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Monseigneur l'Éléphant

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L’HISTOIRE DE BADALIA HERODSFOOT

C’est le printemps de l’année
Et l’aurore du jour :
Il est sept heures du matin,
La colline est emperlée de rosée,
Le merle déploie ses ailes,
La limace rampe sur l’aubépine,
Dieu règne dans son ciel :
Tout va bien pour le monde !

Pippa passe.

Il ne s’agit pas de cette Badalia qui s’appelait aussi à l’occasion Joanna la Lutteuse et MacKanna, comme dit la chanson, mais d’une autre dame beaucoup plus distinguée.

Au début de son histoire, elle n’était pas encore régénérée : elle portait cette lourde frange de cheveux bouffants qui fait la parure d’une fille de marchande des quatre saisons, et la légende court dans Gunnison street que, le jour de ses noces, un lampion dans chaque main, elle exécuta des danses sur la charrette à bras d’un amoureux évincé : un agent survint, et alors Badalia se fit acclamer en dansant avec le représentant de l’ordre. Ce furent là ses jours d’abondance, et ils ne durèrent pas longtemps, car au bout de deux ans son mari prit une autre femme et sortit de l’existence de Badalia en passant par-dessus le corps inanimé de cette dernière, dont il avait étouffé les protestations par des coups. Tandis qu’elle jouissait de son veuvage, l’enfant que son mari n’avait pas emmené mourut du croup, et Badalia resta entièrement seule. Par une fidélité rare, elle n’écouta aucune des propositions qu’on lui fit en vue d’un second mariage, conformément aux mœurs de Gunnison street, lesquelles ne diffèrent pas de celles des Barralong.

— Mon homme, expliquait-elle à ses prétendants, il va revenir un de ces jours, et alors s’il me trouvait habitant avec vous, il y a bien des chances qu’il s’emparerait de moi et me tuerait. Vous ne connaissez pas Tom ; moi bien. Allez-vous-en donc. Je m’en tirerai bien toute seule… puisque je n’ai pas de gosse.

Elle s’en tirait, grâce à une calandre à linge, en surveillant des enfants, et en vendant des fleurs. Ce dernier métier nécessite un capital, et entraîne les vendeuses très loin dans l’ouest, si bien que le trajet de retour, mettons depuis le passage Burlington jusqu’à Gunnison street (Est) est un prétexte à boire, et alors, comme le faisait ressortir Badalia, « vous rentrez chez vous avec la moitié de votre châle arrachée qui pend sur votre dos, et votre bonnet sous votre bras, et la valeur de rien du tout dans votre poche, à plus forte raison si un flic a pris soin de vous ». Badalia ne buvait pas, mais elle connaissait ses consœurs, et leur donnait de frustes exhortations. A part cela, elle ne s’occupait pas des autres, et songeait toujours beaucoup à Tom Herodsfoot, son mari, qui reviendrait un jour, et à l’enfant qui ne reviendrait jamais. On ne peut savoir de quelle façon ces pensées influèrent sur son esprit.

Son entrée dans la société date du soir où elle surgit littéralement sous les pieds du révérend Eustace Hanna, sur le palier du numéro 17 de Gunnison street, et lui démontra sa sottise de répartir sans discernement ses charités dans le quartier.

— Vous donnez des flans à Lascar Lou, lui dit-elle sans autre forme de présentation, vous lui donnez du vin de « porco ». Allez donc ! Vous lui donnez des couvertures. Allez donc ! Sa mère elle mange tout, et boit les couvertures. Quand vous êtes pour revenir la visiter, elle les dégage du clou, de façon à les avoir toutes prêtes et en bon état ; et Lascar Lou elle vous dit : « Oh ! ma mère est si bonne pour moi ! » qu’elle dit. Lascar Lou a raison de parler ainsi, vu qu’elle est malade au lit, autrement sa mère la tuerait. Bon Dieu ! vous êtes un fameux jobard… avec vos flans ! Lascar Lou n’en a même pas l’odeur.

Là-dessus le curé, au lieu de se formaliser, reconnut dans les yeux embusqués sous la frange de cheveux, l’âme d’une collègue en la tâche. Il pria donc Badalia de monter la garde auprès de Lascar Lou, la prochaine fois que viendraient confiture ou flan, pour veiller à ce que la malade les mangeât réellement. Ce que fit Badalia, au scandale de la mère de Lascar Lou et moyennant la répartition d’un œil au beurre noir entre elles trois ; mais Lascar Lou eut son flan, et en toussant de bon cœur elle s’amusa plutôt de l’algarade.

Par la suite, en partie grâce au révérend Eustace Hanna, qui avait vite reconnu ses talents, et en partie grâce à certaines histoires débitées avec larmes et rougeur par sœur Eva, la plus jeune et la plus sensible des Petites Sœurs du Diamant Rouge, il advint que cette Badalia arrogante, coiffée à la chien, et totalement inexperte en l’art de la parole, conquit un rang honorable parmi ceux-là qui œuvrent dans Gunnison street.

Ils formaient une confrérie mêlée, de gens zélés ou sentimentaux, et suivant leurs lumières, découragés ou seulement très las de lutter contre la misère. La plupart étaient consumés de mesquines rivalités et de jalousies personnelles, que chacun ressassait en confidence à sa propre petite chapelle, en guise d’intermède d’avoir lutté avec la mort pour lui arracher le corps d’une blanchisseuse moribonde, ou de s’être ingénié à tirer de la mission un subside pour ressemeler les bottes très malades d’un compositeur non moins malade. Il y avait un curé qui vivait dans la crainte de réduire les pauvres à la pauvreté, qui aurait volontiers tenu des bazars de charité pour s’offrir des nappes d’autel neuves, et qui priait Dieu en secret de lui envoyer un grand oiseau de cuivre neuf, avec des yeux de verre rouge que l’on aime à prendre pour des rubis. Il y avait frère Victor, de l’ordre du Petit Bien-Être, qui s’y connaissait fort bien en nappes d’autel, mais qui se gardait de montrer ce savoir lorsqu’il s’agissait d’attendrir Mme Jessel, la secrétaire du Comité de la Tasse de Thé, laquelle avait de l’argent à dépenser, mais qui haïssait l’Église de Rome… même si Rome, par égard pour elle, prétendait uniquement à emplir les estomacs, laissant les âmes à la merci de Mme Jessel. Il y avait toutes les Petites Sœurs du Diamant Rouge, les filles du vétérinaire, qui s’écriaient : « Donnez » quand leur charité propre était épuisée, et qui expliquaient tristement à ceux qui en retour d’un demi-louis leur demandaient une justification de leurs débours, que les œuvres de secours dans un mauvais quartier ne peuvent guère tenir de comptes réguliers sans une coûteuse augmentation de leur état-major. Il y avait le révérend Eustace Hanna, qui coopérait indistinctement avec les Comités de dames patronesses, avec les ligues et associations mixtes, avec frère Victor, et avec n’importe qui d’autre susceptible de lui donner de l’argent, des souliers ou des couvertures, ou cette aide plus précieuse encore qui se laisse diriger par ceux qui savent. Et tous ces gens apprirent l’un après l’autre à consulter Badalia, quand il s’agissait de questions d’un caractère intime, de droit au secours, et des espoirs de conversion possible dans Gunnison street. Ses réponses étaient rarement réjouissantes, mais elle possédait un savoir spécial et une parfaite confiance en elle-même.

