industrie est très répandue dans toute l’Afrique, au sud du Sahara, et d’assez nombreuses populations ont du s’accoutumer à ces sels de potasse.
IV. — LES AGENTS DÉSERTIQUES
Érosion éolienne. — On a, je crois, beaucoup exagéré l’influence du vent comme facteur d’érosion : il n’est évidemment pas douteux que les phénomènes de « corrasion » existent. On en connaît de nombreux exemples même en Europe et l’on sait que, industriellement, on dépolit le verre au moyen de sable projeté par un soufflet.
L’existence des « roches perchées » n’est pas niable, non plus que le rôle qu’a joué le vent dans leur modelé. Au désert, les calcaires et un grand nombre de roches sont polis par le passage du sable entraîné par le vent et leur surface est souvent sillonnée de vermiculures, profondes au plus de quelques millimètres, qui y dessinent d’élégantes arabesques. Les roches éruptives n’échappent pas à cette action : auprès du poste de Gouré, on peut voir son effet sur les microgranites alcalins du Mounio ; les cristaux de quartz, plus durs, sont en saillie de 2 ou 3 millimètres sur le reste de la roche.
Tous ces faits sont bien connus ; ils ont été étudiés autrefois par Rolland ; plus récemment, Foureau [Doc. Sc., p. 217-221, et Pl. XVIII, XIX] leur a consacré tout un chapitre et plusieurs illustrations.
Mais il s’agit d’actions toutes superficielles ; je n’ai rien vu que l’on puisse comparer aux phénomènes qui ont été récemment décrits en Égypte : la dépression bordée de falaises, hautes d’une centaine de mètres au moins, où se trouve l’oasis de Baharia, a des dimensions considérables ; sa longueur est de 95 kilomètres, sa largeur varie de 4 à 30 kilomètres ; elle avait été longtemps attribuée à une faille circulaire, à un phénomène d’effondrement. Les recherches récentes, très précises, des géologues égyptiens montrent, sans ambiguïté possible, que cette explication doit être abandonnée. Le Baharia a été creusé par érosion et comme il semblait impossible de faire intervenir l’eau, on a été amené à attribuer cet important travail à l’action du vent. Ces démonstrations « par l’absurde » sont, en dehors de la géométrie où l’on est certain d’avoir épuisé toutes les hypothèses possibles, toujours un peu inquiétantes. Les observations que j’ai pu faire au Sahara ne confirment pas une action du vent aussi grandiose ; les Égyptiens y renoncent aussi[197].
On trouve souvent sur le sol des débris d’œufs d’autruche. J’en ai pu observer de nombreux, particulièrement entre l’Ahnet et In Zize, où, aux dires des indigènes, l’autruche a disparu depuis cinquante ans. Beaucoup de ces débris, placés forcément au ras du sol, au point où l’action du sable charrié par le vent est le plus énergique, présentent des stries dont les plus profondes atteignent à peine un demi-millimètre. Malheureusement la disparition de l’autruche n’est pas totale ; dans l’Iguidi, Flye Sainte-Marie en a relevé une piste fraîche pendant l’hiver 1904-1905 ; Voinot en a vu quelques-unes dans le reg d’Amadr’or (1905-1906). L’usure des œufs d’autruche ne fournit donc qu’un argument assez maigre.
L’étude des inscriptions et des dessins qui abondent sur tous les rochers du Sahara [cf. t. I, p. 87-120] est plus décisive. Les roches qui portent ces dessins ont une surface lisse et luisante dont le poli peut être attribué en partie à l’usure éolienne, mais elles sont toutes protégées par une croûte d’origine chimique, une écorce brune, le vernis du désert. Cette croûte dont la couleur va du brun foncé (grès néocomiens) ou noir de jais (grès dévoniens) est dure et résistante ; on le remarque particulièrement à propos des grès crétacés, qui sont plutôt tendres et auxquels la croûte fait une carapace et une protection. Nul doute qu’il y ait là un obstacle à la puissance érosive du vent. Sur certaines collines du Colorado, W. Cross [Wind erosion in the Plateau Country, Bull. of the Geol. Soc. America, XIX, mars 1908] a observé que la roche, des grès tendres, était creusée par le vent partout où la couche protectrice, le vernis du désert, faisait défaut ; il se forme ainsi parfois de véritables grottes.
C’est peut-être à cette patine résistante que beaucoup de gravures rupestres doivent leur conservation. Les régions désertiques et sèches sont par excellence leur domaine ; elles sont rares dans le Tell, sans être tout à fait absentes. Cette exclusion peut s’expliquer, au moins partiellement, par des causes historiques ; mais, provisoirement tout au moins, on n’échappe pas à l’hypothèse que des causes climatiques aient pu jouer un rôle. Les gravures auraient été conservées en plus grande abondance là où les agents de destruction étaient le moins efficaces.
