Molière - Œuvres complètes, Tome 2
ACTE PREMIER
SCÈNE I.—CHRYSALDE, ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
Sans craindre d'être ouïs, y discourir ensemble.
Voulez-vous qu'en ami je vous ouvre mon cœur?
Votre dessein, pour vous, me fait trembler de peur;
Et, de quelque façon que vous tourniez l'affaire,
Prendre femme est à vous un coup bien téméraire.
ARNOLPHE.
Vous trouvez des sujets de craindre pour chez nous;
Et votre front, je crois, veut que du mariage
Les cornes soient partout l'infaillible apanage.
CHRYSALDE.
Et bien sot, ce me semble, est le soin qu'on en prend.
Mais, quand je crains pour vous, c'est cette raillerie
Dont cent pauvres maris ont souffert la furie:
Car enfin vous savez qu'il n'est grands, ni petits,
Que de votre critique on ait vu garantis;
Que vos plus grands plaisirs sont, partout où vous êtes,
De faire cent éclats des intrigues secrètes...
ARNOLPHE.
Où l'on ait des maris si patiens qu'ici?
Est-ce qu'on n'en voit pas de toutes les espèces,
Qui sont accommodés chez eux de toutes pièces?
L'un amasse du bien, dont sa femme fait part
A ceux qui prennent soin de le faire cornard;
L'autre, un peu plus heureux, mais non pas moins infâme,
Voit faire tous les jours des présens à sa femme,
Et d'aucun soin jaloux n'a l'esprit combattu,
Parce qu'elle lui dit que c'est pour sa vertu.
L'un fait beaucoup de bruit qui ne lui sert de guères;
L'autre en toute douceur laisse aller les affaires;
Et, voyant arriver chez lui le damoiseau,
Prend fort honnêtement ses gants et son manteau.
L'une, de son galant, en adroite femelle,
Fait fausse confidence à son époux fidèle,
Qui dort en sûreté sur un pareil appât,
Et le plaint, ce galant, des soins qu'il ne perd pas;
L'autre, pour se purger de sa magnificence,
Dit qu'elle gagne au jeu l'argent qu'elle dépense;
Et le mari benêt, sans songer à quel jeu,
Sur les gains qu'elle fait rend des grâces à Dieu.
Enfin, ce sont partout des sujets de satire;
Et, comme spectateur, ne puis-je pas en rire?
Puis-je pas de nos sots...
CHRYSALDE.
Doit craindre qu'en revanche on rie aussi de lui.
J'entends parler le monde; et des gens se délassent
A venir débiter les choses qui se passent;
Mais, quoi que l'on divulgue aux endroits où je suis,
Jamais on ne m'a vu triompher de ses bruits.
J'y suis assez modeste; et, bien qu'aux occurrences
Je puisse condamner certaines tolérances,
Que mon dessein ne soit de souffrir nullement
Ce que quelques maris souffrent paisiblement,
Pourtant je n'ai jamais affecté de le dire;
Car enfin il faut craindre un revers de satire,
Et l'on ne doit jamais jurer sur de tels cas
De ce qu'on pourra faire, ou bien ne faire pas.
Ainsi, quand à mon front, par un sort qui tout mène,
Il seroit arrivé quelque disgrâce humaine,
Après mon procédé, je suis presque certain
Qu'on se contentera de s'en rire sous main:
Et peut-être qu'encor j'aurai cet avantage,
Que quelques bonnes gens diront: Que c'est dommage!
Mais de vous, cher compère, il en est autrement:
Je vous le dis encor, vous risquez diablement.
Comme sur les maris accusés de souffrance
De tout temps votre langue a daubé d'importance,
Qu'on vous a vu contre eux un diable déchaîné,
Vous devez marcher droit pour n'être point berné;
Et, s'il faut que sur vous on ait la moindre prise,
Gare qu'aux carrefours on ne vous tympanise,
Et...
ARNOLPHE.
Bien huppé qui pourra m'attraper sur ce point.
Je sais les tours rusés et les subtiles trames
Dont pour nous en planter savent user les femmes,
Et comme on est dupé par leurs dextérités.
Contre cet accident j'ai pris mes sûretés;
Et celle que j'épouse a toute l'innocence
Qui peut sauver mon front de maligne influence.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
Je crois, en bon chrétien, votre moitié fort sage;
Mais une femme habile est un mauvais présage:
Et je sais ce qu'il coûte à de certaines gens
Pour avoir pris les leurs avec trop de talens.
Moi, j'irois me charger d'une spirituelle,
Qui ne parleroit rien[111] que cercle et que ruelle;
Qui de prose et de vers feroit de doux écrits,
Et que visiteroient marquis et beaux esprits,
Tandis que, sous le nom du mari de madame,
Je serois comme un saint que pas un ne réclame!
Non, non, je ne veux point d'un esprit qui soit haut;
Et femme qui compose en sait plus qu'il ne faut.
Je prétends que la mienne, en clarté peu sublime,
Même ne sache pas ce que c'est qu'une rime;
Et, s'il faut qu'avec elle on joue au corbillon,
Et qu'on vienne à lui dire à son tour: Qu'y met-on?
Je veux qu'elle réponde: Une tarte à la crème;
En un mot, qu'elle soit d'une ignorance extrême:
Et c'est assez pour elle, à vous en bien parler,
De savoir prier Dieu, m'aimer, coudre, et filer.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
Qu'une femme fort belle avec beaucoup d'esprit.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
Puisse jamais savoir ce que c'est qu'être honnête?
Outre qu'il est assez ennuyeux, que je croi,
D'avoir toute sa vie une bête avec soi.
Pensez-vous le bien prendre, et que sur votre idée
La sûreté d'un front puisse être bien fondée?
Une femme d'esprit peut trahir son devoir;
Mais il faut, pour le moins, qu'elle ose le vouloir:
Et la stupide au sien peut manquer d'ordinaire,
Sans en avoir l'envie et sans penser le faire.
ARNOLPHE.
Ce que[112] Pantagruel à Panurge répond?
Pressez-moi de me joindre à femme autre que sotte,
Prêchez, patrocinez[113] jusqu'à la Pentecôte;
Vous serez ébahi, quand vous serez au bout,
Que vous ne m'aurez rien persuadé du tout.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
En femme, comme en tout, je veux suivre ma mode:
Je me vois riche assez pour pouvoir, que je croi,
Choisir une moitié qui tienne tout de moi,
Et de qui la soumise et pleine dépendance
N'ait à me reprocher aucun bien ni naissance.
Un air doux et posé, parmi d'autres enfants,
M'inspira de l'amour pour elle dès quatre ans;
Sa mère se trouvant de pauvreté pressée,
De la lui demander il me vint[114] en pensée;
Et bonne paysanne, apprenant mon désir,
A s'ôter cette charge eut beaucoup de plaisir.
Dans un petit couvent, loin de toute pratique,
Je la fis élever selon ma politique;
C'est-à-dire, ordonnant quels soins on emploieroit
Pour la rendre idiote autant qu'il se pourroit.
Dieu merci, le succès a suivi mon attente;
Et grande, je l'ai vue à tel point innocente,
Que j'ai béni le ciel d'avoir trouvé mon fait,
Pour me faire une femme au gré de mon souhait.
Je l'ai donc retirée; et, comme ma demeure
A cent sortes de monde est ouverte à toute heure,
Je l'ai mise à l'écart, comme il faut tout prévoir,
Dans cette autre maison où nul ne me vient voir;
Et, pour ne point gâter sa bonté naturelle,
Je n'y tiens que des gens tout aussi simples qu'elle.
Vous me direz: Pourquoi cette narration?
C'est pour vous rendre instruit de ma précaution,
Le résultat de tout est qu'en ami fidèle,
Ce soir je vous invite à souper avec elle;
Je veux que vous puissiez un peu l'examiner,
Et voir si de mon choix on me doit condamner.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
Juger de sa personne et de son innocence.
CHRYSALDE.
Ne peut...
ARNOLPHE.
Dans ses simplicités à tous coups je l'admire,
Et parfois elle en dit dont je pâme de rire.
L'autre jour (pourroit-on se le persuader?),
Elle étoit fort en peine, et me vint demander,
Avec une innocence à nulle autre pareille,
Si les enfans qu'on fait se faisoient par l'oreille.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
Me voulez-vous toujours appeler de ce nom?
CHRYSALDE.
Et jamais je ne songe à monsieur de la Souche.
Qui diable vous a fait aussi vous aviser,
A quarante-deux ans de vous débaptiser,
Et d'un vieux tronc pourri de votre métairie
Vous faire dans le monde un nom de seigneurie?
ARNOLPHE.
La Souche plus qu'Arnolphe à mes oreilles plaît.
CHRYSALDE.
Pour en vouloir prendre un bâti sur des chimères!
De la plupart des gens c'est la démangeaison;
Et, sans vous embrasser dans la comparaison,
Je sais un paysan qu'on appeloit Gros-Pierre,
Qui n'ayant pour tout bien qu'un seul quartier de terre,
Y fit tout à l'entour faire un fossé bourbeux,
Et de monsieur de l'Isle en prit le nom pompeux.
ARNOLPHE.
Mais enfin de la Souche est le nom que je porte:
J'y vois de la raison, j'y trouve des appas;
Et m'appeler de l'autre est ne m'obliger pas.
CHRYSALDE.
Et je vois même encor des adresses de lettre...
ARNOLPHE.
Mais vous...
CHRYSALDE.
Et je prendrai le soin d'accoutumer ma bouche
A ne plus vous nommer que monsieur de la Souche.
ARNOLPHE.
Et dire seulement que je suis de retour.
CHRYSALDE, à part, en s'en allant.
ARNOLPHE, seul.
Chose étrange de voir comme avec passion
Un chacun[115] est chaussé de son opinion!
Il frappe à sa porte.
Holà!
SCÈNE II.—ARNOLPHE, ALAIN, GEORGETTE, dans la maison.
ALAIN.
ARNOLPHE.
Ouvrez. On aura, que je pense,
Grande joie à me voir après dix jours d'absence.
ALAIN.
ARNOLPHE.
ALAIN.
GEORGETTE.
ALAIN.
GEORGETTE.
ALAIN.
GEORGETTE.
ALAIN.
ARNOLPHE.
Pour me laisser dehors! Holà! ho! je vous prie.
GEORGETTE.
ARNOLPHE.
GEORGETTE.
ALAIN.
GEORGETTE.
Ouvre vite.
ALAIN.
GEORGETTE.
ALAIN.
ARNOLPHE.
N'aura point à manger de plus de quatre jours.
Ah!
GEORGETTE.
ALAIN.
GEORGETTE.
ALAIN.
GEORGETTE.
ALAIN.
GEORGETTE.
ALAIN.
GEORGETTE.
ARNOLPHE.
ALAIN, en entrant.
GEORGETTE, en entrant.
C'est moi.
ALAIN.
Je te...
ARNOLPHE, recevant un coup d'Alain.
ALAIN.
ARNOLPHE.
ALAIN.
ARNOLPHE.
Songez à me répondre, et laissons la fadaise.
Eh bien, Alain, comment se porte-t-on ici?
ALAIN.
Arnolphe ôte le chapeau de dessus la tête d'Alain.
Monsieur, nous nous por....
Arnolphe l'ôte encore.
Dieu merci,
Nous nous...
