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Missions au Sahara, tome 2 : $b Sahara soudanais

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R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XVII.

33. — 1. Mentha sylvestris L. (Demi-grandeur.)

d, forme saharienne.

t, forme des environs de Paris.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XVIII.

34. — 2. Veronica Anagallis L. — 3. Cynodon Dactylon Pers. (Demi-grandeur.)

d, forme saharienne.

t, forme des environs de Paris.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XIX.

Cliché Posth

35. — ZONE SAHELIENNE.

Une prairie de “ Kram-Kram ”, au nord de l’Adr’ar’ de Tahoua.

Cliché Pasquier

36. — UNE MARE CHEZ LES OULIMMINDEN.

A l’est de Gao.

J’ai déjà indiqué la disposition en chapelets de la plupart des vallées qui descendent de la Coudia ; en aval de chaque barrage, l’eau est loin de la surface et l’on n’y trouve guère que quelques talah et iatil, avec quelques touffes de mrokba ; à mesure que l’on s’approche du seuil inférieur, la nappe aquifère est moins profonde ; le Calotropis, puis plus bas encore le teborak (Balanites) se montrent d’une façon assez régulière. Les tamarix ne poussent non plus que dans les endroits humides, où ils forment parfois des fourrés assez épais (Abalessa, tin Gellet, oued Zazir à 500 mètres en amont du point d’eau). Ils manquent dans certains oueds ; peut-être la teneur en sel n’est-elle pas étrangère à leur répartition. Le guétaf les accompagne et forme le fond des pâturages.

Parfois un seuil est très étroit et la différence de niveau entre deux barrages successifs est suffisante pour que l’eau afflue constamment à la surface ; la végétation devient alors fort belle. J’ai noté, au point d’eau de l’oued Zazir, des typhas, des joncs, des scirpes, épilobe, menthe, véronique et de nombreuses graminées, avec quelques beaux arbres.

Dans certaines vallées larges de l’Ahaggar, il existe un lit mineur bordé de berges d’alluvions hautes parfois de 1 mètre ; les arbres et le mrokba sont localisés dans ce lit mineur ; le lit majeur est couvert de diss formant une véritable prairie, assez comparable aux prés bas des vallées d’alluvion de France (fig. 64).

La photographie (Pl. IV, 7) prise près d’In Amdjel donne une idée nette de cet aspect.

D’ailleurs le mot de prairie ne convient pas exactement aux formations de l’Ahaggar. En géographie botanique, les prairies sont caractérisées par un tapis végétal continu où dominent les graminées à feuilles molles ; le diss du massif touareg ne contient que des graminées à feuilles raides et dures, parmi lesquelles domine l’Eragrostis cynosuroïdes Retz. A cause de sa végétation sclérophylle, il vaudrait peut-être mieux dire la steppe, bien que les graminées ne poussent pas par touffes et forment un véritable gazon.

Les coulées basaltiques sont partout des réserves d’eau importantes ; en général, à leur contact avec les terrains imperméables il s’établit une riche végétation de plantes hygrophiles, parfois à larges feuilles. J’ai noté près de Tit, au pied de la coulée qui couronne le plateau où se trouvent les belles tombes représentées dans le premier volume [p. 72, fig. 2, a] de grandes bourraches, à près de vingt mètres au dessus de l’oued.

Avec sa végétation variée, l’Ahaggar n’est qu’un demi-désert.

On en peut dire autant des tassili : la surface des plateaux est en général très dénudée, mais il suffit d’une cuvette en contre-bas de quelques mètres pour que quelques plantes s’y montrent ; les cañons qui découpent les tassili contiennent tous, dans leur fond, des pâturages assez variés et souvent riches ; mais leurs parois sont peu garnies ; elles portent à peine autant de plantes que celles des Causses ; à première vue on se croirait dans une région de plateaux calcaires, bien plutôt que dans des grès, qui par leur perméabilité retiennent facilement l’humidité et, dans nos climats, sont habituellement plus fertiles.

Fig. 64. — Contreforts méridionaux de l’Ahaggar vus des oueds Tilenfeda (une journée à l’ouest de l’Arigan).

A gauche, gazon de diss (Eragrostis) avec quelques talah. A droite, quelques teborak auprès du filon de porphyre qui barre partiellement la vallée. Dans le lit de l’oued, quelques touffes très rares de mrokba. Si, au lieu d’arbustes, il y avait des arbres, ce serait une végétation de parc.

Quant aux tanezrouft, leur caractère propre est la stérilité ; on n’y trouve rien, si ce n’est, de loin en loin, quelques talah et quelques herbes rabougries dans le lit d’un oued. L’oued Takamat qui avait coulé en 1898, sept ans avant notre passage, contenait encore un maigre pâturage.

Le plus souvent, pour traverser ces régions déshéritées, il faut emporter des fourrages pour les chameaux et un peu de bois pour la cuisine.

Les adaptations. — Au Sahara, les végétaux n’ont guère à lutter que contre un seul ennemi, la sécheresse.

Ils y arrivent par de multiples procédés ; l’un des plus simples est purement physiologique : la plante, au lieu de s’astreindre à lutter péniblement contre la sécheresse, a pris le parti de vivre vite : profitant de la moindre averse, la graine germe rapidement, les fleurs s’épanouissent de suite et de nouvelles graines arrivent à maturité avant que le sol ait perdu ses dernières traces d’humidité.

Un certain nombre de plantes annuelles sont dans ce cas ; elles poussent partout, même en plein tanezrouft, au hasard d’un orage, et ne fournissent aucun caractère de zone botanique ; elles sont « hygrophiles » et leur structure anatomique est celle des plantes de nos climats.

Elles sont souvent en pleines fleurs avant que leurs cotylédons soient flétris. Cette végétation éphémére d’acheb et de n’si[118] ne semble guère varier de l’Algérie au Soudan ; dans l’Adr’ar’ des Ifor’as comme dans l’Aïr, on retrouve les mêmes espèces, ou tout au moins des formes très voisines, avec des dimensions plus grandes ; sauf les graminées, toutes ces plantes rampent sur le sol (elles n’ont pas le temps de lignifier leurs tissus) ; mais les cercles qu’elles couvrent de leurs rameaux, portant fleurs et fruits, varient de quelques centimètres de rayon, lorsque la pluie a été médiocre, à 1 m. 50 et plus lorsque l’humidité ne fait pas défaut. Ce sont des plantes éphémères, dont la vie ne dure que quelques semaines.

On peut rattacher à ce mode d’adaptation, le raccourcissement de la vie, l’exemple du Malcolmia Ægyptiaca Spr. et de l’Echinopsilon muricatum Moq. qui, habituellement vivaces dans le bassin de la Méditerranée, deviennent annuels dans les dunes du Souf (Massart).

On peut encore en rapprocher, comme dépendant immédiatement de la pluie, un petit nombre de plantes grasses telles que l’Aizoon canariense L., divers Mesembryanthemum, qui excellent à emmagasiner dans leurs tissus l’eau d’une averse, mais qui meurent dès que leurs réserves, qu’elles ne savent ou ne peuvent pas entretenir, sont épuisées.

Plus nombreuses et plus caractéristiques sont les plantes dont la vie dépend des eaux souterraines[119]. Leurs racines s’enfoncent profondément dans le sol ; Volkens a souvent essayé d’arracher, avec toutes leurs racines, quelques plantes du Sahara ; il a toujours échoué même pour des herbes dont il suivait les racines à 1 ou 2 mètres de profondeur : un petit spécimen de Calligonum comosum L’Her. à peine haut comme la main avait, à 1 m. 50 de profondeur, des racines encore grosses comme le doigt. Lorsque l’on a creusé le canal de Suez, on a trouvé, dans le lit du canal, des racines qui provenaient d’arbres situés sur des mamelons assez éloignés des travaux.

Quelques plantes, comme la coloquinte, ne semblent avoir d’autre adaptation que le développement énorme de leur appareil souterrain.

La structure anatomique des plantes sahariennes présente un grand nombre de caractères de convergence, qui leur imprime à toutes un aspect analogue : le plus souvent, elle se présentent sous forme de touffes ligneuses que la sécheresse réduit à l’état de squelettes grisâtres. Ce sont des momies toujours prêtes à la résurrection et qui peuvent attendre fort longtemps le retour de l’humidité : sitôt après les pluies, après les crues ou un afflux d’eau souterrain, elles se couvrent rapidement de rameaux verts, en général succulents. Leurs puissantes racines, dont les vaisseaux sont relativement fort larges, leur permettent de profiter sans délais de la moindre humidité, en même temps qu’elles les fixent solidement au sol et empêchent le vent de les en arracher (Pl. XXIII).

Dans les parties aériennes, au contraire, les vaisseaux sont étroits ; tout l’épiderme, celui de la tige, comme celui des feuilles, est organisé pour restreindre l’évaporation ; il présente partout le même aspect ; le dessus et le dessous des feuilles sont souvent identiques. Cet épiderme est fréquemment revêtu d’une cuticule épaisse, parfois d’un manteau pileux, protection contre les grains de sable charriés par le vent, protection surtout contre les pertes d’eau. Cette épaisseur de la cuticule, qui masque la coloration verte de la chlorophylle, donne aux plantes du désert une teinte vert-grisâtre toute spéciale.

L’épiderme est peu perméable, il est de plus aussi restreint que possible : beaucoup de plantes sont aphylles ; lorsque les feuilles existent, elles sont habituellement petites et souvent charnues de façon à avoir un gros volume sous une faible surface. Dans les graminées, les feuilles sont en gouttière ou complètement enroulées. Il n’y a guère que la coloquinte et le calotropis qui fassent exception à la règle.

Cette réduction de l’appareil foliaire existe même chez les plantes qui poussent dans les points les plus humides du Sahara, chez celles qui croissent dans les seguias d’irrigation des ar’erem. On sait combien ces plantes semi-aquatiques sont en général cosmopolites ; quelques-unes, qui sont communes dans les régions tempérées, se retrouvent au Sahara, mais dans le désert, leur aspect, leur port, est devenu tout différent. M. G. Bonnier a bien voulu mettre à ma disposition quelques échantillons de l’herbier de France de la Sorbonne, provenant des environs de Paris, pour les comparer à ceux que j’avais recueillis au Sahara : les figures des planches XVII (phot. 33) et XVIII (phot. 34) suffiront à préciser les résultats de cet examen comparatif. Dans Mentha sylvestris L. de l’Ahaggar, qui est probablement cultivée[120], les feuilles sont un peu plus courtes et beaucoup plus étroites que dans l’exemplaire parisien. La réduction de l’appareil foliaire est encore plus marquée chez Veronica Anagallis L. Quant au vulgaire chiendent (Cynodon Dactylon Pers.), les feuilles, plus petites, sont plus serrées, plus rapprochées dans l’exemplaire africain, où elles forment une sorte de paquet ; elles sont surtout enroulées et repliées sur elles-mêmes de façon à restreindre la surface d’évaporation.

La coloration, la nuance du vert, dans ces trois espèces, diffèrent franchement entre les formes du désert et celles des régions tempérées. Malheureusement la photographie ne peut donner aucune idée de ce caractère différentiel qui est très général.

Ces divergences si manifestes ne peuvent être attribuées au manque d’eau : toute la partie inférieure de la véronique (Pl. XVIII, phot. 2d) était immergée dans une seguia et couverte de racines adventives, bien visibles sur la photographie ; c’est donc à la sécheresse de l’air, peut-être à l’intensité de la lumière, que les trois espèces figurées doivent leur aspect si particulier.

Les sucs d’un grand nombre de plantes du désert sont fortement salés et ceci est encore une défense contre la sécheresse, les solutions ayant une tension de vapeur inférieure à celle de l’eau pure. L’existence de ces plantes salées (guetaf, had, etc.) est très caractéristique de tous les déserts ; elles disparaissent dans la zone sahélienne et leur absence est très sensible à l’élevage du chameau : dans l’Adr’ar’ comme dans l’Aïr, les nomades ont reconnu depuis longtemps la nécessité de donner de temps à autre du sel à leurs animaux, de la terre d’ara’ en général ; dans le Tegama, on leur fait faire des cures aux teguiddas et ceci n’est pas sans amener une certaine gêne : quand un chameau a absorbé, d’un seul coup, une forte dose de sel, il ne peut se remettre en route sans danger ; il lui faut quelques semaines de repos ; cette observation des indigènes semble confirmée par la pratique du peloton monté de Zinder qui a toujours perdu des animaux après ses passages aux teguidda.

On a souvent fait ressortir d’assez grandes analogies d’aspect entre les plantes du désert et celles du littoral maritime : elles ont à lutter contre les mêmes facteurs : la fréquence du vent est un trait commun aux deux milieux ; le danger de la sécheresse est aussi redoutable aux bords de la mer qu’au Sahara : les plantes ne peuvent supporter qu’une dose limitée de sels ; au-dessus d’une certaine concentration, leurs sucs deviennent pour elles un poison.

Les plantes grasses. — Bien que, au Sahara, les espèces à feuilles et à tiges épaisses et charnues soient fréquentes, les plantes grasses les plus typiques, à forme de cactus, semblent exclues du désert.

Les agaves se sont fort bien acclimatés en Algérie où ils ont maintenant toutes les allures de végétaux indigènes ; les figuiers de Barbarie (Opuntia Cactus Indica) à cause de leurs fruits et surtout de la cochenille, dont ils sont le support habituel, ont été répandus, il y a quelques siècles, dans tout le bassin de la Méditerranée et aux Canaries ; ils y viennent fort bien, et se multiplient d’eux-mêmes comme une plante spontanée ; ils poussent aussi au Sénégal où ils ont assez chétive mine. Ni le figuier ni l’agave n’ont pénétré au Sahara.

Ce n’est que dans la zone sahélienne que des formes analogues se rencontrent ; dès l’Adr’ar’ des Ifor’as et l’Aïr, deux asclépiadées cactoïdes sont assez communes. La plus remarquable, le Boucerozia tombuctuensis (A. Chev.), passe pour un poison violent ; elle pousse en touffes hautes parfois de 1 mètre, avec des tiges épaisses à section carrée, presqu’ailées, vert pâle, parfois violacées. Les fleurs forment des boules compactes, d’une dizaine de centimètres de diamètre, d’un noir pourpre et à odeur de charogne bien marquée. Le Boucerozia paraît commun dans tout le nord de la zone sahélienne, depuis le littoral mauritanien jusqu’au Koutous. Une espèce très voisine, probablement une simple race géographique, est connue en Oranie. Le Boucerozia fait donc le tour du Sahara, mais n’y pénètre nulle part, malgré ses graines que le vent transporte facilement.

Une autre asclépiadiée de même port, mais plus petite et à tige ronde, se trouve dans les mêmes régions ; elle est comestible et les nomades la recherchent au commencement de la saison des pluies ; dans l’Adr’ar’ des Ifor’as, comme en Mauritanie, elle porte le nom d’« Abouila ». Il m’a été jusqu’à présent impossible de la trouver en fleurs ou en fruits et par suite de la déterminer.

Au Maroc, comme au Sénégal et à Koulikoro, on trouve quelques euphorbes cactoïdes ; aucune d’entre elles ne pénètre au Sahara. On a cité une forme de ce groupe (E. crassa) à Rio de Oro où elle a pu être plantée ; je ne crois pas qu’il en existe sur le littoral de Mauritanie, du moins entre Saint-Louis et le cap Blanc.

