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Molière - Œuvres complètes, Tome 2

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LE MARIAGE FORCÉ

COMÉDIE-BALLET

REPRÉSENTÉE AU LOUVRE LES 29 ET 31 JANVIER 1664, ET SUR LE THÉATRE DU PALAIS-ROYAL, LE 15 FÉVRIER SUIVANT.

Molière est devenu le maître des cérémonies comiques de Louis XIV. Dès que le roi veut amuser sa cour, c'est à Molière qu'il s'adresse; à peine lui laisse-t-il le temps de créer des personnages, de tracer des caractères, d'inventer une action. Il faut des danses, une comédie, de la musique, et que tout sorte de terre, improvisé pour ainsi dire. Bien en prenait à Molière, qui avait alors quarante-deux ans, d'avoir vécu dans l'observation et l'étude attentive du monde et des hommes, de se trouver maître absolu d'une troupe excellente, et d'être placé sous la protection immédiate et vigilante du monarque; il n'aurait pu, dans des conditions différentes, accomplir les tours de force qui lui étaient imposés.

Vers la fin de 1663, Louis XIV, devenu l'idole de sa cour et surtout des femmes, voulut danser un pas de ballet avec ses seigneurs, et, sans s'inquiéter du reste, il ordonna à Molière d'improviser un ballet. Molière obéit. Le 29 janvier 1664, le Ballet du roi, en trois actes, fut exécuté sur le théâtre de la cour, au Louvre.

C'est celui que nous donnons plus bas, et qui, divisé en trois actes, permit au roi, sous le costume d'un Égyptien, de déployer, devant la cour et mademoiselle de la Vallière elle-même, les grâces de son élégance naturelle. La célèbre Bergerotta, la première cantatrice de l'époque, chanta des couplets espagnols en partie avec quatre autres concertans espagnols et italiens; et un petit grotesque italien, Lulli, qui devait parcourir une si éclatante carrière, parut à la tête d'une bande joyeuse et d'un burlesque charivari.

Quand il fallut extraire, au bénéfice du public, une comédie de ce ballet, Molière supprima la division des actes, la danse, les chants, tout l'appareil pittoresque, et fit du Ballet du roi le Mariage forcé tel que nous le possédons aujourd'hui. Il y reste encore des traces de la première conception de l'auteur. C'est une esquisse italienne des plus vives et des plus colorées; les Égyptiens qui dansent contrastent vivement avec les figures aristotéliques de Marphurius et de Pancrace, et le sentiment de l'harmonie, que Molière possédait au plus haut degré, accorde dans un fantasque ensemble le caprice de Callot, la satire de Rabelais et la verve des bouffons.

Non que Molière cesse d'être philosophe. C'est toujours la sévérité doctorale du vieux monde que Molière poursuit de son ironie et de son mépris; c'est le fanatisme pédantesque dictant l'arrêt de mort prononcé en 1624 par le parlement de Paris contre les ennemis d'Aristote; ce sont les retardataires de l'Université et de la Sorbonne; c'est Marphurius qui doute de tout, c'est Pancrace qui dogmatise sur tout. Molière va rechercher dans la Jalousie du Barbouillé les vieilles armes qu'il a fourbies contre eux dans sa première jeunesse. Il attaque aussi, comme il l'a déjà fait, l'inégalité des âges dans l'union conjugale, les vieillards qui veulent pour femmes des jeunes filles, la contrainte imposée aux penchants naturels, l'esclavage des femmes et la servitude en général. Il ne ménage pas davantage la colère hargneuse des savants, le pédantisme ridicule, l'inhabileté aux choses de la vie, la morale ignoble qui se fait des vertus de ses cupidités, ou la sensualité décrépite de ce bourgeois qui veut avoir des petits sortis de lui. Il signale, avec une liberté gauloise empruntée à Rabelais, les terribles résultats de cette servitude de la femme dans sa jeunesse; le père qui se débarrasse de sa fille au moyen d'une dot, la fille qui se débarrasse de son père et de son esclavage au moyen d'un mari.

Voltaire a tort de critiquer la bouffonnerie excessive de cette œuvre, qui n'est autre chose que la continuation philosophique des idées de Molière. Il a puisé çà et là dans les faits contemporains des souvenirs et des motifs dont il a disposé selon son génie. Il s'est souvenu des frères Hamilton, poursuivant de Londres à Douvres le comte de Grammont et lui criant de loin:

«—N'avez-vous rien oublié à Londres?

»—Pardonnez-moi, j'ai oublié d'épouser votre sœur, et j'y retourne.»

Un certain marquis de la Trousse, qui ne souffrait pas d'être regardé de travers, et qui, avant de tuer son homme, l'accablait de politesses; enfin les nouveaux efforts des vieux docteurs pour écraser judiciairement la philosophie de Descartes, étaient présents à l'esprit de Molière, qui, chaque jour plus puissant, devenait pour eux plus cruel et plus terrible.

Armande ne joua point dans cet impromptu, où mademoiselle Duparc, objet ravissant et de belle taille, dit Loret,

«Rendit les gens ébaudis
»Par ses appas et sa prestance,
»Par ses beaux pas et par sa danse.»

Le succès du ballet fut ratifié, le 15 février suivant, par le Bourgeois, comme s'exprime encore Loret, et la faveur dont jouissait Molière à la cour s'accrut encore de son succès populaire.


PERSONNAGES ACTEURS
SGANARELLE. Molière.
GÉRONIMO. la Thorillière.
DORIMÈNE, jeune coquette, promise à Sganarelle. Mlle Duparc.
ALCANTOR, père de Dorimène. Béjart.
ALCIDAS, frère de Dorimène. La Grange.
LYCASTE, amant de Dorimène.
PANCRACE, docteur aristotélicien. Brécourt.
MARPHURIUS, docteur pyrrhonien. Du Croisy.
Deux Égyptiennes. { Mlle Béjart.
Mlle Debrie.
La scène est sur une place publique.

SCÈNE I.—SGANARELLE, parlant à ceux qui sont dans sa maison.

Je suis de retour dans un moment. Que l'on ait bien soin du logis, et que tout aille comme il faut. Si l'on m'apporte de l'argent, que l'on me vienne querir vite chez le seigneur Géronimo: et, si l'on vient m'en demander, qu'on dise que je suis sorti, et que je ne dois revenir de toute la journée.

SCÈNE II.—SGANARELLE, GÉRONIMO.

GÉRONIMO, ayant entendu les dernières paroles de Sganarelle.

Voilà un ordre fort prudent.

SGANARELLE.

Ah! seigneur Géronimo, je vous trouve à propos, et j'allois chez vous vous chercher.

GÉRONIMO.

Et pour quel sujet, s'il vous plaît?

SGANARELLE.

Pour vous communiquer une affaire que j'ai en tête, et vous prier de m'en dire votre avis.

GÉRONIMO.

Très-volontiers. Je suis bien aise de cette rencontre, et nous pouvons parler ici en toute liberté.

SGANARELLE.

Mettez donc dessus[200], s'il vous plaît. Il s'agit d'une chose de conséquence, que l'on m'a proposé; et il est bon de ne rien faire sans le conseil de ses amis.

GÉRONIMO.

Je vous suis obligé de m'avoir choisi pour cela. Vous n'avez qu'à me dire ce que c'est.

SGANARELLE.

Mais, auparavant, je vous conjure de ne me point flatter du tout, et de me dire nettement votre pensée.

GÉRONIMO.

Je le ferai, puisque vous le voulez.

SGANARELLE.

Je ne vois rien de plus condamnable qu'un ami qui ne nous parle pas franchement.

GÉRONIMO.

Vous avez raison.

SGANARELLE.

Et, dans ce siècle, on trouve peu d'amis sincères.

GÉRONIMO.

Cela est vrai.

SGANARELLE.

Promettez-moi donc, seigneur Géronimo, de me parler avec toute sorte de franchise.

GÉRONIMO.

Je vous le promets.

SGANARELLE.

Jurez-en votre foi.

GÉRONIMO.

Oui, foi d'ami. Dites-moi seulement votre affaire.

SGANARELLE.

C'est que je veux savoir de vous si je ferai bien de me marier.

GÉRONIMO.

Qui? vous!

SGANARELLE.

Oui, moi-même, en propre personne. Quel est votre avis là-dessus?

GÉRONIMO.

Je vous prie auparavant de me dire une chose.

SGANARELLE.

Et quoi?

GÉRONIMO.

Quel âge pouvez-vous bien avoir maintenant?

SGANARELLE.

Moi?

GÉRONIMO.

Oui.

SGANARELLE.

Ma foi, je ne sais; mais je me porte bien.

GÉRONIMO.

Quoi! vous ne savez pas à peu près votre âge?

SGANARELLE.

Non: est-ce qu'on songe à cela?

GÉRONIMO.

Eh! dites-moi un peu, s'il vous plaît: combien aviez-vous d'années lorsque nous fîmes connoissance?

SGANARELLE.

Ma foi, je n'avois que vingt ans alors.

GÉRONIMO.

Combien fûmes-nous ensemble à Rome!

SGANARELLE.

Huit ans.

GÉRONIMO.

Quel temps avez-vous demeuré en Angleterre?

SGANARELLE.

Sept ans.

GÉRONIMO.

Et en Hollande, où vous fûtes ensuite?

SGANARELLE.

Cinq ans et demi.

GÉRONIMO.

Combien y a-t-il que vous êtes revenu ici?

SGANARELLE.

Je revins en cinquante-six.

GÉRONIMO.

De cinquante-six à soixante-huit, il y a douze ans, ce me semble. Cinq ans en Hollande font dix-sept, sept ans en Angleterre font vingt-quatre, huit dans notre séjour à Rome font trente-deux, et vingt que vous aviez lorsque nous nous connûmes, cela fait justement cinquante-deux. Si bien, seigneur Sganarelle, que, sur votre propre confession, vous êtes environ à votre cinquante-deuxième ou cinquante-troisième année.

SGANARELLE.

Qui? moi! cela ne se peut pas.

GÉRONIMO.

Mon Dieu! le calcul est juste; et là-dessus je vous dirai franchement et en ami, comme vous m'avez fait promettre de vous parler, que le mariage n'est guère votre fait. C'est une chose à laquelle il faut que les jeunes gens pensent bien mûrement avant que de la faire; mais les gens de votre âge n'y doivent point penser du tout; et, si l'on dit que la plus grande de toutes les folies est celle de se marier, je ne vois rien de plus mal à propos que de la faire, cette folie, dans la saison où nous devons être plus sages. Enfin, je vous en dis nettement ma pensée. Je ne vous conseille point de songer au mariage; et je vous trouverais le plus ridicule du monde, si, ayant été libre jusqu'à cette heure, vous alliez vous charger maintenant de la plus pesante des chaînes.

SGANARELLE.

Et moi, je vous dis que je suis résolu de me marier, et que je ne serai point ridicule en épousant la fille que je recherche.

GÉRONIMO.

Ah! c'est une autre chose! Vous ne m'aviez pas dit cela.

SGANARELLE.

C'est une fille qui me plaît, et que j'aime de tout mon cœur.

GÉRONIMO.

Vous l'aimez de tout votre cœur?

SGANARELLE.

Sans doute; et je l'ai demandée à son père.

GÉRONIMO.

Vous l'avez demandée?

SGANARELLE.

Oui. C'est un mariage qui se doit conclure ce soir; et j'ai donné ma parole.

GÉRONIMO.

Oh! mariez-vous donc. Je ne dis plus mot.

SGANARELLE.

