Notes sur l'Amour
VI
DE LA BEAUTÉ
Henri, dans un salon, regarde une femme, avec plus de soin qu’un médecin n’examine un client, avec plus de sérieux qu’un avare ne compte son argent. — « Elle est grande, se dit-il, elle a la taille ronde et flexible, les épaules larges ; le dos plat, les jambes longues. » Il la regarde encore. N’essayez pas de lui parler : il n’entend plus. « Le cou, continue-t-il, est élevé, les yeux grands, le visage délicat et plein à la fois, le menton bien dessiné — comment aimer une femme au menton fuyant — Les lèvres sont fermes, les dents nettes et régulières. Il y a dans son regard quelque chose de grave, une spiritualité qui m’est chère. Ce n’est pas un animal que je veux aimer, mais un être tendre et passionné qui saura pleurer dans mes bras. »
Il s’approche ; il va lui parler, il tremble presque… Soudain il s’arrête. Qu’a-t-il vu ? — Hélas ! les ailes des narines sont un peu trop remontées !… Il recule, il n’aimera pas.
Qui expliquera jamais que nous fassions dépendre notre bonheur, et, parfois notre vie, de l’ovale plus ou moins parfait d’un visage, du grain de la peau, de l’éclat d’un regard ?
Un sourire, un regard, une inflexion de voix qui nous émeut, suffisent parfois à nous fixer.
Ailleurs les traits les plus réguliers, les plus beaux, nous laissent indifférents.
Il est dans la jeunesse un tel éclat de vie et de beauté qu’on peut à peine en supporter la vue.
C’est une curieuse déviation de l’instinct qui fait rechercher à certains hommes une beauté garçonnière chez les filles.
Il est un moment dans sa vie où une fille laide devient presque charmante. Elle a pour quelques heures un parfum léger qui attire. A cet instant, elle plaît, elle peut séduire. Qu’elle se hâte de mettre à profit la générosité de la nature, car, une fois le moment passé, elle revient à sa laideur première et définitive.
Il est une beauté des traits ; il en est une de l’expression ; il en est une enfin des gestes et des attitudes, c’est la grâce.
Laquelle de ces beautés nous touche le plus fortement ? S’il fallait choisir, je dirais la grâce d’abord. La beauté des traits ne révèle rien de l’âme. Elle peut s’allier à la vulgarité la plus basse. La grâce, au contraire, est comme la fleur même de la vie, et, au fond de nous, l’instinct nous souffle que c’est une œuvre de vie dont il s’agit.
Peut-être n’est-il de qualités que physiques ? Les yeux, par lesquels on croit lire jusqu’au fond de l’être, les yeux qui semblent enfermer les trésors du sentiment, dont le langage parle de l’âme à l’âme, les yeux, c’est du brun, du bleu, du noir, du vert et du blanc, cela et rien de plus. « Elle a des yeux admirables », ne veut rien dire, sinon : « Il y a du bleu, du blanc, et des points jaunes et bruns, mêlés de telle et telle manière. »
Lorsque nous examinons une femme et que nous nous bornons à constater ses beautés et ses défauts physiques, nous sommes sur un terrain où il n’y a place pour aucune duperie. La grandeur, la taille, la sveltesse, le grain de la peau, l’éclat du regard, le dessin de la bouche, voilà des choses susceptibles d’être exactement jugées. Ici on ne peut nous passer de faux jetons. Nous ne courrons pas les risques terribles que présente la bourse des valeurs sentimentales où nous croyons acheter, par exemple, une tendresse infinie (et payons en conséquence) pour nous apercevoir à livraison qu’on nous a vendu un petit sentiment médiocre et sans durée.
Un grand nombre d’hommes se refusent à spéculer sur les valeurs sentimentales, soit qu’elles n’aient aucun prix à leurs yeux, soit qu’ils tiennent à éviter les déceptions amères d’une mauvaise affaire.
C’est pour eux que nous entreprenons d’écrire ici une étude détaillée de l’anatomie de la femme.
ANATOMIE DE LA FEMME
Énumérons d’abord les tares de la femme. Soyons impitoyables en théorie. Nous avons assez de faiblesses dans la pratique.
La tare des femmes petites, ce sont les jambes courtes. Rien n’est plus laid. Un long torse sur des jambes brèves, voilà de quoi s’enfuir aux antipodes. Les femmes, qui sentent obscurément par où elles plaisent ou déplaisent, dissimulent de leur mieux ce défaut à l’aide de leurs vêtements. Elles ne réussissent à tromper que les indifférents, car l’homme qui aime les femmes les déshabille toujours, ne serait-ce que de l’œil.
