Supercheries littéraires : $b pastiches, suppositions d'auteurs dans les lettres et dans les arts
[115] Ses trois courts chapitres sur la matière, sont:—1º. Celui sur les imposteurs littéraires; 2º. Celui consacré aux imitateurs remarquables; et 3º. Le chapitre sur les faux littéraires (literary forgeries). Ce dernier est le plus intéressant.
Si chaque genre, à son tour, a son âge d'or en littérature, celui du pastiche et des suppositions d'auteur est incontestablement le dix-neuvième siècle. Le nombre en est si considérable, que nous ne ferons mention que des plus curieux.
En 1803, Barbié de Bercenay et Sulpice Imbert, comte de la Platière, s'amusèrent à publier une correspondance très bien imitée, de Louis XVI. avec ses frères, et plusieurs personnages célèbres, pendant les dernières années de son règne.
M. Beuchot, dans la "Bibliographie de la France," convainquit les plus incrédules que ces lettres, acceptées comme authentiques, étaient supposées.
Les plus habiles critiques sont quelquefois pris au piège du pastiche, mais il arrive aussi que le contraire a lieu, et que c'est le mystificateur qui est mystifié.
Paul Lacroix, le prince des pasticheurs et de la pastichomanie, qui nous a conservé la mention d'une partie des siens,[116] comme documents pour l'histoire du genre, est un exemple du fait. Il publia dans un catalogue, avant que le manuscrit authentique et autographe eut passé dans la bibliothèque de S. A. R. le Duc d'Aumale, que "les historiettes de Tallemant des Réaux étaient évidemment un ouvrage supposé, que M. De Monmerqué, de concert avec Taschereau, qui possède si bien son XVIIme siècle, auraient déterré à la bibliothèque du roi, dans les recueils d'anecdotes de Falconet, ou bien extrait des manuscrits de Conrart, à l'arsenal."
[116] Voir l'Introduction aux Mémoires de Messire Jean de Laval, Comte de Chateaubriand. Genève, 1868. Un vol. in 18º, tirage à cent exemplaires numérotés.
L'écrivain qui inventait un sixième livre de Pantagruel,[117] des Mémoires du Cardinal Dubois, de Gabrielle d'Estrées, etc., etc., n'aurait pas dû se fourvoyer ainsi. Rappelons en passant que la publication de ces Mémoires de Tallemant des Réaux a contribué à laver la tache qu'un autre pasticheur avait imprimée au parlement de Grenoble, pour un arrêt qui fut regardé comme authentique pendant plus de deux cents ans.[118]
[117] Il ne fut toutefois jamais publié que le prologue et le premier chapitre.
Lors de la publication de ce pastiche, un journal de Paris, en annonçant ce sixième livre, disait: La lecture de ce livre inédit convaincra les plus incrédules, qu'il ne peut être attribué qu'au véritable auteur de Pantagruel.
[118] Article Sauvage, tom. iii. p. 93, de l'édit., in 12º, de 1840. Cet arrêt supposé, rendu en 1637, fut inséré par plusieurs jurisconsultes dans les recueils d'ordonnances et dans les commentaires. C'est sur la donnée de cet arrêt qu'a été composé le livre, intitulé, Lucina sine concubitu, par John Hill, qui prit le pseudonyme d'Abraham Johnson. Mercier de Compiègne publia cette plaisanterie en français.
Dans "Les Mémoires de Fléchier" (Paris, Hachette, in 12º, 1862), sur les Grands jours d'Auvergne, en 1669, l'auteur fait mention, à la page 127, d'un cas à peu près semblable à l'arrêt supposé de Grenoble.
L'incorrigible Paul Lacroix publia en 1828 un autre pastiche qui réussit encore mieux que les précédents. Ce fut une lettre de Clément Marot à la sœur de François I, sur le recueil de ses contes, et qui fournissait la preuve des liaisons intimes qui avaient existé entre ces deux personnages célèbres.
Citons encore du même écrivain la traduction de l'ode d'Horace, "Pastor, cum traheret," etc., attribuée au prince qui fut depuis Louis XVIII. Quand elle fut publiée en 1829, on ne doutait pas que ce souverain en fut véritablement l'auteur.[119]
[119] Dans "Les Supercheries Littéraires dévoilées" par Quérard, tome iii. page 9, on trouve de longs détails sur ces pastiches.
M. Fauriel, désireux de contribuer à la réputation de son jeune ami Prosper Mérimée, l'engagea à recueillir et à publier une collection de poésies Illyriennes, qui, disait-il, ne pouvaient manquer de réussir en France, d'après ce qu'il en avait entendu réciter dans le pays. Un an après ce conseil, en 1827, Mérimée fit paraître La Guzla, chants Illyriens d'Hyacinthe Maglanowich.
Rien ne faisait soupçonner le pastiche au public, mais Fauriel ne tarda pas à le reconnaître, et fut très mécontent qu'un ami eut essayé de le prendre pour dupe.
Néanmoins ces originaux supposés eurent un grand succès, et un naïf Allemand non seulement les traduisit en vers, mais il prétendit même avoir su retrouver, sous la version française, le mouvement et le rhythme de l'original.