Je quitterois le dessein que j'ai fait! Vous semble-t-il, seigneur Géronimo, que je ne sois plus propre à songer à une femme? Ne parlons point de l'âge que je puis avoir; mais regardons seulement les choses. Y a-t-il homme de trente ans qui paroisse plus frais et plus vigoureux que vous me voyez? N'ai-je pas tous les mouvemens de mon corps aussi bons que jamais; et voit-on que j'aie besoin de carrosse ou de chaise pour cheminer? N'ai-je pas encore toutes mes dents les meilleures du monde? (Il montre ses dents.) Ne fais-je pas vigoureusement mes quatre repas par jour, et peut-on voir un estomac qui ait plus de force que le mien? (Il tousse.) Hem, hem, hem! Eh! qu'en dites-vous?

GÉRONIMO.

Vous avez raison, je m'étois trompé. Vous ferez bien de vous marier.

SGANARELLE.

J'y ai répugné autrefois; mais j'ai maintenant de puissantes raisons pour cela. Outre la joie que j'aurai de posséder une belle femme, qui me fera mille caresses, qui me dorlotera, et me viendra frotter lorsque je serai las; outre cette joie, dis-je, je considère qu'en demeurant comme je suis, je laisse périr dans le monde la race des Sganarelle; et qu'en me mariant, je pourrai me voir revivre en d'autres moi-même; que j'aurai le plaisir de voir des créatures qui seront sorties de moi, de petites figures qui me ressembleront comme deux gouttes d'eau, qui se joueront continuellement dans la maison, qui m'appelleront leur papa quand je reviendrai de la ville, et me diront de petites folies les plus agréables du monde. Tenez, il me semble déjà que j'y suis, et que j'en vois une demi-douzaine autour de moi.

GÉRONIMO.

Il n'y a rien de plus agréable que cela; et je vous conseille de vous marier le plus vite que vous pourrez.

SGANARELLE.

Tout de bon, vous me le conseillez?

GÉRONIMO.

Assurément. Vous ne sauriez mieux faire.

SGANARELLE.

Vraiment, je suis ravi que vous me donniez ce conseil en véritable ami.

GÉRONIMO.

Et quelle est la personne, s'il vous plaît, avec qui vous allez vous marier?

SGANARELLE.

Dorimène.

GÉRONIMO.

Cette jeune Dorimène, si galante et si bien parée.

SGANARELLE.

Oui.

GÉRONIMO.

Fille du seigneur Alcantor?

SGANARELLE.

Justement.

GÉRONIMO.

Et sœur d'un certain Alcidas, qui se mêle de porter l'épée?

SGANARELLE.

C'est cela.

GÉRONIMO.

Vertu de ma vie!

SGANARELLE.

Qu'en dites-vous?

GÉRONIMO.

Bon parti! Mariez-vous promptement.

SGANARELLE.

N'ai-je pas raison d'avoir fait ce choix?

GÉRONIMO.

Sans doute. Ah! que vous serez bien marié! Dépêchez-vous de l'être.

SGANARELLE.

Vous me comblez de joie de me dire cela. Je vous remercie de votre conseil, et je vous invite ce soir à mes noces.

GÉRONIMO.

Je n'y manquerai pas; et je veux y aller en masque, afin de les mieux honorer.

SGANARELLE.

Serviteur.

GÉRONIMO, à part.

La jeune Dorimène, fille du seigneur Alcantor, avec le seigneur Sganarelle, qui n'a que cinquante-trois ans! O le beau mariage! ô le beau mariage[201]!

Ce qu'il répète plusieurs fois en s'en allant.

SCÈNE III.—SGANARELLE.

Ce mariage doit être heureux, car il donne de la joie à tout le monde, et je fais rire tous ceux à qui j'en parle. Me voilà maintenant le plus content des hommes.

SCÈNE IV.—DORIMÈNE, SGANARELLE.

DORIMÈNE, dans le fond du théâtre, à un petit laquais qui la suit.

Allons, petit garçon, qu'on tienne bien ma queue, et qu'on ne s'amuse pas à badiner.

SGANARELLE, à part, apercevant Dorimène.

Voici ma maîtresse[202] qui vient. Ah! qu'elle est agréable! Quel air! et quelle taille! Peut-il y avoir un homme qui n'ait, en la voyant, des démangeaisons de se marier? (A Dorimène.) Où allez-vous, belle mignonne, chère épouse future de votre époux futur?

DORIMÈNE.

Je vais faire quelques emplettes.

SGANARELLE.

Eh bien, ma belle, c'est maintenant que nous allons être heureux l'un et l'autre. Vous ne serez plus en droit de me rien refuser; et je pourrai faire avec vous tout ce qu'il me plaira, sans que personne s'en scandalise. Vous allez être à moi depuis la tête jusqu'aux pieds, et je serai maître de tout: de vos petits yeux éveillés, de votre petit nez fripon, de vos lèvres appétissantes, de vos oreilles amoureuses, de votre petit menton joli, de vos petits tétons rondelets, de votre... Enfin, toute votre personne sera à ma discrétion, et je serai à même pour vous caresser comme je voudrai. N'êtes-vous pas bien aise de ce mariage, mon aimable pouponne?

DORIMÈNE.

Tout à fait aise, je vous jure. Car enfin la sévérité de mon père m'a tenue jusques ici dans une sujétion la plus fâcheuse du monde. Il y a je ne sais combien que j'enrage du peu de liberté qu'il me donne, et j'ai cent fois souhaité qu'il me mariât, pour sortir promptement de la contrainte où j'étois avec lui, et me voir en état de faire ce que je voudrai. Dieu merci, vous êtes venu heureusement pour cela, et je me prépare désormais à me donner du divertissement, et à réparer comme il faut le temps que j'ai perdu. Comme vous êtes un fort galant homme, et que vous savez comme il faut vivre, je crois que nous ferons le meilleur ménage du monde ensemble, et que vous ne serez point de ces maris incommodes qui veulent que leurs femmes vivent comme des loups-garous. Je vous avoue que je ne m'accommoderois pas de cela, et que la solitude me désespère. J'aime le jeu, les visites, les assemblées, les cadeaux[203] et les promenades; en un mot, toutes les choses de plaisir; et vous devez être ravi d'avoir une femme de mon humeur. Nous n'aurons jamais aucun démêlé ensemble; et je ne vous contraindrai point dans vos actions, comme j'espère que, de votre côté, vous ne me contraindrez point dans les miennes; car, pour moi, je tiens qu'il faut avoir une complaisance mutuelle, et qu'on ne se doit point marier pour se faire enrager l'un l'autre. Enfin, nous vivrons, étant mariés, comme deux personnes qui savent leur monde. Aucun soupçon jaloux ne nous troublera la cervelle; et c'est assez que vous serez assuré de ma fidélité, comme je serai persuadée de la vôtre. Mais qu'avez-vous? je vous vois tout changé de visage.

SGANARELLE.

Ce sont quelques vapeurs qui me viennent de monter à la tête.

DORIMÈNE.

C'est un mal aujourd'hui qui attaque beaucoup de gens; mais notre mariage vous dissipera tout cela. Adieu. Il me tarde déjà que j'aie des habits raisonnables, pour quitter vite ces guenilles. Je m'en vais de ce pas achever d'acheter toutes les choses qu'il me faut, et je vous enverrai les marchands.

SCÈNE V.—GÉRONIMO, SGANARELLE.

GÉRONIMO.

Ah! seigneur Sganarelle, je suis ravi de vous trouver encore ici; et j'ai rencontré un orfévre qui, sur le bruit que vous cherchiez quelque beau diamant en bague pour faire un présent à votre épouse, m'a fort prié de vous venir parler pour lui, et de vous dire qu'il en a un à vendre, le plus parfait du monde.

SGANARELLE.

Mon Dieu! cela n'est pas pressé.

GÉRONIMO.

Comment! que veut dire cela? Où est l'ardeur que vous montriez tout à l'heure?

SGANARELLE.

Il m'est venu, depuis un moment, de petits scrupules sur le mariage. Avant que de passer plus avant, je voudrois bien agiter à fond cette matière, et que l'on m'expliquât un songe que j'ai fait cette nuit, et qui vient tout à l'heure de me revenir dans l'esprit. Vous savez que les songes sont comme des miroirs, où l'on découvre quelquefois tout ce qui nous doit arriver. Il me sembloit que j'étois dans un vaisseau, sur une mer bien agitée, et que...

GÉRONIMO.

Seigneur Sganarelle, j'ai maintenant quelque petite affaire qui m'empêche de vous ouïr. Je n'entends rien du tout aux songes; et, quant au raisonnement du mariage, vous avez deux savans, deux philosophes, vos voisins, qui sont gens à vous débiter tout ce qu'on peut dire sur ce sujet. Comme ils sont de sectes différentes, vous pouvez examiner leurs diverses opinions là-dessus. Pour moi, je me contente de ce que je vous ai dit tantôt, et demeure votre serviteur.

SGANARELLE, seul.

Il a raison. Il faut que je consulte un peu ces gens-là sur l'incertitude où je suis.

SCÈNE VI.—PANCRACE, SGANARELLE.

PANCRACE, se tournant du côté par où il est entré, et sans voir Sganarelle.

Allez, vous êtes un impertinent, mon ami, un homme [ignare[204] de toute bonne discipline[205]] bannissable de la république des lettres!

SGANARELLE.

Ah! bon. En voici un fort à propos.

PANCRACE, de même, sans voir Sganarelle.

Oui, je te soutiendrai par vives raisons [je te montrerai par Aristote, le philosophe des philosophes,] que tu es un ignorant, [un] ignorantissime, ignorantifiant et ignorantifié, par tous les cas et modes imaginables.

SGANARELLE, à part.

Il a pris querelle contre quelqu'un. (A Pancrace.) Seigneur...

PANCRACE, de même, sans voir Sganarelle.

Tu veux te mêler de raisonner, et tu ne sais pas seulement les élémens de la raison.

SGANARELLE, à part.

La colère l'empêche de me voir. (A Pancrace.) Seigneur...

PANCRACE, de même sans voir Sganarelle.

C'est une proposition condamnable dans toutes les terres de la philosophie.

SGANARELLE, à part.

Il faut qu'on l'ait fort irrité. (A Pancrace.) Je...

PANCRACE, de même, sans voir Sganarelle.

Toto cœlo, tota via aberras[206].

SGANARELLE.

Je baise les mains à monsieur le docteur.

PANCRACE.

Serviteur.

SGANARELLE.

Peut-on...

PANCRACE, se retournant vers l'endroit par où il est entré.

Sais-tu bien ce que tu as fait? un syllogisme in balordo.

SGANARELLE.

Je vous...

PANCRACE, de même.

La majeure en est inepte, la mineure impertinente, et la conclusion ridicule.

SGANARELLE.

Je...

PANCRACE, de même.

Je crèverois plutôt que d'avouer ce que tu dis; et je soutiendrai mon opinion jusqu'à la dernière goutte de mon encre.

SGANARELLE.

Puis-je...

PANCRACE, de même.

Oui, je défendrai cette proposition pugnis et calcibus, unguibus et rostro[207].

SGANARELLE.

Seigneur Aristote, peut-on savoir ce qui vous met si fort en colère?

PANCRACE.

Un sujet le plus juste du monde.

SGANARELLE.

Et quoi, encore?

PANCRACE.

Un ignorant m'a voulu soutenir une proposition erronée, une proposition épouvantable, effroyable, exécrable.

SGANARELLE.

Puis-je demander ce que c'est?

PANCRACE.

Ah! seigneur Sganarelle, tout est renversé aujourd'hui, et le monde est tombé dans une corruption générale. Une licence épouvantable règne partout; et les magistrats, qui sont établis pour maintenir l'ordre dans cet État devroient rougir de honte, en souffrant un scandale aussi intolérable que celui dont je veux parler.

SGANARELLE.

Quoi donc?

PANCRACE.

N'est-ce pas une chose horrible, une chose qui crie vengeance au ciel, que d'endurer qu'on dise publiquement la forme d'un chapeau?

SGANARELLE.

Comment?

PANCRACE.

