Supplément à la Correspondance Diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Septième: Ambassadeur de France en Angleterre de 1568 à 1575
LXXVII
LA ROYNE MÈRE A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
(Lettre escrite de la main de la Royne.)
du IIe jour de mars 1571.—
Conférence de Catherine de Médicis avec lord Buckhurst sur la négociation du mariage.—État de cette négociation avec Cavalcanti et Téligni.
Monsieur de La Mothe Fénélon, j'ay veu vostre petite lettre, et si vous avez receu la dernière que je vous ay escripte, vous verrés que les choses sont changées, et que mon fils desire infiniment espouser la Royne d'Angleterre, et ne craint sinon qu'elle ne le veuille non plus qu'à l'accoustumée, et qu'elle fasse mine de se voulloir marier pour servir à ses affaires. Mais, quoiqu'il en soit, il fault essayer par tous moyens de la conduire à le faire, et pour luy donner occasion de dire librement sa vollonté, j'ay parlé au milord Boucaust, le jour devant qu'il partît, encore qu'il eust longtemps auparavant prins congé de nous en cérémonie; et, de peur qu'il feust sceu, il fist semblant d'aller voir les Tuilleries et moy d'y estre allée me promener sans dessein, où je feignis de l'entrevoir, et luy dis que j'eusse eu regrect qu'il s'en feust allé sans que plus au long je luy eusse explicqué l'amitié que le Roy, mon fils, et moy avons pour la Royne, sa Maistresse, veu qu'elle nous avoit faict entendre par luy celle qu'elle nous vouloit, et comment nous desirions, par touts moyens, de luy correspondre, et l'assurer que, de nostre part, nous travaillerons tousjours à la fortiffier davantage, quand l'occasion s'en présenteroit.
Il me dict qu'il pensoit que je voulleusse luy dire cella pour le mariage d'elle et de mon fils.
Je luy dis que, si nous estions asseurés qu'elle le voullût et ne se moquast comme des aultres, que le Roy, mon fils, et moy le désirerions et le voudrions avecque son honneur, mais qu'elle gardât, de son côté, le nostre affin qu'il ne nous en tournât une moquerie.
Lors il commença à me dire qu'elle luy avoit commandé de nous dire, si nous entrions en ce propos, qu'elle estoit résollue de se marier, et hors de son royaume, et à un prince de mesme aisle; et que, n'estant l'honneur d'une fille de rechercher les hommes, qu'elle n'en pouvoit dire davantage; mais, quand elle en seroit requise, comme son honneur le veut, qu'elle respondroit et n'en sortiroit nulle moquerie. Et, après, me dict qu'il me voulloit parler, de luy mesme, qu'elle estoit contraincte de se marier, et asseuroit qu'elle le voulloit, que tous les grands le luy conseilloient, que mon fils n'estoit ni comme le roy de Suède, ni le frère du roy de Dannemarc, ny l'archiduc Charles, qui sont tous princes esloignés d'Angleterre et pauvres, eux et les leurs. Mais mon fils estoit voysin et appuyé d'un grand Roy; et que ce mariage, s'il se faisoit, seroit bien utille pour les deux parties; et qu'il me prioit que je luy disse ce que je voudrois sur cella mander à sa Maistresse.
Je luy dis que je n'avois à dire aultre chose, de la part du Roy, mon fils, et moy, que ce que je luy avois dict: que ne se mocquant, et se voullant marier véritablement, que le Roy, mon fils, et moy entrerions en ce propos, luy gardant son honneur, et qu'elle aussy nous gardast le nostre; qu'estant Royne si grande, il ne la fault pas recercher comme une aultre princesse, sans sçavoir sa vollonté, veu mesmement que les aultres, qui l'ont faict, s'en sont mal trouvés: mais que la sçachant, nous luy garderons ce qui est deu à une fille, grande royne comme elle est.
Il me demanda s'il en diroit aultant de la part de mon fils, je luy dis que non, que c'estoit de la part du Roy et de moy, et qu'il pouvoit bien l'asseurer, de la part de mon fils, qu'il la serviroit tousjours en ce qu'elle luy voudroit commander.
Voilà tout ce qui s'est passé entre nous.
Et, le jour auparavant, Cavalcanty m'avoit baillé le portraict de la dicte Dame pour le bailler à mon fils, que le milord luy avoit baillé. Despuys, le secrettaire du cardinal de Chastillon a eu sa responce, qui est que nous le remercions et le prions de voulloir tirer l'entière résollution de ceste Royne, si elle se veut marier ou non, et, après, nous venir trouver pour en conférer ensemble et prendre une résollution comme nous y debvons procéder, et l'avons faict affin qu'il s'en vienne icy.
Et Téligni, qui nous a aussy pressé de luy faire responce, et avoir quelque chose plus particulière pour luy mander affin qu'il le puisse dire à icelle Royne, si elle luy demande:—«Quand je leur auray asseuré de le voulloir quelle seureté auriés qu'ilz le veullent.»—Je luy ay dict et le Roy aussy, qu'il luy mande de l'asseurer que, si nous sommes asseurés de sa vollonté, que lors elle cognoistra que nous serions bien marris de nous moquer d'une telle princesse; et y fairons ce que debvons pour luy conserver son honneur et réputation: car, cella se faisant, nous le desirons conserver comme le nostre propre.
Il m'a dict:—«Mais Monsieur y est si contraire.»—Je luy ay respondu que non, mais qu'il y en avoit tant qui ne desiroient ce mariage que, s'il faisoit aultrement, ils essayeroient par tous moyens de l'empescher; et, en pensant qu'il ne le veut, ils se moquent de ce que l'on en dict.
Je vous ay voulleu advertir de tout affin que, parlant à ceste Royne, vous suiviés le mesme propos, et que, nous advertissant par lettre expresse, qui ne soit baillée qu'à moy, de tout comme les choses iront après qu'elle aura entendu tout cessy, et nous mandiés ce qu'il vous semble que nous y devions faire, et comment il nous fault conduire.
Cavalcanti a grand envie que toute la négotiation luy tombe entre les mains tout seul. Je luy en ay donné espérance, car je n'ay voulleu malcontenter personne, de peur que, se voyant méprisé, il eust moyen de nous y nuire. Vous parlerés à luy, et luy dires le contentement que nous avons de luy, et que, si cecy va en avant et sans longueur, nous ne serons pas mescognoissans.
Ce porteur vous dira comment j'ay parlé au secrettaire, et les propos qu'il m'a tenu; et, m'en remettant sur luy, je fairay fin à la présente; priant Dieu, etc.
De Paris ce IIe jour de mars 1571.
Vostre bonne amye. CATERINE.
LXXVIII
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du VIIe jour de mars 1571.—
Négociation concernant Marie Stuart.—Présens reçus par le roi.—Gratifications données à ceux qui les ont apportés.—Remerciemens pour Élisabeth.—Assurance que le roi ne prêtera la main a aucune entreprise contre l'Angleterre.—Recommandation en faveur de la reine d'Écosse pour que la liberté lui soit rendue.
Monsieur de La Mothe Fénélon, despuys ma dernière dépesche, j'ay receu les vostres des XVIIe et XXIIIe jours du moys passé[87]: l'une, faisant principalement mention du faict du Prince d'Escoce; l'aultre, contenant les discours qui se sont tenus entre la Royne d'Angleterre, Madame ma bonne sœur, et vous sur ce que je vous escrivis par Sabran, et encores despuis en ma subséquente dépesche.
Par la première de vos dictes lettres, j'ay veu le bon chemin que vous aviés tenu pour disposer accortement les dépputés de la Royne d'Escosse, ma bonne sœur, à ne consentir que le dict Prince, son fils, feust amené en Angleterre. J'ay veu aussy ce que vous avés descouvert du pouvoir qu'ils ont là dessus, et comme vous jugés qu'ils seront pour faire peu d'empeschement et de résistence en cella. Dont, à ce que m'escrivés, vous estes en peyne, et desirés sçavoir quel aultre remède s'y pourra trouver. A quoy je ne vous puis dire aultre chose, sinon que vous employés tout ce que vous pourrés de prudence et dextérité pour les divertir de consentir à ce poinct là, ainsi que je vous ay bien amplement faict entendre par mes précédentes dépesches; lesquelles vous suivrés, tant pour ce regard que pour ce que vous verrés toucher à mon service, au traicté qui se faira entre les depputtés des dictes deux Roynes et ceux de l'autre parti.
Et, par vostre aultre lettre, j'ay veu et ay esté bien ayse d'entendre ce que vous m'escrivés de la déclaration que la dicte Royne d'Angleterre vous a faicte de vouloir persévérer en nostre amitié; de la satisfaction, qu'elle a, de l'honneste congé que j'ay donné au sieur de Norrys, et du bon recueil que j'ay faict au sieur de Walsingam, et pareillement de l'honneur qu'elle a entendu qui a esté faict au milord Boucaust, auquel j'ay faict présent d'une chaisne de mille escus; à l'escuyer de la Royne d'Angleterre, qui m'a présenté les six hacquenées que sa Maistresse m'a envoyés, d'une aultre chaisne de quattre cens éscus; à celluy du comte de Lestre, qui m'a amenés les deux hacquenées qu'il m'a envoyées, d'une aultre cheisne de deux cens; à un gentilhomme des leurs, qui m'a présenté les dogues, je luy ay pareillement donné une chaisne de deux cens escus, m'asseurant qu'ils sont si bien édiffiés de moy et de mes subjects qu'ils en raportent tout contentement. Il sera bon que vous sçachiés, si vous pouvés, ce qu'ils en diront à la Royne, leur Maistresse, à leur arrivée par dellà, et aussy de ma dicte entrée.
Cependant, encores que, par lettres séparées que j'escris par le dict milord Boucaust, je remercie la dicte Royne de ce qu'elle m'a envoyé une si honnorable ambassade pour se conjouir de mon heureux mariage, si, ne laisserés vous de la remercier encore de ma part bien à propos, et aussy du présent qu'elle m'a faict des dictes six hacquenées, que j'ay trouvées belles, bien fresches et bien enharnachées; et l'asseurerés que je me revancheray, quand il se présentera occasion que je sçauray qu'elle desirera quelque chose des commodités de deçà.
J'ay, au demeurant, esté bien aise de voir, par vostre dicte dernière dépesche, que la dicte Royne d'Angleterre ait prins à grande satisfaction ce que vous luy avés dict pour le faict d'Irlande, et asseuré que je n'avois sceu ni entendu qu'il s'y fist aulcune entreprise par mes subjects, chose véritable, et que, toutes et quantes fois qu'il viendra à propos d'en parler, vous luy pourrés confirmer, trouvant que vous avés fort sagement respondu à la dicte Royne sur ce qu'elle vous a dict avoir entendu que mon cousin le cardinal de Lorraine, le Nonce de Nostre Sainct Père et l'archevesque de Glasco ont proposé à mon frère le duc d'Anjou; et suis bien aise que vous l'ayés laissée en ceste bonne opinion de moy, de la Royne, Madame ma mère, et de mon dict frère le Duc d'Anjou, de laquelle elle ne se trouvera jamais trompée; satisfaisant de sa part à ce qu'elle m'a promis pour la liberté de ma dicte sœur, la Royne d'Ecosse. Dont je vous prie la solliciter incessament; et, pour y parvenir, faire qu'il soit procédé au dict traicté le plus diligemment qu'il sera possible, pour lequel vous vous conduirés en sorte que ce soit sans jalousie d'aulcuns des partis, comme je suis seur que vous sçavés bien faire, sellon vostre prudence accoustumée. Et, n'y ayant, au reste de vos dictes dépesches, chose pour laquelle vous ayés besoin de responce, je finirai la présente; priant Dieu, etc.
Escrit au fauxbourg St Honoré, le VIIe de mars 1571.
CHARLES. PINART.
LXXIX
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du Xe jour de mars 1571.—
Affaires d'Écosse.—Négociation du traité concernant Marie Stuart.—Détermination prise par le roi de ne point envoyer de secours en Écosse, afin d'éviter tout prétexte de rompre la négociation.
Monsieur de La Mothe Fénélon, despuis la dépesche de Vassal j'ay advisé qu'il demeureroit ici jusques après mon entrée, que je fis en ma ville de Paris le VIe de ce moys; affin que, oultre le discours que j'ay commandé au secrettaire Pinart de dresser pour vous l'envoyer, comme je fais, il vous en peust parler particulièrement; et, sur son départ, j'ay receu vostre dépesche du premier jour de ce moys[88], ayant par icelle veu ce que me mandés du voyage faict par Me Prestal, l'un des fugitifs d'Angleterre, en Escosse, et l'occasion d'icelluy, qui est conforme à ce que le sieur de Fourquevaux m'escript d'Espaigne. Sur quoy je vous diray qu'il fault que vous fassiés tousjours ce que vous pourrés pour estre adverti de ce qui se voudra exécutter en cella, et m'en donner advis, vous comportant aux choses qui sont entre le Roy Catholique, le duc d'Alve et la dicte Royne d'Angleterre, et ses subjects, comme je vous ay ci devant escript en chiffre.
J'ay veu aussy ce que m'avez escript du comte de Morthon, et de la forme qui se commence à prendre au traicté de la Royne d'Escosse, Madame ma bonne sœur, pour laquelle je ne manqueray, suivant ce que me mandés, de parler au sieur de Walsingam, de la même affection que je sçay que, pour le bien des affaires de ma dicte sœur, la Royne d'Escosse, il est à présent requis, affin que l'on puisse tousjours cognoistre que je l'ay assistée aultant qu'il a esté possible et qui se pouvoit; mais je suis bien d'advis que vous fassiés, de vostre part, ce que vous pourrés pour voir bientost quelque bonne résollution au dict traicté, et que ce soit, le plus que l'on pourra, à la satisfaction d'icelle ma dicte sœur, la Royne d'Escosse, avant trouvé très bon la responce que vous avés faicte au comte de Sussex et ce que vous aviés faict faire par Cobron envers le dict comte de Morthon, estant très aise qu'ils soyent en opinion de ne consentir que le Prince d'Escosse soit mené en Angleterre; car aussy, pour les raisons que vous avés veues par la responce des articles que je vous envoyay appostilliés, et par mes précédentes dépesches, il n'y auroit point de raison qu'il se fît.
Et quand à ce que vous escript le sieur de Vérac: qu'il est bien estonné de ce que le Sr Thomas Flamy a esté envoyé de France en Escosse sans lettres de moy, il ne se fault pas mettre en peyne pour cella, car ce qui me garda d'escrire comme il désire par sa dicte lettre, fust pour ce que l'abstinence et suspension d'armes estoit lors desjà accordée; ce que vous luy pourrés faire entendre, si en avés le moyen bien seur, et l'asseurés, et aussy les aultres seigneurs et gentilshommes et aultres qui sont du parti de ma dicte sœur, la Royne d'Escosse, que, si par la fin du traicté il ne se faict quelque chose de bon au contentement d'icelle ma dicte sœur, que je m'esforceray, aultant qu'il me sera possible, pour l'assister et luy donner, et à ses bons subjects, tout le secours qu'il me sera possible; mais j'ai espérance, sellon ce que vous mesmes m'escrivés, qu'il se faira bientost en cella quelque chose de bon. Cependant, affin qu'il ne se puisse dire que, de ma part, j'aye enfreint ce qui a esté accordé de la dicte suspension d'armes pendant le dict traicté, et que ma dicte sœur, la Royne d'Angleterre, ne puisse aussy prendre nulle occasion qu'elle ne tienne et satisfasse ce qu'elle m'a si expressément promis pour la dellivrance de ma dicte sœur, la Royne d'Escosse, je suis délibéré de ne rien entreprendre du secours dont le dict Vérac et le dict de Granges vous ont escript cy devant, et encores par ce que j'ay veu du deschiffrement de la lettre du dict Vérac.
Et pour ce que, par le dict Vassal, présant porteur, vous entendrés toutes aultres choses des nouvelles de deçà, je n'estendray ceste cy davantage. Et sur ce, etc.
Escript à Paris le Xe jour de mars 1571.
CHARLES. PINART.
LXXX
LA ROYNE MÈRE A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
(Lettre escripte de la main de la Royne.)
du IIIe jour d'apvril 1571.—
Négociation du mariage.—Satisfaction de la reine au sujet de la réponse faite par Élisabeth.—Résolution d'envoyer Cavalcanti en Angleterre pour commencer le traité.
Monsieur de La Mothe Fénélon, sur le propos que je tins dernièrement à milord Boucaust, du mariage de la Royne d'Angleterre et de mon fils le Duc d'Anjou, elle nous a fait faire responce, par son ambassadeur icy résidant, d'en avoir receu contentement, et qu'elle trouvoit en mon dict fils toutes choses convenables pour l'effectuer, et que, si elle pensoit qu'il y heust aulcune juste occasion qui y peût porter empeschement, qu'elle ne voudroit que l'on en traictât, de peur de diminuer en quelque chose la bonne intelligence et amitié qui est entre nous et elle; et partant, si mon dict fils voulloit mettre entre les mains de son ambassadeur, ici résident, les conditions qu'il desire pour y parvenir, qu'elle luy en fairait responce; mais qu'elle trouveroit beaucoup meilleur que le Roy envoyât quelque personne de qualité devers elle pour négotier cest affaire.
Sur quoy nous a semblé plus expédient de dépescher le Sr Cavalcanti, comme personne de qualité, devers elle, neutre et confident de la dicte Dame, et ayant bon accès et intelligence avec des principaux de delà, avec les lettres et mémoires dont vous trouverés les coppies cy encloses[89], l'ayant chargé expressément de nous rapporter les dictes lettres, et proposer, de bouche, le contenu ez dictz mémoires, que ne luy avons voullu bailler tout à propos signés, affin que, si ce négoce ne prenoit l'issue que nous desirons, il n'en demeure rien par escript devers la dicte Dame. Comme il ne faira rien que par vostre conseil, je vous prie de luy donner les adresses et les moyens que vous jugerés nécessaires.
Il nous a aussy promis de nous apporter lettres d'elle, et responce aux dicts mémoires, ensemble les demandes qu'elle voudroit faire de son costé pour effectuer ce négoce, affin que celluy que nous y envoyerons du conseil du Roy, après le retour du dict Cavalcanti, pour, avecque vous, traicter de cest affaire, puisse estre mieux instruict de nos intentions et plus esclerci de celles de la dicte Dame. Sur quoy il sera bon que vous l'alliés trouver pour luy dire que le Roy, mon fils d'Anjou et moy, avons eu fort agréable la dicte responce que son ambassadeur nous a faicte; et desirons, en ce négoce, deux choses: l'une, qu'il passe fort secrettement, tant pour la dignité des deux costés que pour obvier aux empeschementz que plusieurs, tant de dedans que dehors nos royaulmes, y voudraient donner; l'aultre, d'en avoir prompte résollution et expédition pour ne demeurer longuement en suspens, et pour évitter les inconvénients que la longueur y pourroit apporter. Je vous recommande cest affaire. Et sur ce, etc.
A Paris, ce IIIe jour d'apvril 1571.
CATERINE.
LXXXI
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du XIe jour d'apvril 1571.—
Audience accordée à Walsingham.—Etat de la négociation concernant Marie Stuart.—Autorisation accordée au comte de Morton de retourner en Écosse.—Instance du roi pour que Marie Stuart soit immédiatement remise en liberté.—Secours d'argent et de munitions envoyé par le roi à Edimbourg.—Secret qui doit être gardé sur cette circonstance.—Prudence dont Mr de Vérac doit user afin d'éviter la guerre.—Détails des mesures prises par le roi pour réprimer la sédition de Rouen.