ARNOLPHE, ôtant le chapeau d'Alain pour la troisième fois, et le jetant par terre.
A parler devant moi le chapeau sur la tête?
ALAIN.
ARNOLPHE, à Alain.
SCÈNE III.—ARNOLPHE, GEORGETTE.
ARNOLPHE.
GEORGETTE.
ARNOLPHE.
GEORGETTE.
ARNOLPHE.
GEORGETTE.
Elle vous croyoit voir de retour à toute heure;
Et nous n'oyions jamais passer devant chez nous
Cheval, âne ou mulet, qu'elle ne prît pour vous.
SCÈNE IV.—ARNOLPHE, AGNÈS, ALAIN, GEORGETTE.
ARNOLPHE.
Eh bien, Agnès, je suis de retour du voyage:
En êtes-vous bien aise?
AGNÈS.
ARNOLPHE.
Vous vous êtes toujours, comme on voit, bien portée?
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
Que faites-vous donc là?
AGNÈS.
Vos chemises de nuit et vos coiffes sont faites.
ARNOLPHE.
Ne vous ennuyez point, je reviendrai tantôt,
Et je vous parlerai d'affaires importantes.
SCÈNE V.—ARNOLPHE.
Pousseuses de tendresse et de beaux sentimens,
Je défie à la fois tous vos vers, vos romans,
Vos lettres, billets doux, toute votre science,
De valoir cette honnête et pudique ignorance.
Ce n'est point par le bien qu'il faut être ébloui;
Et, pourvu que l'honneur soit...
SCÈNE VI.—HORACE, ARNOLPHE.
ARNOLPHE.
Je me trompe. Nenni. Si fait. Non, c'est lui-même,
Hor...
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
Et depuis quand ici?
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
J'admire[116] de le voir au point où le voilà,
Après que je l'ai vu pas plus grand que cela.
HORACE.
ARNOLPHE.
Mon bon et cher ami que j'estime et révère,
Que fait-il? que dit-il? Est-il toujours gaillard?
A tout ce qui le touche il sait que je prends part:
Nous ne nous sommes vus depuis quatre ans ensemble
Ni, qui plus est, écrit l'un à l'autre me semble.
HORACE.
Et j'avois de sa part une lettre pour vous:
Mais depuis, par une autre, il m'apprend sa venue,
Et la raison encor ne m'en est pas connue.
Savez-vous qui peut être un de vos citoyens[117],
Qui retourne en ces lieux avec beaucoup de biens
Qu'il s'est en quatorze ans acquis dans l'Amérique?
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
Comme s'il devait m'être entièrement connu,
Et m'écrit qu'en chemin ensemble ils se vont mettre
Pour un fait important que ne dit point sa lettre.
Horace remet la lettre d'Oronte à Arnolphe.
ARNOLPHE.
Et pour le régaler je ferai mon pouvoir.
Après avoir lu la lettre.
Il faut pour des amis des lettres moins civiles,
Et tous ces complimens sont choses inutiles.
Sans qu'il prît le souci de m'en écrire rien,
Vous pouvez librement disposer de mon bien.
HORACE.
Et j'ai présentement besoin de cent pistoles.
ARNOLPHE.
Et je me réjouis de les avoir ici.
Gardez aussi la bourse.
HORACE.
ARNOLPHE.
Eh bien, comment encor trouvez-vous cette ville?
HORACE.
Et j'en crois merveilleux les divertissemens.
ARNOLPHE.
Mais, pour ceux que du nom de galans on baptise,
Ils ont en ce pays de quoi se contenter,
Car les femmes y sont faites à coqueter:
On trouve d'humeur douce et la brune et la blonde,
Et les maris aussi les plus bénins du monde,
C'est un plaisir de prince: et des tours que je voi
Je me donne souvent la comédie à moi.
Peut-être en avez-vous déjà féru[118] quelqu'une.
Vous est-il point encore arrivé de fortune?
Les gens faits comme vous font plus que les écus,
Et vous êtes de taille à faire des cocus.
HORACE.
J'ai d'amour en ces lieux eu certaine aventure;
Et l'amitié m'oblige à vous en faire part.
ARNOLPHE, à part.
Et ce sera de quoi mettre sur mes tablettes.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
Un secret éventé rompt nos prétentions.
Je vous avoûrai donc avec pleine franchise
Qu'ici d'une beauté mon âme s'est éprise.
Mes petits soins d'abord ont eu tant de succès,
Que je me suis chez elle ouvert un doux accès,
Et, sans trop me vanter ni lui faire une injure,
Mes affaires y sont en fort bonne posture.
ARNOLPHE, en riant.
HORACE, lui montrant le logis d'Agnès.
Dont vous voyez d'ici que les murs sont rougis;
Simple, à la vérité, par l'erreur sans seconde
D'un homme qui la cache au commerce du monde,
Mais qui, dans l'ignorance où l'on veut l'asservir,
Fait briller des attraits capables de ravir;
Un air tout engageant, je ne sais quoi de tendre
Dont il n'est point de cœur qui se puisse défendre.
Mais peut être il n'est pas que vous n'ayez bien vu
Ce jeune astre d'amour de tant d'attraits pourvu:
C'est Agnès qu'on l'appelle.
ARNOLPHE, à part.
HORACE.
C'est, je crois, de la Zousse, ou Source, qu'on le nomme;
Je ne me suis pas fort arrêté sur le nom:
Riche, à ce qu'on m'a dit, mais des plus sensés, non;
Et l'on m'en a parlé comme d'un ridicule.
Le connoissez-vous point?
ARNOLPHE, à part.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
Eh! c'est-à-dire oui? Jaloux à faire rire?
Sot! Je vois qu'il en est ce que l'on m'a pu dire.
Enfin l'aimable Agnès a su m'assujettir.
C'est un joli bijou, pour ne vous point mentir;
Et ce seroit péché qu'une beauté si rare
Fût laissée au pouvoir de cet homme bizarre.
Pour moi, tous mes efforts, tous mes vœux les plus doux,
Vont à m'en rendre maître en dépit du jaloux;
Et l'argent que de vous j'emprunte avec franchise
N'est que pour mettre à bout cette juste entreprise.
Vous savez mieux que moi, quels que soient nos efforts,
Que l'argent est la clef de tous les grands ressorts,
Et que ce doux métal qui frappe tant de têtes,
En amour, comme en guerre, avance les conquêtes.
Vous me semblez chagrin! seroit-ce qu'en effet
Vous désapprouveriez le dessein que j'ai fait?
ARNOLPHE.
HORACE.
Adieu. J'irai chez vous tantôt vous rendre grâce.
ARNOLPHE, se croyant seul.
HORACE, revenant.
Et n'allez pas, de grâce, éventer mon secret.
ARNOLPHE, se croyant seul.
HORACE, revenant.
Qui s'en feroit peut-être un sujet de colère.
ARNOLPHE, croyant qu'Horace revient encore.
SCÈNE VII.—ARNOLPHE.
Jamais trouble d'esprit ne fut égal au mien.
Avec quelle imprudence et quelle hâte extrême
Il m'est venu conter cette affaire à moi-même!
Bien que mon autre nom le tienne dans l'erreur,
Étourdi montra-t-il jamais tant de fureur?
Mais, ayant tant souffert, je devois me contraindre
Jusques à m'éclaircir de ce que je dois craindre,
A pousser jusqu'au bout son caquet indiscret,
Et savoir pleinement leur commerce secret.
Tâchons à le rejoindre; il n'est pas loin, je pense;
Tirons-en de ce fait l'entière confidence.
Je tremble du malheur qui m'en peut arriver,
Et l'on cherche souvent plus qu'on ne veut trouver.
ACTE II
SCÈNE I.—ARNOLPHE.
D'avoir perdu mes pas, et pu manquer sa route:
Car enfin de mon cœur le trouble impérieux
N'eût pu se renfermer tout entier à ses yeux;
Il eût fait éclater l'ennui qui me dévore,
Et je ne voudrois pas qu'il sût ce qu'il ignore.
Mais je ne suis pas homme à gober le morceau,
Et laisser un champ libre aux feux[119] du damoiseau.
J'en veux rompre le cours, et, sans tarder, apprendre
Jusqu'où l'intelligence entre eux a pu s'étendre:
J'y prends pour mon honneur un notable intérêt,
Je la regarde en femme aux termes qu'elle en est;
Elle n'a pu faillir sans me couvrir de honte,
Et tout ce qu'elle a fait enfin est sur mon compte.
Éloignement fatal! voyage malheureux!
Il frappe à sa porte.
SCÈNE II.—ARNOLPHE, ALAIN, GEORGETTE.
ALAIN.
ARNOLPHE.
Passez là, passez là. Venez là, venez, dis-je.
GEORGETTE.
ARNOLPHE.
Et, tous deux de concert, vous m'avez donc trahi?
GEORGETTE, tombant aux genoux d'Arnolphe.
ALAIN, à part.
ARNOLPHE, à part.
Je suffoque, et voudrois me pouvoir mettre nu.
A Alain et à Georgette.
Vous avez donc souffert, ô canaille maudite!
A Alain qui veut s'enfuir.
Qu'un homme soit venu... Tu veux prendre la fuite!
A Georgette.
Il faut que sur-le-champ... Si tu bouges... Je veux
A Alain.
Que vous me disiez... Euh! oui, je veux que tous deux...
Alain et Georgette se lèvent et veulent encore s'enfuir.
Quiconque remuera, par la mort! je l'assomme.
Comme est-ce que chez moi s'est introduit cet homme?
Eh! parlez. Dépêchez, vite, promptement, tôt,
Sans rêver. Veut-on dire?
ALAIN ET GEORGETTE.
GEORGETTE, retombant aux genoux d'Arnolphe.
ALAIN, retombant aux genoux d'Arnolphe.
ARNOLPHE, à part.
Il faut que je m'évente et que je me promène.
Aurois-je deviné, quand je l'ai vu petit,
Qu'il croîtroit pour cela? Ciel! que mon cœur pâtit!
Je pense qu'il vaut mieux que de sa propre bouche
Je tire avec douceur l'affaire qui me touche.
Tâchons à modérer notre ressentiment.
Patience, mon cœur, doucement, doucement;
A Alain et à Georgette.
Levez-vous, et, rentrant, faites qu'Agnès descende.
A part.
Arrêtez. Sa surprise en deviendroit moins grande:
Du chagrin qui me trouble ils iroient l'avertir.
Et moi-même je veux l'aller faire sortir.
A Alain et à Georgette.
Que l'on m'attende ici.
SCÈNE III.—ALAIN, GEORGETTE.
GEORGETTE.
Ses regards m'ont fait peur, mais une peur horrible!
Et jamais je ne vis un plus hideux chrétien.
ALAIN.
GEORGETTE.
Il nous fait au logis garder notre maîtresse?
D'où vient qu'à tout le monde il veut tant la cacher,
Et qu'il ne sauroit voir personne en approcher?
ALAIN.
GEORGETTE.
ALAIN.
GEORGETTE.
ALAIN.
Est une chose... là... qui fait qu'on s'inquiète...
Et qui chasse les gens d'autour d'une maison.
Je m'en vais te bailler une comparaison,
Afin de concevoir la chose davantage.
Dis-moi, n'est-il pas vrai, quand tu tiens ton potage,
Que, si quelque affamé venoit pour en manger,
Tu serais en colère, et voudrois le chasser?