— J’en suis, de Gunnison street, disait-elle à l’austère Mme Jessel. Je sais ce que c’est, moi, et ils n’ont pas besoin de votre religion, m’âme, pas pour un… Excusez-moi. C’est très joli quand ils sont prêts à mourir, m’âme, mais jusque-là ce qu’il leur faut c’est à manger. Les hommes, ils se débrouillent tout seuls. C’est pourquoi Nick Lapworth il vous dit qu’il veut recevoir la confirmation et tout ça. Il ne veut aucunement mener une vie nouvelle, pas plus que sa femme ne profite de tout l’argent que vous lui donnez à lui. On ne saurait non plus les réduire à la pauvreté, puisqu’ils n’ont déjà rien pour commencer. Ils sont sacrément bien pauvres. Les femmes, elles ne peuvent pas s’en tirer toutes seules… d’autant qu’elles sont toujours à accoucher. Comment feraient-elles ? Elles n’ont besoin que des choses qu’elles peuvent avoir. Si elles ne peuvent pas elles meurent, et ce n’est pas plus mal, car les femmes sont cruellement tyrannisées dans Gunnison street.

Après cette conversation, Mme Jessel demanda au curé :

— Croyez-vous que Mme Herodsfoot soit vraiment une personne à qui l’on puisse confier des fonds ? Elle paraît totalement ignorer Dieu, en ses propos du moins.

Le curé fut d’accord avec Mme Jessel pour reconnaître que Badalia ignorait Dieu ; mais Mme Jessel ne pensait-elle pas que, puisque Badalia connaissait Gunnison street et ses besoins mieux que quiconque, elle pourrait, à sa modeste manière, être pour ainsi dire la relaveuse d’une charité provenant de sources plus pures, et que si, mettons, le Comité de la Tasse de Thé pouvait donner quelques shillings par semaine, et les Petites Sœurs du Diamant Rouge quelques autres encore, le total, qui ne serait vraisemblablement pas excessif, pourrait être remis à Badalia, laquelle le distribuerait parmi ses collègues ? Mme Jessel elle-même serait ainsi libre de pourvoir plus directement aux besoins spirituels de tels robustes gaillards qui siégeaient pittoresquement sur les gradins inférieurs de ses réunions où ils cherchaient la vérité… laquelle est tout aussi précieuse que l’argent, quand on sait où la négocier.

— Elle favorisera ses amis personnels, objecta Mme Jessel.

Le curé réprima un sourire, et après quelques diplomatiques flatteries, remporta la victoire. Badalia fut, à son indicible fierté, nommée dispensatrice d’un subside… un dépôt hebdomadaire qui devait servir pour le bien de Gunnison street.

— Je ne sais ce que nous pouvons réunir par semaine, lui dit le curé. Mais pour débuter voici dix-sept shillings. Vous les distribuerez parmi vos voisins comme vous l’entendrez, vous me direz seulement où nous en sommes, afin de ne pas nous embrouiller dans nos comptes. Vous comprenez ?

— Bien sûr. Mais dites, ce n’est pas grand’chose, fit Badalia en considérant les pièces blanches dans le creux de sa main. (Le feu sacré des administrateurs, que connaissent ceux-là seuls qui ont goûté du pouvoir, brûlait dans ses artères.) Des bottines, c’est des bottines, quand on ne vous en fait pas cadeau, et alors elles ne sont plus bonnes à porter que si on les fait raccommoder du haut en bas ; et des confitures c’est des confitures ; et j’en estime pas beaucoup ce « porco » à bon marché, mais tout ça se monte quand même à une somme. Dix-sept shillings, ça filera vite, plus vite qu’un quart de gin… Mais je vais tenir un livre… comme je faisais avant que Tom soit parti dans l’immeuble Hennessy avec sa catin barbouillée. Lui et moi nous étions les seuls patrons de bar à tenir des livres en règle.

Elle acheta un grand cahier de devoirs — il fallait de la place à son écriture malhabile — et elle y consigna l’historique de sa guerre ; hardiment, comme il sied à un général, et pour nuls autres yeux que les siens et ceux du révérend Eustace Hanna. Bien avant que les feuillets fussent remplis, la couverture marbrée avait été imbibée de pétrole… car la mère de Lascar Lou, frustrée de son pourcentage sur les flans de sa fille, pénétra dans l’appartement de Badalia, au 17 de Gunnison street, et se crêpa le chignon avec elle, aux dépens de la lampe et de sa propre tignasse. Il était d’ailleurs malaisé de porter d’une main le précieux « porco » et de l’autre le cahier, dans une région sempiternellement assoiffée ; et des taches rouges s’ajoutèrent à celles d’huile minérale. Mais lorsqu’il examinait le contenu du livre, le révérend Eustace Hanna ne s’en plaignait jamais. Les vaillants griffonnages s’exprimaient pour leur compte, et le samedi soir Badalia ajoutait à leurs notations des commentaires dans ce goût :

« Mme Hikky, très mal, cognac trois pence. Fiacre pour l’hôpital, un shilling. Mme Poune accouchée. En espèces pour du thé (elle l’a pris, monsieur, je l’ai vu) six pence. Rencontré dehors son mari qui cherchait du travail. »

— J’ai flanqué ma main sur la figure à ce bougre de fainéant ! Il l’est trop pour obtenir jamais du travail… Excusez-moi, monsieur. Vous voulez continuer ?

Le curé poursuivit :

« Mme Vincent. Accouchée. Pas de langes pour l’enfant. Très sale. En espèces deux shillings six pence. Reçu des draps de Mlle Eva. »

— C’est sœur Eva qui a fait cela ? demanda le curé très doucement.

Car si sœur Eva était tenue par devoir à la charité, il y avait quelqu’un qui voyait dans tout acte de sa tâche journalière une manifestation de grâce et de bonté angéliques… une chose digne de perpétuelle admiration.

— Oui, monsieur. Elle est retournée à la maison des sœurs et a pris les draps à son lit à elle. Même qu’ils ont de bien belles initiales. Continuez, monsieur… Cela fait déjà quatre shillings six pence.

« Mme Jennet, pour faire du bon feu, le charbon est cher : sept pence. Mme Lockhart a pris un bébé en nourrice pour gagner un petit quelque chose, mais la mère ne peut pas payer, son mari la gruge tout le temps. Il ne veut pas l’aider. En argent deux shillings deux pence. A travaillé comme cuisinière, mais a dû cesser. Feu, thé, cuisse de bœuf, un shilling sept pence et demi. »

— Ici on s’est battu, ajouta Badalia. Ce n’est pas moi, monsieur. Son mari, comme juste, il est entré au mauvais moment, il a voulu avoir le bœuf, aussi j’appelle les gens d’au-dessus et voilà que descend ce mulâtre qui vend des cannes à épée en haut de Ludgate Hill. « Mulay, que je lui dis, espèce de gros animal noir, attrape-moi ce gros animal blanc ici et démolis-le. » Je savais que je n’aurais pas pu retenir Tom Lockhart à moitié saoul qui emportait le bœuf. « Je vais lui en flanquer du bœuf », que répond Mulay. Et il tape dessus, tandis que cette pauvre femme poussait des cris dans la chambre à côté, et la rampe du palier est cassée, mais elle a eu son bouillon et Tom a pris sa purge. Voulez-vous continuer, monsieur ?