Je soutiens qu'il faut dire la figure d'un chapeau, et non pas la forme; d'autant qu'il y a cette différence entre la forme et la figure, que la forme est la disposition extérieure des corps qui sont animés; et la figure, la disposition extérieure des corps qui sont inanimés: et, puisque le chapeau est un corps inanimé, il faut dire la figure d'un chapeau, et non pas la forme. (Se retournant encore du côté par où il est entré.) Oui, ignorant que vous êtes! c'est comme il faut parler, et ce sont les termes exprès d'Aristote dans le chapitre de la qualité.

SGANARELLE, à part.

Je pensois que tout fût perdu. (A Pancrace.) Seigneur docteur, ne songez plus à tout cela. Je...

PANCRACE.

Je suis dans une colère, que je ne me sens pas.

SGANARELLE.

Laissez la forme et le chapeau en paix. J'ai quelque chose à vous communiquer. Je...

PANCRACE.

Impertinent fieffé[208]!

SGANARELLE.

De grâce, remettez-vous. Je...

PANCRACE.

Ignorant!

SGANARELLE.

Eh! mon Dieu. Je...

PANCRACE.

Me vouloir soutenir une proposition de la sorte!

SGANARELLE.

Il a tort. Je...

PANCRACE.

Une proposition condamnée par Aristote!

SGANARELLE.

Cela est vrai. Je...

PANCRACE.

En termes exprès!!

SGANARELLE.

Vous avez raison. (Se tournant du côté par où Pancrace est entré.) Oui, vous êtes un sot et un impudent, de vouloir disputer contre un docteur qui sait lire et écrire. Voilà qui est fait: je vous prie de m'écouter. Je viens vous consulter sur une affaire qui m'embarrasse. J'ai dessein de prendre une femme, pour me tenir compagnie dans mon ménage. La personne est belle et bien faite; elle me plaît beaucoup, et est ravie de m'épouser; son père me l'a accordée. Mais je crains un peu ce que vous savez, la disgrâce dont on ne plaint personne; et je voudrois bien vous prier, comme philosophe, de me dire votre sentiment. Eh! quel est votre avis là-dessus?

PANCRACE.

Plutôt que d'accorder qu'il faille dire la forme d'un chapeau, j'accorderais que datur vacum in rerum natura[209], et que je ne suis qu'une bête.

SGANARELLE, à part.

La peste soit de l'homme! (A Pancrace.) Eh! monsieur le docteur, écoutez un peu les gens. On vous parle une heure durant, et vous ne répondez point à ce qu'on vous dit.

PANCRACE.

Je vous demande pardon. Une juste colère m'occupe l'esprit.

SGANARELLE.

Eh! laissez tout cela, et prenez la peine de m'écouter.

PANCRACE.

Soit. Que voulez-vous me dire?

SGANARELLE.

Je veux vous parler de quelque chose.

PANCRACE.

Et de quelle langue voulez-vous vous servir avec moi?

SGANARELLE.

De quelle langue?

PANCRACE.

Oui.

SGANARELLE.

Parbleu! de la langue que j'ai dans la bouche. Je crois que je n'irai pas emprunter celle de mon voisin.

PANCRACE.

Je vous dis, de quel idiome, de quel langage?

SGANARELLE.

Ah! c'est une autre affaire.

PANCRACE.

Voulez-vous me parler italien?

SGANARELLE.

Non.

PANCRACE.

Espagnol?

SGANARELLE.

Non.

PANCRACE.

Allemand?

SGANARELLE.

Non.

PANCRACE.

Anglois?

SGANARELLE.

Non.

PANCRACE.

Latin?

SGANARELLE.

Non.

PANCRACE.

Grec?

SGANARELLE.

Non.

PANCRACE.

Hébreu?

SGANARELLE.

Non.

PANCRACE.

Syriaque?

SGANARELLE.

Non.

PANCRACE.

Turc?

SGANARELLE.

Non.

PANCRACE.

Arabe?

SGANARELLE.

Non, non; françois [françois, françois].

PANCRACE.

Ah! françois.

SGANARELLE.

Fort bien.

PANCRACE.

Passez donc de l'autre côté; car cette oreille-ci est destinée pour les langues scientifiques [et étrangères], et l'autre est pour [la vulgaire et] la maternelle.

SGANARELLE, à part.

Il faut bien des cérémonies avec ces sortes de gens-ci.

PANCRACE.

Que voulez-vous?

SGANARELLE.

Vous consulter sur une petite difficulté.

PANCRACE.

[Ah! ah!] sur une difficulté de philosophie, sans doute?

SGANARELLE.

Pardonnez-moi. Je...

PANCRACE.

Vous voulez peut-être savoir si la substance et l'accident sont termes synonymes ou équivoques à l'égard de l'être?

SGANARELLE.

Point du tout. Je...

PANCRACE.

Si la logique est un art ou une science?

SGANARELLE.

Ce n'est pas cela. Je...

PANCRACE.

Si elle a pour objet les trois opérations de l'esprit, ou la troisième seulement?

SGANARELLE.

Non. Je...

PANCRACE.

S'il y a dix catégories, ou s'il n'y en a qu'une?

SGANARELLE.

Point. Je...

PANCRACE.

Si la conclusion est de l'essence du syllogisme?

SGANARELLE.

Nenni. Je...

PANCRACE.

Si l'essence du bien est mise dans l'appétibilité, ou dans la convenance?

SGANARELLE.

Non. Je...

PANCRACE.

Si le bien se réciproque avec la fin?

SGANARELLE.

Eh non! Je...

PANCRACE.

Si la fin nous peut émouvoir par son être réel, ou par son être intentionnel?

SGANARELLE.

Non, non, non, non, non, de par tous les diables, non!

PANCRACE.

Expliquez donc votre pensée, car je ne puis pas la deviner.

SGANARELLE.

Je vous la veux expliquer aussi; mais il faut m'écouter. (Pendant que Sganarelle dit:) L'affaire que j'ai à vous dire, c'est que j'ai envie de me marier avec une fille qui est jeune et belle. Je l'aime fort, et l'ai demandée à son père; mais comme j'appréhende...

PANCRACE, dit en même temps, sans écouter Sganarelle:

La parole a été donnée à l'homme pour expliquer sa pensée; et, tout ainsi que les pensées sont les portraits des choses, de même nos paroles sont-elles les portraits de nos pensées. (Sganarelle, impatienté, ferme la bouche du docteur avec sa main à plusieurs reprises, et le docteur continue de parler d'abord que Sganarelle ôte sa main.) Mais ces portraits diffèrent des autres portraits en ce que les autres portraits sont distingués partout de leurs originaux, et que la parole enferme en soi son original, puisqu'elle n'est autre chose que la pensée expliquée par un signe extérieur; d'où vient que ceux qui pensent bien sont aussi ceux qui parlent le mieux. Expliquez-moi donc votre pensée par la parole, qui est le plus intelligible de tous les signes.

SGANARELLE, pousse le docteur dans sa maison, et tire la porte pour l'empêcher de sortir.

Peste de l'homme!

PANCRACE, au-dedans de sa maison.

Oui, la parole est animi index et speculum[210]. C'est le truchement du cœur, c'est l'image de l'âme, (il monte à la fenêtre et continue.) C'est un miroir qui nous présente naïvement les secrets les plus arcanes[211] de nos individus; et, puisque vous avez la faculté de ratiociner[212] et de parler tout ensemble, à quoi tient-il que vous ne vous serviez de la parole pour me faire entendre votre pensée?

SGANARELLE.

C'est ce que je veux faire! mais vous ne voulez pas m'écouter.

PANCRACE.

Je vous écoute, parlez.

SGANARELLE.

Je dis donc, monsieur le docteur, que...

PANCRACE.

Mais surtout soyez bref.

SGANARELLE.

Je le serai.

PANCRACE.

Évitez la prolixité.

SGANARELLE.

Eh! monsi...

PANCRACE.

Tranchez-moi votre discours d'un apophthegme à la laconienne.

SGANARELLE.

Je vous...

PANCRACE.

Point d'ambages, de circonlocution. (Sganarelle, de dépit de ne pouvoir parler, ramasse des pierres pour en casser la tête du docteur.) Et quoi! vous vous emportez au lieu de vous expliquer? Allez, vous êtes plus impertinent que celui qui m'a voulu soutenir qu'il faut dire la forme d'un chapeau; et je vous prouverai, en toute rencontre, par raisons démonstratives et convaincantes, et par argumens in barbara, que vous n'êtes et ne serez jamais qu'une pécore, et que je suis et serai toujours, in utroque jure[213], le docteur Pancrace.

SGANARELLE.

Quel diable de babillard!

PANCRACE, en rentrant sur le théâtre.

Homme de lettres, homme d'érudition.

SGANARELLE.

Encore!

PANCRACE.

Homme de suffisance, homme de capacité, (s'en allant.) Homme consommé dans toutes les sciences naturelles, morales et politiques. (Revenant.) Homme savant, savantissime, per omnes modos et casus[214]. (S'en allant.) Homme qui possède, superlative[215], fable, mythologie et histoire (revenant), grammaire, poésie, rhétorique, dialectique et sophistique (s'en allant), mathématique, arithmétique, optique, onirocritique[216], physique et métaphysique (revenant), cosmométrie[217], géométrie, architecture, spéculoire[218] et spéculatoire[219] (s'en allant), médecine, astronomie, astrologie, physionomie, métoposcopie[220], chiromancie[221], géomancie[222], etc.[223].

SCÈNE VII.—SGANARELLE.

Au diable les savans qui ne veulent point écouter les gens! On me l'avoit bien dit que son maître Aristote n'étoit rien qu'un bavard. Il faut que j'aille trouver l'autre; peut-être qu'il sera plus posé et plus raisonnable. Holà!

SCÈNE VIII.—MARPHURIUS, SGANARELLE.

MARPHURIUS.

Que voulez-vous de moi seigneur Sganarelle?

SGANARELLE.

Seigneur docteur, j'aurois besoin de votre conseil sur une petite affaire dont il s'agit, et je suis venu ici pour cela. (A part.) Ah! voilà qui va bien. Il écoute le monde, celui-ci.

MARPHURIUS.

Seigneur Sganarelle, changez, s'il vous plaît, cette façon de parler. Notre philosophie ordonne de ne point énoncer de proposition décisive, de parler de tout avec incertitude, de suspendre toujours son jugement; et, par cette raison, vous ne devez pas dire: Je suis venu, mais: Il me semble que je suis venu.

SGANARELLE.

Il me semble?

MARPHURIUS.

Oui.

SGANARELLE.

Parbleu! il faut bien qu'il me le semble, puisque cela est.

MARPHURIUS.

Ce n'est pas une conséquence, et il peut vous le sembler sans que la chose soit véritable.

SGANARELLE.

Comment! il n'est pas vrai que je suis venu?

MARPHURIUS.

Cela est incertain, et nous devons douter de tout.

SGANARELLE.

Quoi! je ne suis pas ici, et vous ne me parlez pas?

MARPHURIUS.

Il m'apparoît que vous êtes là, et il me semble que je vous parle; mais il n'est pas assuré que cela soit.

SGANARELLE.

Eh! que diable! vous vous moquez. Me voilà et vous voilà bien nettement, et il n'y a point de me semble à tout cela. Laissons ces subtilités, je vous prie, et parlons de mon affaire. Je viens vous dire que j'ai envie de me marier.

MARPHURIUS.

Je n'en sais rien.

SGANARELLE.

Je vous le dis.

MARPHURIUS.

Il se peut faire.

SGANARELLE.

La fille que je veux prendre est fort jeune et fort belle.

MARPHURIUS.

Il n'est pas impossible.

SGANARELLE.

Ferai-je bien ou mal de l'épouser?

MARPHURIUS.

L'un ou l'autre.

SGANARELLE, à part.

Ah! ah! voici une autre musique. (A Marphurius.) Je vous demande si je ferai bien d'épouser la fille dont je vous parle.

MARPHURIUS.

Selon la rencontre.