GEORGETTE.
ALAIN.
La femme est en effet le potage de l'homme;
Et, quand un homme voit d'autres hommes parfois
Qui veulent dans sa soupe aller tremper leurs doigts,
Il en montre aussitôt une colère extrême.
GEORGETTE.
Et que nous en voyons qui paroissent joyeux
Lorsque leurs femmes sont avec les biaux monsieux?
ALAIN.
Qui n'en veut que pour soi.
GEORGETTE.
Je le vois qui revient.
ALAIN.
GEORGETTE.
ALAIN.
SCÈNE IV.—ARNOLPHE, ALAIN, GEORGETTE.
ARNOLPHE, à part.
Comme une instruction utile autant que juste,
Que, lorsqu'une aventure en colère nous met,
Nous devons, avant tout, dire notre alphabet,
Afin que dans ce temps la bile se tempère,
Et qu'on ne fasse rien que l'on ne doive faire.
J'ai suivi sa leçon sur le sujet d'Agnès,
Et je la fais venir dans ce lieu tout exprès,
Sous prétexte d'y faire un tour de promenade,
Afin que les soupçons de mon esprit malade
Puissent sur le discours la mettre adroitement,
Et lui sondant le cœur, s'éclaircir doucement.
SCÈNE V.—ARNOLPHE, AGNÈS, ALAIN, GEORGETTE.
ARNOLPHE.
A Alain et à Georgette.
Rentrez.
SCÈNE VI.—ARNOLPHE, AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
Nous sommes tous mortels, et chacun est pour soi.
Lorsque j'étois aux champs, n'a-t-il point fait de pluie?
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE, après avoir un peu rêvé.
Voyez la médisance, et comme chacun cause!
Quelques voisins m'ont dit qu'un jeune homme inconnu
Étoit en mon absence à la maison venu;
Que vous aviez souffert sa vue et ses harangues.
Mais je n'ai point pris foi sur ces méchantes langues,
Et j'ai voulu gager que c'étoit faussement...
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
Il n'a presque bougé chez nous, je vous jure.
ARNOLPHE, bas, à part.
Me marque pour le moins son ingénuité.
Haut.
Mais il me semble, Agnès, si ma mémoire est bonne,
Que j'avois défendu que vous vissiez personne.
AGNÈS.
Et vous en auriez fait, sans doute, autant que moi.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
J'étois sur le balcon à travailler au frais,
Lorsque je vis passer sous les arbres d'auprès
Un jeune homme bien fait, qui, rencontrant ma vue,
D'une humble révérence aussitôt me salue:
Moi, pour ne point manquer à la civilité,
Je fis la révérence aussi de mon côté.
Soudain il me refait une autre révérence;
Moi, j'en refais de même une autre en diligence;
Et lui d'une troisième aussitôt repartant,
D'une troisième aussi j'y repars à l'instant.
Il passe, vient, repasse, et toujours, de plus belle,
Me fait à chaque fois révérence nouvelle;
Et moi, qui tous ces tours fixement regardois,
Nouvelle révérence aussi je lui rendois:
Tant que, si sur ce point la nuit ne fût venue,
Toujours comme cela je me serois tenue,
Ne voulant point céder, et recevoir l'ennui
Qu'il me pût estimer moins civile que lui.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
Une vieille m'aborde en parlant de la sorte:
«Mon enfant, le bon Dieu puisse-t-il vous bénir,
»Et dans tous vos attraits longtemps vous maintenir:
»Il ne vous a pas faite une belle personne
»Afin de mal user des choses qu'il vous donne;
»Et vous devez savoir que vous avez blessé
»Un cœur qui de s'en plaindre est aujourd'hui forcé.»
ARNOLPHE, à part.
AGNÈS.
«Oui, dit-elle, blessé, mais blessé tout de bon;
»Et c'est l'homme qu'hier vous vîtes du balcon.»
Hélas! qui pourroit, dis-je, en avoir été cause?
Sur lui, sans y penser, fis-je choir quelque chose?
«Non, dit-elle, vos yeux ont fait ce coup fatal
»Et c'est de leurs regards qu'est venu tout son mal.»
Eh! mon Dieu! ma surprise est, fis-je, sans seconde;
Mes yeux ont-ils du mal, pour en donner au monde?
«Oui, fit-elle[122], vos yeux, pour causer le trépas,
»Ma fille, ont un venin que vous ne savez pas.
»En un mot, il languit, le pauvre misérable;
»Et, s'il faut, poursuivit la vieille charitable,
»Que votre cruauté lui refuse un secours,
»C'est un homme à porter en terre dans deux jours.»
Mon Dieu! j'en aurois, dis-je, une douleur bien grande.
Mais pour le secourir qu'est-ce qu'il me demande?
«Mon enfant, me dit-elle, il ne veut obtenir
»Que le bien de vous voir et vous entretenir;
»Vos yeux peuvent eux seuls empêcher sa ruine,
»Et du mal qu'ils ont fait être la médecine.»
Hélas! volontiers, dis-je; et, puisqu'il est ainsi,
Il peut, tant qu'il voudra, me venir voir ici.
ARNOLPHE, à part.
Puisse l'enfer payer tes charitables trames!
AGNÈS.
Vous-même, à votre avis, n'ai-je pas eu raison?
Et pouvois-je, après tout, avoir la conscience
De le laisser mourir faute d'une assistance?
Moi qui compatis tant aux gens qu'on fait souffrir,
Et ne puis, sans pleurer, voir un poulet mourir!
ARNOLPHE, bas, à part.
Et j'en dois accuser mon absence imprudente,
Qui sans guide a laissé cette bonté de mœurs
Exposée aux aguets des rusés séducteurs.
Je crains que le pendard, dans ses vœux téméraires,
Un peu plus fort que jeu n'ait poussé les affaires.
AGNÈS.
Est-ce que c'est mal fait ce que je vous ai dit?
ARNOLPHE.
Et comme le jeune homme a passé ses visites.
AGNÈS.
Comme il perdit son mal sitôt que je le vi,
Le présent qu'il m'a fait d'une belle cassette,
Et l'argent qu'en ont eu notre Alain et Georgette,
Vous l'aimeriez sans doute, et diriez comme nous...
ARNOLPHE.
AGNÈS.
Et me disoit des mots les plus gentils du monde,
Des choses que jamais rien ne peut égaler,
Et dont, toutes les fois que je l'entends parler,
La douceur me chatouille, et là-dedans remue
Certain je ne sais quoi dont je suis tout émue.
ARNOLPHE, bas, à part.
Où l'examinateur souffre seul tout le mal!
Haut.
Outre tous ces discours, toutes ces gentillesses,
Ne vous faisoit-il point aussi quelques caresses?
AGNÈS.
Et de me les baiser il n'était jamais las.
ARNOLPHE.
La voyant interdite.
Ouf!
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
Et vous vous fâcherez peut-être contre moi.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
Qu'est-ce qu'il vous a pris?
AGNÈS.
ARNOLPHE, à part.
AGNÈS.
A vous dire le vrai, je n'ai pu m'en défendre.
ARNOLPHE, reprenant haleine.
S'il ne vous a rien fait que vous baiser les bras.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
Mais, pour guérir du mal qu'il dit qui le possède,
N'a-t-il point exigé de vous d'autre remède?
AGNÈS.
Que pour le secourir j'aurais tout accordé.
ARNOLPHE, bas, à part.
Si j'y retombe plus, je veux bien qu'on m'affronte[124].
Haut.
Chut! De votre innocence, Agnès, c'est un effet;
Je ne vous en dis mot. Ce qui s'est fait est fait.
Je sais qu'en vous flattant le galant ne désire
Que de vous abuser, et puis après s'en rire.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
Mais enfin apprenez qu'accepter des cassettes,
Et de ces beaux blondins écouter les sornettes;
Que se laisser par eux, à force de langueur,
Baiser ainsi les mains et chatouiller le cœur,
Est un péché mortel des plus gros qu'il se fasse.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
Que par ces actions le ciel est courroucé.
AGNÈS.
C'est une chose, hélas! si plaisante[125] et si douce!
J'admire quelle joie on goûte à tout cela;
Et je ne savois point encor ces choses-là.
ARNOLPHE.
Ces propos si gentils et ces douces caresses;
Mais il faut le goûter en toute honnêteté,
Et qu'en se mariant le crime en soit ôté.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
Et pour vous marier on me revoit ici.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
Parlez-vous tout de bon?
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS, riant.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
Et qu'avec lui j'aurai de satisfaction!
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
A choisir un mari vous êtes un peu prompte.
C'est un autre, en un mot, que je vous tiens tout prêt,
Et quant au monsieur-là, je prétends, s'il vous plaît,
Dût le mettre au tombeau le mal dont il vous berce,
Qu'avec lui désormais vous rompiez tout commerce;
Que, venant au logis, pour votre compliment,
Vous lui fermiez au nez la porte honnêtement;
Et, lui jetant, s'il heurte, un grès[126] par la fenêtre,
L'obligiez tout de bon à ne plus y paroître.
M'entendez-vous, Agnès? Moi, caché dans un coin,
De votre procédé je serai le témoin.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
Montez là-haut.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
Je suis maître, je parle; allez, obéissez.
ACTE III
SCÈNE I.—ARNOLPHE, AGNÈS, ALAIN, GEORGETTE.
ARNOLPHE.
Vous avez là suivi mes ordres à merveille,
Confondu de tout point le blondin séducteur;
Et voilà de quoi sert un sage directeur.
Votre innocence, Agnès, avoit été surprise:
Voyez, sans y penser, où vous vous étiez mise.
«Vous enfiliez tout droit, sans mon instruction,
»Le grand chemin d'enfer et de perdition.
»De tous ces damoiseaux on sait trop les coutumes;
»Ils ont de beaux canons, force rubans et plumes,
»Grands cheveux, belles dents, et des propos fort doux;
»Mais, comme je vous dis, la griffe est là-dessous;
»Et ce sont vrais satans, dont la gueule altérée
»De l'honneur féminin cherche à faire curée[127];»
Mais, encore une fois, grâce au soin apporté,
Vous en êtes sortie avec honnêteté.
L'air dont je vous ai vu lui jeter cette pierre,
Qui de tous ses desseins a mis l'espoir par terre,
Me confirme encor mieux à ne point différer
Les noces où j'ai dit qu'il vous faut préparer.
Mais, avant toute chose, il est bon de vous faire
Quelque petit discours qui vous soit salutaire.
A Georgette et à Alain.
Un siége au frais ici. Vous, si jamais en rien...
GEORGETTE.
Cet autre monsieur-là nous en faisoit accroire:
Mais...
ALAIN.
Aussi bien est-ce un sot: il nous a l'autre fois
Donné deux écus d'or qui n'étoient pas de poids.
ARNOLPHE.
Et pour notre contrat, comme je viens de dire,
Faites venir ici, l'un ou l'autre, au retour,
Le notaire qui loge au coin du carrefour.
SCÈNE II.—ARNOLPHE, AGNÈS.
ARNOLPHE, assis.
Levez un peu la tête et tournez le visage:
Mettant le doigt sur son front.
Là, regardez-moi là durant cet entretien;
Et, jusqu'au moindre mot, imprimez-le-vous bien.
