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Supplément à la Correspondance Diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Septième: Ambassadeur de France en Angleterre de 1568 à 1575

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The Project Gutenberg eBook of Supplément à la Correspondance Diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Septième

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Title: Supplément à la Correspondance Diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Septième

Author: active 16th century seigneur de La Mothe-Fénelon Bertrand de Salignac

Release date: March 29, 2013 [eBook #42432]
Most recently updated: October 23, 2024

Language: French

Credits: Produced by Robert Connal, Hélène de Mink, and the Online
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file was produced from images generously made available
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http://gallica.bnf.fr)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK SUPPLÉMENT À LA CORRESPONDANCE DIPLOMATIQUE DE BERTRAND DE SALIGNAC DE LA MOTHE FÉNÉLON, TOME SEPTIÈME ***

Notes de transcription:
Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée.

Sur la page 3, l'expression mil Vc soixante neuf signifie que le chiffre romain doit être multiplié par cent.

La page de couverture a été créée expressément pour cette version électronique et placée dans le domaine public.

SUPPLÉMENT
A LA
CORRESPONDANCE
DIPLOMATIQUE

DE

BERTRAND DE SALIGNAC
DE LA MOTHE FÉNÉLON,
AMBASSADEUR DE FRANCE EN ANGLETERRE
DE 1568 A 1575,

Lettres adressées de la Cour à l'Ambassadeur.

TOME SEPTIÈME.
ANNÉES 1568-1575.

PARIS ET LONDRES.


1840.

RECUEIL
DES
DÉPÊCHES, RAPPORTS,
INSTRUCTIONS ET MÉMOIRES

Des Ambassadeurs de France
EN ANGLETERRE ET EN ÉCOSSE
PENDANT LE XVIe SIÈCLE,

Conservés aux Archives du Royaume,
A la Bibliothèque du Roi,
etc., etc.,

ET PUBLIÉS POUR LA PREMIÈRE FOIS
Sous la Direction
DE M. CHARLES PURTON COOPER.


PARIS ET LONDRES.


1840.

DÉPÊCHES, RAPPORTS,
INSTRUCTIONS ET MÉMOIRES
DES AMBASSADEURS DE FRANCE
EN ANGLETERRE ET EN ÉCOSSE
PENDANT LE XVIe SIÈCLE.

LA MOTHE FÉNÉLON.

Imprimé par BÉTHUNE et PLON, à Paris.

AUX TRÈS-HONORABLES MEMBRES
DU
BANNATYNE CLUB
D'ÉDIMBOURG.
CE VOLUME LEUR EST DÉDIÉ
COMME
TÉMOIGNAGE DE RECONNAISSANCE ET DE HAUTE
CONSIDÉRATION
PAR LEUR TRÈS-OBÉISSANT SERVITEUR
A. TEULET.

Les six volumes qui précèdent sont la reproduction entière des registres sur lesquels Bertrand de Salignac de la Mothe Fénélon faisait transcrire toutes ses dépêches. Sous ce rapport, cette publication est complète; c'est l'œuvre de l'Ambassadeur pure et sans mélange. Dans le septième volume, que nous publions aujourd'hui, nous avons réuni tout ce que nous avons pu recueillir de lettres inédites adressées par la Cour de France à l'Ambassadeur, et nous y avons joint quelques pièces essentiellement relatives à ses négociations. Un critique plein d'érudition, qui a rendu compte des premiers volumes de cet ouvrage avec une bienveillance dont nous ne saurions trop le remercier[1], a pensé qu'il eût été préférable d'intercaler ces lettres et ces pièces à la suite de chacune des dépêches auxquelles elles se rapportent. Nous l'aurions fait sans hésiter si nous avions pu nous procurer un recueil complet des lettres de la Cour à l'Ambassadeur; mais nous n'avions à notre disposition qu'un certain nombre de ces lettres, qu'un heureux hasard nous avait fait retrouver. D'ailleurs, pour tenir notre engagement de ne publier que des pièces inédites, il aurait toujours fallu renoncer à intercaler les lettres de la Cour à partir du mois de décembre 1572, puisque depuis cette époque elles ont été imprimées, au moins en grande partie, par Le Laboureur à la suite des mémoires de Castelnau[2]. Nous nous sommes déterminés, par ce double motif, à réunir en un volume supplémentaire tout ce que nous avions de documents inédits relatifs à l'Ambassade de La Mothe Fénélon. Il sera facile, à l'aide des dates et des chiffres de renvoi, de rapprocher ces documents des dépêches auxquelles ils se rapportent, et ils serviront en même temps à compléter autant que possible les lacunes qui existent dans le recueil de Le Laboureur.

Il suffit de parcourir ce volume pour se pénétrer de l'intérêt et de l'importance des documents qu'il renferme. Quant à la confiance qui leur est due, nous avons déjà expliqué dans la préface insérée en tête du premier volume comment ces lettres se trouvent aux Archives du Royaume, et quelle est leur origine. Ce sont des copies faites vers la fin du dix-septième siècle dans la famille de l'Ambassadeur, sous la direction d'un abbé de Fénélon, son petit neveu, qui n'est autre, suivant nous, que le grand Fénélon, alors fort jeune. L'insertion de ces copies dans des cahiers, qui contiennent en même temps une transcription fidèle de toutes les dépêches de l'Ambassadeur, suffirait jusqu'à un certain point pour en assurer l'authenticité; mais ce qui ne peut laisser aucun doute à cet égard, c'est que nous les avons comparées soit avec le manuscrit des lettres publiées par Le Laboureur, soit avec tous ceux des originaux que nous avons pu recouvrer, et qu'elles se sont constamment trouvées d'une exactitude irréprochable. On sait que le manuscrit imprimé par Le Laboureur est conservé à la Bibliothèque du Roi[3]. Quant aux lettres originales, quelques-unes se sont retrouvées dans les papiers de l'Ambassadeur, d'autres, en assez grand nombre, sont entre les mains de M. de La Fontenelle de Vaudoré, conseiller à la cour royale de Poitiers, qui a eu l'obligeance de les mettre à notre disposition; enfin, la majeure partie de ces lettres et des papiers de l'Ambassade existe à la Bibliothèque Impériale de Saint-Pétersbourg, où M. le prince Alexandre Labanoff a bien voulu les consulter pour nous en transmettre une notice. Nous prions ces deux messieurs de recevoir ici l'expression de notre bien vive reconnaissance.

Des diverses comparaisons que nous avons faites il est donc résulté pour nous la certitude complète que tous les documents renfermés dans ce volume sont d'une authenticité incontestable. Les hommes d'état et les historiens qui voudront les consulter en apprécieront l'importance.

LETTRES ÉCRITES DE LA COUR
A
LA MOTHE FÉNÉLON.

I

LE DUC D'ANJOU A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

—du XIVe jour de mars 1569.—

Nouvelle de la victoire de Jarnac.—Mort du prince de Condé.—Résolution de suivre les fruits de la victoire.—Charge donnée à l'ambassadeur de communiquer cette nouvelle à la reine d'Angleterre.

Monsieur de La Mothe Fénélon, escrivant au Roy, Mon Seigneur et frère, comme le Prince de Condé, avec grand nombre de seigneurs, gentilshommes et cappitaines, tenans son parti, ont esté tués, à la rencontre qui feust, entre nostre armée et la leur, le jour d'hier, près ce lieu de Jarnac, outre la perte de plusieurs cappitaines et personnages d'importance qui y feurent prins prisonniers, je vous ay bien voulu escrire la présante pour vous mander ceste bonne nouvelle, et afin que vous en fassiez part à la Reyne d'Angleterre; vous priant luy faire bien entendre de quelle importance est la victoire que Dieu nous a donnée sur noz ennemis, et comme leur armée, fuyant devant la nostre, a esté poursuivie par nous, au galop, plus de deux grandes lieues, où ilz ont perdu beaucoup de gens; et comme j'espère, bientost, avec l'ayde de Dieu, venir à bout de ce qui est demeuré, et leur ester le moyen de se remettre sus.

Et, entre autres choses, je vous prie luy faire bien entendre comme Dieu nous a tant favorisés que nous n'avons fait aucune perte, en tout ce combat, que d'un seul homme de marque, le sieur de Montsalles, qui despuis est mort de quelques coups qu'il y avoit receus, et bien peu de nos soldats; en sorte qu'il n'y a rien qui me puisse retarder de poursuivre la victoire et les aller chercher en quelle part où ils se soient retirez.

Et, pour cest effect, je fais, dez ce jourdhuy, passer la Charente à toute mon advantgarde, pour marcher demain, avec tout le demeurant de l'armée, droit à Cognac, où l'Admiral et d'Andelot se sont sauvez; espérant n'obmettre aucune chose de ce qui sera nécessaire pour les forcer là dedans, et en avoir la raison.

J'escris un mot à la dicte Dame, en créance sur vous, laquelle je vous prie, Monsieur de La Mothe Fénélon, visiter de ma part, pour luy faire entendre le discours de tout ce qui s'est passé entre nous et noz ennemis, suivant le mémoire que je vous en envoye; et m'advertyr, le plus tot que vous pourrez, comme la dicte Dame aura prise ceste nouvelle, et ce que vous pourrez descouvrir de ses desseings et de ce qu'elle voudra faire après avoir entendu...

(La fin de cette lettre manque, et le mémoire envoyé à l'ambassadeur ne s'est pas retrouvé dans ses papiers; mais la pièce suivante, qui fait partie des archives de Symancas, doit y suppléer.)

Nota.—Cette lettre est la première en date de celles qui sont conservées aux archives; les lettres écrites par le roi à La Mothe Fénélon avant cette époque n'ont pu être retrouvées; elles sont énoncées dans les dépêches sous la date des 5, 15, 16 et 27 décembre 1568; 1er, 15 et 20 janvier; 7, 8, 9, 12, 14 et 22 février, et 7 mars 1569.

II

DISCOURS DE LA BATAILLE

donnée par Monseigneur, Duc d'Anjou et de Bourbonnoys, frère du Roy, et lieutenant général pour Sa Majesté, par tout son royaume et terre de son obéissance, contre les rebelles de sa dicte Majesté, le XIIIe jour de mars mil Vc soixante neuf, entre la ville d'Angoulesme et Jarnac, près d'une maison, nommée Vibrac, appartenant à la dame de Mézières[4].

—du XXIe jour de mars 1569.—

(Archives du royaume, fonds de Symancas, carton K. 1391. B.—liasse 26, pièce 9.)

Relation de la bataille de Jarnac, livrée le 13 mars 1569.

Il fault premièrement sçavoir que, depuys que Monseigneur est party de Chinon, avecques touts les princes, seigneurs et cappitaines, qui l'ont, dès le commencement des troubles, accompaigné, et de toutes ses forces, pour venir retrouver le Prince de Condé et aultres rebelles subjectz de Sa Majesté, iceulx se sont toutjours retirés, petit à petit, dans le pays par eulx conquis, pour fuyr le combat, lequel ilz cognoissoyent que Mon dict Seigneur alloyt cherchant; de façon que Mon dict Seigneur, pour l'extresme desir qu'il avoyt de les combatre et joindre, estoit entré dans leur dicte conqueste, il y avoyt jà longtemps, quand se retrouvant à Verteuil, maison du comte de La Rochefoucault, distant de trois lieues de la dicte ville d'Angoulesme, il s'apperceust que, tant plus il métoit peine de les rencontrer pour les attirer au combat, que plus ilz fuyoient; et que, pour ce faire, ilz avoyent mis la rivière de Charente entre luy et eulx, de façon que Mon dict Seigneur se résolust de gaigner ung passaige sur la dicte Charente, affin de n'avoir, après, rien qui l'empeschast de suyvre son entreprise.

Et, pour ce faire, feist acheminer son avantgarde, conduicte par Mr le Duc de Montpensier à Chasteauneuf, où elle arriva le mercredy, neufviesme de ce moys de mars. Dans le chasteau se retrouva ung escossoys, avecques cinquante ou soixante soldatz, que les ennemys y avoyent laissé pour la garde d'icelluy, qui se deffendirent, d'entrée, fort bien, et tuèrent quelques soldatz, faisans contenance de ne se voulloir point rendre. Touteffoys, veoyans arriver Mon dict Seigneur avecques la bataille et le reste de l'armée, ilz se rendirent à la volunté et discrétion de Mon dict Seigneur, de sorte que, le dict IXe, il demeura maistre du dict chasteau.

Où il fut résolu de séjourner le lendemain, jeudy, affin de adviser à ce qui seroyt de faire, tant affin de donner ordre à faire les magasins nécessaires pour la suytte de l'armée, que pour faire besongner et reffaire le pont de la dicte rivyère, que les dictz ennemyz avoyent rompu. Et fut donnée ceste charge à Mr le président de Birague, qui s'en acquicta fort bien, ainsy que, parcy après, l'on pourra veoir.

Le lendemain, vendredy XIe, Mon dict Seigneur, ayant nouvelles que les dicts ennemys estoient à Coignac, deslibéra et résolut, pour deux raisons, d'aller au devant du dict Coignac: l'une que se présentant devant la dicte ville, si les ennemys y estoient, come il se disoyt, il espéroyt que ilz sortiroyent, et que, ce faisant, il pourroit les attirer au combat; l'autre que, au pys aller, il recognoistroyt la dicte ville pour après l'attaquer. Pour ces causes doncques, il marcha jusques devant icelle ville, et commanda au comte de Brissac, qui avoyt avecques luy la plus grande partie de la jeunesse d'approcher plus près, ce qu'il feyt de telle façon qu'il donna jusques dedans les barrières de la dicte ville, d'où il ne sortit personne que ung nommé Cabryane, qui fut prins prisonnier; ayant cependant le dict comte de Brissac fort bien recogneu l'assiette de la place, comme feirent, en mesme temps, par le commandement de Mon dict Seigneur, les seigneurs de Thavennes et de Losses, encores que de dedans l'on tirast infiniz coups d'artillerye. A mesme heure, l'armée des ennemyz se monstra de delà la rivière au devant du dict Coignac, venant de Xainctes; et demeura longuement en bataille à la veue de nostre armée, puys commencea à marcher vers Jarnac, tousjours estant la rivyère entre nous et eulx. Et veoyant Monseigneur qu'il estoit jà tard, et que personne ne comparoissoit de nostre cousté, se retira au dict Chasteauneuf, où il arriva, à la nuit.

Le sabmedy XIIe, Mon dict Seigneur estant tousjours au dict Chasteauneuf, faysant en toute dilligence, par le dict de Birague, racoustrer le pont, les ennemys vindrent comparoistre, avecques toutes leurs forces, sur une montaigne, au devant du dict pont. Nos soldatz les veoyans si près d'eulx, encores que le lieu où estaient les dictz ennemys fût fort advantageux, aucuns d'iceulx se desbendèrent pour attacher l'escarmouche avecques eulx; mais Mon dict Seigneur, n'estant le dict ponct refaict, où l'on travailloyt autant qu'il estoit possible, et se pouvoyt faire, aussy bien que à en faire dresser ung aultre sur les batteaulx, feit retenir nos dicts soldatz, attendant que iceulx pontz feussent achevez, comme ilz feurent sur le minuit, au grand contantement de Mon dict Seigneur et de toute son armée, veoyant par ce moyen le passaige ouvert pour aller affronter les dicts ennemys.

Sur quoy, lors, il fut résolu que, deux heures après, les régiments des gens de cheval passeroient sur le pont refaict, et les Suysses et gens de pied sur celuy de batteaulx. La plus grand part de la cavallerye avoit passé, à la poincte du jour, le dimenche XIIIe; mais les dicts Suysses et gens de pied eurent beaucoup de peine à passer sur le dict pont de bateaux qui se rompit. Néantmoings, pour l'extresme désir que ung chacun avoyt d'estre delà l'eau, l'on ne layssa, après l'avoyr habillé au mieulx que l'on avoyt peu, de passer. Il avoyt esté ordonné par Mon dict Seigneur, dès le soir, que tous les bagaiges demeureroient de deçà l'eaue, sur le hault de la montaigne, près du dict Chasteauneuf, avecques huict cens hommes de pied et quatre cens chevaulx, pour couvrir le dict bagaige; ce qui servit grandement, parce que les ennemys pensoient que ce fust le fort de nostre armée.

Estant doncques en ceste sorte passé nostre armée la rivyère de la Charente sur les dicts pontz, le dict dimenche XIIIe de ce dict moys, Monseigneur, veoyant qu'il seroyt ce jour pour veoir de près ses ennemys, voullust, suyvant sa bonne et louable coustume, commancer sa matinée par se recommander à Dieu, de façon qu'il receust, avecques les dicts princes, seigneurs et plusieurs cappitaines de son armée, le corps prétieux de Nostre Seigneur Jhésus Christ avecques toute dévotion et humilité. Puis après commanda aux seigneurs de Losses et de Carnavallet d'aller recognoistre l'endroict où estoit l'ennemy, qui comparust avecques soixante chevaulx sur le hault de la montaigne. Et estant arrivé, à mesme heure, vers les dicts seigneurs ung cappitaine provenssal, nommé Vins, de la maison de Mon dict Seigneur et nepveu du Sr de Cazas, qui conduysoit cinquante harquebusiers à cheval avecques luy, les dicts Srs de Losses et Carnavallet feurent d'advis qu'il donnast dans ung village, bien près de là, ce qu'il feit si furieusement que y trouvant une cornette de gens de cheval des ennemys, il la meit en tel désordre que tout ce qu'ilz peurent faire fût de s'en sauver une partye, et ramena le dict Vins cinq ou six prisonniers d'iceulx, qui assurèrent les dicts Srs de Losses et Carnavallet que l'Admiral et Andelot estoyent là avecques toutes leurs trouppes, et qu'il y avoyt apparence de bataille.

Pour gaigner tousjours temps, Mon dict Seigneur avoyt faict advancer son avantgarde, de façon que, à mesme heure, Messeigneurs le Duc de Guise et de Martigues arrivèrent avecques leurs régiments, ensemble la suytte de la dicte avantgarde, conduicte, comme dict est, par Mon dict Seigneur de Montpensier. Lors, l'ennemy comparust, estant jà entre dix et unze heures du matin, au bas de la montaigne, du costé de Jarnac, en bien grand nombre. Le dict Sr comte de Brissac se desbenda de la dicte avantgarde, avecques vingt cinq ou trente gentilzhomes, et les alla attacher. Mon dict Seigneur les feit soustenir par le dict Sr de Martigues, faysant suyvre tousjours la dicte avantgarde, et après, la bataille. Le dict Sr de Brissac ayant donné en queue sur ceulx qui partoyent du village de Vibrac, en tailla en pièces quelques ungs.