SGANARELLE.

Ferai-je mal?

MARPHURIUS.

Par aventure.

SGANARELLE.

De grâce, répondez-moi comme il faut.

MARPHURIUS.

C'est mon dessein.

SGANARELLE.

J'ai une grande inclination pour la fille.

MARPHURIUS.

Cela peut être.

SGANARELLE.

Le père me l'a accordée.

MARPHURIUS.

Il se pourroit.

SGANARELLE.

Mais, en l'épousant, je crains d'être cocu.

MARPHURIUS.

La chose est faisable.

SGANARELLE.

Qu'en pensez-vous?

MARPHURIUS.

Il n'y a pas d'impossibilité.

SGANARELLE.

Mais que feriez-vous si vous étiez à ma place?

MARPHURIUS.

Je ne sais.

SGANARELLE.

Que me conseillez-vous de faire?

MARPHURIUS.

Ce qu'il vous plaira.

SGANARELLE.

J'enrage!

MARPHURIUS.

Je m'en lave les mains.

SGANARELLE.

Au diable soit le vieux rêveur!

MARPHURIUS.

Il en sera ce qu'il pourra.

SGANARELLE, à part.

La peste du bourreau! Je te ferai changer de note, chien de philosophe enragé!

Il donne des coups de bâton à Marphurius.

MARPHURIUS.

Ah! ah! ah!

SGANARELLE.

Te voilà payé de ton galimatias et me voilà content!

MARPHURIUS.

Comment! Quelle insolence! M'outrager de la sorte! Avoir eu l'insolence de battre un philosophe comme moi!

SGANARELLE.

Corrigez, s'il vous plaît, cette manière de parler. Il faut douter de toutes choses; et vous ne devez pas dire que je vous ai battu, mais qu'il me semble que je vous ai battu.

MARPHURIUS.

Ah! je m'en vais faire ma plainte au commissaire du quartier des coups que j'ai reçus.

SGANARELLE.

Je m'en lave les mains.

MARPHURIUS.

J'en ai les marques sur ma personne.

SGANARELLE.

Il se peut faire.

MARPHURIUS.

C'est toi qui m'as traité ainsi.

SGANARELLE.

Il n'y a pas d'impossibilité.

MARPHURIUS.

J'aurai un décret contre toi.

SGANARELLE.

Je n'en sais rien.

MARPHURIUS.

Et tu seras condamné en justice.

SGANARELLE.

Il en sera ce qu'il pourra.

MARPHURIUS.

Laisse-moi faire[224].

SCÈNE IX.—SGANARELLE.

Comment! on ne sauroit tirer une parole positive de ce chien d'homme-là, et l'on est aussi savant à la fin qu'au commencement. Que dois-je faire, dans l'incertitude des suites de mon mariage! Jamais homme ne fut plus embarrassé que je le suis. Ah! voici des Égyptiennes; il faut que je me fasse dire par elles ma bonne aventure.

SCÈNE X.—DEUX ÉGYPTIENNES, SGANARELLE.

Deux Égyptiennes avec leur tambour de basque entrent en chantant et en dansant.

SGANARELLE.

Elles sont gaillardes. Écoutez, vous autres. Y a-t-il moyen de me dire ma bonne fortune?

PREMIÈRE ÉGYPTIENNE.

Oui, mon bon monsieur; nous voici deux qui te la dirons.

DEUXIÈME ÉGYPTIENNE.

Tu n'as seulement qu'à nous donner ta main, avec la croix[225] dedans, et nous te dirons quelque chose pour ton profit.

SGANARELLE.

Tenez, les voilà toutes deux avec ce que vous demandez.

PREMIÈRE ÉGYPTIENNE.

Tu as une bonne physionomie, mon bon monsieur, une bonne physionomie.

DEUXIÈME ÉGYPTIENNE.

Oui, une bonne physionomie; physionomie d'un homme qui sera un jour quelque chose.

PREMIÈRE ÉGYPTIENNE.

Tu seras marié avant qu'il soit peu, mon bon monsieur, tu seras marié avant qu'il soit peu.

DEUXIÈME ÉGYPTIENNE.

Tu épouseras une femme gentille, une femme gentille.

PREMIÈRE ÉGYPTIENNE.

Oui, une femme qui sera chérie et aimée de tout le monde.

DEUXIÈME ÉGYPTIENNE.

Une femme qui te fera beaucoup d'amis, mon bon monsieur, qui te fera beaucoup d'amis.

PREMIÈRE ÉGYPTIENNE.

Une femme qui fera venir l'abondance chez toi.

DEUXIÈME ÉGYPTIENNE.

Une femme qui te donnera une grande réputation.

PREMIÈRE ÉGYPTIENNE.

Tu seras considéré par elle, mon bon monsieur, tu seras considéré par elle.

SGANARELLE.

Voilà qui est bien. Mais dites-moi un peu, suis-je menacé d'être cocu?

DEUXIÈME ÉGYPTIENNE.

Cocu?

SGANARELLE.

Oui.

PREMIÈRE ÉGYPTIENNE.

Cocu?

SGANARELLE.

Oui, si je suis menacé d'être cocu?

Les deux Égyptiennes dansent et chantent.

SGANARELLE.

Que diable! ce n'est pas là me répondre! Venez çà. Je vous demande à toutes deux si je serai cocu?

DEUXIÈME ÉGYPTIENNE.

Cocu? vous?

SGANARELLE.

Oui, si je serai cocu?

PREMIÈRE ÉGYPTIENNE.

Vous? cocu?

SGANARELLE.

Oui, si je le serai ou non[226]?

Les deux Égyptiennes sortent en chantant et en dansant.

SCÈNE XI.—SGANARELLE.

Peste soit des carognes qui me laissent dans l'inquiétude! Il faut absolument que je sache la destinée de mon mariage; et, pour cela, je veux aller trouver ce grand magicien dont tout le monde parle tant, et qui, par son art admirable, fait voir tout ce que l'on souhaite. Ma foi, je crois que je n'ai que faire d'aller au magicien, et voici qui me montre tout ce que je puis demander.

SCÈNE XII.—DORIMÈNE, LYCASTE, SGANARELLE, retiré dans un coin du théâtre, sans être vu.

LYCASTE.

Quoi! belle Dorimène, c'est sans raillerie que vous parlez?

DORIMÈNE.

Sans raillerie.

LYCASTE.

Vous vous mariez tout de bon?

DORIMÈNE.

Tout de bon.

LYCASTE.

Et vos noces se feront dès ce soir?

DORIMÈNE.

Dès ce soir.

LYCASTE.

Et vous pouvez, cruelle que vous êtes, oublier de la sorte l'amour que j'ai pour vous, et les obligeantes paroles que vous m'avez données?

DORIMÈNE.

Moi? point du tout. Je vous considère toujours de même, et ce mariage ne doit point vous inquiéter; c'est un homme que je n'épouse point par amour, et sa seule richesse me fait résoudre à l'accepter. Je n'ai point de bien, vous n'en avez point aussi, et vous savez que sans cela on passe mal le temps au monde, et qu'à quelque prix que ce soit il faut tâcher d'en avoir. J'ai embrassé cette occasion-ci de me mettre à mon aise; et je l'ai fait sur l'espérance de me voir bientôt délivrée du barbon que je prends. C'est un homme qui mourra avant qu'il soit peu, et qui n'a tout au plus que six mois dans le ventre. Je vous le garantis défunt dans le temps que je dis; et je n'aurai pas longuement à demander pour moi au ciel l'heureux état de veuve. (A Sganarelle qu'elle aperçoit.) Ah! nous parlions de vous, et nous en disions tout le bien qu'on en sauroit dire.

LYCASTE.

Est-ce là monsieur?...

DORIMÈNE.

Oui, c'est monsieur qui me prend pour femme.

LYCASTE.

Agréez, monsieur, que je vous félicite de votre mariage, et vous présente en même temps mes très-humbles services: je vous assure que vous épousez là une très-honnête personne. Et vous, mademoiselle, je me réjouis avec vous aussi de l'heureux choix que vous avez fait: vous ne pouviez pas mieux trouver, et monsieur a toute la mine d'être un fort bon mari. Oui, monsieur, je veux faire amitié avec vous, et lier ensemble un petit commerce de visites et de divertissements.

DORIMÈNE.

C'est trop d'honneur que vous nous faites à tous deux. Mais allons, le temps me presse, et nous aurons tout le loisir de nous entretenir ensemble.

SCÈNE XIII.—SGANARELLE.

Me voilà tout à fait dégoûté de mon mariage; et je crois que je ne ferai pas mal de m'aller dégager de ma parole. Il m'en a coûté quelque argent; mais il vaut mieux encore perdre cela que de m'exposer à quelque chose de pis. Tâchons adroitement de nous débarrasser de cette affaire. Holà!

Il frappe à la porte de la maison d'Alcantor.

SCÈNE XIV.—ALCANTOR, SGANARELLE.

ALCANTOR.

Ah! mon gendre, soyez le bienvenu!

SGANARELLE.

Monsieur, votre serviteur.

ALCANTOR.

Vous venez pour conclure le mariage?

SGANARELLE.

Excusez-moi.

ALCANTOR.

Je vous promets que j'en ai autant d'impatience que vous.

SGANARELLE.

Je viens ici pour autre sujet.

ALCANTOR.

J'ai donné ordre à toutes les choses nécessaires pour cette fête.

SGANARELLE.

Il n'est pas question de cela.

ALCANTOR.

Les violons sont retenus, le festin est commandé, et ma fille est parée pour vous recevoir.

SGANARELLE.

Ce n'est pas ce qui m'amène.

ALCANTOR.

Enfin, vous allez être satisfait; et rien ne peut retarder votre contentement.

SGANARELLE.

Mon Dieu! c'est autre chose.

ALCANTOR.

Allons, entrez donc, mon gendre.

SGANARELLE.

J'ai un petit mot à vous dire.

ALCANTOR.

Ah! mon Dieu, ne faisons point de cérémonie! Entrez vite, s'il vous plaît.

SGANARELLE.

Non, vous dis-je. Je veux vous parler auparavant.

ALCANTOR.

Vous voulez me dire quelque chose?

SGANARELLE.

Oui.

ALCANTOR.

Et quoi?

SGANARELLE.

Seigneur Alcantor, j'ai demandé votre fille en mariage, il est vrai, et vous me l'avez accordée; mais je me trouve un peu avancé en âge pour elle, et je considère que je ne suis point du tout son fait.

ALCANTOR.

Pardonnez-moi, ma fille vous trouve bien comme vous êtes; et je suis sûr qu'elle vivra fort contente avec vous.

SGANARELLE.

Point. J'ai parfois des bizarreries épouvantables, et elle auroit trop à souffrir de ma mauvaise humeur.

ALCANTOR.

Ma fille a de la complaisance, et vous verrez qu'elle s'accommodera entièrement à vous.

SGANARELLE.

J'ai quelques infirmités sur mon corps qui pourroient la dégoûter.

ALCANTOR.

Cela n'est rien. Une honnête femme ne se dégoûte jamais de son mari.

SGANARELLE.

Enfin, voulez-vous que je vous dise? Je ne vous conseille pas de me la donner.

ALCANTOR.

Vous moquez-vous? J'aimerois mieux mourir que d'avoir manqué à ma parole.

SGANARELLE.

Mon Dieu, je vous en dispense, et je...

ALCANTOR.

Point du tout. Je vous l'ai promise; et vous l'aurez, en dépit de tous ceux qui y prétendent.

SGANARELLE, à part.

Que diable!

ALCANTOR.

Voyez-vous, j'ai une estime et une amitié pour vous toute particulière; et je refuserois ma fille à un prince pour vous la donner.

SGANARELLE.

Seigneur Alcantor, je vous suis obligé de l'honneur que vous me faites; mais je vous déclare que je ne me veux point marier.

ALCANTOR.

Qui, vous?