Je vous épouse, Agnès; et, cent fois la journée,
Vous devez bénir l'heur de votre destinée,
Contempler la bassesse où vous avez été,
Et dans le même temps admirer ma bonté,
Qui, de ce vil état de pauvre villageoise,
Vous fait monter au rang d'honorable bourgeoise,
Et jouir de la couche et des embrassements
D'un homme qui fuyoit tous ces engagements,
Et dont à vingt partis, fort capables de plaire,
Le cœur a refusé l'honneur qu'il vous veut faire.
Vous devez toujours, dis-je, avoir devant les yeux
Le peu que vous étiez sans ce nœud glorieux,
Afin que cet objet d'autant mieux vous instruise
A mériter l'état où je vous aurai mise,
A toujours vous connoître et faire qu'à jamais
Je puisse me louer de l'acte que je fais.
Le mariage, Agnès, n'est pas un badinage:
A d'austères devoirs le rang de femme engage;
Et vous n'y montez pas, à ce que je prétends,
Pour être libertine et prendre du bon temps.
Votre sexe n'est là que pour la dépendance:
Du côté de la barbe est la toute-puissance.
Bien qu'on soit deux moitiés de la société,
Ces deux moitiés pourtant n'ont point d'égalité:
L'une est moitié suprême, et l'autre subalterne;
L'une en tout est soumise à l'autre qui gouverne;
Et ce que le soldat, dans son devoir instruit,
Montre d'obéissance au chef qui le conduit,
Le valet à son maître, un enfant à son père,
A son supérieur le moindre petit frère,
N'approche point encor de la docilité,
Et de l'obéissance, et de l'humilité,
Et du profond respect où la femme doit être
Pour son mari, son chef, son seigneur, et son maître.
Lorsqu'il jette sur elle un regard sérieux,
Son devoir aussitôt est de baisser les yeux,
Et de n'oser jamais le regarder en face
Que quand d'un doux regard il lui veut faire grâce.
C'est ce qu'entendent mal les femmes d'aujourd'hui;
Mais ne vous gâtez pas sur l'exemple d'autrui.
Gardez-vous d'imiter ces coquettes vilaines
Dont par toute la ville on chante les fredaines,
Et de vous laisser prendre aux assauts du malin,
C'est-à-dire d'ouïr aucun jeune blondin.
Songez qu'en vous faisant moitié de ma personne,
C'est mon honneur, Agnès, que je vous abandonne;
Que cet honneur est tendre et se blesse de peu;
Que sur un tel sujet il ne faut point de jeu;
Et qu'il est aux enfers des chaudières bouillantes
Où l'on plonge à jamais les femmes mal vivantes.
Ce que je vous dis là ne sont pas des chansons;
Et vous devez du cœur dévorer ces leçons.
Si votre âme les suit, et fuit[128] d'être coquette,
Elle sera toujours, comme un lis, blanche et nette;
Mais, s'il faut qu'à l'honneur elle fasse un faux bond,
Elle deviendra lors noire comme un charbon;
Vous paroîtrez à tous un objet effroyable,
Et vous irez un jour, vrai partage du diable,
Bouillir dans les enfers à toute éternité,
Dont vous veuille garder la céleste bonté!
Faites la révérence. Ainsi qu'une novice
Par cœur, dans le couvent, doit savoir son office,
Entrant au mariage il en faut faire autant;
Et voici dans ma poche un écrit important
Qui vous enseignera l'office de la femme.
J'en ignore l'auteur: mais c'est quelque bonne âme;
Et je veux que ce soit votre unique entretien.
Il se lève.
Tenez. Voyons un peu si vous le lirez bien.
AGNÈS, lit.
LES MAXIMES DU MARIAGE
OU LES DEVOIRS DE LA FEMME MARIÉE
AVEC SON EXERCICE JOURNALIER.
PREMIÈRE MAXIME.
Fait entrer au lit d'autrui
Doit se mettre dans la tête,
Malgré le train d'aujourd'hui,
Que l'homme qui la prend ne la prend que pour lui.
ARNOLPHE.
Mais, pour l'heure présente, il ne faut rien que lire.
AGNÈS, poursuit.
DEUXIÈME MAXIME.
Qu'autant que peut désirer
Le mari qui la possède:
C'est lui que touche seul le soin de sa beauté;
Et pour rien doit être compté
Que les autres la trouvent laide.
TROISIÈME MAXIME.
Ces eaux, ces blancs, ces pommades,
Et mille ingrédients qui font des teints fleuris:
A l'honneur, tous les jours, ce sont drogues mortelles;
Et les soins de paroître belles
Se prennent peu pour les maris.
QUATRIÈME MAXIME.
Il faut que de ses yeux elle étouffe les coups;
Car, pour bien plaire à son époux
Elle ne doit plaire à personne.
CINQUIÈME MAXIME.
La bonne règle défend
De recevoir aucune âme:
Ceux qui, de galante humeur,
N'ont affaire qu'à madame
N'accommodent pas monsieur.
SIXIÈME MAXIME.
Qu'elle se défende bien;
Car, dans le siècle où nous sommes,
On ne donne rien pour rien.
SEPTIÈME MAXIME.
Il ne faut écritoire, encre, papier, ni plumes:
Le mari doit, dans les bonnes coutumes,
Écrire tout ce qui s'écrit chez lui.
HUITIÈME MAXIME.
Qu'on nomme belles assemblées
Des femmes tous les jours corrompent les esprits;
En bonne politique on les doit interdire;
Car c'est là que l'on conspire
Contre les pauvres maris.
NEUVIÈME MAXIME.
Doit se défendre de jouer,
Comme d'une chose funeste.
Car le jeu, fort décevant,
Pousse une femme souvent
A jouer de tout son reste.
DIXIÈME MAXIME.
Ou repas qu'on donne aux champs,
Il ne faut point qu'elle essaye.
Selon les prudents cerveaux,
Le mari, dans ces cadeaux[129],
Est toujours celui qui paye.
ONZIÈME MAXIME.
ARNOLPHE.
Je vous expliquerai ces choses comme il faut.
Je me suis souvenu d'une petite affaire:
Je n'ai qu'un mot à dire, et ne tarderai guère.
Rentrez; et conservez ce livre chèrement.
Si le notaire vient, qu'il m'attende un moment.
SCÈNE III.—ARNOLPHE.
Ainsi que je voudrai je tournerai cette âme;
Comme un morceau de cire entre mes mains elle est,
Et je lui puis donner la forme qui me plaît.
Il s'en est peu fallu que, durant mon absence,
On ne m'ait attrapé par son trop d'innocence;
Mais il vaut beaucoup mieux, à dire vérité,
Que la femme qu'on a pèche de ce côté.
De ces sortes d'erreurs le remède est facile.
Toute personne simple aux leçons est docile;
Et, si du bon chemin on l'a fait écarter[130],
Deux mots incontinent l'y peuvent rejeter.
Mais une femme habile est bien une autre bête:
Notre sort ne dépend que de sa seule tête;
De ce qu'elle s'y met rien ne la fait gauchir,
Et nos enseignements ne font là que blanchir;
Son bel esprit lui sert à railler nos maximes,
A se faire souvent des vertus de ses crimes,
Et trouver, pour venir à ses coupables fins,
Des détours à duper l'adresse des plus fins.
Pour se parer du coup en vain on se fatigue:
Une femme d'esprit est un diable en intrigue;
Et, dès que son caprice a prononcé tout bas
L'arrêt de notre honneur, il faut passer le pas:
Beaucoup d'honnêtes gens en pourroient bien que dire[131].
Enfin mon étourdi n'aura pas lieu d'en rire;
Par son trop de caquet il a ce qu'il lui faut.
Voilà de nos François l'ordinaire défaut:
Dans la possession d'une bonne fortune,
Le secret est toujours ce qui les importune;
Et la vanité sotte a pour eux tant d'appas,
Qu'ils se pendroient plutôt que de ne causer pas.
Oh! que les femmes sont du diable bien tentées
Lorsqu'elles vont choisir ces têtes éventées!
Et que... Mais le voici... Cachons-nous toujours bien,
Et découvrons un peu quel chagrin est le sien.
SCÈNE IV.—HORACE, ARNOLPHE.
HORACE.
Je reviens de chez vous, et le destin me montreQu'il n'a pas résolu que je vous y rencontre.
Mais j'irai tant de fois, qu'enfin quelque moment...
ARNOLPHE.
Rien ne me fâche tant que ces cérémonies;
Et, si l'on m'en croyoit, elles seroient bannies.
C'est un maudit usage; et la plupart des gens
Y perdent sottement les deux tiers de leur temps.
Il se couvre.
Mettons[132] donc sans façon. Eh bien, vos amourettes?
Puis-je, seigneur Horace, apprendre où vous en êtes?
J'étois tantôt distrait par quelque vision;
Mais depuis là-dessus j'ai fait réflexion.
De vos premiers progrès j'admire la vitesse,
Et dans l'événement mon âme s'intéresse.
HORACE.
Il est à mon amour arrivé du malheur.
ARNOLPHE.
HORACE.
A ramené des champs le patron de la belle.
ARNOLPHE.
HORACE.
Il a su de nous deux le commerce secret.
ARNOLPHE.
HORACE.
Je pensois aller rendre, à mon heure à peu près,
Ma petite visite à ses jeunes attraits,
Lorsque, changeant pour moi de ton et de visage,
Et servante et valet m'ont bouché le passage,
Et d'un «Retirez-vous, vous nous importunez,»
M'ont assez rudement fermé la porte au nez.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
Mais à tous mes propos ce qu'ils ont répondu,
C'est: «Vous n'entrerez point, monsieur l'a défendu.»
ARNOLPHE.
HORACE.
Agnès m'a confirmé le retour de ce maître,
En me chassant de là d'un ton plein de fierté,
Accompagné d'un grès que sa main a jeté.
ARNOLPHE.
HORACE.
Dont on a par ses mains régalé ma visite.
ARNOLPHE.
Et je trouve fâcheux l'état où vous voilà.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
Et de vous raccrocher vous trouverez moyen.
HORACE.
De vaincre du jaloux l'exacte vigilance.
ARNOLPHE.
Vous aime.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
Mais cela ne doit pas vous étonner.
HORACE.
Et j'ai compris d'abord que mon homme étoit là,
Qui, sans se faire voir, conduisoit tout cela.
Mais ce qui m'a surpris, et qui va vous surprendre,
C'est un autre incident que vous allez entendre;
Un trait hardi qu'a fait cette jeune beauté,
Et qu'on n'attendroit point de sa simplicité.
Il le faut avouer, l'amour est un grand maître:
Ce qu'on ne fut jamais, il nous enseigne à l'être;
Et souvent de nos mœurs l'absolu changement
Devient par ses leçons l'ouvrage d'un moment.
De la nature en nous il force les obstacles,
Et ses effets soudains ont de l'air des miracles.
D'un avare à l'instant il fait un libéral,
Un vaillant d'un poltron, un civil d'un brutal;
Il rend agile à tout l'âme la plus pesante,
Et donne de l'esprit à la plus innocente.
Oui, ce dernier miracle éclate dans Agnès;
Car, tranchant avec moi par ces termes exprès:
«Retirez-vous, mon âme aux visites renonce,
»Je sais tous vos discours, et voilà ma réponse,»
Cette pierre ou ce grès, dont vous vous étonniez,
Avec un mot de lettre est tombée à mes pieds,
Et j'admire de voir cette lettre ajustée
Avec le sens des mots et la pierre jetée.