— Non, ça va bien. Je vais signer pour la semaine, répondit le prêtre.

Tant on s’habitue à ces choses que les profanes appellent documents humains.

— Le petit de Mme Churner a attrapé le croup, dit Badalia s’apprêtant à sortir.

— Quels Churner ? Ceux de l’allée du Peintre, ou les autres de Houghton street ?

— Ceux de Houghton street. Ceux de l’allée du Peintre ont vendu et déménagé.

— Sœur Eva passe une nuit par semaine auprès de la vieille Mme Probyn, de Houghton street, n’est-ce pas ? demanda le prêtre avec inquiétude.

— Oui, mais elle n’ira plus. C’est moi qui me suis chargée de Mme Probyn. Je ne sais pas lui parler de religion, mais elle n’en a pas besoin, et Mlle Eva elle n’a pas besoin d’attraper le croup, elle a beau dire. N’ayez pas peur pour elle.

— Mais vous… vous pourriez l’attraper, dites ?

— C’est possible. (Elle regarda le prêtre entre les yeux, et les siens flamboyèrent sous ses frisons.) Et ça me ferait peut-être plaisir de l’attraper, vous n’en savez rien.

Le prêtre réfléchit un moment à ces paroles, mais il évoqua l’image de sœur Eva dans sa cape grise et avec sa cornette aux brides blanches nouées sous le menton. Alors il cessa de penser à Badalia.

Ce que pensait Badalia ne se formula point en paroles, mais il est notoire dans Gunnison street que ce soir-là, trouvant la mère de Lascar Lou installée ivre-morte sur son seuil, Badalia la saisit et l’emporta dans la nuée guerrière de son ire, si bien que la vieille ne savait plus si elle était sur les pieds ou sur la tête, et après l’avoir dûment heurtée à chaque marche successive de l’escalier menant à sa chambre, Badalia la déposa sur son lit, où elle resta à geindre et frissonner jusqu’au jour, affirmant que tout le monde était contre elle, et invoquant les noms de ses enfants tués depuis longtemps par la saleté et la misère. Badalia, grondante, partit en guerre, et comme les armées de l’ennemi étaient nombreuses, trouva une besogne suffisante à la tenir occupée jusqu’au jour.

Comme elle l’avait annoncé, elle prit Mme Probyn sous son égide personnelle, et pour commencer faillit donner une attaque à cette vieille dame, en lui déclarant : « Peut-être bien qu’il n’y a pas de bon Dieu, mais s’il y en a un, il ne s’occupe pas plus de vous que de moi, et en attendant prenez cette confiture. » Sœur Eva se plaignit d’être écartée de sa pieuse tâche de Houghton street, mais Badalia tint bon, et tant par son éloquence que par la promesse de futurs bienfaits, elle persuada trois ou quatre hommes du voisinage d’interdire la porte à sœur Eva chaque fois qu’elle tentait de pénétrer, en alléguant le croup comme excuse.

— J’ai décidé de la tenir à l’abri du mal, dit Badalia, et elle y est. Le curé se fiche de moi comme d’une guigne, mais… il ne voudrait quand même pas.

Cette quarantaine eut pour effet de reporter sur d’autres rues la sphère d’activité de sœur Eva, et en particulier sur celles que fréquentaient surtout le révérend Eustace Hanna et frère Victor, de l’ordre du Petit Bien-Être. Il existe, malgré toutes leurs bisbilles humaines, une très étroite confraternité dans les rangs de ceux dont la tâche comprend Gunnison street. Pour commencer ils ont vu la souffrance… une souffrance que leurs paroles et leurs actions sont incapables d’alléger… la vie livrée à la mort, et la mort envahie par une vie misérable. Ils comprennent également la pleine signification de l’ivrognerie, ce qui est un savoir caché à beaucoup de gens très bien intentionnés, et plusieurs d’entre eux ont lutté avec les bêtes à Éphèse. Ils se retrouvent à des heures et en des lieux également indus, échangent quelques mots hâtifs d’avis, de recommandation ou de conseil, et s’en vont à leur labeur désigné, car le temps est précieux, et cinq minutes d’avance peuvent sauver une vie. Pour beaucoup, les réverbères sont leur soleil, et les camions de Covent Garden[38] le char de l’aurore. Ils ont tous en leur situation quémandé de l’argent, si bien que la franc-maçonnerie de la mendicité leur est un lien commun.

[38] Le principal marché aux légumes de Londres.

A toutes ces influences s’ajoutait, dans le cas de nos deux tâcherons, ce sentiment que l’on est convenu d’appeler l’amour. L’idée que sœur Eva pût attraper le croup n’était pas encore entrée dans la tête du curé avant que Badalia lui en eût parlé. Après cela, il jugea inadmissible et monstrueux qu’elle pût être exposée, non seulement à ce risque, mais à n’importe quel autre danger de la rue. Un camion débouchant d’un coin pouvait la tuer ; l’escalier vermoulu où elle circulait jour et nuit pouvait s’effondrer et l’estropier ; les instables corniches de telles maisons louches qu’il connaissait trop constituaient un danger ; et il y en avait un autre plus grave à l’intérieur de ces maisons. Que deviendrait-il, si l’un de ces mille ivrognes abolissait la précieuse existence ? Une femme avait un jour jeté une chaise à la tête du curé. Sœur Eva n’avait pas le bras assez robuste pour se protéger d’une chaise. Les couteaux également étaient prompts à entrer en jeu. Ces considérations et d’autres encore jetaient l’âme du révérend Eustace Hanna dans un tourment que nulle foi en la Providence ne pouvait alléger. Sans doute Dieu était grand et terrible… on n’avait qu’à parcourir Gunnison street pour s’en apercevoir… mais il vaudrait mieux, beaucoup mieux, que sœur Eva eût la protection de son bras à lui. Et les personnes qui n’étaient pas trop affairées pour regarder, auraient pu voir une femme, plus très jeune, aux cheveux ternes et aux yeux ternes, quelque peu autoritaire dans ses discours, et très ignorante dans les idées situées au delà de la sphère immédiate de son devoir, à la même place où les yeux du révérend Eustace Hanna suivaient les pas d’une reine couronnée d’une petite cornette grise, aux brides blanches nouées sous le menton.

Apercevait-il un instant cette cornette au fond d’une cour, ou lui adressait-elle un signe amical du haut d’un escalier, alors il voyait encore de l’espoir pour Lascar Lou, qui vivait avec un seul poumon et du souvenir de ses débauches passées ; il voyait de l’espoir même pour cette geignarde chiffe de Nick Lapworth, qui se jurait, dans l’espoir d’obtenir de l’argent, tenaillé par les affres d’une « vraie conversion cette fois-ci, Dieu le veuille, monsieur ». Si cette cornette passait un jour sans se montrer, l’imagination du prêtre s’emplissait de poignantes scènes d’horreur ; il voyait des civières, une foule rassemblée à quelque sinistre carrefour, et un agent de police — il l’aurait dessiné, cet agent — débitant par-dessus l’épaule les détails de l’accident, et ordonnant à l’homme qui avait tenté de s’opposer aux roues — de lourdes roues de camion : il les aurait dessinées — de « circuler ». Ces jours-là il n’espérait plus guère dans le salut de Gunnison street et de tous ses habitants.