Peu après, l'ennemy commença de s'acheminer vers Jarnac, et, se rencontrant sur le hault d'une petite montaigne, fait teste en cest endroict, ayant ung ruysseau bien malaysé au devant de luy, où il avoyt mis huict cens ou mil harquebuziers, pour garder le passaige, affin d'avoir cependant moyen et loysir de rassembler de tous costez leurs forces et armée.

Lors Mon dict Seigneur commanda au dict Sr de Losses et cappitaine Cossins d'aller recognoistre le dict ruysseau, pour veoir s'il seroyt aysé à le passer. Estant de retour, Mon dict Seigneur y envoya, par leur advis, mille harquebuziers pour combatre et gaigner le dict passaige du dict ruysseau: ce qui fut faict et gaigné à l'instant, à la veue de la cavalerye des ennemys, qui estoit tousjours sur le tertre. Et se peult dire que les dicts harquebuziers nostres feirent aussi bravement qu'il est possible, faysans habandonner le dict passaige aux ennemys; lesquelz, veoyans que toute l'armée de Sa Majesté marchoit droit à eulx, commencèrent à se retirer peu à peu.

Lors, le dict Admiral manda soubdainement au Prince de Condé, qui estoyt encores à Jarnac, que il estoit attaqué de si près qu'il ne pouvoyt plus se retirer, veu que les gens de nostre armée venoyent avecques une extresme furye droict à luy, de façon qu'il estoyt forcé de combatre, le suppliant de s'advancer pour le secourir.

Quoy veoyant, Mon dict Seigneur manda à ceulx qui conduysoient l'avantgarde, que, quelque chose qu'ilz trouvassent, ilz combattissent, estant résolu, à ceste foys, de passer sur le ventre à tout ce qu'il trouveroyt des dicts ennemyz, ce qui fut suyvy par ceulx de la dicte avantgarde; lesquelz, sans regarder aux inconvéniens qui pouvoyent advenir, donnèrent à toute bride sur la queue des dicts ennemys, où il fut tué beaucoup d'iceulx; et mesmes, à ung passaige que aucuns voulloyent prendre, sur une chaussée d'estang, avecques ung si grand désordre, que les ayans les nostres bien advancez, ilz se meslèrent ensemble, de sorte que plusieurs des dicts enuemys, qui avoyent casaques blanches, furent veuz tumber dans le dict estang pour la presse qu'ilz avoyent au passaige.

Pendant que le dict combat se faisoyt, nostre bataille et Mon dict Seigneur, auprès duquel estoit toujours le dict Sr de Thavennes, comme l'un des plus vieulx et expérimentez cappitaines de la trouppe, passoyt sur la main droicte du dict estang; et pouvoyt estre, lors, entre midy et une heure.

Au dessoubz d'icelluy estang il fut trouvé ung villaige, en ung lieu assez estroict, où le Prince de Condé se trouva bien accompaigné. Aussy y survindrent les reistres; et se rengea le comte Ringraff avecques la dicte avantgarde et Bassompierre à la bataille, ainsi que l'avoyt ordonné Mon dict Seigneur. Cependant les deux armées eurent quelque loysir de se préparer au combat, et fust si vivement résolu de la part du dict Prince qu'il vint furieusement, à toute bride, donner sur notre avantgarde, et de telle furye qu'il l'arresta à bon escient, estant soustenue du dict comte de Reingraff avecques ses trouppes, qui y combatist fort vaillamment. Et veoyant Mon dict Seigneur nos gens porter et soustenir ung si grand faix, il part avecques la cavallerye, qu'il avoyt près de luy, à toute bride, et chargea les dicts ennemys par le flanc, de telle façon qu'il les meit en désordre, et tournèrent bride, s'enfuyans à vau de route.

Et, en ce mesme lieu, de la première charge, fust tué le dict Prince de Condé, le comte de Montgommery, Chastellier Portault et plusieurs aultres, dont on sçaura cy après les noms, estant le dict Sr de Losses, qui a apporté ceste nouvelle à Sa Majesté, party si à la haste, après le gaing de la dicte bataille, que l'on ne sçavoyt encores bonnement le nombre des mortz, ny de tous les prisonniers; combien qu'il soyt très certain que il y ayt eu bon nombre, tant de l'un que de l'aultre; et de ceulx qu'il asseure avoir veuz prisonniers sont le comte de Choysy, La Noue, de La Force, l'aisné Clermont d'Amboyse, Stuard escossoys, Montmédy, Soubize et Souppoix, avecques infinis aultres, desquelz il n'a peu retenir les noms.

Il a rapporté que l'on tenoit que l'Admiral estoit fort blessé à l'espaule; et ne laissoyt touteffoys, par le rapport des dicts prisonniers, de se retirer à cinq grandes lieues de là, cependant que l'on chassoytles dicts ennemys; qui dura jusques à la nuict, où les gens de pied françoys et les Suysses se estoyent meslez, lesquelz ont faict ung très grand carnage.

Une partie des gens de pied des dicts ennemys se retirèrent dedans Jarnac; ce que voyant Mon dict Seigneur il commanda au cappitaine Cariez, et aultres cappitaines avecques luy, s'en aller donner la teste baissée dans le dict Jarnac, ce qu'il feit fort courageusement, de façon qu'il les meit en tel désordre qu'ilz furent contrainctz de gaigner le pont, le passer et le rompre après eulx; qui leur vint fort à propoz. Et le soir, Mon dict Seigneur alla loger au dict Jarnac, prenant le logis du jour de devant du dict ennemy. Au dict lieu, l'a laissé le dict Sr de Losses, remerciant Dieu de ceste heureuse victoire qu'il luy avoyt donnée; et là, donna le corps du Prince de Condé mort à Mr le duc de Longueville, sur la requeste qu'il en feit; Mon dict Seigneur estant en bonne deslibération de partir, dès le lendemain, pour suyvre les relicques des dicts rebelles, ennemys de Dieu et de Sa Majesté. Et se peut dire avecques toute vérité que, en l'exécution de la dicte victoyre, Mon dict Seigneur a faict tous les actes que le plus grand et plus viel cappitaine, qui soyt aujourdhuy en l'Europpe, pourroit faire; qui doibt faire espérer en luy à tout le monde, par ung si beau et digne commancement, toutes les grandes et dignes partyes qui se peuvent désirer à ung grand prince.

Faict à Metz le XXIe jour de mars 1569.

De Neufville.

III

LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

—du IIe jour d'apvril 1569.—

Confiance du roi que la victoire de Jarnac empêchera la reine d'Angleterre de se déclarer pour les protestans de la Rochelle.—Offre faite aux Anglais de leur ouvrir des ports pour le commerce.

Monsieur de Lamothe Fénélon, depuis vos despesches du XXIe et XXVe du passé[5], vous aurés entendu la nouvelle de la victoire que Dieu m'a donnée sur mes rebelles, et comme mon frère, le Duc d'Anjou, poursuit encore ceux qui se sont sauvés par la fuitte. Je m'asseure que estant entendu par la Royne d'Angleterre, elle sera moins disposée que jamais à leur prester secours d'argent et de rafraischissements; et si la flotte que m'avés escrit qui commenceoit à s'acheminer vers la Rochelle n'est fort avant, ce sera peust estre bien occasion pour la révoquer et luy faire rebrousser chemin.

Au demeurant, j'ay bien veu et bien considéré tous les poincts de vos susdictes dépesches et les menées que faict le cardinal de Chastillon, et ceux qui sont avec luy, par delà, ayant prins grand plaisir de voir tout ce qui s'y passe si bien desduict par le menu. Quant à la plaincte que le comte de Lestre vous a faict faire du tort qu'il dict avoir esté faict à l'un des gens de l'ambassadeur Noris, je trouve que vous luy avés très bien respondu: car aussi n'a ce pas esté par mon commandement, de mon sceu, ni sans grande occasion de soubçon que cela a esté faict; et ne sçai non plus que c'est de celuy qui a esté détenu prisonnier à Dieppe, et ne voudrois pas, pour le désir et affection que j'ay de nourrir et entretenir la paix et amitié qui est entre ces deux couronnes, qu'il feust fait aucun tort aux subjects de la dite Royne, ou chose qui y apportât altération, encore que ses actions fassent assés connoistre le peu d'envie qu'elle a de la conserver. Et afin qu'elle connoisse avec quelle sincérité je chemine, si les marchans de delà veullent quitter la route de la Rochelle et de Brouage, et ne plus traffiquer avec mes dicts rebelles, je les feray accommoder de toutes choses nécessaires qu'ils y vont quérir. Et si cela se fait, et que doresnavant les marchants ne se fournissent ailleurs que ès ports qui sont, de présent, en mon obéissance, j'auray tant moins de soubçon de leurs actions, car la coulleur, qu'ils ont d'aller à la Rochelle et de bailler les dicts rafraischissements, leur sera ostée.

Je vous prie donc asseurer la dicte Dame Royne de ma bonne et sincère intention envers elle et ses subjects, et que, comme elle veut voir les siens traittés, selon que la paix et amytié que nous avons entre nous le veult, elle ne fasse chose qui m'incite à y contrevenir, ainsi que je n'en ay point de volonté, ne demandant qu'à vivre en paix avec mes voisins: priant Dieu, Monsieur de la Mothe Fénélon, vous avoyr en saincte garde.

A Mets le IIe jour d'apvril 1569.

CHARLES. Et plus bas: DE L'AUBESPINE.

IV

LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

—du IIIe jour d'apvril 1569.—

Satisfaction du roi sur la déclaration d'Élisabeth qu'elle ne veut pas entrer en guerre avec la France.—Ordonnance pour la restitution des prises.—Plaintes contre les menées de l'ambassadeur d'Angleterre en France.—Maladie de la reine-mère.—Papiers trouvés sur le prince de Condé.

Monsieur de La Mothe Fénélon, vous renvoyant le Sr de Sabran, présent porteur, je vous ay bien voulu faire entendre le grand contentement qui me demeure de ce que, par vos lettres des VIIIe et XIIIe du passé[6], m'avés si particulièrement satisfaict des responces de la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur, sur tous les poincts dont je vous avois escrit par mes despesches des VIIIe, XIIe et XIVe de febvrier[7], ayant esté très prudamment advisé à vous, en la poursuite de chose où elle n'eût, par avanture, eu volonté de faire si apparente déclaration, de rejetter sur autres que sur elle les causes qui m'ont meu de la rechercher en cest endroict; comme, en effaict, je me suis toujours persuadé que les mauvais déportemens qui se faisoient au préjudice de la bonne paix et confédération d'entre nous, et mon royaume, procédoient plustost de quelques mauvais ministres que d'elle. Aussi est il tout certain que je ne me suis meu à aucun ressentiment que premièrement je ne fusse certain de sa volonté; se pouvant asseurer que quelque alliance ni fraternité qui soit entre moy et le Roy Catholique, mon bon frère, ni chose que me voulleust donner à entendre le duc d'Alve, je ne condescendray, ni permettray, que mes subjects facent aucune chose qui puisse altérer nostre commune amityé et repos d'entre nos deux royaumes. Et suis contant, puisqu'elle se déclare si avant de n'avoir eu aucune part au voyage, faveur et support que son vice admiral Me Huynter a faict et porté à mes ennemis, estants à la Rochelle, de croire qu'il soit ainsi, puisqu'il a pleu à Dieu asseoir son jugement sur le chef de mes ennemis et rebelles, comme vous aurez entendu par Montaffier, que je vous ay puis naguières dépesché; et aussi que le temps nous pourra esclaircir de ce doubte pour l'advenir: ne trouvant autrement nécessaire respondre sur tous les poincts contenus au mémoire qui vous a esté baillé en réponse des articles que vous présentiés, puisque ce ne sont que objections pour couvrir les justes causes que j'ay d'avoir pour suspectes, et me plaindre des actions de l'ambassadeur Norrys, estant icy près de moy, comme aussi pour regard des entreprinses du Hâvre et Dieppe, et armements faicts en Angleterre, sans apparance d'aucune guerre déclarée; veu que, par toutes les despesches que je vous ay faictes, vous pouvez avoir connu les justes occasions que j'en ay eu.

Toutesfois, puisqu'elle est en si bonne volonté de vouloir entretenir et conserver la paix en laquelle nos deux royaumes ont vescu jusques icy, elle ne me trouvera de moindre affection en cest endroict, ainsi qu'elle pourra connoistre par l'ordonnance que j'ay faicte pour se publier par tous mes ports et hâvres, pour assurer la mer et la liberté du trafficq à tous ses subjects, avec commandement de leur rendre et restituer tout ce qui a esté cy devant pris, saisy et arresté sur eux, aussitost que j'ai veu, par l'ordonnance[8] que m'avez envoyée, avec vostre despesche du XVIe, qu'elle en avoit autant faict de son costé, vous envoyant une coppie de la mienne pour luy monstrer et aux seigneurs de son conseil, que vous pourrez asseurer de la sincérité de mon intention à l'observation de la paix et traittés; et que je ne faudray de faire donner à ses subjects toute seureté, faveur et bon traittement, qu'il me sera possible, en quelque endroict de mon royaume, pays et terres de mon obéissance où ils voudront traffiquer; de mesme qu'elle doit aussi tenir main que, pour la mutuelle seurcéance, faicte entre les païs du Roy Catholique et elle, mes subjects ne soient aucunement molestés, ny leur trafficq interrompu; m'estant, au pardessus, advis que la dicte Royne ne sçauroit avoir meilleur indice de la franchise, avec laquelle je desire procéder envers elle et son royaume, que de luy faire déclarer ouvertement les causes qui se présentent à moy et mes subjects de luy faire remonstrer les contreventions qui se font, à mesure que ses ministres m'en donnent occasion.

Et pour conclure à ce propos, vous l'asseurerés, Monsieur de La Mothe Fénélon, qu'il ne faut qu'elle doubte aucunement que je ferme les oreilles à chose que son ambassadeur me veuille dire, soit pour se justifier des soubçons que j'ay eus à bon droit qu'il eust pratiques et intelligeances avec mes rebelles, ou pour autre chose concernant sa négociation, comme elle dict avoir esté faict au sien d'Espagne; car, si, par cy devant, il a toujours eu de moy bénigne et favorable audience et satisfaction, toutes les fois et en tout ce qu'il a voulleu rechercher de moy, comme il ne pourroit dire le contraire, s'il ne vouloit taire la vérité, il doit espérer le mesme pour l'advenir, de tant plus quand les effects se trouveront conformes à la déclaration qu'elle faict de vouloir continuer la bonne paix et amityé qui est entre nous et nos royaumes; laquelle, de ma part, je ne désire rien plus que de voir inviolablement observée.

Vous n'aurés par ceste dépesche aucunes lettres de la Royne, Madame et Mère, d'autant qu'elle n'est encore bien renforcée de la fiebvre qui l'a tenue par quelques jours, comme il vous a esté par cy devant escrit, de laquelle, grâces à Dieu, ne luy reste plus que la débilité. Et n'ayant encore eu aucunes nouvelles de ce que mon frère, le Duc d'Anjou, aura faict des reliques de la victoire qu'il a pleu à Dieu me donner, dont le discours vous a esté envoyé par le dict Montaffier, je ne vous fairai la présente plus longue que de prier Dieu vous avoir, Monsieur de La Mothe Fénélon, en sa saincte et digne garde.

A Mets le IIIe jour d'apvril 1569.

CHARLES DE NEUFVILLE.

Monsieur de La Mothe Fénélon, entre plusieurs papiers, que je viens d'apprendre avoir esté trouvés sur le Prince de Condé, et ceux qui ont esté tués ou pris avec luy, y a un grand mémoire du cardinal de Chastillon, escrit partie en chiffre, par lequel il luy donnoit bonne espérance, et à ceux de son party, de leur faire avoir beaucoup de secours et faveurs de la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur, non sans espérance de la faire embarquer à prendre leur protection, et se déclarer ouvertement; ce que je ne veus croire, puisque vous m'avez si bien asseuré de sa bonne volonté: qui est cause que je ne vous envoye les dicts papiers pour luy en faire aultre instance, afin de ne luy imprimer que je sois en aucune deffiance d'elle ny de ses actions; le vous aïant néantmoins voulu faire entendre pour en faire vostre proffit, en ce que vous cognoistrés estre à propos pour mon service. Et, si vous luy en parlez, ce sera toujours en rejettant le tort sur la malice de ceux de mes subjects qui sont près d'elle. Et cependant ne sera que bon que vous continuiés d'avoir l'œil ouvert pour descouvrir leurs menées et pratiques. De quoy j'espère que vous m'advertirez.

V

LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

—du XVIe jour d'apvril 1569.—

Envoi des papiers trouvés sur le prince de Condé.

Monsieur de La Mothe Fénélon, je vous ay, puis peu de jours, faict une ample despesche. Despuis, ayant advisé de vous envoyer certains mémoires et papiers qui peuvent beaucoup servir au bien de mes affaires, j'ay pensé qu'il seroit à propos de vous dépescher ce courrier en diligence, avec ceste cy, pour vous dire que, lorsque le Prince de Condé feust tué, on trouva sur luy un long mémoire envoyé à la Royne de Navarre par le cardinal de Chatillon, ensemble une lettre, par où vous verrez et sçaurés bien juger beaucoup de particulières négociations, tant du dict cardinal que des ministres, que mes rebelles ont près de la Royne d'Angleterre, et comme ils ont embarqué la dicte Royne, sans y penser, plus avant qu'elle ne cuydoit. Et d'autant que j'estime que le dict mémoire pourra servir au bien de mes affaires, je vous en envoye l'original, vous priant, Monsieur de La Mothe Fénélon, selon que les occasions se présenteront et qu'il vous semblera à propos, user du dict mémoire et vous en servir de façon que cella puisse nuire aux desseins et entreprises qu'il pourroit y avoir par delà, me remettant à vous, comme sçaurez très bien faire, de vous y conduire de telle façon que adviserez pour le bien de mon service. Et n'estant rien survenu depuis ma dernière dépesche digne de vous écrire, je prierai Dieu, etc.

A Nouyon le XVIe jour d'apvril 1569.

CHARLES. DE L'AUBESPINE.

VI

LA ROYNE MÈRE A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

—du XVIIe jour d'apvril 1569.—

Convalescence de la reine-mère.

Monsieur de La Mothe Fénélon, vous verrés par la lettre du Roy[9], Monsieur mon fils, l'occasion de ceste despesche, qui me gardera de vous en rien dire, sinon que, grâces à Dieu, je me porte très bien, et suis en bon chemin de revenir en ma première santé; de quoy j'ay grande occasion de le louer et remercier; ce que je suis bien asseurée que vous fairés encore, de vostre costé, puisque je vous tiens pour le plus fidelle de tous mes serviteurs. Ce que j'ay bien voulu vous escrire et signer de ma main pour vous en asseurer davantage; priant Dieu qu'il vous ait en sa saincte garde.