D'une telle action n'êtes-vous pas surpris?
L'Amour sait-il pas l'art d'aiguiser les esprits?
Et peut-on me nier que ses flammes puissantes
Ne fassent dans un cœur des choses étonnantes?
Que dites-vous du tour et de ce mot d'écrit?
Euh! n'admirez-vous point cette adresse d'esprit?
Trouvez-vous pas plaisant de voir quel personnage
A joué mon jaloux dans tout ce badinage?
Dites.
ARNOLPHE.
HORACE.
Arnolphe rit d'un air forcé.
Cet homme, gendarmé d'abord contre mon feu,
Qui chez lui se retranche, et de grès fait parade,
Comme si j'y voulois entrer par escalade;
Qui, pour me repousser, dans son bizarre effroi,
Anime du dedans tous ses gens contre moi,
Et qu'abuse à ses yeux, par sa machine même,
Celle qu'il veut tenir dans l'ignorance extrême!
Pour moi, je vous l'avoue, encor que son retour
En un grand embarras jette ici mon amour,
Je tiens cela plaisant autant qu'on saurait dire;
Je ne puis y songer sans de bon cœur en rire;
Et vous n'en riez pas assez, à mon avis.
ARNOLPHE, avec un ris forcé.
HORACE.
Tout ce que son cœur sent, sa main a su l'y mettre,
Mais en termes touchants et tout pleins de bonté,
De tendresse innocente et d'ingénuité,
De la manière enfin que la pure nature
Exprime de l'amour la première blessure.
ARNOLPHE, bas, à part.
Et, contre mon dessein l'art t'en fut découvert.
HORACE lit.
«Je veux vous écrire, et je suis bien en peine par où je m'y prendrai. J'ai des pensées que je désirerois que vous sussiez; mais je ne sais comment faire pour vous les dire, et je me défie de mes paroles. Comme je commence à connoître qu'on m'a toujours tenue dans l'ignorance, j'ai peur de mettre quelque chose qui ne soit pas bien, et d'en dire plus que je ne devrois. En vérité, je ne sais ce que vous m'avez fait; mais je sens que je suis fâchée à mourir de ce qu'on me fait faire contre vous, que j'aurai toutes les peines du monde à me passer de vous, et que je serois bien aise d'être à vous. Peut-être qu'il y a du mal à dire cela; mais enfin je ne puis m'empêcher de le dire, et je voudrois que cela se pût faire sans qu'il y en eût. On me dit fort que tous les jeunes hommes sont des trompeurs, qu'il ne les faut point écouter, et que tout ce que vous me dites n'est que pour m'abuser; mais je vous assure que je n'ai pu encore me figurer cela de vous; et je suis si touchée de vos paroles, que je ne saurois croire qu'elles soient menteuses. Dites-moi franchement ce qui en est; car, enfin, comme je suis sans malice, vous auriez le plus grand tort du monde si vous me trompiez, et je pense que j'en mourrois de déplaisir.»
ARNOLPHE, à part.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
Malgré les soins maudits d'un injuste pouvoir,
Un plus beau naturel peut-il se faire voir?
Et n'est-ce pas sans doute un crime punissable
De gâter méchamment ce fond d'âme admirable;
D'avoir, dans l'ignorance et la stupidité,
Voulu de cet esprit étouffer la clarté?
L'amour a commencé d'en déchirer le voile;
Et si, par la faveur de quelque bonne étoile,
Je puis, comme j'espère, à ce franc animal,
Ce traître, ce bourreau, ce faquin, ce brutal...
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
Venu tout maintenant une affaire pressée.
HORACE.
Qui dans cette maison pourrait avoir accès?
J'en use sans scrupule; et ce n'est pas merveille
Qu'on se puisse, entre amis, servir à la pareille[133].
Je n'ai plus là-dedans que gens pour m'observer;
Et servante et valet, que je viens de trouver,
N'ont jamais, de quelque air que je m'y sois pu prendre,
Adouci leur rudesse à me vouloir entendre.
J'avois pour de tels coups certaine vieille en main,
D'un génie, à vrai dire, au-dessus de l'humain:
Elle m'a dans l'abord servi de bonne sorte;
Mais, depuis quatre jours, la pauvre femme est morte.
Ne me pourriez-vous point ouvrir quelque moyen?
ARNOLPHE.
HORACE.
SCÈNE V.—ARNOLPHE.
Quelle peine à cacher mon déplaisir cuisant!
Quoi! pour une innocente un esprit si présent!
Elle a feint d'être telle à mes yeux, la traîtresse,
Ou le diable à son âme a soufflé cette adresse.
Enfin me voilà mort par ce funeste écrit.
Je vois qu'il a, le traître, empaumé son esprit,
Qu'à ma suppression[134] il s'est ancré chez elle;
Et c'est mon désespoir et ma peine mortelle.
Je souffre doublement dans le vol de son cœur;
Et l'amour y pâtit aussi bien que l'honneur.
J'enrage de trouver cette place usurpée,
Et j'enrage de voir ma prudence trompée.
Je sais que, pour punir son amour libertin,
Je n'ai qu'à laisser faire à son mauvais destin,
Que je serai vengé d'elle par elle-même;
Mais il est bien fâcheux de perdre ce qu'on aime.
Ciel! puisque pour un choix j'ai tant philosophé,
Faut-il de ses appas m'être si fort coiffé!
Elle n'a ni parents, ni support, ni richesse;
Elle trahit mes soins, ma bonté, ma tendresse:
Et cependant je l'aime après ce lâche tour,
Jusqu'à ne me pouvoir passer de cet amour.
Sot, n'as-tu point de honte? Ah! je crève, j'enrage,
Et je souffletterois mille fois mon visage.
Je veux entrer un peu, mais seulement pour voir
Quelle est sa contenance après un trait si noir.
Ciel, faites que mon front soit exempt de disgrâce;
Ou bien, s'il est écrit qu'il faille que j'y passe,
Donnez-moi tout au moins, pour de tels accidents,
La constance qu'on voit à de certaines gens!
ACTE IV
SCÈNE I.—ARNOLPHE.
Et de mille soucis mon esprit s'embarrasse,
Pour pouvoir mettre un ordre et dedans et dehors,
Qui du godelureau rompe tous les efforts.
De quel œil la traîtresse a soutenu ma vue!
De tout ce qu'elle a fait elle n'est point émue;
Et, bien qu'elle me mette à deux doigts du trépas,
On diroit, à la voir, qu'elle n'y touche pas.
Plus, en la regardant, je la voyois tranquille,
Plus je sentois en moi s'échauffer ma bile;
Et ces bouillants transports dont s'enflammoit mon cœur
Y sembloient redoubler mon amoureuse ardeur.
J'étois aigri, fâché, désespéré contre elle;
Et cependant jamais je ne la vis si belle,
Jamais ses yeux aux miens n'ont paru si perçants,
Jamais je n'eus pour eux des désirs si pressants;
Et je sens là-dedans qu'il faudra que je crève,
Si de mon triste sort la disgrâce s'achève.
Quoi! j'aurai dirigé son éducation
Avec tant de tendresse et de précaution;
Je l'aurai fait passer chez moi dès son enfance,
Et j'en aurai chéri la plus tendre espérance;
Mon cœur aura bâti sur ses attraits naissants,
Et cru la mitonner pour moi durant treize ans,
Afin qu'un jeune fou dont elle s'amourache
Me la vienne enlever jusque sous la moustache,
Lorsqu'elle est avec moi mariée à demi!
Non, parbleu! non, parbleu! Petit sot, mon ami,
Vous aurez beau tourner, ou j'y perdrai mes peines...
Ou je rendrai, ma foi, vos espérances vaines,
Et de moi tout à fait vous ne vous rirez point.
SCÈNE II.—UN NOTAIRE, ARNOLPHE.
LE NOTAIRE.
Pour dresser le contrat que vous souhaitez faire.
ARNOLPHE, se croyant seul, et sans voir ni entendre le notaire.
LE NOTAIRE.
ARNOLPHE, se croyant seul.
LE NOTAIRE.
ARNOLPHE, se croyant seul.
LE NOTAIRE.
Il ne vous faudra point, de peur d'être déçu,
Quittancer le contrat que vous n'ayez reçu.
ARNOLPHE, se croyant seul.
Que de cet incident par la ville on ne cause.
LE NOTAIRE.
Et l'on peut en secret faire votre contrat.
ARNOLPHE, se croyant seul.
LE NOTAIRE.
ARNOLPHE, se croyant seul.
LE NOTAIRE.
ARNOLPHE, se croyant seul.
LE NOTAIRE.
Du tiers du dot[135] qu'il a; mais cet ordre n'est rien,
Et l'on va plus avant lorsque l'on le veut bien.
ARNOLPHE, se croyant seul.
Il aperçoit le notaire.
LE NOTAIRE.
Je dis que le futur peut, comme bon lui semble,
Douer la future.
ARNOLPHE.
LE NOTAIRE.
Lorsqu'il l'aime beaucoup et qu'il veut l'obliger;
Et cela par douaire, ou préfix qu'on appelle,
Qui demeure perdu par le trépas d'icelle.
Ou sans retour, qui va de ladite à ses hoirs;
Ou coutumier, selon les différens vouloirs;
Ou par donation dans le contrat formelle,
Qu'on fait ou pure et simple, ou qu'on fait mutuelle.
Pourquoi hausser le dos? Est-ce qu'on parle en fat,
Et que l'on ne sait pas les formes d'un contrat?
Qui me les apprendra? Personne, je présume.
Sais-je pas qu'étant joints on est par la coutume
Communs en meubles, biens, immeubles et conquêts,
A moins que par un acte on y renonce exprès?
Sais-je pas que le tiers du bien de la future
Entre en communauté pour[136]...
ARNOLPHE.
Vous savez tout cela; mais qui vous en dit mot?
LE NOTAIRE.
ARNOLPHE.
Adieu. C'est le moyen de vous faire finir.
LE NOTAIRE.
ARNOLPHE.
Et l'on vous mandera quand l'heure sera prise.
Voyez quel diable d'homme avec son entretien!
LE NOTAIRE, seul.
SCÈNE III.—LE NOTAIRE, ALAIN, GEORGETTE.
LE NOTAIRE, allant au-devant d'Alain et de Georgette
ALAIN.
LE NOTAIRE.
Mais allez de ma part lui dire de ce pas
Que c'est un fou fieffé.
GEORGETTE.
SCÈNE IV.—ARNOLPHE, ALAIN, GEORGETTE.
ALAIN.
ARNOLPHE.
Mes bons, mes vrais amis, et j'en sais des nouvelles.
ALAIN.
ARNOLPHE.
On veut à mon honneur jouer d'un mauvais tour;
Et quel affront pour vous, mes enfants, pourroit-ce être,
Si l'on avoit ôté l'honneur à votre maître!
Vous n'oseriez après paroître en nul endroit;
Et chacun, vous voyant, vous montreroit au doigt.
Donc, puisque autant que moi l'affaire vous regarde,
Il faut de votre part faire une telle garde,
Que ce galant ne puisse en aucune façon...
GEORGETTE.
ARNOLPHE.