A cette époque, le mensonge littéraire se rencontrait partout en France, même dans les sermons. Serieys publia à Paris, en 1810, sous le titre de "Sermons inédits de Bourdaloue," deux pastiches assez bien faits de ce célèbre prédicateur.
Presque tous les Mémoires, soi-disant inédits des 16me, 17me et 18me siècles rentrent dans cette catégorie. On commença même à attaquer les anciens auteurs latins, comme l'avait fait Hardouin.
Eugène Du Mesnil voulut établir que le poème de Lucretius Carus, avait été composé par Jean Pontanus, de Naples. Il en donnait quinze différentes raisons.
Nous aimons à croire que ce n'était là, pour M. Du Mesnil, qu'un paradoxe, car pour l'existence de ce poème nous avons le témoignage de Cicéron, de Stace, de Quintilien. Puis on se demande comment Pontanus, voulant faire un pastiche qu'il attribuait à un auteur plus jeune que Cicéron, et de douze ans seulement plus âgé que Virgile, aurait affecté les tournures archaïques familières à Lucrèce, quoiqu'elles ne soient pas étonnantes chez celui-ci, comme le remarque fort bien Bayle.
Plusieurs bibliophiles se donnèrent la peine de défendre l'authenticité du poème de Lucrèce, dans un journal littéraire.[120] On pourrait donner à cette défense le titre de Love's labour lost.
[120] L'Intermédiaire du 29 Juin 1870.
Une supposition d'auteur plus adroite que la précédente, fut celle de M. E. Begin, qui, dans une histoire des rues de Metz, fit intervenir dans son récit Claudius Numatianus Rutilius, et donna la traduction française de deux lettres, supposées écrites par ce poète latin du Vme siècle.
Entraîné par l'exemple de la France, le célèbre poète italien Leopardi s'amusait à publier en 1826 une traduction faite au XIVme siècle, d'après une version latine d'une chronique grecque, relatant l'histoire des Saints Pères du Mont Sinaï. Il imita si bien le vieux style italien, que de fins connaisseurs y furent pris. Du reste cet écrivain aimait assez à mystifier ses amis et le public, car il publia, peu de temps après, deux odes grecques dans le genre d'Anacréon, et la traduction d'une ode à Neptune, protestant qu'il avait trouvé, dans un vieux manuscrit, ces débris jusqu'alors inconnus de la littérature hellénique.[121]
[121] Gustave Brunet, "Essai sur les Bibliothèques Imaginaires," 1 vol. 8º, p. 383. Paris: Techener. 1862.
La manie des supercheries littéraires était dans l'air. Un peu plus tard, un étudiant allemand nommé Wagenfeld composa une traduction grecque de l'historien phénicien Sanchoniaton, supposée faite par Philon de Biblos. Ce travail décélait une profonde connaissance des antiquités sémitiques.
L'auteur prétendit que le manuscrit original avait été trouvé dans un couvent de Portugal. Le directeur du Lycée de Hanovre, le savant Grotefend, fut trompé par l'écolier au point d'écrire un avant-propos pour le travail de Wagenfeld, intitulé, "Analyse de l'histoire primitive des Phéniciens, par Sanchoniaton, faite sur le manuscrit nouvellement retrouvé de la traduction complète de Philon, avec des observations de M. F. Wagenfeld."
On y avait inséré un fac-similé de l'original; seulement comme le texte grec ne paraissait pas, et que les savants ne pouvaient en obtenir l'inspection, des doutes s'élevèrent, et toutes les circonstances de la trouvaille ayant été mûrement pesées, il fut prouvé, même au Directeur du Lycée de Hanovre, qu'il n'y avait jamais eu dans cette affaire qu'une très adresse et très habile supposition d'auteur.
Mais c'est plus particulièrement en France que réussissent ces jeux d'esprit.
Comment en serait-il autrement lorsque même les esprits les plus graves cherchent à tromper le public, ne fut-ce que pour quelque temps, et prennent plaisir à la déception et à la crédulité des lecteurs?
Le premier quart du dix-huitième siècle s'ouvrit par un petit ouvrage rempli d'un parfum attique et que l'auteur, qui ne s'avouait que le traducteur, disait avoir trouvé parmi les manuscrits d'un évêque grec. Il ajoutait, "On ne sait ni le nom de l'auteur ni le temps auquel il a vécu; tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il n'est pas antérieur à Sapho, parcequ'il en parle dans son ouvrage."
Le succès fut si grand que les sept chants de ce poème en prose, soi-disant grec, furent bientôt traduits dans presque toutes les langues. L'auteur garda assez longtemps le secret, car l'ouvrage ayant paru en 1729, l'auteur écrit à son ami l'abbé de Guasco, en 1742, "Je voudrais que vous fussiez de retour à Paris, avant que je parte, et je me réserve de vous dire alors le secret du Temple de Gnide."
Il était naturel que Charles de Secondat, Baron de Montesquieu, et Président du Parlement de Bordeaux, cherchât à cacher son nom; mais il n'était pas besoin de tacher à induire en erreur ses amis aussi bien que le public.