Les plantes grasses ne se contentent pas d’emmagasiner l’eau, comme le fait une outre ; elles la conservent combinée chimiquement à divers produits organiques, tout au moins comme eau d’hydratation. Cette combinaison exige une assez grande dépense d’énergie qui suppose des périodes végétatives de quelque durée. Il est probable que, au Sahara, les conditions de la vie sont trop dures, et que le travail capable de donner naissance à de grands organismes, comme les Cereus mexicains, est impossible.

En tout cas, l’absence de ces formes de cactus au Sahara, leur peu d’importance dans la zone sahélienne contrastent singulièrement avec ce que l’on connaît des déserts du Sud africain et des déserts du Nouveau Monde où elles sont un des traits essentiels du paysage. Cela peut inspirer aussi quelques inquiétudes sur la réussite des figuiers de Barbarie que l’on a cherché à introduire en quelques points, en Aïr notamment. Peut-être, cependant, réussiront-ils à Agadez qui est dans la zone sahélienne.

Lianes. — Un fait assez surprenant est la présence au Sahara de lianes, type végétal qui caractérise habituellement les formations forestières. Les exemples les plus nets sont fournis par le Dœmia cordata R. Br., le Salvadora persica L. et quelques autres plantes dont les rameaux s’enroulent fréquemment les uns autour des autres ; peut-être la coloquinte, avec ses longues tiges rampantes et ses vrilles, doit-elle être rattachée à la même catégorie. On sait, depuis Schenk, qu’il y a parmi les lianes un certain nombre d’espèces qui sont en train de s’adapter à un nouveau mode d’existence et qui vivent dans un milieu découvert. Ces lianes, en régression, se trouvent surtout au voisinage de la forêt ou tout au moins de la galerie forestière, et l’on en peut conclure probablement que ces galeries, dont on trouve des traces jusque dans l’Aïr et l’Adr’ar’, se sont étendues naguère à travers le Sahara le long des oueds, lorsqu’ils étaient vivants. Ceci aiderait à comprendre la distribution de certains végétaux ; une véritable liane, le Cocculus Leæba D. C., une des formes les plus essentielles de la zone sahélienne et du bassin du Nil, se retrouve dans le Tidikelt. On ne voit guère comment elle aurait pu y parvenir dans l’état actuel des choses.

Les graines. — Le mode de dissémination des plantes au Sahara mérite quelques remarques. Les plantes à fruit charnu ont habituellement leurs semences répandues par les oiseaux frugivores ; à part quelques vautours, il y a peu d’oiseaux au Sahara ; aussi les fruits comestibles sont-ils rares ; le Balanites ægyptiaca, le Salvadora persica ne se rencontrent guère que par hasard en dehors de la zone sahélienne ou de l’Ahaggar ; pratiquement ils font défaut dans le vrai désert.

Dans les pays où les mammifères sont abondants, nombre de végétaux ont des fruits accrochants qui se fixent à la fourrure des herbivores et sont disséminés par eux sur de larges surfaces. Il y a peu de mammifères au Sahara, partant peu de plantes qui usent de ce mode de transport et ceci nous fournit une bonne limite pour le désert ; dès que, remontant vers le nord, on arrive à la lisière des hauts plateaux, on constate qu’une infinité de graines se fixent après les vêtements ; au réveil, on trouve, accrochés à ses couvertures, des fruits d’ægilops, de daucus, de luzerne. Pareil ennui est inconnu au Sahara. Vers le sud, les choses sont tout aussi nettes ; aussitôt qu’on aborde la zone sahélienne les graines accrochantes se multiplient. La plus célèbre, et la plus odieuse aussi, est l’insupportable kram-kram des Européens, l’ouedja des Touaregs, le karenguia des Bambaras, l’initi des Maures : cette graminée (Cenchrus echinatus L., du moins dans la région de Tombouctou et en Mauritanie) forme des champs entiers, immenses et dont la traversée à pied quand, après la saison des pluies les graines sont mûres, est difficile, douloureuse même. Il est impossible de camper dans une prairie de karenguia, et les rares points de la brousse, dans le Tegama notamment, où manque ce végétal désagréable, sont repérés avec soin et sont les points d’arrêt obligés des caravanes. Une pince qui permet d’arracher les piquants crochus du fruit des Cenchrus, qui, quoiqu’on fasse, se fixent dans la peau, fait toujours partie de la trousse chirurgicale que tout Touareg du sud porte sans cesse sur lui, au milieu de ses amulettes.

Au Sahara, le vent est certainement le seul agent important de dissémination des graines ; il est d’ailleurs un agent fort actif : le 18 septembre 1906, après un fort coup de vent d’est, en plein tanezrouft, nous avons été gênés par un vol de moustiques dont les larves sont, comme on sait, aquatiques : le point d’eau le plus proche, In Azaoua, était à dix heures de marche ; par temps calme, ces agaçantes bestioles ne s’éloignent jamais de plus de quelques cents mètres de leur lieu de naissance. Les graines, qui ont la vie plus dure, doivent être entraînées plus loin.

Aussi la plupart des graines du Sahara sont-elles munies d’organes qui favorisent l’action du vent ; ce sont des graines anémophiles. Chez les stipées (drinn-n’si), une longue arête plumeuse, le plus souvent à triple branche, couronne la semence ; dans les tamarix comme chez les asclépiadées, une aigrette plumeuse est attachée à chaque graine. Dans les Cassia (séné) la gousse, très aplatie, donne une bonne prise au vent ; les plantes qui, à la maturité de leurs graines, se dessèchent complètement et se laissent rouler au moindre souffle, ne sont pas rares non plus : elles reproduisent le cas, plutôt un peu aberrant en France, du chardon rolland (Eryngium). Dans ce dernier groupe de formes où la plante entière est le jouet du vent, les capsules qui contiennent les graines restent souvent closes tant qu’elles sont sèches : la moindre pluie les fait ouvrir et les graines, bien protégées jusqu’au moment favorable où elles sont mises en liberté, germent sitôt échappées du fruit. Les exemples classiques de ces adaptations désertiques sont la main de Fatma (Anastatica hierochuntica, L.) et la rose de Jéricho (Asteriscus pygmæus, Coss.).

Quant aux champignons[121], des gastéromycètes surtout, qui semblent avoir en général une aire de répartition très vaste au Sahara, la petitesse de leurs spores, qui ont seulement quelques millièmes de millimètre de diamètre, explique leur facile dissémination.

Bien que a priori, la chose paraisse peu vraisemblable, il semble qu’il faille attribuer un certain rôle, dans la distribution des plantes, aux eaux courantes ; à chaque crue, des graines sont entraînées au loin et ceci explique probablement l’importance que les Touaregs attribuent à l’examen botanique dans la reconnaissance des oueds. Lorsque nous avons traversé le tanezrouft de Tin Azaoua à l’Ahaggar, la brume nous a obligés à marcher assez longtemps à la boussole ; arrivés à un thalweg qui, d’après la direction suivie, ne pouvait être que l’oued Endid ou l’oued Silet, nos guides, que le peu de transparence de l’air empêchait de voir les hauteurs qui leur auraient permis de se repérer au premier coup d’œil, nous ont affirmé que nous étions dans l’oued Silet parce qu’il y avait quelques irak (Salvadora persica). Plus en amont du même oued, près de Tibegehin, ce bel arbuste forme presque une forêt ; il manque à Abalessa et dans l’oued Tit dont l’oued Endid n’est que la prolongation.

Défense contre les animaux. — On a souvent supposé que, au Sahara, la lutte devait être particulièrement dure et acharnée entre les végétaux et les herbivores ; il ne semble pas qu’elle présente un caractère d’acuité particulièrement grave ; si la végétation est très clairsemée au désert, les animaux y sont encore plus rares.

On a voulu voir dans les épines une défense efficace contre la dent des mammifères ; en réalité les plantes épineuses ne sont pas beaucoup plus abondantes au Sahara qu’ailleurs. Les épines sont, en tous cas, une bien mauvaise défense, et les chameaux mangent avec grand plaisir les jeunes rameaux du talah : ils prennent la branche un peu haut et la font passer entre leurs dents comme dans une filière ; toutes les feuilles sont arrachées et les épines, que cette manœuvre couche le long de l’écorce, deviennent sans danger.

Il n’y a guère que les plantes vénéneuses qui semblent bien défendues : elles sont parfois très abondantes dans les points où passent de nombreuses caravanes ; Massart a fait remarquer que, autour des villes du M’zab, l’harmel (Peganum harmala L.) prenait une ampleur inusitée : toutes les plantes comestibles qui poussent à côté de lui sont impitoyablement mangées par les chameaux, et ce « sarclage, » constamment renouvelé, lui assure une victoire facile : à lui seul, il couvre le sol. En quelques points de la zone sahélienne, l’Ipomæa asarifolia fournit peut-être un exemple analogue. Il est difficile de savoir jusqu’à quel point ce mode de protection est efficace : le Calotropis procera a la réputation d’être toxique ; à Iférouane les chèvres et les bœufs ne le mangent guère, surtout quand il est sec. Le Dœmia cordata, une asclépiadée, est brouté sans danger en Mauritanie par tous les chameaux ; dans l’erg, les Chaambas le redoutent. Y a-t-il, dans certaines régions, accoutumance des chameaux à quelques poisons ou bien les plantes, comme on en connaît quelques exemples authentiques, ont-elles modifié la nature chimique de leurs sécrétions ? Il est difficile de répondre.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XX.

Cliché Posth

37. — L’ÉTANG PERMANENT DE KEITA.

Adr’ar’ de Tahoua.

Cliché Posth

38. — L’ÉTANG PERMANENT DE KEITA.

Adr’ar’ de Tahoua.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XXI.

Cliché Posth

39. — MARE D’HIVERNAGE DANS LA ZONE SAHELIENNE.

Au nord de l’Adr’ar’ de Tahoua.

Cliché Posth

40. — MARE D’HIVERNAGE DANS LA ZONE SAHELIENNE.

Sud du Tegama.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XXII.

Cliché Chudeau

41. — VÉGÉTATION D’“ AFERNANE ” (Euphorbia balsaminifera Aït.).

Littoral de Mauritanie. — Tivourvourt (17° 40′ Lat. N.).

Cliché Chudeau

42. — PATURAGE D’“ ASKAF ” (Traganum nudatum Del.).

Littoral de Mauritanie. — Bir El Guerb (20° 30′ Lat. N.).

Les cultures. — Dans toutes les régions où les pluies tropicales tombent en quantité suffisante (500 mm.) pour permettre la culture régulière des plantes alimentaires, les villages sont nombreux et chacun d’eux est entouré d’une zone débroussaillée de 4 à 5 kilomètres de rayon où l’on sème les céréales. Les noirs, avaient sans doute remarqué, dès longtemps, l’appoint apporté par les légumineuses à la fertilité du sol : en tout cas, dans le débroussaillement, ils épargnent souvent certains acacias. La limite de cette zone des cultures régulières coïncide avec la limite nord de la zone soudanaise.

Dans la région du Tchad, le Dagana est la dernière contrée dont la production agricole suffise à peu près à la vie des habitants ; ce Dagana est traversé par un bras du Bahr El Ghazal, l’oued Massakory, où les puits ne dépassent pas la profondeur de 3 mètres : tous les habitants du pays, 11000 Arabes plus ou moins métissés et à demi sédentaires, se sont groupés sur les deux rives de cet oued.

Plus à l’ouest, cette limite passe auprès du poste de Chirmalek ; autour de ce tout petit village, que nous avons cherché à reconstituer pour permettre à des fantassins d’aller sans trop de peine de Gouré au Tchad, les ruines de villages fortifiés sont nombreuses : depuis quelques années, les habitants ont émigré vers le sud. Je ne crois pas qu’il faille voir dans ce fait la preuve d’une péjoration du climat : à la limite de la zone soudanaise, la pluie n’est pas tous les ans suffisante pour assurer la récolte ; le mil y produit toujours moins que dans les pays mieux arrosés. Mais le sédentaire a besoin avant tout de sécurité ; pour se l’assurer, il ne recule pas devant un surcroît d’effort, soit en bâtissant sa demeure sur des rochers souvent peu accessibles, soit en se fixant dans des régions même peu hospitalières, mais éloignées des bandes de pillards : Rabah avait rendu intenables les états bornouans et ce n’est que depuis la destruction de sa puissance à Koussri, le 22 avril 1900, que les villages voisins de Chirmalek, situés trop au nord, ont été délaissés.

La culture essentielle de ces régions du nord du Soudan est celle du petit mil (Bechna) ; le gros mil ou sorgho (Gafouli) n’a d’importance que plus au sud.

Les procédés de culture sont très simples et très primitifs : lorsque le sol est sablonneux, ce qui est le cas le plus fréquent à cause de l’abondance des ergs morts (fig. 69), le cultivateur se sert d’une sorte de houe dont le manche très long lui évite la peine de se baisser ; à chaque pas, il laisse retomber son léger instrument, creusant un trou de quelques centimètres de profondeur ; l’aide qui le suit, un enfant ou une femme, y jette quelques graines qu’il enterre avec le pied. Parfois, lorsque le sol devient argileux et par suite un peu plus résistant, comme dans les alluvions des dallols du Tahoua, on a recours à une sorte de ratissoire dont la lame est en croissant. Quelque soit le mode de culture employé, les noirs évitent avec le plus grand zèle toute possibilité de surmenage. J’ai traversé l’Adr’ar’ de Tahoua à l’époque des semis, en juin 1906. Dès la pointe du jour, vers six heures, on attend que le soleil ait acquis un peu de force ; il ne sied pas de travailler quand il fait froid. A sept heures, on se met à l’œuvre ; à huit heures du matin, le soleil est déjà haut, tout le monde cherche l’ombre d’un arbre pour faire la sieste qui dure jusque vers cinq heures du soir. A six heures, le jour tombe et il faut songer à rentrer dîner. A l’époque la plus chargée de l’année, maîtres et serviteurs travaillent à peu près deux heures par jour.

Lorsque le mil commence à lever, on fait un vague sarclage ; lorsque la céréale a pris un peu de force, elle pousse très vite et étouffe toute mauvaise herbe : il n’y a plus rien à faire.

Malgré le peu de soins apportés à cette culture, le rendement est superbe ; les diverses variétés de mil, lorsque les conditions sont favorables, donnent une vingtaine de tiges fertiles et rapportent jusqu’à quatre cents fois la semence. Avec nos procédés les plus scientifiquement étudiés, nous sommes très loin, pour le blé, d’une pareille multiplication.

Quoique le produit soit fort abondant, la moisson n’est pas trop pénible : en septembre et en octobre, on récolte chaque jour les épis les plus mûrs ; le gros travail, découpé en une soixantaine de petites tranches, est aisé à supporter.

La fréquence des termites oblige, pour conserver le grain, à quelques précautions : les épis, lorsqu’ils sont secs, sont placés dans de grands récipients, les « canaris », construits parfois en terre comme ceux que montre la planche XXVII. C’est un modèle assez répandu au Soudan, avec quelques variantes dans la forme : au Koutous par exemple, les « canaris » sont beaucoup plus petits ; leur plus grand diamètre, vers le sommet, ne dépasse pas 1 mètre ; leur hauteur est à peine de 2 mètres ; ils ressemblent à de gigantesques creusets de chimiste.