ALAIN.
GEORGETTE.
ARNOLPHE.
Par un peu de secours soulage ma langueur!
ALAIN.
ARNOLPHE.
Bon. Georgette, ma mignonne,
Tu me parois si douce et si bonne personne...
GEORGETTE.
ARNOLPHE.
Bon. Quel mal trouves-tu
Dans un dessein honnête et tout plein de vertu?
ALAIN.
ARNOLPHE.
Fort bien. Ma mort est sûre,
Si tu ne prends pitié des peines que j'endure.
GEORGETTE.
ARNOLPHE.
A Alain.
Je ne suis pas un homme à vouloir rien pour rien;
Je sais, quand on me sert, en garder la mémoire.
Cependant, par avance, Alain, voilà pour boire:
Et voilà pour t'avoir, Georgette, un cotillon.
Ils tendent tous deux la main et prennent l'argent.
Ce n'est de mes bienfaits qu'un simple échantillon.
Toute la courtoisie enfin dont je vous presse,
C'est que je puisse voir votre belle maîtresse.
GEORGETTE, le poussant.
ARNOLPHE.
ALAIN, le poussant.
ARNOLPHE.
GEORGETTE, le poussant.
ARNOLPHE.
GEORGETTE.
ALAIN.
ARNOLPHE.
GEORGETTE.
ALAIN.
ARNOLPHE.
Suffit. Rentrez tous deux.
ALAIN.
ARNOLPHE.
Je vous laisse l'argent. Allez: je vous rejoins.
Ayez bien l'œil à tout, et secondez mes soins.
SCÈNE V.—ARNOLPHE.
Prendre le savetier du coin de notre rue.
Dans la maison toujours je prétends la tenir,
Y faire bonne garde, et surtout en bannir
Vendeuses de rubans, perruquières, coiffeuses,
Faiseuses de mouchoirs, gantières, revendeuses,
Tous ces gens qui sous main travaillent chaque jour
A faire réussir les mystères d'amour.
Enfin j'ai vu le monde, et j'en sais les finesses.
Il faudra que mon homme ait de grandes adresses,
Si message ou poulet de sa part peut entrer.
SCÈNE VI.—HORACE, ARNOLPHE.
HORACE.
Je viens de l'échapper bien belle, je vous jure.
Au sortir d'avec vous, sans prévoir l'aventure,
Seule dans son balcon j'ai vu paroître Agnès,
Qui des arbres prochains prenoit un peu le frais.
Après m'avoir fait signe, elle a su faire en sorte,
Descendant au jardin, de m'en ouvrir la porte;
Mais à peine tous deux dans sa chambre étions-nous,
Qu'elle a sur les degrés entendu son jaloux;
Et tout ce qu'elle a pu, dans un tel accessoire[137],
C'est de me renfermer dans une grande armoire.
Il est entré d'abord: je ne le voyois pas;
Mais je l'oyois marcher, sans rien dire, à grands pas,
Poussant de temps en temps des soupirs pitoyables,
Et donnant quelquefois de grands coups sur les tables,
Frappant un petit chien qui pour lui s'émouvoit,
Et jetant brusquement les hardes qu'il trouvoit.
Il a même cassé, d'une main mutinée,
Des vases dont la belle ornoit sa cheminée;
Et sans doute il faut bien qu'à ce becque cornu[138]
Du trait qu'elle a joué quelque jour soit venu.
Enfin, après cent tours, ayant de la manière
Sur ce qui n'en peut mais déchargé sa colère,
Mon jaloux inquiet, sans dire son ennui,
Est sorti de la chambre, et moi de mon étui.
Nous n'avons point voulu, de peur du personnage,
Risquer à nous tenir ensemble davantage;
C'étoit trop hasarder: mais je dois, cette nuit,
Dans sa chambre un peu tard m'introduire sans bruit.
En toussant par trois fois je me ferai connoître;
Et je dois au signal voir ouvrir la fenêtre,
Dont, avec une échelle, et secondé d'Agnès,
Mon amour tâchera de me gagner l'accès.
Comme à mon seul ami je veux bien vous l'apprendre,
L'allégresse du cœur s'augmente à la répandre;
Et, goûtât-on cent fois un bonheur tout parfait,
On n'en est pas content, si quelqu'un ne le sait.
Vous prendrez part, je pense, à l'heur de mes affaires.
Adieu. Je vais songer aux choses nécessaires.
SCÈNE VII.—ARNOLPHE.
Ne me donnera pas le temps de respirer!
Coup sur coup je verrai, par leur intelligence,
De mes soins vigilants confondre la prudence;
»Et je serai la dupe, en ma maturité,
»D'une jeune innocente et d'un jeune éventé!
»En sage philosophe on m'a vu vingt années,
»Contempler des maris les tristes destinées,
»Et m'instruire avec soin de tous les accidens
»Qui font dans le malheur tomber les plus prudens;
»Des disgrâces d'autrui profitant dans mon âme,
»J'ai cherché les moyens, voulant prendre une femme,
»De pouvoir garantir mon front de tous affronts,
»Et le tirer de pair d'avec les autres fronts;
»Pour ce noble dessein j'ai cru mettre en pratique
»Tout ce que peut trouver l'humaine politique;
»Et, comme si du sort il étoit arrêté
»Que nul homme ici-bas n'en seroit exempté,
»Après l'expérience et toutes les lumières
»Que j'ai pu m'acquérir sur de telles matières,
»Après vingt ans et plus de méditation
»Pour me conduire en tout avec précaution,
»De tant d'autres maris j'aurais quitté la trace
»Pour me trouver après dans la même disgrâce[139]!»
Ah! bourreau de destin, vous en aurez menti.
De l'objet qu'on poursuit je suis encor nanti;
Si son cœur m'est volé par ce blondin funeste,
J'empêcherai du moins qu'on s'empare du reste;
Et cette nuit, qu'on prend pour ce galant exploit,
Ne se passera pas si doucement qu'on croit.
Ce m'est quelque plaisir, parmi tant de tristesse,
Que l'on me donne avis du piége qu'on me dresse,
Et que cet étourdi, qui veut m'être fatal,
Fasse son confident de son propre rival.
SCÈNE VIII.—CHRYSALDE, ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
Seroit-il point, compère, à votre passion
Arrivé quelque peu de tribulation?
Je le jurerois presque, à voir votre visage.
ARNOLPHE.
De ne pas ressembler à de certaines gens
Qui souffrent doucement l'approche des galans.
CHRYSALDE.
Vous vous effarouchiez toujours sur ces matières,
Qu'en cela vous mettiez le souverain bonheur,
Et ne conceviez point au monde d'autre honneur.
Être avare, brutal, fourbe, méchant et lâche,
N'est rien, à votre avis, auprès de cette tache;
Et, de quelque façon qu'on puisse avoir vécu,
On est homme d'honneur quand on n'est point cocu.
A le bien prendre au fond, pourquoi voulez-vous croire
Que de ce cas fortuit dépende notre gloire,
Et qu'une âme bien née ait à se reprocher
L'injustice d'un mal qu'on ne peut empêcher?
Pourquoi voulez-vous, dis-je, en prenant une femme,
Qu'on soit digne, à son choix, de louange ou de blâme,
Et qu'on s'aille former un monstre plein d'effroi
De l'affront que nous fait son manquement de foi?
Mettez-vous dans l'esprit qu'on peut du cocuage
Se faire en galant homme une plus douce image;
Que, des coups du hasard aucun n'étant garant,
Cet accident de soi doit être indifférent;
Et qu'enfin tout le mal, quoique le monde glose,
N'est que dans la façon de recevoir la chose:
Et, pour se bien conduire en ces difficultés,
Il y faut, comme en tout, fuir les extrémités,
N'imiter pas ces gens un peu trop débonnaires
Qui tirent vanité de ces sortes d'affaires,
De leurs femmes toujours vont citant les galans,
En font partout l'éloge, et prônent leurs talens,
Témoignent avec eux d'étroites sympathies,
Sont de tous leurs cadeaux, de toutes leurs parties,
En font qu'avec raison les gens sont étonnés
De voir leur hardiesse à montrer là leur nez.
Ce procédé, sans doute, est tout à fait blâmable;
Mais l'autre extrémité n'est pas moins condamnable.
Si je n'approuve pas ces amis des galans,
Je ne suis pas aussi pour ces gens turbulens
Dont l'imprudent chagrin, qui tempête et qui gronde,
Attire au bruit qu'il fait les yeux de tout le monde,
Et qui, par cet éclat, semblent ne pas vouloir
Qu'aucun puisse ignorer ce qu'ils peuvent avoir.
Entre ces deux partis il en est un honnête,
Où, dans l'occasion, l'homme prudent s'arrête;
Et, quand on le sait prendre, on n'a point à rougir
Du pis dont une femme avec nous puisse agir.
Quoi qu'on en puisse dire enfin, le cocuage
Sous des traits moins affreux aisément s'envisage;
Et, comme je vous dis, toute l'habileté
Ne va qu'à le savoir tourner du bon côté.
ARNOLPHE.
Doit un remercîment à votre seigneurie;
Et quiconque voudra vous entendre parler
Montrera de la joie à s'y voir enrôler.
CHRYSALDE.
Mais, comme c'est le sort qui nous donne une femme,
Je dis que l'on doit faire ainsi qu'au jeu de dés,
Où, s'il ne vous vient pas ce que vous demandez,
Il faut jouer d'adresse, et, d'une âme réduite[140],
Corriger le hasard par la bonne conduite.
ARNOLPHE.
Et se persuader que tout cela n'est rien.
CHRYSALDE.
Dans le monde je vois cent choses plus à craindre,
Et dont je me ferois un bien plus grand malheur
Que de cet accident qui vous fait tant de peur.
Pensez-vous qu'à choisir de deux choses prescrites,
Je n'aimasse pas mieux être ce que vous dites
Que de me voir mari de ces femmes de bien,
Dont la mauvaise humeur fait un procès sur rien;
Ces dragons de vertu, ces honnêtes diablesses,
Se retranchant toujours sur leurs sages prouesses,
Qui, pour un petit tort qu'elles ne nous font pas,
Prennent droit de traiter les gens de haut en bas,
Et veulent, sur le pied de nous être fidèles,
Que nous soyons tenus à tout endurer d'elles?
Encore un coup, compère, apprenez qu'en effet
Le cocuage n'est que ce que l'on le fait;
Qu'on peut le souhaiter pour de certaines causes,
Et qu'il a ses plaisirs comme les autres choses.
ARNOLPHE.
Quant à moi, ce n'est pas la mienne d'en tâter;
Et plutôt que subir une telle aventure...
CHRYSALDE.
Si le sort l'a réglé, vos soins sont superflus,
Et l'on ne prendra pas votre avis là-dessus.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
Mille gens le sont bien, sans vous faire bravade,
Qui de mine, de cœur, de biens, et de maison,
Ne feroient avec vous nulle comparaison.
ARNOLPHE.
Mais cette raillerie, en un mot, m'importune;
Brisons là, s'il vous plaît.
CHRYSALDE.
Nous en saurons la cause. Adieu. Souvenez-vous,
Quoi que sur ce sujet votre honneur vous inspire,
Que c'est être à demi ce que l'on vient de dire
Que de vouloir jurer qu'on ne le sera pas.
ARNOLPHE.