Une femme petite avec des jambes plus longues que le torse est l’objet le plus rare qui soit sous la calotte des cieux.
Le dos des femmes a une tendance à se voûter. On voit des femmes jeunes avoir déjà des épaules rondes. Presque toutes les femmes mûres ont le dos en arc de cercle.
Est-il rien de plus beau qu’une femme dont les seins sont fermes et dressés vers la lumière ! Hélas ! combien de femmes peuvent-elles se passer de corset ou d’un large ruban ? Elles savent leur faiblesse. Elles n’ont garde de se montrer debout et nues. Cela, c’est l’épreuve suprême. Qui est prête à l’affronter ?
Les femmes, si elles sont nues, ne se laissent voir que couchées. Elles ramènent le bras en arrière, supportant la tête ; le sein alors se tend et regarde le ciel, enfin !
Tare de trop de femmes : une grosse tête.
La femme n’a pas le droit d’avoir une forte tête ; c’est nous qui sommes chargés par la nature de penser pour elles. Aussi, la vue d’une femme avec un crâne trop développé est-elle une véritable souffrance pour un homme sain et de sens affinés.
Si vous voulez créer un monstre, placez une grosse tête sur un petit corps ; vous réaliserez ainsi le têtard.
Autre tare : les attaches fortes.
Une femme de nos races qui n’emploie ses membres qu’à des besognes délicates ne doit pas avoir des poignets et des chevilles épais. Nous prenons les durs travaux à notre charge ; elle nous doit le raffinement. Il faut qu’elle nous donne l’impression d’avoir été créée pour notre luxe, pour nos loisirs. Ce n’est pas un manche de charrue que nous voulons lui mettre entre les mains.
La plupart des femmes sont envahies par la graisse. Le meilleur de leur existence, à partir de vingt-cinq ans, est pris par la lutte contre l’obésité.
« Elles se défendent. » Mot terrible !
Elles ne pensent plus à autre chose, au lit, à la promenade, à table. Pour maigrir, elles ne reculent devant aucun sacrifice ; elles ne boivent pas, marchent à jeun, se font masser et supportent la souffrance des corsets étroitement serrés.
Elles ont raison.
Si elles engraissent, elles cessent d’être femmes.
C’est tellement vrai que la nature, elle-même, se refuse alors à les considérer comme telles et, à un certain degré d’embonpoint, leur dénie la possibilité d’être mères.
Voici une femme belle, enfin. Elle est grande, la tête petite, les seins droits, les hanches pleines.
Regardez-la, regardez-la vite. N’en perdez rien, remplissez-vous les yeux, car, hélas ! elle n’a que quelques heures de beauté, si brèves. Bientôt elle sera flétrie et ne sauvera les apparences que grâce aux artifices savants de la toilette.
A-t-elle des enfants ? Son ventre se plisse. — Prend-elle de l’embonpoint ? Ses seins, ses joues tombent, son menton se double et se triple. — Elle maigrit, au contraire. Alors, elle devient quelque chose de ridé, de mort.
Osons le dire. L’homme est, absolument parlant, et pour l’ensemble, plus beau. Il résiste mieux à l’usure des années, se déforme moins vite. Vous trouverez deux ou trois adolescents très beaux à dix-huit ans pour une adolescente sans reproche. Mais ces jeunes gens, s’ils mènent une vie normale, s’ils cultivent leurs corps par l’athlétisme, s’ils évitent l’alcoolisme, ils peuvent être à quarante-cinq ans, des hommes beaux encore.
Mettez-les à nu. Ils ont des poitrines profondes et bombées, des épaules larges, des reins creusés, des jambes et des bras musclés sans l’ombre de graisse.
Mais la femme de quarante-cinq ans, où est-elle celle qui supportera cette épreuve ?
Par où la femme l’emporte-t-elle sur l’homme ?
Dans l’ensemble, il n’y a qu’un moment où la femme est plus belle que l’homme : c’est dans le désir.
Chez elle, il reste tout intérieur, ne se traduit que par les inflexions du corps, le ventre tendu, les reins cambrés, les seins dressés.
L’art nous a cent fois représenté la femme nue dans le désir.
Mais l’homme à ce moment n’est qu’obscène ; il est « musée secret ».
La femme est enfin incomparablement supérieure à l’homme dans les beautés de détail. Le visage et chaque partie du corps vaut d’être admirée de près. Il y a de grandes joies à détailler les beautés de la femme. Ne nous en privons pas.