Souvent la matière employée change, et le grenier à mil est construit en nattes et en paillassons. C’est alors un grand panier facile à transporter quand le village se déplace. Ses parois seraient un obstacle facile à traverser pour les termites ; force est de l’éloigner du sol avec quelques branches et quelques grosses pierres qu’il faut balayer souvent pour empêcher l’ennemi d’y construire ses galeries.

Les silos sont quelquefois employés pour conserver les céréales, dans les régions où il n’y a pas de termites (Tchad) ; ils sont utilisés aussi plus au sud pour conserver les fruits de karité, mais ces fruits fermentent vite et l’atmosphère d’acide carbonique qu’ils créent autour d’eux leur est une défense suffisante : tous les insectes avec leur riche appareil respiratoire sont particulièrement sensibles à l’asphyxie.

Cette culture du mil suffit largement à l’alimentation des états haoussa et bornouan ; elle permet même une assez large exportation vers le nord et l’on connaît, depuis Barth, l’importance du Damergou par l’alimentation d’Agadez et de l’Aïr. C’est une question qui sera précisée un peu plus loin (chap. VIII).

Au mil s’ajoutent presque partout quelques cultures accessoires : une sorte de haricot, le niébé (Vigna Catjang, Walp.) craint peu la sécheresse ; dans le Kanem, qui appartient à la zone sahélienne, on sème toujours du niébé avec le mil ; si la pluie est peu abondante le mil qui, les meilleures années, produit quatre ou cinq fois moins que plus au sud, ne donne rien, mais le niébé assure toujours une maigre récolte. Sa culture est aussi assez développée au Koutous.

Une médiocre variété de coton, à soie trop courte, mais cependant résistante, est très répandue dans tous les villages : j’en ai vu de forts beaux champs près de N’Guigmi et dans le Koutous ; un peu plus au sud, il en existe partout.

On a essayé l’introduction de variétés américaines : en 1906, une centaine de tonnes de ce produit meilleur a pu être expédiée en France ; c’était déjà un échantillon sérieux ; en 1907, de plus grandes surfaces ont été ensemencées ; Mademba, le fama, le roi de Sansanding, s’est particulièrement signalé par le zèle qu’il a montré dans ses tentatives : il a fait, presque en grand, la culture du coton.

Quelques difficultés, malheureusement, se sont présentées ; le coton indigène coûte, sur les marchés nègres, un prix élevé, plus élevé qu’on ne peut, paraît-il, payer les cotons américains destinés à l’exportation. Cette différence de prix, jointe à la routine chère à tous les paysans, explique le peu d’empressement qu’a rencontré la nouvelle culture.

Ce n’est qu’au voisinage de quelques centres, et pour faire plaisir aux administrateurs, que l’on a apporté un peu de soin à cette nouvelle culture.

Les maladies cryptogamiques ont causé dans les plantations de coton américain des ravages plus importants que dans les champs de coton indigène ; il semble assez facile de les éviter : le développement des champignons est lié à la pluie et il est douteux qu’ils soient à craindre dans les parties sèches du Sahel, au voisinage du Niger, entre Mopti et Tosaye, où les facilités d’irrigation assureraient la venue du précieux textile qui a surtout à craindre les années trop pluvieuses ou les sécheresses prématurées. M. Esnault Pelterie [Assoc. Cotonnière, séance du 17 mars 1908] croit pouvoir assurer que si, comme en Égypte, on pouvait avoir recours à une irrigation rationnelle, la production serait au moins doublée.

Il ne faut pas d’ailleurs croire que ces essais puissent aboutir rapidement ; les États-Unis, qui fournissent actuellement au monde 75 p. 100 de la matière première, ont dû faire des écoles pendant cinquante ans (1734-1792) avait de pouvoir exporter 70 tonnes de coton ; en Égypte, les expériences ont duré vingt ans. L’Afrique occidentale anglaise vient de dépenser, en cinq ans, plus de 6 millions à des cultures expérimentales sur le coton ; en Afrique occidentale française, beaucoup plus vaste, on a dépensé à peine 1 million dans la même période. Il semble d’ailleurs que, partout en Afrique, on a été amené à renoncer aux variétés américaines et que l’on a enfin reconnu que la méthode plus longue de la sélection des espèces indigènes donnait des résultats meilleurs et plus certains. La pratique des éleveurs et des cultivateurs de tous les pays a toujours montré la supériorité de la méthode de sélection, et il est vraiment curieux que l’on hésite toujours à l’appliquer. On ne s’y résout que lorsque l’acclimatation a échoué.

Cultures irriguées. — A ces cultures de la zone riche du Soudan, succède la culture par irrigation, la seule qui ait quelque importance au Sahara et au Sahel. On en peut distinguer deux types.

I. Irrigations naturelles. — De Mopti à Ansongo (800 kilom.), le Niger traverse une région où les pluies sont rares ; mais, en amont de Tosaye surtout, à la faveur du manque de relief, le fleuve déborde chaque année largement et les terrains qu’il inonde, irrigués naturellement, se prêtent admirablement à la culture. Il est bien vrai, comme le fait observer Schirmer [Le Sahara, p. 411], que les parties riches se bornent aux bas-fonds périodiquement envahis par la crue, mais leur surface est considérable ; il y a plus de 800 kilomètres de Mopti à Ansongo, et aux rives immédiates du Niger on doit ajouter la région des lacs voisins de Tombouctou.

Malheureusement si les bords du fleuve sont régulièrement inondés, ce n’est que par les fortes crues que l’eau atteint le Faguibine et les dépressions voisines.

Depuis 1894, le Niger n’est pas monté assez haut pour irriguer les Daounas, et ce n’est que jusqu’en 1897 que les Daounas ont conservé assez d’humidité pour qu’il ait été possible de les ensemencer. Dans cette dernière année, relativement défavorable, il y a été récolté, d’après les renseignements de Villatte, environ 26000 quintaux de blé ; le mil et le riz avaient eux aussi donné de forts produits. Il serait intéressant, par quelques travaux hydrauliques, de régulariser cette production.

Fig. 65. — Le moyen Niger.

Les plateaux de Bandiagara et de Hombori, d’après les indications du lieutenant Dulac.

La culture du blé est une exception dans la vallée du Niger et paraît localisée au nord-ouest de Tombouctou ; les principales céréales sont le mil, le riz et parfois le maïs. Ces cultures sont très loin d’avoir l’importance qu’elles peuvent atteindre. Le pays a été dépeuplé par les conquérants noirs et les ruines abondent partout. Les quelques Sonr’aï qui subsistent sur les bords du fleuve, abrutis par la longue insécurité du pays, sont d’une lâcheté et d’une paresse extraordinaires. Lors du rezzou des Ouled Djerir en 1904, les Sonr’aï voisins des postes ont refusé de se laisser armer, prétextant que les jambes avaient été données à l’homme pour fuir. Les années suivantes, ils avaient semé une quantité de riz insuffisante pour leur propre consommation, encore avait-il fallu leur fournir la semence. Pendant près de six mois, autour du poste de Bourem, les indigènes ont vécu de bourgou qui heureusement abonde le long du fleuve (lieutenant Barbeirac). Beaucoup de terres, qu’avant notre établissement les nomades les obligeaient, par la violence, à cultiver, sont abandonnées. On peut cependant dès maintenant constater quelques symptômes de bon augure ; la population se refait, des villages razziés naguère se relèvent de leurs ruines ; surtout leur nombre augmente ; la sécurité plus grande que nous imposons au pays permet aux cultivateurs de vivre par petits hameaux, au voisinage des bonnes terres ; n’ayant plus d’attaques à craindre, ils ne sont pas obligés d’habiter tous de gros villages dont l’emplacement était choisi surtout pour la défense. Chez les noirs comme partout, l’appât du gain est un bon stimulant et depuis que le Mage, un vapeur de 200 tonnes, fait régulièrement la navette entre Mopti et Ansongo pendant trois mois, de décembre à février, le commerce des céréales s’accroît rapidement : dans le cercle de Gao, d’après une conversation du capitaine Pasquier, la production du riz a plus que doublé depuis un an.

Cette vallée du Niger a un magnifique avenir : les cultures vivrières (riz, mil, maïs, peut-être le blé) s’y développent toutes seules et permettent un accroissement considérable de la population. Les cultures industrielles[122] (coton) viendront ensuite et l’on peut prévoir dès maintenant que la batellerie existante sera bientôt insuffisante pour assurer les transports sur le fleuve.

Une difficulté subsiste encore ; la liaison avec l’Europe est défectueuse : le Sénégal n’est navigable pour les gros bateaux que deux mois par an. Lorsque, aux hautes eaux, les vapeurs peuvent remonter le fleuve jusqu’à Kayes, sans rompre charge, le frêt de Bordeaux à Kayes est d’une soixantaine de francs la tonne ; aux basses eaux, il s’élève à 200 francs. Cette nécessité de s’approvisionner, pour un an, de marchandises européennes et de ne pouvoir exporter plus d’une fois l’an les produits soudanais, crée de grosses difficultés commerciales ; cette intermittence dans les moyens de communication explique fort bien qu’aucune banque ne se soit établie dans ces régions, où les règlements à 90 jours sont impraticables. Le chemin de fer de Thiès à Kayes est poussé activement ; cette régularisation dans les moyens de transport permettra au commerce de se développer librement et dans des conditions financières plus normales [François, Bull. Comité Afr. fr., 1908, p. 404-408].

Il reste cependant une question grave à résoudre : à côté de la culture des sédentaires, l’élevage des nomades est une source importante de richesse. Pendant la saison des pluies, les troupeaux trouvent partout des mares d’hivernage et se répandent dans tout le pays, au nord comme au sud du fleuve ; à la saison sèche, les mares permanentes étant rares, beaucoup de nomades sont obligés de se rapprocher du fleuve sur les bords duquel ils séjournent près de cinq mois, dans les régions les plus propices à la culture.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XXIII.

Cliché Chudeau

43. — LA DUNE DE NOUAKCHOTT (MAURITANIE). — VERSANT EST.

Au premier plan, Euphorbes déchaussées par le vent.

Cliché Chudeau

44. — BIR EL AIOUDJ (MAURITANIE, 21° 20′ LAT. N.).

Groupe de “ Talah ” (Acacia tortilis Hayne).

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XXIV.

Cliché Cauvin

45. — LE POSTE DE BEMBA.

Cliché Laperrine

46. — PALMIERS “ BOUR ”.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XXV.

Cliché Cauvin

47. — ZONE SAHELIENNE.

Halte sous un “ Gao ” (Tamarindus) dans la région de Goundam.

Cliché Cauvin

48. — ZONE SAHELIENNE.

Bouquet d’arbres, sur les bords du Niger dans la région de Gao.

Le conflit ne paraît pas insoluble ; le péril n’est d’ailleurs pas immédiat et l’on est arrivé, en Algérie tout au moins, à établir un équilibre à peu près satisfaisant entre les besoins des agriculteurs et ceux des bergers.

II. Irrigations artificielles. — Ce second type exige une intervention active de l’homme, qui doit capter l’eau nécessaire aux cultures. Les principaux types d’oasis, peu nombreux, sont bien connus[123]. Parfois un oued est alimenté assez régulièrement en eau pour que ses alluvions restent humides à peu de distance de la surface ; dans ces oasis de rivière, dont Silet est un excellent exemple, les palmiers poussent sans aucun soin. Dans le Souf, les conditions sont analogues, quoique un peu moins bonnes : il faut choisir, entre les dunes, une profonde dépression, enlever le sable sec, traverser un banc imperméable de gypse épais parfois de un mètre, sous lequel se trouvent les alluvions humides : un jardin est une sorte de puits profond de 10 à 15 mètres. Les boutures de palmier n’ont besoin d’être arrosées que jusqu’à leur reprise ; le principal travail du cultivateur sera de défendre son jardin contre le sable qu’y amène chaque coup de vent et qui aurait tôt fait de combler l’excavation et d’ensevelir les arbres. Ces jardins du Souf sont forcément très exigus ; les plus grands contiennent une centaine de palmiers, les plus petits une demi-douzaine.

Habituellement les travaux nécessaires au captage de l’eau sont beaucoup plus considérables ; ils nécessitent des puits nombreux, ordinaires ou artésiens : c’est le type habituel du M’zab et des oasis du Sud constantinois et l’on sait combien, depuis l’occupation française, les procédés de forage perfectionnés ont permis d’accroître la richesse de Touggourt et d’Ouargla. La même technique a donné quelques résultats intéressants au Tidikelt ; il y a même un « lac » à Tit [Cortier, D’une rive à l’autre..., p. 63.]

Mais, dans l’archipel touatien, le procédé de captage est en général différent : de longues canalisations souterraines, les foggaras, vont chercher l’eau à plusieurs kilomètres en amont des jardins. Gautier a décrit en détail, dans le premier volume, ce travail considérable.

Dans les maigres jardins de l’Ahaggar, on trouve encore quelques foggaras ; plus au sud elles semblent disparaître ; d’ailleurs en dehors du Sahara algérien, les dattiers, ne donnant plus que des produits médiocres, sont en petit nombre et la culture par irrigation devient insignifiante. Elle ne se développe un peu qu’auprès de certains centres de caractère spécial, où elle est surtout de la culture maraîchère.

C’est le cas d’Agadez, situé dans un demi-désert suffisant tout au plus à la vie de nomades, et où des nécessités commerciales ont réuni un millier d’habitants : les jardins d’Alar’sess leur fournissent des légumes. C’est aussi le cas de Gourselik, gros village qui vit de l’industrie du natron : le mil est acheté au dehors et l’on cultive surtout des patates, des oignons magnifiques, des tomates et du tabac. Une petite place est réservée au coton et au maïs, ainsi qu’au blé qui paraît fort négligé, en général, dans cette partie du Soudan.

Plantes sauvages. — Dans tout le Sahara, la récolte des plantes sauvages joue un rôle important : dans l’Adr’ar’ des Ifor’as, au début de la saison des tornades (première quinzaine de juin) les pâturages sont maigres depuis longtemps et le lait devient rare. La plupart des Ifor’as sont à leur aise et possèdent assez de troupeaux pour ne pas trop souffrir de cette mauvaise période ; quelques pauvres cependant ne possèdent qu’un très petit nombre de chèvres, et ces miséreux vivent alors uniquement des fruits qui sont mûrs à cette saison.

Une orobanche, le dahnoun (Phelipæa lutea Desf.), souvent parasite sur le guétaf, est consommée dans tout le Sahara ; dans l’Ahaggar, la récolte en paraît assez régulière ; elle se fait en mars. Le dahnoun, réduit en farine et desséché, est conservé par les haratins ; c’est, d’après Voinot, un aliment amer et coriace dont seuls un targui ou un nègre peuvent se contenter. On ramasse en même temps et pour le même usage une sorte d’asperge, à tissu spongieux, blanc rosé à l’intérieur, rouge foncé à l’extérieur, l’aokal, qui est bien probablement le Cynomorium coccineum L.

Chez un grand nombre de nomades sahariens, la récolte des fruits de graminées sauvages est faite assez régulièrement. Pour la rendre plus aisée, certains oueds sont interdits : il est défendu d’y mener paître des troupeaux ; il n’est pas permis à une caravane de s’y arrêter même quelques heures. Dans les pays riches, comme l’Adr’ar’, cette interdiction est rare ; elle est fréquente à l’Ahaggar. Pour le drinn (toulloult en tamahek, Aristida pungens) la récolte a lieu de mai à juin ; pour le mrokba (afez’ou, Pennisetum dichotomum), de juillet à septembre. Les graines ainsi recueillies sont conservées comme des céréales quelconques.