Cette torture, frère Victor en fut le témoin, un jour où il revenait du chevet d’un mort. Il vit l’œil du prêtre s’éclairer, les muscles de sa bouche se détendre, et entendit se raffermir sa voix qui toute la matinée était demeurée atone. Sœur Eva venait de reparaître dans Gunnison street, après une interminable absence de quarante-huit heures. Elle n’avait pas été écrasée. Il fallait que le cœur de frère Victor eût souffert dans son humanité, ou sinon il n’aurait pu voir ce qu’il vit. Mais la loi de son Église rendait la souffrance légère. Son devoir était de poursuivre sa tâche jusqu’à sa mort, ni plus ni moins que Badalia. Celle-ci, élargissant son rôle, affrontait le mari ivre, induisait à un peu plus de prévoyance la trop jeune épouse, prodigue et sans volonté, et quand l’occasion s’en présentait, mendiait des vêtements pour les bébés scrofuleux qui se multipliaient comme l’écume verte sur l’eau d’une citerne sans couvercle.

L’histoire de ses exploits était consignée dans le cahier que le curé signait chaque semaine, mais jamais plus Badalia ne lui parlait de batailles ni de rixes dans la rue. « Mlle Eva fait son travail à sa manière. Je fais le mien à la mienne. Mais j’en fais dix fois plus que Mlle Eva, et tout ce qu’il me dit, c’est : « Je vous remercie, Badalia, ça ira pour cette semaine. » Je me demande ce que Tom fabrique maintenant avec sa… sa nouvelle femme. J’ai presque envie d’aller le voir un de ces jours. Mais à elle, je lui arracherais le foie… Je ne pourrais m’en empêcher. Vaut mieux ne pas y aller, peut-être. »

L’immeuble Hennessy se trouvait à plus de trois kilomètres de Gunnison street, et servait de logement à peu près au même genre de monde. Tom s’y était installé avec Jenny Wabstow, sa nouvelle femme. Durant des semaines, il vécut dans une grande crainte de voir Badalia lui tomber dessus à l’improviste. La perspective d’une bonne bataille ne l’effrayait pas, mais il répugnait à la correctionnelle qui s’ensuivrait, et à l’ordonnance de pension alimentaire et autres inventions d’une justice qui ne veut pas comprendre cette loi pourtant simple, que quand un homme est fatigué d’une femme, il n’est n. d. D. pas si bête que de continuer à vivre avec elle, et voilà tout ». Durant quelques mois, sa nouvelle femme se comporta fort bien, et sut se faire craindre de Tom, suffisamment pour le maintenir rangé. D’ailleurs le travail abondait. Mais un enfant leur naquit, et conformément à la règle de ses pareils, Tom, peu soucieux des enfants qu’il aidait à procréer, chercha une diversion dans la boisson. Il se cantonnait, en général, dans la bière, laquelle est stupéfiante et relativement inoffensive : du moins elle paralyse les jambes, et avec elle, même si l’on a au cœur un désir ardent de tuer, le sommeil vient vite, et le crime reste souvent inaccompli. L’alcool, étant plus volatil, permet à la chair et à l’âme de travailler de concert… Habituellement au préjudice d’autrui. Tom découvrit que le whisky avait ses mérites… à condition d’en prendre assez. Il en prit autant qu’il en pouvait acheter ou obtenir, et à l’époque où sa femme fut en état de circuler à nouveau, les deux pièces de leur appartement étaient déjà dépouillées de maints objets de valeur. La femme alors lui dit son fait, non pas une fois, mais plusieurs, avec précision, abondance et métaphore ; et Tom se révolta de n’avoir plus la paix au bout de sa journée de travail, laquelle comportait une forte absorption de whisky. Ce pourquoi il se priva de la compagnie de Jenny et de ses blandices. Tom finit par lui tenir tête et la frappa… parfois sur le crâne, et parfois à la poitrine, et les meurtrissures formèrent matière aux commentaires échangés sur les seuils par les femmes que leurs maris avaient traitées de façon analogue. Elles n’étaient pas peu nombreuses.

Mais nul scandale bien public ne s’était produit jusqu’au jour où Tom jugea convenable d’ouvrir les négociations avec une jeune femme en vue d’un mariage conforme aux lois de la libre sélection. Il commençait à être très las de Jenny, et la jeune femme gagnait, à vendre des fleurs, suffisamment pour lui assurer le bien-être, tandis que Jenny attendait un autre bébé, et fort déraisonnablement croyait de ce fait avoir droit à des égards. Il s’insurgeait de la voir difforme, et il le lui déclara dans le langage de ses pareils. Jenny pleura tant, que Mme Hart, descendante directe et Irlandaise de « la mère à Mike de la charrette à âne », l’arrêta sur son escalier à elle et lui glissa tout bas :

— Que Dieu te bénisse, ma fille, car je vois comment cela va pour toi.

Jenny pleura de plus belle et donna à Mme Hart deux sous et des baisers, cependant qu’au coin de la rue Tom faisait sa cour à sa belle.

Ce soir-là, poussée par l’orgueil et non par la vertu, la jeune femme révéla à Jenny les propositions de Tom, et Jenny eut un entretien avec ce dernier. L’altercation débuta dans leur appartement à eux, mais Tom voulut s’esquiver, et à la fin tout l’immeuble Hennessy se rassembla sur la chaussée et forma un tribunal auquel en appelait de temps à autre Jenny, les cheveux épars sur le cou, les nippes dans le plus grand désordre, et les jambes flageolantes d’ivresse. « Quand on a un homme qui boit, on n’a plus qu’à boire aussi. Alors ça fait moins de mal quand il vous frappe », dit la Sagesse des Femmes. Et à coup sûr elles doivent s’y connaître.

— Regardez-le ! glapissait Jenny. Regardez-le, rester là sans trouver un mot à dire pour sa défense, et il voudrait ficher le camp et m’abandonner sans même me laisser un shilling ! Tu te dis un homme… tu oses, n. d. D., te dire un homme ? Mais j’en ai vu de meilleurs que toi faits de papier mâché et recraché ensuite. Regardez-le ! Il n’a pas dessaoulé depuis jeudi dernier, et il ne dessaoulera pas aussi longtemps qu’il pourra se procurer à boire. Il m’a pris tout ce que j’avais, et moi… moi… vous me voyez.

Murmure de compassion chez les femmes.

— Il a tout pris, tout, et pour comble, après avoir chapardé et volé… oui, toi, toi, voleur !… il s’en va et cherche à se mettre avec cette… (Suivit un portrait complet et détaillé de la jeune femme, qui heureusement n’était pas là pour l’entendre.) Il la traitera comme il m’a traitée ! Il lui boira, n. d. D., jusqu’à son dernier sou, et puis il la plantera là, comme il me fait à moi. O Mesdames, voyez, je lui ai donné un gosse et il y en a un autre en train, et il voudrait filer et me lâcher dans l’état où je suis maintenant… ce salop. Ah ! tu peux me quitter, va ! je n’ai pas besoin des restes de ta g… Va-t’en. Trotte-toi !