De Nouyon le XVIIe jour d'apvril 1569.

CATERINE.

VII

LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

—du XIVe jour de may 1569.—

Délai nécessaire pour prendre une résolution sur les offres secrètes faites à l'ambassadeur par les seigneurs catholiques d'Angleterre.—Succès remportés par le duc d'Anjou.—Confiance du roi que le duc de Deux-Ponts ne pourra pas traverser la France.—Mort de Mr d'Andelot.

Monsieur de La Mothe Fénélon, je voulois vous renvoïer le Sr de La Croix, aussitost après son arrivée par deçà, bien instruit sur tous les poincts principaulx de sa despesche[10]; mais d'autant que je ne le trouvai pas disposé de pouvoir si tost retourner par devers vous, pour beaucoup de raisons qu'il m'allégua, et aussi que je considéray qu'il estoit nécessaire de prendre une bonne et meure délibération sur un faict de telle importance, en lieu de sesjour, et où on eust eu loysir d'y penser; joint qu'il me semble n'estre pas à propos de commettre une affaire de telle conséquance entre les mains de personne qui n'eust autant de connaissance des affaires de delà comme le Sr de La Croix, je pensay, pour toutes ces raisons, qu'il seroit bon de différer jusques à tant que je visse quel train prendroient les affaires, de ce costé, et de Flandres, suivant lesquelles je pourrois vous despescher le dict Sr de La Croix pour vous faire sçavoir, plus au long, mon intention. Et cependant, pour vous donner plus de lumière de ce qui se passe par deçà, je vous dirai en quel estat sont mes affaires.

Vous avés sceu, Monsieur de La Mothe Fénélon, comme mon frère, le Duc d'Anjou, aïant battu mes ennemys par deux ou troys fois, il y est demeuré si bon nombre des leurs que, jusques icy, ils ont quitté la campagne, et se sont retirés ès petites villes qu'ilz avoient cy devant prises et occupées, layssans néantmoins toujours quelque nombre de cavaliers pour tanter s'il y auroit aucun moyen de passer la rivière de Loyre pour aller joindre leurs Allemands. Ce que prévoyant, mon dict frère a faict en sorte qu'avec son infanterie s'est attaché aux places, d'une bonne partie dequels il s'est déjà fait maistre; et avec la cavalerie s'est mis en lieu si à propos que, n'estant guières esloigné de la dicte infanterie, et toujours proche des passages de la rivière, il luy est facile, en peu de temps, secourir sa dicte infanterie, si elle en avoit besoing, ou bien empescher ceux qui voudroient passer la rivière; tellement que eux, réduits à ceste extrémité de ne pouvoir attenter aucune chose sur l'infanterie, qui est après à remettre les dictes places à mon obéissance, et ne pouvans aussi tenter aucun passage de la rivière, sans estre perdus et deffaits, je vous laisse à juger en quel estat ilz sont.

Il leur reste ceste seule espérance pour dernier reffuge que le duc de Deux Ponts se hazardera tant que de les aller chercher jusques là où ils sont, à quoy il n'y a pas grande apparance qu'une armée d'estrangers, suivie d'une autre, aussi puissante à peu près, qui n'a aucunes villes à soy, sans passage de rivière, n'estant favorisée de qui que ce soit en mon royaume, mourant de faim, travaillés et incommodés si souvant, puisse faire tant de chemin sans se perdre et dissiper d'elle même, quand bien je n'aurois aucunes forces pour les combattre.

Tout cela me faict espérer que leurs affaires n'yront pas si bien qu'ils voudroient le faire croire à un chascun, estant leur ressource fondée sur le secours du dict duc, lequel est véritablement avancé dedans mon royaume jusques près d'Autun; mais avec perte de tant de gens que, s'il continue à se laisser battre comme il a fait jusques icy, il n'yra guères loing, sans se repentir, à bon escient, de la folle entreprise qu'il a faicte d'entrer dedans ce royaume, et vouloir passer la rivière de Loyre, à laquelle on a si bien pourveu.

Voylà, Monsieur de La Mothe Fénélon, comme vont mes affaires de deçà, que je désire que vous fassiez entendre bien au long à la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur, comme chose certaine et véritable, et non pas ce que mes rebelles luy veulent imprimer et faire croire, qui ne sont que mensonges et tromperies; et que l'asseuriés toujours de la continuation de ma bonne amytié en son endroict, comme je luy fairai paraistre par effect. Aussi attends je d'elle le semblable, comme elle m'a toujours promis et asseuré, ce que vous sçaurez bien et sagement faire entendre; et la conforterez en ceste opinion, la sollicitant des effects convenables et nécessaires à la conservation de la dicte amytié, si vous voyés que ses ministres la veuillent persuader du contraire; priant Dieu, etc.

A Reyms le XIVe jour de may 1569

Monsieur de La Mothe Fénélon, despuis cette despesche faicte, j'ay eu advis certain que Mr d'Andelot est mort, ayant été frappé à la deffaite que fit mon frère, le Duc d'Anjou, dernièrement sur eux, d'un coup d'arquebuze dont il n'est depuis sceu guérir, ce que vous fairés bien entendre à la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur, m'asseurant que telles nouvelles luy apporteront plaisir.

Ce XIVe jour de may 1569.

CHARLES. DE L'AUBESPINE.

VIII

LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

—du XXVIIIe jour de may 1569.—

Promesses faites par le roi à Marie Stuart.—Prise de la Charité par le duc de Deux-Ponts.—Mesures adoptées pour l'empêcher de se joindre aux protestans.—Marches des ducs d'Aumale et d'Anjou afin d'arrêter ses progrès.—Succès remporté par Montluc qui a empêché les vicomtes de s'avancer.

Monsieur de La Mothe Fénélon, j'ay, en peu de jours, receu deux dépesches de vous, l'une du XIIe et l'autre du XVIe de ce mois[11] sur lesquelles en général je vous dirai que je reçois un très grand contentement du soigneux debvoir dont vous usez par delà pour mon service; mais, pour plus particulièrement vous respondre sur icelles, je veux bien vous advertir que j'ay donné ordre de fère, pour ma bonne sœur, la Royne d'Escosse, ce dont m'escrivez; dont vous luy donnerez advis, à ce qu'elle connoisse la recommandation en laquelle j'ay ses affaires. Quant à vostre seconde dépesche, ce m'est un singulier plaisir de ce que me tenez si particulièrement adverti des occurrances qui s'offrent par delà, et des menées et pratiques dont mes rebelles y usent, vous priant continuer à avoir toujours l'œil ouvert pour descouvrir leurs actions, aussi soigneusement que vous avez faict jusques à ceste heure, et me tenez diligemment adverti de ce que en apprendrés, à ce que je ne puisse être prévenu de ce costé là, s'il est possible.

J'ay veu les remonstrances que vous avez faites à la Royne d'Angleterre, ma bonne seur, que m'avez envoyé par vostre dernière dépesche, par où je connois d'autant plus le soing que vous employés par delà; ce que je vous prie continuer, et de la prudance que y avez usé jusques à ceste heure.

Au demeurant, Monsieur de La Mothe Fénélon, je veux bien vous advertir comme le duc de Deux Ponts a pris, despuis peu de jours, la Charité, chose qui est advenue par la lâcheté d'aucuns cappitaines qui estoient dedans; lesquels s'enfuyans desbauchèrent et emmenèrent, quant et eux, la plus grande partie des soldats qui y estoient: qui fut cause que les habitans d'icelle, se voyant ainsi abandonnés de ceux qui les debvoient conserver, se rendirent; ne pensant aussi que mon cousin le duc d'Aumale, qui laissant le dict duc devant, alla en diligence passer la rivière à Gien pour gaigner l'autre costé d'icelle, et par là secourir la dicte ville et y mettre plus de forces, comme il eust faict, encore que celles qui estoient dedans déjà feussent bastantes pour la garder; d'autant que le dict duc n'y pouvoit autrement grandement proffiter, n'aïant que deux petites pièces d'artillerie devant la dicte ville, dont il faisoit batterie. Ce que voyant, mon dit cousin est allé, avec mon armée, à Bourges pour estre à la teste de l'armée du dit duc, et lui empescher le passaige et de se joindre à mes rebelles; chose que je me promets à ceste cause ne luy faillir seulement[12], mais aussi venant mon frère le Duc d'Anjou se joindre avecque mon dict cousin, avec la plus grande et meilleure partie de l'armée qu'il avoit, ayant laissé le reste pour opposer à mes rebelles, s'ils vouloient se remettre en campagne et leur empescher le passaige. Et au demeurant [il a esté] si bien pourveu à toutes choses qu'ils ne pourront, quant ils voudroient, rien effectuer d'importance, [et j'espère] de bientost avoir la raison de son entreprinse, pour les grandes forces que j'auray à l'encontre de luy; qui seront renforcées de quatre mille hommes de pied et deux mille chevaus italiens, qui sont, il y a quelques jours, arrivés à Lyon, et seront en brief joincts à mon armée. Outre ce, que aussi les vicontes ne peuvent se joindre avecque le duc, comme il luy avoit esté promis, les tenants le sieur de Montluc tellement arrestés qu'ils ne peuvent et oseroient bouger du lieu où ils sont.

Ce que vous aurez, pour ceste heure, pour le faire entendre par delà sur ce que mes rebelles voudroient faire courir par delà au contraire, comme je vous en prie; et, au reste, vous employer le plus soigneusement que pourrez pour descouvrir ce que mes rebelles y voudroient pratiquer au préjudice de mes affaires, et que l'on voudroit entreprendre de faire en leur faveur, ainsi que j'en doubte aucunement, sur ce que le dit duc est ainsi passé et si avant entré en mon royaulme. Et ce j'attends, de vostre prudance et dextérité, et de la grande dévotion que vous portez au bien de mon service, que vous leur rompiés tellement leurs coups qu'ils ne puissent davantage obtenir chose aucune au préjudice de mes affaires; priant Dieu, etc.

A Saint Maur, le XXVIIIe jour de may 1569.

CHARLES. DE L'AUBESPINE.

IX

LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

du IIe jour de juing 1569.—

Satisfaction témoignée par le roi à l'ambassadeur.—Consentement donné à l'envoi de députés à Rouen pour traiter de la restitution des prises.—Voyage de la reine-mère à l'armée, à l'effet de prendre les mesures nécessaires pour arrêter le duc de Deux-Ponts dans sa marche.

Monsieur de La Mothe Fénélon, bientost après vous avoir faict ma dernière dépesche, du XXVIIIe du passé, qui vous a esté envoyée depuis cinq ou six jours, est arrivé le Sr de Vassal avec la vostre du XXIIIe du passé[13], fort ample sur toutes les choses qui se peuvent désirer d'entendre du lieu où vous estes; qui m'a esté d'autant plus agréable que j'ay bonne occasion de remarquer, en vous et en vos actions, toute la dextérité et diligence en un bon et fidel ministre et serviteur, ne pouvant que me servir infiniment à la conduite et direction de mes affaires, d'estre ainsy souvant et particulièrement adverti des humeurs et particuliers conseils de mes voisins. Si est ce que, n'y ayant dans vostre dépesche aucune chose qui requière une bien particulière réponse, je n'y entrerai plus avant que de vous prier de continuer ce que vous avez faict bien prudament jusques icy: qui est d'entretenir les seigneurs de ce conseil, que vous connoissés affectionnés à ma cause, en leur bonne volonté et user dextrement de la jalousie et deffiance, en quoy ils sont contre les autres, selon que vous pouvés juger qu'il viendroit à propos pour le bien de mes affaires, prenant soigneusement garde aux menées et pratiques de mes adversaires, à ce que, sinon du tout, au moins qu'ils remportent le moins qu'il sera possible en mon préjudice, et m'advertir souvent de toutes occurances.

Or, affin, Monsieur de La Mothe Fénélon, que les choses se puissent mieux establir à la conservation et entretènement de la paix entre ces deux royaumes, je trouve bon l'expédiant, que vous avés escrit à mon cousin le maréchal de Cossé, d'envoyer deux anglois en Normandie pour voir faire la délivrance des marchandises qu'ils maintiennent y avoir esté arrestées, et que mon dict cousin envoye deux de mes subjects, pour le mesme effect, en Angleterre, luy ayant dès maintenant escrit qu'il y satisface, au premier advis qu'il aura de vous, et qu'il donne tout libre accès aux dicts deux anglois pour l'exécution de ce que dessus; avant le partement desquels de leur pays, vous les fairés bien advertir qu'estans en mon pays, ils se gardent de toutes pratiques, ny de s'entremettre d'autre chose que du faict pour lequel ils seront venus, affin que, faisans le contraire, s'ils en estoient chastiés, cela ne fust cause de venir à nulle dispute avec ma bonne sœur, la Royne d'Angleterre. Laquelle pourra connoistre par là que je ne desire que l'entretènement des traittés de la paix d'entre nos deux royaumes.

Quant à mes affaires, les choses sont encore en l'estat que je vous ay fait entendre par ma précédente; sinon que la Royne, Madame et Mère, est partie, depuis quatre ou cinq jours, pour approcher de mon armée et conférer avec mon frère, le Duc d'Anjou, et les cappitaines qui luy adcistent, des moyens qui se debvront tenir pour rompre ou chasser le duc de Deux Ponts: dont je ne doubte point que Dieu me fasse la grâce, tant pour la justice de ma cause que pour les gaillardes forces que j'auray ensemble, quand mes deux armées seront joinctes, et toute ma noblesse, et autres forces qui estoient dispersées par mon royaume, lesquelles je fais assembler. Et espère vous en envoyer bientost quelques bonnes nouvelles. Cependant je fairai fin à ceste lettre par prière à Dieu qu'il vous ayt, etc.

A St Maur des Fossés le IIe jour de juing 1569.

CHARLES. DE NEUFVILLE.

X

LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

—du VIIIe jour de juillet 1569.—

Ordonnance pour la restitution réciproque, en un même jour, des prises faites tant par les Français que par les Anglais.

Monsieur de La Mothe Fénélon, desirant qu'il soit prins quelque fin et expédiant à la restitution des choses, qui ont été mal prises sur mes subjectz en Angleterre, et à celles qui ont esté mal prises aux Anglois de deçà, ainsy qu'il apartient à la commune amytié qui est entre la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur, et moy, je vous faicts ce mot de lettre pour promètre et assurer, de ma part, à ma dicte bonne sœur, que je feray rendre et restituer aux Anglois tout ce qui a esté pris ou arrêté de leurs biens, en mon royaume, et que la réalle dellivrance leur en sera faicte, au mesme jour et temps que ma dicte sœur accordera aussy, par autre lettre signée de sa main: que ce qui a esté pris et arresté, en Angleterre, ou qui s'y trouvera, en essence, appartenir à mes subjectz, ou que mes dictz subjectz montreront et vériffieront sommairement leur appartenir, leur sera réallement restitué, trouvant bon que le terme des dictes restitutions se preigne au dernier jour de ce moys, ou à aultre; et que, au reste, nous facions mutuellement administrer bonne et prompte justice à nos communs subjectz des prises et pilleryes qui ont esté commises de costé et d'autre, selon que le contiennent les traictés; priant Dieu, etc.

Escript à Orléans le VIIIe jour de juillet 1569.

CHARLES. BRULART.

XI

LA ROYNE MÈRE A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

—du IXe jour de juillet 1569.—

Disposition d'Élisabeth à déclarer la guerre.—Nécessité de surveiller ses projets, et d'en donner promptement avis sur la frontière.—Position des deux armées.—Levée du siège de Niort.—Fausseté des nouvelles répandues en Angleterre.—Assurance que d'Andelot et le duc de Deux-Ponts ne sont pas morts par le poison.—Bon état de défense de Périgueux, qui est menacé par les protestans.—Projets de mariage du roi d'Espagne et du roi avec les deux filles de l'empereur, et du roi de Portugal avec Madame.—Siège de la Charité; espoir de la prochaine reddition de la place.

Monsieur de La Mothe Fénélon, tout ce que nous pouvons recueillir de vos dernières dépesches[14] c'est que la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur, n'oublie rien de toutz les appretz qui sont nécessaires pour l'acheminement d'une guerre, laquelle nous ne voyons pas s'adresser à aultres que à nous, estant ses affaires aux termes que vous le mandez pour le regard du costé de Flandres, et en telle voye d'accord que je tiens jà tous ces différants pour accordés; estimant bien que ce qui la peut retenir, jusques icy, de se déclarer ouvertement, c'est qu'elle veult auparavant veoyr ung peu clair à ce que auront d'heureux succez les affaires de nos ennemys. Quoy que ce soit, j'ay bonne espérance, quand elle en viendra là, qu'elle n'en raportera non plus d'honneur et de réputation qu'elle fist aux troubles de l'année soixante deux, vous priant, affin que nous ne puissions estre surpris, que, comme vous avez bien faict jusques icy, vous advertissiés ordinairement mon cousin le maréchal de Cossé, qui est pour pourveoir à la Normandye et la Picardye, de toutes les choses qui seront importantes au bien du service du Roy, Monsieur mon fils.

Despuis le discours qui vous en fust dernièrement envoyé, de la façon que s'estoient passé une bien grosse escarmouche entre quelques gens de pied de notre armée et celle de nos ennemys, il n'est rien survenu de nouveau entre les dictes armées; et sont, l'une au camp de Larsac, qui est la nostre, et l'autre à N. Il est vray que, voyant l'Admiral que le comte Du Lude estoit pret de donner l'assault à Nyort, l'a envoyé secourir de deux mille chevaulx et quelques gens de pied, qui a esté cause qu'il a esté contrainct d'en laisser le siège, ce qu'il a faict sans aulcune perte.

Comme j'étois à l'endroict de ceste despesche, la vostre du XXVIIIe du passé[15] nous est arrivée, par laquelle j'ay veu les beaux advis que l'ambassadeur Norrys faict, sellon sa coustume, courir par delà, qui sont sy faulx, malicieux et controuvez qu'il n'est possible de plus. Car de dire que le poison de feu d'Andelot se soit avéré par l'exécution d'un sien serviteur qui a esté tiré à quatre chevaulx, cella est entièrement faulx, comme aussi ce qu'il fait courir de la façon de la mort du duc des Deux Pontz, estant advenu à l'ung et à l'aultre par une grosse fiebvre; à l'occasion de beaucoup de travail qu'il auroit pris, mesmes le dict duc des Deux Ponts, aux continuelles grandes journées qu'il fust contrainct de faire pour garder d'estre combatu de nostre armée, avant que joindre l'Admiral. Et tant s'en fault que le dict duc ayt mangé avec la Royne de Navarre, que, ung jour auparavant qu'il fust joinct au dict Admiral, il estoit jà extrêmement malade.