En cas d’urgence, les nomades les plus pauvres ont recours à un autre procédé ; ils fouillent certaines fourmilières et en tirent tout le grain qui y a été rassemblé. Cette pratique est très répandue dans le Tegama où quelques tribus, très miséreuses, n’ont même plus de troupeaux et sont obligées, lorsqu’elles déménagent, de traîner sur des branches d’arbres leur maigre matériel ; à chaque pas, on trouve des fourmilières éventrées et vidées.

Cet usage n’est pas spécial au Tegama et on le retrouve, au moins dans le folk-lore, chez des tribus moins pauvres.

Lorsque la noble ancêtre des Kel R’ela, des Taïtoq et des Tedjéhé Mellet, l’illustre Tin Hinan, vint du Tafilalet à l’Ahaggar, elle était accompagnée de Takamat, sa fidèle suivante. La route était longue, les vivres commençaient à manquer et la faim devenait pressante, quand Takamat aperçut une fourmilière. De suite, elle fit baraquer son méhari et alla prendre le grain que les fourmis avaient péniblement amassé ; elle partagea son butin avec sa maîtresse qui, comme il convient à une femme de haut rang, n’avait pas quitté son akhaoui[124]. Le souvenir de cet incident de voyage s’est conservé, et pour en célébrer la mémoire, les Dag R’ali et les Kel Ahnet, fils de Takamat, paient tous les ans, sans murmurer, l’impôt, la tioussé, aux Touaregs de race noble.

Remarques sur quelques espèces. — Duveyrier a écrit une phrase malheureuse : « J’ai scrupuleusement recueilli les noms indigènes, en langue arabe et en langue temâhaq, parce que je crois la connaissance de cette double synonymie nécessaire aux personnes auxquelles l’avenir réserve des voyages avec les caravanes. Cette synonymie n’a pas les défauts de celle des noms vulgaires assignés aux plantes par nos paysans en Europe ; chez les peuples pasteurs, chacun connaît exactement le nom, les stations et les propriétés de chaque plante, et les noms, quand les caractères distinctifs sont bien tranchés, ne varient pas d’une localité à une autre, mais se conservent tant que la même langue est parlée. Or comme la langue arabe est connue dans tout le monde musulman, et la langue berbère, dont le temahaq est un des dialectes, dans tout le nord du continent africain, il y a presque certitude d’être compris des indigènes en leur nommant une plante dans l’une de ces deux langues. » [Les Touaregs du Nord, p. 147-148.]

Cette phrase, prise trop à la lettre, a été l’origine de travaux importants, dont le plus considérable est probablement l’ouvrage de Foureau[125] ; il est pénible de constater qu’un semblable catalogue, qui représente un très gros effort, soit à peu près inutilisable. Certains noms arabes ou berbères, relatifs à des formes très caractéristiques, semblent avoir une certaine valeur : le had paraît être toujours le Cornulaca monacantha Del ; le Calotropis procera R. Br. est le tourha des Ahaggar, le tourdja des Maures ; les Arabes du Sud algérien l’appellent korounka, et en Égypte, il devient l’oschur. Ces quatre noms s’appliquent bien à la même plante. Mais dès que l’on s’adresse à des formes moins nettement tranchées, la plus grande confusion règne : l’halfa des hauts plateaux d’Oranie est le Stipa (Macrochloa) tenacissima L. ; en Tripolitaine, et déjà dans l’Est algérien, ce nom s’applique au Lygæum Spartum L., une graminée toute différente, qui cependant donne lieu à la même exploitation. En Égypte, d’après Ascherson [in Rohlfs, Kufra, p. 496] tout au moins, l’halfa désigne l’Eragrostis cynosuroïdes Retz. Quant au Stipa tenacissima, il prend en Tripolitaine le nom de bechna qui, presque partout ailleurs, désigne une céréale, le petit mil.

Le diss du Tell est l’Ampelodesmos tenax Link, grande graminée poussant par touffes, à feuilles retombantes, très caractéristique des côteaux arides de l’Atlas méditerranéen au sud duquel elle disparaît. Le même nom s’applique à presque toutes les grandes graminées à feuilles dures que le bétail dédaigne en général ; quelques-unes poussent dans l’eau comme le cosmopolite Imperata cylindrica L. qui, à Koufra, prend le nom d’halfa (Ascherson, l. c., p. 503) ; dans les vallées à peine humides d’Abalessa, les Arabes m’ont désigné comme diss l’Eragrostis cynosuroïdes (halfa des Égyptiens) ; dans la haute plaine sèche et aride du Tegama, ils appliquent le même nom à divers Andropogon. D’après Ascherson le diss serait aussi parfois le Juncus maritimus Lam. [l. c., p. 506] ou le J. subulatus Forsk. [l. c., p. 543] d’une famille toute différente.

Le mrokba (oum rokba, bou rokba) n’est guère mieux défini ; ce nom s’applique à de nombreuses graminées (Panicum turgidum Forsk., Pennisetum dichotomum Forsk., etc.) à tiges d’ordinaire fasciculées et nettement genouillées aux nœuds : c’est sans doute à cette particularité qu’elles doivent leur nom arabe[126] (rokba, genou).

Le doum est en Algérie le nom du palmier nain (Chamærops humilis), en Égypte et au Soudan du Cucifera thebaïca. En Syrie, le doum serait, paraît-il, le fruit d’un jujubier, le Zizyphus Spina Christi.

Il serait facile d’allonger indéfiniment cette liste, mais les quelques exemples donnés me paraissent suffisants pour montrer que, pas plus chez les nomades que chez les paysans d’Europe, les noms vulgaires n’ont un sens bien défini. Quelques plantes, comme chez nous le chêne ou le châtaignier, sont connues de tous et sous le même nom ; d’autres qui présentent, au point de vue utilitaire surtout, quelques caractères communs, sont désignées sous un nom unique : le mrokba est un bon pâturage, au contraire du diss dont l’âne seul consent à manger. Dans une description d’itinéraire, l’emploi de ces noms est sans inconvénient, et il a le gros avantage de définir assez exactement et en peu de mots la valeur alimentaire d’un oued ou d’une nebka. Mais cet emploi devient dangereux dès qu’à côté du nom vulgaire, on accolle, à coups de dictionnaire, un nom scientifique qui le plus souvent est choisi à faux, et fait croire que certaines espèces, très localisées, ont une extension géographique considérable ; il est impossible d’utiliser, pour des recherches précises, des indications qui ne reposent pas sur des déterminations faites au laboratoire par un spécialiste compétent.

L’emploi du nom technique, malgré sa forme souvent ridicule, est nécessaire et peut seul conduire à des conclusions rigoureuses à condition qu’il n’ait pas été donné au hasard.

Ceci justifiera, je pense, les quelques remarques[127] qui suivent sur diverses plantes du Sahara et du Sahel, remarques insuffisantes toutefois pour une étude précise.

Atil. — Une essence qui n’apparaît que vers R’at et dans la partie méridionale de l’Ahnet est l’iatil (atil, adjar). C’est un arbre de 4 à 5 mètres de haut à feuilles entières, à branches dressées, à écorce grise et lisse, qui, chez les Touaregs, a mauvaise réputation : demeure habituelle des djinns et des éfrits, il est dangereux la nuit de reposer à son voisinage à moins que quelques coups frappés violemment sur le tronc n’aient mis le génie en fuite ; presque tous les iatils ont leur écorce tailladée de coups de sabre ; souvent, dans les régions sablonneuses, une grosse pierre, posée religieusement entre les branches de l’arbre, permet au passant désarmé de célébrer le rite et de dormir sans crainte. Cette même légende se retrouve au Soudan et en Mauritanie.

Ce nom s’applique au moins à deux arbres différents, appartenant tous deux à la même famille, et dont le fruit est comestible ; Mœrua rigida R. Br. et le Cadaba farinosa Forsk. Mœrua (20 espèces) est un genre de l’Afrique tropicale, de l’Arabie et de l’Inde ; Cadaba (14 espèces) se trouve dans les mêmes régions, et en plus dans l’Afrique australe.

Boscia senegalensis. — Un arbuste à port d’arbousier, à feuilles luisantes et assez grandes, le Boscia Senegalensis Lam. [tadan (tam.), berei (bambara), hauza (haoussa)] est commun dans toute la zone sahélienne ; dans l’Adr’ar’ des Ifor’as, j’ai noté les premiers pieds à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest d’In Ouzel dans l’oued Tessamak ; dans l’Aïr, il est fréquent autour d’Iférouane. Je ne l’ai jamais vu plus au nord et je ne sais ce que vaut l’indication de Foureau qui le signale [Doc. Sc., I, p. 498] près de Tadent (23° Lat. N.).

Cet arbuste descend très loin vers le sud, jusqu’au voisinage du 9° de latitude. Son fruit est comestible ; les nomades le récoltent avec soin et on le vend sur le marché de Tombouctou.

Au genre Boscia, appartiennent 3 espèces de l’Afrique tropicale et australe. — Cadaba, Mœrua et Boscia, comme le câprier, sont des Capparidées.

Baobàb[128]. — Ce genre comprend plusieurs espèces dont la mieux connue est l’Adansonia digitata B. Juss. Il est commun dans presque toute l’Afrique chaude. Il manque cependant dans les régions élevées (Fouta-Djalon, Ouganda, Abyssinie, etc.) et dans la forêt équatoriale ; il fait également défaut à l’est du Chari et ne reparaît que dans le Soudan égyptien. Il n’est vraiment abondant d’ailleurs qu’au voisinage du littoral où il forme souvent des peuplements très importants, comme autour de Thiès. Dans le bassin du Niger, on ne le trouve qu’auprès des villages et il est bien probable qu’il a été planté : les noirs font un large usage alimentaire de ses feuilles. Il existe peu dans la zone sahélienne : la ligne d’étapes de Zinder à Gouré suit à peu près la limite de son extension ; commun dans les villages situés au sud de cette ligne, il manque dans ceux qui sont au nord. Quelques pieds mal venus cependant existent à Tombouctou. Récemment, le long du littoral de Mauritanie, à 6 ou 7 kilomètres de la côte, j’en ai compté au nord de Saint-Louis, sur un parcours de 250 kilomètres, une dizaine, dont le dernier à trois heures de marche au sud de Nouakchott. Ces baobabs n’ont que quelques mètres de haut et sont en dehors de leur habitat normal.

Le baobab est un des arbres les plus caractéristiques de la savane ; le volume de son tronc est extrêmement considérable relativement à l’ensemble des feuilles et lui permet d’emmagasiner des réserves d’eau importantes. Cette disproportion entre le bois et l’appareil foliaire est fréquente dans toutes les savanes du monde, mais elle est loin d’être la règle absolue et nombre d’arbres y ont assez exactement le port et l’aspect des essences européennes.

Balsamodendron africanum. — L’aderas (ar. et tam.) (Commiphora africana Engl. = Balsamodendron africanum Arn.) joue un grand rôle dans les parties les plus arides de la zone sahélienne ; son nom haoussa, daz’i ou dachi, désigne non seulement la plante, mais aussi la brousse où elle domine ; c’est un arbuste dont les feuilles rappellent celles de l’aubépine ; le fruit ressemble à une petite prunelle à noyau rouge.

Il s’en écoule une gomme résine, le « bdellium[129] », le mounas des Maures, que l’on fait brûler en guise d’encens et qui, chez les Haoussas tout au moins, remplace dans la correspondance la cire à cacheter.

Le genre Commiphora renferme une soixantaine d’espèces des régions sèches de l’Inde, de Madagascar, de l’Arabie et de l’Afrique tropicale et australe.

Jujubiers. — Les jujubiers (Zizyphus), [sedra (arabe), magaria, (haoussa), tabekat (tamahek)] font défaut dans le Sahara proprement dit ; ils ont de vraies feuilles, à faces dissemblables et ne sont pas adaptés à la sécheresse ; on ne les trouve que dans les parties élevées du massif central (Ahaggar, Ifetessen, etc.). Ils sont communs dans la zone sahélienne, dès le nord de l’Adr’a’r et de l’Aïr. Ils appartiennent à plusieurs espèces, les unes de petite taille et formant des buissons (Z. lotus Desf., Z. saharæ Batt., etc.), les autres plus élevées et vraiment arborescentes (Z. orthacantha D. C., etc.). Leurs fruits sont recueillis par les nomades et parfois vendus sur les marchés.

Le bois des grands Magaria est assez recherché ; il passe pour inattaquable par les termites.

Balanites Ægyptiaca. — Le Balanites Ægyptiaca Del., [teborak (tamahek), soump (wolof), adoua (haoussa)] se rencontre dans la Sierra Leone et le Sénégal ; dans le bassin du Chari, il apparaît à Gosso (9°,30). Il est commun dans toute la zone sahélienne et s’avance assez loin dans le Sahara : sur la route de N’Guigmi à Bilma, il s’arrête au sud de Beduaram ; Foureau le signale par 27° Lat. N. (tassili des Azdjer) ; on le connaît en quelques points isolés du Tidikelt et il devient fréquent au sud du 23°. Dans l’Ahaggar, il ne paraît pas dépasser l’altitude 1000 mètres.

Son fruit, de la grosseur d’une datte, est comestible ; il arrive à maturité en novembre, dans le Tegama.

Les légumineuses. — L’Acacia arabica Willd. = A. Adansoni Guill. et Per. [tamat, pluriel timiouin (tamahek), bagarua (haoussa)] est un bel arbre qui, en Afrique, paraît spécial à la zone sahélienne : il est commun dans l’Adr’ar’ des Ifor’as ; dans l’Aïr, on le trouve dès l’oued Tidek (fig. 62). Au sud du Tchad, sa limite méridionale est le lac Iro (10° Lat. N.) ; il est l’espèce dominante dans le Baguirmi, où on le trouve dans tous les bas fonds inondés à l’hivernage [Chevalier, Afr. centr. franç., p. 343]. En dehors de cette zone, il est souvent cultivé dans les oasis (Fezzan, Tripolitaine).

On ne le rencontre que dans les vallées humides et les mares ; à la mare de Tin Teboraq, les traces laissées sur le tronc par les crues étaient à un mètre du sol. C’est un bel arbre dont le tronc atteint 1 mètre de diamètre. Il est facile à distinguer du talah par ses fleurs qui sont d’un beau jaune d’or et, par son fruit, non en tire-bouchon, qui, à maturité, se découpe en articles contenant chacun une graine. Les fruits de l’A. arabica sont très riches en tanin (jusqu’à 45%) et les indigènes les emploient pour la préparation des peaux, en particulier des filali. Pour simplifier la récolte de ces fruits, les nomades coupent souvent les branches, ce qui donne à l’arbre un port tout particulier (Pl. XVI, phot. 32).

Le véritable gommier (Acacia verek Guil. et Per. = A. Senegal L.), bien reconnaissable à sa gousse plate, apparaît dans la zone sahélienne, dès l’Aïr, où il est rare ; il devient très commun plus au sud et forme le fond de la brousse entre le Mounio et le Tchad ; il est abondant dans le Kanem (Chevalier) ; il donne lieu, surtout à l’ouest de Tombouctou, au commerce important de la gomme. C’est le plus souvent un arbuste de 2 à 4 mètres de haut, qui en atteint exceptionnellement 7 à 8.