La colère qui l’étranglait lui ôta la voix. Tom cherchait à se défiler, lorsque survint un agent, attiré par la foule.

— Regardez-le, dit Jenny, heureuse d’avoir ce nouvel auditeur. Est-ce qu’il n’y a pas de justice pour des gens comme lui ? Il a pris tout mon argent, il m’a battue une fois, deux fois et plus. Il est saoul comme porc quand il n’est pas saoul furieux, et maintenant le voilà qui cherche à ramasser une autre femme. Lui, je n’en veux plus, je trouverai un homme quatre fois meilleur. Mais il n’y a donc pas de justice ?

— Allons, voyons, que se passe-t-il ? demanda l’agent. Rentrez chez vous. Je vais m’occuper de cet homme. Est-ce qu’il vous a frappée ?

— S’il m’a frappée ? Il m’a fendu le cœur en deux, et il reste là à rigoler comme si tout cela était une comédie pour lui.

— Rentrez chez vous et couchez-vous un peu.

— Je suis une femme mariée, que je vous dis, et je veux mon mari.

— Je ne lui ai pas fait le moindre mal, bon Dieu ! dit Tom, des confins de la foule.

Il sentait l’opinion publique se tourner contre lui.

— Tu ne m’as pas fait le moindre mal, espèce de salop. Je suis une femme mariée, moi, et je ne veux pas qu’on m’enlève mon mari !

— Alors, puisque vous êtes une femme mariée, couvrez vos seins, dit avec bonhomie l’agent, familiarisé avec les querelles domestiques.

— Je ne les couvrirai pas… Vous en avez du toupet. Tenez, regardez !

Elle arracha son corsage lacéré et exhiba ces ecchymoses en forme de croissant que l’on obtient à l’aide d’un dossier de chaise bien appliqué.

— Voilà ce qu’il m’a fait parce que mon cœur ne se brisait pas assez vite. Il a cherché à l’atteindre et à me le briser. Regarde ça, Tom, ce que j’ai reçu de toi la nuit dernière, et je te l’ai rendu. Mais je ne savais pas encore ce que tu voulais faire avec cette femme.

— Est-ce que vous portez plainte ? demanda l’agent. Il attrapera sans doute un mois pour cela.

— Non, répliqua Jenny résolument.

Ce n’était pas la même chose, d’exposer son homme à la risée de la rue, ou de le faire mettre en prison.

— Alors, rentrez vous coucher. Et vous autres (ceci à la foule) dégagez-moi la chaussée… Circulez. Il n’y a pas de quoi rire.

Et s’adressant à Tom, que ses amis encourageaient :

— Vous avez de la chance qu’elle ne porte pas plainte, mais rappelez-vous bien que la prochaine fois…

Et ainsi de suite.

Tom n’apprécia pas du tout la magnanimité de Jenny, et ses amis ne contribuèrent pas à le calmer. Il avait cogné sur cette femme parce qu’elle était un fléau. Pour la même raison également il avait choisi une nouvelle compagne. Et toutes ses amabilités envers elle avaient abouti à une scène vraiment pénible sur la rue, une honte publique très injustifiée, provoquée par sa femme et l’atteignant, et une certaine perte de prestige — il s’en rendait vaguement compte — auprès de ses pairs. Conclusion : toutes les femmes étaient des fléaux, et conclusion également : le whisky était une bonne chose. Ses amis le plaignirent. Peut-être avait-il traité sa femme plus durement qu’elle ne le méritait, mais son odieuse conduite sous le coup de la colère justifiait toutes les injures.

— A ta place, je ne voudrais plus avoir rien de commun avec elle… une femme comme celle-là, dit un des consolateurs.

— Qu’elle s’en aille trimer pour elle-même, bon Dieu ! On se décarcasse jusqu’aux moelles pour leur enfourner le manger dans la bouche, tandis qu’elles restent à la maison tout le long du jour à ne rien faire ; et la toute première fois, remarquez, qu’on a un rien de dispute, ce qui convient d’ailleurs très bien à un homme qui est un homme, elle se rebiffe et vous jette à la rue, vous traitant de Dieu sait tout quoi. Est-ce juste, voyons, je vous le demande ?

Ainsi parla le deuxième consolateur.

Le troisième fut le whisky, dont la suggestion parut à Tom la meilleure de toutes. Il allait retourner auprès de Badalia sa femme. Elle aurait probablement fait quelque chose de mal pendant son absence, et il pourrait alors revendiquer son autorité maritale. A coup sûr elle aurait de l’argent. Les femmes seules ont toujours l’air de posséder les sous que Dieu et le gouvernement refusent aux bons travailleurs. Il se réconforta d’un autre coup de whisky. Il était indubitable que Badalia aurait fait quelque chose de mal. Qui sait même si elle n’aurait pas épousé un autre homme. Il attendrait le départ du nouveau mari, et après avoir rossé Badalia il récupérerait de l’argent et un sentiment de satisfaction qui lui manquait depuis longtemps. Les dogmes et les lois renferment beaucoup de vertu, mais quand on est à bout de prières et de souffrances, la seule chose qui puisse rendre purs tous les actes d’un homme à ses propres yeux, c’est la boisson. Le malheur est que les effets n’en soient pas durables.

Tom prit congé de ses amis, en les priant d’avertir Jenny qu’il s’en allait à Gunnison street et qu’il ne reviendrait plus dans ses bras. Parce que c’était là un mauvais message, ils ne le négligèrent pas, et chacun d’eux le rapporta, avec une précision d’ivrognes, aux oreilles de Jenny. Puis Tom se remit à boire, jusqu’au moment où son ivresse reflua et s’éloigna de lui comme une vague reflue et s’éloigne du navire naufragé qu’elle s’apprête à engloutir. Il atteignit une rue transversale, à l’asphalte noir et poli par la circulation, et piétonna mollement parmi les reflets des étalages éclairés qui flambaient en des abîmes de noires ténèbres à plusieurs brasses au-dessous de ses semelles. Il était certes bien dégrisé. En examinant son passé, il se vit absous de tous ses actes, avec une si entière perfection que si en son absence Badalia avait osé mener une vie irréprochable, il la massacrerait pour n’avoir pas tourné mal.

Badalia était alors dans sa chambre, après sa coutumière escarmouche avec la mère de Lascar Lou. Sur un reproche aussi cinglant que pouvait le formuler une langue de Gunnison street, la vieille, surprise pour la centième fois à voler les humbles douceurs destinées à la malade, n’avait su que glousser et répondre :

— Tu crois que Lou n’a jamais attrapé un homme de sa vie ? La voici prête à mourir… mais elle y met le temps, la rosse. Moi ! je vivrai encore vingt ans.

Badalia la secoua, plutôt pour le principe que dans le moindre espoir de la corriger, et la projeta dans la nuit, où elle s’effondra sur le pavé, en suppliant le diable de tuer Badalia.

Le diable répondit à son appel, sous la forme d’un homme au visage livide, qui demanda celle-ci par son nom. La mère de Lascar Lou se souvint. C’était le mari de Badalia… et le retour d’un mari dans Gunnison street était en général suivi de horions.