Pour le regard de Périgueux, les dictz ennemys ont bien faict quelque contenance d'y vouloir dresser la teste; mais ils n'en sont aprochez de plus de dix lieues. Et quant ilz voudroient entreprendre de l'assiéger, à quoy l'on ne voyt point d'apparance, y ayant une sy puissante armée si prez d'eux, ils la trouveront pourveue d'ung sy bon nombre d'hommes, qu'ils n'en raporteront que la honte.

Mon cousin le cardinal de Guise est icy arryvé depuys sept ou huit jours, de retour de son voyage d'Espaigne, et nous a raporté la résolution des mariages de la fille aisnée de l'Empereur avec le Roy Catholique, de la seconde pour le Roy, Monsieur mon fils, et du mariage du Roy de Portugal avec ma fille, avec toute assurence et confirmation de l'amityé du dict Roy Catholique, qui n'est en rien diminuée pour la mort de la feue Royne d'Espaigne, ma fille.

Le sieur de Sansac est au siège de la Charité, que nous espérons qu'il aura réduict à l'obéissance du Roy, Mon dict Sieur et fils, dedans peu de jours; priant Dieu, etc.

Escript à Orléans, le IXe jour de juillet 1569.

CATERINE. BRULART.

XII

LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

—du XVIIe jour de juillet 1569.—

Levée du siège de la Charité.—Ordre donné par le roi de reprendre le siège et de le poursuivre avec vigueur.—Satisfaction des assurances d'amitié transmises au nom d'Élisabeth.—Contentement témoigné par le roi à l'ambassadeur.

Monsieur de La Mothe Fénélon, je vous fais ceste despesche en haste, sur l'occasion d'une que l'ambassadeur d'Angleterre faict par delà, par laquelle je ne faictz point de doubte qu'il ne donne advis de la levée du siège de la Charité; dont, afin que vous saichiez les particullarités des choses, ainsy qu'elles sont passées, je vous en envoye ung petit mémoire, outre lequel, je vous veux bien dire que, m'estant venues nouvelles, de ce jourdhuy, que les ennemys n'estoient si approchez de la rivière de Loire que les précédans adviz le portoient, et l'on s'en estoit donné de peur, j'ai mandé au sieur de Sansac qu'il retourne au dict siège pour y faire tanter tout l'esfort que sera possible, à ce que la ville puisse estre réduicte en mon obéissance. Ce que je ne faictz pas tant pour importance dont elle soit, ny commodité qu'en tirent mes ennemys, qui ne peut estre grande en ce temps, ny pour le passaige de la rivière qui est guéyable en plusieurs endroictz, mais pour ma réputation: car j'auray toujours grand regret de faillir à mes entreprises, pour lesquelles mener à exécution je n'oublierai rien, voïans mes subjects demeurant dans leur obstination accoustumée.

Au demeurant, j'ay receu vostre lettre du Ve de ce moys[16] par laquelle j'ai veu le discours des propos que vous a tenuz la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur, qui sont toutz pleins d'une honneste desmonstration du desir qu'elle a de conserver la paix, et vous prie que, à la première audiance que vous aurez d'elle, vous luy rendiez mes cordialles recommandations, avec ung gracieux mercîment de l'assurance, qu'elle vous a donnée, de l'affection qu'elle a à la prospérité de mes affaires, conservation de ma couronne et de la paix de mon royaume; en quoy elle se peut confier que je luy ay toute telle correspondance qu'elle sçauroit souhaister de prince de ce monde son meillieur allyé.

Il est bien vray que les propos que vous ont tenuz les gens de son conseil semblent estre de personnes qui veullent bien donner à cognoistre qu'ilz ont moyen de nuire, quant ilz le vouldroient entreprendre, pour leur en sçavoir plus de gré quand ilz ne le feront poinct. A quoy vous avez saigement respondu et selon que je le puis desirer pour mon honneur et réputation; n'ayant aultre chose à vous dire par ce petit mot que je finiray en priant Dieu, etc.

Escript à Orléans ce XVIIe jour de juilhet 1569.

CHARLES. BRULART.

XIII

LA ROYNE MÈRE A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

du XVIIe jour de juillet 1569.—

Nécessité de découvrir les intentions secrètes d'Élisabeth, et d'exercer la plus grande surveillance en Angleterre.—Ordre donné pour une levée de Suisses et de Français.

Monsieur de La Mothe Fénélon, vous faictes service bien fort agréable au Roy, Monsieur mon filz, de prendre occasion de visiter la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur, le plus souvant qu'il vous est possible; car, encores que j'estime qu'elle soit en ses propos bien fort réservée, et sçache assez bien couvrir le font de ses intentions, sy est ce que, par ceste fréquantation, il vous sera tousjours aysé d'en descouvrir quelque partye, sy vous n'en pouvez sçavoir le tout; et pour ce, le mieux, que vous puissiez faire, c'est de continuer à la visiter bien souvant.

Vostre dépesche du Ve me confirme tousjours, de plus en plus, en l'opinion, que j'ay eue cy devant, que les différants d'Angleterre et des Pays Bas se composeront bientost amiablement, dont vous nous advertirés de ce qui succèdera, ensemble des aprestz qu'ilz fairont par dellà; à quoy je vous prye d'avoyr l'œil soigneusement ouvert, selon vostre vigilance accoustumée.

Le Roy, Mon dict Sieur et filz, ne voulant rien oublier en l'exécution de ceste entreprinse, puysque ses subjectz demeurent en leur obstination accoustumée, faict faire une nouvelle levée de douze mil Suysses et de quarante enseignes de François, qu'il espère avoir toutz pretz dedans la my aoust; estant tout ce que j'ay à vous dire par ce mot, auquel je fairay fin en priant Dieu, etc.

Escript à Orléans le XVIIe jour de juillet 1569.

CATERINE.BRULART.

XIV

LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

du XXVIIe jour de juillet 1569.—

Remercimens du roi pour les communications qu'Elisabeth lui a fait transmettre.—Confidence secrète du projet de mariage de Marie Stuart avec le duc de Norfolk.—Injonction faite à l'ambassadeur d'en favoriser de tout son pouvoir l'exécution.—Recommandation du plus grand secret.—Nouvelles de la guerre.—Prise de Châtelleraut et de Lusignan par les protestans.—Nécessité où se trouve le duc d'Anjou de se tenir sur la défensive.—Envoi d'un secours par le roi d'Espagne.—Mesures prises pour solder les troupes.—Projet des protestans d'attaquer Saint-Maixent ou Poitiers.

Monsieur de La Mothe Fénélon, il y a quelques jours que vostre dépesche de l'unzième[17] m'est arrivée, par laquelle j'ay veu que la prompte levée qui s'est faicte, de cinq mille hommes de pied, a esté pour le costé d'Irlande; et comme, encore que le remuement qui est de ce costé là ne soit de petite importance, néantmoins l'on le veult rendre à la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur, le moindre que l'on peut, pour ne la divertir d'entendre à quelque autre entreprinse, comme vous jugez sagement qu'elle pourra faire, si elle en voit quelque commode occasion, encores que son langaige soit plein de toute honnesteté et courtoisie. Dont je desire néantmoins que vous la merciez de ma part, et luy dites que, sy elle desire, de son costé, qu'il ne m'advienne aucun mal de ceste guerre, je n'en desire pas moins pour elle du remuement que j'ay sceu estre advenu, puis naguières, au pays d'Irlande. Et puisqu'elle vous a dict qu'elle auroit certitude, dedans la sepmayne de la dacte de vostre lettre, de ce qui se fera de la levée que l'on dict que faict Cazimir, je m'asseure que n'aurés failly de la recorder de vous en dire ce qu'elle en sçayt.

Au demeurant, l'on m'a adverty que la Royne d'Escosse est bien avant en propoz de mariage avec le duc de Norfolc, et que l'on espère que les choses s'en pourront mener à quelque bonne fin; ce que j'ai occasion de desirer beaucoup plustost qu'il se fasse, que avec le bastar d'Espaigne, ainsi que je sceus cy devant qu'il s'en praticquoit quelque chose. Et, à ceste cause, je vous prie, Monsieur de La Mothe Fénélon, que dextrement, comme de vous mesmes, et sans faire cognoistre en façon du monde que je vous en aye rien escript, vous fassiés tout ce qu'il vous sera possible pour faire trouver bon le dict mariage à la dicte Royne d'Escosse, et le favorisiez tant, par toutz les bons moyens que vous pourrés trouver de par dellà, qu'il se puisse conduire à quelque bon effect, n'oubliant à découvrir saigement ce qui en a jà esté miz en termes, et sy les choses sont sy advancées que l'on me les a faictes, dont vous ne faudrez de me donner adviz. Et surtout regardez à manier ce fait si secrètement que vous ne puissiez estre descouvert de personne, et qu'il ne vienne en cognoissance qu'il vous ayt esté rien mandé de deçà.

Quant à l'estat de mes affaires, vous avez sceu, par ma dernière, comme le faict du siège de la Charité s'est passé. Despuys, mes ennemys, s'estant advancez, sont entrés dedans Chastèlerault, où les soldatz qui estoient ordonnez pour la garde des postes, en petit nombre, leur ouvrirent la porte; et ont assiégé Luzignam, où, après avoir esté quelques jours, et avoyr enduré ceulx de dedans, qui n'estoient que deux ou trois centz hommes, deux assaux, auxquels ilz ont bien tué de mes dictz ennemys six ou sept cens hommes, enfin ilz se sont renduz à composition. Mon armée, que commande mon frère, le Duc d'Anjou, s'aproche tousjours d'eulx pour leur faire teste. Il est vray que, ayant donné congé à la pluspart de sa gendarmerye de s'en aller faire ung tour en leurs maisons, il n'a pas, à beaucoup près, tel nombre de gens de cheval françoys qu'il avoit cy devant; qui est cause qu'il n'a pas, jusques icy, peu aprocher de sy prez mes dictz ennemys ni les tenir si serrés comme l'on eust peu faire autrement.

Je vous ay mandé cy devant comme je faictz lever huict mil Suysses de nouveau, et cinquante enseignes françoises, affin d'estre tousjours plus renforcé et avoir plus de moyen de résister aux forces étrangères, desquelles l'on me menasse: [oultre lesquelles forces, le Roy d'Espaigne, mon beau frère, m'envoye quatre mil Espaignols]. Je suis venu à bonnes journées en ceste ville pour donner ordre aux provisions d'argent nécessaires pour l'entretènement des susdictes forces des gens de pied, Françoys et Suysses, affin que, y ayant pourveu, je puysse incontinent m'en retourner à Orléans. Dont n'ayant que faict deux journées jusques en ceste ville, il ne sera pas que ceulx qui essayent à descrier tousjours mes affaires de delà, le plus qu'ilz peuvent, ne facent, possible, semer le bruict que je m'en sois retiré par crainte de mes dictz ennemys; lesquels n'ont, jusques icy, faict aucune contenance de s'aprocher plus prez de la rivière de Loyre que le dict Chatèlerault. J'estime qu'ilz seront pour assiéger St Maizant ou Poytiers; lesquelles places sont pourvues d'ung sy bon nombre d'hommes que j'espère qu'il n'en adviendra aucun inconvéniant; estant tout ce que j'ay à vous dire et l'endroict où je prie Dieu, etc.

Escript à St Germain des Prez, le XXVIIe jour de juillet 1569.

Me faisant réponce sur le faict du susdict mariage, escripvez m'en par la lettre particulière que vous adresserez à Brulart, et non avec les dépesches que me fairez de l'estat auquel sont les choses par delà.

CHARLES. BRULART.

XV

LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

du XXVIIe jour de juillet 1569.—

Négociation sur la restitution des prises.—Assurances d'amitié pour la reine d'Angleterre.

Monsieur de La Mothe Fénélon, la dépesche, que vous a portée Sabran, vous aura donné moyen de satisfaire la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur, sur le faict des restitutions des marchandises qui ont été arrestées, tant du costé d'Angleterre à mes subjectz que du costé de deçà aux Anglois; de sorte qu'elle n'aura point d'occasion de penser que vous vous soyez en cela advancé plus que mon intention. Quant aux quatre subjectz de ma dicte sœur qui sont arrestez à Calais, dont elle vous a faict plaincte, vous luy en avez fort saigement respondu. Toutesfois, pour estre esclayrcy de ce qui en est, j'ay escript présentement au sieur de Gonrdan pour sçavoir l'occasion du dict arrest, pour, après l'avoir sceue, en faire faire toute telle raison qu'il apartient à la commune amityé, qui est entre ma dicte bonne sœur et moy, en laquelle elle se peut assurer que je continueray tousjours sans rien faire de mon costé, qui la puisse aulcunement altérer; priant Dieu, etc.

Escript à Paris le XXVIIe jour de juilhet 1569.

CHARLES. BRULART.

XVI

LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

du XVe jour d'aoust 1569.—

Remontrances qui doivent être faites à la reine d'Angleterre afin qu'elle arrête les secours destinés pour la Rochelle.—Dénégation qu'une ligue ait été formée par le roi avec l'empereur et le roi d'Espagne.—Desir manifeste d'Élisabeth de se tenir prête à profiter des troubles de France.—Avis de secours préparés en Allemagne pour les protestans.—Vive recommandation faite à l'ambassadeur de favoriser de tout son pouvoir le mariage de Marie Stuart avec le duc de Norfolk.—Envoi des lettres officielles annonçant le mariage du roi avec la seconde fille de l'empereur, et de Madame avec le roi de Portugal.

Monsieur de La Mothe Fénélon, par vos trois dernières despêches, des XIXe et XXVIIe du passé, et celle que j'ay receue hier du premier du présent[18], de l'une desquelles le Sr de Vassal a esté porteur, je cognois bien qu'il se continue tousjours par dellà plusieurs mauvais offices, mesmes pour le regard des deniers que l'on a tacitement permis à ceux de la Rochelle d'emprunter sur les bagues de la Royne de Navarre, bien que les propos de la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur, soient tousjours les plus honnestes qu'il est possible; lesquels elle ne sçauroit mieux faire cognoistre correspondre à la sincérité de son intention, que quand elle déniera faveur en son royaume à ceux qu'il luy est assés notoire m'estre rebelles. Dont je désire que vous la sollicitiez, de ma part, à toutes occasions, mesmes sur les dictz deniers, que vous avez entendu que l'on est après pour recouvrer en son pays, sur les bagues de la dicte Royne de Navarre, pour en ayder et secourir mes dictz rebelles, ce qu'elle ne peut souffrir sans bien avant contrevenir au traicté de payx, affin de tousjours luy faire bien cognoistre que je voys assez clair en ses déportemens, et que ses honnestes parolles ne me les peuvent tant déguyser que je ne sente bien en quoy elle se départ de l'office de bonne sœur et alliée qu'elle me doit estre, et de l'affection qu'elle vous a, tant de foys, dict porter au bien de mes affaires. Ce que vous regarderez de luy faire entendre sy dextrement, et à propos, qu'il serve à la contenir et garder de se laisser persuader à beaucoup de choses, ès quelles ceux qui n'ayment pas son repos desirent la faire résouldre: dont elle pourra, possible, en le faisant, recepvoir plustot désavantaige en ses affaires que quand elle vouldra, en observant sa foy, entretenir la paix qu'elle a promize et jurée avec moy; s'estant assés ordinairement veu que les princes qui, soubz une injuste querelle, mènent guerre couvertement ou appertement à leurs voysins, n'en rapportent enfin que perte et ruyne pour eux, leurs royaumes, pays et subjectz.

J'ay bien considéré le mémoire ample que m'avez envoyé de l'estat des choses de delà, lesquelles, encore qu'elles semblent quelque peu préparées à remuement, si est ce qu'il n'est tel que pour cela l'on puisse penser qu'ilz soyent divertiz de porter mauvaise affection à mon royaume, et que les grands préparatifs que continue ma dicte bonne sœur ne soyent plustost pour entreprendre une offension que pour conserver son estat, si ce n'estoit que, sur l'opinion que ceux de delà se sont mize en la teste de la ligue qu'ils disent estre toute certaine entre l'Empereur, le Roy d'Espaigne et moy, ainsy que le secrétaire Cecille le vous a voullu prouver par ses raysons discoureues au dict mémoire, ma dicte bonne sœur fust en une perpétuelle deffiance que je la voullusse offenser. A quoy je ne voy point d'aparance, mais bien plustost qu'elle a l'œil ouvert pour tirer des malheurs de mon royaulme quelque proffict en ses prétantions; trouvant bon que vous ayez eu avec les seigneurs de delà, et semblablement avec ma dicte bonne sœur, les propos que me mandez par vostre lettre du dict premier de ce moys, qui peuvent servir à tousjours mieux sonder les fontz de leurs intentions.

Les adviz qui me viennent du costé d'Allemaigne se conforment, en quelque chose, à ce que le comte de Lescestre vous a dict du dict Cazimir. Et en conférant tout ce que j'entendz des dictz adviz, je voy bien qu'il y a grande apparance qu'il s'y doive faire quelque nouvel amas de gens de guerre; portant mesmement, ung des dictz adviz, qu'il a esté envoyé d'Angleterre de l'argent en Allemaigne pour l'Admiral, dont vous mettrez peyne de vous esclaircyr de ce qui en est.

Je vous recommande l'affaire dont, par mes dernières despesches, je vous ay escript, auquel je vous prie vous y employer sy avant que le mariage que sçavez se puisse fère, y uzant de toutz les meilleurs et plus exprès moyens, dont vous vous sçaurez saigement adviser.

Au demeurant, Monsieur de La Mothe Fénélon, estant le faict de mon mariage avec la fille puisnée de l'Empereur, et de ma sœur avec le Roy de Portugal, sy advancé que j'ay envoyé pouvoir à mon ambassadeur, qui réside en Espaigne, pour en contracter avec ceux que le Roy d'Espaigne, qui a pris toute la charge de cest affaire, voudra députter, la Royne, Madame et Mère, et moy en avons voullu donner adviz à ma dicte bonne sœur par les lettres que nous luy escripvons, que vous luy présenterez avec nos cordialles et affectionnées recommandations; priant Dieu, etc.

Escript à Amboise le XVe jour d'aoust 1569.

CHARLES. BRULART.

XVII

LA ROYNE MÈRE A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

du XVe jour d'aoust 1569.—

Désir de la reine-mère que la pacification soit faite en France.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . choses à ce que ceste guerre soit abrégée le plus que l'on pourra, ainsi que nous espérons que Dieu nous en fera la grâce, le priant, Monsieur de La Mothe Fénélon, qu'il vous ayt en sa saincte et digne garde.

Escript à Amboise le XVe jour d'aoust 1569.

CATERINE. BRULART.