Les gravures préhistoriques, dans l’Afrique du Nord, sont plus difficiles à dater qu’en Europe, parce qu’une représentation d’éléphant, par exemple, n’offre pas en soi la même garantie d’âge reculé que la représentation d’un mammouth ou d’un renne. Il suffit en effet de remonter à Carthage pour retrouver l’éléphant dans la faune nord africaine. L’attribution de gravures sahariennes à l’âge quaternaire reste donc hypothétique ; il est improbable cependant que les plus anciennes d’entres elles soient postérieures à la période romaine. Il en est certainement de très vieilles qui sont restées très nettes sous leur patine. Plusieurs milliers d’années d’érosion éolienne n’ont pas suffi à les effacer. Croit-on que ces égratignures auraient survécu pendant le même nombre de siècles à l’action de la pluie ? Leurs analogues d’Europe n’ont résisté qu’au fond des cavernes, sous le manteau protecteur des alluvions et des stalactites.
Au Sahara même, la presque totalité des gravures est sur des roches siliceuses, grès ou granite. Est-il vraisemblable que les indigènes se soient abstenus de parti pris de graver sur des calcaires ? Au surplus, on connaît au moins deux stations de gravures sur calcaire ; l’une dans le Tadmaït, a été signalé par Flamand, l’autre, connue sous le nom de Hadjra Mektouba, se trouve sur la rive droite de la Saoura, à hauteur du ksar d’El Ouata, entre le Gourara et le Touat [cf. t. I, p. 100-101]. Au premier abord, à Hadjra Mektouba, on ne voit qu’une multitude de graffiti libyco-berbères, plus ou moins récents. Mais à la regarder avec soin, en cherchant les incidences favorables, on y retrouve une multitude de très vieilles figures floues et indistinctes, cependant reconnaissables. En même temps qu’elles, on voit partout à la surface de la pierre, inscrite en cuvettes et en lapiez, l’action des eaux pluviales ; c’est la pluie qui, par son action chimique, a en partie effacé les vieilles images et non pas le vent. Ainsi donc, même dans les pays où il pleut tous les vingt ans, sur les roches calcaires tout au moins, l’action des eaux météoriques est plus efficace et reste mieux marquée que celle du vent. Ces Hadjra Mektouba sont horizontales, au ras du sol, nullement à l’abri, dans les conditions les plus favorables à l’action éolienne et malgré cela le vent, aidé du sable, n’a pas pu, en une vingtaine de siècles au moins, effacer des traits dont la profondeur ne dépassait guère 1 centimètre. Sous nos climats, les hiéroglyphes d’Égypte auraient disparu depuis longtemps et l’on ne peut songer à mettre en parallèle, au point de vue de l’intensité de leurs actions, l’érosion pluviale et l’érosion éolienne.
Comme les hiéroglyphes, les dessins rupestres sont gravés en creux dans la roche ; une usure un peu profonde est nécessaire pour les effacer. D’autres vestiges anciens sont plus superficiels et semblent incapables de résister à la moindre érosion.
Certaines inscriptions sont peintes à l’ocre et l’une d’elles au moins peut être datée avec quelque précision : à Timissao, près du puits, existe une grotte ou plutôt un abri sous roche. Au plafond de cette grotte se trouve une inscription célèbre dans tout le Sahara, et dont Duveyrier avait déjà entendu parler ; elle est peinte à l’ocre et encadrée d’un rectangle de 1 mètre de long sur 0 m. 80 de large ; les lettres ont une dizaine de centimètres. M. Benhazera [Six mois chez les Touaregs, p. 205 et suiv.] a pu en copier la moitié.
Cette inscription serait bien écrite en caractères koufiques qui, comme on sait, furent abandonnés peu de temps après l’hégire ; sa signification semble bien indiquer qu’elle émane des premiers missionnaires qui aient cherché à convertir le pays à l’Islamisme ; s’appuyant en outre sur quelques données historiques, Benhazera fixe au VIIe ou VIIIe siècle de l’ère chrétienne la date de cette inscription.
Située à 5 mètres au-dessus du sol, dans une vallée étroite où le vent s’engouffre avec force, cette inscription n’a pas pu être effacée par l’érosion éolienne, en plus d’un millier d’années[198].