L’Acacia tortilis Hayne [talah, (ar.), abesar’, (tam.)], et peut-être d’autres espèces confondues sous ce nom, se trouve dans tout le désert, depuis le Sud marocain et tunisien jusqu’au Soudan. Il est très résistant à la sécheresse et se rencontre dans presque tous les oueds. Souvent de petite taille, il atteint avec l’aide de l’humidité une taille d’une dizaine de mètres, et un tronc ’de 0 m. 50 à 0 m. 70 de diamètre.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XXVI.

Cliché Cauvin

49. — PATURAGE DANS LA RÉGION D’ARAOUAN.

Cliché Cauvin

50. — PATURAGE DANS LA RÉGION D’ARAOUAN.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XXVII.

Cliché Posth

51. — CANARIS A MIL. — ANSONGO (RIVE DROITE DU NIGER).

Au premier plan, les trous d’où on a extrait l’argile, pour les constructions du village.

Cliché Posth

52. — CANARIS A MIL. — KALFOU (ADR’AR’ DE TAHOUA).

Son fruit en tire-bouchon permet seul de le reconnaître avec certitude.

Au Sahara, malgré le vent, il affecte rarement la forme en parasol qui passe pour fréquente au désert. En réalité, au désert, les arbres, toujours rabougris, isolés, poussent comme ils peuvent : chacun d’eux a sa forme propre ; la forme en parasol n’est commune que dans la zone sahélienne, où les arbres croissent en bouquets : elle est certainement la plus répandue de beaucoup, entre Chirmalek et le Tchad, chez l’A. verek.

Sur le littoral de Mauritanie, à courte distance du rivage, les talah poussent en buissons elliptiques hauts de 1 mètre à 1 m. 50, et de 7 à 8 mètres de diamètre. Cette forme, en bouclier, a été observée partout au bord de la mer, chez divers végétaux.

Le genre Acacia renferme environ 450 espèces, des régions chaudes du globe, surtout en Afrique et en Australie.

Le Bauhinia rufescens Lam. [delga (haoussa), andar (maure)] est un bel arbuste, commun dès le sud de l’Aïr ; on le trouve dans tous les endroits frais ; il est abondant autour des mares du Tegama ; on le connaît à Tombouctou et en Mauritanie. Il est facile à reconnaître à ses belles grappes de fleurs blanches, rappelant celles de l’acacia d’Europe, à son écorce blanche et surtout à ses feuilles assez petites et échancrées au sommet. Cet arbre, au moins en pays touareg, est souvent mutilé : pour savoir quelle sera la durée de sa vie, le Touareg prend les deux rameaux qui terminent une branche de delga et cherche à les séparer ; si la branche se fend, sans rupture, jusqu’au tronc, la mort de l’opérateur est lointaine ; l’expérience, qui réussit facilement, est fréquente, si l’on en juge par l’aspect des arbres.

Le Bauhinia reticulata L. (kalgo en haoussa), un peu plus méridional que le précédent, se rencontre, du Nil au Sénégal, dans toutes les parties humides de la zone sahélienne qu’il dépasse largement vers le sud, jusqu’en Mozambique ; il forme des buissons, hauts de 3 à 4 mètres, avec des feuilles coriaces et luisantes, à nervures bien marquées, larges comme celles du lilas, mais en forme de cœur renversé, échancrées au sommet ; il apparaît dans le Tegama vers le 15° de Lat. N.

Le genre Bauhinia comprend environ 150 espèces des régions tropicales.

Le genre Cassia renferme de nombreuses espèces (150 ?) surtout de l’Amérique chaude. Il est représenté au Sahara par quelques sous-arbrisseaux dont le plus répandu (C. obovata Col.) fournissait autrefois le séné, toujours usité par les Touaregs. J’ai déjà indiqué quelle était sa limite nord (p. 157).

Les Genets (Genista, dont Retama n’est qu’une section) sont représentés par 80 espèces environ qui sont répandues en Europe, dans le nord de l’Afrique et l’ouest de l’Asie ; vers le sud, ce genre, surtout méditerranéen, ne dépasse guère le Sahara algérien.

Tamarix. — Les tamarix, communs en Algérie et dans le Sahara arabe, sont encore fréquents dans l’Ahnet et les contreforts de l’Ahaggar ; plus au sud, ils deviennent très rares ; dans l’Adr’ar’ des Ifor’as, il en existe quelques pieds à Tin Zaouaten ; vers l’est, ce genre se montre encore près de Tin Azaoua ; Foureau le signale dans l’Aïr ; je l’ai rencontré à Nava (100 km. à l’est de Gouré) ; Barth l’indique à Buné (sud du Mounio). On le connaît aussi à l’est du Tchad, dans les dépressions de l’Eguei et du Bodelé. Il forme de véritables forêts, hautes de trois à quatre mètres, sur le littoral de Mauritanie, au sud de Nouakchott (T. gallica L., T. passerinoïdes Del.).

Le genre tamarix compte une vingtaine d’espèces (d’aucuns disent cinquante) répandues surtout dans le bassin méditerranéen ; il s’étend fort loin en Asie où il occupe toute la zone des steppes, des steppes salées surtout ; il est représenté aussi dans l’Asie tropicale et, comme nous venons de le voir, envoie quelques représentants assez loin vers le sud en Afrique. Il est, au Sahara, le seul genre arborescent qui vienne actuellement du nord. Un tamarix caractériserait, paraît-il, les régions calcaires du désert ; je n’ai pas assez de documents pour confirmer cette indication. Les tamarix sont souvent des halophytes, des arbres de régions salées : les plus beaux peuplements que j’en aie vus sont dans l’oued Tit, près d’Abalessa, et dans l’oued Tamanr’asset, au pied du Tin Hamor ; dans l’oued Zazir, au sud de l’Adr’ar’ Aregan et dans l’oued Igharghar (celui du sud) les tamarix sont abondants ; il en est de même, d’après Voinot, dans les contreforts orientaux de la Coudia. Le long de ces différents oueds, on voit souvent des dépôts de sel provenant du lavage des roches volcaniques : le guétaf (Atriplex halimus L.) qui est une plante des alluvions légèrement salées, accompagne habituellement les tamarix.

L’étude de ce genre est très délicate ; Battandier[130] en indique 12 espèces en Algérie et dans son hinterland ; une treizième, le T. senegalensis D. C., remonte assez haut sur le littoral de Mauritanie.

Une seule espèce, T. articulata Vahl, est facile à distinguer à ses feuilles très courtes, formant autour des rameaux une gaine complète. C’est un des arbres les plus caractéristiques du désert ; on le connaît depuis l’Inde et l’Arabie jusqu’au Sénégal. Il semble que le nom d’étel, ar., tabarekkat, tam., lui est habituellement appliqué, bien que Ascherson [l. c., p. 414, p. 465] indique aussi étel pour T. Gallica L. L’étel produit une galle très recherchée pour la teinture.

Toutes les autres espèces se ressemblent beaucoup et sont confondues sous les noms de tarfa, ferzig, ou aricha en arabe ; az’aoua ou taz’aouat en tamahek. Le bois des tamarix est tendre et facile à travailler : c’est ce bois qu’emploient les Touaregs pour la confection de leurs ustensiles culinaires (écuelles, cuillères), d’un travail habituellement très soigné et ornés à la pyrogravure d’élégants dessins géométriques. Le bois de talah ou de teborak, beaucoup plus dur, est réservé à la confection des r’ala, des selles de méharis.

Le plus beau tamarix de l’Ahaggar est sans doute celui de Tamanr’asset, qui est particulièrement protégé : une branche coupée entraîne une amende d’un âne (Voinot). Faut-il voir, dans cet usage, un souvenir des arbres fétiches du Soudan ?

Ombellifères. — La famille des ombellifères, répandue surtout dans les régions tempérées du globe, fournit aux hauts plateaux de l’Afrique mineure quelques grandes formes (Thapsia, etc.) qui donnent au paysage un élément caractéristique. Quelques-unes, une quinzaine, pénètrent dans le nord du Sahara algérien.

L’un des genres sahariens de cette famille appartient à une section, celle des carottes, dont les fruits sont d’ordinaire accrochants : par exception, les fruits d’Ammodaucus ont perdu cette particularité et le fait est à rapprocher des exemples fournis par le kram-kram et les Ægilops.

Les Deverra [guezzah (ar.), tataït (tam.)], ombellifères à odeur forte, sans feuilles et qui ressemblent à des joncs, ont quelques représentants dans le Tell ; ce genre devient fréquent dans le Sahara algérien (Mzab,) et une espèce (D. fallax Batt.) se trouve dans l’Ahaggar, au-dessus de 1000 mètres.

Plus au sud, cette famille disparaît ; elle manque dans la zone tropicale et se montre à nouveau dans l’Afrique australe.

Salvadora persica. — Le Salvadora persica L. [siouak, irak, tihak, tichak, abesgui] que l’on rencontre depuis le Sénégal jusqu’en Syrie, a une distribution assez irrégulière. Duveyrier le signale dans le tassili des Azdjer ; au sud du Touat, il apparaît dans l’Ahnet (près de Taloak) et devient très commun dans l’Adr’ar’ des Ifor’as. Dans l’Ahaggar, il forme un très beau peuplement à Silet ; au-dessus de 1000 mètres, j’en ai vu un seul pied dans une vallée abritée à quelques kilomètres au sud de Tamanr’asset. Abondant dans l’Aïr et le Tibesti, il manque dans le Tegama, reste rare dans le Demagherim et redevient fréquent à nouveau autour du Tchad, où il joue un rôle industriel notable (préparation de sel par lessivage de ses cendres). Il fait défaut au sud du lac.

Salvadora est un genre tropical et, comme plusieurs autres plantes échappées de la zone forestière, S. Persica a certains traits des lianes : ses branches se tordent parfois ou s’enroulent les unes autour des autres ; lorsque par hasard il trouve un support, il profite de son aide pour quitter la forme de buisson et envoyer quelques rameaux à de grandes hauteurs, où ses grandes feuilles, d’un vert franc, le font distinguer de loin.

C’est un des rares arbres du Sahara qui donne vraiment de l’ombre. L’odeur de ses feuilles, très goûtées des chameaux, est assez forte. Les fruits, longtemps rouges, noircissent à maturité (vers juin-juillet). Ils forment des grappes ressemblant à de minuscule raisins, que les nomades pauvres recueillent et font sécher. Ses feuilles servent à préparer des infusions.

Asclépiadées. — Les asclépiadées, famille importante surtout dans la zone tropicale, doivent, à l’aigrette soyeuse qui couronne leurs graines, de s’être répandues en grand nombre au Sahara, où elles forment plus de 3 p. 100 de mes récoltes (Battandier).

En Algérie, les asclépiadées représentent à peu près 1/300 de la flore phanérogamique ; en France 1/1000.

Deux espèces surtout méritent une mention : le Calotropis procera R. Br. (korounka-oschur-tourha-tourdja) est un arbuste haut de 4 à 5 mètres ; ses grandes feuilles, rappelant celles du chou, ses fleurs blanches, bordées de violet, et son fruit énorme ont attiré l’attention de tous les voyageurs. Lorsqu’il est blessé, il laisse échapper un suc blanc, laiteux, qui passe pour très toxique ; cette particularité l’a fait souvent confondre avec les euphorbes et il est désigné sous ce nom très inexact dans un grand nombre de rapports relatifs au Soudan. On a signalé sa présence dès le sud de l’Algérie à Methlili [Duveyrier, l. c., p. 180].

Il est commun au Touat ; mais dans la région des Oasis, il ne sort pas des jardins et il n’est pas certain qu’il ne soit pas introduit : le charbon que l’on en tire passe pour le meilleur pour faire la poudre, et les indigènes attribuent quelque valeur thérapeutique à cet arbre. Il est sûrement spontané dans le sud de l’Ahnet ; les puits de l’oued Amdja (Anou ouan Tourha) doivent leur nom à une vingtaine de Calotropis qui croissent au voisinage.

Très commun dans l’Adr’ar’ des Ifor’as et dans l’Aïr, où il forme, près d’Iférouane, un véritable taillis, il ne semble pas s’élever au delà de 1000 à 1100 mètres dans les contreforts de l’Ahaggar.

On le retrouve abondant autour du Tchad ; dans le bassin du Chari, Chevalier le mentionne à partir du Dékariré (11° Lat. N.). Il est commun autour de Tombouctou et en Mauritanie, jusqu’à l’Agneitiz ; vers l’est, on le connaît en Égypte, en Arabie et en Perse.

Il ne pousse que quand la nappe aquifère est peu profonde, aussi manque-t-il complètement dans le Tegama.

Les deux autres espèces de ce genre sont de l’Asie et de l’Afrique tropicale.

Le Leptadenia pyrotechnica Del. = L. Spartum Wight (asabai, ena, abesgui) ressemble absolument par son port au genêt d’Espagne ou au retem, dont il semble prendre la place à partir de l’Ahnet. Duveyrier [sub Genista, l. c., p. 161] le signale entre R’at et Mourzouk ; il ne dépasse pas, dans le sud de l’Ahaggar, l’altitude 1000. Leptadenia spartum est extrêmement répandu dans toute la zone sahélienne, du Sénégal à l’Arabie, sauf dans les régions trop sèches comme le Tegama ; il est très commun entre Mirrh et le Tchad où il atteint 4 ou 5 mètres de haut ; il est parfois aussi élevé dans l’Adr’ar’ des Ifor’as. Sur le littoral de Mauritanie, il n’est pas rare au sud de Nouakchott. Les pêcheurs indigènes le connaissent sous le nom de « titerek », et emploient ses fibres à la confection de leurs filets.

L’asabaï s’avance peu dans la zone soudanaise ; au sud du Tchad, Chevalier indique sa limite au lac Baro (13° Lat.).

Le genre Leptadenia contient une douzaine d’espèces des régions chaudes de l’ancien continent.

S’appuyant sur des renseignements indigènes, Chevalier [La végétation de la région de Tombouctou, p. 24] avait indiqué avec doute l’Henophyton deserti Coss. et Dur. au voisinage de Gao, où il est désigné sous le nom d’asabaï et de ana. Ces deux noms semblent montrer qu’il y a eu confusion avec le Leptadenia qui est commun partout sur la rive du Niger. Ce n’est que dans le nord, qu’ils s’appliquent à l’Henophyton.

Quelques détails ont été donnés, dans les pages précédentes, sur d’autres asclépiadées (Dœmia, Boucerozia).

Euphorbes. — Les euphorbes sont assez abondantes au Sahara ; dans le Sahara arabe, l’E. Guyoniana Bois. et R. est une herbe à feuilles rares et couvertes d’un revêtement cireux ; dans le Sahel, l’espèce la plus notable est l’E. Balsaminifera Aït. [afernane (arabe), agoua (haoussa)]. Elle forme de gros buissons ligneux, parfois presque des arbres (pl. XXII) et se trouve depuis les Canaries jusqu’au voisinage du Tchad ; elle pourrait peut-être caractériser une province occidentale de la zone sahélienne.

A cause de l’âcreté de son lait, le bétail n’y touche pas et elle est souvent employée comme clôture ; elle est très facile à bouturer et il est possible que l’homme ait contribué à sa dissémination.

Les euphorbes cactoïdes n’existent qu’au voisinage du littoral, surtout vers le Maroc, et dans la zone soudanaise.

Palmiers. — Les palmiers sont surtout des arbres tropicaux et quatre d’entre eux seulement intéressent les régions qui nous occupent.