Contre cet accident trouver un bon remède.
Il court heurter à sa porte.
SCÈNE IX.—ARNOLPHE, ALAIN, GEORGETTE.
ARNOLPHE.
Je suis édifié de votre affection;
Mais il faut qu'elle éclate en cette occasion;
Et, si vous m'y servez selon ma confiance,
Vous êtes assurés de votre récompense.
L'homme que vous savez (n'en faites point de bruit)
Veut, comme je l'ai su, m'attraper cette nuit,
Dans la chambre d'Agnès entrer par escalade:
Mais il lui faut, nous trois, dresser une embuscade.
Je veux que vous preniez chacun un bon bâton,
Et, quand il sera près du dernier échelon
(Car dans le temps qu'il faut j'ouvrirai la fenêtre),
Que tous deux à l'envi vous me chargiez ce traître,
Mais d'un air dont son dos garde le souvenir,
Et qui lui puisse apprendre à n'y plus revenir;
Sans me nommer pourtant en aucune manière,
Ni faire aucun semblant que je serai derrière,
Aurez-vous bien l'esprit de servir mon courroux?
ALAIN.
Vous verrez, quand je bats, si j'y vais de main morte.
GEORGETTE.
N'en quitte pas sa part à le bien étriller.
ARNOLPHE.
Seul.
Voilà pour le prochain une leçon utile;
Et, si tous les maris qui sont en cette ville
De leurs femmes ainsi recevoient le galant,
Le nombre des cocus ne seroit pas si grand.
ACTE V
SCÈNE I.—ARNOLPHE, ALAIN, GEORGETTE.
ARNOLPHE.
ALAIN.
ARNOLPHE.
L'ordre étoit de le battre, et non de l'assommer;
Et c'étoit sur le dos, et non pas sur la tête,
Que j'avois commandé qu'on fît choir la tempête.
Ciel! dans quel accident me jette ici le sort!
Et que puis-je résoudre, à voir[141] cet homme mort?
Rentrez dans la maison, et gardez de rien dire
De cet ordre innocent que j'ai pu vous prescrire.
Seul.
Le jour s'en va paroître, et je vais consulter
Comment dans ce malheur je me dois comporter.
Hélas! que deviendrai-je? et que dira le père,
Lorsque inopinément il saura cette affaire?
SCÈNE II.—HORACE, ARNOLPHE.
HORACE, à part.
ARNOLPHE, se croyant seul.
Heurté par Horace, qu'il ne reconnoît pas.
Qui va là, s'il vous plaît?
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
Je m'en allois chez vous vous prier d'une grâce.
Vous sortez bien matin!
ARNOLPHE, bas, à part.
Est-ce un enchantement? est-ce une illusion?
HORACE.
Et je bénis du ciel la bonté souveraine
Qui fait qu'à point nommé je vous rencontre ainsi.
Je viens vous avertir que tout a réussi,
Et même beaucoup plus que je n'eusse osé dire,
Et par un incident qui devoit tout détruire.
Je ne sais point par où l'on a pu soupçonner
Cette assignation qu'on m'avoit su donner;
Mais, étant sur le point d'atteindre à la fenêtre,
J'ai, contre mon espoir, vu quelques gens paroître;
Qui, sur moi brusquement levant chacun le bras,
M'ont fait manquer le pied et tomber jusqu'en bas:
Et ma chute, aux dépens de quelque meurtrissure,
De vingt coups de bâton m'a sauvé l'aventure.
Ces gens-là, dont étoit, je pense, mon jaloux,
Ont imputé ma chute à l'effort de leurs coups;
Et, comme la douleur, un assez long espace,
M'a fait sans remuer demeurer sur la place,
Ils ont cru tout de bon qu'ils m'avoient assommé,
Et chacun d'eux s'en est aussitôt alarmé.
J'entendois tout leur bruit dans le profond silence:
L'un l'autre ils s'accusoient de cette violence;
Et, sans lumière aucune, en querellant le sort,
Sont venus doucement tâter si j'étois mort.
Je vous laisse à penser si, dans la nuit obscure,
J'ai d'un vrai trépassé su tenir la figure.
Ils se sont retirés avec beaucoup d'effroi:
Et, comme je songeois à me retirer, moi,
De cette feinte mort, la jeune Agnès émue,
Avec empressement est devers moi venue:
Car les discours qu'entre eux ces gens avoient tenus
Jusques à son oreille étoient d'abord venus;
Et, pendant tout ce trouble étant moins observée,
Du logis aisément elle s'étoit sauvée;
Mais, me trouvant sans mal, elle a fait éclater
Un transport difficile à bien représenter.
Que vous dirai-je enfin? Cette aimable personne
A suivi les conseils que son amour lui donne,
N'a plus voulu songer à retourner chez soi,
Et de tout son destin s'est commise à ma foi.
Considérez un peu, par ce trait d'innocence,
Où l'expose d'un fou la haute impertinence,
Et quels fâcheux périls elle pourroit courir
Si j'étois maintenant homme à la moins chérir.
Mais d'un trop pur amour mon âme est embrasée:
J'aimerois mieux mourir que l'avoir abusée:
Je lui vois des appas dignes d'un autre sort,
Et rien ne m'en sauroit séparer que la mort.
Je prévois là-dessus l'emportement d'un père;
Mais nous prendrons le temps d'apaiser sa colère.
A des charmes si doux je me laisse emporter,
Et dans la vie, enfin, il se faut contenter.
Ce que je veux de vous, sous un secret fidèle,
C'est que je puisse mettre en vos mains cette belle,
Que dans votre maison, en faveur de mes feux,
Vous lui donniez retraite au moins un jour ou deux.
Outre qu'aux yeux du monde il faut cacher sa fuite,
Et qu'on en pourra faire une exacte poursuite,
Vous savez qu'une fille aussi de sa façon
Donne avec un jeune homme un étrange soupçon:
Et, comme c'est à vous, sûr de votre prudence,
Que j'ai fait de mes feux entière confidence,
C'est à vous seul aussi, comme ami généreux,
Que je puis confier ce dépôt amoureux.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
De cette occasion que j'ai de vous servir.
Je rends grâces au ciel de ce qu'il me l'envoie,
Et n'ai jamais rien fait avec si grande joie.
HORACE.
J'avais de votre part craint des difficultés;
Mais vous êtes du monde, et, dans votre sagesse,
Vous savez excuser le feu de la jeunesse.
Un de mes gens la garde au coin de ce détour.
ARNOLPHE.
Si je la prends ici, l'on me verra peut-être;
Et, s'il faut que chez moi vous veniez à paraître,
Des valets causeront. Pour jouer au plus sûr,
Il faut me l'amener dans un lieu plus obscur.
Mon allée est commode, et je l'y vais attendre.
HORACE.
Pour moi, je ne ferai que vous la mettre en main,
Et chez moi, sans éclat, je retourne soudain.
ARNOLPHE, seul.
Répare tous les maux que m'a faits ton caprice!
Il s'enveloppe le nez de son manteau.
SCÈNE III.—AGNÈS, ARNOLPHE, HORACE.
HORACE, à Agnès.
C'est un logement sûr que je vous fais donner.
Vous loger avec moi, ce seroit tout détruire:
Entrez dans cette porte, et laissez-vous conduire.
Arnolphe lui prend la main sans qu'elle la reconnaisse.
AGNÈS, à Horace.
HORACE.
AGNÈS.
HORACE.
AGNÈS.
HORACE.
AGNÈS.
HORACE.
AGNÈS.
Arnolphe la tire.
Ah! l'on me tire trop.
HORACE.
Chère Agnès, qu'en ce lieu nous soyons vus tous deux!
Et le parfait ami de qui la main vous presse
Suit le zèle prudent qui pour nous l'intéresse.
AGNÈS.
HORACE.
Entre de telles mains vous ne serez que bien.
AGNÈS.
Et j'aurois...
A Arnolphe, qui la tire encore.
Attendez.
HORACE.
AGNÈS.
HORACE.
AGNÈS.
HORACE, en s'en allant.
Et je puis maintenant dormir en assurance[143].
SCÈNE IV.—ARNOLPHE, AGNÈS.
ARNOLPHE, caché dans son manteau, et déguisant sa voix.
Et votre gîte ailleurs est par moi préparé.
Je prétends en lieu sûr mettre votre personne.
Se faisant connoître.
Me connoissez-vous?
AGNÈS.
ARNOLPHE.
Dans cette occasion rend vos sens effrayés,
Et c'est à contre cœur qu'ici vous me voyez;
Je trouble en ses projets l'amour qui vous possède.
Agnès regarde si elle ne verra point Horace.
N'appelez point des yeux le galant à votre aide;
Il est trop éloigné pour vous donner secours.
Ah! ah! si jeune encore, vous jouez de ces tours!
Votre simplicité, qui semble sans pareille,
Demande si l'on fait les enfants par l'oreille;
Et vous savez donner des rendez-vous la nuit,
Et pour suivre un galant vous évader sans bruit!
Tudieu! comme avec lui votre langue cajole[144]!
Il faut qu'on vous ait mise à quelque bonne école!
Qui diantre tout d'un coup vous en a tant appris?
Vous ne craignez donc plus de trouver des esprits!
Et ce galant, la nuit, vous a donc enhardie?
Ah! coquine, en venir à cette perfidie!
Malgré tous mes bienfaits former un tel dessein!
Petit serpent que j'ai réchauffé dans mon sein,
Et qui, dès qu'il se sent, par une humeur ingrate,
Cherche à faire du mal à celui qui le flatte!
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
J'ai suivi vos leçons, et vous m'avez prêché,
Qu'il se faut marier pour ôter le péché.
ARNOLPHE.
Et je vous l'avois fait, me semble[146], assez entendre.
AGNÈS.
Il est plus pour cela selon mon goût que vous.
Chez vous le mariage est fâcheux et pénible,
Et vos discours en font une image terrible;
Mais, las! il le fait, lui, si rempli de plaisirs,
Que de se marier il donne des désirs.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
Est-ce que j'en puis mais? Lui seul en est la cause;
Et je n'y songeois pas lorsque se fit la chose.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
Que ne vous êtes-vous, comme lui, fait aimer?
Je ne vous en ai pas empêché, que je pense.
ARNOLPHE.
Mais les soins que j'ai pris, je les ai perdus tous.
AGNÈS.
Car à se faire aimer il n'a point eu de peine.
ARNOLPHE, à part.
Peste! une précieuse en diroit-elle plus?
Ah! je l'ai mal connue; ou, ma foi, là-dessus
Une sotte en sait plus que le plus habile homme.
A Agnès.
Puisqu'en raisonnemens votre esprit se consomme,
La belle raisonneuse, est-ce qu'un si long temps
Je vous aurai pour lui nourrie à mes dépens?
AGNÈS.
ARNOLPHE, bas à part.
Haut.
Me rendra-t-il, coquine, avec tout son pouvoir,
Les obligations que vous pouvez m'avoir?
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
Et m'avez fait en tout instruire joliment!
Croit-on que je me flatte, et qu'enfin, dans ma tête,
Je ne juge pas bien que je suis une bête?
Moi-même j'en ai honte; et, dans l'âge où je suis,
Je ne veux plus passer pour sotte, si je puis.
ARNOLPHE.
Apprendre du blondin quelque chose?
AGNÈS.