— Où est ma femme ? dit Tom. Où est ma garce de femme ?

— Là-haut, et va te faire f… avec elle ! dit la vieille, en retombant sur le flanc. Tu es revenu la chercher, Tom ?

— Oui. Comment s’est-elle conduite pendant que j’étais parti ?

— Tous les sacrés curés de la paroisse. Elle s’est requinquée, que tu ne la reconnaîtrais pas.

— Elle est rusée !

— Oh oui. Et puis elle est toujours à circuler avec ces renifleuses de sœurs de charité et avec le curé. Et puis il lui donne de l’argent… des livres et des livres par semaine. Il l’entretient comme ça depuis des mois, vrai. Pas étonnant que tu ne voulais plus avoir rien à faire avec elle quand tu es parti. Et elle empêche d’avoir les choses à manger qu’elle reçoit pour moi qui suis couchée ici dehors, mourante, comme une chienne. Elle a été rudement rosse, Badalia, depuis ton départ.

Tom enjamba par-dessus la mère de Lascar Lou qui explorait les fentes des pavés. Il lui demanda :

— Elle a toujours la même chambre, hein ?

— Qui, mais si bien arrangée que tu ne la reconnaîtrais pas.

Et pendant que Tom montait l’escalier, la vieille ricana. Tom était en colère. Pour quelque temps, Badalia ne serait plus en état de cogner sur les gens, ni de se mêler de la distribution de flans envoyés par le ciel.

Comme elle se déshabillait pour se coucher, Badalia entendit des pas familiers qui montaient l’escalier. Quand ils s’arrêtèrent et qu’un coup de pied ébranla la porte, elle avait déjà plus ou moins réfléchi à beaucoup de choses.

— Tom est revenu, se disait-elle. Et j’en suis heureuse… en dépit du curé et du reste.

Elle ouvrit la porte en lançant le nom de Tom.

Celui-ci la repoussa.

— Je ne veux pas de tes embrassades et de tes cajoleries, fit-il. J’en ai soupé.

— Tu n’en as pourtant pas eu tellement, pour en avoir soupé, depuis deux ans.

— J’ai eu mieux. Tu as de l’argent ?

— Rien qu’un peu… terriblement peu.

— C’est un mensonge, et tu le sais bien.

— Ce n’est pas un mensonge… et dis, Tom, pourquoi parler d’argent à la même minute où tu viens de rentrer ? Jenny a cessé de te plaire ? Je m’y attendais.

— Ferme ta boîte. As-tu à boire, de quoi se cuiter comme il faut ?

— Tu n’as plus besoin de te cuiter. Tu l’es déjà suffisamment. Viens te coucher, Tom.

— Avec toi ?

— Oui, avec moi. Est-ce que je ne compte plus… malgré ta Jenny ?

Et tout en parlant elle lui tendait les bras. Mais l’ivresse de Tom le tenait solidement.

— Plus pour moi, reprit-il, en s’étayant contre le mur. Est-ce que je ne sais pas comment tu t’es conduite pendant mon absence, hé ?

— Informe-toi donc, dit avec indignation Badalia, en se contenant. Qui a dit quelque chose contre moi, ici ?

— Qui ? Mais tout le monde. Je n’étais pas encore revenu d’une minute que j’ai appris que tu as été Dieu sait où avec le curé. Quel curé était-ce ?

— Le curé qui est toujours ici, dit Badalia sans réfléchir.

Elle pensait alors à tout autre chose qu’au révérend Eustace Hanna. Gravement, Tom s’installa dans l’unique fauteuil de la pièce. Badalia continua ses apprêts pour aller se coucher.

— Voilà, reprit Tom, une jolie chose à raconter à ton vrai mari légitime… à preuve que j’ai payé cinq shillings pour l’anneau de mariage. Le curé qui est toujours ici ? Tu as un culot formidable. Tu n’es pas honteuse ? Serait-il pas sous le lit à cette heure ?

— Tom, tu es saoul à crever. Je n’ai rien a fait dont je doive être honteuse.

— Toi ! Tu ignores la honte. Mais je ne suis pas venu ici pour m’occuper de toi. Donne-moi ce que tu as, et puis je te donnerai une raclée et m’en irai retrouver Jenny.

— Je n’ai rien que du billon et un shilling ou deux.

— Il paraît cependant que le curé t’entretient à cinq livres par semaine.

— Qui t’a dit cela ?

— La mère de Lascar Lou, étendue là dehors sur le pavé, et plus honnête que tu ne le seras jamais. Donne-moi ce que tu as.

Badalia s’en alla prendre sur la cheminée une petite pelote à épingles en coquillages, en tira quatre shillings et trois pence… le produit légitime de son travail… et les tendit à l’homme, qui se balançait dans son fauteuil et considérait la chambre en roulant des yeux égarés.

— Ça ne fait pas cinq livres, dit-il d’une voix somnolente.

— Je n’ai pas plus. Prends et va-t’en, puisque tu ne veux pas rester.

S’agrippant aux bras du fauteuil, Tom se leva lentement.

— Et l’argent que le curé t’a donné ? La mère de Lascar Lou l’a dit. Donne-le-moi, où je t’assomme.

— La mère de Lascar Lou ne sait rien.

— Si fait, elle sait, et plus que tu ne le voudrais.

— Elle ne sait rien. Je l’ai matée en cognant dessus, et je n’ai pas d’argent à te donner. Tout, mais pas ça, Tom ; n’importe quoi d’autre, Tom, je te le donnerai volontiers de bon cœur. Ce n’est pas mon argent. Cet écu ne te suffit pas ? L’autre argent est un dépôt. Il y a un livre avec.

— Un dépôt ? Qu’est-ce que tu as à faire avec un dépôt que ton mari n’en sache rien ? Va donc, avec ton dépôt. Attrape ça !

Tom s’approcha d’elle et lui envoya sur la bouche un coup de son poing fermé.

— Donne-moi ce que tu as, reprit-il, d’une voix épaissie et lointaine, comme s’il parlait en rêve.

— Je ne veux pas, répliqua Badalia en trébuchant contre le lavabo.

Avec tout autre que son mari, elle eût combattu avec la férocité d’un chat-tigre ; mais Tom était resté parti deux ans, et elle se disait qu’un peu de docilité opportune le lui concilierait. Néanmoins l’argent de la semaine était sacré.

La vague qui s’était si longtemps retirée s’abattit sur le cerveau de Tom. Il saisit à la gorge Badalia et la jeta à genoux. Il lui semblait juste, à cette heure, de châtier une pécheresse pour deux années de désertion délibérée ; et cela d’autant plus qu’elle avait avoué sa faute en refusant de lui livrer le gage du péché.

Dehors, sur le pavé, la mère de Lascar Lou espérait toujours entendre des lamentations, mais elle fut déçue. Badalia n’aurait pas crié, même si Tom lui eût lâché le gosier.

— Donne-le, garce ! disait Tom. Voilà donc comment tu me récompenses de tout ce que j’ai fait pour toi ?