Le palmier nain (Chamærops humilis L.), le doum d’Algérie, appartient à la partie occidentale du domaine méditerranéen. Nulle part il ne pénètre au Sahara.

Le palmier d’Égypte, qui porte le même nom indigène (doum, kaba en haoussa) (Cucifera thebaïca Del., Hyphæna thebaïca L.), est facile à reconnaître à son tronc, haut de 5 à 8 mètres, plusieurs fois bifurqué. Lorsqu’il a été coupé, les repousses forment des buissons que l’on a parfois confondus avec le palmier nain. Le palmier d’Égypte est bien caractéristique de la zone sahélienne ; on le connaît dans l’Adr’ar’ des Ifor’as ; dans l’Aïr, il y en a quelques pieds à Iférouane (19° Lat. N.), et de vrais bouquets à partir d’Aoudéras (17° 40′ Lat. N.). Il existe dans le Tibesti ; sur la route de Mourzouk au Tchad, Nachtigal le signale à l’oasis de Yât (20°,30′ Lat. N.). Dans la vallée du Nil, il remonte jusqu’au 27° et atteint le 29° sur la côte orientale de la presqu’île du Sinaï.

Dans la zone sahélienne, on le trouve partout où l’eau est à une faible profondeur ; il fait cependant défaut au Tegama, même autour des mares permanentes. Il est commun dans les dallols, et plusieurs vallées importantes de la région du Zinder lui doivent leur nom (Goulbi n’Kaba). On le rencontre dans toutes les mares de la région du Manga ; l’indication de Monteil [De Saint-Louis à Tripoli par le lac Tchad, Paris, 1895, p. 200] qui donne ce palmier comme caractéristique des grandes vallées, est, par suite, inexacte.

Vers le sud, il pénètre parfois dans la zone soudanaise ; Chevalier signale sa première apparition dans le bassin du Chari, près du village de Palem (9°,30′ Lat. N.).

Son fruit, à peine gros comme le poing, presque sphérique, est récolté, pour leur nourriture, par les indigènes pauvres ; on le vend sur le marché de Tombouctou.

Le rônier (Borassus Æthiopicus Mart.) est un bel arbre à tronc droit et jamais bifurqué ; il appartient à la zone soudanaise dont il sort rarement.

Ces trois palmiers (palmier-nain, doum, rônier) ont de larges feuilles en éventail, ce qui les distingue au premier coup d’œil du dattier (Phœnix dactylifera L.).

Il semble inutile d’insister sur l’importance de la culture du dattier dans les oasis et sur les nombreuses variétés que l’on y distingue.

Cosson, à une époque où l’on ne connaissait que le nord du désert, avait songé à définir le Sahara par la culture en grand du dattier. Cette idée n’est plus soutenable ; dès le sud du Tidikelt, dans l’Ahaggar, les dattes ne jouent plus qu’un rôle insignifiant : toutes les belles oasis sont localisées dans le Sahara algérien.

Dans la zone sahélienne (Adr’ar’ des Ifor’as, Aïr, Kanem, Borkou) les palmeraies sont en général d’une exiguïté ridicule ; elles ne produisent que des fruits peu estimés, tout juste comestibles ; la chair est sèche et à peine sucrée, le noyau démesurément gros. Les dattes d’In Gall, de Bilma, de Kidal, n’ont qu’une réputation locale. La quantité est aussi médiocre que la qualité : la moindre pluie suffit à entraver la fécondation et il pleut tous les ans au Sahel.

L’origine du dattier est inconnue[131] et tous ceux que l’on trouve au Sahara, ont été plantés ; son adaptation n’est pas réelle ; malgré les traînées de noyaux que laisse derrière elle chaque caravane, le dattier ne se propage pas en dehors des cultures ; il a besoin de soins pendant les premières années. Il est vrai que, devenu grand, il se défend mieux : les palmiers « bour » persistent longtemps après l’abandon d’une oasis (Pl. XXIV, phot. 46).

En dehors de son importance économique, le dattier a fourni aux météorologistes d’importantes données sur le climat ancien de la Méditerranée ; quatre siècles avant Jésus-Christ, à l’époque de Théophraste, comme de nos jours, le dattier pousse et fructifie à Athènes, mais ses fruits n’y mûrissent pas. Une température moyenne plus élevée de un degré permet la maturation des dattes ; avec un degré de moins, le dattier pousse mal et ne fructifie pas. Ce fait joint à quelques autres analogues, établit nettement que depuis vingt-quatre siècles, la température de la Méditerranée est restée immuable ou tout au moins qu’elle a à peine varié.

II. — GÉOGRAPHIE ZOOLOGIQUE

Les animaux qui habitent le Sahara sont encore moins connus que les plantes ; il semble cependant que leur étude doive conduire à des conclusions analogues : aux formes particulières au désert, répandues de l’Arabie à l’Atlantique, viennent se joindre quelques immigrés provenant de la Méditerranée ou du Soudan.

Cœlentérés. — Les Méduses que l’on a cru longtemps essentiellement marines, ont été signalées dans quelques lacs de l’Est africain, en particulier dans le Tanganika. Il en existe aussi, et presque certainement la même espèce, Limnocnida tanganicæ Günther, dans le Niger jusqu’à Bamako.

La présence, assez insolite, d’une méduse dans les eaux douces africaines est une belle confirmation des rapports qui existent, ou ont existé, entre tous les bassins de l’Afrique tropicale ; elle vient à l’appui des observations de Pellegrin sur les poissons, et de Germain et Anthony sur les mollusques, qui, en gros tout au moins, sont les mêmes du Nil au Sénégal[132].

Insectes. — Parmi les insectes on trouve d’abord une série d’espèces spéciales au désert et ayant en général une large extension géographique. Les plus frappantes sont des scarabées noirs (Tenebrionides) : les indigènes les désignent sous les noms de khanfousa (pl. khanéfis) en arabe et de edjéré en tamahek ; ces différents mots sont fréquents dans la toponymie.

L’examen des quelques listes d’insectes déjà publiées[133] montre qu’à ces formes sahariennes viennent s’ajouter des espèces méditerranéennes et des espèces du Soudan : le Papilio Machaon L., nettement paléarctique, a été recueilli à Tamanr’asset (22°,47′ Lat. N.) ; le Callidryas Florella F. qui habite toute l’Afrique tropicale, remonte jusqu’à l’oued El R’essour (vers 22° Lat. N.) ; le Scolia unifasciata Cyrill. de la Méditerranée se trouve encore au sud de l’Ahaggar et l’Eumenes Caffra L., qui habite toute l’Afrique chaude, a été capturé au nord de l’Aïr (Taghazi, oued Tidek).

Ces quelques faits, qu’il serait facile de multiplier, suffisent à montrer l’importance du Sahara comme barrière entre la faune européenne et la faune tropicale : le désert, en laissant de côté les espèces adaptées spécialement à ses rudes conditions climatiques, est une sorte de territoire contesté vers le milieu duquel viennent se joindre les émigrés du nord et les émigrés du sud. La désignation assez bizarre d’équateur zoologique, que Pucheran[134] avait donné naguère à la ceinture de déserts qui, vers le tropique du Cancer, fait le tour du globe, correspond bien à une ligne de démarcation de premier ordre.

Enfin un Méloïde, de type très spécial, capturé à Tamanr’asset, est peut-être à rapprocher, au point de vue géographique, des plantes caractéristiques des hauteurs de l’Ahaggar.

Termites. — Les termites constructeurs, à termitière monumentale, turriforme, font leur première apparition dans la zone sahélienne. Leur limite nord n’est connue qu’en quelques points ; ils dépassent le 18° Lat. N. sur le littoral atlantique ; dans le Télemsi, ils apparaissent au sud de Tarikent (17°,30′ Lat. N.) ; dans le Tegama, j’ai noté les premiers vers Tin Teborak (15°,30) ; plus à l’est, leur limite s’infléchit de plus en plus vers le sud : elle passe à peu de distance au nord du Koutous (14°,30), puis fait un brusque crochet vers le sud : on voit les derniers à mi-chemin entre Chirmalek et Kakara ; ils manquent tout autour de la partie nord du Tchad. Leur distribution dans la zone qu’ils occupent est assez singulière ; presque toujours ils abondent dans les bas-fonds et manquent dans les endroits secs ; ils évitent d’ordinaire les dômes granitiques : le poste de Zinder en est exempt bien qu’à quelques cents mètres ils deviennent communs ; cependant auprès de Gouré, dans le Mounio, quelques termitières sont établies au sommet des mamelons granitiques. Il y a certainement plusieurs espèces de ces termites constructeurs, mais leur étude reste à faire.

Quant aux termites souterrains, on les trouve dans tous les points habitables du Sahara ; autour de Tamanr’asset (1300 m.) leurs galeries abondent sur un grand nombre d’arbrisseaux.

Insectes des tanezrouft. — Les insectes existent dans tout le Sahara ; ils sont relativement communs dans les pâturages, partout où il y a des arbres ou des herbes ; dans les tanezrouft ils sont naturellement plus rares, cependant ils ne font pas complètement défaut. En mai 1905, pendant les 60 kilomètres de traversée de la sebkha Mekergan, au nord de l’Achegrad, j’ai compté, du haut de mon méhari, onze Eromophila, genre voisin de la mante religieuse du sud de l’Europe, et essentiellement carnassier ; la marche s’est faite surtout de nuit et je ne pouvais voir, dans la journée, que les insectes qui partaient sous les pieds de mon chameau. Dans le tiniri d’In Azaoua, la densité des Eromophila est à peu près la même. Les végétaux manquent complètement dans la sebkha, comme dans le tiniri.

Pour que des insectes carnassiers puissent vivre dans de semblables conditions, il faut de toute nécessité qu’ils trouvent des victimes ; ils peuvent, par un coup de vent heureux, être ravitaillés en sauterelles arrachées à des pâturages éloignés, mais cette ressource est bien aléatoire et ils doivent trouver sur place, dans les Mélasomes, les Khanfousa des Arabes, une proie plus régulière. La présence assez fréquente de Lézards[135] (des agames et des geckos surtout) est une autre preuve de l’abondance relative des insectes.

Les Mélasomes sont des coléoptères lourds et sédentaires : ils meurent où ils sont nés. Ils ne peuvent guère se nourrir, dans ces régions où il ne pousse rien, que des graines que le vent dissémine partout ; c’est là un petit point de biologie qu’il serait intéressant d’élucider, si l’on pouvait séjourner dans le désert. On peut surtout se demander ce qu’ils boivent. Lameere, dans le voyage qu’il a fait au Sahara en compagnie de Massart[136], s’est préoccupé de cette question et semble en avoir donné une solution satisfaisante. Un premier point est bien clair : l’eau à l’état libre est l’exception au Sahara ; dans le tanezrouft, elle n’existe pas ; dans les pâturages, les plantes, par leurs longues racines, vont chercher l’eau en profondeur ; parfois aussi, les sels déliquescents qui couvrent leurs feuilles leur permettent de fixer pendant la nuit un peu de la vapeur d’eau atmosphérique ; en tous cas, elles contiennent de l’eau dont savent se contenter les herbivores sahariens, mammifères ou insectes. Cette ressource fait défaut aux tanezrouft ; les cadavres d’animaux qui viennent y mourir sont aussitôt momifiés ; la seule nourriture possible pour les insectes est une nourriture desséchée.

Les Mélasomes, mieux encore que la plupart des insectes, sont armés pour lutter contre l’évaporation ; leurs téguments sont imperméables et leur permettent d’interrompre tout échange avec l’atmosphère : dans un flacon de cyanure, où meurent rapidement, en quelques minutes, la plupart des insectes, un Mélasome peut vivre plusieurs jours. J’ai observé un fait analogue pour un scorpion à Tamanr’asset : après un séjour de plusieurs heures dans une solution concentrée de sublimé, je le croyais mort : un bain de soleil de dix minutes a suffi pour le remettre sur pied. Cette imperméabilité réduit presque à rien la perte d’eau par évaporation, mais c’est tout ce qu’elle peut faire.

On est donc conduit à admettre, avec Lameere, que l’eau, qui forme une fraction notable du poids d’un Mélasome, est créée par l’insecte lui-même : toutes les graines sont riches en matières amylacées et albuminoïdes qui contiennent de l’hydrogène ; la respiration transforme cet hydrogène en eau et il faut que cette eau suffise aux hôtes du tanezrouft. Cette absorption intermoléculaire d’eau est assez analogue au procédé qu’emploient les microbes anaérobies pour respirer sans oxygène. Bien que cette hypothèse paraisse la seule vraisemblable, on aimerait pouvoir l’étayer sur quelque expérience de laboratoire ; on aimerait aussi à savoir comment ces animaux, de couleur foncée, peuvent se promener en plein soleil, sans être tués par la chaleur, sur un sol dont la température dépasse souvent 60°.

Les autres animaux luttent contre l’échauffement par une évaporation active ; pendant les mois de juin et de juillet, nous buvions tous une dizaine de litres d’eau par vingt-quatre heures, et c’était tout juste suffisant.

Il serait intéressant de savoir si les Mélasomes peuvent fabriquer assez d’eau pour se livrer à un pareil gaspillage.

Crustacés. — Pour ce groupe, il y a à noter seulement la fréquence des Apus dans les r’edir. Les œufs de ces curieux animaux ne se développent bien que lorsqu’ils ont été longtemps desséchés ; les mares de la région saharienne sont à cet égard dans d’excellentes conditions. Les Apus abondent dans les dayas, au sud de Laghouat. Mussel en a recueilli dans l’Iguidi. J’en ai rencontré près de Timissao, dans les r’edir de Tin Azaoua.

Mollusques. — Les Mollusques[137] ne présentent pas de formes particulières au Sahara ; il faut se souvenir cependant que la Coudia n’a pas été étudiée à ce point de vue : les quelques ruisseaux permanents que l’on y signale nous réservent peut-être des surprises.

Les seules espèces connues dans le désert, encore en bien petit nombre, sont émigrées : descendant des bords de la Méditerranée, quelques escargots suivent assez loin vers le sud les plateaux calcaires qui s’étendent jusqu’au Tadmaït (Helix candidissima Drap. par ex.) ; le long du littoral Atlantique, l’Helix Duroï Hid. et une espèce apparentée au paléarctique H. Pisana Mull., pénètrent jusqu’au cap Blanc. Le Rumina decollata L., si abondant en Algérie, a été trouvé, subfossile il est vrai, à l’Ilamane dans l’Ahaggar [Flamand, Comité de l’Afrique française, 1903, p. 268] où Guilho-Lohan en a rencontré une variété naine ; j’ai recueilli la même variété dans l’Aouguerout, à Tiberkamine, également dans des tufs.

Les formes terrestres tropicales ne paraissent pas pénétrer dans le Sahara ; les Limicolaria qui remplacent les Helix, dont l’existence est au moins douteuse dans la majeure partie de l’Afrique chaude, n’ont pas été vus au nord du Damergou (15° Lat. N.) où ils sont peu abondants ; la rareté du calcaire et l’abondance du sable expliquent probablement le fait : les sables de Fontainebleau forment autour de Paris une barrière qui a arrêté plusieurs espèces.

Les formes d’eau douce sont plus intéressantes et plus nombreuses : le Planorbis salinarum Morelet, décrit de l’Angola, remonte jusqu’à l’Ahaggar (Abalessa) et au Touat ; le Melanopsis Maresi Bourguignat descend jusque dans l’Iguidi où il a été recueilli par le capitaine Mussel.