Ce ne fut que plus tard qu'il avoua ce pastiche, dans une lettre où il disait qu'il n'avait eu d'autre but que de faire une peinture poétique de la volupté. Depuis lors, bien des écrivains, s'appuyant d'un si grand nom, crurent pouvoir regarder le public comme leur jouet, et rire de sa crédulité.
Aux exemples que nous en avons déjà donnés, en voici quelques autres.
M. Louis Lazare mit en circulation avec succès des lettres du roi Henri IV., jusqu'au jour où M. Berger de Xivrey eut démontré d'une façon peremptoire que ce n'étaient que des pastiches. Nullement découragé par cet échec, le même écrivain, un peu plus tard, présenta aux lecteurs, dans Le Peuple Français, un article intitulé, "Edilité Parisienne, de longues citations d'histoire anecdotique soi-disant inédites, dans lesquelles le style ancien est très bien imité; mais l'auteur se garde bien de laisser soupçonner que ce n'est là qu'une supercherie."[122]
[122] Voir le No. du 27 Août 1869.
L'audace des contrefacteurs était telle qu'ils n'hésitaient pas à tromper le gouvernement même. Sous le ministère de M. de Villemain, le grec Minoïde Minas eut mission d'explorer les vieilles collections de livres et de manuscrits de son pays, et rapporta du couvent de Sainte Laura, au mont Athos, un manuscrit inédit des fables et apologues de Babrius.[123] Le savant Helléniste Boissonnade fut chargé de l'éditer. Or dans l'intervalle, M. Minas vendit au Musée Britannique, à Londres, un manuscrit renfermant 95 fables du même Babrius, dont M. G. Cornewall Lewis publia une édition à Londres en 1859.[124]
[123] La critique a décidé qu'on ne peut placer cet auteur au-dessous du troisième siècle. Ainsi ce poète est postérieur à Phèdre, qu'il surpasse, dans l'opinion de quelques-uns, par la précision élégante de son style.
[124] Babrii Fabulæ Æsopeæ e codice manuscripto: partem secundam nunc primum edidit G. Cornewall Lewis. Un vol. in 8º.
On espérait que c'était le complément, ou la seconde partie, comme le dit le titre latin, du recueil incomplet rapporté d'Orient par Minas et que le ministère français faisait éditer. Malheureusement pour les savants, M. Dübner démontra, dans le journal de l'instruction publique du 15 Févr. 1860, que ces nouvelles fables étaient des pastiches, auxquels l'helléniste anglais s'était laisser prendre trop facilement.[125]
[125] Voir Egger, "Mémoires de Littérature Ancienne," tome i. page 490, et suiv.
Nous avons cité dans l'introduction, le volume de pastiches composés par M. Chatelain. Cet écrivain ne montra pas toujours la même franchise. En 1837, il publia quatre lettres de Voltaire à Madame Du Deffand, au sujet du jeune Benjamin Constant de Rebecque. Dans une note explicative, il prétend que ces lettres furent laissées par Mme du Deffand à Horace Walpole. "Il paraît, ajoute-t-il, que M. B. Constant a fait l'acquisition des originaux qui le concernaient, de Walpole lui-même, qui ne voulut point céder les réponses de Mme du Deffand. Au reste, cette négociation explique pourquoi les lettres que nous livrons au public, ne se trouvent dans aucune des collections des œuvres de Voltaire."
Ne croyant point encore cette explication suffisante, et pour établir sans réplique l'authenticité des documents, Chatelain va jusqu'à avancer que des membres de la famille de Benjamin Constant l'avaient assuré que la Biographie Universelle se trompait en donnant 1767 comme date de sa naissance,[126] tandis qu'il est né en 1759, ce qu'on pouvait vérifier chez M. Chevillard, père, notaire, rue du Bac., No. 15.
[126] Ce qui ne lui aurait donné que l'âge de 6 ou 7 ans, quand il demanda des lettres de recommandation en 1774, pour se présenter chez Madame du Deffand.
Nom de notaire, rue, numéro, toutes ces indications étaient fausses. L'extrait de baptême du grand publiciste, prouve qu'il est bien réellement né le 29 Octobre 1767.[127] La même année que Chatelain poussait ainsi la supercherie littéraire jusqu'au mensonge, Toulouse voyait paraître un magnifique in 8º, tiré à cinquante exemplaires seulement, et imprimé en or, argent et couleurs, à l'imitation des anciens manuscrits. Le Carya Magalonensis, chronique de Montpellier, durant les premières années du XIVme siècle, acceptée comme authentique, eut une seconde édition en 1844, avec la traduction en regard, par M. A. Moquin-Tandon. L'ouvrage trompa la clairvoyance des critiques les plus éprouvés.
[127] Quérard, "Supercheries Littéraires."