Monsieur de La Mothe Fénélon, parce que, par la dernière despesche que je vous ay faicte, je vous ay respondu aux deux dernières que j'ay receu de vous du XXVIIIe du passé et Ier de ce moys[90], celle cy est seullement pour vous dire que, en l'audience que j'ay donné, ce jour mesme, au Sr de Walsingam, il m'a faict entendre que la Royne, sa Maistresse, luy avoit escript ce qui s'étoit passé jusques à ceste heure entre les depputés de la Royne d'Escosse, ma belle sœur, et le comte de Morthon, avec les aultres depputés qui sont avecque luy, de la part du gouverneur d'Escosse; et qu'il estoit venu pour me le faire entendre, et m'a discouru comme, à cest abouchement, il avoit été maintenu, par le dict comte de Morthon et les dicts députés qui sont de son parti, que la dicte Royne d'Escosse ne pouvoit plus avoir l'administration de son royaume, pour ce qu'elle en avoit esté déchargée avec son consentement; et que le Prince d'Escosse, son fils, a esté couronné Roy, et beaucoup d'aultres particularités qu'il m'a aussi dittes. Sur quoy les depputés de ma dicte sœur avoient maintenu le contraire, de sorte que de cella et des dictes particularités dont ils estoient en débat, mesmement pour la restitution et dellivrance de ma dicte sœur, la Royne d'Escosse, il ne s'estoit peu rien résouldre; ayant sur ceste occasion le dict comte de Morthon demandé congé de retourner en Escosse, ce que la dicte Royne luy auroit accordé, pour assembler le parlement, où il se proposeroit tout ce qui est passé au dict abouchement, et qu'il en raporteroit une résollution; m'ayant davantage dict, le dict Sr de Walsingam, que la Royne, sa Maistresse, estoit bien marrie que cella n'alloit mieux pour la Royne d'Escosse, tant pour l'amour qu'elle luy porte que particullièrement pour le respect et amitié qu'elle a pour moy, mais qu'elle fairoit tout ce qu'elle pourroit, au retour du dict de Morthon.
Sur quoy je n'ay pas failli de lui dire qu'il seroit bien plus à propos, si elle la voulloit, comme elle pouvoit bien, faire mettre en liberté et restituer dès ceste heure, et qu'elle luy en auroit obligation plus grande, si elle le faisoit ainsi, sans attandre que toutes ces choses se fissent et le retour du dict comte de Morthon, qui ne pouvoit estre de longtemps; et que, si elle le faisoit sans attandre tout cella, que j'en recevrois bien grand plaisir.
Il est encores rentré en discours sur cella, me parlant des instances que je vous ay si souvent donné charge d'en faire, et d'en parler si fréquemment à la dicte Royne, sa Maistresse, comme s'il eust désiré que l'on n'en eust pas faict tant de poursuitte; mais pourtant je vous prie, quand vous verrés qu'il sera à propos, d'en faire tousjours honnestement instance, et d'assister les ministres de ma dicte sœur, la Royne d'Escosse, le mieux que vous pourrés.
Au demeurant, Monsieur de La Mothe Fénélon, affin que ma dicte sœur, la Royne d'Escosse, cognoisse tousjours par effaict combien je désire de l'assister, j'ay, suivant ce que m'avés escript, faict secrettement bailler au sieur Kergoons, frère du sieur de Granges, gouverneur de Lislebourg, dix mille livres en escu sol, et escus pistoles, avec dix milliers de poudre grosse grenée, deux milliers de fine poudre, menue grenée, et vingt arquebuses à croq de bronze avec leurs morèles, et quelques boulets; dont j'ay donné advis à Vérac par ses gens qui estoient icy, que j'ay renvoyés. Et l'ay bien adverti qu'il ne fault pas que la dicte Royne d'Angleterre, ni pas un des siens et de ceux qui sont à sa dévotion, en entendent rien; mais que si, d'avanture, l'on sçavoit que le dict frère d'icelluy de Granges eust amené quelque chose en ce royaulme, il fault dire que cella est des gens de ma dicte sœur, la Royne d'Escosse, et qu'ils l'ont recouvert des deniers de son douaire, et que ç'a esté sans que j'en aye, ni mes ministres, sceu chose aulcune. Il sera bon, s'il s'en parloit en Angleterre, que vous teniés ce mesme langage, affin que cella s'accorde à ce que pourra dire le dict Vérac.
J'ay aussy envoyé de l'argent à icelluy Vérac pour son entrettènement, et luy ay escript qu'il advisât de tenir tousjours, de ma part, les plus honnestes propos qu'il pourra aux seigneurs d'Escosse, qui sont à présent à Lislebourg tous assemblés, à ce qu'il m'a mandé, pour voir ce qu'ils auront à faire pour son servisse, sellon l'affection qu'ils ont, comme ils disent, à ma dicte sœur, la Royne d'Escosse, leur souverainne; si cest abouchement et assemblée en Angleterre pour sa restitution ne réheussit à sa satisfaction et desdicts seigneurs; mais il sera bon que vous teniés la bride au dict de Vérac, à ce qu'il ne permette pas que les susdicts seigneurs, assemblés au dict lieu de Lislebourg, entreprennent rien par delà qui y augmente la guerre: car, au lieu de bien faire aux affaires de ma dicte sœur, la Royne d'Escosse, cella les empireroit.
Vous voullant bien cependant dire que, incontinent que j'ay sceu l'esmotion advenue à Rouen[91], désirant d'en faire punition exemplaire, comme j'espère et m'asseure qu'elle se faira, j'ay envoyé mon cousin le duc de Montmorency, avec un des quattre présidents de ma cour de parlement de ceste ville, et sèze des plus notables conseillers, tant de ma dicte cour que maistres des requestes, gens de bien et bien affectionnés au bien et repos de mon royaulme, que je m'asseure qui y sçauront très bien pourvoir, et que de ce qui se faira par eulx au dict Rouen demeurera tel exemple en mon royaulme que je m'asseure que la paix demeurera bien establie; car aussi en ay je, comme aussy la Royne, Madame et Mère, et mes frères, avec tous les gens de bien, parfaicte vollonté, ce que je vous prie asseurer tousjours à ma dicte bonne sœur la Royne d'Angleterre et à tous ceux qui vous en parleront; priant Dieu, etc.
Escript à Paris ce XIe jour d'apvril 1571.
CHARLES. PINART.
LXXXII
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du XXIIIe jour d'apvril 1571.—
Réflexions sur la tenue du parlement en Angleterre et sur les propositions qui y sont faites touchant la religion.—Négociation concernant Marie Stuart.—Crainte que la prise de Dumbarton, si elle se vérifie, n'entraîne la rupture de cette négociation.—Précautions qu'il est nécessaire de prendre dans le cas où Mr de Vérac serait prisonnier.
Monsieur de La Mothe Fénélon, par voz lettres des VIe et XIe jours de ce moys[92], que j'ay reçues despuys le départ de Sabran, j'ay veu ce qui a esté proposé aux deux premières assemblées, qui se sont faites par les Estats d'Angleterre. Sur quoy je vous diray qu'il semble que le faict de la religion les pourroit bien troubler au repos qu'ils ont eu despuis quelques années par delà, s'ilz n'y donnent bon ordre, car les lois si estroictes et sévères qui se font aux dicts Estats pour le dict faict de la religion, avec le mauvais ménage en quoy ceste Royne et les ministres du Roy Catholicque, et les aultres voysins d'Angleterre sont, ou commencent à estre, amèneront par delà quelques nouveaultés. En quoy je ne vous réittèreray poinct ce que je vous ay cy devant escript en chifre; car je sçay que vous vous y sçaurés très bien conduire à ceste occasion et considérer tout ce que vous debvés pour en user dextrement; car, encore que, grâces à Dieu, la paix soit si bien establie en mon royaulme que je m'asseure qu'il n'est pas possible à tous ceux qui y voudroient brouiller de la pouvoir rompre, faisant faire punition si bonne et si prompte de ce qui est advenu à Rouen, que je m'asseure que l'exemple y sera grand, toutesfois je pense que, quand l'orage, qui est passé ici, retomberoit ailleurs, ce seroit encores plus de moyen pour moy d'establir et asseurer davantage le repos en mon dict royaulme.
J'ay aussy veu tout ce que m'avés escript pour le faict du traité commencé pour la restitution de ma belle sœur, la Royne d'Escosse, et le départ du comte de Morthon pour aller en Escosse contre le consentement de ma dicte belle sœur. En quoy je cognois davantage que la dicte Royne d'Angleterre ne demande qu'à tirer ce faict à la longue, et cependant se servir du temps pour establir et faire ses affaires; mais, puisque je croy que l'évesque de Ross est maintenant allé en Ecosse, où il sollicitera le retour du dict comte de Morthon, et que la Royne d'Angleterre a promis de rechef qu'en cas que le dict comte ne revînt, incontinent après le commencement du moys de may prochain, qu'elle abandonnera icelluy comte et les siens, et faira procéder au traicté; persévèrant tousjours en sa dellibération de faire restituer ma dicte sœur, la Royne d'Ecosse, comme elle m'a promis; je croy que le meilleur sera d'attendre ce temps là, où nous serons incontinent, et cependant, suivant ce que je vous ay escript par Sabran, en faire toujours honnestement et à propos instance à la dicte Royne d'Angleterre; et remarquant bien ce que la dicte Royne vous en dira quand vous luy en parlerés, pour, à chascune fois, m'en advertir: car, s'il estoit vray que ceux du Prince d'Ecosse eussent surprins Dombertrand, et prins prisonnier milord Flamy, Mr de Saint André, et Vérac; je croy qu'il ne fauldroit plus rien espérer du traicté, et que tout cella seroit rompu.
Je vous ay escript par le dict Sabran ce que j'ay fait fort secrettement au retour du frère du lair de Granges, qui sera bientost en Ecosse; mais, si le dict Vérac est prisonnier, il sera bon que vous donniés ordre de faire advertir secrettement le sieur de Ross de ce qui a esté baillé, et ce que a emporté et faict amener le frère du dict de Granges, afin que cella soit bien employé pour le servisse de ma dicte sœur, la Royne d'Ecosse; et faudra que le dict de Ross, s'il s'en descouvroit quelque chose en Ecosse ou en Angleterre, dise que cella est venu et a esté envoyé par les serviteurs de ma sœur, la Royne d'Ecosse, du revenu de son douaire.
J'en avois escript en chiffre, comme je vous ay mandé, au dict Vérac, mais son homme, qui luy portoit la lettre, a esté vollé auprès de Rouen et son pacquet perdu, à ce que j'ay entendu. Voylà pourquoy j'ay faict refaire la dicte dépesche que je vous envoye pour luy faire tenir par le plus seur moyen que vous pourrés. Et si le dict Vérac estoit prisonnier, renvoyés moy le dict pacquet. Cependant je vous diray que j'ay dict au Sr de Seton, qui s'en retourne trouver la Royne d'Ecosse, ma dicte sœur, et par lequel nous vous avons escript, que nous fairions toujours tout ce que nous pourrions pour ma dicte sœur et qu'il l'en asseurât hardiment, en quoy, s'il parle à vous, vous le fortifierés. Et sur ce, etc.
Ecript à Paris, ce XXIIIe jour d'apvril 1571.
CHARLES. PINART.
LXXXIII
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du VIIe jour de may 1571.—
Approbation de la nouvelle suspension d'armes conclue en Ecosse.—Déclaration du roi qu'il est résolu à donner toute assistance aux partisans de Marie Stuart au cas où Elisabeth fournirait des secours à ses ennemis.—Recommandation d'insister vivement pour la mise en liberté de Marie Stuart.—Promesse faite par le roi à l'archevêque de Glascow qu'il n'abandonnera pas la reine d'Ecosse.—Retour de Mr de Vérac en France.
Monsieur de La Mothe Fénélon, despuys la dépesche que je vous ay faicte, le XXIIIe jour du moys passé, par la voye ordinaire des postes, j'ay receu voz lettres des XVIe, XXIIIe et XXVIIIe jours du dict moys passé[93]. Sur quoy je vous diray, sans m'arrester aux choses sur lesquelles vous n'avez pas besoin de responce, lesquelles vous m'avés faict bien grand plaisir de me mander, que vous avés très bien fait d'avoir confirmé et continué l'abstinence d'armes en Ecosse jusques à ce que l'on reprène les erres du dict traicté, au retour du comte de Morthon; estimant que, pour ceste occasion, si la dicte abstinence est bien résolue et accordée, la dicte Royne d'Angleterre se gardera d'entreprendre aulcune chose de ce costé là, ny aussy de permettre qu'il y soit couvertement rien entreprins par aulcun des siens: ce qu'il luy fault souvent réitérer, comme je m'asseure que vous sçavés très bien faire et à propos, affin que, continuant entre elle et moy toute bonne amitié et correspondance, il ne se puisse faire chose par les siens, ni aussy par les miens, qui nous engendrât inimitié.
Mais cependant il fault que vous ne laissiés de faire tousjours honnestement tous les bons offices en mon nom que vous avés accoutumé, et que je vous ay souvant escript faire pour ma dicte sœur, la Royne d'Escosse; déclarant franchement à ma dicte sœur, la Royne d'Angleterre, que, si elle donne assistance à ceux des subjects de ma dicte sœur, la Royne d'Escosse, qui sont contre elle, que je fairay de mesmes, comme la raison le veut et les si expresses alliances qui sont de longue main, et encores modernement renouvellées, entre ces deux couronnes. Et luy dictes hardiment que le meilleur seroit qu'elle ni moy ne nous en meslassions aulcunement, et qu'on laissât faire à ma dicte sœur, la Royne d'Escosse, et aux Escossois; aultrement, que, si elle s'en mesle apertement ou couvertement, qu'aussi seray je, à ceste occasion, contrainct de faire à bon escient, comme vous luy pourrés tousjours honnestement remonstrer; mais que je ne commenceray pas, pour l'espérance que j'ay qu'elle me tiendra la promesse, qu'elle vous a cy devant faicte, qu'en quelque sorte que ce soit elle fairoit mettre ma dicte sœur, la Royne d'Escosse, en liberté, soit que ce traicté réheussît ou non.
Et pour ce, vous la prierés de ma part que, si elle cognoissoit que le retour du dict comte de Morthon ne feust si proschain que l'on pourroit desirer, et que le requièrent les affaires de ma dicte sœur, la Royne d'Escosse, qu'elle se souvienne de la dicte promesse qu'elle m'a faicte, parlant à vous; ce qu'en quelque sorte que ce soit il luy fault tousjours réittérer, comme le sçavés très bien faire.
Cependant je vous diray que l'archevesque de Glasco, ambassadeur, me vint hier trouver, et me fit entendre plusieurs aultres choses touchant les affaires de la Royne, sa Maistresse. Je luy ay promis que je luy fairay et à ses bons subjects, comme j'en ay tousjours fort bonne vollonté, la meilleure assistance qu'il me sera possible, et ainsi que j'ay cy devant faict; dont je m'asseure qu'il l'advertira, oultre ce, que je luy ay escript de ma main par le sieur de Seton, faisant responce aux lettres qu'elle m'escrivit par luy.
Au demeurant, je vous diray que Vérac, ayant été mis en liberté par le comte de Lenox, il s'en est revenu, m'ayant raconté bien au long l'estat des affaires d'Ecosse: ce qu'il vous escript, de mesmes qu'il m'en a discoureu; vous priant de me donner advis de toutes occurences à mesure qu'elles surviendront, comme vous avés fort bien faict jusques icy, et dont il me demeure toute satisfaction. Sur ce, etc.
Escript à Annet le VIIe jour de may 1571.
CHARLES. PINART.
LXXXIV
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du XXIVe jour de may 1571.—
Débats du parlement d'Angleterre.—Surveillance à exercer sur les menées des Anglais en Écosse.—Instances faites par le roi auprès de Walsingham pour la mise en liberté de Marie Stuart.—Détails des secours envoyés de France en Écosse.—Défiance contre les seigneurs écossais nouvellement rattachés au parti de la reine.—Craintes inspirées par l'entreprise des Espagnols contre l'Irlande, et le projet de mariage de Marie Stuart avec don Juan.—Recommandation pour le frère du comte de Rothe.—Désir du roi qu'il soit permis à l'archevêque de Glascow d'aller visiter la reine d'Écosse.—Affermissement de la paix en France.—Répression des troubles d'Orange et de Rouen.
Monsieur de La Mothe Fénélon, par la dernière despesche que je vous ay faict despuys l'arrivée de Sabran, par la voye de la poste, je vous ay satisfaict à tout le contenu de voz despesches précédentes; et à peu près à celle du IIe de ce moys, que m'escrivistes par Sabran, présent porteur, et pareillement aux deux que j'ay encores depuys reçues de vous: l'une, il y a quattre jours, du VIIIe de ce dict moys, et l'aultre ce jourdhuy, du XIIIe ensuivant[94]; et vous diray seullement, quant aux honnestes propos que la Royne d'Angleterre, Madame ma bonne sœur, vous a tenus en voz dernières audiences, que je suis fort aise que luy ayés ainsi particullièrement et à propos respondu, et faict cognoistre que je desire, en tout ce qu'il me sera possible, tousjours conserver nostre bonne amitié et commune intelligence, ayant eu bien agréable d'apprendre aussy ce qui s'est passé journellement au parlement qui se tient par delà, en quoy je voy bien qu'il y a des divisions et partis, principallement pour le faict de la religion, et en ce qui s'y parle du tiltre du royaume et du faict de la police; mais, à la fin, comme il est très bien desduict par vostre dicte dernière dépesche, je ne doubte point que ce que desire et veut la dicte Royne ne s'y fasse.
Je seray bien aise que vous continuiés à me tenir tousjours adverti de ce qui se passera au dict parlement, et aussy des délibérations que pourrés descouvrir qu'a icelle Royne pour le faict d'Escosse; car, comme je vous ay escript par ma dernière lettre, il fault prendre garde surtout qu'elle n'envoye secrettement ou évidemment des forces en Escosse et qu'elle n'y fasse entreprinse que je n'en sois bien certainement et auparavant adverti, pour y pourvoir d'heure, comme j'adviseray. Et sera aussy très bon que me mandiez si la suspension d'armes entre les Escossois n'a pas esté arrestée quand le comte de Morthon est retourné en Escosse, et si elle continue ou non; car il semble qu'elle soit interrompue pour ce que, par ce que me mandés, et par d'aultres nouvelles que Vérac, qui est icy, a eues d'Escosse, et aussy par des lettres que Cobron a escriptes à la Royne, Madame et Mère, il se void qu'ils se sont battus près de Lislebourg. Et si cella continuoit, il ne faudroit plus espérer la continuation du traitté commencé en Angleterre, mais il faudroit que vous fissiés souvenir à la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur, de la promesse qu'elle m'a faicte, parlant à vous, qu'en quelque sorte que ce feust que se terminast le dict traicté, qu'elle la mettroit en liberté ez mains de ses bons subjectz, et luy en faire toute instance honnestement, sellon sa dicte promesse.