La facilité avec laquelle se fossilisent les mollusques permet dès maintenant d’entrevoir que leur étude donnera la solution de quelques questions hydrographiques importantes : le Melania tuberculata, Müller, est une espèce nettement tropicale que l’on connaît déjà dans le Pliocène d’Algérie : il est assez vraisemblable qu’elle y est venue par le Niger et la Saoura, autrefois affluents tous les deux de la mer de Taoudenni.

L’Aetheria elliptica Lam. avec ses nombreuses variétés[138], qui forme actuellement dans tous les fleuves de l’Afrique tropicale des bancs assez importants[139] pour qu’on les utilise à la fabrication de la chaux, paraît une nouvelle venue dans le Niger.

On ne la connaît pas au nord de ce fleuve et l’on peut croire qu’elle n’a pu pénétrer, de la région du Nil, dans l’Afrique occidentale que depuis la capture du Niger à Tosaye : on la trouve en effet dans tous les affluents du Tchad, même le Bahr El Ghazal (Chevalier), et elle existe dans le Quaternaire égyptien.

Il est évidemment prématuré de tirer des conclusions fermes de ces quelques faits, mais la voie est bonne à suivre : toute récolte de mollusques, au Sahara ou dans la zone sahélienne, peut donner de très utiles renseignements.

Batraciens et reptiles. — Les batraciens anoures sont assez fréquents au Sahara ; il y a des grenouilles (?) à El Goléah, dans les oasis touatiens, dans les ar’rem de l’Ahaggar ; elles ne sont pas rares dans l’Aïr, ni dans les mares les moins salées des Teguidda. On sait combien ces animaux sont sensibles à la sécheresse ; on sait aussi que leurs œufs sont très délicats et ne peuvent pas être transportés accidentellement, par le vent ou les oiseaux. En règle générale, il n’y a pas de batraciens dans les îles océaniques.

Leur existence, en des points isolés comme El Goléah ou l’Ahaggar, est le témoignage d’un état hydrographique différent, d’une période où des cours d’eau continus reliaient ces différents points à d’autres bassins fluviaux. L’étude précise des différentes espèces pourra permettre d’affirmer des relations anciennes entre les divers bassins et apportera de nouveaux arguments, très solides, à la reconstitution des réseaux hydrographiques du Sahara. Cette étude est encore à faire entièrement.

Quant aux reptiles, il sont nombreux. Le groupe des lézards est abondamment représenté ; les espèces sont malheureusement encore indéterminées. Il y a surtout des agames, des geckos, des varans.

On a souvent insisté sur la coloration gris jaunâtre de beaucoup d’espèces sahariennes ; l’homochromie est en effet assez fréquente ; cependant, à l’époque de la pariade, beaucoup de lézards prennent des couleurs très brillantes ; en juillet et août, dans l’Adr’ar’ et l’Ahaggar, un agame à tête rouge, avec un corps vert et violet, se distingue de fort loin sur la patine noire des rochers, où il est d’un effet très décoratif.

Les uromastix (fouette-queues) se rencontrent depuis le Sud algérien jusqu’à l’Adr’ar’ des Ifor’as et l’Ahaggar. Ils deviennent presque noirs dans la région basaltique de Silet.

Les tortues sont assez communes dans la zone sahélienne où l’on en trouve fréquemment une forme voisine de la tortue d’Algérie, mais beaucoup plus grosse (elle dépasse souvent une longueur de 50 centimètres) et présentant trois ergots aux pattes postérieures.

Les serpents sont communs. Le plus souvent cité, la vipère à cornes (Cerastes), semble ne pas exister partout : très commune dans le Grand Erg et l’Iguidi, on la retrouve sur le littoral de Mauritanie ; vers le sud elle abonde dans les dunes de l’Ahnet, au delà duquel elle disparaît. On ne la trouve ni dans le tanezrouft d’In Zize, ni dans l’Ahaggar[140] : ses pistes sont tellement caractéristiques qu’il paraît difficile que sa présence puisse échapper.

Son existence est très douteuse dans l’Adr’ar’ des Ifor’ass ; on affirme sa présence dans les dunes qui bordent le Niger ; je n’ai pu avoir la confirmation de ce fait ni à Bourem ni à Bemba. Boulenger [Catalogue of the snakes in the British Museum, 1896] indique que les deux espèces du genre Cerastes ne se trouvent que dans la partie septentrionale du désert, de l’Arabie à l’Atlantique. Leur distribution géographique coïnciderait en gros avec celle des Ergs vivants (fig. 69, p. 245) [Cf. Mocquart, Revue coloniale, 1905].

Oiseaux. — Les oiseaux sont rares au Sahara ; quelques vautours, de couleur claire, suivent les caravanes ; les « ganga » se trouvent dans tous les pâturages ; les tourterelles (2 espèces au moins) et les pigeons sont communs autour de tous les points d’eau. Dès qu’on arrive à la zone sahélienne, ce monde des oiseaux est presque entièrement renouvelé et les formes soudanaises se montrent en grand nombre. J’ai noté les mange-mil, les moineaux du Soudan (famille des Viduinés)[141], à Timiaouin dans l’Adr’ar’ et à Iférouane dans l’Aïr. Les perroquets se montrent à Tin Teborak (15°,30′ Lat.), dans le Tegama. La corneille à plastron (Corvus scapulatus D.) abonde dans toute la zone sahélienne, du Tchad à l’Atlantique, de même que la grande outarde et la pintade.

La pintade est souvent domestique et l’on en rencontre dans tous les villages du pays haoussa. Comme il arrive à tous les animaux de basse-cour, son plumage devient très variable et prend souvent des couleurs claires ou presque blanches ; c’est probablement, comme il l’avait pressenti, à ces variétés domestiques d’origine indigène, qu’appartenaient les pintades signalées par Maclaud comme provenant du haut Niger [l. c., p. 257].

L’autruche. — La distribution de l’autruche soulève au moins une question intéressante ; elle est toujours assez répandue dans la zone sahélienne à l’état sauvage ; dans un grand nombre de villages, en pays haoussa comme sur les bords du Niger, on élève des autruches qui sont assez domestiquées pour qu’on les laisse en liberté dans les champs voisins. Les autruches sont plumées vers le mois de juillet ; pendant quelques semaines, ces grandes bêtes, toutes nues, font un effet hideux dans le paysage. La plupart des plumes que l’on trouve sur le marché proviennent de cet élevage, que les noirs savent fort bien pratiquer.

On sait que l’autruche a été commune dans le Sud algérien d’où elle a disparu depuis quelques années. On a habituellement expliqué cette disparition par les chasses abusives des officiers des bureaux arabes. Il peut se faire que cette cause ait contribué à l’extinction des autruches, mais cette explication cesse d’être valable plus au sud ; elle est probablement fausse, ou tout au moins incomplète. Tous les nomades sont d’accord pour dire qu’il y a une cinquantaine d’années, les autruches étaient communes dans tout le Sahara ; Duveyrier mentionne expressément que, dans l’Ahaggar, on ne le chassait pas parce que leurs plumes, usées contre les rochers, n’avaient pas de valeur marchande, et que les Touaregs s’abstiennent de la chair des oiseaux.

Les témoignages unanimes des indigènes sont confirmés par la grande abondance des œufs que l’on trouve souvent, presque intacts, à la surface du sol, dans toutes les parties du Sahara ; ces œufs se trouvent aussi bien dans les feidjs entre les dunes que dans les grands regs du tanezrouft, toujours loin des oasis : on a souvent dit, et l’on trouve encore dans des manuels récents, que l’autruche n’habitait pas le désert, qu’elle ne faisait que le traverser, allant d’oasis en oasis, comme les grands voiliers de l’Océan vont d’île en île ; ceci est tout à fait inexact et l’autruche n’a jamais été signalée que loin des centres habités ; les oasis sont d’ailleurs occupés entièrement par des jardins soigneusement enclos et nul animal sauvage de forte taille n’y peut pénétrer. L’autruche a presque disparu de tout le Sahara ; pendant son beau raid dans l’Iguidi, Flye Sainte-Marie, en a vu une seule piste ; Voinot a aperçu deux ou trois autruches dans l’Amadr’or ; les rapports de tous les officiers des oasis permettraient peut-être d’augmenter ce chiffre de quelques unités et l’on sait quel nombre colossal de kilomètres ils ont couvert.

Au désert, ce n’est certes pas la chasse que l’on peut invoquer pour expliquer cette raréfaction. Un changement de climat est invraisemblable, qui aurait supprimé les points d’eau : notre guide nous affirmait avoir souvent vu, dans son enfance, des autruches entre l’Ahaggar et l’Aïr ; la piste n’a pas changé ; la description que, par renseignements il est vrai, Barth avait recueillie en 1850 est encore parfaitement exacte : ce sont les mêmes puits, et les mêmes pâturages ; les gazelles et les mohors ne sont pas rares le long de cette piste et tous ceux que nous avons tués étaient en fort bon état, preuve qu’ils vivaient largement. Une épidémie, ou ce qui revient au même, une épizootie, ne se comprend guère dans une population aussi disséminée que celle du désert et sous le soleil purificateur du Sahara.

De semblables extinctions, totalement inexpliquées, ont souvent été signalées en paléontologie : un groupe donné d’animaux n’aurait qu’une vie limitée, comme chacun des êtres qui le composent ; il y aurait une mort de l’espèce, comme il y a une mort de l’individu. Cette explication est peu claire, mais les faits dont elle prétend rendre compte paraissent indéniables. L’autruche est certainement un type vieux, un véritable anachronisme ; malgré l’apparence, elle n’est pas un véritable oiseau ; elle n’a avec les oiseaux que des rapports de cousinage éloigné ; elle est un des derniers représentants des grands reptiles, des grands dinosauriens de l’ère secondaire.

Mais il ne suffit pas qu’un type animal soit vieux pour qu’il disparaisse ; encore faut-il une cause, autrement il n’y aurait plus de déterminisme, plus de loi naturelle. Cette disparition de l’autruche du Sahara prend ainsi une certaine importance ; son explication permettrait peut-être d’apporter un peu de lumière dans un des problèmes les plus obscurs de la paléontologie.

Mammifères. — L’étude des petits mammifères (gerboises, lièvres, daman, hérisson, civettes, lynx, etc.) est à peine ébauchée et l’on ne peut rien dire de certain.

Parmi les grosses espèces, un petit nombre se trouvent un peu partout dans le Sahara : la gazelle (G. dorcas L.), avec de multiples variétés encore mal débrouillées, est dans ce cas ; le mohor (Gazella mohr Bennet) que l’on signale jusqu’au Tafilalet, ne devient commun qu’au sud de l’Ahaggar ; dans le nord de la zone sahélienne on le voit plus souvent que la gazelle.

Des fœtus de mohor à terme, provenant de femelles tuées à N’Guigmi dans la seconde quinzaine de février, avaient la robe complètement fauve ; on pouvait à peine distinguer une origine de balsane. Des jeunes de la même espèce, observés en novembre dans le poste de Djadjidouna (Damergou) et ayant par suite huit à neuf mois, avaient à peu près exactement la robe de la gazelle commune ; chez l’adulte, le blanc s’accroît beaucoup, le dos seul reste fauve.

Un peu plus au sud, au voisinage du Tchad et des bords du Niger, de nombreuses antilopes et la girafe apparaissent ; toutes ces espèces sont soudanaises ; elles ne s’éloignent jamais beaucoup ni des mares, ni du fleuve.

L’adax [v. t. I, p. 197], assez commune aux confins de l’Algérie, devient rare dans le Sahara méridional. Elle existe cependant dans l’Adr’ar’ des Ifor’as, au moins dans sa partie nord.

Le fenek (Canis Zerda Zim.) est également très répandu ; nous en avons pris un jeune, dans son terrier, à mi-chemin entre In Ouzel et Timissao, à 100 km. de tout point d’eau. Les chacals et les hyènes[142] ne s’éloignent pas autant des puits. Le guépard (Cynailurus jubatus Zim.) existe probablement dans l’Adr’ar’ des Ifor’as et l’Ahaggar.

Le mouflon (Ovis tragelaphus Desm., ou une race de cette espèce) se trouve dans toutes les régions montagneuses de l’Afrique septentrionale ; vers le sud, il ne paraît pas dépasser l’Aïr (nous en avons vu près d’Iférouane) et l’Adr’ar’ des Ifor’as : il en a été tué un vieux mâle dans l’Adra’r’ Denat ; Nachtigal le signale dans le Tibesti. Ceci permet de reporter vers le 18° de latitude la limite méridionale de cette espèce, que le catalogue de Trouessart[143] fixait au 24° Lat.

Pendant la saison des pluies, le lion remonte jusqu’à l’Adr’ar’ des Ifor’as ; il habite toute l’année l’Aïr[144], manque, pendant la saison sèche, dans le Tegama où les puits sont profonds, et devient commun dès que l’on arrive à la région des mares.

Les phacochères (P. africanus Gm.) existent dans toute la zone sahélienne ; on les trouve d’ailleurs jusqu’au Zambèze. Une espèce de ce genre a été signalée dans le Quaternaire algérien et figurée par Pomel. J’en ai vu pour ma part, et mangé, dès Teguidda n’Taguei.

Les singes ont été signalés depuis longtemps dans l’Aïr, et Cortier en a aperçu et tiré un dans le sud du pays des Ifor’as [La Géographie, avril 1908, p. 278].

Par ses mammifères comme par ses plantes, la zone sahélienne est bien distincte du Sahara et se rattache au Soudan.

Quelques points méritent encore d’être signalés : on s’étonne de trouver des hippopotames dans des mares de moyenne étendue, comme celles de la région de Gourselik. Ce fait, déjà signalé par Barth, n’est pas douteux ; j’en ai vu des ossements, et les captures sont, paraît-il, assez fréquentes. Il pourrait être intéressant de voir si l’exiguité des mares qu’il habite n’a pas entraîné une modification de la taille de l’hippopotame. — Les rhinocéros, qui sont surtout de l’Afrique orientale, paraissent bien décidément venir jusqu’au Tchad ; le colonel Destenave est très affirmatif ; les indigènes des bords du lac craignent beaucoup la rencontre de cet animal dangereux souvent caché, paraît-il, dans les fourrés de roseaux.

La chasse. — Dans la zone sahélienne, surtout dans sa partie méridionale, le gros gibier est abondant et quelques tribus vivent de la chasse : les chasseurs forcent la girafe à cheval ; pour les antilopes et les mohor, ils sont assez patients pour ramper pendant des heures et les approcher d’assez près pour les tuer à la lance.

Au Sahara, les Touaregs forcent quelquefois l’adax à méhari ; mais la chasse existe à peine chez eux et est abandonnée aux plus pauvres. Vers la fin de la saison sèche, les plus miséreux distinguent une saison des pièges, pendant laquelle la seule ressource est, pour eux, la chasse à la gazelle.

Comme on ne peut songer à la forcer à la course, on emploie un piège formé d’une couronne tressée, à l’intérieur de laquelle sont fixées des tiges de bois dur : l’ensemble figure une sorte de roue sans moyeu ou plutôt d’entonnoir très surbaissé, d’une vingtaine de centimètres de diamètre. On pose ces pièges au-dessus d’un trou, la pointe en bas, aux points où fréquentent les gazelles, et si par hasard l’une d’elles pose le pied dessus, elle ne peut se débarrasser de cette couronne et est obligée de fuir en l’entraînant. Parfois un bâton, attaché au piège, le rend encore plus lourd. L’animal ainsi gêné dans sa course est facile à attraper.