Les talus de sable qui, dans le Manga, forment la bordure des cuvettes sont souvent attaqués par de véritables « torrents éoliens ». Profitant d’une brèche, ouverte dans cette petite dune, le vent y entraîne lorsqu’il est violent, de grandes masses de sable qui creusent un véritable ravin, au fond duquel se trouve parfois, sur la face orientale de la cuvette, une sorte de cône de déjection. Le phénomène est fréquent entre Mirrh et le Tchad ; Freydenberg a pu l’observer à l’est du lac et il a noté, près de Mao, un affouillement de 60 à 80 centimètres, creusé en une heure [l. c., p. 57-58].
Mais il s’agit de sable de dune non cimenté, d’un sol extrêmement meuble, incapable de résister au moindre agent d’érosion.
De semblables phénomènes sont fréquents dans les dunes où le moindre ébranlement, quelle que soit sa cause, peut produire des éboulements considérables ; on connaît leurs analogues dans les champs de neige et dans les cendres volcaniques, où des avalanches sèches produisent souvent des érosions autrement considérables.
Il semble donc que la puissance érosive du vent et du sable qu’il entraîne est extrêmement faible ; le rôle du vent se borne à enlever tous les matériaux meubles que la sécheresse lui a livrés ; la genèse des regs [cf. t. I, p. 3] en est un excellent exemple ; le vent excelle aussi à dépouiller toutes les hauteurs de la terre végétale, laissant partout la roche à nu ; il en résulte dans le paysage des lignes très heurtées, des formes presque géométriques qui, à première vue, font croire à une érosion formidable ; tous les reliefs du Sahara sont réduits à leur squelette. Un aspect aussi décharné ne nous est familier, en Europe, que sur les hautes montagnes ou au bord de la mer et nous sommes portés à l’attribuer, au désert comme chez nous, à une érosion puissante : il s’agit d’un simple époussetage.
Insolation. — Grâce à la sécheresse de l’air au Sahara, les variations de température de la surface des roches sont considérables ; elles peuvent atteindre en vingt-quatre heures une soixantaine de degrés. A cause de leur mauvaise conductibilité, la plupart des roches supportent mal un pareil régime ; il se produit une desquamation, un décollement des parties superficielles, auquel sont le plus souvent attribuables les menues esquilles qui, à la surface des hammadas calcaires et des tassilis gréseux, jonchent le sol et rendent la marche pénible sur ces surfaces horizontales. La protection que ces éclats assurent, contre l’insolation et le rayonnement, aux roches qu’ils recouvrent, empêche le phénomène de se manifester profondément.
Sous l’influence du même phénomène, beaucoup de blocs éruptifs s’ouvrent « en roses » ; les écailles qui se détachent par ce mécanisme sont en général assez minces (quelques centimètres au plus), mais elles peuvent atteindre plusieurs décimètres carrés de surface. Ces écailles granitiques ont souvent été utilisées dans la construction des tombeaux.
Beaucoup se séparent complètement et tombent sur le sol au pied du bloc dont elles proviennent ; il semble donc que cette desquamation puisse se continuer indéfiniment ; mais, en fait, l’abondance des dessins et des inscriptions tifinar’s, vieux au moins de plusieurs siècles, sur un grand nombre de blocs de granite, met bien en évidence la lenteur de leur destruction et le peu d’importance de ce mécanisme ; même au Sahara, l’insolation, pas plus d’ailleurs que l’érosion éolienne, ne paraît capable de modifier sérieusement le modelé acquis ; la réunion de ces deux facteurs, dont on a visiblement exagéré l’importance, est incapable d’expliquer la genèse des éléments sableux qui ont servi à l’édification des dunes.
D’ailleurs dès qu’un éclat est assez petit pour que ses différentes parties puissent se mettre rapidement en équilibre thermique, le soleil ne peut plus rien sur lui et il ne semble pas que l’insolation soit capable de réduire une roche à l’état de sable.
Nous sommes donc ramenés, par une voie indirecte, à chercher ailleurs l’origine des éléments qui ont servi à la construction des ergs ; il faut admettre que ces éléments sont antérieurs au désert ; ils ont été formés par ruissellement et par érosion fluviale à une époque où les oueds du Sahara étaient de vrais fleuves ; les dunes proviennent d’un remaniement par le vent des alluvions quaternaires [cf. t. I, chap. II].
On a parfois attribué à l’insolation la formation de squames épaisses de 2 mètres, et de grandes dimensions superficielles ; je ne crois pas que cette manière de voir soit justifiée : en Europe, où le phénomène a été bien étudié, les variations de la température du sol s’amortissent très vite avec la profondeur ; à 1 mètre, elles ne sont plus que de quelques centièmes de degré. Cette loi de décroissance, conforme d’ailleurs aux données expérimentales de la physique, est certainement applicable aux roches des pays chauds.[199] où il est douteux que, à 2 mètres de profondeur, les variations diurnes de la température dépassent quelques dixièmes de degré ; les dilatations qui en résultent sont bien faibles pour expliquer une rupture, d’autant plus qu’elles se produisent lentement.