XVIII

Mr DE LA MEILLERAYE A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

du XVIIe jour d'aoust 1569.—

Plaintes contre les déprédations des Anglais.—Vive recommandation adressée à l'ambassadeur de communiquer sans retard les entreprises qui pourraient être préparées en Angleterre.—Nouvelles de la guerre.—Siège de Poitiers. —Secours introduit dans la place.—Bon espoir que la ville ne pourra être forcée.

Monsieur, j'ay receu vostre lettre en dabte du dixiesme du présent, avecques celles que escrivez à Mr le mareschal de Cossé, lesquelles j'ay ouvertes suivant ce qu'il m'en a dict, à son partement de ce païs, pour y aprendre chose pour le service du Roy qui requist prompt remède. Et à mesme instant j'ay envoyé vostre dicte lettre par l'un des myens que j'ay envoyé vers Leurs Majestés, auquel j'ay donné charge d'en pourchasser la responce, et pareillement d'aultre vostre despesche, du premier jour de ce mois, qui a passé par mes mains; par toutes lesquelles j'ay apris le bon acheminement que vous prenez pour faire raison aux subjectz du Roy qui certainement ont esté jusques à icy fort gourmandez; et pour m'asseurer que vous vous y emploierez de tout vostre pouvoir, je ne vous en feray plus ample recommandation, et seullement vous diray que, de jour à aultre, il se commect sur les dictz subjectz plusieurs piratteries et déprédacions, et ne puis croire que, si la Royne d'Angleterre commandoit en estre faict quelque pugnition exemplaire, telles chozes ne cessassent en peu de temps. Bien est vray que nous ne nous pouvons plaindre des expédictions qu'elle faict donner en son conseil pour la restitution des dictz biens déprédés, mais l'exécution ny les effectz ne sont semblables.

Et quand au regard des préparatifs qui se font par delà par la conduicte de l'agent du prince d'Orange et autres qui s'empeschent de telz dessaingz, en intention, comme il est bien à penser, de porter dommage aux affaires du Roy, je vous prye, à tout le moyns, sy n'avez moïen de les faire rompre et divertir, que soyons advertiz à temps de leur embarquement et des chozes qui le mériteront pour tant plus nous préparer de les recepvoir au cas qu'ilz nous voulsissent venir veoir; vous voullant bien dire sus ce propos, qu'il reste par deçà une bonne quantité d'hommes qui ont très bonne dévotion de les empescher d'entreprendre choze qui tourne au préjudice du service du Roy; et trouveront le tout en aultre estat que beaucoup ne le despeignent, en intention de tant plus les convier à exécuter ce que eux mesmes ne peuvent faire sans l'aide d'aultruy; et néantmoyns espère bien que tous ensemble y perdront leur peine.

Et quand à ce qui touche l'estat des affaires de la guerre, je ne vous en feray long discours pour le présent, sinon vous dire que, ayans les ennemys assiégé Poictiers, et admené bonne quantité de monitions en intention d'y faire brêche, en voïant le peu d'advantage qu'ils en espéroient, ont changé de batterye et remplacé leurs pièces aultre part, qui est un tel signal que pouvez penser, joinct le grand nombre de gens de bien qui sont dans la dicte ville, que l'on n'en doibt attendre que une très bonne yssue pour le service du Roy. Et y sont entrez de renffort, puys quelques jours, le cappitaine Annoux, maistre de camp, le cappitaine Sarrioux et aultres hommes signallez, accompaignez de mil ou douze centz harquebuziers choisys; lesquelz en entrant, ont taillé en pièces le corps de garde des dictz ennemis, qui font grandes pertes aux saillyes qui se font journellement, de sorte qu'ilz n'eussent peu entreprendre choze plus à leur ruyne pendant que nostre armée s'est quelque peu rafreschye, et que l'on a rassemblé la gendarmerye, laquelle faict monstre généralle dans le vingt cinquiesme de ce mois. Et croïez que, le tout remys ensemble, il fauldra que les dictz ennemys changent de desseing; qui sera, comme je présume, très bon subject de refroidir ceux qui auroient envye d'entrer en ceste province.

Et pour la fin de ma lettre, je vous puis asseurer que je seray fort songneux, d'icy en avant, de vous faire part des occurrences qui s'offriront par deçà, comme aussy je vous prye en faire le semblable de vostre part, estant très certain que mon Maistre aura ceste correspondance fort agréable; qui sera l'endroict où présentant mes affectionnées recommandations à vostre bonne grâce, etc.

De Fontaines le Bourg, ce XVIIe jour d'aoust 1569.

Vostre bien humble et plus affectionné amy,

FRANÇOIS.

Je vous prye, venant homme seur par deçà, me faire entendre en quel estat sont les affaires d'Escosse et Hirlande, et quelle obéissance y est rendue à la Royne d'Angleterre.

XIX

LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

du XXXe jour d'aoust 1569.—

Nouvelles du siège de Poitiers.—Déclaration du roi qu'il ne veut poser les armes qu'après la soumission des protestans.—Résistance de Poitiers.—Résolution du roi de faire approcher son armée pour forcer les protestans à lever le siège.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Poictiers ny de tenir un si long siège, qu'il y a qu'ilz sont, sans y avoir rien gaigné là, grâce à Dieu, que la perte de beaucoup d'hommes, vous voulant bien dire sur ce que me mandez qu'elle a fort essayé de sçavoir de vous: si mon intantion estoit de mestre fin à ceste guerre et aux différans de la religion, par armes ou autrement, que je désire, si elle tombe, cy après, avec vous sur semblables propos, que vous luy faictes entendre que le vray et principal but de la présente guerre c'est de me fère rendre par toutz mes subjects l'obéissance qui m'est due; d'establir ung bon repos en mon royaume, et de régner roy paysible sur mes subjectz, ainsy que ont faict mes prédécesseurs, ne voulant plus que les troubles et remuemens, qui ont esté cy devant suscytez sur l'occasion de mes jeunes ans, soient, à ceste heure, continuez, que Dieu, par sa grâce, m'a donné eaige et sens pour gouverner mes dictz subjectz.

Ainsy que j'estois sur le point de vous faire la présente, la vostre du XVe est arrivée[19], par laquelle me mandez les sollicitations que continuent de faire de par delà mes dictz rebelles; à quoy je ne vous sçaurois dire autre chose, sinon que vous vous y oposiez tousjours, le plus vivement que vous pourrez. J'ay veu le beau discours qu'ils ont envoyé par delà auquel ilz n'ont pas manqué, comme de coustume, d'estendre les choses fort à leur avantage sans ..... vérité qui ..... leurs ordinaires artifices qui ne peuvent ..... qu'il est.....

Il y a plus d'ung moys que mes dicts rebelles sont au siège de Poitiers, où, après avoir faict bapterie d'artillerye en plusieurs endroictz, consommé ung grand nombre de monitions, et tanté par quelquefoys s'ils pourroient entrer dedans par la force, ilz ont trouvé si forte résistance des gens de bien qui y sont, que, se voyant désespérez de l'avoir par la force, ilz se sont résoluz d'attandre que la nécessité des vivres contraigne ceux dedans de se randre; vous laissant à penser si ceste leur espérance est bien fondée, estant la dicte ville grandement pourveue de vivres, comme elle est, et estant mon armée preste à estre remise toute ensemble dedans quatre ou cinq jours; qui sera bien le nombre de sept à huit mille chevaux et de quinze ou seize mil hommes de pied, avec laquelle je suis dellibéré de les faire approcher de sy prez qu'ils seront contrainctz de lever le siège. Priant Dieu, etc.

Escript au Plessis lès Tours, le XXXe jour d'aoust 1569.

CHARLES. BRULART.

XX

LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

du VIe jour de septembre 1569.—

Satisfaction du roi de la conduite de l'ambassadeur.—Demande que défense soit faite aux navires anglais de se rendre à la Rochelle.—Offre de Bordeaux pour fournir au commerce des Anglais.

Monsieur de La Mothe Fénélon, depuys la dernière despesche que je vous ay faicte, qui a esté du XXXe du passé, m'ont esté aportées les deux vostres des XXIIe et XXVIe du dict passé[20]; par la première desquelles vous me discourez bien amplement des honnestes propos que la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur, a tenuz aux marchans qui sont allez par delà pour l'accord de la restitution des marchandises arrestées, et l'instance que vous luy avez faicte sur la sortye des ourques, qu'elle a excusée le mieulx qu'elle a peu. Toutesfois il se cognoit assés, par la tacite permission qu'elle a donnée de les emmener, que c'est toujours soubz main favoriser les entreprinses des rebelles; et faictes bien, voyant telles choses, de vous y opposer fort fermement, car cella la rendra plus retenue et réservée en ses actions, et à empescher qu'elle ne se laisse du tout surmonter aux persuasions de ceux qui luy conseillent de se remuer contre moy.

L'instance que vous avez faicte aussy, envers ma dicte bonne sœur, pour la Royne d'Ecosse, n'a esté que bien à propos, quant ce ne seroit que pour découvrir le fonds de l'intention qu'elle a en son endroict, de laquelle je me suis toujours bien doubté; et que les déclarations[21] qu'elle a demandées de la Royne, Madame et Mère, de mon frère et de moy, n'ont esté que pour remettre les choses toujours les plus à la longue qu'elle pourra. Et toutesfoys ce n'est peu faict de l'avoir pressée sy fort qu'elle ait été contraincte de vous dire, en descouvrant le mescontantement qu'elle a de la dicte Royne d'Escosse, que l'on ayt patiance jusques à quinze jours, dedans lesquels elle procèdera en son affaire de telle sorte que les princes chrétiens en auroient contantement; vous priant de l'entretenir en ceste bonne volonté, et de faire tant, s'il est possible, qu'elle réussisse à quelque bon effect.

Qui est tout ce que j'ay à vous dire sur la dicte lettre, et qui me fera venir à celle du dict XXVIe, par laquelle me mandez la diversité des advis que avez euz du chemin que prenoyent les françois et flamans, sortys de Londres; sur lesquels vous avez eu bon subject de tenir aux seigneurs du conseil de par dellà le langaige dont vous leur avez uzé, encores que tousjours ilz parent leurs actions des plus belles excuses qu'il leur est possible; et ferez fort bien, survenant telles choses, d'en tenir tousjours advertys de bonne heure les Sr de Piennes et de La Meilleraye, afin qu'ils soient plus sur leurs gardes.

Je desire que vous requerriez ma bonne sœur qu'elle ne souffre que ses subjects aillent à la Rochelle, et luy dictes que, s'ilz veuillent aller à Bourdeaux, ils y trouveront les danrées et marchandises qu'ils desirent achepter, avec autant et plus de commodité qu'ilz feroient à la Rochelle; et si, en ce faisant, sera entretenir le commun bon respect que nous nous debvons l'un à l'autre.

Qui est tout ce que je vous puis escripre pour le présent et l'endroict où je prie Dieu, etc.

Escript au Plessis lès Tours, le VIe jour de septembre 1569.

CHARLES. BRULART.

XXI

LA ROYNE MÈRE A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

du VIe jour de septembre 1569.—

Assurance qu'il n'a été remis au roi aucune remontrance de la part des protestans qui font le siège de Poitiers.—Approbation de la conduite tenue par l'ambassadeur à l'égard de Marie Stuart.—Départ du duc d'Anjou pour se mettre à la tête de l'armée, et faire lever le siège de Poitiers.

Monsieur de La Mothe Fénélon, je suis bien aise de la bonne espérance que vous avez que les marchans qui sont allés par delà pour la restitution des marchandises arrestées, tant en Angleterre que en ce royaume, pourront conduire les choses à quelque bon accord; et est ce que nous desirons grandement, m'esbahissant fort, d'autre part, de ce que la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur, vous a dict, sur le propos du siège de Poitiers, de la remonstrance que ceux, qui sont devant le dict Poitiers, ont envoyé présenter au Roy, Monsieur mon fils, et que même il ayt esté mandé par delà que l'on l'ayt envoyée par le comte de Retz; car c'est chose évidemment contraire à la vérité. Et n'avons jamais, le Roy, Mon dict Sieur et fils, ny moy, veu la dicte remonstrance, sur laquelle vous avez répondu fort prudemment et selon l'intention du Roy, Mon dict Sieur et fils, qui n'aura occasion de recepvoir jamais aucune remonstrance d'eulx qu'ils ne soient premièrement mis en estat de bons et loyaulx subjectz, en déposant les armes et se randant dignes, par tel moyen, d'estre receuz en sa bonne grâce, laquelle il ne leur refuzera jamais, quand, de leur costé, ils la rechercheront, selon qu'ils le doibvent faire; estant, au demeurant, bien resjouye de veoir, par vostre lettre du XXVIe, qu'il y ayt plus d'espérance à l'accommodement des affaires de la Royne d'Escosse qu'il n'y avoit, lors de vostre dépesche précédante du XXIIe; et ne sera oublyé, pour toujours les favoriser, de tenir à l'ambassadeur d'Angleterre le mesme langaige que vous avez faict par delà à ma dicte bonne sœur.

Au demeurant, quant à noz nouvelles, je vous veux bien dire que, hier, mon filz, le Duc d'Anjou, partit pour aller trouver nostre armée, qui s'estoit jà acheminée devant au lieu de la Haye, distant de Poitiers, de douze petites lieues seulement, d'où il espère bien de s'approcher sy bien du dict Poitiers, dedans peu de jours, qu'il contraindra ceulx qui sont devant d'en lever le siège; se disant par les dernières nouvelles, que nous avons confirmées de diverses personnes, que l'Admiral estoit bien fort malade, et qu'il ne sortoit point de la chambre. Dedans peu de jours, nous verrons la résolution qu'ilz prendront, voyant nostre dicte armée les aprocher, chose qui leur ostera toute l'espérance qui leur restoit de prendre la dicte ville de Poitiers par nécessité, après avoir veu que la force n'y pouvoit rien; et sera bien pour confirmer le mauvais mesnage qui commanceoyt jà estre entre eux et leurs reystres, desquels ils ont assigné le payement sur la prinze du dict Poitiers; ayant, au demeurant, escript par toutz les endroits à ceulx de leur opinion qu'ilz regardassent à les aider et secourir de deniers et d'hommes dont ils ont perdu un grand nombre au siège du dict Poitiers. Et sur ce, etc.

Escript au Plessis lès Tours, le VIe jour de septembre 1569.

CATERINE. BRULART.

XXII

LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

du XIVe jour de septembre 1569.—

Espoir que les mauvaises intentions des Anglais resteront sans effet.—Promesse en faveur de Marie Stuart.—Assurance donnée au roi qu'il ne se fait pas de levée en Allemagne.—Ordre d'insister toujours vivement pour Marie Stuart.—Adhésion à l'accord proposé pour la restitution des prises et concernant le commerce.—Nouvelles de la guerre.—Marche des protestans après la levée du siège de Poitiers.—Les deux armées en présence auprès de Chatelleraut.—Motifs qui ont empêché de livrer la bataille.

Monsieur de La Mothe Fénélon, la despesche, que m'avez faite par Sabran[22], m'a bien au clair représenté l'estat des affaires de par delà, ès quels l'on veoit toujours quelque incertitude de résolution et ung préparatif de personnes qui veullent avoir des moyens prêtz à nuyre et porter dommaige en mon royaume, s'ils peuvent, quand ils seront bien résolus de l'entreprendre. Toutesfois j'ay bonne espérance que l'on n'y prouffitera en rien, et qu'il n'y sçauroit advenir sy peu d'heureux succez en mes affaires que cela ne réfroidisse bien la volonté de mouvoir que ont beaucoup de gens de par delà.

Touchant les affaires de la Royne d'Escosse, il sera teneu à l'ambassadeur d'Angleterre ung mesmes langaige que celuy que vous avez tenu par delà, lequel servira, comme je pense, à les favoriser en quelque sorte, combien que, à la vérité, les déportementz de la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur, donnent à cognoistre qu'elle en rejectera la conclusion le plus à la longue qu'il luy sera possible.

Les advis, qui nous viennent du costé d'Allemaigne, ne parlent point de levées dont le bruict court par dellà, mais au contraire qu'il ne s'y en fait point. Bien est il vray que l'Empereur a esté en quelque propos de mettre sus les III mille chevaux et VI mille hommes de pied, qui luy ont esté accordez à la diette de Francfort, pour la conservation de la paix du pays, et engarder que les reystres, qui sont en ce royaume d'une part et d'autre, retournans, ne facent dedans les terres de l'Empire les mesmes pilleryes qu'ilz ont faict en venant; mais il s'estime plustost qu'il ne les lèvera point que autrement.

Comme j'avois commencé à vous faire la présente, voz deux despesches des Ve et VIe de ce moys[23] m'ont esté aportées; par la première desquelles j'ay veu les nouveaux acrochementz qui sont dressez à la dicte Royne d'Ecosse, et comme la Royne d'Angleterre luy veult faire acroire qu'elle oze entreprendre sur son estat, estimant que, quand elle s'en sera bien faict cognoistre innocente, l'on trouvera encores quelque nouveauté pour tousjours reculler la conclusion de ses affaires. A quoy vous ne laisserez tousjours d'incister, comme vous avez bien faict jusques icy, et d'autant plus vifvement que l'on veoyt qu'ilz veulent remettre les choses en une longueur trop ennuyeuse.

J'ai faict veoir l'escript que ceux du conseil d'Angleterre ont arresté par delà pour le faict du traficq et entrecours de marchandises entre mes subjectz et les Anglois, lequel, à la vérité, ils ne debvroient aucunement restraindre pour le regard des commerces des Pays Bas. Toutesfois je ne suis pas d'adviz que vous faictes là dessus plus grande instance que celle que jà vous avez faicte par vostre responce sur le dict article; car aussy bien cela ne serviroit de rien, et faudra regarder de passer les choses le plus doucement que l'on pouvra.

Au demeurant, Monsieur de La Mothe Fénélon, depuys ma lettre du VIIe[24], par laquelle je vous ay adverty de la levée du siège de Poitiers, les ennemis se sont advancez de deçà Chatellerault assés prez du fort de Pille, où mon frère avait faict mettre ung nombre de harquebusiers pour le garder, d'autant que les ennemys voulloyent essayer de gaigner ce logis là; s'estant logé mon dict frère avec mon armée au lieu de la Selle, de sorte qu'il y a eu sy grande voisination entre les deux armées, l'espace de quatre ou cinq jours, que l'artillerye a tiré d'ung camp à l'autre. Il est vray que la rivière estoit entre deux, mais elle est gayable: et se sont cepandant passées plusieurs escarmouches ès quelles les dictz ennemys ont toujours eu du pire. Ils ont faict contenance jusques d'avoir grande envye de combattre, toutesfois ils n'ont jamais osé venir assaillir mon armée au lieu où elle estoit logée; laquelle, d'un autre costé, ne pouvoit, par la raison de la guerre, aussi habandonner ce lieu là bien advantaigeux, et qu'il failloit garder son advantaige, n'estant guère arrivé de nostre gendarmerye. Mon cousin le duc de Guyse est, de ceste heure, auprès de mon dict frère; lequel lui a amené ung bon renfort, et espère que bientost il s'ensuivra quelque bonne exécution utille et profitable au bien commung et universel de mon royaume. Escript le XIIIIe jour de septembre 1569.