— Je ne peux pas. Ce n’est pas mon argent. Dieu te pardonne, Tom, pour ce que tu me…

Et comme la pression s’accentuait, la voix lui manqua. Tom poussa contre le lit Badalia, dont le front heurta un montant. Elle tomba, mi-agenouillée sur le carreau. Un homme qui se respecte ne pouvait décemment se retenir de la rouer de coups de pied. Ce que fit Tom, avec la science infernale inspirée par le whisky. Elle laissa retomber sa tête sur le carreau, et Tom ne cessa de taper qu’au moment où il reçut comme une douche d’eau froide, à sentir sous sa semelle ferrée le crissement des cheveux. Il comprit alors qu’il était peut-être temps de cesser.

— Où est l’argent du curé, espèce d’entretenue ? murmura-t-il dans l’oreille ensanglantée.

Il ne reçut pas de réponse. Mais on tambourinait à la porte, et la voix de Jenny Wabstow criait âprement :

— Laisse ça, Tom, et rentre chez nous avec moi. Et toi, Badalia, je t’arracherai la peau de la figure !

Les amis de Tom avaient transmis leur message à Jenny, et celle-ci, après un premier déluge de larmes de rage, s’était résolue à rejoindre Tom pour le ramener si possible. Même, elle était prête à subir une raclée exemplaire pour la scène de l’immeuble Hennessy. La mère de Lascar Lou le guida jusqu’à la chambre des horreurs, et redescendit l’escalier en ricanant. Si Tom n’avait pas fait périr Badalia sous les coups, ce serait du moins une bataille épique entre Badalia et Jenny. Et la mère de Lascar Lou savait bien que l’Enfer ne possède pas de furie comparable à une femme qui combat pour l’être qu’elle porte dans son sein.

De la rue, on n’entendait toujours rien. Ayant repoussé la porte non verrouillée, Jenny vit son homme qui contemplait stupidement un tas informe affaissé au pied du lit. Un éminent assassin a dit que si les gens ne mouraient pas si malproprement, beaucoup d’hommes, et toutes les femmes, commettraient au moins un assassinat dans leur vie. Tom réfléchissait à l’actuelle malpropreté, et le whisky luttait avec le courant lucide de ses pensées.

— Ne fais donc pas de bruit, dit-il. Entre vite.

— Mon Dieu ! s’écria Jenny en s’arrêtant comme une bête sauvage effarouchée. Qu’est-ce que c’est ? Tu ne l’as pas…?

— Sais pas. Je crois bien que j’ai réussi.

— Tu as réussi ! Tu as un peu trop bien réussi, pour cette fois !

— Elle me dégoûtait, dit Tom d’une voix épaissie, en se laissant aller dans le fauteuil. Tu ne peux pas te figurer comme elle me dégoûtait. Elle se payait du bon temps avec ces aristos de pasteurs et toute la clique. Regarde ces rideaux blancs à son lit. Nous n’avons pas de rideaux blancs, nous. Ce que je voudrais savoir, c’est…

Sa voix expira comme avait expiré celle de Badalia, mais pour une autre cause. Son forfait accompli, le whisky resserrait son étreinte sur Tom, dont les yeux commençaient à se fermer. Sur le carreau, Badalia respirait avec peine.

— Non, inutile, dit Jenny. Cette fois tu l’as tuée. Va-t’en.

— Jamais. Elle ne fera plus de mal. Ça lui apprendra. Moi, je vais dormir. Mais regarde-moi ces draps propres. Est-ce que tu viens aussi ?

Jenny se pencha sur Badalia, et dans les yeux de la femme assommée, elle vit de la compréhension… et beaucoup de haine.

— Je ne lui ai jamais conseillé de faire ça, murmura Jenny. C’est Tom seul… Je n’y suis pour rien. Veux-tu que je le fasse arrêter, dis, ma chérie ?

Les yeux se firent expressifs : Tom, qui s’était mis à ronfler, ne devait pas être livré à la justice.

— Pars, dit Jenny à ce dernier. Va-t’en ! Va-t’en d’ici !

— Tu… me l’as déjà dit… cet après-midi, répliqua l’homme tout ensommeillé. Laisse-moi dormir.

— Ce n’était rien, alors. Tu m’avais seulement frappée. Mais ce coup-ci tu l’as tuée… tuée… tuée ! entends-tu, Tom, tu viens de la tuer !

Elle secouait l’homme pour le réveiller, et la compréhension emplit d’une terreur glacée le cerveau obnubilé.

— C’est pour t’être agréable que je l’ai fait, Jenny, pleurnicha-t-il piteusement, tout en s’efforçant de lui prendre la main.

— Tu l’as tuée pour son argent, et tu m’aurais tuée de même. Sors d’ici. Et mets-la sur le lit d’abord, brute.

A eux deux, ils déposèrent Badalia sur le lit, et se retirèrent en silence.

— Il ne faut pas que je sois prise avec toi… et si tu étais pris tu dirais que c’est moi qui t’y ai poussé, et tu tâcherais de me faire prendre. Va-t’en… n’importe où, loin d’ici, lui répétait Jenny en le tirant à bas de l’escalier.

— Vous allez rendre visite au curé ? dit une voix s’élevant de la chaussée, où la mère de Lascar Lou attendait toujours patiemment d’entendre Badalia piauler.

— Quel curé ? demanda bien vite Jenny.

Elle entrevoyait un dernier espoir de libérer sa conscience au sujet du tas informe gisant là-haut.

— Hanna… 63, Roomer Terrace… ici tout près, répliqua la vieille.

Le curé ne l’avait jamais vue d’un bon œil. Et puisque Badalia n’avait pas piaulé, c’était que Tom préférait démolir l’homme plutôt que la femme. On ne discute pas des goûts.

Jenny poussa son homme devant elle jusqu’au carrefour de la plus proche grande artère.

— Là, va-t’en, chuchota-t-elle. File n’importe où, mais que je ne te revoie plus. Je n’irai jamais plus avec toi ; et puis, Tom… tu m’entends ?… nettoie tes souliers.

Exhortation vaine. La suprême poussée qu’elle lui infligea, de dégoût, l’envoya rouler la tête la première dans le ruisseau, où un agent vint s’intéresser à son bien-être.

— Il le prend pour un vulgaire ivrogne. Dieu fasse qu’on ne regarde pas ses souliers ! Hanna, 63, Roomer Terrace…

Jenny assujettit son chapeau et prit sa course.

L’excellente concierge des appartements Roomer se rappelle encore avoir vu arriver une jeune personne aux lèvres décolorées et haletante, qui se borna à lui crier : « Badalia, 17, Gunnison street. Dites au curé de venir tout de suite… tout de suite… tout de suite ! » et disparut dans la nuit. Ce message fut transmis au révérend Eustace Hanna, qui dormait alors de son premier sommeil. Il comprit qu’il y avait urgence, et n’hésita pas à aller réveiller frère Victor, de l’autre côté du palier. Selon le protocole, Rome et l’Angleterre se répartissaient les cas du quartier conformément à la religion du patient ; mais Badalia était une institution et non un cas, et il n’y avait plus de protocole à observer.

— Il est arrivé quelque chose à Badalia, dit le curé. C’est votre affaire aussi bien que la mienne. Habillez-vous et venez.

— Je suis prêt, répondit-on. Avez-vous quelques indices de la nature de l’accident ?