SGANARELLE.

Oui, moi.

ALCANTOR.

Et la raison?

SGANARELLE.

La raison? C'est que je ne me sens point propre pour le mariage, et que je veux imiter mon père, et tous ceux de ma race, qui ne se sont jamais voulu marier.

ALCANTOR.

Ecoutez. Les volontés sont libres; et je suis homme à ne contraindre jamais personne. Vous vous êtes engagé avec moi pour épouser ma fille, et tout est préparé pour cela; mais, puisque vous voulez retirer votre parole, je vais voir ce qu'il y a à faire; et vous aurez bientôt de mes nouvelles.

SCÈNE XV.—SGANARELLE.

Encore est-il plus raisonnable que je ne pensois, et je croyais avoir bien plus de peine à m'en dégager. Ma foi, quand j'y songe, j'ai fait fort sagement de me tirer de cette affaire, et j'allois faire un pas dont je me serois peut-être longtemps repenti. Mais voici le fils qui me vient rendre réponse.

SCÈNE XVI.—ALCIDAS, SGANARELLE.

ALCIDAS, parlant d'un ton doucereux.

Monsieur, je suis votre serviteur très-humble.

SGANARELLE.

Monsieur, je suis le vôtre de tout mon cœur.

ALCIDAS, toujours avec le même ton.

Mon père m'a dit, monsieur, que vous vous étiez venu dégager de la parole que vous aviez donnée.

SGANARELLE.

Oui, monsieur, c'est avec regret; mais...

ALCIDAS.

Oh! monsieur, il n'y a pas de mal à cela.

SGANARELLE.

J'en suis fâché, je vous assure; et je souhaiterois...

ALCIDAS.

Cela n'est rien, vous dis-je. (Alcidas présente à Sganarelle deux épées.) Monsieur, prenez la peine de choisir, de ces deux épées, laquelle vous voulez.

SGANARELLE.

De ces deux épées?

ALCIDAS.

Oui, s'il vous plaît.

SGANARELLE.

A quoi bon?

ALCIDAS.

Monsieur, comme vous refusez d'épouser ma sœur après la parole donnée, je crois que vous ne trouverez pas mauvais le petit compliment que je viens vous faire.

SGANARELLE.

Comment?

ALCIDAS.

D'autres gens feroient du bruit, et s'emporteroient contre vous; mais nous sommes personnes à traiter les choses dans la douceur; et je viens vous dire civilement qu'il faut, si vous le trouvez bon, que nous nous coupions la gorge ensemble.

SGANARELLE.

Voilà un compliment fort mal tourné.

ALCIDAS.

Allons, monsieur, choisissez, je vous prie.

SGANARELLE.

Je suis votre valet, je n'ai point de gorge à me couper. (A part.) La vilaine façon de parler que voilà!

ALCIDAS.

Monsieur, il faut que cela soit, s'il vous plaît.

SGANARELLE.

Eh! monsieur, rengaînez ce compliment, je vous prie.

ALCIDAS.

Dépêchons vite, monsieur, j'ai une petite affaire qui m'attend.

SGANARELLE.

Je ne veux point de cela, vous dis-je.

ALCIDAS.

Vous ne voulez pas vous battre?

SGANARELLE.

Nenni, ma foi.

ALCIDAS.

Tout de bon?

SGANARELLE.

Tout de bon.

ALCIDAS, après lui avoir donné des coups de bâton.

Au moins, monsieur, vous n'avez pas lieu de vous plaindre; vous voyez que je fais les choses dans l'ordre. Vous nous manquez de parole, je me veux battre contre vous; vous refusez de vous battre, je vous donne des coups de bâton: tout cela est dans les formes; et vous êtes trop honnête homme pour ne pas approuver mon procédé.

SGANARELLE, à part.

Quel diable d'homme est-ce ci?

ALCIDAS, lui présente encore les deux épées.

Allons, monsieur, faites les choses galamment, et sans vous faire tirer l'oreille.

SGANARELLE.

Encore!

ALCIDAS.

Monsieur, je ne contrains personne; mais il faut que vous vous battiez, ou que vous épousiez ma sœur.

SGANARELLE.

Monsieur, je ne puis faire ni l'un ni l'autre, je vous assure.

ALCIDAS.

Assurément?

SGANARELLE.

Assurément.

ALCIDAS.

Avec votre permission donc...

Alcidas lui donne encore des coups de bâton.

SGANARELLE.

Ah! ah! ah!

ALCIDAS.

Monsieur, j'ai tous les regrets du monde d'être obligé d'en user ainsi avec vous; mais je ne cesserai point, s'il vous plaît, que vous n'ayez promis de vous battre, ou d'épouser ma sœur.

Alcidas lève le bâton.

SGANARELLE.

Eh bien, j'épouserai, j'épouserai.

ALCIDAS.

Ah! monsieur, je suis ravi que vous vous mettiez à la raison, et que les choses se passent doucement. Car enfin vous êtes l'homme du monde que j'estime le plus, je vous jure; et j'aurois été au désespoir que vous m'eussiez contraint à vous maltraiter. Je vais appeler mon père, pour lui dire que tout est d'accord.

Il va frapper à la porte d'Alcantor.

SCÈNE XVII.—ALCANTOR, DORIMÈNE, ALCIDAS, SGANARELLE.

ALCIDAS.

Mon père, voilà monsieur qui est tout à fait raisonnable. Il a voulu faire les choses de bonne grâce, et vous pouvez lui donner ma sœur.

ALCANTOR.

Monsieur, voilà sa main, vous n'avez qu'à donner la vôtre. Loué soit le ciel! m'en voilà déchargé, et c'est vous désormais que regarde le soin de sa conduite. Allons nous réjouir, et célébrer cet heureux mariage.

FIN DU MARIAGE FORCÉ.


LE MARIAGE FORCÉ
BALLET DU ROI

Dansé par Sa Majesté, le 29e jour de janvier 1664.


PERSONNAGES ACTEURS
SGANARELLE. Molière.
GÉRONIMO. La Thorillière.
DORIMÈNE. Mlle Duparc.
ALCANTOR. Béjart.
LYCANTE[227]. La Grange.
Première Bohémienne. Mlle Béjart.
Seconde Bohémienne. Mlle Debrie.
Premier Docteur. Brécourt.
Second Docteur. La Grange.

ARGUMENT

Comme il n'y a rien au monde qui soit si commun que le mariage, et que c'est une chose sur laquelle les hommes ordinairement se tournent le plus en ridicule, il n'est pas merveilleux que ce soit toujours la matière de la plupart des comédies aussi bien que des ballets, qui sont des comédies muettes; et c'est par là qu'on a pris l'idée de cette comédie-mascarade.


ACTE PREMIER

SCÈNE I.

Sganarelle demande conseil au seigneur Géronimo s'il se doit marier ou non: cet ami lui dit franchement que le mariage n'est guère le fait d'un homme de cinquante ans; mais Sganarelle lui répond qu'il est résolu au mariage; et l'autre, voyant cette extravagance de demander conseil après une résolution prise, lui conseille hautement de se marier, et le quitte en riant.

SCÈNE II.

La maîtresse de Sganarelle arrive, qui lui dit qu'elle est ravie de se marier avec lui, pour pouvoir sortir promptement de la sujétion de son père, et avoir désormais toutes ses coudées franches; et là-dessus elle lui conte la manière dont elle prétend vivre avec lui, qui sera proprement la naïve peinture d'une coquette achevée. Sganarelle reste seul, assez étonné; il se plaint, après ce discours, d'une pesanteur de tête épouvantable; et, se mettant en un coin du théâtre pour dormir, il voit en songe une femme représentée par mademoiselle Hilaire, qui chante ce récit:

RÉCIT DE LA BEAUTÉ

Si l'amour vous soumet à ses lois inhumaines,
Choisissez, en amant, un objet plein d'appas;
Portez au moins de belles chaînes;
Et, puisqu'il faut mourir, mourez d'un beau trépas.
Si l'objet de vos feux ne mérite vos peines,
Sous l'empire d'Amour ne vous engagez pas:
Portez au moins de belles chaînes;
Et, puisqu'il faut mourir, mourez d'un beau trépas.

PREMIÈRE ENTRÉE.

LA JALOUSIE, LES CHAGRINS ET LES SOUPÇONS

La Jalousie, le sieur Dolivet.
Les Chagrins, les sieurs Saint-André et Desbrosses.
Les Soupçons, les sieurs de Lorge et le Chantre.

DEUXIÈME ENTRÉE.

QUATRE PLAISANS OU GOGUENARDS

Le comte d'Armagnac, MM. d'Heureux, Beauchamp et Des-Airs le jeune.

ACTE II

SCÈNE I.

Le seigneur Géronimo éveille Sganarelle, qui lui veut conter le songe qu'il vient de faire; mais il lui répond qu'il n'entend rien aux songes, et que, sur le sujet du mariage, il peut consulter deux savants qui sont connus de lui, dont l'un suit la philosophie d'Aristote, et l'autre est pyrrhonien.

SCÈNE II.

Il trouve le premier, qui l'étourdit de son caquet et ne le laisse point parler; ce qui l'oblige à le maltraiter.

SCÈNE III.

Ensuite il rencontre l'autre, qui ne lui répond, suivant sa doctrine, qu'en termes qui ne décident rien; il le chasse avec colère, et là-dessus arrivent deux Égyptiens et quatre Égyptiennes.

TROISIÈME ENTRÉE.

DEUX ÉGYPTIENS, QUATRE ÉGYPTIENNES

Deux Égyptiens, le ROI, le marquis de Villeroy.
Égyptiennes, le marquis de Rassan, les sieurs Raynal, Noblet et la Pierre.

Il prend fantaisie à Sganarelle de se faire dire sa bonne aventure, et, rencontrant deux bohémiennes, il leur demande s'il sera heureux en son mariage: pour réponse, elles se mettent à danser en se moquant de lui, ce qui l'oblige d'aller trouver un magicien.

RÉCIT D'UN MAGICIEN
CHANTÉ PAR M. DESTIVAL

Holà!
Qui va là?
Dis-moi vite quel souci
Te peut amener ici.

Mariage.[228]

Ce sont de grands mystères
Que ces sortes d'affaires.

Destinée.

Je te vais, pour cela, par mes charmes profonds,
Faire venir quatre démons.

Ces gens-là.

Non, non, n'ayez aucune peur.
Je leur ôterai la laideur.

N'effrayez pas.

Des puissances invincibles
Rendent depuis longtemps tous les démons muets
Mais par signes intelligibles
Ils répondront à tes souhaits.

QUATRIÈME ENTRÉE

UN MAGICIEN, qui fait sortir QUATRE DÉMONS

Le magicien, M. Beauchamp.
Quatre démons, MM. d'Heureux, de Lorge, Des-Airs l'aîné et le Mercier.

Sganarelle les interroge; ils répondent par signes, et sortent en lui faisant les cornes.

ACTE III

SCÈNE I.

Sganarelle, effrayé de ce présage, veut s'aller dégager au père, qui, ayant ouï la proposition, lui répond qu'il n'a rien à lui dire, et qu'il lui va tout à l'heure envoyer sa réponse.

SCÈNE II.

Cette réponse est un brave doucereux, son fils, qui vient avec civilité à Sganarelle, et lui fait un petit compliment pour se couper la gorge ensemble. Sganarelle l'ayant refusé, il lui donne quelques coups de bâton, le plus civilement du monde; et ces coups de bâton le portent à demeurer d'accord d'épouser la fille.

SCÈNE III.

Sganarelle touche les mains à la fille.

CINQUIÈME ENTRÉE

Un maître à danser, représenté par M. Dolivet, qui vient enseigner une courante à Sganarelle.

SCÈNE IV.

Le seigneur Géronimo vient se réjouir avec son ami, et lui dit que les jeunes gens de la ville ont préparé une mascarade pour honorer ses noces.