M. Raynouard lui-même, dont les décisions semblaient infaillibles, écrivit au traducteur pour le féliciter d'avoir mis en lumière un livre qu'il considérait comme devant ajouter des renseignements curieux à l'histoire de la langue d'Oc. Quelques journaux de Toulouse et de Montpellier furent induits en erreur, comme le savant philologue. Mais M. Fortoul, alors professeur à Toulouse, depuis ministre de l'instruction publique, déclara, "qu'il regardait le Carya Magalonenenis comme une contrefaçon habile et exacte de cette langue romane qui a eu autrefois tant de gloire, et qui est aujourd'hui le sujet de tant d'études."
Le secret avait été bien gardé, car l'auteur de ce pastiche l'avait confié à quelques amis, en distribuant la première édition. Enfin il souleva tout-à-fait le voile.[128]
[128] "Les Ecrivains pseudonymes," etc., par Quérard. 1 vol. pp. 335. Paris, 1854.
Deux véritables héros pour la fabrication de pastiches et de fausses pièces, ont étonné le dix-neuvième siècle. Le premier est le grec Simonidès, qui commença sa carrière en ce genre, en arrivant à Athènes avec un grand nombre des manuscrits les plus rares, tant sacrés que classiques, provenant, assurait-il, du couvent du Mont Athos. Parmi eux se trouvait un ancien Homère, avec un commentaire complet d'Eustathius. Un examen minutieux prouva que ce n'était guère que la copie de l'édition du poète grec, par Wolf, les erreurs y comprises.
En 1851, Simonidès proposa à Constantinople, la publication d'un Sanchoniaton complet, et promit en outre des inscriptions cunéïformes avec traduction en phénicien, et des manuscrits arabes en caractères syriaques, renfermés dans une boîte de métal qu'il avait aidé à déterrer, mais qu'on découvrit malheureusement qu'il avait enfouie lui-même en ce lieu.
Arrivé en Angleterre en 1853, il présenta à la Société Royale de Littérature de Londres, quatre livres de l'Iliade qu'il tenait de son oncle Bénedictus, moine du Mont Athos. Dans une des séances de la société, il prononça un discours sur un Dictionnaire Hiéroglyfique Egyptien dont il avait connaissance, et sur des chroniques Babyloniennes en caractères cunéïformes.
Les lettrés trop crédules admirèrent le zèle infatigable qui avait pu rassembler de pareils trésors.
Simonidès entremêlait adroitement les vrais manuscrits avec les faux. Le Musée Britannique lui en acheta onze exempts de tout soupçon. Ce n'était là, comme nous allons le voir, que préparer habilement ses plans.
Il fit alors une excursion en Allemagne, et il y mystifia un instant des savants tels que Bunsen, Lepsius, et W. Dindorf. Le manuscrit d'Uranios, contenant un fragment de l'ancienne histoire d'Egypte, fut accepté par ce dernier comme authentique, et d'après ses conseils, l'université d'Oxford fit imprimer un spécimen de ce document. Peu de temps après, Lepsius, qui s'était aussi intéressé à cette trouvaille, annonça qu'après un examen plus attentif, il avait reconnu, que le texte de ce manuscrit était pris en partie dans ses propres ouvrages à lui, et en partie dans ceux de Bunsen. Tischendorf confirma cette opinion et démontra de son côté que l'Uranios n'était qu'une fraude littéraire.
Simonidès, qui était parvenu à vendre ce manuscrit à l'Académie de Berlin, pour cinq mille dollars, fut arrêté à Leipsig, au moment où il prenait le chemin de l'Angleterre. On le conduisit à Berlin, où il fut mis en prison et traduit devant une cour de justice. Il échappa toutefois à une condamnation, en conséquence de l'omission de certaines formalités légales, mais néanmoins, le 30 Mars 1856, la police lui donna l'ordre de quitter le pays.
Simonidès revint en Angleterre, et y fit valoir bien haut son acquittement, preuve, disait-il, de son innocence et des calomnies auxquelles il avait été en butte.
Renouant le fil de ses anciens rapports avec les savants du pays, il leur fit entendre qu'il avait connaissance d'une foule de manuscrits précieux, inconnus, dont un était de la main de l'Empereur Théodose!
M. Mayer, zélé Egyptiologue de Liverpool, non seulement lui acheta des pièces fort anciennes, mais encore lui donna accès à son Musée, le priant d'expliquer plusieurs papyri qu'il lui confia.
Par ses conseils, M. Mayer fit publier, à grands frais, avec les explications de Simonidès, un beau volume, contenant entr'autres certaines portions de l'évangile de Saint Mathieu, supposées écrites par Nicolas d'Antioche, sous la dictée de l'apôtre lui-même![129]
[129] "Fac-Similes of certain portions of the Gospel of St. Matthew, and of the Epistles of St. James and St. Jude, written on papyrus, in the first century, etc. etc. Edited and illustrated, by Constantin Simonidès." In fol. London: Trübner, 1862.
Le journal littéraire (Athenæum) examina soigneusement ces pièces, et les déclara fausses. Mais l'audace ou l'ingéniosité de notre grec ne s'effrayait pas si vite.
Il pouvait montrer aux incrédules, disait-il, des documents plus curieux encore. Entr'autres un traité théologique égyptien, écrit sur une peau de femme, au premier siècle! Aussi, un poème grec d'Œnopidès, tracé sur une peau semblable, à la même date!