Cette desquamation par insolation ne peut porter que sur des plaques peu épaisses, à cause des conditions physiques qu’elle nécessite.
[176]On trouvera de nombreux renseignements techniques et des indications bibliographiques sur les roches africaines dans les publications suivantes :
Lacroix, Résultats minéralogiques de récentes explorations dans l’Afrique occidentale française et dans la région du Tchad, La Revue Coloniale, 1905, p. 129-139, 205-223. — Gentil, Pétrographie, in Foureau, Documents scientifiques de la Mission Saharienne, 1905, p. 697-749. — A. de Romeu, Sur les roches éruptives rapportées par le capitaine Théveniaut de l’Adr’ar’, Bull. du Muséum, 1907, p. 179-181. — Chudeau, C. R. Ac. Sc., 1907, CXLV, p. 82-85. — Courtet, in Chevalier, L’Afrique Centrale Française, 1908, p. 670-690. — Hubert, Contribution à l’étude de la Géographie physique du Dahomey, Thèse, 1908, p. 459-501. — Freydenberg, Le Tchad et le bassin du Chari, Thèse, 1908, p. 171-187.
[177]D’après Rolland, Géologie du Sahara Algérien (Mission Choisy), 1890, p. 247.
[178]Dans des notes antérieures, Gautier et moi, avions indiqué qu’il y avait peut-être des roches d’épanchement dans l’Adr’ar’ des Ifor’as. Jusqu’à présent, l’examen pétrographique n’a pas confirmé cette impression.
[179]Lacroix, Contributions à l’étude des brèches et des conglomérats volcaniques, in Bull. Soc. Géol. Fr., [4], VI, 1906, p. 635-685.
[180]Freydenberg, La Géographie, XVII, 1908, p. 111.
[181]Hubert, C. R. Ac. Sc., 1er août 1904.
[182]Bull. Soc. Géol. Fr., 4e s., VII, 1907, p. 427-440.
[183]Arsandaux, Contribution à l’étude des roches alcalines de l’Est africain, Thèse, Paris, 1906. — Lacroix, C. R. Ac. Sc., CXXX, 1900, p. 1208.
[184]Bull. Soc. Géol. Fr., 4e s., VIII, 1908, p. 35. — Des mêmes auteurs, une note plus détaillée, avec bibliographie, La latérisation, in Bull. Soc. de l’Industrie Minérale, [4], IX, 1908.
[185]Thèse, Paris, 1905, p. 132.
[186]La Géographie, XV, 1907, p. 107. — Id., XVII, 1908, p. 111.
[187]Doc. Sc., t. II, p. 672 et suiv.
[188]Lemoine, Bull. du Comité de l’Afr. fr., janvier 1908, p. 38-40.
[189]Capitaine Friry, Note sur la Géologie du Sénégal, p. 292, in Bull. du Muséum, 1908, no 6, p. 285-300.
[190]Rens. col. Bull. du Comité de l’Afr. fr., juillet 1907, p. 173. — La Géographie, XVI, 1907, p. 376.
[191]Les observations barométriques ont donné une différence de niveau de 150 mètres entre la ligne de faîte du plateau et la sebkha de Taoudenni.
[192]Koukchat = enveloppe, écorce.
[193]Lacroix, Bull. Soc. Française de Minéralogie, 1908. — Gadel, Revue Coloniale, 1907, p. 351. — J’ai pris aussi quelques renseignements dans une lettre du lieutenant F. de Jonquières, et dans une note manuscrite du sergent Lacombe.
[194]Peut-être y a-t-il un rapprochement à faire, au point de vue clinique, entre le sel de Bilma et les roches éruptives alcalines du centre africain ?
[195]Teguidda voudrait dire source, d’après Jean, Les Touaregs du S.-E., p. 135.
[196]Gadel, Notes sur l’Aïr, p. 51. — Jean, l. c., p. 136-137. — Rapport inédit de Posth.
[197]Toutes les oasis du désert libyque (Fayoum, Baharia, Farafra, Kharga) auraient une origine analogue. Par suite de l’érosion, depuis l’Éocène, les calcaires à operculines, assez résistants, ont disparu de toutes les parties hautes des accidents anticlinaux, laissant à nu les terrains crétacés, formés de roches tendres. Pendant la fin des temps tertiaires et le début du Quaternaire, les roches, mises ainsi à découvert et déjà disloquées par les actions tectoniques, auraient disparu sous l’influence du ruissellement et, à l’époque actuelle, du sable traîné par le vent. Ce dernier produirait maintenant les effets les plus remarquables. Dans les cuvettes ainsi creusées se sont établies les oasis.