Et desjà Ma dicte Dame et Mère et moy en avons, ce jourdhuy, parlé au Sr de Walsingam, et l'avons prié d'en escrire à la Royne, sa Maistresse; mais, affin que vous suiviés en cella le désir et vollonté de ma dicte sœur, la Royne d'Escosse, je suis bien d'advis, et vous prie ne faillir de l'advertir de ce que je vous mande, luy faisant aussy entendre que j'ay donné ordre que les quattre mille escus de ce moys seront baillés, dans quatre ou cinq jours, au frère du comte de Rothes, ou à celluy que le Sr de Glasco, son ambassadeur, voudra, pour estre incontinent envoyés en Escosse ez mains de qui, et ainsy que le dict Sr de Glasco avisera, avec deux milliers de salpestre affiné, deux cents boulletz de grande coulevrine, deux cens de bastarde, et six cens de moyenne, cent corselets blancs garnis et complets, deux cents harquebuses à mains garnies de fourniments, deux cents morions, deux cens piques ferrées et cent hallebardes; et tout cella sera, dedans deux ou trois jours, dellivré et baillé en la charge de Jehan Schelsolme, escossois, contreroolleur de son artillerie, pour le faire incontinent mener par mer en Escosse, avec un bon et seur saufconduict, advertissant aussy ma dicte sœur, la Royne d'Escosse, que je désire bien qu'elle entende que, combien qu'elle et vous m'ayés mandé, de sa part, que l'on se pouvoit fier au frère du lair de Granges, et luy bailler tout ce que l'on voudroit, que néantmoins j'ay eu quelque crainte que ce que j'ay desjà envoyé par luy ne feust pas bien seur, ni aussy ce que je fais encore bailler, pour ce que j'ay peur que l'on s'ayde et serve de tout cella et de tout ce que j'y pourrois encores cy après envoyer contre elle mesmes; car, ayant esté cy devant le lair de Granges et Ledinthon et tous ces gens là mal affectionnés à son servisse, et s'estants remis et rangés despuys peu à sa dévotion, comme elle m'a mandé; je n'y voids pas trop de seureté.
Voylà pourquoy je désire qu'elle m'esclercisse en cella de sa vollonté et intention; et affin que ce que je fais pour elle, qui est le plus qu'il m'est possible, veu l'estat où sont réduits mes affaires, ne soit pas mal employé contre elle, car je y aurois trop de regret; vous voullant bien dire une chose, à laquelle il faut nécessairement que vous regardiés de près, car cella importe grandement pour mon servisse: c'est que j'estime, aux propos qu'ont tenus aulcuns escossois à Vérac, quand il est parti d'Escosse, et sellon quelques advis que j'en ay eu despuys, et à ce que j'ay aussy senti aujourdhuy, en parlant au dict ambassadeur Walsingam, que les deux partis des dicts Escossois, par la mennée du dict Ledinthon et du comte de Morthon, qui sont bons amis, et qui ont à present grand part au dict païs, se pourront accorder et unir ensemble, non seullement pour abandonner leur Maistresse, mais aussy pour empescher que les Anglois et aultres ne feussent maistres de l'Escosse; et peut estre aussy pour n'y admettre pas vollontiers les François et ce qui seroit à ma dévotion. Et combien qu'il leur seroit impossible de subsister, s'ils n'avoient support, et que je sois très asseuré qu'ils pensent bien que ils ne le sçauroient avoir, ni espérer plus franchement ni fidellement que de moy, suivant les anciennes alliances de ces deux royaulmes, si fault il que vous ayés l'œil ouvert à cella, et que vous soyés, s'il est possible, asseuré de leur résollution pour m'en advertir: et aussy si vous avés point apris quelque chose davantage que ce que m'avés dernièrement escript de l'entreprise que l'on tient pour certain de delà, que le Roy d'Espaigne faict sur l'Irlande avec l'intelligence et ayde du Pape.
J'ay veu pareillement ce que me mandés qu'avés entendu que la comtesse de Northomberland et milord Dacres ont dépesché un nommé Hervé en Espaigne pour moyenner le mariage de la Royne d'Escosse avec dom Joan d'Austria, et que le duc de Norfolc y pourra prendre jallousie. Ce sera bien faict que vous en enquériés encores bien diligemment pour m'en donner advis, et que vous continuiés à me tenir adverti de tout ce qui se passe de delà avecque le mesme soin que vous avés tousjours accoustumé jusques icy, et dont j'ay tel contantement que sçauriés desirer.
Au demeurant, Monsieur de La Mothe Fénélon, je ne veux oublier de vous dire, avant que finir ceste lettre, que le frère du comte de Rothes m'a faict dire que, pour l'affection qu'il a, de longue main, à mon servisse, et qu'il a tousjours eue à la Royne d'Escosse, sa souverainne, il desire que vous le cognoissiés et qu'il puisse parler quelquefois avec vous, pour ce qu'il a moyen de sçavoir beaucoup de délibérations de la Royne d'Angleterre, voire, ce qu'elle dict à ses plus secrects serviteurs, dont il vous advertira journellement. Et pour ce que c'est chose qui ne se doibt négliger, vous fairés fort bien pour mon servisse de l'ouïr parler et entendre ses moyens, sans toutesfois vous lascher à luy d'aulcune chose d'importance, car je ne le cognois sinon pour l'avoir veu ceste fois avec l'archevesque de Glasco qui m'a dict que ma dicte sœur, la Royne d'Escosse, le cognoissant affectionné à elle, l'a envoyé icy avec les lettres qu'elle nous a escriptes par luy, pour la secourir de ce qui est cy dessus déclaré.
J'ay prié le sieur de Walsingam d'escrire à sa dicte Maistresse pour faire obtenir passeport au Sr de Glasco de pouvoir aller faire un petit voyage devers la Royne d'Escosse, ma sœur, pour luy faire entendre l'estat de son douaire et affaires de deçà; ce qu'il a aussy promis de faire, remettant au dict Sabran, présent porteur, le surplus de tout ce que je vous pourrois escrire, principallement pour vous dire comme la paix est, grâces à Dieu, bien establie en mon royaume, espérant qu'elle y continuera tousjours bonne. Vous en pouvés assurer ma dicte sœur, la Royne d'Angleterre, quand elle vous en parlera; et que l'exemple a esté desjà et sera encores si bien faict des émotions qui ont été à Oranges, et à Rouen[95], que tout le reste de mes subjects y prendra exemple. Sur ce, etc.
Escript à Gaillon le XXIVe jour de may 1571.
CHARLES. PINART.
LXXXV
LA ROYNE MÈRE A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
(Lettre escripte de la main de la Royne.)
du XXIVe jour de may 1571.—
Négociation du mariage.—Doute que la reine d'Angleterre soit franche dans ses propositions.—Sursis à la discussion de l'article concernant l'exercice de la religion.—Demande que les autres articles du contrat soient envoyés.
Monsieur de La Mothe Fénélon, vous avez veu par mon aultre lettre[96] comment l'ambassadeur d'Angleterre est venu parler au Roy, mon fils, et à moy, et qu'il ne nous a rien dict davantage que ce qu'il me dict à St Clou; ce qui me faict doubler que la Royne d'Angleterre ne se veuille servir de ce bruict, et qu'elle nous laisse là quand elle aura faict ses affaires. Pour ce, prenez y garde et nous advertissez de ce qu'il vous en semble et en pourrez sçavoir; car, encores que je vous aye escript par l'ambassadeur, je vous ay voulleu dépescher ce courrier, attandant que Sabran soit guéri, pour vous advertir de cessy, et que nous avons faict bonne mine à l'ambassadeur; et, suivant le conseil que nous avez donné de laisser indécis ce qui concerne la religion, pour entrer au traicté des demandes de la Royne d'Angleterre, nous luy avons dict que nous voyons tant de raisons de tous les deux côtés, de la Royne et de mon fils, que nous desirions de traicter tous les aultres articles, et espérions que Dieu cependant envoyera quelque moyen pour le faict de la religion, puisque c'est sa cause.
Il nous a dict qu'il le trouve bon, et s'asseuroit que la Royne, sa Maistresse, envoyeroit bientot ses demandes et articles.
Encore que Pinart aye dépesché ce courrier, il ne sçait pas ce que je vous mande; pour ce, ne m'en mandés rien que par homme exprès. Voilà tout ce que je vous diray pour ceste heure, car je vous envoyeray le surplus par l'aultre, et je feray fin; priant Dieu, etc.
De Gallion, ce XXIVe jour de may 1571.
CATERINE.
LXXXVI
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du IVe jour de juing 1571.—
Nécessité de ménager Élisabeth dans la négociation relative à Marie Stuart.—Nouvelles assurances de protection pour la reine d'Écosse.—Insistance afin qu'Élisabeth ne permette, sous aucun prétexte, aux seigneurs anglais de passer en armes en Écosse.—Résolution du roi de s'opposer à toute entreprise de la part de la reine d'Angleterre sur ce pays.—Réclamation en faveur de l'évêque de Ross.—Menées du duc d'Albe.
Monsieur de La Mothe Fénélon, vos trois dépesches des XVIIIe, XXIIIe et XXVIIIe jours du moys passé[97], sont arrivées quasi à un même instant; de toutes lesquelles je reprendray principallement la dernière, et vous diray que j'ay esté bien aise de voir que, sur ce que je vous ay escript par la mienne, du VIIIe du moys passé, vous ayés pris occasion d'entrer en propos avec la Royne d'Angleterre, Madame ma bonne sœur, ayant esté bien advisé et considéré à vous de luy remonstrer et toucher doulcement ce que je desirois, sans toutesfois y rien obmettre de ce que je vous avois par ma dicte dépesche chargé de luy dire, bien à propos, comme j'ay veu par vostre dicte lettre que vous avez faict. Et sera bon que vous continuiés d'y procéder par ceste douce voye, quand vous luy parlerés du faict de la Royne d'Escosse, Madame ma sœur, puisqu'elle s'aigrit si fort quand on la met là dessus. Sur quoy j'attendray ce que vous aurés conféré le lendemain de la datte de vostre dernière avec le comte de Lestre et milord de Burgley, ainsi que m'avés escript que deviez faire.
Quand à ce que vous m'escrivés qu'avés receuilli des propos que la dicte Royne d'Angleterre vous a tenus et des aultres advis, que vous avez d'ailleurs, que les choses vont en Écosse comme il est contenu au mémoire que m'avés envoyé[98], ce m'a esté plaisir de l'entendre ainsi particullièrement. Et j'ay très grand aise que le secours, envoyé par le frère du lair de Granges, soit arrivé si à propos qu'il ait fortiffié et accru le courage à ceux du parti de ma dicte sœur, la Royne d'Escosse; laquelle je vous prie consoller et asseurer tousjours, autant qu'il vous sera possible, que je luy continueray ce que sçavés: et ne tiendra à cella, ny à chose que je puisse, que ses affaires ne prospèrent et prènent le bon chemin que je desire.
Et pour le regard des gens de guerre que la dicte Royne d'Angleterre a donné commission à milord de Housdon de lever à Barwich, et de ce que vous voyés que, sans dissimulation ni aulcune couverture, le cappitaine du dict Barvich et beaucoup de la noblesse d'Angleterre se prépare pour assister le comte de Lenox; estant chose contraire à l'abstinence d'armes qui a esté cy devant accordée, il fault, et je vous prie, que vous en fassiés instance à ma dicte sœur, la Royne d'Angleterre et luy remonstriez, si elle voulloit couvrir ce faict par dire que ce sont bannis et désadvoués qui s'y rettirent, que l'on cognoit bien comment ilz y vont et soubs quel adveu; et la prierez de les révoquer, et faire de sa part observer la dicte abstinence d'armes comme je veux faire de mon costé.
S'il se cognoist clairement que la dicte Royne veuille entreprendre quelque chose en Escosse, je suis délibéré de m'y opposer, tant pour ma réputation, sellon les anciennes alliances qui sont entre ces deux couronnes, que pour ne perdre pas aussy le pied que mes prédécesseurs et moy y avons de tout temps, que je veux tousjours affermir en quelque sorte que ce soit, et me servir en cela tant des moyens et erres que je y ay d'ancienneté que de ceux que je pourray avoir par le moyen de ma dicte sœur, la Royne d'Escosse, et de ses bons subjects, auxquels je donneray tousjours et continueray, tant qu'il me sera possible, tout le secours que je pourray; ainsi que je vous ay escript par mes deux dernières dépesches. Mais, comme je vous ay mandé, je desire que ce soit secrètement, soubs la couverture que je vous ay escripte, et sans que, par là, la dicte Royne d'Angleterre puisse prendre occasion de se voulloir mesler de la guerre d'entre les subjectz du royaume d'Escosse, et en ce faisant, soubs prétexte de vouloir assister le petit Prince et le parti du comte de Lenox, s'emparer des places fortes et occuper le dict royaulme; vous asseurant que je suis bien marri de l'emprisonnement et assez rigoureuses et extraordinaires procédures qui se font contre l'évesque de Ross, et que l'on ait eu si peu de respect au lieu qu'il tient par delà, chose qui est du tout contraire au traictement que l'on doibt faire aux ambassadeurs. Et quelques raisons qu'ils veuillent dire pour colorer ce faict, ils ne peuvent cacher qu'il n'y ait de l'animosité et qu'ils cerchent de ruiner et traverser entièrement les affaires de ma dicte sœur, la Royne d'Escosse.
J'escripts à la dicte Dame, Royne d'Angleterre, en faveur dudict esvesque de Ross, une lettre qui est à la fin de créance sur vous, ainsi que vous verrés par le double que je vous en envoye; suivant laquelle je vous prie faire toute l'honneste instance que vous pourrés envers la dicte Dame Royne pour le faire mettre en liberté, et luy faire faire un traictement plus agréable que celluy qu'il a receu despuis sa détention; et au surplus continuer par delà la mesme affection que vous avés tousjours portée, suivant ce que je vous ay souvent escript, aux affaires de ma dicte sœur, la Royne d'Escosse; à laquelle je n'escriptz point, craignant de mettre ceste Royne en plus grande jalousie; mais vous le luy manderés de ma part, et l'assurerés que je fairay tousjours pour elle et ses bons subjects et serviteurs, tout ce qu'il me sera possible; vous priant, pour la fin de ceste cy, continuer aussy la mesme dilligence, de laquelle vous avés usé cy devant en tout ce qui s'est présenté par delà pour mon servisse; dont je suis très bien satisfaict et content, prévoyant et allant tousjours au devant des menées et pratiques que vous jugerés tendre à offencer ma réputation et reculler le bien de mes affaires, ou de ma dicte sœur, la Royne d'Escosse. Dont, me reposant entièrement sur là bonne affection que je sçay que vous y avés, je ne fairay ceste cy plus longue que pour prier Dieu, etc.
Escript à Lions, ce IVe jour de juing 1571.
J'ay sceu que le duc d'Alve a faict dire à la Royne d'Angleterre qu'elle ne debvoit pas faire le mariage que sçavés, et qu'il ne falloit pas qu'elle attendît d'avoir Callais.
Ce IVe jour de juing 1571.
CHARLES. PINART.
LXXXVII
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du XIe jour de juing 1571.—
Satisfaction du roi au sujet de la conférence de l'ambassadeur avec Leicester et Burleigh.—Négociation relative à Marie Stuart.—Assurance que le mariage du duc d'Anjou sera profitable aux partisans de la reine d'Écosse.
Monsieur de La Mothe Fénélon, la dernière dépesche que je vous ay faicte, par la voye de la poste, qui est du IVe de ce moys, a esté principallement pour respondre à la vostre du XXVIIIe du passé, de laquelle dépend celle que j'ay receue despuis par le courrier Nicolas, dattée du IIe jour de ce dict moys[99], contenant la conférance que vous avés eue avec le comte de Lestre et milord Burgley sur les mesmes propos que vous aviés, le jour précédent, tenus à la Royne d'Angleterre, leur Maistresse, pour les affaires de ma sœur, la Royne d'Escosse; ayant veu que vous avés fort bien et sagement répliqué à la responce qu'ils vous firent à ce que leur proposastes; dont toutesfois vous n'avés eu enfin aulcune satisfaction sur les chefs que leur baillastes par escript lors, sinon qu'il falloit attandre le retour du mareschal de Barwich qui a esté envoyé en Escosse; la charge duquel j'ay bien esté aise d'entendre si particullièrement que me l'avés mandé par vos dictes lettres, lesquelles me font entrer en opinion que ma dicte sœur et cousine, la Royne d'Angleterre, veut tanter tous les moyens qu'elle pourra, pour exécuter du costé d'Escosse et y faire ses affaires, et cependant me paistre de parolles.
Voylà pourquoy il fault avoir l'œil ouvert en cessy, et que, suivant mes dernières lettres, vous monstriés tousjours clairement que c'est chose à quoy je m'opposeray. Et cependant, en quelque sorte que ce soit, faictes tousjours pour ma dicte sœur, la Royne d'Escosse, et ses bons subjects, tout ce qui vous sera possible, mesmement à ceste heure, et durant la détention de l'évesque de Ross, qu'elle n'a personne qui entende à ses affaires; car cella servira à deux effaicts: l'un, pour voir plus clair en ce que sçavés, touchant les dictes petites lettres, et advancer cella, si l'on marche de bon pied de delà, ainsi que nous voulions faire de deçà, si cognoissons qu'il y ait affection; et l'aultre, en tout évènement, aydera tousjours à ma dicte sœur, la Royne d'Escosse, et ses bons subjects que je ne veux aulcunement abandonner; car tousjours, quand l'effaict des dictes petites lettres réheussira, ce sera leur bien; et si aussy nous cognoissons qu'il y ait, au faict d'icelles petites lettres, de l'artifice et fiction, nous serons sur nos pieds de faire en Escosse tout ce que nous pourrons, suivant la maxime que j'ay prise en cella dès le commencement. Cependant je vous asseure que j'ay bien agréable la façon que vous tenés de négotier le faict des dictes petites lettres; en quoy je vous prie continuer d'affection et vous me fairez servisse; priant Dieu, etc.
Escript à Lions le XIe jour de juing 1571.
CHARLES. PINART.
LXXXVIII
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du XVIIIe jour de juing 1571.—
Mission donnée à Mr de Larchant de passer en Angleterre.—Crainte des projets qu'Élisabeth peut avoir sur l'Écosse.—Ferme résolution du roi de défendre ce pays contre elle par tous les moyens qui sont en son pouvoir.—Nouvelle mission confiée à Mr de Vérac pour l'Écosse.—Instruction remise a Mr de Larchant sur la négociation du mariage.
Monsieur de La Mothe Fénélon, j'ay veu par vostre dépesche, du IXe de ce moys[100], la façon dont la Royne d'Angleterre a usé à la clôture de son parlement, et les termes en quoy elle demeure, affin que, quand elle voudra, elle le puisse continuer et rassembler, s'il advenoit qu'il y heust affaires pour elle, ou pour son royaume, qui le requissent. Cella me faict penser que c'est à quelque bonne intention et espérance que, si la négotiation du mariage d'entre elle et mon frère réheussit à bonne fin, comme j'espère et désire qu'elle fasse, son dict parlement ne sera point encore tant séparé qu'il ne se puisse bien remettre. Voylà pourquoy, affin de voir clair en la dicte négotiation, nous sommes résollus d'envoyer le Sr de Larchant, cappitaine de la garde de mon dict frère, le Duc d'Anjou, pour porter à la dicte Royne la responce des lettres qu'elle nous a escriptes, ces jours icy, de sa main, et à vous les mémoires de ce que nous desirons d'estre esclercis en ce faict, avant que d'envoyer gens de plus grande qualité de delà; ayant avisé de vous dépescher Sabran, présent porteur, devant luy, affin que vous en soyés adverti, et vous faire, par mesme moyen, responce au reste de vostre dicte dépesche du IXe de ce moys. A laquelle je vous diray que la résollution, qui a esté prinse par icelle Royne, de renvoyer, comme me mandés qu'elle a promptement faict, le cappitaine Briquonel, avec deux cents harquebusiers, trouver le comte de Lenox à Esterlin; et puis considéré qu'elle entretient à ses dépens, oultre cella, les cinq cents soldats escossois; et davantage qu'elle faict menasser ceux du parti de la Royne d'Escosse de leur courre sus: tout cella me faict penser, comme vous l'escrivés fort bien à la Royne, Madame ma mère, que icelle Royne d'Angleterre veut, non seullement faire enlever le Prince d'Escosse, si elle peut, et le faire mener, comme vous dictes, en Angleterre, mais il y a encore à craindre davantage: c'est que, pandant qu'elle void qu'ils se sont rebrouillés en Escosse, et qu'elle nous entretient tousjours en espérance de faire bien pour la Royne d'Escosse, et durant ce propos de mariage, qu'elle tasche, par tous moyens, à se saisir aussi de Dombertrand et de Lislebourg, ou pour le moins y mettre gens à sa dévotion, pour, puis après, se rendre maistresse de l'Escosse.