CONCERT ESPAGNOL
CHANTÉ PAR LA SIGNORA ANNA BERGEROTTI[229], DORDIGONI, CHIARINI, JON AGUSTIN, TAILLAVACA[230], ANGELO MICHAEL.

Ciego me tienes, Belisa;
Mas bien tus rigores véo,
Porques tu desden tan claro,
Que pueden verle los ciegos;
Aunque mi amor es tan grande,
Como mi dolor no es menos,
Si calla el uno dormido,
Sé que ya és el otro despierto.
Favores tuyos, Bélisa,
Tuvieralos yo secretos;
Mas ya de doloros mios
No puedo hacer lo que quiero[231]!

SIXIÈME ENTRÉE.

DEUX ESPAGNOLS et DEUX ESPAGNOLES

Espagnols, MM. du Pille et Tartas.
Espagnoles, Mes. de la Lanne et de Saint-André.

SEPTIÈME ENTRÉE.

UN CHARIVARI GROTESQUE.

M. Lulli, les sieurs Balthazar, Vagnac, Bonnard, la Pierre, Descousteaux, et les trois Opterres, frères.

HUITIÈME ET DERNIÈRE ENTRÉE.

QUATRE GALANTS, cajolant la femme de Sganarelle.
M. le Duc, M. le duc de Saint-Aignan, MM. Beauchamp et Raynal.

FIN DU BALLET DU MARIAGE FORCÉ.


LA PRINCESSE D'ÉLIDE

COMÉDIE-BALLET

REPRÉSENTÉE A VERSAILLES LE 10 MAI 1664, ET A PARIS, SUR LE THEATRE DU PALAIS-ROYAL, LE 10 NOVEMBRE 1664.

Une pension de mille livres avait récompensé le fils du tapissier, qui avait soupé avec le roi. «On lui donnoit autant qu'à l'abbé de Pure; moins qu'à Conrart, qui avoit quinze cents livres; moins qu'à Cotin, qui en avoit douze cents; moins qu'à Godefroy, qui en touchoit trois mille six cents, et au sublime Chapelain, qui en touchoit trois mille comme le plus grand poëte qui eût jamais existé.»

Bercé par le cours de cette faveur, il écrivit de commande et très-rapidement la Critique de l'École des Femmes, l'Impromptu de Versailles, le Mariage forcé et la Princesse d'Élide, ébauche improvisée d'après l'Espagnol Moreto et destinée à embellir ces merveilleuses fêtes de Versailles, fêtes qui durèrent sept jours et qui passent pour un hommage secret rendu à mademoiselle de la Vallière.

Molière n'eut que le temps de versifier le premier acte; le reste est en prose; M. Viardot a raison d'affirmer que la pièce espagnole de Moreto (el Desden con el desden) vaut beaucoup mieux que l'imitation de Molière. Notre grand comique n'a pas besoin qu'on le loue aux dépens de la vérité. La donnée espagnole, toute méridionale, chère à Guarini et à l'Arioste, reprise en sous-œuvre par Marivaux dans toutes ses comédies, n'est autre chose que la Surprise de l'amour. On ne veut pas s'aimer, on se dédaigne, la guerre commence, elle fait naître l'attention, les vanités se piquent, les cœurs s'éveillent, la passion naît de l'amour-propre ou de la fierté. Un tel sujet, qui touche à ce que le cœur humain a de plus délicat et de plus imprévu, demande une légèreté presque enfantine et une certaine indulgence aimable pour l'inconstante faiblesse du cœur, dons inférieurs peut-être qui ne s'accordent guère avec l'esprit philosophique et la sérieuse tristesse de notre comique. Shakspeare, dans deux ou trois de ses drames, avait esquissé avec une merveilleuse grâce ces caprices bizarres, cette guerre cachée d'un sexe contre l'autre, guerre pleine de contradictions et d'embûches. On connaît sa Béatrice, qui dépense tant d'esprit à rebuter un spirituel amant et qui finit par l'adorer. On se rappelle l'idylle amoureuse et satirique d'As you like it, où les jeux de cette passion fantasque sont parodiés par le paysan Pierre-de-Touche (Touchstone) et sa grossière maîtresse, ainsi que la féerie ravissante du Rêve d'une Nuit d'été.

Molière qui, malgré sa tendresse et sa bonté, ne réussissait guère dans les amoureux caprices, traita ce sujet avec un mélange de gravité élégante et de raillerie populaire, et ne réussit pas. La libre héroïne que Moreto avait créée disparut dans l'œuvre française et fit place à une personne de bon ton qui garde les convenances. Ce ne fut plus la femme castillane, cœur orgueilleux, esprit résolu, en révolte contre le dédain et contre sa propre passion, femme qui, poussée dans ses derniers retranchements, finit par dire à celui qu'elle a choisi: «Tu m'as dédaignée; c'est toi que j'aime.»—«Quel défaut de dignité! se sont écriés les commentateurs, et combien Moreto se montre incivil et peu raisonnable!» Ils oublient que la passion est folle, et que c'est se tromper de la faire raisonnable.

Voilà le défaut de l'œuvre de Molière: elle traite savamment un sujet fantasque. Mais la tendance didactique était universelle sous Louis XIV. Loret, le frivole journaliste, après avoir vu la Princesse d'Élide, croit louer Molière lorsqu'il dit:


«Cette pièce si singulière
»Est de la façon de Molière,
»Dont l'esprit, doublement docteur,
»Est aussi bien auteur qu'acteur.»

Surintendant et directeur dramatique de ces splendides amusements, il fit représenter, le 8 mai, sur un vaste théâtre construit au fond d'une allée, sa Princesse d'Élide; le 11 mai, les Fâcheux; le 13, les trois premiers actes de son Tartuffe; car sa prodigieuse activité était telle et son énergie si puissante, que, forcé à créer des ébauches et à fournir des improvisations dangereuses pour son talent, il avait déjà créé le plan du Misanthrope et lu à ses intimes les cinq actes ébauchés et presque achevés du Tartuffe.

Ces deux grandes structures s'élevaient sous cette même main qui prodiguait les esquisses et obéissait aux volontés du prince. La Princesse d'Élide était son devoir, le Tartuffe était son but.

De son nouvel ouvrage, l'artiste Molière avait fait un opéra espagnol, dans le genre des Loas de Calderon. Déjà la dernière scène du Mariage forcé avait fait entendre un quintette espagnol; ici, par une délicate flatterie adressée aux deux reines, Espagnoles l'une et l'autre, tout, jusqu'au rôle du Gracioso Moron, que Molière s'attribue, est emprunté à la péninsule ibérique.

Moron est un Sancho Pança d'une naïveté piquante et brutale. Il faut voir dans une gravure de l'époque Molière ou Moron, le poing sur la hanche, les reins ceints du tablier, le front orné du casque de sa profession, former un parfait contraste avec les seigneurs et les princes qui l'environnent. A quelques pas de lui, au milieu de la scène, brille et triomphe la belle Armande sa femme, les épaules découvertes, le sein nu, chargée de diamants, le diadème au front, suivie du page qui soutient les plis de sa robe. L'éclat nouveau dont elle brilla dans ce rôle important paraît avoir accru le nombre de ses conquêtes et donné une impulsion nouvelle et plus vive à cette existence de plaisirs et de galanterie qui désolait Molière. S'il fallait en croire le roman intitulé la Fameuse Comédienne ou Histoire de la Guérin, œuvre grossière et licencieuse publiée vingt-quatre ans plus tard, en 1688, par une compagne d'Armande ou par un des pamphlétaires ou romanciers de bas étage, qui inondaient la foire de Francfort et la Hollande de contes satiriques et de commérages graveleux, les premières erreurs de la femme de Molière auraient eu pour point de départ le grand succès obtenu par elle dans la Princesse d'Élide. M. Bazin, dans ses excellentes notes sur Molière, fait très-bien observer que tous les récits recueillis par l'auteur de ce pitoyable livre sont indignes de croyance, et que l'accusation immonde jetée contre Molière par l'auteur, à propos du jeune Baron, détruit à elle seule les autres parties du roman. Si Armande eut tour à tour pour adorateurs le comte de Guiche, qu'elle accueillit par dépit, l'abbé de Richelieu, par amour, et Lauzun, par intérêt, ce ne put pas être immédiatement après les Plaisirs de l'île enchantée, puisque deux de ces personnages partirent pour la Hongrie et pour la Pologne à l'époque même dont il est question. Les malheurs de Molière remontaient plus haut. Il avait élevé cette jeune fille dont il avait fait sa femme, et, comme il le dit dans une de ses pièces, essayant de réparer par des soins l'inégalité d'âge, il lui avait laissé prendre une grande liberté d'action, sans lui faire des crimes des moindres libertés. Les scrupules d'Armande, si elle en a jamais eu, ont dû être fort rassurés par la doctrine exposée dans l'École des Femmes, dans l'École des Maris, et plus encore par les exemples peu sévères de Molière lui-même, et son double Ménage entre Madeleine Béjart et mademoiselle Debrie. Lorsque, ensuite, depuis 1662, toutes les séductions de la cour, au milieu de laquelle Molière vivait avec honneur et avec modestie, vinrent enivrer cette âme légère et cet esprit ambitieux, tout fut dit: Molière n'eut désormais qu'à observer sur le vif et à dépeindre son propre supplice.


PERSONNAGES
L'AURORE.
LYCISCAS, valet de chiens.
Trois Valets de chiens chantans.
Valets de chiens dansans.
PERSONNAGES ACTEURS
LA PRINCESSE D'ÉLIDE. Arm. Béjart.
AGLANTE, cousine de la princesse. Mlle Duparc.
CYNTHIE, cousine de la princesse. Mlle Debrie.
PHILIS, suivante de la princesse. Mad. Béjart.
IPHITAS, père de la princesse. Hubert.
EURYALE, prince d'Ithaque. La Grange.
ARISTOMÈNE, prince de Messène. Du Croisy.
THÉOCLE, prince de Pyle. Béjart.
ARBATE, gouverneur du prince d'Ithaque. La Thorillière.
MORON, plaisant de la princesse. Molière.
LYCAS, suivant d'Iphitas. Prévot.
PERSONNAGES DES INTERMÈDES
PREMIER INTERMÈDE.
MORON.
Chasseurs dansans.
DEUXIÈME INTERMÈDE.
PHILIS.
MORON.
Un Satyre chantant.
Satyres dansans.
TROISIÈME INTERMÈDE.
PHILIS.
TIRCIS, berger chantant.
MORON.
QUATRIÈME INTERMÈDE.
LA PRINCESSE.
PHILIS.
CLIMÈNE.
CINQUIÈME INTERMÈDE.
Bergers et Bergères chantans.
Bergers et Bergères dansans.
La scène est en Élide.

PROLOGUE

SCÈNE I.—L'AURORE, LYCISCAS, ET PLUSIEURS AUTRES VALETS DE CHIENS, endormis et couchés sur l'herbe.

L'AURORE chante.

Quand l'amour à vos yeux offre un choix agréable
Jeunes beautés, laissez-vous enflammer;
Moquez-vous d'affecter cet orgueil indomptable,
Dont on vous dit qu'il est beau de s'armer;
Dans l'âge où l'on est aimable,
Rien n'est si beau que d'aimer.
Soupirez librement pour un amant fidèle,
Et bravez ceux qui voudroient vous blâmer.
Un cœur tendre est aimable, et le nom de cruelle
N'est pas un nom à se faire estimer;
Dans le temps où l'on est belle,
Rien n'est si beau que d'aimer.

SCÈNE II.—LYCISCAS, ET AUTRES VALETS DE CHIENS, endormis.

TROIS VALETS DE CHIENS, réveillés par l'Aurore, chantent ensemble.

Holà! holà! Debout, debout, debout.
Pour la chasse ordonnée il faut préparer tout;
Holà! ho! debout, vite debout.

PREMIER.