CHARLES. BRULART.

XIII

LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

du XXe jour de septembre 1569.—

Desir du roi que le mariage de Marie Stuart avec le duc de Norfolk s'accomplisse.—Ordre donné à l'ambassadeur d'encourager le duc dans sa poursuite, et de lui faire toutes les promesses qu'il jugera utiles.—Nécessité d'encourager les seigneurs catholiques à rétablir la religion, et de fomenter les divisions en Angleterre afin de détourner Élisabeth de porter secours aux protestans de France.—Vives instances qui doivent être renouvelées en faveur de Marie Stuart.—Résolution du roi de secourir le château de Dumbarton.—Conseil qu'il se propose d'adresser à Marie Stuart par un des secrétaires de cette princesse.—Nouvelles de la guerre.—Retraite de l'armée protestante.—Marche de l'armée catholique, qui la suit.—Espoir d'une prochaine bataille.—Succès remporté dans le Midi par Montgommery.—Réunion du maréchal de Danville et de Montluc pour le combattre.

Monsieur de La Mothe Fénélon, Chiffre, [j'ay sceu ce qui a esté mis en avant pour le faict du mariage de la Royne d'Escosse, ma belle sœur, avec le duc de Norfolc, lequel j'ay occasion de desirer qu'il s'effectue pour beaucoup de grands respectz et considérations, et mesmes pour l'affection que j'ay tousjours cognue que le dict duc de Norfolc a porté à l'entretènement de la paix entre ce royaume et celuy d'Angleterre, et aussy que je croy qu'il ne se pourroit présenter aucun autre party, du quel ma dicte belle sœur puisse recepvoir plus de bien, proffit et advantaige, pour son particullier, que de celluy là; et à ceste cause, je veux que vous vous employés dextrement en cest affaire, et le favorisiés de si bonne façon qu'il en puisse réuscyr quelque bon effect, et ne puissiez y estre traversé, ainsy que je croy que la Royne d'Angleterre l'essayera pour le soupçon qu'elle a conceu contre la Royne d'Escosse, qu'il ne fault doubter qui n'augmente, aprenant qu'il se traittera du dict mariage. Et fault qu'en cecy vous donniez courage au dict duc de poursuivre son entreprise et de n'en estre destourné pour quelque empeschement que la dicte Royne d'Angleterre, ma bonne sœur, s'essaye d'y donner, sy elle le faict; car je suys tout résolu et veux que vous luy donniez cest asseurance de ma part, que je l'assisteray et ayderay, ensemble ceux de son party, tant en cest affaire que en toutes autres choses qu'ilz voudront entreprendre par dellà, soit en la faveur de ceux de la religion catholique ou pour autre cause, de toutz les moyens de gens et argent que Dieu m'a donné, ainsy que je le pourray commodément faire, me voyant en beau chemin de sortir bientost hors des affaires que j'ay; m'estant advis que, puisque la dicte Royne d'Angleterre ne crainct point, sous main, d'ayder et favoriser, comme elle a faict jusques icy, ceux qui me sont rebelles, il ne seroit que très utille d'essayer de luy remuer par dellà ung peu de mesnage, et se servir dextrement et à propos de la division qui est aujourdhuy entre ceux de son conseil.

A quoy je vous prie de penser, et de ne craindre point de faire des promesses bien ardies pour cest effect, faisant tousjours envers icelle Royne d'Angleterre bien vive instance pour le faict de la restitution de la dicte Royne d'Escosse et de son royaume, laquelle vous luy remonstrerés toucher bien avant à l'honneur commung de toutz ceux qui, pour luy estre alliez de sy près, et avoir avec elle de sy estroictes confédéracions, ne pouvons, sans estre cogneus défaillir grandement à nostre debvoir, la laisser plus longuement en l'estat qu'elle est pour ce jourdhuy; pendant lequel ses subjects rebelles regardent à establir leurs affaires au dict pays d'Escosse, et mêmes sont après à se vouloir saysir de Dombertran. A quoy je veux croire de sa bonne affection qu'elle voudra ayder la dicte Royne d'Escosse pour y remédier, et luy donner moyen de pourvoir la dicte ville de vivres et d'hommes, ainsy qu'il est très requis, et que, de ma part, je me dellibère de le faire, sellon que j'y suis raisonnablement tenu et obligé à ce que ses dictz subjectz rebelles ne s'en puissent emparer, ainsy qu'ilz sont pour le pouvoir faire, n'y estant pourveu promptement. Car ce seroit chose trop dure et indigne de nous, pendant que l'on tient la dicte Royne d'Escosse en quelque espérance de la restituer en son dict royaume, de laisser perdre une telle forteresse qui luy seroit bien mal aysé de recouvrer, puis après, par faulte de luy donner secours. A quoy, si elle estoit en sa pleyne liberté, elle regarderoit d'y pourvoir elle mesme.

Ce sont les choses que je vous ay voulu proposer de la déclaracion de mon intention; pour l'exécution de laquelle vous regarderez, sellon vostre dextérité et prudance accoustumée, de dresser sy bien vostre négociation que je soys servy en cest endroit sellon que je le desire, communicquant avec les susdictz le plus famillièrement qu'il vous sera possible, et leur faisant toutz les honnestes acceuils et trêtements que vous pourrez, pour les attirer à vous et les disposer à ma dévotion, pour servyr à remuer les affaires de la dicte Royne d'Angleterre; qui est le plus grand moyen que je puisse avoir, comme je pense, de la divertir d'entendre à favoriser mes rebelles, et ung service le plus notable que vous me sauriez faire par dellà.

Ung des secrétaires de la dicte Royne d'Escosse doibt bientost s'en aller trouver sa Mestresse, par lequel je luy manderay de mes nouvelles, et luy feray entendre combien je desire le susdict mariage s'effectuer, ainsi que vous luy fairés aussi sçavoir de ma part, afin que d'autant plus volontiers elle y entende; vous voulant, au reste, bien faire souvenir de vous monstrer bien advisé à manier ceste négociation, et de n'y rien faire, en ce, que avec ung grand jugement des personnes à qui vous aurez affaire, pour vous en déscouvrir à eulx autant que, avec raison, vous en aurez de confidance].

Despuis mon autre lettre escripte, les ennemys ont esté, quelques jours, vis à vis de mon armée, qui estoit campée à la Selle. Et, après avoir faict contenance d'avoir envye de combattre ma dicte armée, combien que, pour cest effect, ils n'ayent jamais ozé approcher du lieu, là où elle estoit campée, jaçoit qu'elle ne fust beaucoup forte de gens de cheval françoys, à la fin se sont retirés, de nuit, sans sonner tabourin ny trompette, faisant grande journée; ayant été suivys de ma dicte armée qui se retrouve ez quartiers de Montebelair, à une demye lieue près d'eux, sans ruysseau ny rivière; dont je ne puis espérer autre chose sinon qu'ils viennent bientôt à une bataille.

Du costé de Béarn, vous avez entendu cy devant comme les sieurs de Terride et Ste Columbe, s'estant retirez du siège de Navarrin, ont esté surprins dedans la ville d'Orthays, où ils ont esté prins prisonniers par Montgommery avec quelque peu de leurs gens, s'estant sauvé le reste. Il est vray que, despuys, mon cousin le mareschal Dampville, qui avoit des forces en Languedoc, et le Sr de Montluc se sont joinctz ensemble, en espérance de rompre et deffaire le dict Montgommery, ce qu'ils pourront faire, estant fortz comme ils sont. Sur ce, etc.

Au Plessis lez Tours, le XXe jour de septembre 1569.

CHARLES. BRULART.

XXIV

LA ROYNE MÈRE A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

du XXIe jour de septembre 1569.—

Assurance que le duc et le cardinal de Lorraine donnent leur consentement au mariage de Marie Stuart avec le duc de Norfolk.—Nécessité d'empêcher la reine d'Écosse d'accepter les propositions du duc d'Albe pour son mariage avec don Juan.

Monsieur de La Mothe Fénélon, je n'ay à vous faire responce à la dépesche, que nous a aportée Sabran, que sur la lettre que m'avez escripte de vostre main, par laquelle j'ay veu l'advancement que vous avez donné au mariage, dont je vous ay par mes précedantes escript; lequel je desire grandement s'exécuter, et que, pour ce faire, vous n'espargniez poinct le nom du Roy, Monsieur mon fils, et le mien, mais plustost donniez toute asseurance que nous ne deffaudrons en rien au duc de Norfolc en tout ce que nous pourrons l'ayder et favoriser pour y parvenir, et ferons, si besoing est, que mon fils le duc de Lorraine et mon cousin le cardinal de Lorraine y presteront leur consentement; vous voulant bien dire que, m'ayant mis, mon dict cousin le cardinal de Lorraine, sur ce propos de la Royne d'Escosse, il m'a dict que ung des secrétaires de la dicte Royne d'Escosse, venant de Flandres, lui avoit dict que le duc d'Alve lui avoit envoyé dix mil escuz, ce qui se conforme à ce que m'en avez mandé, et luy faisoit promesse, si elle vouloit entendre au mariage du bastard, de la secourir de vingt mil hommes qu'il envoyeroit en Escosse, dont y en auroit cinq mil espaignolz. En quoy l'on veoit bien que le dict duc d'Alve veult essayer de rompre les choses, qu'il a peut estre entendu estre si avancées, avec le dict duc de Norfolc; combien que l'on puisse bien s'asseurer que, quant il seroit pris au mot du secours qu'il offre ainsy, qu'il n'y satisferoit pas.

Partant je vous prie de regarder, de vostre costé, d'achever de conduire à bonne fin ce qui est bien commancé pour le regard du dict duc de Norfolc, et qu'il n'y soit point donné de traverse. Mon dict cousin le cardinal de Lorraine a le dict mariage grandement agréable et ne desire rien plus, ainsy qu'il m'a faict entendre, que de le veoir effectué; vous priant, encores ung coup, de mettre, s'il est possible, à exécucion l'intention du Roy, Monsieur mon filz, tant en cest endroict que en tout le reste qu'il vous mande par la seconde lettre[25] faisant cognoistre vostre prudence et dextérité en ceste négociation. Sur ce, etc.

Escript à Marmoutier le XXIe jour de septembre 1569.

CATERINE. BRULART.

XXV

LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

du XXXe jour de septembre 1569.—

Satisfaction du roi des réponses d'Élisabeth aux communications qui lui ont été faites.—Refus de consentir à la restriction du commerce avec les Pays-Bas.—Recommandation en faveur de Marie Stuart.—Nouvelles assurances qu'il ne se fait pas de levée en Allemagne.—Envoi d'un secours d'hommes et d'argent à Dumbarton.

Monsieur de La Mothe Fénélon, j'ay receu voz deux dépesches des XIVe et XIXe de ce moys[26]; par la première desquelles j'ay entendu les propos que vous a tenuz la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur, sur la nouvelle que je luy ay départye de mon mariage, de quoy elle fait démonstration de recepvoir quelque plaisir et contantement, dont je suis bien ayse, semblablement aussy de la promesse qu'elle vous a faicte que aucuns de ses subjectz ne secoureroient, en façon du monde, ceux de la Rochelle de pouldres, armes ny de monitions; à quoy vous aurez l'œil ouvert qu'il soit satisfaict et à toutes autres choses convenables à nostre commune amitié, sans en laisser passer une seule qui y contrevienne que vous n'en faictes instance.

Quant à la restriction du trafiq des Pays Bas, c'est chose à quoy, si elle vous en reparle, je desire que vous luy faictes entendre que je ne le puis honnestement consentir pour estre contre les traictez, me semblant que ma dicte bonne sœur n'en doibt faire aucune instance, estant les différants, d'entre elle et le duc d'Alve, sur le point d'estre accordez; et que, si elle se vouloit arrester là dessus, cela fairoit cognoistre qu'elle auroit plustost envye de nourrir les dictz différantz que de les accommoder.

Pour le regard de la Royne d'Écosse, je vois bien que ma dicte bonne sœur continue toutjours à tenir la conclusion de ses affaires en longueur, mais vous la solliciterez ordinairement d'y prendre quelque résolution, ainsy mesmes que je le vous ai escript par celle que Sabran vous a portée; vous voulant bien dire qu'il y a quatre jours que j'ay parlé à l'ambassadeur de ma dicte sœur et luy fiz entendre comme il estoit bien convenable, pour la proximité d'alliance dont elle nous atouchoit, de l'ayder en toutz ses affaires, ce que je desirois qu'il le fist entendre à sa Maistresse afin que toutz deux y meissions ensemble la bonne main, à ce coup, à bon escient, n'ayant pas estimé d'encor passer plus avant. Sur quoy le dict ambassadeur m'a respondu que telle estoit la volunté de sa dicte Maistresse, l'ayant bien faict cognoistre par ce qu'elle avoit faict pour la dicte Royne d'Escosse, en escripvant au comte de Mora, duquel elle ne s'est contantée de la responce qu'il luy avoit faicte là dessus, qui est tout ce que j'ai eu de responce du dict ambassadeur.

N'ayant autre chose à vous dire sur la dicte lestre du dict XIIIIe, qui me fera venir à celles du XIXe, par laquelle vous me mandez que ma dicte bonne sœur continue tousjours d'avoir l'esprit fort tendu à faire son proffict des malheurs de mon royaume, envoyant mesmes pour cest effect de grandz deniers en Allemaigne, où, sy elle veult remuer quelque chose qui soit à mon préjudice, j'estime que ce ne pourra estre pour ceste année, ayant une grande conformité d'adviz qu'il ne s'y fait aucunes levées; ne me restant, pour ceste heure, autre chose pour estendre la présente que je finiray en priant Dieu, etc.

Escript au Plessis lès Tours, ce dernier jour de septembre 1569.

CHARLES. BRULART.

Il a esté pourveu, pour le regard de Dombertrand, où l'on envoye jusques à dix mille livres de vivres, et deux cents hommes de pied, harquebusiers.

XXVI

LA ROYNE MÈRE A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

du XXXe jour de septembre 1569.—

Confiance dans la prudence de l'ambassadeur pour traiter les négociations secrètes dont la direction lui a été remise.—Bonnes dispositions de l'armée catholique à livrer bataille.

Monsieur de La Mothe Fénélon, nous avons bien particulièrement entendu, par vos deux dernières despesches, des XIIIIe et XIXe de ce moys, l'estat auquel sont les choses de par dellà, les propos que vous a tenuz la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur, sur la nouvelle que le Roy, Monsieur mon filz, luy a donnée des mariages de luy et de ma fille, et aussy sur le faict de la Royne d'Escosse, contre laquelle elle se monstre, de jour en jour, plus offencée, ainsy mesme que le tesmoingne la lestre que m'avez escripte de vostre main, desirant le Roy, Mon dict Sieur et fils, que vous regarderez à traicter dextrement ce qu'il vous a mandé par celle que Sabran vous a portée[27]; dont vous sçaurez bien juger si l'occasion ne s'en présente pas à propos.

Quant à l'estat de nos affaires, il est tel que nostre armée estant aujourdhuy renforcée d'ung bon nombre de chevaux françoys, que mon frère a attendu au séjour qu'il a fait à Chinon, il est après à suivre nos ennemys, qui sont au dedans de leur conqueste, pour les attirer au combat; dont, dedans peu de jours, il se sçaura certainement ce qui s'en devra espérer, estant la dicte armée aussy belle et en la plus grande dellibération de bien faire qu'il se peut dire; priant Dieu, etc.

Escript au Plessis lez Tours, le dernier jour de septembre 1569.

CATERINE. BRULART.

XXVII

LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

du IVe jour d'octobre 1569.—

Première nouvelle de la victoire remportée à Moncontour.—Blessure du duc de Guise.—Confiance que cette victoire arrêtera les projets des princes protestans.—Assurance que les Anglais recevront toute protection en France pour leur commerce.

Monsieur de La Mothe Fénélon, vous avez entendu par ma dernière en quel estat estoient les choses, entre mon armée et celle de mes ennemys, et l'espérance où j'estois que bientost mon frère, le Duc d'Anjou, les contraindroit de combattre; à quoy il a si bien travaillé que, quelque recullement qu'ils ayent faict, ils feurent hier par luy réduictz à telle perplexité qu'il leur a donné la bataille, laquelle il a gaignée avec une grande effuzion de sang de mes dictz ennemys. Je ne vous puis encore mander les particulliaritez pour ne m'avoir esté apportée ceste nouvelle que par ung courrier, que Villeroy m'a despesché, qui a laissé mon dict frère qui suivoit la victoire, et par un gentilhomme de mon cousin, le duc de Guyse, qui s'est trouvé à la dicte bataille, et ne demeura pas comme les autres à suivre la dicte victoire, à cause qu'il fallust qu'il aydast à ramener à Chinon mon dict cousin le duc de Guyse, qui a esté blessé d'une harquebusade dessus le pied, qui n'est pas grande chose. Vous fairés part de ceste bonne nouvelle à la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur, laquelle en recepvra plaisir et contantement pour l'amour et affection qu'elle porte au bien de mes affaires.

J'ay receu vostre despesche, du XXIIIe du passé[28], par laquelle j'ay veu ce que me mandez de quelle part a esté receue, de par delà, la nouvelle de la levée du siège de Poitiers, le retour de Quillegrey d'Allemaigne, ce que l'on dit qu'il a rapporté, dont le temps fera rabattre quelque chose; espérant bien que Dieu, monstrant son juste jugement sur mes rebelles par l'heureuse victoire qu'il m'a donnée, faira aussy penser toutz les autres princes à ne rien faire, par cy après, qui soit pour les favoriser.

Au demeurant, je trouve fort bon que vous baillez toutes les lettres de recommandation, dont vous serez requis, aux angloix qui voudront venir trafficquer en ce royaume, qui y seront tousjours bien receuz et recueilliz; estant tout ce que j'ay à vous dire et l'endroict auquel je prye Dieu, etc.

Escript au Plessis lez Tours, le IIIIe jour d'octobre 1569.

CHARLES. BRULART.

XXVIII

LE ROY A Mr DE LA MAILLERAYE.

du IVe jour d'octobre 1569.—

Détails sur la bataille de Moncontour.—Ordre de faire des réjouissances publiques en Normandie pour célébrer la victoire.