C'est à quoy il faut que vous preniés garde soigneusement et que vous démonstriés tousjours clairement à icelle Royne d'Angleterre et à ses ministres, comme je vous ay escript par mes trois dernières dépesches, que, si elle entreprend quelque chose de ce costé là, je me délibère, suivant les anciens traictés et alliances, qui sont entre moy et les Escossois, de donner, de mon costé, toute l'assistance qu'il me sera possible à ma dicte sœur, la Royne d'Escosse, et à ses bons subjects. Et affin que nous ne nous endormions poinct sur cella, il fault que vous pénétriés si souvent en la délibération de la dicte Royne d'Angleterre, et que vous fassiés en sorte que nous puissions sçavoir quelle délibération elle a du dict costé d'Escosse, et, aussy, si elle a sincère vollonté au dict mariage d'elle et de mon dict frère; car nous sommes tousjours en quelque doubte, ayant veu qu'elle a si souvent esté en termes de se marier avec de si grands princes, qu'elle veuille faire, en nostre endroict, comme elle a tousjours faict avec les aultres, et cependant se servir du temps, et faire ses affaires, non seullement à mon préjudice, mais aussy en moquerie et risée de nous par toute la Chrestienté.
Et affin que cella n'advienne point, je fairay tousjours, du costé d'Escosse, comme je vous ay escript; et, pour y avoir plus d'intelligence, je renvoye Vérac pour y résider. J'espère qu'il y sera dans huit ou dix jours, avec lettres et moyens tant au duc de Chatellerauld, lair de Granges, Ledinthon, que aultres seigneurs d'Escosse, que j'estime qui me sont bien affectionnés, et à ma dicte sœur la Royne d'Escosse, pour tousjours les entretenir en toute bonne affection en mon endroict, comme je desire qu'ils soyent suivant nos dicts anciens traictés, soit que le dict mariage réheussisse, ou non, ayant commandé au dict Vérac de vous tenir adverti de tout ce qui se faira au dict païs d'Escosse: aussy faudra il que vous luy escriviés, affin que vous ayés toute bonne correspondance et intelligence ensemble, et que mes affaires et intentions se puissent mieux conduire cependant. Je desire bien fort que l'exploit et l'entreprise que vous m'avés mandé par vostre dicte dernière dépesche, qui se debvoit exécuter par les dicts bien affectionnés subjects de ma dicte sœur, la Royne d'Escosse, soit bien réheussie, et qu'il se fasse tousjours tout ce qu'il sera possible pour affoiblir le parti de ceux qui affectionnent, en Escosse, la dicte Royne d'Angleterre; et que vous fassiés aussy, par tous moyens, ce que je vous ay souvent escript en chiffre: car il n'y a rien qui fasse plus haster la Royne d'Angleterre en la dicte négociation des petites lettres, ni qui soit plus nécessaire pour le repos de mon royaulme et bien de mes affaires, pour lesquelles vous estes, au demeurant, si amplement instruict de mon intention, qu'il n'est besoin de vous faire plus longue lettre. Aussy n'estendray je ceste cy davantage que pour prier Dieu etc.
Escript à Gaillon, ce XVIIIe jour de juing 1571.
CHARLES. PINART.
MÉMOIRE ET INSTRUCTION A Mr DE LA MOTHE,
pour instruire Mr de Larchant de ce qu'il aura à faire au voïaige qu'il faict
en Angleterre (original).
(Dressé par Mr De Foix.)
Il est nécessaire, une des deux choses: ou respondre aux demandes de la Royne d'Angleterre par escript, et le mander à Mr de La Mothe, pour le bailler à la Royne d'Angleterre et le monstrer, icy, à son ambassadeur;
Ou bien y envoyer un gentilhomme de qualité pour déclarer à la dicte Dame ceulx que le Roy à éleus pour aller traicter et négocier par delà sur les demandes tant d'elle que de Monseigneur; et conclure ce négoce.
Quant au premier, il semble que, tant s'en faut qu'il feust profitable qu'il seroit dommaigeable; premièrement, parce que Monseigneur pourroit accorder quelques choses icy qui pourroient luy estre concédées plus avantageuses, si l'on négocioit sur les lieux, où l'on feroit les responces, sellon qu'on verroit disposés les affaires.
En second lieu, est à craindre qu'il ne se trouvast quelques responces qui fussent pour desplaire à la Royne et à ceulx de son conseil, et par ce moyen apportassent empeschement ou retardement à ceste négociation.
En troisième lieu, il est certain que la dicte Dame n'entrera en aucuns débatz par escript sur les dictes responces, comme il appert par l'inscription de ses demandes, et difficultez qu'elle a faictes de les bailler, cuydant qu'il appartenoit à sa grandeur et existimation de les aller prendre sur les lieux, comme aussi il se voit par ce que l'ambassadeur a dict à Leurs Majestez, en leur présentant les dictes demandes: qu'il n'a aucun pouvoir pour les deffendre et débattre. Partant ce ne seroit que leur donner plus de commodité et temps de s'aprester et instruire contre les responces du dict Seigneur.
En oultre, négocier par escript et messaiges, n'est aultre chose qu'aporter longueur à cest affaire, et n'y a rien qui soit plus tost pour le rompre que donner temps et loisir aux adversaires d'apprester leurs machines pour l'oppugner;
Oultre ce, que les conditions présentées par la dicte Dame semblent estre si prochaines de la raison, qu'il semble ne desirer aultre chose que des députez pour les clorre et arrester.
Item, son ambassadeur s'est laissé entendre que la dicte Dame estoit mal satisfaicte de ce que, jusques icy, le Roy n'avoit envoyé aucun personnaige de qualité devers elle.
Partant, il semble bon de luy en envoyer un présentement, à plusieurs fins, pour la visiter et la remercier très cordialement de ce qu'elle monstre, et par ses lettres, et par propos tenuz à l'ambassadeur, et par ses demandes et responces faictes à celles de Monseigneur, combien elle embrassoit de bon cœur l'offre qui luy avoit esté faicte de la part du Roy, et avec quelle syncérité d'affection elle y procédoit; de quoy leurs Majestez et Monseigneur la remercioient très affectionnément, et l'asseuroient que, avoir si franchement procédé à cest affaire avoit redoublé leur desir de le mettre à fin, et leur faisait tant plus estimer sa bonté et mérites, luy tesmoignant que le Roy n'avoit rien plus cher que de voir son frère avec elle entendre à son contentement, conservation de son estat et continuation d'iceluy à sa postérité, comme aussy la Royne Mère luy rendoit pareille affection qu'à ses propres enfans, et Monseigneur en augmentoit tous les jours en ardent zèle de l'obéir et servir, et se conformer à ses volontez; ce qui avoit esté cause que, incontinant, ayant esté présenté au Roy ses dictes demandes, il auroit dépesché devers elle pour luy déclarer ceste leur satisfaction et desir;
Et encores pour luy faire entendre le chois et élection qu'il a faict de personnages, de qualité convenable au respect que le Roy luy rend et à la grandeur de ce négoce, pour envoyer devers elle, affin, par conférence avec elle et ceulx qui luy plaira députer de sa part, d'adjouter, corriger et réformer, des pactions et accords, ce qui sera juste et raysonnable, et sçavoir d'elle si elle aura pour agréable qu'ilz l'aillent incontinent trouver, tenans pour certain, Leurs dictes Majestez, qu'ayant donné si bons arrhes et gaiges de sa bonne intention, elle continuera à pourvoir à tout ce qui sera faict pour la conscience, honneur et grandeur de Monseigneur, et ostera par sa prudence les difficultez qui restent encores de poix et moment.
Dira aussi qu'une des occasions, qui ont meu le Roy d'envoyer des députez devers elle, est parce que luy semble convenable à la grandeur d'elle que cest affaire se parachève près d'elle, et qu'il desire de le haster le plus que l'on pourra, sachant bien qu'il n'y a rien plus contraire à l'effectuer que la longueur des messagers, allans et venans, pendant laquelle les adversaires guaignent temps pour s'aprester à le pouvoir empescher.
Et, si la dicte Dame déclare vouloir que les députez aillent incontinent par delà, il demandera passeport pour servir, en ce, plustost à la coustume, que pour en estre besoing à cause de la paix et bonne intelligence qui est entre le Roy et elle.
Mr de La Mothe adjoutera à ce que dessus ce qu'il luy semblera estre plus propre pour l'acheminement de cest affaire et pour rendre plus claire et certaine la négotiation des députez.
Le dict gentilhomme remerciera aussi, de la part du Roy et de Monseigneur, le garde des sceaux, le marquis de Norenton, le milord Sucès, de Lecestre, de Bourlé et aultres, des bons offices qu'ilz font par delà, selon et ainsi qu'il semblera bon au dict ambassadeur.
Et desire Sa Majesté qu'oultre ce qu'il a mandé, par ses lettres du VIIe de ce mois, avoir entendu, par le comte de Lecestre, de la bonne intention de la dicte Dame pour laisser à Monseigneur, privément et en sa maison, l'exercice de sa religion, qu'il en parle encor au dict seigneur conte, ensemble au milort Bourlé, et leur remonstre l'aliénation des bonnes volontez que pourroit apporter, si les dictz depputez, personnaiges de telle qualité, s'en retournoient sans rien faire, et les prier que, s'ils congnoisssent qu'il peut survenir quelque empeschement pour rompre ceste pratique, qu'ilz luy vueillent dire clairement.
Faict à Gaillon, le XVIIIe jour de juing 1571.
CHARLES. PINART.
LXXXIX
LA ROYNE MÈRE A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON
du IIIe jour de juillet 1571—
Envoi du portrait du duc d'Anjou.—Instances pour que la négociation du mariage une prompte solution.—Demande du portrait de la reine d'Angleterre.—Promesse du portrait de la duchesse de Nevers.—Espoir que le duc de Montpensier consentira à la donner en mariage à Leicester.
Monsieur de La Mothe Fénélon, pour ce que la peinture de mon fils n'estoit pas du tout parachevée, quand vostre homme partit dernièrement, je ne vous l'ay plus tôt peu envoyer qu'à ceste heure par Vassal, présent porteur; encores n'a ce peu estre en une seulle peinture, de la main de Me Jarriet, comme j'heussé désiré. Il n'eust le loisir que de faire, comme vous verrés, le visage, qui est fort bien, et parfaictement faict, après le vray naturel; et l'aultre peinture, qu'il a aussy faicte, servira seullement pour la taille, qui est aussy la vraye semblance de mon dict fils, mais il ne s'est pas, en ceste peinture, amusé à faire parfaictement le visage, pour ce que l'aultre estoit faict et que je voullois faire partir en dilligence ce porteur.
Je suis d'advis que vous baillez les dictes deux peintures au sieur comte de Lestre et faudra que vous luy fassiez aussy entendre ce que je vous ay mandé, et que vous accommodiez cella de telle sorte qu'il soit prins de bonne part, en attendant que le dict Me Jamet ait paraschevé la peinture qu'il faict en plus grand volume, que j'espère vous envoyer cy après, si nous voyons que les choses succèdent comme je le desire, et qu'il me semble que l'on desire aussy par delà, par ce que j'ay veu par voz dernières petites lettres[101], l'une du jour de St Jehan qui estoit dedans un de voz pacquetz, et l'aultre que m'a baillée ce dict porteur.
Auxquelles, pour responce, je vous diray que nous avons prins fort grand plaisir d'entendre, par icelles, que les choses soyent en si bons termes, et tant affectionnées de la part de la Royne d'Angleterre et du dict comte de Lestre, et aussy du comte de Sussex et de milord Burgley, auxquels nous sçavons infiniment bon gré des bons offices qu'ils font; mesmement au dict sieur comte de Lestre, qui démonstre bien, par ce que me mandés, la bonne volonté qu'il y a, dont il se peut asseurer que, les choses advenant ainsi que j'espère qu'elles fairont et comme nous le desirons, qu'il cognoistra par effect le bon gré que luy en sçavons. Mais, affin que cessy soit bientost résollu, il fault que, par son moyen, les articles que nous demandons et qui sont mentionnés en l'instruction que vous a portée le Sr de Larchant, nous soyent accordés, s'il est possible, avec le plus d'avantage que vous pourrez les estendre et moyenner, et que cella soit asseuré, sans le remettre à quand mon dict fils sera par delà, comme me mandés par vostre dicte lettre. Et par ce moyen mon dict fils en aura plus de contentement et d'obligation à la dicte Royne et aux gens de bien qui manient cest affaire; lesquelz je vous prie d'entretenir toujours en la bonne volonté et affection qu'ilz montrent avoir en cest affaire, et qu'ilz fassent en sorte que les choses n'aillent point à la longue, et que, pour oster le moyen à ceux qui y veullent traverser, le tout se puisse promptement résoudre comme il est très nécessaire, et que nous le desirons; vous priant de continuer à travailler tellement en cessy, comme desjà vous avés si bien commencé, que de brief nous y puissions voir une bonne et honnorable résollution.
Je vous prie me faire ce plaisir que je puisse avoir bientost une peincture de la Royne d'Angleterre en petit volume, de la grandeur (et qu'elle soit bien pourtraicte), et faicte de la façon mesme de celle que m'avez envoyée du dict comte de Lestre, ainsi que vous dira le dict Vassal; car la peinture que nous en avons est du tout en plat, qui n'a pas si bonne grâce qu'elle aura, estant un peu tournée sur le costé droict.
Et quand à ce que m'avez escript d'icelluy sieur comte de Lestre, je suis bien marrie que, par ce dict porteur, je ne luy peus envoyer la peincture de ma cousine la duchesse de Nevers de Montpensier, mais elle ne s'est poinct encore faicte peindre, à cause qu'elle a esté un peu malade; le peintre y travaille, et j'espère vous l'envoyer incontinent qu'il aura faict. Je luy ay parlé de ce que sçavés: elle m'a fort sagement respondu qu'elle n'avoit aultre volonté que celle de mon cousin le duc de Montpensier, son père, qui est en sa maison de Champigny. Je lui en eusse volontiers escript, mais vous cognoissés le personnage; qui pense que le meilleur sera que je luy en parle moy mesme, comme je fairay aussytost qu'il sera avecque nous, et de si bonne affection que j'espère que icelluy sieur comte en recevra satisfaction et contentement. Me remettant, pour le reste de voz dépesches, à ce que vous escript le Roy, Monsieur mon fils[102], et à ce qu'il vous mande pour responce à voz dernières dépesches, je ne vous fairay plus longue lettre si n'est pour vous recommander encores une fois d'affection la dicte négociation des petites lettres, dont j'espère que nous aurons bientost de bonnes nouvelles par le Sr de Larchant; priant Dieu, etc.
Escript à Monceaulx, le IIIe jour de juillet 1571.
CATERINE. PINART.
(Est adjousté de la main de la Royne.)
Je vous prie que bientost en puissions voir ce que desirons, car la longueur ne porte que subject à ceux qui ne desirent la grandeur de mon fils, et qui ayment mieux leur maison, bien et grandeur qu'ils espèrent icy, qui ne font que luy dire beaucoup de choses qui ne peuvent apporter rien de bon à son servisse.
XC
LA ROYNE MÈRE A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du VIIIe jour de juillet 1571.—
État de la négociation du mariage.—Assurance donnée par Walsingham que la reine d'Angleterre veut fermement épouser le duc d'Anjou.—Protestation de Catherine de Médicis qu'elle partage le même désir.—Recommandation faite à l'ambassadeur au sujet de cette négociation.
Monsieur de La Mothe Fénélon, ceux qui ne désirent pas le mariage d'entre la Royne d'Angleterre et mon dict fils, le Duc d'Anjou, ont fait courir le bruict par deçà que ce que la dicte Royne faisoit en ce négoce, n'estoit pas de bonne volonté qu'elle y eût, mais seullement pour se servir du temps. Cela véritablement nous a fait penser à cest affaire, et aller plus rettenus, et a esté cause que mon dict fils, pour ceste occasion, n'en a pas voullu tesmoigner, comme aussi n'estoit il pas raisonnable, qu'il y eût si grande affection.
Dont le Sr de Walsingam, qui en a eu advis d'Angleterre, et des aultres bruits que ces gens là mesmes ont faict courir par toute la Chrestienté, pour tascher à rompre ce traicté de mariage, m'a faict dire que, tant s'en fault qu'il soit vray qu'icelle Royne y procède par dissimulation qu'au contraire elle y marche de très bon pied, et ses principaux ministres aussi: qui l'ont expressément escrit au dict Sr de Walsingam pour me le dire ou faire dire, comme il a fait par mon cousin le Sr de Foix; et qu'icelle Royne et tous les siens ne desireront jamais tant chose qu'ils font la conclusion d'icelluy mariage. Dont le Roy, Monsieur mon fils, et moy, et aussi mon dict fils, le Duc d'Anjou, sommes aises, espérant, puisqu'ainsi est, que, par le Sr de Larchant que nous attendons en bonne dévotion, vous nous envoyerés les responces des conditions que nous desirons, et les aultres choses que vous avés entendues par luy, si avancées qu'il s'en prendra bientost quelque bonne résolution, comme il est nécessaire et que nous desirons; ainsi que vous pourrés asseurer la dicte Royne et tous ceux de ses ministres qui conduisent cest affaire; et leur dire hardiment que nous y marchons aussi de fort bon pied, et qu'ils ne croyent rien de tous les bruits qui pourroient courir du contraire, qui ne sont que pour rompre cest affaire; lequel je vous recommande sellon la parfaicte confiance que nous avons en vous; à qui j'en ay voullu incontinant faire ceste lettre, ayant sceu que tous ces bruicts couroient, afin que, si l'on vous en parle de delà, vous asseuriés tousjours la dicte Royne et ses ministres de nostre sincère volonté et bonne affection. Et sur ce, etc.
Escript à Monceaux, le VIIIe jour de juillet 1571.
Par postille à la lettre précédente.
Ceste lettre vous servira d'advis pour en user discrètement, comme vous sçavés très bien faire; car si de delà, ils ne sçavoient encore tous ces faux bruits, vous vous conduirés en cela et leur parlerés ainsi que vous le jugerés à propos. Ce VIIIe jour de juillet 1571.
CATERINE. PINART.
XCI
LA ROYNE MÈRE A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
(Lettre escripte de la main de la Royne.)
du XXVe jour de juillet 1571.—
Confidences sur la négociation du mariage.—Regret qu'éprouve Catherine de Médicis du refus fait par le duc d'Anjou de passer en Angleterre, sans avoir l'assurance de l'exercice public de la religion catholique.—Menaces contre les conseillers qui le poussent à cette détermination.—Résolution de Catherine de proposer le mariage d'Élisabeth avec le duc d'Alençon, s'il ne peut succéder avec le duc d'Anjou.—Proposition d'une ligue avec la reine d'Angleterre.—Recommandation de brûler la lettre, et de ne se fier à aucun écrit qui ne porterait pas la signature du roi ou de la reine-mère.