Cette manière de voir, nettement indiquée à propos de Baharia, qui est une dépression sans issue, [Beadnell, Découvertes géologiques récentes dans la vallée du Nil et le désert Libyen, in VIIIe Congrès géologique, Paris, 1900, p. 857] est encore reprise par J. Ball [Kharga Oasis : its topography and geology, Cairo, 1900, p. 100 et 101] ; cependant l’existence de galets et de tufs, avec feuilles de Quercus Ilex, au fond de la dépression, est donnée comme une preuve que l’érosion fluviale a commencé le travail ; le vent n’a fait qu’agrandir la cuvette ; un peu plus tard, Ball et Beadnell [Baharia Oasis, etc., Cairo, 1903, p. 72] reconnaissent qu’un lac a joué un certain rôle dans l’affaire. Enfin Beadnell [The topography and geology of the Fayum province of Egypt, Cairo, 1905] donne (fig. 6, p. 67) la carte d’une rivière qui, pendant l’Éocène supérieur et l’Oligocène, aboutissait au Fayoum. Cette rivière passait à Baharia où elle s’épandait en lac. Il semble donc que le gros travail a été fait par l’eau ; le vent se serait chargé de déblayer les matériaux meubles et de parachever la sculpture des falaises. Davis arrive à des conclusions analogues pour les déserts américains [Bull. Mus. Comp. Zoology, XXXVIII, 1901, p. 187-192 et XLII, 1903, p. 34].
[198]L’âge koufique de cette inscription a, paraît-il, été contesté ; elle serait récente. En tous cas, dès 1860, elle était célèbre au Sahara et déjà considérée comme ancienne. Croit-on qu’en France, un graffiti, tracé à l’ocre, resterait pleinement lisible pendant plus d’un demi-siècle ?
[199]Dans les dunes du Sahara où les variations de la température superficielle sont considérables, il suffit de creuser un trou de quelques centimètres pour trouver une température sensiblement constante.
CHAPITRE VIII
LE COMMERCE
Le commerce transsaharien. — Le commerce saharien. — L’avenir.
Le commerce transsaharien. — Il a été de mode, pendant longtemps, de considérer le commerce transsaharien soit comme très riche et assez important pour justifier l’établissement d’un chemin de fer, soit au contraire comme très pauvre et parfaitement négligeable. Les études de ces dernières années permettent, sinon de mettre la question tout à fait au point, du moins de croire que les échanges qui se font par caravanes à travers le désert ont une importance suffisante pour justifier une étude attentive et pour attirer l’attention du commerce français.
Autrefois le trafic saharien était très simple : la traite des noirs en faisait la base ; les plumes d’autruche, l’or[200] étaient l’objet de transactions insignifiantes et déjà Duveyrier savait que la sécurité plus grande que le général Faidherbe avait assurée à la voie du Sénégal, permettait à ces matières riches de s’écouler par Saint-Louis.
La suppression de la traite qui ne subsiste plus guère qu’au sud du Maroc et, beaucoup plus à l’est, entre l’Ouadaï et Ben Ghazi, a depuis une trentaine d’années modifié complètement les conditions du transit saharien.
Au commencement du XIXe siècle, le Niger était fréquenté par les caravanes du Gourara qui fournissaient d’esclaves l’Algérie et le Maroc.
Le Tidikelt commerçait avec l’Aïr et Kano ; le fait que de nombreuses tribus de la région sont bilingues [cf. t. I, p. 307] facilitait singulièrement les relations entre les Arabes du Sud algérien et les Berbères du Soudan. Chaque année, les ksour seuls d’In Salah envoyaient vers Kano une caravane de 500 chameaux portant des étoffes algériennes. Ils ramenaient de 500 à 1000 esclaves qui, payés 25 francs au Soudan, se vendaient 150 à In Salah. Les vieillards du Tidikelt ont conservé le souvenir d’affaires encore plus fructueuses : en 1853, un cheval, acheté 315 francs au Tidikelt, fut échangé à Kano contre 40 négresses. Le voyage complet durait six mois.
A cette époque, le Tidikelt avait de nombreux chameaux ; cependant il devait parfois en louer au Touaregs de l’Ahaggar : le prix était de 20 metkals d’or (125 fr.) jusqu’à Zinder ; c’est encore à peu près le prix actuel[201].