Que conclure ? Que la beauté absolue, celle qui s’établit par des plans, se trouve plus souvent chez l’homme que chez la femme, que, par conséquent, la femme vraiment belle est ce qu’il y a de plus rare au monde, par suite de plus désirable, — c’est ce qu’il fallait démontrer.
Autre conclusion. Que les hommes soient beaux, peu nous importe au fond, car nous les regardons d’une vue toute désintéressée, objective, en artistes, tandis que la beauté, même imparfaite de la femme, c’est comme dit Stendhal, une promesse de bonheur, de ce bonheur terrestre qui seul nous émeut.
Louons donc maintenant les beautés du corps féminin.
Chez une femme de stature élancée, admirable est la chute des reins, l’inflexion du dos, élargi et plat aux épaules, qui file comme un fleuve serré par deux rives rapprochées, puis s’étale entre les hanches arrondies.
Il y a le long de la colonne vertébrale, une coulée de lignes allongées où les chairs, comme comprimées, paraissent plus fermes, puis elles se détendent aux hanches jumelles où l’on sent une plénitude heureuse, un repos, une halte, le luxe, l’indolence avant la descente vers les jambes qui, elles, travaillent, et ne peuvent se permettre l’abondance.
Comment dire la beauté des chairs qui vont de l’épaule au sein ?
C’est un défaut, et grave, d’avoir le sein attaché sur la poitrine plate. Il doit y avoir un passage insensible et délicat de l’un à l’autre, un art infini des transitions. Quand le « morceau » est réussi, quelle joie magnifique pour les yeux !
Un sein arrondi et ferme, délicatement fleuri en son sommet, exercera toujours un attrait profond.
L’attache du bras est une des parties difficiles de la symphonie. Il faut que l’ossature disparaisse, cachée par des muscles à peine indiqués qui jouent librement sous la peau. Tout déploiement de force est dangereux, de même la surabondance des chairs grasses.
La minceur de l’attache du bras, pour qui la regarde de face, est surprenante chez la femme.
Entre les seins, un vallon délicieux commence resserré, puis s’élargit soudain. Il reste marqué entre les saillies légères que font les côtes. C’est alors la taille amincie, colonne qui supporte le chapiteau épanoui à double volute des seins.
Puis le ventre, que nous ne voulons plus gros comme à la Renaissance italienne, mais tendu à l’antique et aplati comme un bouclier. Il fuit sans bouillonnements vers les aines, là où sont cachées, comme dit Shakespeare, les sources délicieuses.
Les cuisses sont longues, bombées en arc, avec de la chair et pas de graisse. Ce sont des travailleuses.
Le genou ne sera ni escarpé, ni rocailleux, il se fond dans la jambe.
Mieux vaut un mollet un peu sec qu’un mollet trop gras.
Il n’est pas tolérable que le pied soit épais et court. Un pied long, mais fin et cambré, est une des jolies réussites du corps féminin.
Un pied élégant revêtu d’un bas semble une langue.
Le bras tombe d’une ligne nette de l’épaule au coude.
L’avant-bras a le galbe d’un vase allongé d’où sortirait une fleur : la main.
Qu’une jolie main souple sur un poignet fin est chose rare et belle !
Les cheveux, abondants. On permet à la femme un excès de ce qui est inutile, de ce qui n’est là que pour l’ornement. Les cheveux bouclés, ondés et drus, l’emportent sur les autres, car ils ont de la vie, et la lumière joue avec eux un jeu charmant et varié.
Aussi les femmes ont-elles toujours su communiquer à leurs cheveux, par le moyen du fer, une vie artificielle à laquelle nous nous laissons prendre.
La grâce des cheveux est multiple, qu’ils soient arrangés en bandeaux, relevés ou crêpés, hauts ou bas, étalés enfin comme un voile mouvant qui cache et montre tour à tour le mystère des yeux et le charme deviné du sourire.
L’oreille ne doit être ni plate, ni écartée de la tête, ni trop charnue. Si elle se cache obstinément sous les cheveux, elle meurt loin de l’air et de la lumière.
Morte, elle est horrible à voir.
Fine, délicate, allongée, bien ourlée, et rougissante à son extrémité, voilà l’oreille parfaite.
Quant au nez, il ne peut être large et camus. Retroussé ? d’aventure.
Il faut un beau visage pour porter un grand nez.