Monsieur de La Mothe Fénélon, comme j'ay une particulière confience en vous, je ne vous celleray poinct que l'humeur, en laquelle est mon fils d'Anjou, me faict bien grande peyne; il est tellement obstiné à ne passer en Angleterre, sans avoir une publique asseurance pour l'exercisse de sa religion, que le Roy ni moy n'avons peu obtenir qu'il se soit fié à la parolle de la Royne d'Angleterre. Nous soubçonnons fort que Villequier, Lignerolles, ou Sarret, possible, tous trois, soyent les autheurs de ces fantaisies: si nous pouvons en avoir aulcune asseurance, je vous asseure qu'ils s'en repentiront. Pour tout cela, je ne veux pas que nous nous rebuttions, car, possible, pourrons nous gaigner quelque chose sur son esprit, ou sur celluy de la dicte Royne.
Si, par malheur, les choses ne peuvent pas s'accorder pour mon dict fils, comme je le souhaite, je suis résollue de faire tous mes efforts pour le faire réheussir pour mon fils d'Alençon, qui ne sera pas si difficile. Cependant, comme on nous propose de tascher de faire une ligue avec icelle Royne, pour nous l'attacher davantage, et esloigner le fils de l'Empereur et aultres, ne faictes jamais semblant de cessy; mais bruslez la présente, après l'avoir leue, et ne croyés rien que l'on puisse vous dire, ou escrire, que ce que vous verrés par lettres signées de la main du Roy ou de moy, qui ne vous dis pas cella sans raison; car ceux qui ne desirent pas que les choses qui sont, grâces à Dieu, si bien advancées et disposées, réheussissent et s'effectuent, sont assés artificieux pour publier ou escrire ce qu'ils penseront qui soit pour empescher ce bon œuvre; priant Dieu, etc.
A Fonteinebleau, ce jeudi XXVe jour de juillet 1571.
CATERINE.
XCII
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du XXXIe jour de juillet 1571.—
Retour de Mr de Larchant.—Réponse d'Élisabeth sur l'article concernant la religion.—Résolution du roi d'envoyer Mr de Foix en Angleterre pour discuter cet article.—Affaires d'Écosse.—Surveillance nécessaire à l'effet d'empêcher toute entreprise des Anglais sur ce pays.—Recommandation de faire en faveur de Mr de Vérac toutes les démarches utiles pour procurer sa liberté, s'il était vrai qu'il eût été fait prisonnier en Écosse.—Ferme assurance donnée par le roi qu'il n'abandonnera jamais Marie Stuart.—Recommandation faite à l'ambassadeur de se conduire avec assez de prudence pour éviter la guerre.—Instruction remise à Mr de Foix.
Monsieur de La Mothe Fénélon, à ce que j'ay veu par les lettres que m'avés escrites, du IXe de moys, touchant la négotiation, et despuys par celles que m'avés aussy escriptes le XIe ensuivant, que m'a apportées le sieur de Larchant, et entendu par ce qu'il nous a dict de bouche, et davantage considéré ce que me mandés et à la Royne, Madame et Mère, par vos dépesches des XIVe, XXe, et XXIIe de ce moys[103], il se trouve de grandes difficultés sur l'article de la religion. Ayant à ce propos mis en grande considération ce que la Royne d'Angleterre, Madame ma bonne sœur et cousine, dict au dict de Larchant, et encores depuis à vous; qui est qu'elle ne pense ne pouvoir consentir que mon frère ait l'exercisse de la religion par delà, et que cella pourroit estre cause (si elle la luy accordoit comme nous le desirons pour luy et les siens) de troubler son estat, ce qu'elle aymeroit mieux être morte que de voir; voylà pourquoi je pense qu'il estoit très nécessaire, premier que envoyer mes depputés de delà, qu'il y allât quelque personnage bien entendu et agréable pour le faict de la dicte négotiation. Et pour ce que je pense que Mr de Foix, mon cousin, y seroit fort propre, je l'ay prié d'en accepter la charge, comme il a faict, lui ayant faict faire une instruction bien ample et lettres de ce que luy et vous aurés à faire en cella; ayant avisé de vous renvoyer cependant ce présent porteur pour vous en advertir, et pour vous dire que, avant hier, après disner, nous ouismes sur cella le Sr de Walsingam, qui s'est tousjours monstré bien affectionné à cest affaire, si ce n'est quand au dict poinct de la religion, pour lequel véritablement il se rend difficile, et croy qu'il en pourra escrire à sa Maistresse selon sa passion; mais, le dict sieur de Foix arrivant, comme il faira bientost par delà, vous faira entendre toutes choses et comme vous aurés à vous y gouverner en cella.
Cependant je ne veux oublier de vous dire que je suis après à pourvoir et donner ordre au faict d'Escosse, ainsi que vous m'avés escript, dont je vous tiendray adverti incontinent par vostre aultre secrettaire, que j'ay rettenu pour vous le renvoyer aussytost que cella sera faict. Mais je vous prie, Monsieur de La Mothe Fénélon, que cepandant vous ayez tousjours l'œil ouvert et preniez si bien garde aux actions de la Royne d'Angleterre du costé d'Escosse, qu'elle ne puisse rien entreprendre ni donner secours ou assistance que je ne sois promptement adverti de ses délibérations.
Et me sera très grand plaisir que vous sçachiez au vray si le petit vaisseau, dernièrement parti de ce païs pour aller en Escosse, a esté prins par ceux du Petit Lict et aussy Vérac, affin que, si ainsi est, vous fassiez instance pour la dellivrance du dict Vérac, car, comme l'on pourra avoir veu par les dépesches que je luy ay faict bailler, s'il est prins, je l'envoyois par delà pour estre médiateur et tascher à réconcillier en paix et amitié tous les subjects de la Royne d'Escosse, Madame ma bonne sœur, et pour y faire, en mon nom, tous les bons offices qu'il pourroit entre les uns et les aultres indifféremment. C'est pourquoy il ne peut estre retenu, ni ne doibt recepvoir aulcun mauvais traictement, comme vous avés à remonstrer à ma dicte bonne sœur et cousine, la Royne d'Angleterre, et à escrire, si besoin est, aux comtes de Lenox et de Morthon, affin que promptement ils le délivrent, et laissent aller et venir en toute liberté à Lislebourg et aultres lieux qu'il voudra, pour une si bonne œuvre.
Cependant asseurez tousjours ma dicte bonne sœur, la Royne d'Escosse, que je ne l'abandonneray jamais, comme je luy ay tant de fois asseuré, et que, oultre la si prosche alliance d'entre elle et moy, je demeureray tousjours en l'affection que j'ay et doibs avoir selon les anciens traictés d'entre ma couronne et la sienne, nos païs et subjectz, ainsi que par effaict j'ay jusques icy bien monstré: en quoi je me délibère de persévérer et faire de bref encore ce qui me sera possible pour elle et ses bons subjectz, ainsi que plus amplement je vous manderay par vostre aultre secrettaire.
Cependant vous vous comporterez pour ses affaires, et pour la restitution de l'évesque de Ross, envers la dicte Royne d'Angleterre, et aussy pour la fortification du Petit Lict, comme vous jugerez qu'il sera à propos en attendant que le dict Sr de Foix arrive de delà; et aussy, pendant qu'il y sera, afin que toutes choses passent par la plus douce voye qu'il sera possible et qu'il ne se puisse rien altérer de la bonne amitié et intelligence d'entre moy et la dicte Dame Royne d'Angleterre, et qu'elle ne puisse prendre nulle occasion de remettre à la longue l'effaict du bien et faveur qu'elle vous a promis de faire, pour l'amour de moy, à ma dicte sœur, la Royne d'Escosse; dont vous la remémorerez tousjours à propos le plus honnestement que vous pourrez. Et sur ce, etc.
Escript à Fontainebleau, le dernier jour de juillet 1571.
CHARLES. PINART.
INSTRUCTION BAILLÉE A Mr DE FOIX.
—du XXIXe jour de juillet 1571.—
Le Roy, après avoir ouï le Sr de Larchant, à son retour du voyage que Sa Majesté lui a naguières envoyé faire devers la Royne d'Angleterre, et veu par sa dicte Majesté les lettres que le dict Sr de Larchant a raportées d'icelle Royne, ensemble la dépesche du Sr de La Mothe Fénélon son ambassadeur près d'elle, faisant mantion des honnestes propos du mariage d'entre icelle Royne et Monseigneur, frère du Roy;
Sa Majesté, après avoir sur le tout meurement considéré et délibéré, a avisé, pour la grandeur et importance de cest affaire, que le meilleur seroit, avant que faire partir ses depputés, pour en aller conclurre par delà, de choisir quelque digne personnage de son conseil, expérimenté et entendu à tel honorable affaire, pour aller vers icelle Royne, affin de plus amplement esclaircir certains poincts, ès quels Sa Majesté desire bien que la dicte Royne s'exprime davantage qu'elle n'a faict par les articles et responses qui ont esté escriptes aux conférances d'entre les dictz Sr de La Mothe Fénélon et aulcuns des ministres et principaux conseillers d'icelle Dame Royne;
Ayant, à ceste occasion, Sa Majesté choisi et fait élection du Sr de Foix, conseiller en son conseil privé, le cognoissant digne, capable, et grandement versé, non seulement aux affaires de ce royaulme, mais aussy cognoissant les formes de l'estat d'Angleterre, pour y avoir résidé et esté son ambassadeur auprès de ceste Royne.
Luy ayant, à ceste occasion, commandé de faire tant pour son servisse d'entreprendre le dict voyage, sçachant bien qu'il s'en sçaura très bien et dignement acquitter, et, estant là, communiquer ceste sienne charge au Sr de La Mothe Fénélon, pour, après, s'estantz bien entendus et résollus, aller trouver la dicte Royne et luy présenter les lettres que Sa Majesté luy escript de sa propre main, et celles de la Royne, sa mère, et de Mon dict Seigneur,
Aussy luy faisant entendre le grand contentement et satisfaction que Leurs Majestés et Mon dict Seigneur ont des honnestes propos contenus aux lettres qu'elle leur a escriptes de sa main par le dict Sr de Larchant, ayant cogneu par icelles sa bonne intention, affection, et grande vollonté de voir bientost, ce qui s'est si honnorablement commencé à négotier du dict mariage d'entre elle et Mon dict Seigneur, réhussir: et encores de la grande démonstration, qu'elle a de deçà tousjours faict faire par son ambassadeur, de le desirer;
Luy tenant, à ceste occasion, tous les honnestes propos de remerciement, dont se pourra adviser le dict Sr de Foix, ainsi que Sa Majesté sçait qu'il sçaura très bien et dignement faire.
En quoy le dict Sr de La Mothe Fénélon, aussi de sa part, interviendra à propos, comme le dict Sr de Foix et luy adviseront, pour fortiffier davantage la persuasion que faira en cella icelluy Sr de Foix; par laquelle il monstrera à icelle Royne combien Leurs Majestez et Mon dict Seigneur le desirent aussy, et louent la syncérité dont elle y procède, l'asseurant n'estre pas moindre de deçà; estimant Sa Majesté que icelle Royne, d'elle mesmes, entrera en propos plus avant.
Et lors, le dict Sr de Foix luy proposera la difficulté, en laquelle Sa dicte Majesté se retrouve, spécialement pour l'article faisant mention de la religion; lequel est, par les dicts mémoires, tellement contrainct pour Mon dict Seigneur et pour les siens, que, s'il ne luy estoit beaucoup davantage augmenté, il n'en pourroit avoir satisfaction, et demeureroit en grand peyne de la liberté qu'il a tousjours desirée pour luy et les siens en l'exercisse de sa religion; estimants Leurs Majestez, et aussy Mon dict Seigneur, qu'icelle Royne considérant, comme ilz la prient bien fort de faire, que, pour l'intégrité de conscience où mon dict Seigneur veut tousjours demeurer, il ne luy seroit honnorable de se contraindre et les siens en sa religion, allant de delà en la bonne et syncère délibération, où il est, de servir d'affection à icelle Royne, à la continuation de l'union et concorde de ses subjects et païs, et ne leur donner nulle mauvaise occasion;
Et, pour ceste cause, il plaise à la dicte Dame Royne de regarder d'accorder le faict et exercisse d'icelle religion à Mon dict Seigneur et aux siens, à sa satisfaction, et en faire passer l'article, comme le reste de ce qui sera accordé du traité, par le Parlement et Estats du païs; car aultrement et à grande difficulté se pourroit il résoudre, aussy Leurs dictes Majestez ne luy conseilleroient et ne seroient d'advis, en quelque sorte que ce soit, de passer plus oultre en ceste négociation, considéré ce que sur ce poinct la dicte Dame Royne a dict au dict Sr de Larchant et despuis au dict Sr de La Mothe Fénélon: qui est qu'il y auroit pour Mon dict Seigneur un extresme danger, et qu'elle aymeroit mieux mourir que de le voir.
Voylà pourquoy chascun en demeure en peyne de deçà; car, encores que Mon dict Seigneur aille avec toute bonne affection, et n'y voullant apporter aulcune cause ou occasion de rumeur ni trouble, si, n'y seroit il nullement en seuretté de sa personne, comme icelle Dame Royne a tacitement déclaré.
Et advenant qu'il y ait difficulté sur le dict point de la religion et libre exercisse d'icelle, qu'il ne se puisse, ainsi que dict est, terminer et que l'on désire absolluement que Mon dict Seigneur soit par delà pour le luy accorder et les siens, le dict Sr de Foix ne passera point oultre à tout le reste des dicts aultres articles, mais se despartira prudemment de la dicte négociation,
Et asseurera la dicte Dame Royne que Leurs dictes Majestez et Mon dict Seigneur, cognoissant par ce qu'elle en a dict si franchement aux dicts Srs de Larchant et de La Mothe Fénélon, et puis par les honnestes depportementz que l'on a tousjours cogneu en elle et aux siens, procédants à cest affaire; qu'il ne sera jamais que le Roy ni la Royne, sa mère, n'en ayent telle souvenance qu'elle se peut asseurer d'eux d'une vraye et parfaicte amour qu'ilz lui portent, comme ils fairont tousjours paroistre par effaict d'aussy grande affection et bonne volonté qu'elle sçauroit desirer envers elle et les siens, toutes et quantes fois que l'occasion s'en présentera.
Davantage luy dira aussy que, quand à Mon dict Seigneur, il se sent particullièrement tant obligé à elle de l'honneur qu'elle luy faict, qu'il ne sera jour de sa vie qu'il n'en ait souvenance pour luy faire aussy, l'occasion se présentant, de toute affection servisse, et aux siens toutes les honnestetés et courtoisies qu'il pourra, regrettant grandement que les choses ne se peuvent mieux accorder pour l'affection et grand amour qu'il porte à icelle Dame Royne, dont mal aisément se pourra il jamais despartir, ce qu'il la supplie très humblement croire, et le tenir tousjours en sa bonne grâce, et pour le plus affectionné de ses serviteurs.
Fait à Fonteinebleau, le XXIXe jour de juillet 1571.
CHARLES, CATERINE. Au-dessous, HENRY.
Et plus bas, Pinart.
XVIII
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du XXVe jour d'aoust 1571.—
Avertissement donné au roi que les protestans de France font tous leurs efforts pour empêcher le mariage du duc d'Anjou, et qu'ils ont proposé le mariage du prince de Navarre avec Élisabeth ou l'une de ses parentes.—Obstacle qu'il faut mettre à l'exécution de ce projet.—Assurance que doit donner l'ambassadeur que le mariage du prince de Navarre avec la sœur du roi est arrêté et conclu.
Monsieur de La Mothe Fénélon, j'attendz à vous faire responce à toutes vos dernières dépesches, après que j'auray communiqué des poincts qui sont importants par icelles à aulcuns seigneurs de mon conseil, qui ont praticqué les traictés d'entre mes prédécesseurs Roys et les Escossois, et prendray sur toutes vos dictes dépesches une bonne résolution, dont je vous advertiray incontinent; et vous esclerciray entièrement sur le tout de mon intention.
Cependant j'ay advisé de vous faire ceste dépesche pour vous dire que j'ay eu advis bien certain que, combien que le feu cardinal de Chatillon ayt faict l'ouverture et démonstration bien affectionnée, et ceux de la religion aussy, de desirer le mariage de mon frère avec la Royne d'Angleterre, que néantmoins c'estoit chose que le dict cardinal et les plus grands d'entre eulx ne voulloient pas, n'estant ce qu'ilz en faisoient que pour tousjours nous amuser; et que, tant s'en fault qu'ilz le souhaitassent à bon escient, qu'au contraire, pour empescher soubz main le dict mariage, et par mesme moyen celluy de ma sœur avec le Prince de Navarre, Mr l'Admiral a tant faict par ses menées que la Royne de Navarre, ma tante, et luy ont secrettement envoyé et escript en Angleterre pour, par le moyen des bons et certains amis qu'ils y ont, faire proposer, comme ilz ont faict, avec toutes les industries et plus belles couleurs qu'ils ont peu penser, à la dicte Royne d'Angleterre le mariage d'entre elle et le Prince de Navarre; et, si le parti du dict Prince n'estoit trouvé bien convenable et agréable à la dicte Royne d'Angleterre, et qu'elle persistast tousjours en l'opinion et résolution qu'ils sçavent (comme j'en ay eu aussy advis) qu'elle a, dès longtemps, de ne se marier jamais, qu'ilz luy ont par mesme moyen faict remonstrer et requérir que, pour seurement et bien establir ses affaires et les leurs aussy, elle donnât au dict Prince de Navarre en mariage une sienne niepce à laquelle elle pourroit, quand elle voudroit, faire beaucoup de bien.
Dont de tout ce que dessus je vous ay bien voulleu advertir, affin que, s'il advient que la dicte Royne d'Angleterre ou ses ministres vous mettent en propos du mariage de ma dicte sœur et d'icelluy Prince, vous en parliez comme si le dict mariage estoit du tout résollu, comme aussy sera il tousjours, quand il me plerra; et fault que vous ayez l'œil si ouvert, que vous puissiez descouvrir par delà les menées de ces gens là, et regarder d'y mettre secrettement tous les empeschements que vous pourrés; car, s'il est vray qu'ilz ayent ce dessein, je ne veux pas négliger les moyens, que Dieu m'a donnés, de la puissance que j'ay sur le dict Prince de Navarre, comme mon subject qu'il est, pour empescher que cella, qui ne pourroit qu'aporter très grande incommodité à mon servisse, ne se fasse.
Vous debvés tenir, comme je m'asseure que sçavés très bien faire, cessy secret, que nul ne s'aperçoive que nous le sçachions, affin qu'ilz ne changent ou couvrent les menées et pratiques qu'ilz font en cella. J'en escris à Mr de Foix et l'advertis seullement de l'advis que j'en ay eu, et, me remettant à vos prudences et dilligences pour y pénétrer plus avant que ce que en avons sceu de deçà, je n'estendray ceste cy davantage que pour vous dire que, comme je mande au dict Sr de Foix, il fault aussi qu'il regarde ce qu'il en pourra apprendre de sa part, et s'en servir à propos en ce qu'il a à négocier par delà; vous remettant au demeurant mes aultres affaires; et priant Dieu, etc.
Escript à Chenonceau, le XXVe jour d'aoust 1571.
Par postille à la lettre précédente.
Monsieur de La Mothe Fénélon, il fault que vous dictes, quand on vous parlera du mariage de ma dicte sœur et du dict Prince de Navarre, qu'il est tout faict.