Monsieur de La Mailleraye, ayant pleu à Dieu tant prospérer mes affaires qu'il m'ait donné victoire de mes rebelles en la bataille qui leur fust hier donnée par mon frère, le Duc d'Anjou, je vous en ay incontinant voulu advertir et vous dire, quant et quant, que mes dicts rebelles ont bien perdu en la dicte bataille de dix à douze mil hommes qui sont demeurez morts dessus la place, sans que, du costé de mon armée, il se soit faict perte que de bien peu d'hommes, et de sy petit nombre qu'il est quasy incroyable, n'estant mort des gens signalez que le marquis de Bade, et les deux Ringraves bien peu blessés; mon cousin le duc de Guyse a esté aussy blessé à ung pied d'ung coup d'arquebuse, mais c'est peu de chose. Du costé des dictz rebelles, a esté tué le comte de Mansfelt, chef de leurs reystres; l'admiral est blessé d'un coup d'arquebouze au travers du corps, ainsy que La Noue, qui est prisonnier, l'a asseuré, et qu'il l'avoit laissé sy mal de sa blesseure qu'il ne pensoit point qu'il deust vivre encores une demye heure. Qui est ce que j'ay peu encores aprendre des particularités de la dicte bataille, que je vous ay voullu incontinant faire sçavoir, afin que vous communiquiez ceste bonne nouvelle en mon pays de Normandye, en faictes rendre grâces à Dieu et faictes faire les feux de joye, tirer l'artillerye et toutes autres récréables démonstracions qu'il est bien requis pour ung si heureux succès; priant Dieu, etc.

Escript au Plessis lès Tours, le IIIIe jour d'octobre 1569.

J'oubliois à vous dire que les dictz rebelles ont perdu douze pièces d'artillerye qui ont esté prinses sur la place.

XXIX

LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

du VIIe jour d'octobre 1569.—

Envoi de la relation de la bataille de Moncontour.

Monsieur de La Mothe Fénélon, je vous envoyé le discours contenant la façon que les choses sont passées, tant peu auparavant, que lorsque la bataille a esté donnée contre mes rebelles, en laquelle il a pleu à Dieu me donner une belle et heureuse victoire, affin qu'en faisant part à la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur, vous lui discouriez, quant et quant, la façon que les choses y sont passées, ne luy ayant point despesché de gentilhomme exprès, pour lui porter ceste nouvelle, parce que ung chacun est empesché en ceste guerre; tant l'on desire en veoir bientost une bonne diffinition, espérant bien que ceste victoire me donnera moyen de l'abréger, Dieu aydant, auquel, etc.

Au Plessis lès Tours le VIIe jour d'octobre 1569.

CHARLES. BRULART.

La relation annoncée dans cette lettre ne s'est pas retrouvée dans les papiers de l'ambassadeur. Elle a été publiée sous ce titre: Discours de la bataille donnée le 3 octobre 1569, proche de Moncontour. Paris, Dallier, 1569, Orléans, Gibier, 1569, in 8o, et Poitiers, 1621, in-12. La pièce suivante a précédé cette relation officielle, qui est contre-signée Neufville.

XXX

DISCOURS DE LA BATAILLE DE MONCONTOUR.

(Archives du royaume, fonds de Symancas, carton K. 1395. B.—liasse 33, pièce 146.)

du VIe jour d'octobre 1569.—

Relation sommaire de la bataille livrée le 3 octobre 1569.

Le vendredy, dernier de septembre, troys cornètes des reistres de l'admiral furent deffaictes en une escarmouche qui s'ataqua, et disoyt on que Mansefale y feust tué.

Le mardy, quatriesme du moys d'octobre, sur les cinq heures de matin, arriva, au Plessis lès Tours, Mr de Chely, gentilhomme de la maison de Mr de Guise, lequel porta nouvelle au Roy, estant Sa Majesté encores au lict, que, le lundy, troisiesme du dict moys, à une heure après midy, Monseigneur d'Anjou, frère du Roy, partant de Chinon pour aller loger son armée à Mirabeau, trouva, entre Moncontour et St Jehan de Saune, l'armée de l'ennemy, délibérée comme luy d'aller prendre le dict logis de Mirabeau.

Quoy voyant, le dict Seigneur d'Anjou ayant trouvé son ennemy en lieu commode pour le combatre, ce qu'il n'avoyt peu, de longtemps, à cause des rivières, et estans les uns et les aultres logés en pareilh advantaige dans les pleines de Giroux, entre le dict Montcontour et St Jehan, ny voullant le dict Seigneur d'Anjou perdre sy belle commodité, et mêmes voyant leur cavallerye esbranlée à la fuitte, chargea à toute oultrance, après avoir tiré plusieurs coups de canon dans la batalhe de l'ennemy, qui ne feut sans l'endomaiger beaucoup, voullant poursuivre l'heur de sa fortune, donna dedans les escadrons de l'infanterye de sy grand roydeur qu'il mit en pièces quinze mil ou plus, et print prisonnier l'Admiral[29].

De ce que dessus le dict Sr de Chaly en asseura le Roy, suyvant l'asseurance duquel Sa Majesté, sautant du lict, rendict grâces à Dieu de la victoyre qu'il luy avoyt pleu luy donner; et soubdain, après en avoir faict advertir la Majesté de la Royne, Madame sa sœur, et tous Messieurs les Princes, Sa Majesté s'en alla, accompaigné de tous les susdicts au couvent des bons hommes lez Plécys, où ilz feirent rendre grâces à Dieu et chanter le Te Deum par les dicts relligieux du dict couvent. Après, Sa Majesté ouyst la messe, sur la fin de laquelle arrivèrent les chantres de sa chapelle, ausquelz il feist chanter encores le Te Deum en musique. Et soubdainement estans sourtys de l'esglise, Mr le cardinal de Guise monta à cheval pour aller veoir Mr de Guise, son nepveu, que l'on avoit faict porter à Chinon pour le pencer d'une pistollade qu'il avoyt eue sur la joincture du pied, ainsi que en faisoyt foy une chause de soye incarnade, que le dict Chally apporta à Mr le cardinal, son oncle.

Despuis le dict Chally arrivé, n'y eust aulcunes nouvelles de particullier de la dicte batalhe jusqu'à l'heure de vespres, estans Leurs Majestez au dict couvent des bons hommes. Et les vespres achevées, arriva Mr le comte de Retz, lequel confirma la victoyre avoir esté encores plus grande que n'avoyt dict le dict Chally; car il asseura Leurs Majestez y estre demeurez quinze mil hommes d'infanterye, de la part de l'ennemy, et unze pièces d'artillerye, tant cannons, collouvrines que pièces de campaigne, oultre plus troys mil charriotz des reistres, la pluspart désatellés; et bien encores huict ou neuf cens chevaulx, tant reistres que françois.

Plus, a asseuré le dict Sr conte de Retz à Leurs Majestez que Harn Mansefale, qui avoyt esté érigé à la charge du duc de Deux Pontz, pour collonel des reistres, avoyt esté tué, et aussi le marquis de Bade, qui avoyt ung régiment de troys mil reistres pour le Roy avoyt esté tué; et Monsieur, frère du roy, porté par terre, mais soubdainement rellevé par Mr l'admiral de Villars; Mr le marquis de Mayne porté par terre et soubdainement rellevé des siens sans aulcung mal; le jeune ringrave blessé d'une arquebuzade; et plus n'a dict le dict sieur conte estre demeuré des chiefz, cappitaines et seigneurs signallés, mais qu'il avoyt laissé Mon dict Seigneur d'Anjou à deux grandz lieues par dellà où le grand choc avoyt esté donné, poursuyvant le reste de l'ennemy qui s'estoit escartté en desroutte.

Plus a dict le dict sieur conte avoir entendu de La Noue, qui a esté encores reprins prisonnier, qu'il avoyt veu porter l'Admiral à quatre hommes, blessé à mort, d'une arquebuzade à travers le corps, qui a esté cause de radoubler la joye de Leurs dictes Majestez et à tous les princes et seigneurs de la cour; lesquelz, lendemain mercredy, cinquiesme, feyrent une fort belle procession généralle despuis St Germain jusqu'à St Martin de Tours, pendant laquelle le gentilhomme qui a donné l'advis de ce dessus se partist du dict Tours, le cinquiesme de ce dict moys.

XXXI

LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

du premier jour de novembre 1569.—

Mise en arrêt du duc de Norfolk.—Protection assurée à Marie Stuart.—Secret qui doit être gardé sur les communications du roi à cet égard.—Nouvelles de la guerre.—Prise de Lusignan et de Saintes.—Siège de Saint-Jean-d'Angely.—Efforts que l'ambassadeur doit faire pour jeter la dissension parmi les seigneurs d'Angleterre.—Plaintes au sujet d'un paquet volé à l'ambassadeur.

Monsieur de La Mothe Fénélon, j'ay esté grandement satisfaict d'avoir entendu si particulièrement par vos lettres des IIIe, VIIe, VIIIe et XIIIe du passé[30] et par le double de celles de la Royne d'Escosse[31], ma belle sœur, l'estat de ses affaires, et celles du lieu où vous estes. Et ne me sçauriés faire plus grand plaisir que de mettre peine d'entendre bien au long ce qui surviendra cy après, pour m'en donner advis, d'autant que c'est chose qui importe grandement pour mon service au temps où nous sommes, mesmement à ce qui touche les affères [du duc de Norfolc et autres qui ont esté arrestés; de l'yssue et succès duquel arrest je seray bien ayse d'entendre ce que vous en espérés et le jugement que vous en faictes.

J'ay aussy entendu par vos dictes lettres comme, jusqu'au jour de la dacte d'icelles, les propos, que vous avez mis en avant touchant le mariage de la Royne d'Escosse avec le duc de Norfolc, avoient esté tenus comme venant de vous seulement, et non de moy, ce que j'ay trouvé bon; et que par cy après vous favorisiés cest affaire, et tout ce qui touchera la dicte Royne, en tout ce qui vous sera possible, pour le desir que j'ay de la voyr hors de la peine où elle est, et qu'elle soit remise en son royaume avec l'authorité et commandement sur ses subjects qu'il luy appartient; mais il faut que ce soit si dextrement et secrettement qu'on ne puisse descouvrir ny entendre que cela vienne de moy, ce que je m'asseure que vous sçaurés si sagement conduire, selon mon intention et volonté, qu'il n'en sera rien cogneu; vous asseurant que je ne manquerai, à la première commodité, et audience que je donnerai à l'ambassadeur d'Angleterre, de luy faire bien entendre le desplaisir que j'ay du mauvais traictement que reçoit la dicte Dame, par delà, de la dicte Royne d'Angleterre et de ses ministres; et pareillement de la vollerie de mon pacquet, duquel je vous prie faire toute l'instance que vous pourrés afin de vous le faire rendre.]

Au reste, vous entendrés par le sieur de La Croix, que je vous renvoye, comme les ville et chasteau de Lusignan ont esté remis et réduicts à mon obéissance par composition, où il a esté trouvé grand nombre de piques et autres armes, avec vingt quatre pièces de grosse artillerie, entre lesquelles y a sept ou huit canons et plusieurs coullouvrines; et y en a, entre autres, une pièce de celles qui ont esté envoyées d'Angleterre aux rebelles. La ville de Xainctes est aussi réduicte en mon obéissance. Et espère, dans peu de jours, loger avec mon armée dedans St Jean d'Angely que je tiens assiégé.

Et pour ce que vous entendrés plus au long les particularités par le dict La Croix, me remettant sur ce qu'il vous en dira, je ferai fin à la présente, etc.

Escript au camp devant St Jean d'Angely, le premier jour de novembre 1569.

[Faictes tout ce que vous pourrés sur ceste occasion qui se présente, du duc de Norfolc et autres qui sont prisonniers, pour les mettre en discention et en trouble entre eux, afin de brouiller leurs affaires le plus qu'il sera possible, pour, par ce moyen, les empescher de plus secourir.]

Depuis la présente escripte, j'ay vue vos lettres[32] du XVIIIe, et m'avez faict grand plaisir de me mander si particulièrement tout ce qui est passé par delà depuis vos précédantes. Et pour ce que l'ambassadeur d'Angleterre n'est icy près de moy, je luy ay escript ce que vous verrés par le double de la lettre[33] que je vous envoye, me plaignant tant de ce que vostre paquet a esté vollé que du mauvais traittement que la Royne, sa Mestresse, et ses ministres font à la Royne d'Escosse, ma belle sœur, afin qu'il en escrivît par delà et fît entendre le malcontentement que j'en ay, dont je vous ay bien voullu advertir.

Ce 1er jour de novembre 1569.

CHARLES. FIZES.

XXXII

LA ROYNE MÈRE A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

du premier jour de novembre 1569.—

Instruction sur la conduite à tenir à l'égard de Marie Stuart.—Nouvelle recommandation de favoriser son mariage avec le duc de Norfolk, et de traiter cette négociation avec le plus grand secret.

Monsieur de La Mothe Fénélon, le Roy, Monsieur mon fils, et moy sommes grandement satisfaictz du bon debvoir et de la dilligence dont vous uzés à nous rendre compte, sy au long et par le menu, de l'estat des affaires de la Royne d'Escosse, ma belle filhe, et de celles du lieu où vous êtes. Sur quoy le dict Seigneur vous faict sy ample response, et sy au long entendre sa volonté, et de ce qu'il desire que vous faictes, tant pour la liberté que le bon trètement de ma dicte belle filhe, qu'il n'est jà besoing que je vous en dise aucune chose; mais je vous prie vous employer en sorte pour la dicte Dame qu'elle cognoisse par effect le fruict de vostre aide, et le desir que nous avons de la favoriser en ce qu'il nous sera possible.

[Et quant au mariage d'elle et du duc de Norfolc, nous avons trouvé bon ce que vous en avez faict jusques icy, et que cy après vous favorisiez à cest affaire, en tout ce que vous pourrez; mais il faut que ce soit avec dextérité et sy secrètement que la Royne d'Angleterre et ses ministres n'en puissent rien cognoistre.]

Le Sr de La Croix vous fera entendre la réduction des ville et chasteau de Luzignan et de Xaintes en l'obéissance du Roy, Mon dict Sieur et fils, et l'espérance que nous avons d'y recepvoir bientost Saint Jean d'Angely, qui me gardera vous en faire autre discours, ny la présente plus longue, etc.

Escript au camp devant Saint Jean d'Angely, ce premier jour de novembre 1569.

CATERINE. FIZES.

XXXIII

LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

du XIXe jour de novembre 1569.—

Dispositions prises pour secourir Dumbarton.—Négociation du mariage de Marie Stuart avec le duc de Norfolk.—Désir du roi de conclure la paix.—Approbation des articles proposés pour régler le commerce avec l'Angleterre.

Monsieur de La Mothe Fénélon, j'ay receu les lettres que m'avez escriptes, du XIIIe du passé[34], par le Sr Thomas Flemy; et, suivant le conteneu en icelles, et ce qu'il m'a faict entendre de la nécessité en laquelle estoit réduit le chasteau de Dombertrand, j'ay donné tel ordre et pourveu de façon à le faire secourir de ce que l'on m'a dict y estre nécessaire, que j'espère qu'il ne sera point pris et demeurera en l'obéyssance de la Royne d'Escosse, ma belle sœur; et despuys, par la voye de la poste, celles du XXIIIIe et par le Sr de Vassal, que vous avez dépesché devers moy, celles du XXVIIIe du dict moys[35], et entendu de luy bien particulièrement ce que luy aviez donné charge me dire de vostre part, et principallement sur les propos qui ont esté tenuz entre la Royne d'Angleterre et vous, à l'audiance du vingt ungniesme, sur le faict de la Royne d'Escoce et du duc de Norfolc, ayant trouvé très bon et fort à propos les responces et répliques que vous luy avez faictes, et mesmement sur la résolution que desiriez tirer d'elle, du secours et assistance qu'elle disoit entendre faire à la dicte Royne, ma belle sœur, pour la remètre en son estat.

Et surtout j'ay esté grandement satisfaict d'avoir entendu sy particulièrement, par vostre mémoire en chiffre[36], tant de l'estat de toutes les affaires de dellà que de celles de la Royne d'Escosse, et ce qui s'est passé pour le faict du mariage d'elle avec le duc de Norfolc, que pour le regard des discours qui ont esté tenuz entre l'évêque de Roz et le secrétaire Cecille touchant le mariage du dict duc avec la sœur de sa femme. Sur quoy il faudra, suivant ce que je vous ay mandé par ma dernière despesche, que vous favorisiez ce mariage et y teniez la main en tout ce que vous pourrez, selon ce que le dict évesque de Roz et vous adviserez ensemble; et de vostre part favoriser tousjours le party des Catholiques, et aussy, s'il est possible, de mettre dissention et discordes ez seigneurs de dellà, les uns contre les autres, affin de rompre et dyvertir les desseins de ceux qui, soubz main, vont aydant et favorisant mes subjectz rebelles, et par ce moyen leur oster l'occasion de les secourir en façon que ce soit, d'autant que cela estant bien conduict et manié, comme je m'asseure que vous sçaurez très bien faire, ne peut apporter que une grande commodité à mes affaires; et que le tout soit conduict sy dextrement et secrètement qu'il puisse réuscir selon mon intention et volonté, sans que l'on en cognoisse ny descouvre aucune chose.

Et quant aux propos que la dicte Royne d'Angleterre vous a tenuz: qu'elle desireroit que les troubles de mon royaume cessassent par ung bon accord, et qu'elle s'employeroit volontiers pour ayder à les pacifier, vous luy pourrez dire, de ma part, que je ne refuzeray point (comme je n'ay point faict jusques icy) de recevoir mes subjectz qui se vouldroient recognoistre et remectre en mon obéyssance, gardant mon autorité et ce qui m'appartient, comme estant Roy souverain et leur prince naturel: ayant trouvé bon ce que vous avez présenté à la dicte Dame pour le regard de la restriction du traffiq et commerce des Françoys de Flandres en Angleterre, et du dict pays en Flandres, ainsy que j'ay veu parla coppie du mémoire[37] que m'avez envoyé; ensemble de l'arrivée du Sr Chapin Vitel et du bon recueil qui luy a esté faict par icelle Dame. Sur quoy je vous prie de prendre bien et soigneusement garde, et m'avertir, le plus souvant que pourrez, de tout ce qui se passera par delà, ainsy que vous avez accoustumé de faire jusques icy, et comme j'ay donné charge au dict Vassal, présent porteur, que je vous renvoye, de vous dire de ma part avec d'autres particuliarités; qui me gardera, m'en remettant sur luy et sur la fiance que j'ay de l'affection que vous avez à mon service et au bien de mes affaires, que je ne vous fairay plus longue lettre, etc.

Escript au camp de Tonny Boutonne le XIXe jour de novembre 1569.