On peut aisément s'imaginer que tout ceci ne servait guère à augmenter la confiance du public.
Simonidès, ayant eu à subir de très vives attaques du savant Tischendorf, songea à s'en venger d'une manière assez curieuse. Les érudits se rappellent le bruit que fit la découverte, au Mont Athos, du fameux Codex Sinaïticus, ou texte de l'Evangile, par Tischendorf, qui en fit présent à l'Empereur de Russie, et qui exposa l'historique complet de cette découverte dans un petit volume, supérieurement imprimé à Leipsig, sous le titre de "Sinaïbibel, ihre Entdeckung, Herausgabe, und Erwerbung."
Simonidès publia que ce manuscrit n'avait aucune authenticité, puisque c'était lui-même qui l'avait composé. Il expliquait tout au long les circonstances de cette fabrication.[130]
[130] Supplément au journal The Guardian, du 3 Septembre et du 21 Novembre 1863.
Dans une lettre du 17 Janvier, du journal cité ci-dessus, on répondit que Simonidès cherchait à se parer des plumes du paon, et qu'en 1862, il n'avait pas même connaissance du célèbre codex, lorsqu'il en fut question, en sa présence, à l'Université de Cambridge. Alexandre von Humboldt, qui avait suivi toute cette controverse avec grand intérêt, nommait Simonidès une énigme vivante et un nœud gordien insoluble.
En 1867, on annonça, dans les journaux, la mort de notre fameux grec, arrivée à Constantinople; mais deux ans après, le révérend Donald Owen le retrouva à Saint-Pétersbourg, préparant pour la presse "des documents historiques de grande importance, par rapport aux droits du Gouvernement russe."
Comme il lui était arrivé quelquefois de se rendre à lui-même, sous un autre nom, témoignage de l'authenticité de ses pastiches, il n'y aurait pas lieu de s'étonner si Simonidès se présentait de nouveau un jour incognito, comme témoin de l'authenticité de tout ce qu'on lui a contesté.[131]
[131] Gentleman's Magazine, Octobre et Novembre 1865.
Ces fabrications de faux documents mirent la puce à l'oreille des archivistes, à ce qu'il paraît, car M. R. F. Le Men qui remplissait ce poste dans le département de Quimper, accusa M. De la Villemarqué, de faire passer pour vraies des supercheries pareilles.[132] Cet écrivain disait avoir découvert dans une église près de Morlaix, en Bretagne, les poésies d'un ancien poète du pays, Quin-Clan, dont de très courts fragments seulement avaient échappés à la destruction. Ces poésies appartiennent aux 5me et 6me siècles. Ce Quin-Clan était le Merlin des Bretons, sinon le véritable Merlin des romans de chevalerie.[133] Malheureusement ce précieux manuscrit disparut très peu de temps après sa découverte, et ne fut plus jamais retrouvé. Quelque temps après M. de la Villemarqué fit paraître son volume intitulé Barzas-Breiz, ou chants populaires de la Bretagne, dont partie du texte était de pure imagination, dit M. Le Men.
[132] Voir Athenæum, du 11 Avril 1868.
[133] Voir Le Courrier Français, du 28 Octobre 1835; et un article de M. Francisque Michel dans le Foreign Quarterly Review, d'Avril 1836.
Ce qui frappa d'abord le plus notre critique, ce fut l'ensemble et l'admirable suite des Barzas-Breiz. Si quelqu'un avait eu l'idée de présenter, par épisodes, l'histoire complète de la Bretagne, il n'aurait pas pu mieux réussir. Il ne manque pas un chaînon depuis les Druides jusqu'aux Chouans. Cette suite parfaite suscita des soupçons, et un examen critique ne fit que les confirmer. On peut diviser ces chants ou petits poèmes, en deux classes. D'abord les soi-disant contes anciens, tels que La prédiction de Gwenc'hlan, La marche d'Arthur, La submersion de la ville d'Is, Le tribut de Nomenoë, Le vin des Gaulois, lesquels M. Le Men regarde comme de simples fabrications.
Puis viennent les chants dont les prototypes sont bien connus, mais qui ont été modifiés pour leur donner un caractère historique et une apparence d'ancienneté, tels que Les vêpres des Genouilles, et plusieurs autres, où les anachronismes abondent.
Terminons en citant textuellement notre critique, "Depuis vingt ans, j'ai parcouru toutes les parties de la Bretagne, et principalement le Finistère, et j'ai passé bien de jours dans les lieux mêmes où M. de la Villemarqué dit avoir recueilli ses anciennes chansons et poèmes. J'ai pris des renseignements auprès de ceux qui connaissent le mieux les mœurs et les coutumes de la Bretagne, nommément Messieurs P. Proux et Lugel, nos deux meilleurs poètes bretons contemporains, dont la compétence pour juger de chants nationaux, est incontestable. Ils m'affirment qu'ils n'ont jamais rencontré dans la Basse Bretagne les noms de Gwenc'hlan, d'Arthur, de Merlin, de Nominoë, soit dans des poèmes connus, soit dans des traditions populaires.