Ce XXVe jour d'aoust 1571.
CHARLES. PINART.
XCIV
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du Xe jour de septembre 1571.—
Réclamation du roi en faveur de Mr de Vérac, prisonnier en Écosse.—Négociation pour la pacification de ce pays.—Approbation donnée par le roi au projet d'associer le prince Jacques à la couronne.—Ordre transmis à l'ambassadeur de conduire cette négociation auprès de Marie Stuart.—Protestation du roi qu'il assistera toujours la reine d'Écosse; mais qu'il est hors d'état de soutenir une guerre contre l'Angleterre.—Charge donnée à l'ambassadeur de solliciter vivement la liberté de l'évêque de Ross et de se porter, en son absence, auprès d'Élisabeth, le représentant de Marie Stuart.—Désir du roi d'être tenu au courant des affaires d'Irlande.—Confirmation de l'avis sur le projet de mariage du prince de Navarre avec Élisabeth ou l'une de ses parentes.—Confidence faite par Cavagnes à la reine-mère d'une conférence qu'il a eue avec Walsingham, qui a mis en avant la proposition d'une ligue.
Monsieur de La Mothe Fénélon, en attendant l'arrivée du secrettaire du Sr de Foix, mon cousin, j'ay reveu toutes vos dernières dépesches qui sont du dernier de juillet, du Ve, IXe, XIIe et XIXe du passé[104], ayant avisé de vous y faire par ceste cy plus particullièrement responce que je n'ay faict en mes dernières. Je vous diray à présent que, ayant veu par deux dépesches que j'ay receues de Vérac, ces jours passés, qu'il n'est poinct encores en liberté, j'ay escript despuis bien expressément aux comtes de Lenox et de Morthon que, ayant cogneu, comme ilz ont, par les lettres et instructions que Vérac avoit de moy l'occasion de son voyage, qui estoit si bonne, je desirois qu'ilz le missent en liberté et luy laissassent continuer sa négotiation, comme j'espère qu'ils fairont, s'ilz ne l'ont faict desjà. J'escrivis aussy par mesme moyen à lair de Granges et au secrettaire Ledinthon, qui sont ensemble, comme sçavés, dedans le chasteau de Lislebourg, à ce qu'ilz persévérassent toujours en la bonne vollonté qu'ilz ont au servisse de ma sœur, leur souveraine; et qu'ilz se pouvoient asseurer qu'ilz auroient bientost de mes nouvelles, sans toutesfois leur faire aulcune expresse promesse de secours. Je leur ay faict tenir mes lettres par un vaisseau qui estoit arrivé à Dieppe, qui s'en retournoit promptement.
Quand à l'abstinence de guerre qui ne s'est peu encores accorder en Escosse, ce seroit un grand bien qu'ilz en peussent convenir bientost, affin de traicter des affaires de la Royne d'Escosse, mais il fault que ce soit en Angleterre et non pas envoyer faire ceste négotiation là sur les lieux, aux frontières d'Escosse: car, comme j'ay veu par voz dictes dépesches, et comme vous avés bien entendu par les advis en chiffre que ma dicte sœur, la Royne d'Escosse nous a donnés, il est bien croyable et certain que, si ma sœur, la Royne d'Angleterre, voulloit pratiquer le reste des Escossois qui tiennent le parti de la dicte Royne, ce luy en seroit, si la dicte négotiation se faisoit sur la frontière, une commodité, fort aisée.
Ayant bien considéré à ce propos ce que vous m'escrivés du moyen que le dict comte de Morthon a de remettre le païs d'Escosse en bonne pais, et de l'asseurance que vous avés qu'il seroit bien aisé à gaigner si ma dicte sœur, la Royne d'Escosse, voulloit se condescendre à ce que le petit Prince, son fils, demeurât coinjoinctement Roy avec elle, chose qui me semble n'est debvoir négliger et que ma dicte sœur, la Royne d'Escosse, peut et doibt desirer, voire honnestement procurer, estant ses affaires en si pauvre estat qu'elles sont, et se voyant si peu de ses subjectz fidelles, lesquelz, s'ilz viennent à considérer qu'il n'y a pas grande espérance de salut de ma dicte sœur, leur souvairenne, si ce n'est par un traité, se pourront aisément laisser aller à la partie la plus forte; considéré aussy ce que vous m'escrivés qu'il semble que les Anglois soyent comme à l'aguet, pour voir s'il sera temps de s'investir du tout du dict royaulme d'Escosse. A quoy n'est que trop sollicitée la Royne d'Angleterre par aulcuns mesmes du dict païs, ce que, pour le respect de l'alliance d'entre mon royaulme et celluy de l'Ecosse, et pour l'honneur que ma dicte sœur a d'avoir espousé le feu Roy François, mon frère, je ne pourrois souffrir avec ma réputation; aussy y veux je pourvoir autant qu'il me sera possible, pour évitter que cela n'advienne, et n'oublieray point de continuer la bonne assistance et ayde que j'ay tousjours faict à la Royne d'Escosse et au bien de ses affaires et bons subjectz. Mais, veu la dicte petite part qu'elle a à présent de ses subjectz à sa dévotion, considéré aussy l'estat de mes affaires, je ne veux pas, sans y penser, et soubz coulleur du secours et assistance que je luy veux bien vollontiers faire, me voir embarquer à la guerre avec la Royne d'Angleterre.
Je suis d'advis et vous prie de regarder de faire proposer secrettement à la Royne d'Escosse l'estat où elle est de sa personne et de ses affaires et subjects, sans toutesfois luy démonstrer aulcunement que je me veuille porter froidement en son endroict; car je veux tousjours faire pour elle et ses dictz bons subjectz ce qu'il me sera possible, toutesfois considérément et comme mes affaires le pourront permettre; et faictes sentir secrettement d'elle, mais que ce soit de telle façon qu'elle ne puisse aucunement doubter de la bonne vollonté que je luy porte et à la prospérité de ses affaires, si elle voudroit bien accorder que le dict Prince, son filz, demeurât Roy conjoinctement avec elle; et, si elle le consent, qui est, ce me semble, le moins mal qu'elle puisse à présent faire, vous pourrés procéder plus hardiment, Mr de Foix et vous, pour la comprendre et son filz avec les dictz Escossois en la bonne et droicte ligue défensive que j'espère qui se faira entre la Royne d'Angleterre et moy; de laquelle il ne se fault aulcunement descouvrir à ma dicte sœur, la Royne d'Escosse, ni à pas un des siens; vous priant, en luy faisant faire ceste ouverture, sçavoir aussy si elle trouvera bon que la pratique s'en fasse avec le dict comte de Morthon, et, sans perdre temps, donner ordre de sçavoir, sans faire semblant de rien, en quelle vollonté sera icelluy de Morthon d'y condescendre; à quoy pourra servir le mauvais mesnage où le comte de Lenox et luy sont, ainsi que m'escrivés. Mais, pour ce qu'il sembleroit que l'on avouast par là le tiltre de Roy, cy devant baillé au dict Prince d'Escosse, et la déposition de la dicte Royne, sa mère, il faudra se conduire en cecy comme vous sçaurés très bien faire, le dict Sr de Foix et vous, que l'on n'en puisse tirer de mauvaise conséquence au désadvantage de ma dicte sœur, la Royne d'Escosse.
Cependant il ne sera que bon de faire ce que l'on pourra pour augmenter la jalousie qui est desjà commencée entre les comtes de Lenox et de Morthon, et memes les diviser du tout, qui pourra s'en prévaloir pour le bien de mon servisse et de celluy de ma dicte sœur, la Royne d'Escosse; et par mesme moyen, faire que ceux de la partie neutre, qui font quelque démonstration d'incliner et se voulloir joindre à ceux du party du dict Prince d'Escosse, les attirer par tous moyens à soustenir et embrasser la cause de leur souveraine.
J'ay veu aussy ce que m'escrivés pour la restitution de l'évesque de Ross, et, puisque la dicte Royne d'Angleterre faict encores difficulté de le faire mettre en liberté, je vous prie continuer de faire encores pour luy tous les bons offices qu'il vous sera possible, affin qu'il puisse estre dellivré, suyvant la requeste que j'en ay faicte à la dicte Royne d'Angleterre. Et, s'il ne se peut obtenir d'elle que le dict évesque de Ross continue auprès d'elle sa charge d'ambassadeur de ma dicte sœur, la Royne d'Escosse, au moins que ce soit à la charge qu'il se retirera d'Angleterre où bon luy semblera, sans toutesfois que l'instance qu'en faictes puisse altérer la dicte Royne d'Angleterre; estant bien d'advis que vous embrassiés et preniés tousjours, en mon nom, comme vous avés fort bien faict jusques icy, les affaires de ma dicte sœur, la Royne d'Escosse, et luy escrire, et elle à vous, librement, affin que vous puissiés avoir une bonne intelligence ensemble pour l'assister au maniement de ses dictz affaires. Mais, si me semble, il est nécessaire qu'elle ait quelqu'un qui ait la mesme charge que faisoit le dict évesque de Ross, car, si vous la preniés absolument, il pourroit advenir que, quelque dilligence que y fissiés, elle ne s'en trouverait peust estre pas entièrement satisfaicte, et si, cella pourroit encore apporter jalousie à la dicte Royne d'Angleterre, recullement à mes affaires et aux siens. Et moyennes aussy doucement envers icelle Royne d'Angleterre, qu'elle accorde et face expédier un passeport à l'archevesque de Glasco pour aller rendre compte à sa maistresse de ses affaires de deçà, mesmement pour le faict du revenu de son douaire, ainsy que je l'ay cy devant requise, et que je luy escris encores présentement.
Quand aux aultres advis contenus, en voz dictes dépesches, ce m'a esté bien grand plaisir de les voir, et vous prie continuer à me tenir adverty de toutes choses qui surviendront par delà, spéciallement du costé d'Irlande.
Au demeurant, pour venir à ce que je vous ay, ces jours passés, escript par la dépesche que vostre secrettaire vous a portée, vous avés veu par icelle l'advis que j'ay de la menée qui se faict secrettement pour le mariage de la Royne d'Angleterre et du Prince de Navarre, ou, si la dicte Royne demeuroit en opinion de ne se marier jamais, comme l'on dict qu'elle a résollu il y a longtemps, luy proposer de voulloir donner au dict Prince une sienne niepce. J'ay despuis eu encores confirmation des dictz advis; aussy est ce le plus grand honneur qu'il sçauroit recevoir, toutesfois il sera bon que vous mettiés tousjours peyne de sentir et descouvrir, par delà, s'ilz auroient eu et ont quelques desseins au contraire pour m'en advertir.
Ne voullant pas, à ce propos, oublier à vous dire que, despuis trois jours, Cavaignes, qui est ici ordinairement à ma suitte pour les affaires de ceux de la religion, feust entrettenir la Royne, Madame ma mère, à l'yssue de son disner, luy faisant entendre qu'il avoit veu le Sr de Walsingam qui luy avoit discouru comme aulcuns seigneurs, qui sont auprès d'icelle Royne d'Angleterre, qui desiroient le mariage d'elle et de mon frère, le Duc d'Anjou, se voyoient en extrême peyne pour ce que le dict mariage tiroit à la longue; et cependant que le duc d'Alve avoit si bien conduict les affaires que le Roy d'Espaigne, son Maistre, a en Angleterre pour le faict des prinses des marchandises et aultres choses dont ilz estoient en débat, que la dicte Royne d'Angleterre et les ministres d'icelluy Roy d'Espaigne en estoient quasy d'accord et prestz à traicter non seulement pour ce faict, mais de passer beaucoup plus avant affin de remettre et asseurer l'amitié d'entre le Roy et icelle Royne, et par ce moyen altérer, s'ilz peuvent, la bonne correspondance et amitié qui est entre elle et moy. Et se laissa le dict Walsingam, par le discours du dict Cavaignes, clairement entendre que les dictz seigneurs qui me sont bien affectionnés auprès de la Royne d'Angleterre, et qui desirent qu'elle et moy continuions en la bonne amitié et affection que nous nous portons, et l'intelligence qu'avons ensemble, seroient bien d'advis et desireroient grandement, pour la fortifier et augmenter davantage, et pour le bien d'eux mesmes, que, ne se faisant poinct le mariage d'icelle Royne avec mon dict frère, il se fît une bonne et parfaicte ligue entre moy, la dicte Royne et le Prince d'Escosse, qu'ilz appellent à présent Roy, et avec la nation escossoise, qui seroit seullement, pour le regard des dictz Escossois, renouveller les traictés d'entre moy et eux, sans parler en cella de la Royne d'Escosse, ma sœur: qui a faict incontinent penser à ma dicte Dame, Mère, et à moy comme je croy que vous fairés de vostre part, qu'ilz voudroient bien du tout establir l'authorité du dict Prince et de ceux qui le gouvernent en Escosse. Et semble aussy par là que le dict Sr de Walsingam ait descouvert, ici, avant le parlement du dict Sr de Foix, l'occasion de son voyage, et que cella luy a faict ouvrir ce propos des conditions que sa Maistresse desire en la dicte ligue, en laquelle je ne voudrois pas oublier de comprendre ma dicte sœur, la Royne d'Escosse, s'il estoit parlé des Escossois; comme aussy ne seroit il pas honneste à moy d'en faire aultrement, pour les considérations cy devant déclarées.
Ma dicte Dame et Mère donna fort paisible audiance au dict Cavaignes, en luy faisant ce discours, dont j'ay bien vouleu vous advertir pour servir en vostre négociation, affin aussy que vous regardiés de prendre et voir clair en cessi, y allant toutesfois rettenu et comme vous pouvés assés considérer qu'il est requis en cest affaire, affin que les choses se fassent à ma réputation et advantage le plus qu'il sera possible; priant Dieu, etc.
Escript à Blois, le Xe jour de septembre 1571.
CHARLES. PINART.
XCV
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du XXVIIe jour de septembre 1571.—
Retour de Mr de Foix.—Audience accordée par le roi à Walsingham.—Résultat de la mission de Mr de Foix sur la négociation du mariage.—Désir que Burleigh soit désigné par Élisabeth pour passer en France.—Approbation de la déclaration faite par l'ambassadeur en faveur du duc de Norfolk au sujet de l'argent destiné pour Marie Stuart, qui forme l'un des chefs d'accusation contre lui.—Refus du roi d'écrire à Élisabeth en faveur du duc dans la crainte de lui nuire.—Nécessité de suivre les instructions précédemment transmises sur l'Écosse.
Monsieur de La Mothe Fénélon, mon cousin, le Sr de Foix, est arrivé devers moy despuis cinq ou six jours en ça, duquel j'ay bien particullièrement entendu comme toutes choses se sont passées, par delà, en la négociation que vous et luy avez eu à manier avec la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur, dont je demeure infiniment content et satisfaict de la grande dextérité avec laquelle vous vous y estes tous deux comportés.
Sur quoy, ayant faict venir devers moy le Sr de Walsingham, sabmedy dernier, la première chose que je luy ay dicte, ç'a esté que je remerciois, de toute la plus grande affection qu'il m'estoit possible, ma dicte bonne sœur du bon accueil et honnorable traictement que mon dict cousin m'avoit asseuré avoir receu d'elle en son voyage, duquel je luy sçavois aultant de gré et en recevois le mesme contentement que s'il eust esté faict à moy mesme. Puis je suis venu à luy dire que, à ce que j'avois peu cognoistre, les demandes raisonnables que je faisois pour mon dict frère, touchant le faict de l'exercisse de sa religion, n'avoient esté receues de ma dicte bonne sœur ainsi que j'espérois, encores qu'il me semblast qu'elles estoient assés tolérables, veu que mon dict frère ne voulloit rechercher, en façon du monde, qu'il feust rien changé au royaulme d'Angleterre au faict de la religion qui est à présent establie, mais seulement qu'il luy feust permis, pour servir à sa conscience, d'avoir l'exercisse libre de sa dicte religion pour luy et sa famille; dont mon dict cousin auroit mis en avant que mon dict frère se contenteroit qu'il luy feust donné asseurance, par une simple lettre missive de ma dicte bonne sœur, que, faisant le dict exercisse, ilz ne recevroient aulcun dommage; à quoy voyant qu'elle estoit bien loin de condescendre, mesmes par le propos que milord Burgley dict à mon dict cousin que ma dicte sœur ne pourrait permettre que mon dict frère peût faire dire la messe au dict Angleterre, il me sembloit que c'estoit une occasion qu'elle voulloit prendre pour se despartir de la négotiation du dict mariage; et toutesfois, d'autant que j'avois trouvé quelque obscurité en ses responces, j'attandois à y assoir plus certain jugement jusques à l'arrivée d'icelluy de ses conseillers que mon dict cousin m'a dict qu'elle délibéroit envoyer par deçà, lequel je l'asseurois qu'il seroit le très bien venu, et entendrois fort vollontiers de luy toutes choses concernant ce faict, pour en demeurer davantage esclerci.
Qui est le sommaire des propos que j'ay eus avec le dict Sr de Walsingam qu'il a faict contenance de bien recevoir, les vous ayant voullu aussy brièvement discourir, affin que vous teniés un mesme langage à ma dicte bonne sœur, et puissiés juger si ce qu'il en mandera par delà s'y trouvera conforme; vous voullant bien dire là dessus que je desire infiniment l'acheminement de celluy des dictz conseillers que doibt envoyer ma dicte bonne sœur, avec lequel j'espère traicter de toutz ces affaires fort commodément, et mesme de ce qui se pourra mettre en avant, non seullement pour l'assurance de la continuitté de nostre commune bonne amitié et intelligence, mais aussy pour l'accroistre et augmenter en tout ce qui sera possible. Et partant je vous prie, Monsieur de La Mothe Fénélon, d'avancer dextrement, aultant que vous pourrés, l'envoy du dict conseiller, et si ceste charge s'adressoit au dict milord Burgley, j'en serois d'aultant plus aise que je sçay qu'il est personnage duquel ma dicte bonne sœur a grande confience.
Au demeurant, Monsieur de La Mothe Fénélon, je vous ay faict une bien ample dépesche, du Xe de ce moys, par laquelle je pense vous avoir esclercy de toutz les poinctz dont vous desirés avoir lumière de moy; despuis laquelle j'ay receu voz deux dépesches du VIIe et XIIe de ce moys[105], sur lesquelles il ne m'eschet à vous dire aultre chose sinon, quant à celle du dict VIIe, que je trouve fort bon ce que vous avés dict librement à ceux du conseil de delà, touchant les deux mille escus que avés envoyés en Escosse à Vérac par le moyen du secrettaire du duc de Norfolk, ce qu'ilz n'ont occasion de trouver mauvais, quand ilz y auront bien pensé. Mais d'escrire à ma dicte bonne sœur en faveur du dict duc, pour modérer la recerche que l'on luy veut faire de sa vye, à cause de ce que son secrettaire a voullu moyenner l'envoy des dictz deux mille escus, de quoy vous pensés qu'il n'a rien sceu en façon du monde, c'est chose qu'il ne me semble aulcunement à propos de faire pour ceste heure, pour estimer que cella luy porteroit plus de domage que de profit; estant toutesfois résolu, si j'entendois cy après qu'il feust pressé et poursuivy de sa vie pour ce faict, d'employer tout ce que je puis avoir de faveur et crédit envers ma dicte bonne sœur, pour le garder de tomber en inconvénient; ne faisant poinct de doubte que la Royne d'Escosse, ma belle sœur, n'en souffre de son costé. Ce que je conjecture mesmement parce que vous a mandé le dict milord Burgley, que sa Maistresse ne vouloit plus souffrir que aulcun demeurât par delà pour la dicte Royne d'Escosse; et néantmoins je desire que, pour cella, vous ne laissiés à la requérir doucement d'accorder à l'archevesque de Glasco le passeport dont je vous ay escript cy devant pour aller rendre compte à sa Maistresse de ses affaires de deçà.