Jusqu'aux plus sombres lieux le jour se communique.

DEUXIÈME.

L'air sur les fleurs en perles se résout.

TROISIÈME.

Les rossignols commencent leur musique,
Et leurs petits concerts retentissent partout.

TOUS TROIS ENSEMBLE.

Sus, sus, debout, vite debout.
A Lyciscas, endormi.
Qu'est ceci, Lyciscas? Quoi! tu ronfles encore,
Toi qui promettois tant de devancer l'aurore!
Allons, debout, vite debout.
Pour la chasse ordonnée il faut préparer tout.
Debout, vite debout, dépêchons, debout.

LYCISCAS, en s'éveillant.

Par la morbleu! vous êtes de grands braillards, vous autres, et vous avez la gueule ouverte de bon matin!

TOUS TROIS ENSEMBLE.

Ne vois-tu pas le jour qui se répand partout?
Allons, debout, Lyciscas, debout.

LYCISCAS.

Eh! laissez-moi dormir encore un peu, je vous conjure.

TOUS TROIS ENSEMBLE.

Non, non, debout, Lyciscas, debout!

LYCISCAS.

Je ne vous demande plus qu'un petit quart d'heure.

TOUS TROIS ENSEMBLE.

Point, point, debout, vite debout.

LYCISCAS.

Eh! je vous prie.

TOUS TROIS ENSEMBLE.

Debout.

LYCISCAS.

Un moment.

TOUS TROIS ENSEMBLE.

Debout.

LYCISCAS.

De grâce.

TOUS TROIS ENSEMBLE.

Debout.

LYCISCAS.

Eh!

TOUS TROIS ENSEMBLE.

Debout.

LYCISCAS.

Je...

TOUS TROIS ENSEMBLE.

Debout.

LYCISCAS.

J'aurai fait incontinent.

TOUS TROIS ENSEMBLE.

Non, non, debout, Lyciscas, debout.
Pour la chasse ordonnée il faut préparer tout.
Vite debout, dépêchons, debout!

LYCISCAS.

Eh bien, laissez-moi, je vais me lever. Vous êtes d'étranges gens de me tourmenter comme cela! Vous serez cause que je ne me porterai pas bien de toute la journée; car voyez-vous, le sommeil est nécessaire à l'homme; et, lorsqu'on ne dort pas sa réfection, il arrive... que... on n'est...

Il se rendort.

PREMIER.

Lyciscas.

DEUXIÈME.

Lyciscas.

TROISIÈME.

Lyciscas.

TOUS TROIS ENSEMBLE.

Lyciscas.

LYCISCAS.

Diables soient des brailleurs! Je voudrois que vous eussiez la gueule pleine de bouillie bien chaude!

TOUS TROIS ENSEMBLE.

Debout, debout;
Vite, debout, dépêchons, debout!

LYCISCAS.

Ah! quelle fatigue de ne pas dormir son soûl!

PREMIER.

Holà! ho!

DEUXIÈME.

Holà! ho!

TROISIÈME.

Holà! ho!

TOUS TROIS ENSEMBLE.

Ho! ho! ho! ho! ho!

LYCISCAS.

Ho! ho! La peste soit des gens avec leurs chiens de hurlemens! Je me donne au diable si je ne vous assomme! Mais voyez un peu quel diable d'enthousiasme il leur prend de me venir chanter aux oreilles comme cela. Je...

TOUS TROIS ENSEMBLE.

Debout.

LYCISCAS.

Encore!

TOUS TROIS ENSEMBLE.

Debout.

LYCISCAS.

Le diable vous emporte!

TOUS TROIS ENSEMBLE.

Debout.

LYCISCAS, en se levant.

Quoi! toujours? A-t-on jamais vu une pareille furie de chanter? Par la sambleu! j'enrage. Puisque me voilà éveillé, il faut que j'éveille les autres, et que je les tourmente comme on m'a fait. Allons, ho! messieurs, debout, debout, vite! c'est trop dormir. Je vais faire un bruit de diable partout. (Il crie de toute sa force.) Debout! debout! debout! Allons vite, ho! ho! ho! debout! debout! Pour la chasse ordonnée, il faut préparer tout: debout! debout! Lyciscas, debout! Ho! ho! ho! ho! ho!

Plusieurs cors et trompes de chasse se font entendre: les valets de chiens que Lyciscas a réveillés dansent une entrée; ils reprennent le son de leurs cors et trompes à certaines cadences.


ACTE PREMIER

SCÈNE I.—EURYALE, ARBATE.

ARBATE.

Ce silence rêveur, dont la sombre habitude
Vous fait à tous momens chercher la solitude;
Ces longs soupirs que laisse échapper votre cœur,
Et ces fixes regards si chargés de langueur,
Disent beaucoup, sans doute, à des gens de mon âge;
Et, je pense, seigneur, entendre ce langage;
Mais, sans votre congé, de peur de trop risquer,
Je n'ose m'enhardir jusques à l'expliquer.

EURYALE.

Explique, explique, Arbate, avec toute licence
Ces soupirs, ces regards, et ce morne silence.
Je te permets ici de dire que l'Amour
M'a rangé sous ses lois, et me brave à son tour;
Et je consens encore que tu me fasses honte
Des foiblesses d'un cœur qui souffre qu'on le dompte.

ARBATE.

Moi, vous blâmer, seigneur, des tendres mouvemens
Où je vois qu'aujourd'hui penchent vos sentimens!
Le chagrin des vieux jours ne peut aigrir mon âme
Contre les doux transports de l'amoureuse flamme;
Et, bien que mon sort touche à ses derniers soleils,
Je dirai que l'amour sied bien à vos pareils;
Que ce tribut qu'on rend aux traits d'un beau visage
De la beauté d'une âme est un clair témoignage,
Et qu'il est malaisé que, sans être amoureux,
Un jeune prince soit et grand et généreux.
C'est une qualité que j'aime en un monarque;
La tendresse du cœur est une grande marque
Que d'un prince à votre âge on peut tout présumer,
Dès qu'on voit que son âme est capable d'aimer.
Oui, cette passion, de toutes la plus belle,
Traîne dans un esprit cent vertus après elle;
Aux nobles actions elle pousse les cœurs,
Et tous les grands héros ont senti ses ardeurs.
Devant mes yeux, seigneur, a passé votre enfance,
Et j'ai de vos vertus vu fleurir l'espérance;
Mes regards observoient en vous des qualités
Où je reconnoissois le sang dont vous sortez;
J'y découvrois un fond d'esprit et de lumière;
Je vous trouvois bien fait, l'air grand, et l'âme fière;
Votre cœur, votre adresse, éclatoient chaque jour,
Mais je m'inquiétois de ne voir point d'amour;
Et, puisque les langueurs d'une plaie invincible
Nous montrent que votre âme à ses traits est sensible,
Je triomphe, et mon cœur d'allégresse rempli,
Vous regarde à présent comme un prince accompli.

EURYALE.

Si de l'amour un temps j'ai bravé la puissance,
Hélas, mon cher Arbate, il en prend bien vengeance!
Et, sachant dans quels maux mon cœur s'est abîmé
Toi-même tu voudrois qu'il n'eût jamais aimé.
Car enfin, vois le sort où mon astre me guide:
J'aime, j'aime ardemment la princesse d'Élide;
Et tu sais que l'orgueil, sous des traits si charmants
Arme contre l'amour ses jeunes sentimens,
Et comment elle fuit en cette illustre fête
Cette foule d'amans qui briguent sa conquête
Ah! qu'il est bien peu vrai que ce qu'on doit aimer,
Aussitôt qu'on le voit, prend droit de nous charmer,
Et qu'un premier coup d'œil allume en nous les flammes
Où le ciel, en naissant, a destiné nos âmes!
A mon retour d'Argos, je passai dans ces lieux,
Et ce passage offrit la princesse à mes yeux;
Je vis tous les appas dont elle est revêtue,
Mais de l'œil dont on voit une belle statue.
Leur brillante jeunesse, observée à loisir,
Ne porta dans mon âme aucun secret désir,
Et d'Ithaque en repos je revis le rivage,
Sans m'en être en deux ans rappelé nulle image.
Un bruit vient cependant à répandre à ma cour
Le célèbre mépris qu'elle fait de l'amour;
On publie en tous lieux que son âme hautaine
Garde pour l'hyménée une invincible haine,
Et qu'un arc à la main, sur l'épaule un carquois,
Comme une autre Diane elle hante les bois,
N'aime rien que la chasse, et de toute la Grèce
Fait soupirer en vain l'héroïque jeunesse.
Admire nos esprits, et la fatalité!
Ce que n'avoient point fait sa vue et sa beauté,
Le bruit de ses fiertés en mon âme fit naître
Un transport inconnu dont je ne fus point maître:
Ce dédain si fameux eut des charmes secrets
A[232] me faire avec soin rappeler tous ses traits;
Et mon esprit, jetant de nouveaux yeux sur elle,
M'en refit une image et si noble et si belle,
Me peignit tant de gloire et de telles douceurs
A pouvoir triompher de toutes ses froideurs,
Que mon cœur, aux brillans d'une telle victoire,
Vit de sa liberté s'évanouir la gloire:
Contre une telle amorce il eut beau s'indigner,
Sa douceur sur mes sens prit tel droit de régner,
Qu'entraîné par l'effort d'une occulte puissance,
J'ai d'Ithaque en ces lieux fait voile en diligence
Et je couvre un effet de mes vœux enflammés[233]
Du désir de paroître à ces jeux renommés,
Où l'illustre Iphitas, père de la princesse,
Assemble la plupart des princes de la Grèce.

ARBATE.

Mais à quoi bon, seigneur, les soins que vous prenez?
Et pourquoi ce secret où vous vous obstinez?
Vous aimez, dites-vous, cette illustre princesse,
Et venez à ses yeux signaler votre adresse;
Et nuls empressemens, paroles, ni soupirs,
Ne l'ont instruite encor de vos brûlans désirs?
Pour moi je n'entends rien à cette politique
Qui ne veut point souffrir que votre cœur s'explique;
Et je ne sais quel fruit peut prétendre un amour
Qui fuit tous les moyens de se produire au jour.

EURYALE.

Et que ferais-je, Arbate, en déclarant ma peine,
Qu'attirer les dédains de cette âme hautaine,
Et me jeter au rang de ces princes soumis,
Que le titre d'amant lui peint en ennemis?
Tu vois les souverains de Messène et de Pyle
Lui faire de leurs cœurs un hommage inutile,
Et de l'éclat pompeux des plus grandes vertus
En appuyer en vain les respects assidus:
Ce rebut de leurs soins, sous un triste silence,
Retient de mon amour toute la violence:
Je me tiens condamné dans ces rivaux fameux,
Et je lis mon arrêt au mépris qu'on fait d'eux.

ARBATE.

Et c'est dans ce mépris et dans cette humeur fière
Que votre âme à ses vœux doit voir plus de lumière,
Puisque le sort vous donne à conquérir un cœur
Que défend seulement une simple froideur,
Et qui n'oppose point à l'ardeur qui vous presse
De quelque attachement l'invincible tendresse
Un cœur préoccupé résiste puissamment;
Mais, quand une âme est libre, on la force aisément;
Et toute la fierté de son indifférence
N'a rien dont ne triomphe un peu de patience.
Ne lui cachez donc plus le pouvoir de ses yeux,
Faites de votre flamme un éclat glorieux:
Et, bien loin de trembler de l'exemple des autres,
Du rebut de leurs vœux fortifiez les vôtres.
Peut-être, pour toucher ses sévères appas,
Aurez-vous des secrets que ces princes n'ont pas;
Et, si de ses fiertés l'impérieux caprice
Ne vous fait éprouver un destin plus propice,
Au moins est-ce un bonheur en ces extrémités
Que de voir avec soi ses rivaux rebutés.

EURYALE.