"J'ai aussi consulté les inspecteurs des écoles primaires qui reçurent l'ordre du ministre de l'instruction publique, de 1851 à 1853, de rassembler les chansons populaires des districts ruraux, et j'ai reçu les mêmes réponses négatives.
"M. d'Arbois de Tubainville, correspondant de l'Institut de France, a demandé des explications, dans la Revue Critique du 23 Novembre 1867; mais l'éditeur des Barzas-Breiz avait jusqu'en Avril 1868, gardé le plus profond silence."
Nous ignorons si des explications ont été données depuis, mais l'accusation nous a paru assez singulière pour n'être pas passée sous silence. Enfin, quand même une grande partie des Barzas-Breiz ne feraient que reproduire l'histoire embellie des poèmes d'Ossian, M. De la Villemarqué, par ses nombreuses publications sur la littérature de la Bretagne, en a ravivé le souvenir, dans une sphère très étendue.
A cette époque l'Angleterre, aussi bien que la France, présentait de ces supercheries sur une assez grande échelle. Citons entr'autres une fabrication systématique des lettres de Lord Byron, de Shelley, et de Keats, qui étonna la ville de Londres, de 1850 à 1852. Ces faux autographes étaient si bien contrefaits qu'ils déçurent tous les collecteurs anglais.
L'éditeur Moxon acheta très cher dans une vente publique, une série de ces lettres, et en publia vingt-cinq, avec une introduction pompeuse du poète Robert Browning.
Après un long et soigneux examen, elles furent reconnues n'être que des pastiches. Le premier soupçon s'éleva par un singulier hasard. M. Moxon avait présenté un exemplaire de sa publication au poète Tennyson, chez lequel M. Palgrave, jetant par accident les yeux sur ces lettres, en rencontra une qui faisait partie d'un article du Quarterly Review de 1840, écrit par son père, Sir Francis Palgrave. La chose étant prouvée, Palgrave informa aussitôt Moxon, qu'il y avait là un plagiat, et l'éveil ainsi donné, toutes les autres lettres furent discutées, l'une après l'autre, et l'on acquit l'évidence d'une complète supercherie. M. John Murray, un des plus grands éditeurs de l'Angleterre, avait aussi été pris au piège. Il avait acheté au libraire White, quarante-sept lettres supposées autographes de Lord Byron, pour cent-vingt-trois livres sterling et six shellings, à raison de deux guinées et demi la pièce.
L'affaire de Moxon avait rendu soupçonneux M. Murray, qui, possédant un nombre considérable de documents, poèmes et lettres de la main du noble poète, examina scrupuleusement ses nouvelles acquisitions, les soumit à des connaisseurs, les confronta avec d'autres originaux, et enfin il lui fut démontré que lettres et notes de Byron, de Shelley, et de Keats, n'étaient que d'habiles pastiches.
Le libraire White, qui en avait vendu une grande partie, expliqua, dans une lettre à M. Murray, le système original dont une femme s'était servi pour lui en imposer, en excitant sa compassion pour la détresse où se trouvait un fils naturel de Byron.[134]
[134] Ce récit est trop long pour trouver place ici, mais on peut en lire les détails dans le Athenæum du 6 et du 20 Mars 1853; dans la Literary Gazette, de la même date, et dans les Principia Typographica de S. Leigh Sotherby, Londres, 1858, 3 vol. in fol.
Un des plus savants collectionneurs de France fut dans le cas de devoir se défendre contre une accusation du même genre que la précédente. Il possédait nombre de lettres de l'époque de la Révolution de 93, et dans un triage, il en vendit plusieurs, entre autres vingt-cinq lettres autographes de la Reine Marie-Antoinette, acquises par M. d'Hunolstein, qui allait publier une nouvelle édition de son ouvrage sur cette infortunée princesse.
Ces autographes excitèrent l'attention du public, à la suite d'une discussion sur leur authenticité, et M. D'Arndt, conservateur de la Bibliothèque Impériale à Vienne, fit voir, par la forme et par le fond, qu'ils n'étaient que des pastiches qui avaient trompé la perspicacité de M. Feuillet de Conches.
Nous avons parlé ci-dessus de deux véritables héros pour la fabrication de documents supposés, le premier, Simonidès, dont les hauts faits ont été décrits. Le second fut Vrain Lucas, dont il nous reste à rappeler l'étonnante audace en ce genre.
Le 8 Juillet 1867, l'Académie des Sciences de Paris entendit, pour la première fois, M. Michel Chasles, mathématicien très distingué, parler des autographes rares et précieux qu'il avait acquis à grands frais.
Dans le courant du même mois, M. Prospère Faugère, auteur de nombreux travaux sur Pascal, et M. Bénard d'Evreux, écrivirent à l'Académie pour lui signaler quelques-uns de ces faux autographes,[135] que M. Chasles avait fait insérer dans les bulletins de cette société savante. Cet avertissement n'empêcha pas celui-ci de continuer sans retard la publication de documents semblables, qu'il continuait à soutenir parfaitement authentiques.