J'ay veu ce que me mandés de l'escarmouche qui est passée en Escosse entre ceux de Lislebourg et du Petit Lict, ne voyant rien en toutes ces choses ainsi advenues, et mesmes en l'accord que les comtes d'Arguil, de Casseilles, d'Eglinthon et milord Boit ont faict avec le comte de Morthon qui ne me fasse desirer que vous suiviés ce que je vous ay escript par ma susdicte dépesche du Xe, pour accommoder en Escosse les affaires de ma dicte belle sœur. Sur lesquels je pourray prendre encores, cy après, plus certaine résollution, à l'arrivée de ce conseiller qui me viendra de la part de ma dicte bonne sœur, attandant lequel, quand vous tiendrés les choses en quelque estat, ce ne sera que bien faict, car j'espère me servir grandement de la venue du dict conseiller à accommoder les dictz affaires d'icelle ma belle sœur; priant Dieu, etc.
Escript à Blois, le XXVIIe jour de septembre 1571.
Ainsi que je voullois signer ceste lettre, j'ay receu vostre dépesche du XVIe de ce moys[106], par laquelle j'ay veu, ensemble par les advis et coppies des lettres qui estoient encloses avec la dicte dépesche, ce qui est advenu en l'entreprinse que ceux de Lislebourg avoient faicte sur Esterling, où il se trouve pour conclusion que le comte de Lenox a esté tué[107], vous advisant que je regarderay cy après à prendre une bonne résollution sur les affaires de ma dicte belle sœur, laquelle j'ay grand regret de voir ainsi travaillée que le tesmoignent les lettres qu'elle vous a escript.
Ce XXVIIe jour de septembre 1571.
CHARLES. BRULART.
XCVI
LA ROYNE MÈRE A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du XXVIIe jour de septembre 1571.—
Opinion de Catherine de Médicis que le projet de marier le prince de Navarre en Angleterre est abandonné, et que son mariage avec Madame sera prochainement conclu.—Satisfaction qu'elle éprouve de la conduite de Coligni, et du dévouement qu'il montre pour le service du roi.
Monsieur de La Mothe Fénélon, je n'adjousteray aultre chose à la lettre que le Roy, Monsieur mon filz, vous escript, que pour vous dire seullement, quand à ce que m'escrivés par vostre lettre du XIIe, «que vous ne vous pouvès poinct apercevoir qu'il se tienne aulcun propos, par delà, de mariage de ma dicte bonne sœur, aultre que celluy qui est ouvertement en termes», je croy que la chose se trouvera ainsi; car, du costé dont nous avons quelque doubte, je tiens les choses tant avancées, pour le regard du mariage de ma fille, que, quand l'on y auroit pensé cy devant, cella seroit à ceste heure délaissé, vous voullant bien dire que, tant s'en fault qu'il y ait nouvelle conspiration de ceux de la Rochelle avec ceux du prince d'Orange pour courir sus aux subjects du Roy, Monsieur mon filz, qu'au contraire mon cousin l'Admiral est, ici, avec nous, qui ne desire rien plus que d'ayder en tout ce qu'il peust à empescher les pyrateries qui se font en la mer par meschantes gens qui n'ont aulcun adveu de ceux de la dicte Rochelle, comme aussy à s'employer en toutes aultres choses concernant le bien du servisse du Roy, Mon dict Sieur et filz, comme son fidelle subject. Sur ce, etc.
Escript à Blois, le XXVIIe jour de septembre 1571.
CATERINE. BRULART.
XCVII
LA ROYNE MÈRE A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du XXVIIIe jour de septembre 1571.—
Conférence de Catherine de Médicis avec Walsingham.—Plainte de Walsingham au sujet de l'argent que La Mothe Fénélon aurait remis au secrétaire du duc de Norfolk.—Connaissance qu'il donne à la reine des intrigues de Marie Stuart avec le roi d'Espagne.—Protestation de la reine que la Mothe Fénélon n'a pu donner aucune occasion de plainte.—Déclaration que le duc d'Anjou ne saurait consentir au mariage, si le libre exercice de sa religion ne lui est pas accordé.—Crainte que cette négociation ne soit rompue.—Désir qu'elle puisse être renouée pour le duc d'Alençon.
Monsieur de La Mothe Fénélon, le Sr de Walsingam m'est venu trouver ceste après disnée, qui a commencé son propos par me dire qu'il voulloit parler à moy, non comme ambassadeur, mais comme personne privée, et me dire que, encores qu'il sçache que l'intention du Roy, Monsieur mon filz, et la mienne ne soit aultre que d'entrettenir la bonne amitié et intelligence qui est entre sa Maistresse et ce royaulme, si est ce qu'il semble que, en quelque sorte, on la veuille altérer, s'estant trouvé, despuis quelque temps, en çà, que vous, qui vous estiés tousjours cy devant comporté fort dignement en vostre charge, et n'aviés faict que tous bons offices, avés mis entre les mains du secrettaire du duc de Norfolk quelque argent pour servir à ceux qui pourchassent mauvaises pratiques par delà contre sa Maistresse; disant que, parmi les papiers du dict secrettaire du dict duc, il s'estoit trouvé plusieurs choses de grande conséquence qui se traictoient entre luy et la Royne d'Escosse, ma belle fille, contre sa dicte Maistresse, mesmes des lettres que ma dicte belle fille escrivoit au dict duc, par lesquelles elle luy mandoit que, voyant bien que, réheussissant le faict du mariage qui se traictoit entre mon filz le Duc d'Anjou et sa dicte Maistresse, l'affection qu'on luy avoit portée du costé de deçà se pourroit refroidir grandement, et elle seroit quasi contrainte se mettre entre les bras du Roy Catholique, mon beau fils, qui la faisoit recercher pour la marier avec don Joan d'Austria, luy faisant aussy promesse de faire, par mesme moyen, le mariage de son filz avec l'une de mes petites filles; qui estoient offres, à quoy elle le prioit de l'excuser, si elle se disposoit d'entendre en la nécessité où elle se voyoit aujourdhuy réduicte, encores qu'elle luy eût tousjours une bonne affection, ainsy qu'elle le luy avoit promis.
Sur quoy je luy ay respondu, quand au premier poinct, que je vous tenois pour un honneste gentilhomme, digne ministre de son Maistre, et que je ne pense avoir faict chose, de par delà, dont vous ne respondiés tousjours au Roy, Mon dict Sieur et filz, et de laquelle ma dicte bonne sœur ait occasion d'estre mescontente; mais, quand à l'argent dont il me parloit, qui estoit deux mille escus, comme je pensois, que je sçavois bien que l'ambassadeur d'Escosse avoit remonstré quelquefois au Roy, Mon dict Sieur et filz, que sa Maistresse estoit en nécessité d'argent par delà, et qu'il n'y avoit aultre voye d'en faire tenir que par vous, à qui nous n'avons jamais trouvé mauvais qu'il s'addressât pour faire tenir de l'argent pour les affaires de ma dicte belle fille; et quand il l'auroit faict pour le regard des dictz deux mille escus, et que vous auriés essayé de les faire tenir en Escosse par le moyen du dict secrettaire, nous ne le pouvons avoir désagréable, veu la bonne intelligence que, de tout temps, ce royaulme a avec les Escossois, et mesmes l'estroicte alliance que la dicte Royne d'Escosse a eu ce royaulme: qui nous a tousjours faict penser que ma dicte bonne sœur ne pourroit prendre en mauvaise part que nous l'aydassions en ces affaires, en chose mesmement où il ne lui pourroit estre faict aulcun préjudice; de sorte que, soit que vous eussiés essayé de faire tenir les dictz deux mille escus en Escosse par le moyen du dict secrettaire, pour les gens de ma dicte belle fille, ou que ce feust pour l'agent du Roy, Mon dict Sieur et filz, qui est par delà, dont je m'informerois mieux cy après, il me sembloit que ma dicte bonne sœur n'avoit poinct occasion de s'en fascher ni malcontenter en façon du monde.
A quoy le dict Sr de Walsingam m'ayant répliqué que l'on sçavoit assés la vie estrange que avoit menée ma dicte belle fille, qui estoit odieuse à un chascun, et qu'elle ne méritoit que nous en eussions un si grand soin; je luy ay respondu que je sçavois bien que le plus souvant l'on disoit d'une pauvre princesse affligée, comme est ma dicte belle fille, pleusieurs choses qui ne se trouvent quelque fois pour la pluspart véritables; mais que le Roy, Monsieur mon fils, ne pouvoit, pour son honneur, qu'il ne luy aydât à accommoder ses affaires en son païs; qui est une office que ma dicte bonne sœur ne pourroit trouver mauvaise, pour estre convenable à l'alliance que ceste couronne a de tout temps et ancienneté avec les Escossois, et le lieu qu'elle a tenu en ce dict royaulme, n'ayant vollonté toutesfois de rien faire en cella que avec le respect de l'amitié et bonne intelligence que nous avons avec ma dicte, bonne sœur; à laquelle nous ne voudrions en rien contrevenir, mais faire toutes choses qui la pourroient plustot augmenter et acroistre en ce qui nous seroit possible.
Sur quoy je vous diray que nous vous prions continuer à vous gouverner en ces affaires de telle façon que, maintenant que la négotiation du mariage de mon filz d'Anjou n'est aux termes qu'il estoit il y a quelque temps, ma dicte bonne sœur ne juge, par les instances que vous luy fairés, que nostre amitié soit en quelque sorte diminuée en son endroict.
Oultre tout ce que dessus, le dict Sr de Walsingam m'a dict que sa Maistresse avoit plus de desir de se marier que jamais, mais qu'il sembloit que, de ce costé, l'on en feust réfroidi; bien sçavoit elle que le Roy, Monsieur mon filz, et moy le desirions infiniment, mais que mon filz, le Duc d'Anjou, n'y avoit trop de vollonté, ce qu'il me prioit de sçavoir de luy.
A quoy je luy ay respondu que mon dict filz n'estoit pas si mal advizé qu'il ne recogneût bien que c'estoit le plus digne parti qui se puisse offrir pour sa grandeur; et que, quand ma dicte bonne sœur s'accomoderoit aux choses raisonnables que nous desirons d'elle, qui est la permission de pouvoir librement exercer sa religion avec sa famille, sellon que sa conscience le luy commande, que j'estimois qu'il ne s'y trouveroit poinct de difficulté; mais que, estant mon dict fils tant amateur de sa religion comme il est, ainsi que le dict Sr de Walsingam le pourroit assés cognoistre, quand soigneusement il s'en voudra enquérir, je ne pensois pas que, pour quelque grand avantage et grandeur que luy peust estre proposée en ce monde, il soit jamais pour condescendre à aulcun parti, si l'exercisse public de sa dicte religion ne luy demeure libre pour luy et tous les siens.
Et m'ayant là dessus respondu le dict Sr de Walsingam qu'il pensoit que ce seroit chose fort difficile, et qui ne se pourroit faire; je luy ay dict que je m'estois assez enquise de la vollonté de mon dict filz, mais que, le cognoissant comme je fais, je sçavois bien qu'il avoit tant de révérence à sa religion que, pour devenir le plus grand monarque du monde, il ne voudroit perdre à la pouvoir exercer publiquement avec tous les siens en telle liberté que sa conscience le luy commande, et pour rien du monde se mettre en danger d'y estre aucunement empesché soubz quelque petite permission que luy en pourroit faire ma dicte bonne sœur, à laquelle je m'asseurois qu'il n'avoit aultre vollonté, toute sa vie, que de faire servisse, se sentant luy estre obligé.
Vous ayant voulleu faire ce discours de tous ces propos que j'ay eu avec le dict Sr de Walsingam, affin que, en donnant advis à sa Maistresse, vous en soyés, de vostre part, informé, et en parliés ce mesme langage; réservant toutesfois à luy dire rien de ce dernier poinct, contenant la vollonté de mon dict filz, si elle ne vient à vous en parler la première; auquel propos vous luy pourrés dire davantage que, par là, elle peust cognoistre qu'il ne tient de nostre costé que les choses n'ayent esté conduittes à l'effaict que nous avons tant désiré. Et si, là dessus, pour luy faire mieux cognoistre combien nous avons envie de contracter alliance avec elle, et nous asseurer de son amitié, vous luy mettiés en avant mon filz le Duc d'Alançon, pour entrer en ceste place, lequel ne se randroit pas si scrupuleux au faict de sa dicte religion que faict mon dict filz, le Duc d'Anjou, j'estime que cella ne viendroit pas mal à propos. Toutesfois c'est chose que je remets à vostre jugement pour en faire selon ce que vous estimerés, voyant l'estat présent des choses s'en debvoir faire pour le mieux, ou bien s'il sera meilleur d'attandre à en faire l'ouverture au milord que doibt envoyer par deçà ma dicte bonne sœur.
Vous adjousterés à ce que dessus que nous sommes bien marris que nous n'avons une aultre personne, semblable à mon dict filz d'Anjou, pour la luy offrir; mais qu'il n'y a pas grande différence entre luy et mon dict filz d'Alençon, qui l'aprosche d'aage d'un an, estant toutesfois, selon que je vous mande, et que vous jugerés estre pour le mieux. Et sur ce, etc.
Escript à Blois, le XXVIIIe jour de septembre 1571.
CATERINE. BRULART.
XCVIII
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du VIIe jour d'octobre 1571.—
Affaires d'Écosse.—Conférence de l'archevêque de Glascow avec Catherine de Médicis.—Vives sollicitations de sa part pour obtenir en faveur de Marie Stuart des secours d'hommes et d'argent.—Impossibilité où se trouve le roi d'envoyer un secours d'hommes.—Consentement donné à l'envoi d'un secours d'argent.—Instances que doit faire l'ambassadeur auprès d'Élisabeth pour Marie Stuart.
Monsieur de La Mothe Fénélon, vous aurés entendu par la lettre que vous a escript la Royne, Madame ma mère, du XXVIIIe du passé, le propos qu'elle et le Sr de Walsingam ont eu ensemble, mesmes touchant le faict de la Royne d'Escosse, ma belle sœur, que je touche seullement d'aultant que la présente que je vous fais ne regarde que ce qui concerne ma dicte belle sœur; de laquelle je vous diray que l'ambassadeur vint avant hier trouver ma dicte Dame et Mère, et amena avec luy le Sr de Flamy, luy faisant entendre, que sa Maistresse luy avoit mandé de s'en aller en Escosse pour essayer à regaigner ce qu'il y avoit perdu, et aussy pour luy faire servisse et s'employer à reconquérir les choses qui avoient esté usurpées par ses subjects rebelles; mais que, auparavant son partement, il l'avoit chargé de sçavoir quel secours de gens et d'argent il me plairroit de donner à ma dicte belle sœur, en la nécessité où ses affaires estoient à présent réduicts en son royaulme, lesquelz avoient plus de besoin du dict secours que jamais; d'aultant que, d'un costé, il semble que la Royne d'Angleterre veuille y envoyer gens de guerre pour favoriser ses dicts subjectz rebelles, et, d'aultre part, tant s'en fault que la mort du comte de Lenox, naguières advenue, ait apporté un meilleur succès en ses dicts affaires que, au contraire, les Amilthons qui, de son vivant et pour la hayne mortelle qu'ilz avoient contre luy, favorisoient le parti de ma dicte belle sœur, commencent à s'accorder avec les aultres qui sont demeurés après le décès du dict comte de Lenox; de sorte que, sans le dict secours, elle ne voyoit pas que ses dictz affaires ne feussene; que pour se porter fort mal.
Sur quoy ma dicte Dame et Mère les a remis à sçavoir ma vollonté en cest endroict pour après la leur faire entendre; laquelle, je vous veux bien dire, sera telle que je ne me délibère, en façon du monde, de luy promettre d'envoyer gens de par delà, car, si je le faisois, cela tomberoit plus à son désadvantage que à son profit, d'aultant que, n'y en pouvant envoyer que bien petit nombre, à cause du traject de mer, c'est une chose toute asseurée que, quand je l'aurois faict, la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur, ne manqueroit d'y en envoyer, de sa part, un bien plus grand nombre, comme il luy est assés aisé et qu'elle a grande commodité de le pouvoir faire; si bien que, au lieu d'esteindre ce feu de guerre, qui est de delà, ce seroit l'allumer et augmenter davantage, mais, quand à l'argent, estant un secours qui se peut mieux couvrir, je regarderay de luy en faire bailler quelque somme.
Qui est tout ce qu'il me semble que je pourray mieux faire de ce costé pour ma dicte belle sœur, de laquelle je desire que vous favorisiés tousjours par delà les affaires aultant qu'il vous sera possible, et que, à ceste fin, vous dictes, de ma part, à ma dicte bonne sœur que, ayant entendu qu'elle estoit en quelque vollonté d'envoyer des gens de guerre au dict Escosse, je la veux bien prier, au nom de nostre commune amitié, de s'en voulloir desporter, et de ne rien faire au domage des affaires de ma dicte belle sœur, comme seroit l'envoy des dicts gens de guerre; car, si elle le faisoit, je serois contrainct et ne me pourrois honnestement garder d'y envoyer aussy, de mon costé, pour les anciennes alliances qui sont entre mon royaulme et celluy d'Escosse, et mesmes pour l'estroicte et particulière que a avec moy ma dicte belle sœur, ayant esté femme de mon frère ayné.
Et, ce faisant, vous la pourriés asseurer que le plus grand desplaisir que je sçaurois recevoir en ce monde, ce seroit d'en venir là, car, tant s'en fault que je veuille entrer en chose qui puisse aulcunement altérer et amoindrir nostre commune bonne amitié et intelligence que, au contraire, je ne desire rien plus que embrasser tout ce qui la peut augmenter, en quoy j'espère qu'il me sera correspondu de son costé; vous priant de luy faire entendre ces choses le plus doucement que vous pourrés, affin que, sans l'aigrir, vous puissiés, s'il est possible, destourner la vollonté qu'elle pourroit avoir d'envoyer gens au dict Escosse, ou faire révoquer ceux qui, possible, se seroient jà acheminés, ainsi que par vostre dépesche du XXVIe du passé[108] vous me mandiés que l'on pensoit qu'elle le deubt faire; vous voulant bien dire sur icelle dépesche, que j'ay trouvé la lettre, que vous avés escripte au milord Burgley, fort sage, et que vous n'eussiés sceu mieulx faire, voyant l'aigreur et mauvaise vollonté en laquelle ma dicte bonne sœur estoit envers la dicte Royne d'Escosse, sellon ce que vous en a faict sçavoir le dict Burgley, que de ne vous avancer poinct davantage pour parler des choses contenues en ma dépesche du Xe. Toutesfois vous avez bien cogneu par les propos que ma dicte Dame et Mère a eus des affaires d'Escosse avec le Sr de Walsingam comme nous ne luy avons donné à cognoistre, en façon du monde, que nous tenions les dictz affaires en peu de compte, si bien que ma dicte bonne sœur ne pourra estre confortée de l'opinion que le comte de Lestre vous a dict qu'elle avoit, qu'il sembloit que vous fissiés en l'instance des dictz affaires plus qu'il ne vous estoit commandé, et penchassiés aulcunement du costé de la maison de Guise; n'ayant rien à vous dire davantage sinon de prier Dieu, etc.
Escript à Bloys, le VIIe jour d'octobre 1571.