Monsieur de La Mothe Fénélon, ainsy que le Sr de Vassal estoit prest à partir, et la dépesche cloze et fermée, j'ai receu vostre paquet du premier jour de ce moys[38], dont je vous ay bien voullu advertir, et comme j'ay veu tout le contenu en voz lettres. Sur quoy vous estant amplement répondu par la présente, et qu'il n'y a chose par la vostre qu'il faille que je vous fasse autres responces, je ne vous en escripray autre chose sinon pour vous dire le contantement que je reçoys d'entendre si souvant des nouvelles de dellà, et ne me sçauriez faire plus grand plaisir que de m'en advertir à toutes les occasions qui se présenteront, vous priant aussy de tenir tousjours l'œil à tout ce que vous cognoistrez concerner mon service et le bien de mes affaires, ainsy que je vous escriptz cy dessus.

Ce XIXe jour de novembre 1569.

CHARLES. FIZES.

XXXIV

LA ROYNE MÈRE A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

du VIe jour de janvier 1570.—

État de la négociation de la paix en France.

Monsieur de La Mothe Fénélon, vous verrés par les lettres que le Roy, Monsieur mon fils, vous escript[39], en quel estat nous sommes, à présant, pour le faict de la pacification des troubles de ce royaume, et la responce qui a esté faicte sur ce que les députés de la Royne de Navarre, des Princes de Navarre, de Condé, et Admiral, ont proposé et demandé, qui me gardera, m'en remettant sur le contenu en icelles, de vous en mander aucune chose en particulier, en la présante, sinon de vous advertir de la réception de vostre lettre du XXIe du passé[40], et veu tout ce qui est par vostre despesche du dict jour, à laquelle il vous sera bientost fait responce.

Cependant je vous prie de continuer à nous advertir de toutes les occurances de delà, comme vous avés très bien faict jusques icy; priant, etc.

A Angers, le VIe jour de janvier 1570.

CATERINE. FIZES.

XXXV

LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

(Lettre ostensible.)

du XIVe jour de janvier 1570.—

Espérance qu'Élisabeth, instruite par la révolte du nord, refusera de secourir les protestans de France.—Satisfaction du roi de ce que cette rébellion est apaisée.—Négociation de la paix en France.—Dispositions prises pour continuer la guerre.

Monsieur de La Mothe Fénélon, j'ay receu trois despesches de vous, assez près l'une de l'autre, des XVIIe, XXIe et XXVIIe du passé[41], par toutes lesquelles, ensemble les mémoires que a apportés Vassal, j'ay esté bien aise d'entendre, si particullièrement que me le discourés, comme toutes choses se passent, jour par jour, au delà; les changements qui s'y présentent ordinairement, et mesme d'avoir veu, par celle du XVIIe que, sentant maintenant la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur, par elle mesme, le mal qui provient d'une rébellion de subjects, elle vous ait tenu un si honneste langage qu'elle a fait, avec démonstration de ne voulloir favoriser, en sorte du monde, mes subjects rebelles. A quoy je m'asseure que vous incisterés tousjours le plus soigneusement que vous pourrés, ainsi que vous avés faict jusques ici très dignement par vos sages et prudentes remonstrances, mesmes en la dernière instance, que vous luy avés faicte, de ne souffrir qu'il ne soit baillé aucuns bleds, argent ou poudres à ceux de la Rochelle, qui ont esté, puis naguières, envoyés en Angleterre pour cest effaict; qui est bien le plus digne service que vous me sçauriés faire pour le grand besoin que j'entends qu'ils ont de toutes ces choses là.

Au demeurant, Monsieur de La Mothe Fénélon, touchant les mouvements du North, vous entendrés, à l'arrivée du Sr de Montlouet, qui sera bientost par delà, les offices que j'entends que vous faictes pour ce regard envers ma dicte bonne sœur et aultres; à quoy je me remétray.

Et vous prierai au surplus que, comme vous m'avés adverti avec grand soin et dilligence de toutes choses qui se sont, jusques icy, présentées de par delà, vous m'en donniez ordinairement advis, ayant esté bien aise d'entendre ce que vous me mandés, par vostre dernière lettre du XXVIIe, de la rupture de ceux qui s'étoient eslevés contre ma dicte bonne sœur. Dont je n'ay jamais espéré aultre chose, estant un juste jugement de Dieu, qui ne veut point que les subjects d'un prince s'eslèvent en armes contre luy pour quelque occasion que ce soit; et desire que vous alliés trouver ma dicte bonne sœur pour vous en conjouir avec elle, de ma part, de cest heureux succès; duquel vous l'asseurerés que je reçois tout plaisir et contentement, ainsi qu'il est convenable à nostre commune amitié; laquelle me faira tousjours desirer de voir son royaulme paisible et pacifique, espérant que ces petits mouvements, survenus en son royaulme, l'induiront de plus en plus à faire tous bons offices en mon endroict pour le regard des troubles qui sont en mon royaulme, et à ne se laisser vaincre des persuasions de ceux qui la peuvent solliciter de favoriser mes rebelles, contre la foy et promesses qu'elle a faictes, en suivant les traités de paix.

Je suis, tous les jours, attandant l'arrivée des depputés qui doibvent venir de la Rochelle pour la pacification des présents troubles; et de ce qui en réhussira, vous en serés tousjours adverti des premiers, m'estant advisé de faire quelque bon séjour en ceste ville pour prendre résollution, tant sur ce faict que plusieurs aultres affaires. Cependant mon cousin, le prince Dauphin, avec les forces que je luy ay baillés, aprochera toujours de mes ennemis qui sont vers Montauban, pour n'oublier rien de ce qui sera à faire, durant que les choses seront en estat d'hostilité. Sur ce, etc.

Escript à Angers, le XIVe jour de janvier 1570.

CHARLES. BRULART.

XXXVI

LA ROYNE MÈRE A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

(Lettre secrète.)

du XIVe jour de janvier 1570.—

Injonction faite à l'ambassadeur d'assister les révoltés du nord, et de leur promettre des secours d'argent, si la rébellion peut tenir encore.

Monsieur de La Mothe Fénélon, vos dernières despesches des XVIIe, XXIe et XXVIIe du passé, avec les mémoires que Vassal a aporté, sont si amples, et nous ont si clairement représenté l'estat des choses de par delà qu'il ne se peut rien desirer davantage; et le Roy, Monsieur mon fils, a une très grande satisfaction du bon debvoir dont vous usés en cest endroit, desirant, pour le mouvement du North, si les choses sont encore en quelque estat, que vous confortiez tousjours les chefs d'iceulx, le plus que vous pourrés, et leur donniés espérance de recevoir de luy toute l'ayde et faveur qu'il sera possible, selon que plus amplement vous entendrés par le Sr de Montlouet, et mesme le secours d'argent que l'on leur peut faire de par deçà; ayant semblé que, où les comtes seroient rompus et deffaictz, selon ce que m'en mandés par vostre dernière lettre du XXVIIe, et que ceste nouvelle vient d'être confirmée de deux aultres endroicts, il sera fort à propos que vous alliez voir ma bonne sœur, la Royne d'Angleterre, sur ceste occasion, et luy user du langage que vous escript le Roy, Mon dict Sieur et fils. Si les choses continuent aussy au mouvement qu'elles étoient par vos précédentes, vous ensuivrés ce que le Sr de Montlouet vous faira sçavoir de l'intention du Roy, mon dict Sieur et fils, ayant advisé de vous faire ceste despesche par la voye de la poste, en attendant que, sur plus grande occasion, l'on vous puisse despescher Vassal. Et sur ce, etc.

Escript à Angers le XIVe jour de janvier 1570.

CATERINE BRULART.

XXXVII

LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

du XXIe jour de janvier 1570.—

État de la négociation de la paix.—Continuation de la guerre par l'Amiral et Montgommery.—Entreprise sur Bourges.—Crainte que les protestans ne veuillent traîner la pacification en longueur.—Position de l'Amiral.—Entreprise sur la Rochelle.

Monsieur de La Mothe Fénélon, j'ay entendu, par vostre lettre du IVe de ce moys[42], l'honneste responce que la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur, vous a faicte sur les propos que vous luy aviés tenus du commencement et ouverture qu'il y avoit de quelque traicté de pacification, selon ce que je vous en ay cy devant escript; et suis bien aise qu'elle ait faict démonstration d'estre bien joyeuse d'une telle nouvelle, comme je luy suys, de mon costé, de l'appaisement des mouvements du North, en quoy elle a esté grandement heureuse; et desire que, ainsi, par la conclusion de son propos, quand au faict des troubles, elle donne à cognoistre qu'il ne peut y avoir aucune légitime cause qui puisse raisonnablement mouvoir les subjects de s'eslever en armes contre leur prince, elle en ait tousjours bonne souvenance, pour (quand elle sera sollicitée de prester secours à mes rebelles) se garder en cella de faire chose où sa propre conscience soit offensée.

Or, pour revenir à ceste ouverture de pacification, je vous diray que, despuys que La Personne parla premièrement, il y a heu plusieurs allées et venues de leur costé; pandant lesquelles l'Admiral et Montgomeri n'ont laissé (comme gens, qu'il semble n'avoir pas grand desir de voir ce royaulme en repos) de faire la guerre, aultant ou plus cruelle qu'ils ayent poinct faict auparavant, et d'exercer pleusieurs grandes inhumanités, en quelques petites villes qu'ils ont surprises ez quartiers où ilz sont; et, d'un aultre costé, ceux de la Charité ont aussy faict une entreprise sur ma ville de Bourges, qui a esté si preste à exécuter que quelques uns de ceux qui étoient de la dicte entreprise ont esté prins, estant jà entrés dans la dicte ville par l'intelligence qu'ils y avoient, les aultres tués dedans les fossés, jusques au nombre de cent ou six vingtz hommes.

Pour tous ces mauvais déportements, je ne me suis point volleu démouvoir de mon premier propos, qui est de ramener mes dicts subjects à la bonne voye, comme faict le bon père de famille qui ne veut pas traicter ses enfants selon que mérite leur désobéissance, mais les conserver, de sorte que m'ayant, la Royne de Navarre, tantôt requis de luy envoyer un gentilhomme pour conduire par deçà les députés de la Rochelle, tantost de luy envoyer saufconduit et passeport pour despescher gens vers les Princes de Navarre et de Condé, je l'ay satisfaicte en toutes ces choses à son contentement; ayant néantmoins esté usé jusques ici, de leur part, d'une telle longueur à envoyer les dicts députés que je n'ay point encore certaines nouvelles quand est ce qu'ils pourront arriver. Et si, il y a bien près d'un moys que le Sr Du Croq est par dellà pour les conduire, faisans assez cognoistre, toutes ces longueurs, que les principaux d'entre eux n'ont pas grande vollonté d'ayder à une si bonne œuvre que de mettre mon royaulme en repos, et qu'ilz n'ont mis en avant ces premiers propos, dont La Personne fust le porteur, que pour m'amuser, s'ils peuvent, et cependant voir s'ils seront pour obtenir quelque secours de la Germanie; où je sçay qu'ils en font faire toutes les instances du monde envers les princes protestants, s'étant mesmement veu, par lettres interceptées, que le dict Admiral a escrites aux négociateurs qu'il a par delà, qu'il leur mande que, pour le bruict de paix qu'ils puissent entendre se traicter, ils ne cessent de solliciter le dict secours le plus qu'ils pourront. Par où l'on peut juger sa bonne et droicte intention.

Néantmoings je vous puis asseurer que ses forces sont en si piteux estat, et a si peu de moyen de se résoudre de la grande perte qu'il a faicte en la dernière bataille, qu'encore que, despuis la prise de St Jehan d'Angely, j'ay donné congé à toutes les compaignies de gendarmerie, et faict mettre toutes les bandes de gens de pied en garnison pour estre plus fresches et disposées à me faire, cy après, service, lorsque l'affaire le requerra, il n'ose comparoir en campagne, et s'esloigner du lieu où il s'est mis entre les deux rivières de Dordoigne et de Garonne.

Voylà, Monsieur de La Mothe Fénélon, en peu de parolles, ce qui s'est passé despuys ceste ouverture de pacification et de la lentitude avec laquelle il y a esté, jusques icy, procédé par ceux de la Rochelle; ne voullant oublier à vous dire que, voyant, aulcuns cappitaines qui avoient dressé, il y avoit plus de trois mois, une entreprise sur la dicte ville de la Rochelle, que l'on m'avoit voulleu ainsi surprendre ma ville de Bourges, se délibérèrent, il y a quelques trois sepmaines, de se mettre en debvoir d'exécuter la dicte entreprise, laquelle toutesfoys n'a pas réheussi; vous ayant bien voullu représenter toutes ces choses affin que, sçachant à la vérité comme elles sont passées, vous vous puissiez opposer aux faux bruits que mes rebelles pourroient faire courir par dellà pour rendre odieuses mes actions et déportemens, ainsi que c'est leur artifice accoustumé. Et sur ce, etc.

Escript à Angers, ce XXIe jour de janvier 1570.

CHARLES. BRULART.

XXXVIII

LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.

du VIe jour de febvrier 1570.—

Négociation de la paix.—Articles proposés.—Levées faites en Allemagne pour Élisabeth.—Assurance donnée par l'ambassadeur d'Angleterre qu'elles sont dirigées contre les rebelles du Nord.—Injonction faite à l'ambassadeur d'interpeller la reine pour savoir si elles ne doivent pas servir contre la France.—Teneur des articles proposés.

Monsieur de La Mothe Fénélon, par les despêches que je vous ay cy devant faictes, vous aurés esté adverti bien amplement de ce qui a esté faict et négocié, jusques ici, pour parvenir jusques à quelque bonne pacification des troubles estantz en mon royaulme. Et à présent que les députés de la Royne de Navarre, des Princes de Navarre et de Condé, et de l'Admiral sont venus, de leur part, devers moy, qui m'ont proposé et baillé par escript certains articles de ce que ceux de leur parti desirent que je leur accorde, après avoir bien et meurement considéré sur iceulx ce que je puys raisonnablement faire en leur faveur, pour donner un bon et heureux repos à tous mes subjects; et voullant user envers eux, encore qu'ils m'ayent griefvement offencé, plustôt de mansuétude, de bonté et de clémence que d'extrême sévérité et justice, je me suis résollu de leur accorder le contenu des articles que je vous envoyé présantement, affin que vous fassiés entendre, de ma part, à la Royne d'Angleterre, combien j'ay estimé le bon conseil et advis qu'elle m'a donné, tant par ses lettres que par ce que vous m'avés, par pleusieurs fois, escript de sa part, de tâcher de parvenir à la réconcilliation de mes dicts subjects par une bonne pacification.

Et voullant les conserver et ne souffrir point qu'en se perdant ils attirent avec eux une grande ruine en toute la Chrestienté, ainsi qu'il ne pourroit advenir aultrement s'il n'y estoit donné quelque prompt remède, et n'obmettre rien du bon debvoir d'un bon prince pour ramener gratieusement ses subjects dévoyés au bon chemin qu'ils doibvent tenir, en luy rendant l'obéissance à laquelle ils sont naturellement obligés; espérant que, s'ils sont encore possédés de quelque bon zelle et ont en leurs cœurs quelque peu de reste de la bonté et fidélité naturelle que, de tout temps, les peuples françois ont heu à leurs rois, ils accepteront fort volontiers les susdictes conditions. Et par là la dicte Royne d'Angleterre pourra juger et cognoistre de quel zelle j'y procède, selon ma bonté et clémence accoutumée; et que, où mes dictz subjects, eslevés en armes, se monstreroient si desraisonnables qu'ils ne voullussent accepter ce que je leur fais offrir présentement, ains continuer en leurs malheureuses entreprises; qui donneroient clairement à cognoistre qu'ils seroient poussés d'une pure ambition pour usurper, s'ilz pouvoient, l'auctorité qui m'est deue, que je m'asseure, de la bonne et sincère amitié qui est entre nous, qu'elle ne leur baillera aulcune aide, secours ny faveur, sçachant bien comme il importe à un roy et prince souverain de réprimer et chastier ses subjects, quand ils prennent les armes contre luy, et mesme s'ils se monstrent si obstinés qu'après avoir grandement failli, comme ils ont, et usant envers eux de la grâce et bonté que je fais, ils ne se voulloient recognoistre et rendre le debvoir et l'obéissance qu'ils me doibvent.

Je viens tout présentement d'avoir advis certain, d'Allemaigne, que la Royne d'Angleterre a faict faire une levée de huict mille reystres soubz la charge du duc Holstain et du comte de Hemdem; et, d'aultant que le Sr de Norrys, son ambassadeur, m'est venu trouver, despuys deux jours, lequel m'a dict avoir charge expresse par lettres de la Royne d'Angleterre, sa Maistresse, de me faire entendre en quel état estoient, à présent, les troubles et affaires de son royaulme, et comme ceux, qui s'estoient eslevés contre elle, s'estoient presque tous retirés vers l'Escosse, et qu'elle espéroit en avoir bientost une bonne issue; et, pour ceste occasion, elle avoit résollu de faire une levée de gens de guerre de ses subjects, tant de cheval que de pied, la plus grande qu'elle pourroit, pour establir ses affaires et estre obéie, et par ce moyen empescher que l'on ne puisse point faire, par cy après, aulcune aultre eslévation contre son auctorité; et qu'elle me prioit de ne me mettre en peyne et soubçon de ceste grande levée et assemblée de gens de guerre qu'elle faisoit, d'aultant que ce n'estoit que pour servir en son royaulme, et pour se faire obéir à ses dicts subjects, et non pour ayder et favoriser aulcunement ceux qui portent les armes contre moy, m'offrant tout ce que je debvois espérer de son amitié; je vous ay bien voulleu advertir de tout cella affin que vous luy en parliés de ma part, d'aultant que son ambassadeur ne m'a rien dict, ni à la Royne, Madame et Mère, de la dicte levée, et qu'elle vous die ouvertement, sans rien dissimuler, si c'est pour ayder et favoriser ceux qui portent les armes contre moy, comme on me mande qu'elle est faicte à ceste intention, ou si ce n'est seulement que pour s'en servir contre ses dicts subjects. Et faictes en sorte que vous en puissiés sçavoir la vérité et m'en advertir incontinent, et vous prendrés garde au visage et à la contenance de la dicte Dame, comme elle recevra ce que vous luy dirés, me remettant à vous d'y adjouxter ou diminuer, selon que vous cognoistrés qu'il en sera de besoin pour mon servisse.

J'ai reçu vos lettres du XXIe du passé, avec l'instruction que vous pensiés bailler à La Croix[43], et ay bien veu et considéré tout ce que vous m'avés mandé, à quoy je vous fairay responce par la première dépesche, estant trez aise d'entendre si particullièrement toutes les nouvelles de ce qui se passe par dellà, et que vous continuiés à m'en tenir adverty, à toutes les occasions qui s'offriront,et le plus souvent que vous pourrés; priant, etc.

Escript à Angers, le VIe jour de febvrier 1570.

CHARLES. FIZES.

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