Qu’il soit droit ou légèrement aquilin. Le nez aquilin qui se tolère chez l’homme, donne à la femme, si la courbure en est trop accentuée, l’air bête.
Il y a de la vie dans les narines qui frémissent et se gonflent, mais qu’elles ne soient ni trop creusées ni trop plates. Partout nous suivons la mince ligne qui sépare le trop du trop peu. Pauvre corps féminin !
La bouche ?
Il y a en elle tant de promesses de bonheur que c’est elle, après les yeux, que nous regardons d’abord. Aussi a-t-elle plus d’une façon de faire son salut et le nôtre.
Qu’elle soit grande, petite, flexible, sinueuse, droite, charnue ou mince, il n’y a qu’une chose qu’on ne peut lui pardonner, c’est d’être molle.
Il est des bouches qui sont comme le calice humide d’une fleur.
On ne peut croire qu’elles soient faites utilitairement pour avaler de la nourriture. Elles semblent n’être là que pour être baisées. Pourtant les femmes qui les ont mangent de fort bon appétit.
Elles devraient manger seules, à l’écart.
Des dents blanches et petites qui pourraient mordre si bien, si elles voulaient ; une langue, effilée, agile et rose, qui joue à se cacher derrière la barrière des dents, voilà le mobilier de la bouche.
Les yeux bruns, veloutés et chauds, les yeux comme des saphirs ou pareils à des bleuets, les yeux aigue-marine, jade ou glauques comme la mer, les yeux pâles et profonds, les yeux pervenche, si doux qu’on voudrait les boire, les yeux noirs qui sont métal, ceux qui sont agate, ceux qui sont soie moirée, les yeux dorés comme un beau fruit, les yeux vifs et les yeux tristes, ceux qui pétillent et ceux qui pleurent, ceux qui contemplent et ceux qui regardent, ceux qui gardent un secret et ceux qui le disent, ceux qui se taisent et rêvent, ceux qui désirent et parlent, ceux qui commandent, ceux qui obéissent, ceux qui incendient et dont on ne peut soutenir l’éclat, ceux en qui seule une petite flamme d’espoir veille, les yeux grands, petits, allongés, séparés ou rapprochés, ovales, plus ou moins, à fleur de tête moins que plus, aux paupières lourdes ou légères, lentes ou promptes, claires ou bistrées, aux sourcils épais, ou effilés comme au pinceau, en arc à la byzantine ou presque droits à la française, — les yeux, c’est assez s’ils vivent.
Il y a autre chose que la beauté des traits.
Au moment où la femme tente un grand coup de séduction, entre seize et vingt-deux ans, la nature, qui sait ce qu’elle veut, lui prête un charme momentané qui n’est une qualité d’aucun des traits, mais de l’ensemble. Chacun des traits, médiocre en soi, devient agréable. On dit alors : « Elle a les yeux petits, mais ils ont du feu ; le nez retroussé, il est spirituel ; la bouche est trop grande, soyons-lui-en reconnaissant, puisque c’est pour découvrir de belles dents, etc., etc… »
En y regardant de près, c’est une qualité de la peau qui fait le charme de la jeunesse ; la sève circule abondante dans les tissus et donne au teint de l’éclat, de la fermeté à la chair, du brillant aux yeux… Rien n’est moins durable. Lorsque le prestige a opéré, que la jeune fille est devenue femme, la nature s’en désintéresse aussitôt. Vous êtes en face d’une personne sans éclat et dont les traits sont laids. Il est vrai que si elle est votre femme et que vous avez vécu quelques années avec elle, vous ne la regardez plus. Elle fait alors partie de votre vie comme un meuble auquel on est accoutumé, qu’on se refuserait à acheter, mais que, l’ayant, on laisse où il est, dans un coin.
Telle est la première floraison de la femme.
Il y en a, chez beaucoup, une seconde, celle-ci entre trente et quarante ans.
A ce moment, la nature fait un nouvel effort. Généreuse, elle donne à la femme une chance de plus, la dernière.
Celle-ci, c’est du surcroît, du luxe, c’est pour le bonheur. La femme reprend avant la maturité un éclat qu’elle n’avait plus. Elle redevient séduisante comme à ses dix-huit ans avec tout le charme en plus de l’élégance apprise, avec le raffinement de dix ans passés à s’orner pour plaire.
Qui profitera de cette heure de jeunesse ?… Il est peu probable que le mari qui ne regarde plus sa femme s’aperçoive même de cette transformation. S’il n’est pas aveugle, et s’il craint les apanages du mariage, il s’empressera de lui faire un enfant.