Presque tous les ans, partant du Tafilala ou de l’oued Draa, des rezzou vont encore jusqu’à Taoudenni enlever des esclaves ; ils atteignent parfois le Timetrin ou l’Adr’ar’ des Ifor’as et l’un d’eux a récemment menacé Tombouctou et Bemba. La reconnaissance de l’Iguidi, celles des pistes qui, du Touat, mènent au Djouf et de Taoudenni au Niger[202], permettent d’espérer que ces actes de brigandage déjà peu fructueux deviendront de plus en plus hasardeux et que les pillards, menacés d’avoir leur retraite coupée, renonceront à ces coups de main dont la rémunération ne serait plus suffisante. Il convient cependant de remarquer qu’au voisinage de l’Atlantique les fusils à pierre font place à des armes plus perfectionnées : le rezzou[203] que les Taïtoq de l’Ahnet avaient lancé à la fin de 1906 contre les tribus du Sahel a été presque entièrement détruit par les fusils à tir rapide des Maures, qui, cette année même (1908), nous ont fait éprouver des pertes cruelles.
Il semble par contre que, entre la Tripolitaine et l’Ouadaï[204], l’antique commerce des esclaves a conservé toute son importance : les noirs sont échangés contre des armes et des munitions de guerre, destinées en majeure partie à l’Ouadaï et au Darfour ; si nous n’y veillons, la situation peut devenir dangereuse pour l’Angleterre comme pour nous[205].
Le commerce de Benghazi avec l’Ouadaï[206] et les régions voisines de l’Afrique centrale est en progrès depuis quelques années ; en 1905, les caravanes avaient transporté dans l’Ouadaï 300 charges de chameaux[207], consistant surtout en objets manufacturés d’origine anglaise, en thé et en sucre ; leur valeur était de 218000 francs. En 1906, les statistiques des consuls ont compté 500 charges valant 363000 francs. On a de plus constaté, officiellement, l’arrivée de 8000 fusils et revolvers à Benghazi en 1905, et de 9000, en 1906 ; ces chiffres sont évidemment un minimum, la contrebande de guerre ne se faisant pas habituellement au grand jour. La plupart de ces armes sont dirigées sur l’Afrique centrale. Sur une route différente, une caravane de 200 chameaux, chargée d’armes et de munitions, était passée à Iférouane peu de temps avant mon arrivée dans l’Aïr (sept. 1905). La contre-partie de ces importations est formée surtout par le commerce des esclaves.
Entre ces deux voies extrêmes qui échappent encore, au moins en partie, à notre contrôle, il existe quelques autres pistes.
Celle de Mourzouk au Tchad par Bilma, très pénible, est délaissée depuis quelques années : le pillage du Bornou par Rabah avait appauvri son terminus et les fréquentes attaques des Tebbous et des Ouled Sliman la rendaient trop peu sûre ; elle est si peu fréquentée que le lieutenant Ayasse[208], pour sa reconnaissance du Kaouar, (20 déc. 1904-4 février 1905), n’a pu trouver aucun guide connaissant la piste de N’Guigmi à Bilma. L’occupation de Bilma (1906) rendra à cette route une sécurité suffisante, mais il est douteux que cette occupation puisse être maintenue ; l’absence complète de pâturages dans la région y rend trop onéreux l’entretien d’un peloton de méharistes, la seule arme que l’on puisse utiliser dans le Tiniri.
Les échanges entre le Tidikelt et la région de Tombouctou sont depuis quelques années peu importants.
Ils ont eu cependant leur période de prospérité pendant une vingtaine d’années : vers 1840, la conquête de l’Algérie avait partiellement fermé ce marché au commerce des esclaves. Les caravaniers d’In Salah, renonçant à Kano, se tournèrent alors vers R’adamés et agirent comme simples commanditaires de négociants tripolitains dont ils transportaient les marchandises à Tombouctou : ils touchaient 100 metkals d’or (625 fr.) pour le transport de trois charges de R’adamés au Niger.
La prise de Tombouctou par El Hadj Omar et ses Toucouleurs (1861), l’hostilité des Touaregs obligèrent les habitants du Tidikelt à renoncer à ce commerce ; à cause des facilités de transport par le Sénégal, le chemin de fer de Kayes à Koulikoro et le Niger, facilités qu’accroîtra la ligne bientôt achevée de Thiès à Kayes, il est douteux que la paix française puisse le faire revivre.
Une caravane de 68 chameaux, partie du Tidikelt, a fait une tentative en 1904 ; elle a trouvé le marché de Tombouctou encombré de marchandises venues par le fleuve.