[135] Il s'agissait de deux lettres de Blaise Pascal écrites au chimiste anglais Boyle, et de quatre notes.
Le bruit de cette discussion attira l'attention des savants de l'Angleterre, et Sir David Brewster écrivit d'Edimbourg, à l'Académie de Paris, pour démontrer l'impossibilité d'avoir foi en ces pièces, qui impliquaient une correspondance entre Pascal, dans le déclin de l'âge, avec Newton, un enfant de douze ans!
Nonobstant, M. Chasles défendait pied-à-pied, les pièces qu'il avait produites.
Il y avait déjà cent cinquante lettres et notes publiées dans les "Comptes-rendus," concernant Pascal, et M. Michel Chasles annonçait que dans sa collection il y avait deux mille lettres de Galilée.
"Quos Deus perdere vult, prius dementat."
Deux ou trois mois plus tard, l'étonnement redouble. Le crédule académicien présente un premier fascicule de ces lettres de Galilée, où l'on trouve qu'il s'était occupé des lois de la pesanteur avec Pascal, alors seulement âgé de dix-sept ans.
Ici l'Italie se soulève à son tour, et prouve que Galilée n'a jamais écrit en français, qu'il ne savait probablement pas.
Malgré tout, l'Académie déclare, le 5 Août 1869, que toutes ces pièces portaient le cachet de l'authenticité. On s'appuyait surtout sur une lettre de Galilée à Louis XIII., paraphée par Louis XIV., manu propriâ.
Pendant ce temps, les accusations de faux pleuvaient de toute part. M. Breton (De Champ) démontre que seize notes de Pascal, et deux fragments d'une lettre de Galilée, ne se composaient que de passages littéralement copiés dans "L'Histoire des Philosophes Modernes," par Alexandre Savérien.
M. Sylvain Van de Weyer, Ministre de Belgique à Londres, aussi fin connaisseur en bibliographie qu'habile diplomate, écrivit au Daily News, le 10 Mai 1869, une lettre dans laquelle, surprenant le faussaire la main dans le sac, il montre qu'une lettre supposée de Milton à Louis XIV., sur son voyage en Italie, était prise, phrase par phrase, dans la notice sur Milton, que M. Villemain avait insérée dans ses Mêlanges.
M. W. G. Clarke publie une lettre dans la Pall-Mall Gazette, du 27 Septembre de la même année, au sujet de plusieurs autographes supposés de Shakespeare, écrits en français, et y donne la preuve que ces pièces sont tellement remplies d'anachronismes et d'invraisemblances, qu'on ne peut assez s'émerveiller de l'extrême ignorance de M. Chasles.
Finalement, M. Le Verrier lit un mémoire à l'Académie, démontrant que les lettres de Newton, de Pascal, de Malherbe, de Rotrou, de Montesquieu, de Maupertuis, de Louis XIV., de Leibnitz, etc., etc., n'étaient composées que de fragments copiés dans les ouvrages de Voltaire, de Thomas, du Duc de La Vallière, de Chauffepié, et autres.
Les procédés de fabrication étaient maintenant mis à découvert.
Cette colossale manufacture de pastiches allait chercher ses sujets jusqu'au delà de l'ère chrétienne. Il y avait des lettres de Jules César et des empereurs romains, plusieurs des rois mérovingiens, de Charlemagne, d'Alcuin, des Apôtres, de Boèce, de Cassiodore, de Grégoire de Tours, de Saint Augustin.
M. Michel Chasles déclara, en pleine académie, qu'il avait acheté plus de vingt mille de ces pastiches, et qu'il avait payé au fabricateur plus de cent cinquante mille francs!
Ce qui doit vraiment faire douter que le collectionneur, tout grand mathématicien qu'il fut, était compos mentis, c'est que parmi ces autographes il y en avait du sage Thalès, de Pythagore, de Sapho, de Lazare le ressuscité, de la Madeleine. Bien plus, ceux de Jules César et des empereurs romains étaient écrits en français!
Nous ne pouvons nous empêcher de donner un spécimen ou deux:—
Lettre de Sapho a Phaon.
Sapho à son très-amé Phaon, salut.
"Très chier amé, près de ces bords charmans où la veue admire en s'égarant, une immense estendue, où la plaine des mers et la vouste des cieux semblent dans le lointaing se confondre, ...ce fut là que embrasé par l'amour, tu me donna (sic) le premier baisé, et me pressa de le rendre," etc., etc.
Défi de Jules César a Vercingetorix.
Julii (sic) César au Chief des Gaulois.
"J'envoy devers toy un mien amé qui te dira le but de mien voyage; je veus covrir de mes soldats la terre qui t'a veu naistre. C'est en vain que tu la vouldras défendre. Tu es brave, je le say, mais aussi le serai, s'il plaist aux Dieux. Ains rend moy tes armes, ou prépare toy à combatre. Ce vi. des Kal. de Jullius."[136]
[136] L'écriture des originaux imite celle du dixième ou du onzième siècle, et Lucas disait qu'il ne les avait donnés que comme traduction d'antiques documents détruits.