— Rien : on a pris la fuite après un coup de sonnette et un mot d’avertissement.

— Alors il s’agit de séquestration ou de tentative d’assassinat. Badalia ne nous ferait pas réveiller à moins. Je suis qualifié pour les deux, grâce à Dieu.

Les deux hommes trottèrent jusqu’à Gunnison street, car il n’y avait pas de fiacre en vue, et en tout cas le prix d’une course en fiacre représente deux jours de feu pour ceux-là qui meurent de froid. La mère de Lascar Lou était partie se coucher, et la porte n’était naturellement pas fermée à clef. Dans la chambre de Badalia, les deux visiteurs trouvèrent beaucoup pire qu’ils ne s’y attendaient, et l’Église de Rome s’acquitta vaillamment du pansement, tandis que l’Église d’Angleterre se bornait à prier Dieu de lui épargner le péché d’envie. Étant donné que la plupart du temps on n’arrive à l’âme que par l’intermédiaire du corps, l’Ordre du Petit Bien-Être prend ses mesures et exerce ses recrues en conséquence.

— Voilà qui est fait, dit frère Victor dans un souffle. Mais je crains qu’il n’y ait de l’hémorragie interne et une lésion au cerveau. Elle a un mari, comme juste ?

— Elles en ont toutes, hélas !

— Oui, ces blessures ont un caractère domestique qui décèle leur origine. (Il baissa la voix.) Il n’y a aucun espoir, voyez-vous. Douze heures tout au plus.

La main de Badalia, à plat sur la couverture, se mit à tapoter.

— Vous vous trompez, je pense, dit l’Église d’Angleterre. Elle va passer.

— Non, elle ne ramène pas ses draps, répondit l’Église de Rome. Elle a quelque chose à dire : vous la connaissez mieux que moi.

Le curé se pencha très bas.

— Envoyez chercher Mlle Eva, fit Badalia dans un râle.

— Au matin. Elle viendra au matin, répondit le curé, pour contenter Badalia.

Mais l’Église d’Angleterre, qui connaissait un peu le cœur humain, fronça les sourcils sans rien dire. Après tout, les règles de son ordre étaient formelles. Son devoir était de veiller jusqu’à l’aube, tandis que la lune s’abaissait dans le ciel.

Ce fut un peu avant la disparition de cette dernière que le révérend Eustace Hanna prononça :

— La malheureuse paraît décliner rapidement. Ne ferions-nous pas bien d’aller chercher sœur Eva ?

Frère Victor ne répondit rien, mais aussitôt que l’honnêteté le permit, quelqu’un heurta à la porte de la maison des Petites Sœurs du Diamant Rouge et demanda que sœur Eva vînt adoucir l’agonie de Badalia Herodsfoot. Cet homme, qui parla très peu, conduisit sœur Eva au numéro 17 de Gunnison street et jusque dans la chambre où reposait Badalia. Puis il resta sur le palier, à se mordre les phalanges, de détresse, car c’était un prêtre plein de savoir et il n’ignorait pas comment réagissent les cœurs des hommes et des femmes, et que l’amour naît de l’horreur, et que la passion se déclare quand l’âme frémit de douleur.

Avisée jusqu’à la fin, Badalia ménageait ses forces en attendant la venue de sœur Eva. On prétend en général chez les Petites Sœurs du Diamant Rouge qu’elle mourut dans le délire, mais c’est là un jugement peu charitable, car une des sœurs adopta au moins la moitié de son suprême conseil.

Elle s’efforça péniblement de se retourner sur sa couche, et la pauvre machine humaine disloquée protesta en conséquence.

Sœur Eva s’élança, croyant entendre le terrible râle avant-coureur de la mort. Badalia, inerte, gardait sa conscience, et l’incorrigible irrévérencieuse, cette fille qui avait dansé sur la charrette à bras, parla avec une netteté frappante, tout en clignant de son unique œil disponible.

— On croirait entendre Mme Jessel, hein ? avant qu’elle n’ait eu à déjeuner, et quand elle a parlé toute la matinée avec ses semblables.

Ni sœur Eva ni le curé ne répliquèrent. Frère Victor se tenait derrière la porte, et il émettait un souffle rauque, car il souffrait.

— Mettez-moi le drap sur la figure, dit Badalia. J’ai été bien arrangée, et je ne veux pas que Mlle Eva me voie. Je ne suis pas jolie ce coup-ci.

— Qui était-ce ? demanda le curé.

— Un homme du dehors. Je ne le connais ni d’Ève ni d’Adam. Il était saoul, je suppose. Je jure Dieu que c’est la vérité ! Est-ce que Mlle Eva est là ? Je n’y vois pas sous cette serviette. J’ai été bien arrangée, mademoiselle Eva. Excusez-moi de ne pas vous serrer la main, mais je ne suis pas très vaillante, et c’est quatre pence pour le bouillon de Mme Imeny, et ce que vous pourrez lui donner pour la layette. Elles ont toutes des gosses, ces femmes. Moi, je n’ai pas à me plaindre, car voilà deux ans que mon mari n’est pas revenu auprès de moi, ou sinon j’aurais été aussi mal en point que les autres ; mais il n’est plus revenu auprès de moi… Il est arrivé un homme qui m’a frappée sur la tête et m’a donné des coups de pied, mademoiselle Eva ; ainsi c’est tout comme si j’avais eu un mari, n’est-ce pas ? Le cahier est dans la commode, monsieur Hanna, et tout est en ordre, et je n’ai jamais livré un sou de l’argent en dépôt… pas un sou. Regardez sous la commode, vous y trouverez tout ce qui n’a pas été dépensé cette semaine… Et dites, mademoiselle Eva, ne portez plus cette cornette grise. Je vous ai préservée du croup, et… et ce n’était pas mon intention, mais le curé a dit qu’il le fallait. Je me serais mieux accordée avec lui qu’avec tout autre, mais si Tom était revenu… voyez-vous, mademoiselle Eva, depuis deux ans Tom n’est jamais revenu auprès de moi, et je ne l’ai plus revu. Vous m’entendez ? Mais allez-y, vous deux, mariez-vous. J’ai souvent souhaité autre chose, mais bien sûr ce n’était pas pour une femme comme moi. Tom n’est jamais revenu, mais s’il était revenu, j’aurais été comme les autres… six pence pour le bouillon du bébé, et un shilling pour des langes. Vous l’avez vu dans le cahier, monsieur Hanna. C’est comme ça, et bien entendu vous ne pouviez avoir rien de commun avec moi. Mais les femmes désirent ce qu’elles voient, et vous n’avez pas à douter de lui, mademoiselle Eva. Je l’ai vu sur sa figure maintes et maintes fois… maintes et maintes… Faites-moi un enterrement de quatre livres dix… avec un drap mortuaire.

Elle eut un enterrement de sept livres quinze shillings, et tous les gens de Gunnison street y allèrent pour lui faire honneur. Tous sauf deux ; car la mère de Lascar Lou comprit qu’une force avait disparu, et que rien désormais ne la séparait plus des flans. Aussi, quand les voitures s’éloignèrent, le chat du seuil entendit la plainte de la prostituée mourante qui n’arrivait pas à mourir :

— Oh ! mère, mère, tu ne me laisseras même pas lécher la cuiller !

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