Mabroucka, fondée il y a environ deux siècles par les Arabes d’Araouan, a servi longtemps d’entrepôt aux caravanes de Tombouctou au Touat ; elle a pu avoir une population d’un millier d’habitants. Ce ksar a été détruit et pillé il y a une dizaine d’années et comme il n’a plus de raison d’être, il ne s’est pas relevé de ses ruines. Cauvin[209] qui l’a vu en mai 1907, n’y a trouvé qu’un seul habitant, un vieux marabout qui n’avait jamais voulu le quitter.
Restent les pistes qui, passant par l’Aïr, aboutissent aux États haoussas (Zinder-Kano). Elles ont été récemment étudiées sur place et les notes (Gadel, Dinaux, Métois) dont elles ont été l’objet aboutissent aux mêmes conclusions, qui sont bien d’accord avec les renseignements et les impressions que j’ai pu recueillir dans l’Ahaggar, l’Aïr et à Zinder.
La plupart des caravanes qui aboutissent à Zinder et à Kano partent de Tripoli où elles s’approvisionnent de produits anglais dont Malte est le principal entrepôt[210]. Elles passent ensuite par R’ât où les Turcs tiennent garnison. La neutralisation injustifiée de Djanet, que le capitaine Touchard avait occupé en 1905, nous rendra difficile la surveillance de cette voie qui est importante. Du 1er janvier à la fin d’avril 1904, il est passé à Djadjidouna (Damergou) 700000 francs de marchandises à destination de Kano ; 300000 francs, de Zinder. Cette statistique, arrêtée trop tôt, ne porte à peu près que sur le quart des caravanes qui passent annuellement à Djadjidouna.
Une partie des marchandises (couvertures, burnous, etc.) provenait de Tripolitaine ; les articles européens de qualité médiocre (papiers, cotonnades, sucres, quincailleries, etc.) étaient de fabrication anglaise, allemande ou italienne. La France n’était représentée que par une centaine de francs de bougies [Jean, Les Touaregs du S.-E., p. 47-48].
Pendant mon séjour à Iférouane (21 septembre-14 octobre 1905), j’y ai vu passer chaque jour de petites caravanes d’une vingtaine de chameaux. Le commandant Gadel, qui a pu faire, soit à Agadès, soit à Zinder, des observations plus longues et contrôlées par les statistiques des postes, donne les chiffres suivants : les Arabes apportent environ 1300 charges[211] à Zinder et une centaine à Tessaoua ; les articles principaux sont des cotonnades, les allumettes, les bougies, le papier, quelques parfums, etc., le tout de provenance anglaise. De Zinder il part annuellement, vers le nord, 1000 charges de filali[212], 15 d’ivoire et autant de plumes d’autruche ; de Tessaoua, 150 charges de filali.
Les chiffres indiqués sont évidemment faibles ; ils suffiraient à peine à assurer chaque année la charge d’un train de marchandises : un chemin de fer transsaharien ne saurait être envisagé autrement que comme instrument impérial. Malgré son peu d’importance, ce trafic représente largement trois millions sur lesquels les bénéfices sont considérables ; il ne peut que s’accroître : depuis que nous assurons la paix à ces malheureuses régions que ravageaient, il y a quelques années encore, les conquérants noirs (Rabah a été vaincu et tué à Koussri le 22 avril 1900), la population se refait rapidement, les cultures se développent et le commerce ne peut que suivre la même marche.
Le commerce saharien. — A côté de ce trafic direct entre la Méditerranée et le Soudan, il existe à l’intérieur du Sahara un commerce assez considérable.
Les Touaregs de l’Ahaggar sont obligés d’acheter au dehors des dattes et des céréales que leur pays ne produit pas en quantité suffisante. Chaque année, à l’automne, ils vont au Tidikelt chercher des dattes qu’ils échangent contre du bétail (chameaux, ânes et chèvres) ; ils achètent en même temps des cotonnades qui leur servent surtout dans leur commerce avec le Soudan. D’autres caravanes, à la même époque, vont dans l’Aïr et le Damergou, parfois jusqu’au Zinder, acheter du mil qu’ils troquent contre le sel d’Amadr’or et les cotonnades du Tidikelt. Ce commerce annuel est le plus important, mais il n’est pas le seul. Presque chaque mois, quelques Arabes du Tidikelt, des Ahl Azzi surtout, passent à l’Ahaggar avec quelques chameaux : la cotonnade est toujours le fond du chargement ; le sucre, un peu de verroterie et de quincaillerie ne sont que des accessoires ; ils échangent d’abord presque toutes leurs marchandises, dans les ar’erem, contre des céréales, puis ils vont de campements en campements vendre leur grain et leur pacotille contre des chèvres qu’ils ramènent à In Salah.