On comprend aisément que ce ne fut que tout à la fin que ces dernières merveilles se produisirent. Les lettres des savants de France et d'Italie étaient composées avec adresse. Le fabricateur, Vrain Lucas, qui n'avait reçu qu'une demie éducation, et qui ne savait ni le grec ni le latin, se gardait bien de les tirer de son imagination. Il copiait ses phrases dans les ouvrages de ceux qui faisaient l'objet de ses pastiches, ou sophistiquait légèrement les originaux existants.
La confiance inspirée par le mérite éminent du collectionneur, et le respect imposé par son caractère, peuvent, jusqu'à un certain point, contribuer à excuser l'erreur dans laquelle l'Académie des Sciences est tombée.
L'affaire ayant été portée devant les tribunaux, les experts trouvèrent plus de vingt-sept mille de ces pièces, émanant de six cent soixante personnages célèbres.[137] L'ensemble des circonstances exposées dans le procès, sert à expliquer comment la discussion sur ces pastiches a pu durer deux années, comment les bulletins des Comptes-rendus leur ont accordé plus de 400 pages, et comment cette société savante a pu déclarer authentiques 381 pièces fausses.
[137] De Pascal, 1745; de Newton, 622; plus de trois mille de Galilée; six cents de Montaigne, etc. Jamais le stupide aveuglement d'un amateur d'autographes a-t-il été poussé jusque-là?
Vrain Lucas ne fut condamné qu'à deux ans de prison et 500 francs d'amende.
Cette affaire, où il reste encore de nombreuses obscurités à éclaircir, sera pour l'avenir l'une des plus extraordinaires des supercheries littéraires et de la manie des autographes poussée jusqu'à la folie.[138]
[138] Deux ouvrages donnent tous les détails désirables: 1º, Une Fabrique de Faux Autographes, ou Récit de l'Affaire Vrain Lucas, par Henri Bordier et Emile Mabile, 1 vol. 4º. Paris: Techener, 1870. 2º, "Défense de B. Pascal," etc., etc., par Faugère, 1 vol. 4º. Paris: Hachette, 1868.
Il y a lieu de s'étonner que Vrain Lucas ait si mal réussi dans ses pastiches de lettres de Jules César et autres personnages de ces époques reculées, lorsqu'il aurait pu prendre pour modèles nombre de ces sortes de fausses lettres parmi les manuscrits de la Bibliothèque du Roi, à Paris, telles que la lettre d'Ypocras à César, d'Aristote à Alexandre, du Prestre Jehan à l'Empereur de Constantinople, etc. Paulin Paris, tomes 5 et 6, de son analyse de ces manuscrits, et Ferdinand Denis, dans Le Monde enchanté, les avaient déjà fait connaître.
A la suite de cet exposé d'une supercherie qui ruina le renom de haute intelligence d'un homme de mérite, racontons celle qui servit au contraire à rehausser la réputation d'un rédacteur de journal.
La surprise ne dura à la vérité qu'un jour, mais elle produisit des pastiches qui méritent d'être conservés.
Signé par M. De Villemessant, le Figaro du 8 Juin 1870, annonçait au public que son journal (bien connu par ses principes impérialistes) avait été vendu au parti républicain, à des conditions telles, que sans blesser gravement les intérêts de sa famille, il ne lui était pas permis de refuser. Les noms les plus retentissants s'étaient associés à la nouvelle rédaction: Victor Hugo, George Sand, Emmanuel Arago, Louis Blanc, Edgar Quinet, Félix Pyat. Ils avaient envoyé leurs lettres d'adhésion en prose et en vers, et y développaient leurs principes les plus républicains. Ces pastiches étaient composés avec adresse, et on rapporte que quelques lecteurs trompés, ont déchiré le journal sans le lire jusqu'au bout. Ces imitations représentaient non seulement les théories sociales et politiques des républicains avancés, mais encore leur style et leur manière.
"O justice! O représailles! disait F. Pyat, en terminant sa lettre, quand viendrez-vous? Certes, quoiqu'on dise, je hais le meurtre, le sang, la poudre et les balles; mais je hais encore plus les tyrans de la terre, et je veux anéantir les uns par les autres."
"J'oublierai l'insulte et l'outrage, s'écrie Edgar Quinet; l'oubli d'un mal personnel, voilà qui est humain; mais le crime qui atteint les autres, le mal fait à mes frères, l'exil de nos amis, les morts de nos parents,—oh! les oublier, ce ne serait pas d'un homme, mais d'un tigre!"...
Le pastiche le plus remarquable dans ces lettres d'adhésion, est un poème de cent vingt-huit vers, par Victor Hugo, intitulé "La Presse des Mouchards."
Voici le commencement et quelques vers de la fin de ce morceau, dans lequel on a très bien saisi le style des Châtiments:—
Plusieurs autres articles ultra-révolutionnaires remplissaient ce numéro du journal, dont il se vendit un nombre très considérable, et que le public s'attendait à voir saisi le lendemain par la police.
La surprise cessa lorsque le numéro suivant fit connaître que ce n'était qu'une supercherie littéraire.