C'est de lui que je sais ce que je puis savoir;
Et beaucoup plus qu'à vous je pense lui devoir.
ARNOLPHE.
Ma main de ce discours ne venge la bravade.
J'enrage quand je vois sa piquante froideur;
Et quelques coups de poing satisferoient mon cœur.
AGNÈS.
ARNOLPHE, à part.
Et produit un retour de tendresse de cœur,
Qui de son action m'efface la noirceur.
Chose étrange d'aimer, et que pour ces traîtresses
Les hommes soient sujets à de telles foiblesses!
Tout le monde connoît leur imperfection;
Ce n'est qu'extravagance et qu'indiscrétion;
Leur esprit est méchant et leur âme fragile,
Il n'est rien de plus foible et de plus imbécile,
Rien de plus infidèle: et, malgré tout cela,
Dans le monde on fait tout pour ces animaux-là.
A Agnès.
Eh bien, faisons la paix. Va, petite traîtresse,
Je te pardonne tout, et te rends ma tendresse;
Considère par là l'amour que j'ai pour toi,
Et, me voyant si bon, en revanche aime-moi.
AGNÈS.
Que me coûterait-il, si je le pouvais faire?
ARNOLPHE.
Écoute seulement ce soupir amoureux,
Vois ce regard mourant, contemple ma personne,
Et quitte ce morveux et l'amour qu'il te donne.
C'est quelque sort qu'il faut qu'il ait jeté sur toi,
Et tu seras cent fois plus heureuse avec moi.
Ta forte passion est d'être brave[148] et leste,
Tu le seras toujours, va, je te le proteste;
Sans cesse, nuit et jour, je te caresserai,
Je te bouchonnerai[149], baiserai, mangerai;
Tout comme tu voudras tu pourras te conduire:
Je ne m'explique point, et cela c'est tout dire.
Bas, à part.
Jusqu'où la passion peut-elle faire aller!
Haut.
Enfin, à mon amour rien ne peut s'égaler:
Quelle preuve veux-tu que je t'en donne, ingrate?
Me veux-tu voir pleurer? Veux-tu que je me batte?
Veux-tu que je m'arrache un côté de cheveux?
Veux-tu que je me tue? Oui, dis si tu le veux,
Je suis tout prêt, cruelle, à te prouver ma flamme.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
Je suivrai mon dessein, bête trop indocile,
Et vous dénicherez à l'instant de la ville.
Vous rebutez mes vœux et me mettez à bout;
Mais un cul de couvent[150] me vengera de tout.
SCÈNE V.—ARNOLPHE, AGNÈS, ALAIN.
ALAIN.
Qu'Agnès et le corps mort s'en sont allés ensemble.
ARNOLPHE.
A part.
Ce ne sera pas là qu'il la viendra chercher;
Et puis, c'est seulement pour une demi-heure.
Je vais, pour lui donner une sûre demeure,
A Alain.
Trouver une voiture. Enfermez-vous des mieux,
Et surtout gardez-vous de la quitter des yeux.
Seul.
Peut-être que son âme, étant dépaysée,
Pourra de cet amour être désabusée.
SCÈNE VI.—ARNOLPHE, HORACE.
HORACE.
Le ciel, seigneur Arnolphe, a conclu mon malheur;
Et, par un trait fatal d'une injustice extrême,
On me veut arracher de la beauté que j'aime.
Pour arriver ici mon père a pris le frais[151];
J'ai trouvé qu'il mettoit pied à terre ici près:
Et la cause, en un mot, d'une telle venue,
Qui, comme je disois, ne m'étoit pas connue,
C'est qu'il m'a marié sans m'en écrire rien,
Et qu'il vient en ces lieux célébrer ce lien.
Jugez, en prenant part à mon inquiétude,
S'il pouvait m'arriver un contre-temps plus rude.
Cet Enrique, dont hier je m'informois à vous,
Cause tout le malheur dont je ressens les coups:
Il vient avec mon père achever ma ruine,
Et c'est sa fille unique à qui l'on me destine.
J'ai dès leurs premiers mots pensé m'évanouir;
Et d'abord, sans vouloir plus longtemps les ouïr,
Mon père ayant parlé de vous rendre visite,
L'esprit plein de frayeur je l'ai devancé vite.
De grâce, gardez-vous de lui rien découvrir
De mon engagement, qui le pourrait aigrir;
Et tâchez, comme en vous il prend grande créance,
De le dissuader de cet autre alliance.
ARNOLPHE.
HORACE.
Et rendez, en ami, ce service à mon feu.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
Dites-lui que mon âge... Ah! je le vois venir!
Écoutez les raisons que je vous puis fournir.
SCÈNE VII.—ENRIQUE, ORONTE, CHRYSALDE, HORACE, ARNOLPHE.
Horace et Arnolphe se retirent dans un coin du théâtre, et parlent bas ensemble.
ENRIQUE, à Chrysalde.
Quand on ne m'eût rien dit, j'aurois su vous connoître.
Je vous vois tous les traits de cette aimable sœur
Dont l'hymen autrefois m'avoit fait possesseur;
Et je serais heureux si la parque cruelle
M'eût laissé ramener cette épouse fidèle,
Pour jouir avec moi des sensibles douceurs
De revoir tous les siens après nos longs malheurs;
Mais, puisque du destin la fatale puissance
Nous prive pour jamais de sa chère présence,
Tâchons de nous résoudre, et de nous contenter
Du seul fruit amoureux qui m'en ait pu rester.
Il vous touche de près; et, sans votre suffrage,
J'aurois tort de vouloir disposer de ce gage.
Le choix du fils d'Oronte est glorieux de soi[152],
Mais il faut que ce choix vous plaise comme à moi.
CHRYSALDE.
Que douter si j'approuve un choix si légitime.
ARNOLPHE, à part, à Horace.
HORACE, à part, à Arnolphe.
ARNOLPHE, à Horace.
Arnolphe quitte Horace pour aller embrasser Oronte.
ORONTE, à Arnolphe.
ARNOLPHE.
ORONTE.
ARNOLPHE.
Je sais ce qui vous mène.
ORONTE.
ARNOLPHE.
ORONTE.
ARNOLPHE.
Et son cœur prévenu n'y voit rien que de triste,
Il m'a même prié de vous en détourner;
Et moi, tout le conseil que je vous puis donner,
C'est de ne pas souffrir que ce nœud se diffère,
Et de faire valoir l'autorité de père.
Il faut avec vigueur ranger[153] les jeunes gens,
Et nous faisons[154] contre eux à leur être indulgents.
HORACE, à part.
CHRYSALDE.
Je tiens qu'on ne doit pas lui faire violence.
Mon frère, que je crois, sera de mon avis.
ARNOLPHE.
Est-ce que vous voulez qu'un père ait la mollesse
De ne savoir pas faire obéir la jeunesse?
Il seroit beau, vraiment, qu'on le vît aujourd'hui
Prendre loi de qui doit l'accepter de lui!
Non, non, c'est mon intime, et sa gloire est la mienne;
Sa parole est donnée, il faut qu'il la maintienne
Qu'il fasse voir ici de fermes sentimens,
Et force de son fils tous les attachemens.
ORONTE.
C'est moi qui vous réponds de son obéissance.
CHRYSALDE, à Arnolphe.
Que vous me faites voir pour cet engagement,
Et ne puis deviner quel motif vous inspire...
ARNOLPHE.
ORONTE.
CHRYSALDE.
C'est monsieur de la Souche, on vous l'a déjà dit.
ARNOLPHE.
HORACE, à part.
ARNOLPHE, se retournant vers Horace.
Et vous pouvez juger ce que je devois faire.
HORACE, à part.
SCÈNE VIII.—ENRIQUE, ORONTE, CHRYSALDE, HORACE, ARNOLPHE, GEORGETTE.
GEORGETTE.
Nous aurons de la peine à retenir Agnès;
Elle veut à tous coups s'échapper, et peut-être
Qu'elle se pourroit bien jeter par la fenêtre.
ARNOLPHE.
A Horace.
Prétends-je l'emmener. Ne vous en fâchez pas;
Un bonheur continu rendroit l'homme superbe;
Et chacun à son tour, comme dit le proverbe.
HORACE, à part.
Et s'est-on jamais vu dans l'abîme où je suis!
ARNOLPHE, à Oronte.
J'y prends part, et déjà moi-même je m'en prie.
ORONTE.
SCÈNE IX.—AGNÈS, ORONTE, ENRIQUE, ARNOLPHE, HORACE, CHRYSALDE, ALAIN, GEORGETTE.
ARNOLPHE, à Agnès.
Qu'on ne saurait tenir, et qui vous mutinez.
Voici votre galant, à qui, pour récompense,
Vous pouvez faire une humble et douce révérence.
A Horace.
Adieu. L'événement trompe un peu vos souhaits;
Mais tous les amoureux ne sont pas satisfaits.
AGNÈS.
HORACE.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ORONTE.
Nous nous regardons tous, sans le pouvoir comprendre.
ARNOLPHE.
Jusqu'au revoir.
ORONTE.
Vous ne nous parlez point comme il nous faut parler.
ARNOLPHE.
D'achever l'hyménée.
ORONTE.
Si l'on vous a dit tout, ne vous a-t-on pas dit
Que vous avez chez vous celle dont il s'agit,
La fille qu'autrefois, de l'aimable Angélique,
Sous des liens secrets, eut le seigneur Enrique?
Sur quoi votre discours étoit-il donc fondé?
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
Dont on cacha le sort à toute la famille.
ORONTE.
Par son époux aux champs fut donnée à nourrir.
CHRYSALDE.
L'obligea de sortir de sa natale terre.
ORONTE.
Dans ces lieux séparés de nous par tant de mers.
CHRYSALDE.
Avoient pu lui ravir l'imposture et l'envie.
ORONTE.
Celle à qui de sa fille il confia le sort.
CHRYSALDE.
Qu'en vos mains à quatre ans elle l'avoit remise.
ORONTE.
Par un accablement d'extrême pauvreté.
CHRYSALDE.
A fait jusqu'en ces lieux conduire cette femme.
ORONTE.
Pour rendre aux yeux de tous ce mystère éclairci.
CHRYSALDE, à Arnolphe.
Mais le sort en cela ne vous est que propice.
Si n'être point cocu vous semble un si grand bien,
Ne vous point marier en est le vrai moyen.
ARNOLPHE, s'en allant tout transporté, et ne pouvant parler.
SCÈNE X.—ENRIQUE, ORONTE, CHRYSALDE, AGNÈS, HORACE.
ORONTE.
HORACE.
Vous saurez pleinement ce surprenant mystère.
Le hasard en ces lieux avoit exécuté
Ce que votre sagesse avoit prémédité.
J'étois, par les doux nœuds d'une ardeur mutuelle,
Engagé de parole avecque cette belle;
Et c'est elle, en un mot, que vous venez chercher,
Et pour qui mon refus a pensé vous fâcher.
ENRIQUE.
Et mon âme depuis n'a cessé d'être émue.
Ah! ma fille, je cède à des transports si doux.
CHRYSALDE.
Mais ces lieux à cela ne s'accommodent guères.
Allons dans la maison débrouiller ces mystères,
Payer à notre ami ses soins officieux,
Et rendre grâce au ciel, qui fait tout pour le mieux.
FIN DE L'ÉCOLE DES FEMMES