J'aime à te voir presser cet aveu de ma flamme:
Combattant mes raisons, tu chatouilles mon âme;
Et, par ce que j'ai dit, je voulois pressentir
Si de ce que j'ai fait tu pourrois m'applaudir.
Car enfin puisqu'il faut t'en faire confidence,
On doit à la princesse expliquer mon silence;
Et peut-être, au moment, que je t'en parle ici,
Le secret de mon cœur, Arbate, est éclairci.
Cette chasse, où pour fuir la foule qui l'adore,
Tu sais qu'elle est allée au lever de l'aurore,
Est le temps que Moron, pour déclarer mon feu,
A pris...

ARBATE.

Moron, seigneur!

EURYALE.

Ce choix t'étonne un peu,
Par son titre de fou tu crois le bien connoître;
Mais sache qu'il l'est moins qu'il ne le veut paroître;
Et que, malgré l'emploi qu'il exerce aujourd'hui,
Il a plus de bon sens que tel qui rit de lui.
La princesse se plaît à ses bouffonneries:
Il s'en est fait aimer par cent plaisanteries,
Et peut, dans cet accès, dire et persuader
Ce que d'autres que lui n'oseraient hasarder;
Je le vois propre enfin à ce que j'en souhaite;
Il a pour moi, dit-il, une amitié parfaite,
Et veut, dans mes États ayant reçu le jour,
Contre tous mes rivaux appuyer mon amour.
Quelque argent mis en main pour soutenir ce zèle...

SCÈNE II.—EURYALE, ARBATE, MORON.

MORON, derrière le théâtre.

Au secours! sauvez-moi de la bête cruelle!

EURYALE.

Je pense ouïr sa voix.

MORON, derrière le théâtre.

A moi! de grâce, à moi!

EURYALE.

C'est lui-même. Où court-il avec un tel effroi?

MORON, entrant sans voir personne.

Où pourrais-je éviter ce sanglier redoutable?
Grands dieux! préservez-moi de sa dent effroyable!
Je vous promets, pourvu qu'il ne m'attrape pas,
Quatre livres d'encens et deux veaux des plus gras.
Rencontrant Euryale, que dans sa frayeur il prend pour le sanglier qu'il évite.
Ah! je suis mort!

EURYALE.

Qu'as-tu?

MORON.

Je vous croyois la bête
Dont à me diffamer[234] j'ai vu la gueule prête,
Seigneur, et je ne puis revenir de ma peur.

EURYALE.

Qu'est-ce?

MORON.

Oh! que la princesse est d'une étrange humeur,
Et qu'à suivre la chasse et ses extravagances
Il nous faut essuyer de sottes complaisances!
Quel diable de plaisir trouvent tous les chasseurs
De se voir exposés à mille et mille peurs?
Encore si c'étoit qu'on ne fût qu'à la chasse
Des lièvres, des lapins, et des jeunes daims, passe
Ce sont des animaux d'un naturel fort doux,
Et qui prennent toujours la fuite devant nous;
Mais aller attaquer de ces bêtes vilaines
Qui n'ont aucun respect pour les faces humaines,
Et qui courent les gens qui les veulent courir,
C'est un sot passe-temps que je ne puis souffrir.

EURYALE.

Dis-nous donc ce que c'est.

MORON.

Le pénible exercice
Où de notre princesse a volé le caprice!
J'en aurois bien juré qu'elle auroit fait le tour;
Et la course des chars, se faisant en ce jour,
Il falloit affecter ce contre-temps de chasse
Pour mépriser ces jeux avec meilleure grâce,
Et faire voir... Mais chut! Achevons mon récit,
Et reprenons le fil de ce que j'avois dit.
Qu'ai-je dit?

EURYALE.

Tu parlois d'exercice pénible.

MORON.

Ah! oui. Succombant donc à ce travail horrible
(Car en chasseur fameux j'étois enharnaché,
Et dès le point du jour je m'étois découché[235]).
Je me suis écarté de tous en galant homme,
Et, trouvant un lieu propre à dormir d'un bon somme,
J'essayois ma posture, et, m'ajustant bientôt,
Prenois déjà mon ton pour ronfler comme il faut,
Lorsqu'un murmure affreux m'a fait lever la vue,
Et j'ai, d'un vieux buisson de la forêt touffue,
Vu sortir un sanglier d'une énorme grandeur,
Pour...

EURYALE.

Qu'est-ce?

MORON.

Ce n'est rien. N'ayez point de frayeur
Mais laissez-moi passer entre vous deux, pour cause;
Je serai mieux en main pour vous conter la chose.
J'ai donc vu ce sanglier, qui, par nos gens chassé,
Avoit d'un air affreux tout son poil hérissé,
Ses deux yeux flamboyans ne lançoient que menace,
Et sa gueule faisoit une laide grimace,
Qui, parmi de l'écume, à qui l'osoit presser,
Montroit de certains crocs... je vous laisse à penser.
A ce terrible aspect j'ai ramassé mes armes;
Mais le faux animal, sans en prendre d'alarmes,
Est venu droit à moi, qui ne lui disois mot.

ARBATE.

Et tu l'as de pied ferme attendu?

MORON.

Quelque sot!
J'ai jeté tout par terre et couru comme quatre.

ARBATE.

Fuir devant un sanglier, ayant de quoi l'abattre!
Ce trait, Moron, n'est pas généreux...

MORON.

J'y consens;
Il n'est pas généreux, mais il est de bon sens.

ARBATE.

Mais, par quelques exploits si l'on ne s'éternise...

MORON.

Je suis votre valet. J'aime mieux que l'on dise:
C'est ici qu'en fuyant, sans se faire prier,
Moron sauva ses jours des fureurs d'un sanglier;
Que si l'on y disoit: voilà l'illustre place
Où le brave Moron, signalant son audace,
Affrontant d'un sanglier l'impétueux effort,
Par un coup de ses dents vit terminer son sort.

EURYALE.

Fort bien.

MORON.

Oui, j'aime mieux, n'en déplaise à la gloire,
Vivre au monde deux jours que mille ans dans l'histoire.

EURYALE.

En effet, ton trépas fâcheroit tes amis;
Mais, si de ta frayeur ton esprit est remis,
Puis-je te demander si du feu qui me brûle...

MORON.

Il ne faut pas, seigneur, que je vous dissimule;
Je n'ai rien fait encore, et n'ai point rencontré
De temps pour lui parler qui fût selon mon gré.
L'office de bouffon a des prérogatives;
Mais souvent on rabat nos libres tentatives.
Le discours de vos feux est un peu délicat,
Et c'est chez la princesse une affaire d'État.
Vous savez de quel titre elle se glorifie,
Et qu'elle a dans la tête une philosophie
Qui déclare la guerre au conjugal lien,
Et vous traite l'amour de déité de rien.
Pour n'effaroucher point son humeur de tigresse,
Il me faut manier la chose avec adresse,
Car on doit regarder comme l'on parle aux grands,
Et vous êtes parfois d'assez fâcheuses gens.
Laissez-moi doucement conduire cette trame.
Je me sens là pour vous un zèle tout de flamme;
Vous êtes né mon prince, et quelques autres nœuds
Pourroient contribuer au bien que je vous veux.
Ma mère, dans son temps, passoit pour assez belle,
Et naturellement n'étoit pas fort cruelle;
Feu votre père alors, ce prince généreux,
Sur la galanterie étoit fort dangereux.
Et je sais qu'Elpénor, qu'on appeloit mon père,
A cause qu'il étoit le mari de ma mère,
Contoit pour grand honneur, aux pasteurs d'aujourd'hui,
Que le prince autrefois étoit venu chez lui,
Et que, durant ce temps, il avoit l'avantage
De se voir saluer de tous ceux du village.
Baste! Quoi qu'il en soit je veux par mes travaux...
Mais voici la princesse et deux de vos rivaux.

SCÈNE III.—LA PRINCESSE, AGLANTE, CYNTHIE, ARISTOMÈNE, THÉOCLE, EURYALE, PHILIS, ARBATE, MORON.

ARISTOMÈNE.

Reprochez-vous, madame, à nos justes alarmes
Ce péril dont tous deux avons sauvé vos charmes?
J'aurois pensé, pour moi, qu'abattre sous nos coups
Ce sanglier qui portoit sa fureur jusqu'à vous,
Étoit une aventure (ignorant votre chasse)
Dont à nos bons destins nous dussions rendre grâce;
Mais, à cette froideur, je connois clairement
Que je dois concevoir un autre sentiment,
Et quereller du sort la fatale puissance
Qui me fait avoir part à ce qui vous offense.

THÉOCLE.

Pour moi, je tiens madame, à sensible bonheur
L'action où pour vous a volé tout mon cœur,
Et ne puis consentir, malgré votre murmure,
A quereller le sort d'une telle aventure.
D'un objet odieux je sais que tout déplaît;
Mais, dût votre courroux être plus grand qu'il n'est,
C'est extrême plaisir, quand l'amour est extrême,
De pouvoir d'un péril affranchir ce qu'on aime.

LA PRINCESSE.

Et pensez-vous, seigneur, puisqu'il me faut parler,
Qu'il eût eu, ce péril, de quoi tant m'ébranler?
Que l'arc et que le dard, pour moi si pleins de charmes,
Ne soient entre mes mains que d'inutiles armes;
Et que je fasse enfin mes plus fréquents emplois
De parcourir nos monts, nos plaines et nos bois,
Pour n'oser, en chassant, concevoir l'espérance
De suffire, moi seule, à ma propre défense?
Certes, avec le temps j'aurois bien profité
De ces soins assidus dont je fais vanité,
S'il falloit que mon bras, dans une telle quête,
Ne pût pas triompher d'une chétive bête!
Du moins, si, pour prétendre à de sensibles coups,
Le commun de mon sexe est trop mal avec vous,
D'un étage plus haut accordez-moi la gloire;
Et me faites tous deux cette grâce de croire,
Seigneurs, que, quel que fût le sanglier d'aujourd'hui,
J'en ai mis bas sans vous de plus méchants que lui.

THÉOCLE.

Mais, madame...

LA PRINCESSE.

Eh bien, soit. Je vois que votre envie
Est de persuader que je vous dois la vie:
J'y consens. Oui, sans vous, c'étoit fait de mes jours.
Je rends de tout mon cœur grâce à ce grand secours;
Et je vais de ce pas au prince, pour lui dire
Les bontés que pour moi votre amour vous inspire.

SCÈNE IV.—EURYALE, ARBATE, MORON.

MORON.

Eh! a-t-on jamais vu de plus farouche esprit?
De ce vilain sanglier l'heureux trépas l'aigrit.
Oh! comme volontiers j'aurois d'un beau salaire
Récompensé tantôt qui m'en eût su défaire!

ARBATE, à Euryale.

Je vous vois tout pensif, seigneur, de ses dédains;
Mais ils n'ont rien qui doive empêcher vos desseins.
Son heure doit venir; et c'est à vous, possible[236],
Qu'est réservé l'honneur de la rendre sensible.

MORON.

Il faut qu'avant la course elle apprenne vos feux;
Et je...

EURYALE.

Non. Ce n'est plus, Moron, ce que je veux;
Garde-toi de rien dire, et me laisse un peu faire;
J'ai résolu de prendre un chemin tout contraire.
Je vois trop que son cœur s'obstine à dédaigner
Tous ces profonds respects qui pensent la gagner;
Et le dieu qui m'engage à soupirer pour elle
M'inspire pour la vaincre une adresse nouvelle.
Oui, c'est lui d'où me vient ce soudain mouvement,
Et j'en attends de lui l'heureux événement.

ARBATE.

Peut-on savoir, seigneur, par où votre espérance...?

EURYALE.

Tu le vas voir. Allons, et garde le silence.

PREMIER INTERMÈDE

SCÈNE I.—MORON.

Jusqu'au revoir; pour moi, je reste ici, et j'ai une petite conversation à faire avec ces arbres et ces rochers.

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