Voinot a figuré un de ses pièges provenant d’Amdjid [Comité de l’Afrique Française, 1908, Supplém., p. 86] ; j’en ai vu de semblables à Tamanr’asset et sur les bords du Tchad. Ces derniers, destinés à la capture de plus grosses antilopes, avaient une quarantaine de centimètres de diamètre.

Dans le Sahara arabe comme aux compagnies de méharistes, le fusil est trop répandu pour que l’on ait recours à ces modes primitifs de chasse. Le gibier est en général assez abondant pour fournir un appoint sérieux pendant les marches ; à El Goléah, la viande de gazelle coûte moins cher que celle du mouton.

Les troupeaux. — Il y a peu de choses à dire sur les animaux domestiques du Sahara[145].

Chèvres et moutons. — Les chèvres et les moutons forment partout la masse principale du cheptel ; leurs types sont peu variés et sont les mêmes que dans le Sud algérien. Cependant au damman (Ovis longipes) ou mouton à poil, vient s’ajouter parfois le mouton à laine ; il y en a quelques-uns dans l’Ahaggar et aussi dans l’Adr’ar’ mauritanien et le Rio de Oro ; en tous cas, au Sahara, il est la très rare exception et une peau de mouton d’Algérie a semblé, aux habitants d’Iférouane, la chose la plus extraordinaire que l’on puisse voir. Ce n’est qu’au sud du Niger qu’il prend une certaine importance. Il donne une laine de médiocre qualité, très jarreuse ; la sélection parviendra probablement à l’améliorer ; mais il y a peu de temps que la question est étudiée ; en 1906, à Segou-Sikoro ce commerce était tout à fait à ses débuts : dès 1907, le haut Sénégal et Niger a pu exporter 500 tonnes de laine. Il semble que la question de la laine au Soudan peut devenir rapidement intéressante.

Dans les troupeaux de chèvres, on observe assez souvent des individus à robe fauve, à cornes infléchies en avant et qui pourraient bien être des métis de gazelles. Il serait utile d’avoir des précisions sur ce point.

Les bœufs. — Les bœufs à bosse, les zébus, sont très répandus au Soudan, où ils sont souvent employés comme animaux de bât. On les retrouve dans l’Adr’ar’ des Ifor’as et dans l’Aïr, où, malgré la proximité des tanezrouft, ils vivent fort bien et se maintiennent en excellente forme. Dans l’Ahaggar, il n’y en a qu’un nombre insignifiant, une cinquantaine au plus, bien que pendant l’hiver la traversée du Sahara soit pour eux relativement facile : ils arrivent même au Tidikelt.

Quelques autres races de bœufs, sans bosse, sont connues au Soudan ; la plupart sont de petite taille. L’une d’elles cependant, encore assez mal connue, atteint la taille de nos plus forts taureaux. Ces bœufs « kouri » ont une robe en général claire, assez souvent blanche, le mufle toujours noir. De face, la tête est assez étroite, comme d’ailleurs chez la plupart des zébus du Soudan, mais le chanfrein est nettement bombé, moutonné et les cornes sont véritablement énormes : chez les mâles, leur diamètre à la base dépasse 25 centimètres [Freydenberg, thèse, p. 148-149].

Ces bœufs ont d’abord été signalés dans les îles du Tchad où ils sont fort nombreux ; Destenave évalue leur nombre à 60000. Ce chiffre est très vraisemblable : les habitants du petit village de Kalogabé, près du poste de Kouloua, sont au nombre de 200 seulement et possèdent 4000 bœufs adultes.

Ces bœufs kouri ne sont pas spéciaux à la région du Tchad ; on les retrouve à plus de 300 kilomètres à l’ouest, chez les Tebbous dont les campements sont établis au nord du Koutous. Leur extension vers l’est est inconnue. Nachtigal [Le voyage... au Ouadai, Bull. du Com. de l’Afr. Fr., 1903] n’indique à l’Ouadai (p. 63) que des zébus.

Les chevaux. — Les chevaux[146] se rattachent tous, de plus ou moins près, aux races de Barbarie ; leur élevage se fait surtout dans le bassin moyen du Niger ; entre le fleuve et le Tchad ils deviennent moins nombreux. Vers le nord, le désert les arrête, et leur extension vers le sud est limitée par les trypanosomiases.

Les Touaregs de l’Aïr ont quelques chevaux, 600 environ, parmi lesquels quelques-uns atteignent une haute valeur, plusieurs milliers de francs. Ces chevaux « bagazam », ainsi nommés en souvenir d’un siège célèbre que soutinrent autrefois les Kel Aïr contre un sultan du Bornou, peuvent rester deux jours sans boire ; cette particularité, qui semble résulter plutôt d’un dressage spécial que d’un caractère de race, les rend singulièrement précieux dans le Tegama où les points d’eau sont rares, et explique leur prix élevé.

Les ânes. — L’âne, qui résiste bien à la soif et qui sait se débrouiller dans les plus maigres pâturages, se répand de plus en plus au Soudan : les convois officiels en ont égaré dans tous les villages, entre Niamey et Zinder, où ils deviennent très nombreux.

Dans toutes les régions habitables du Sahara il en existe des troupeaux ; c’est toujours un animal de petite taille, contrairement à l’indication de Duveyrier pour l’Ahaggar. Une autre affirmation de l’illustre voyageur paraît aussi douteuse. Duveyrier croyait à l’existence d’ânes sauvages, d’onagres, sur la Coudia ; sur son autorité renforcée par celle de Flatters [Journal de route, p. 56], l’existence de l’Equus tæniopus d’Abyssinie a été admise à l’Ahaggar par tous les zoologistes. Il s’agit en réalité probablement d’ânes marrons et d’un élevage très spécial ; chaque troupeau a son propriétaire ; il est vrai que c’est une propriété assez vague ; il faut prendre les ânes au piège et la plupart du temps, si l’on n’a pas eu la chance de tomber sur un animal jeune, l’âne habitué à toute sa liberté est inutilisable. La question paraît d’ailleurs exiger quelques recherches : de Foucauld maintient, dans son dictionnaire, la distinction entre l’âne (eihedh) et l’onagre (ahoulil). Les zébrures sur les canons et les boulets, qui caractérisent l’Equus tæniopus, se trouvent assez fréquemment au Sahara jusque sur le littoral de Mauritanie, chez des ânes certainement domestiques.

Les chameaux. — Le chameau d’Afrique n’a qu’une bosse, il est toujours un dromadaire, mais personne n’emploie ce mot qui est réservé aux dictionnaires. Son étude zootechnique n’est pas faite ; il présente de nombreuses races bien distinctes : à première vue un nomade sait toujours de quel pays provient un chameau et, sans être du métier, on arrive vite à saisir des différences nettes entre les bêtes de différents élevages.

Les chameaux des hauts plateaux d’Algérie, lourds et robustes, avec leurs poils longs, fauves et souvent foncés, sont d’excellents animaux de bât dans leur pays ; dans le grand erg, on trouve des chameaux de forte taille, mais de différents types : les animaux du sud de la Tripolitaine à rein très long, ne ressemblent pas aux chameaux des Chaambas, beaucoup plus ramassés ; les mehara de Methlili, de taille médiocre, sont plus élancés et plus rapides que la plupart des chameaux de l’erg.

Les meilleurs animaux de selle proviennent de l’élevage touareg. Ce sont des bêtes à poil ras, à robe claire, souvent blanche, et d’une grande vitesse. Plus au sud, dans le Sahel, le profil est différent ; l’œil est souvent vairon ; les robes pies ne sont pas rares. En Mauritanie, on observe encore d’autres types.

Mais faute de chiffres précis et de photographies systématiques, il est difficile de débrouiller tous ces groupes ; on ne peut que signaler l’existence d’un grand nombre de races.

Quelques caractères cependant semblent en relations directes avec le milieu où a vécu l’animal. Les chameaux d’erg, habitués à marcher sur le sable, ont la sole assez sensible et se blessent dans les montagnes du pays touareg ; cette différence se manifeste nettement sur les pistes : les chameaux de pays rocailleux ont une sole épaisse et crevassée ; qui laisse sur le sable une empreinte couverte d’un réseau à larges mailles, très marqué ; celle du chameau d’erg est lisse.

Les chameaux du Sahara proprement dit, chaamba ou touareg, ont une bosse nette, bien délimitée : dans toute le zone sahélienne, la bosse plus basse se raccorde, sans rupture de pente, au reste du dos ; on ne sait ni où elle commence ni où elle finit. Il est vraisemblable que, dans le nord du Soudan, où les chameaux trouvent tous les jours de quoi manger, cet organe de réserve perd de son importance et commence à s’atrophier. Les bâts, qui servent à charger les chameaux porteurs ont des formes très différentes au Sahara et au Soudan : dans le nord, la partie essentielle du bât, le kteb, est très courte ; elle prend place en avant de la bosse, qu’entoure un coussin en forme de couronne ; les Berabiches du Sahel, les Touaregs de l’Aïr utilisent, à quelques détails près, des haouias analogues.

Fig. 66. — Deux types de bât : à gauche, bât du chameau saharien ; à droite, bât du chameau sahélien.

Dans la région du Tchad, le bât se compose de deux arçons situés l’un en avant l’autre en arrière de la bosse, et reliés par quelques traverses : l’ensemble occupe tout le dos et ne laisse pas place pour une bosse bien nourrie ; il serait impossible de placer ce bât sur un chameau saharien. Nachtigal [Sahara et Soudan, p. 260] en a donné un croquis détaillé. Lorsqu’il a fallu reconduire à Niamey et au Sénégal les canons amenés jadis péniblement à Zinder, on a pu utiliser très facilement pour leur transport à dos de chameaux, les bâts de mulet réglementaires : il a suffi de modifier un peu le rembourrage ; aux Oasis, le transport des canons à dos de chameau est toujours difficile.

Le nombre des chameaux indiqué dans les recensements ne doit pas faire illusion sur les capacités de transport au Sahara. Il y a 20000 chameaux dans l’Aïr, 7000 dans l’Ahaggar : mais un petit nombre seulement est disponible. Ces chiffres comprennent les chamelles, les chamelons de trois ans, les bêtes réservées à la boucherie ; ils comprennent aussi les montures personnelles des Touaregs et les chameaux employés aux petites caravanes, qui relient constamment les villages entre eux.

Un grand nombre d’animaux ont déjà un rôle bien défini et ne peuvent être employés à autre chose. A propos du télégraphe transsaharien, dont le matériel (fils, poteaux, etc.) représente environ 6000 charges, une enquête sérieuse a été faite dans l’Ahaggar pour savoir de combien de chameaux on pourrait disposer pour ce travail[147] : on peut compter que sur les 7000 animaux du Sahara central, 500 ou 600 tout au plus, moins du dixième, seraient utilisables, à moins de troubler profondément les conditions de la vie habituelle des nomades.

L’existence de races multiples, adaptées chacune à des régions déterminées, justifie la nécessité de relais pour les caravanes : les chameaux pourraient se déplacer à de grandes distances, dans le sens des latitudes, sans que pour eux les conditions de vie soient sensiblement changées ; mais, en fait, le mouvement commercial a lieu de la Méditerranée au Soudan, et pour aller du nord au sud il faut passer des régions de dunes de l’erg, aux régions caillouteuses de la pénéplaine cristalline ; en même temps que la nature du sol, la végétation se modifie et le chameau, gros mangeur, mais qui tient à choisir sa nourriture, et s’habitue difficilement à des plantes nouvelles, se nourrit mal dans des pâturages nouveaux. Dans la pratique, les chameaux du nord transportent les charges jusqu’au Tidikelt ou jusqu’à R’ât ; les chameaux des Ahaggar ou des Azdjer les remplacent jusqu’au nord de l’Aïr, jusqu’à Iférouane ; les troupeaux des Kel Oui achèvent la route jusqu’à Zinder ou Kano. Avec des animaux de choix et des soins constants, on pourrait faire autrement ; plusieurs longues tournées ont montré de quoi étaient capables des animaux bien entretenus : quelques mehara de la tournée Dinaux, ont pu rentrer d’Iférouane à In Salah (1338 km.) en vingt-neuf jours : ils étaient en route depuis six mois. Pour obtenir de pareils résultats, sans perte d’animaux, il faut des précautions incessantes, des soins presque affectueux ; il faut surtout ne jamais s’occuper de la commodité ou de la fatigue des hommes, et régler toutes les étapes à l’avantage du chameau ; on doit en route se résigner à être l’esclave de ses montures. On trouvera à ce sujet d’intéressants renseignements dans l’ouvrage du capitaine E. Arnaud et du lieutenant M. Cortier [Nos confins sahariens, Paris, 1908], qui résume tout ce qu’une expérience déjà longue, complétant les renseignements indigènes, a suggéré aux officiers des compagnies de méharistes.

Le chameau est encore intéressant à un autre point de vue ; comme animal de bât, il est employé en Algérie et au Soudan ; comme animal de selle, son rôle est plus limité. Il est une monture excellente pour de longues étapes, surtout lorsque l’on est en troupes : le guide marche en tête et tous les mehara le suivent sans que l’on ait presque à s’en occuper. Pour de courtes promenades, surtout lorsque l’on est seul, le chameau est insupportable ; il est difficile à diriger. Aussi dès que la chose devient possible, dès que les points d’eau sont assez rapprochés, il est, comme animal de selle, remplacé par le cheval plus maniable et plus rapide sur les courtes distances. Cette substitution du cheval au mehari indique, au nord comme au sud, la limite du désert. Cette limite est évidemment un peu conventionnelle ; elle est d’ordre ethnographique plutôt que géographique ; si l’on voulait être strict, le désert, les régions inhabitées et inhabitables, se confondraient avec les tanezrouft. Mais si l’on y ajoute les régions à faible densité de population qui, jointes aux précédentes, forment l’ensemble du Sahara, l’existence du mehari, comme monture habituelle, est caractéristique. Les limites qu’elle donne coïncident d’une manière très satisfaisante avec celles qu’indiquent les zones végétales, zones qui sont en rapport immédiat avec les quantités de pluie.

Au surplus, même comme animal de bât, le chameau disparaît dans les pays fertiles ; l’humidité lui est néfaste ; il ne peut prospérer, disent les Kel Aïr, dans les pays où pousse bien le mil. Il manque dans le Tell ; sur les Hauts Plateaux, son élevage diminue d’importance. Au sud de la zone sahélienne, on ne le trouve plus qu’accidentellement ; il en existe cependant quelques-uns qui séjournent constamment dans le Djerma, mais ils sont malingres et une longue hérédité seule les a mis à peu près en état de résister aux trypanosomiases.

Les chameaux sont de nouveaux venus dans une partie de l’Afrique ; connus de tout temps en Tripolitaine, ils n’auraient été introduits en Algérie que vers le Ve siècle. Ils y existaient cependant à l’époque quaternaire[148].

L’histoire paléontologique de la famille des Camelidés est d’ailleurs encore obscure. Cette famille semble avoir pris naissance en Amérique[149] où elle est encore bien représentée par les lamas (Auchenia). La présence de ce groupe si spécial, en Amérique et dans la région méditerranéenne, est un des faits que l’on a invoqués, à tort sans doute, pour prouver l’existence, pendant les temps tertiaires, du continent africano-brésilien qui, occupant en partie la place de l’Atlantique sud, reliait L’Ancien et le Nouveau Monde.

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