Depuis que les tournées fréquentes des troupes du Tidikelt ont rendu l’argent moins rare à l’Ahaggar, beaucoup de ces Ahl Azzi préfèrent être payés en pièces de cinq francs.
Régulièrement aussi quelques Touaregs, appartenant surtout aux tribus Isak’k’amaren, circulent entre l’Ahaggar, le Tidikelt, R’ât et l’Aïr. Leur commerce porte surtout sur les produits de l’industrie du Soudan : selles de méhari, filali, peaux de bouc, vêtements brodés, et quelques objets de luxe achetés à R’ât.
Enfin quelques caravaniers vont jusqu’à l’Adr’ar’ des Ifor’as, où, en dehors du bétail, ils trouvent du riz du Niger.
Plus au sud, il ne subsiste plus qu’une seule marchandise, le sel, donnant lieu à des transactions importantes. En 1906, la grande caravane du mois de mai, l’azalai, a apporté sur le marché de Tombouctou 48000 barres de sel de Taoudenni (la barre pèse 40 kg.)[213] soit 12000 charges ; ce chiffre n’est qu’un minimum, l’impôt de 10 p. 100 que prélève le fisc sur ce produit rendant la contrebande fructueuse dans un pays dont la surveillance est difficile. De Bilma, l’exportation est peut-être encore plus considérable : d’après Gadel, les Kel Oui dirigeraient 15000 charges de sel sur Zinder, 1500 sur Guidambado et 800 sur Tessaoua ; il y a encore d’autres lignes et de Jonquières évalue à 40000 le nombre des chameaux qui viennent annuellement dans le Kaouar chercher le sel. Pour les Teguiddas et l’Amadr’or, les chiffres font défaut, mais doivent être assez importants.
La contre-partie est fournie par les cotonnades du Soudan, mais surtout par les céréales qui donnent parfois lieu à des transactions très avantageuses : une mesure de beau sel d’Amadr’or s’échange contre 6 ou 7 mesures de mil dans l’Aïr, et jusqu’à 30 ou 40 dans le Damergou suivant Benhazera ; d’après une note manuscrite du sergent Lacombe, un pain de sel de Bilma de 10 kilogrammes vaut sur place 0 fr. 10 et se vend à Zinder de 10 à 12 francs. La barre de sel de Taoudenni vaut 10 à 12 francs à Tombouctou ; sur place, elle est échangée contre 1 franc en riz ou en mil ; cela fait une trentaine de francs de bénéfice par charge.
Cette prédominance du commerce du sel dans les confins sahariens est inquiétante : les nomades ont dû, depuis quelques années, renoncer au commerce des esclaves qui était pour eux une source de gros revenus ; malgré l’infériorité probable de certains noirs, il n’y a évidemment pas lieu de regretter la suppression de ce trafic. Mais le Sahara est à peine remis de la perturbation économique qu’a amenée l’interdiction de la traite. Le commerce du sel est menacé d’une révolution analogue : à mesure que se perfectionnent les voies d’accès au Niger, les articles européens deviennent d’un transport de plus en plus facile ; déjà, de Dakar ou de Saint-Louis, le sel commence à pénétrer jusqu’au grand fleuve ; les noirs hésitent encore un peu à acheter un produit qui ne se présente pas sous l’aspect traditionnel, mais la différence de prix assurera rapidement le triomphe du sel sénégalais et d’ici quelques années, les grandes caravanes de Taoudenni ne seront plus qu’un souvenir.
Il ne faut pas d’ailleurs s’exagérer l’importance de ce ksar ; sur la foi des racontars indigènes, on lui attribuait 2000 habitants. D’après Cauvin [l. c., 553], Taoudenni est un village assez misérable, entouré d’un mur d’enceinte rectangulaire (120 m. sur 80 m.) en mauvais état, que ne défendent plus deux canons hors d’usage (Pl. XXXVII, phot. 71, 72) ; il n’y aurait que 150 à 200 habitants, 45 à 50 chefs de cases. Cortier [La Géographie, XIV, 1906, p. 327] donne un plan de Taoudenni.
Bou Djebeha (Pl. XXXVI, phot. 69) n’a que 40 cases ; il n’y a aucune culture, malgré 29 puits de profondeur médiocre. Araouan (Pl. XXXVI, phot. 70) paraît plus important (1000 h. ?) Ce serait une très vieille ville, antérieure à Tombouctou[214]. Ces trois ksour ne vivent que du commerce du sel et paraissent appeler à une prompte disparition dont les causes seront purement économiques.
Bilma, à cause de son éloignement, est moins rapidement menacé que Taoudenni, mais perdra cependant une partie de sa clientèle : la région de Tahoua est trop près du Niger pour ne pas lui échapper.