CHARLES. BRULART.
XCIX
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du XXe jour d'octobre 1571.—
Affaires d'Écosse.—Audience accordée à l'archevêque de Glascow.—Supplications de l'archevêque afin d'obtenir pour Marie Stuart le secours du roi.—Déclaration faite par le roi à Walsingham qu'il désire savoir quelle conduite la reine d'Angleterre veut tenir à l'égard de Marie Stuart.—Résolution du roi d'autoriser le sieur de Flemy à préparer en Bretagne ou Normandie une expédition pour l'Écosse.—Satisfaction du roi d'apprendre qu'Élisabeth a suspendu ses préparatifs contre ce pays pour traiter de la ligue.—Avis sur les projets des Espagnols contre l'Écosse.—Contentement qu'éprouve le roi de la conduite de l'Amiral.—Approbation de la déclaration faite par l'ambassadeur qu'Edimbourg est placé sous la protection du roi.
Monsieur de La Mothe Fénélon, despuis la dernière dépesche que je vous ay faicte, qui a esté du VIIe du présent, l'archevesque de Glasco a eu une audience de moy, avec le Sr de Leviston, qui m'a baillé des lettres de la Royne d'Escosse, ma belle sœur, et faict entendre bien amplement le misérable estat auquel elle est aujourdhuy réduitte, tant pour sa personne que l'on pourchasse à faire mourir, que pour ses affaires d'Escosse: qui est conforme à ce que m'en avés escript par vos dépesches du dernier du passé et VIe du présent[109], et mesmes, à ce que j'ay peu voir par les coppies des lettres que ma dicte belle sœur vous a escriptes, me requérant de nouveau de faire ouverte démonstration que je suis dellibéré d'entrettenir l'alliance de ceste couronne avec le royaulme d'Escosse, prendre elle, son fils et son royaulme, en ma protection, et de faire garder les promesses que la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur, luy a cy devant faictes de la mettre en liberté; à toutes lesquelles choses je leur promis lors d'aviser.
Et partant, y ayant pensé; un ou deux jours après, j'ay faict venir devers moy le Sr de Walsingam, lequel j'ay prié de remonstrer à sa Maistresse, de ma part, comme elle sçait bien que, jusques icy, je ne me suis poinct entremis des affaires d'Escosse que comme ami commun, desireux de voir ce royaulme là en bonne pacification, pour le respect que j'ay vouleu porter à la conservation de la bonne amitié et intelligence que j'ay avec elle, sans rien attanter de ce costé là dont elle se peût sentir offencée, l'ayant tousjours requise de faire traictement à ma dicte, belle sœur digne d'une Royne et souveraine princesse telle qu'elle est; et entendant que, au contraire de ce, elle use aujourdhuy envers elle de toutes les rigeurs du monde, et mesmes qu'elle veut envoyer gens de guerre en Escosse pour la faveur de ceux qui tiennent son parti contraire, je ne pouvois trouver toutes ces choses que bien fort indignes, et pour moy malaisées à supporter à cause de l'estroitte alliance et amitié que j'ay avec ma dicte belle sœur et le royaulme d'Escosse, laquelle ne me permettroit jamais, en servant à mon honneur et réputation, de la délaisser en ces besoings; et partant je desirerois que ma dicte bonne sœur s'en voullût esclaircir avec moy pour sçavoir à quoy je m'en doibs tenir et ce que je puis attendre de ses déportementz envers ma dicte belle sœur: chose que je ne fais poinct de doubte qu'il ne mande par delà; qui est cause que j'ay voulleu vous en donner ce mot d'advis affin que vous en parliés à ma dicte bonne sœur au mesme langage, en entrant en propos avec vous.
Or, pour tout cella, m'estant bien au vray représenté le besoin du secours que ont ceux de Lislebourg, tant par ce que le dict Leviston m'en a dict, que ce que j'ay veu par voz précédentes, je n'ay voullu attandre à leur donner quelque ayde, ayant eu agréable que le sieur de Flamy passât au dict Escosse quelques deux ou trois cens soldats qu'il m'a dict qu'il mettroit ensemble, et ordonné luy estre baillés dix mille livres et des vaisseaux, navires et mariniers pour charger les dictz soldatz en mes ports de Bretaigne ou de Normandie, ainsi qu'il trouvera plus à propos, ensemble deux pièces d'artillerie de campagne avec des boulés, et munitions qui ne seront marquées de mes armories, sans que l'on donne aulcunement à cognoistre que ce soit chose dont je me mesle en façon du monde; qui sera un assés bon rafreschissement, s'il peut arriver par delà à temps, et avant qu'il ait esté faict aulcun effort au dict Lislebourg, sellon la délibération qui avoit esté prinse ainsi que me l'avés mandé; ayant bien considéré ce qui a esté escript curieusement par le dict Sr de Walsingam du recueil de mon cousin l'Admiral en ceste cour, qui est conforme à la vérité; ce que aussy me donnés advis du voyage que doibt faire par deçà Quillegrey pour passer, puis après, en Allemaigne; auquel voyage je le fairay observer soigneusement pour la charge qu'il aporte avec soy.
Au demeurant, vous avés fort bien faict de faire demeurer le frère du comte de Rothes, auquel si vous pouvés faire bailler quelque mille livres pour son entretien, je regarderay à vous le faire rembourser. Au surplus, je seray bien aise d'entendre la responce qui aura esté faicte par ceux de Esterlin à la dépesche que fist ma dicte bonne sœur, au commencement de septembre, au comte de Lenox, pour induire ceux du dict Esterlin à la requérir de remettre en leurs mains la personne de ma dicte belle sœur.
Vous voulant bien dire, Monsieur de La Mothe Fénélon, pour fin de la présente, que, ainsi que j'estois sur le poinct de la vous faire, la vostre du Xe du présent[110] est arrivée, par laquelle ce m'a esté grand plaisir de voir que les propos que vous avés tenus à ma dicte bonne sœur, sur ma dépesche du XXVIIIe du passé, l'ayant si fort contantée qu'ilz ayent interrompu l'instante conclusion des intelligences que l'on voulloit traicter avec elle, qu'elle a mis en suspens, attandant qu'elle voye si elle se pourra accorder à quelque bonne ligue avec moy. A quoy je vous puis asseurer que je seray tousjours fort disposé; et ne me pouvoit rien estre plus agréable que de voir qu'elle ait aultant ou plus craint que je demeurasse offencé de la responce qu'elle m'a faict faire, sur l'exercisse de la religion de mon frère, que moy de la demande qui luy a esté faicte là dessus, et du despart qui s'est ensuivi de ceste négotiation de mariage; ce que je ne puis imputer que à la dextérité de laquelle vous et le Sr de Foix vous y estes gouvernés.
J'ay eu advis, d'Espaigne, par le Sr de Fourquevaux, que Jullien Romène estoit allé en Biscaie pour trouver l'infanterie espagnolle, et qu'il estime qu'il se traicte quelque entreprise de ce costé là, ou pour l'Irlande, ou pour secourir l'Escosse, estants les affaires de ma dicte belle sœur en bon succès par le moyen de la mort du feu comte de Lenox; mais, si le dict secours n'est fondé que là dessus, il me semble mal assiz, veu que la dicte mort a plustot aporté domage à ses affaires que avantage; mais je le vous escris affin que, là dessus, vous ayés l'œil ouvert davantage à toutes occasions: qui est tout ce que j'ay à vous dire, si ce n'est qu'après avoir esté sept ou huict sepmaines de séjour à Blois, à donner ordre à pleusieurs affaires avec les gens de mon conseil, et résoudre pleusieurs difficultés qui se présentoient, pour le faict de l'édict de pacification, à la conférence qui en a esté faicte par mes cousins, les mareschaux de France, et aultres seigneurs du conseil avec mon cousin l'Admiral, j'ay esté prendre le plaisir de la chasse ez environs du dict Blois; et mon dict cousin l'Admiral, s'en est allé en sa maison de Chastillon, fort content et satisfaict, pour nous venir retrouver, mais que je sois arresté en lieu de séjour. Et sur ce, etc.
Escript au Chasteau Renauld, le XXe jour d'octobre 1571.
Comme je signois la présente, j'ay receu vostre dépesche du XVe[111], par laquelle j'ay veu ce que me mandés de la dépesche qui a esté faicte en dilligence du cappitaine Caje au mareschal de Barwich pour le faire aller devers ceux de Lislebourg affin de les exhorter à se rettenir à l'obéissance de leur jeune Roy avec ceux d'Esterlin, ou qu'elle envoyeroit ses forces par delà pour l'y ranger, les dépesches qui avoient esté desjà faictes de quelques cappiteines, et aussy le préparatif qui se faisoit au chasteau d'Herfort pour y remuer la Royne d'Escosse et bailler sa garde au Sr de Raphe Sadler; louant bien fort ce que, sur ces advis, vous avés remonstré aux seigneurs du conseil de ma dicte bonne sœur, et déclaré que j'avois prins en ma protection ceux du dict Lislebourg, faisant bien estat que, tant pour ce regard que pour la convenence qu'ilz auront trouvée à tous les propos que j'ay eu, par deçà, avec l'ambassadeur de ma dicte bonne sœur, les choses ne seront pas passées plus avant, et remettront à s'en résouldre après l'arrivée par deçà du milord qui viendra. Du XXe jour d'octobre 1571.
CHARLES. BRULART.
C
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du IIe jour de novembre 1571.—
Affaires d'Écosse.—Désignation du Mr Du Croc pour passer dans ce pays.—Précaution que l'ambassadeur doit prendre en réclamant contre l'arrestation du frère du comte de Rothe.—Nouvelle de la victoire de Lépante.—Prochain mariage du prince de Navarre avec Madame.
Monsieur de La Mothe Fénélon, vous aurés entendu, par la dernière dépesche que je vous ay faicte, du XXe du passé, la provision que j'ay donnée du costé d'Escosse; de quoy je ne vous rediray rien par la présente, mais bien que je suis fort aise d'avoir entendu, par la vostre du XXe du mesme moys[112], que la remonstrance que vous avés faicte bien à propos sur les choses que l'on disoit se préparer en Angleterre pour le dict Escosse, et pour la Royne, ma belle sœur, ait donné occasion que, despuis, l'on n'a plus parlé de la remuer au chasteau de Herfort, en la garde du sieur de Raphe Sadler, ni de haster les préparatifs de guerre contre ceux de Lislebourg; vous advisant que je suis conforté, par ce que m'escrivés par vostre lettre, en la délibération, que j'avois prinse, d'envoyer au dict Escosse un personnage de qualité pour essayer à réduire les choses en quelque bonne pacification; pour lequel effaict j'ay choisi le Sr Du Croc, que j'ai mandé exprès, affin de l'y dépescher, trouvant que le faict du duc de Norfolc a mis la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur, en de grands soubçons, puisqu'elle faict arrester tant de seigneurs contre son naturel, qui a tousjours esté enclin à manier plustot les choses par douceur que aultrement: ce qui pourra bien estre cause que, estant entièrement occupée à pourvoir à ce qui luy tousche de plus près, elle sera divertie de faire ce qu'elle eust bien désiré contre ceux du dict Lislebourg.
Au surplus, je suis bien marri de l'arrest qui a esté faict du frère du comte de Rothes, que vous avés faict demeurer par delà pour maintenir la négotiation de ma dicte belle sœur, le réclamant comme un de mes serviteurs. Il est vray qu'avant que de le faire, je desire que vous vous enquériés bien soigneusement s'il ne sera poinct méritoirement chargé d'avoir eu intelligence avec ses subjectz, pour poursuivre quelque mauvaise entreprinse contre ma dicte bonne sœur, ainsi que je croy qu'il ne se trouvera pas: car, s'il estoit ainsi, l'instance que vous luy en fairiés lui fairoit peut estre penser que ce feust chose faicte par ma cognoissance et intelligence.
Je n'adjouxteray rien aultre chose à ceste lettre, si ce n'est de vous dire que nous avons eu nouvelles, despuis deux ou trois jours en çà, de l'heureuse victoire[113] que l'armée de mer des confédérés de la ligue a eu sur celle du Grand Seigneur, en laquelle il a esté bien tué vinct mille Turqs, cinq mille prisonniers, cent quattre vingt gallères prises, et dellivrés de trèze à quatorze mille Chrestiens, qui estoient sur les dictes gallères: ce qui a esté exécuté avec peu de perte de l'armée chrestienne; vous priant de nous mander de quelle façon aura esté receue ceste nouvelle de par delà, où je pense que vous l'aurés sceue quasi aussytost que l'avons sceue icy.
Nous sommes encores en nostre petit voyage, qui pourra durer jusques à la fin de ce moys; auquel temps ma tante, la Royne de Navarre, pourra estre joincte avec nous, pour donner perfection au mariage de son fils avec ma sœur, avec l'ayde du Créateur; que je prie, etc.
Escript à Vaujours, le IIe jour de novembre 1571.
CHARLES. BRULART.
CI
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du XVe jour de novembre 1571.—
Satisfaction du roi de la communication qui lui a été faite par l'ambassadeur au sujet de la mission de Quillegrey en France.—Protestation que doit faire l'ambassadeur contre toute entreprise sur Édimbourg, dont on a formé le siège.—Mécontentement du roi au sujet de la résolution prise par Élisabeth de retenir Marie Stuart toujours prisonnière.—Instances qui doivent être faites pour obtenir la suppression d'un libelle diffamatoire publié en Angleterre contre la reine d'Écosse.
Monsieur de La Mothe Fénélon, Vassal est arrivé despuis huict ou dix jours en çà, avec vostre lettre du XXIVe du passé[114], par laquelle vous me donnés advis de la dépesche qui a esté baillée au Sr de Quillegrey, s'en venant par deçà, pour soulager le Sr de Walsingam; et suis bien aise de l'asseurance qu'il vous a donnée de faire tous bons offices en sa commission, ayant entendu les choses desquelles vous estimez estre fort convenable que je feusse adverti avant l'arrivée du dict Quillegrey, et qu'il ait eu audience de moy; et vous advise que, comme je ne puis avoir que bien fort agréable le voyage de celluy des conseillers que la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur, a ci devant faict entendre voulloir envoyer de par deçà, pour l'espérance que j'ay qu'il s'en pourra receuillir une bonne conclusion en la ligue que je desire faire négocier avec elle et son royaulme, je luy en feray toute la démonstration extérieure qu'il me sera possible.
Et estant esclerci maintenant de plusieurs choses importantes en cecy, je sçauray beaucoup mieux me résouldre des propos que j'auray à luy tenir là dessus, pour servir à mon intention, que je n'eusse faict sans en avoir esté adverti de vous, me persuadant que, si, de la part de ma dicte bonne sœur, il est procédé lentement à la conclusion de ceste ligue, selon que vous en avez opinion, cella donnera assés à cognoistre que, en me voulant repaistre de ceste espérance, elle aura l'esprit tendu au dessein de ses affaires du costé d'Escosse, selon que l'apparance y est fort grande; mesmement par ce que j'ay veu en vostre dépesche du dernier du dict passé[115], par laquelle vous me donnés advis comme, à sa suasion, ceux du Petit Lict ont assiégé Lislebourg, encores que je fasse bien mon compte que ce ne sera chose si aisée à exécuter, veu le nombre d'hommes qui est dedans, et le peu d'équipage d'artillerie et munitions que ont les assaillants; ne pouvant rien faire davantage pour le secours des dictz assiégés que ce que vous avés entendu cy devant avoir esté donné de moyen au sieur de Flamy. Bien pourrés vous, de vostre costé, remonstrer tousjours à ma dicte bonne sœur, sur ces effaictz et démonstrations si évidentes qu'elle faict de voulloir opprimer ceux du dict Lislebourg que vous luy avés cy devant faict entendre estre en ma protection, que, en cella, elle faict chose qui contrevient entièrement à nostre commune amitié et bonne intelligence, qu'il me sera bien malaisé de supporter; pour tousjours, s'il est possible, la faire aller un peu plus rettenue en ces choses;
Encores qu'il soit assés notoire qu'elle y est grandement résollue, mesmes par l'extraict de la lettre qu'elle a, puis naguières, escripte au comte de Barwich, qui m'a esté envoyée; par laquelle il se voit assés clairement comme sa délibération est de ne donner jamais liberté à ma dicte belle sœur, ains de la rettenir tousjours en l'estat où elle est, de présent, faisant par là cognoistre, et par toutes aultres démonstrations, son aigreur plus grande à l'encontre d'elle que jamais; et notamment en ce qu'elle à dernièrement permis estre imprimé le livre que m'avés envoyé, duquel l'intitulation seulle est si honteuse[116] et tant au déshonneur de ma dicte belle sœur, que, gardant le respect et honnesteté qui doibt estre entre tous princes et princesses, elle ne pouvoit jamais souffrir avec raison le dict livre estre mis en lumière, quelque inimitié qu'elle luy porte; desirant à ceste occasion que vous incistiés, envers ma dicte bonne sœur, de faire deffendre et censurer le dict livre; car, encores qu'il ait jà coureu par le monde qui en aura esté imbu, croyant assés souvent plustot le mensonge que la vérité, pour le moins elle cognoistra, par la dicte instance, que je ne puis entendre que avec grand regret qu'elle ait souffert un si villain escript estre publié d'une personne, de laquelle, pour la qualité qu'elle a de princesse, sa prosche parante, elle debvoit avoir l'honneur plus recommandé, aussy, pour avoir eu mon alliance, ayant esté femme de mon frère ayné, sans se monstrer en cest endroict si avant vaincue de la hayne, qu'elle luy porte, qu'elle luy ayt faict oublier ce qui estoit de sa grandeur et dignité. Sur ce, etc.
Escript à Duretat, le XVe jour de novembre 1571.
CHARLES. BRULART.
CII
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du XXXe jour de novembre 1571.—
Affaires d'Écosse.—Résolution d'Élisabeth de régler les différends entre les Écossais.—Nécessité d'attendre pour prendre une détermination.—Satisfaction du roi sur la disposition d'Élisabeth à former une ligue, regret qu'elle y mette pour condition la captivité de Marie Stuart.—Assurance que malgré la victoire de Lépante le roi d'Espagne ne pourra pas tourner ses armes contre l'Angleterre.—Nouvelles de Flandre.—Fuite de l'ambassadeur d'Espagne qui résidait auprès du roi.—Plaintes contre la conduite qu'il a tenue.—Assurance qu'il ne peut y avoir aucune crainte de guerre entre la France et l'Espagne.
Monsieur de La Mothe Fénélon, vos dépesches du Xe et XVe de ce moys[117], m'ont esté rendues à un jour près l'une de l'aultre, ayant veu, par celle du Xe les propos que vous avés tenus avec ma dicte bonne sœur, au commencement de vostre dernière audience, lesquelz, comme vous avés bien sceu estendre en tout langage convenable à l'opinion que je désire qu'elle ait de la continuation de ma bonne amitié et intelligence en son endroict, ainsi suis je bien aise qu'elle les ait receus avec toute démonstration de contentement, ayant bien notté la responce qu'elle vous a faicte sur l'instance des affaires d'Escosse, que vous avés bien sceu estendre pour servir à mon intention, se voyant assés clairement qu'elle ne se veut pas despartir des dictz affaires, comme de chose qu'elle estime luy appartenir de droict; estant ordinairement advenu par le passé, ainsi qu'elle dict, que, quand les Escossois ont esté les uns contre les aultres en division, en leur royaulme, les Rois d'Angleterre en ont décidé et esté les arbitres. Sur toutes lesquelles choses il ne fault rien précipiter, mais attandre ce que aura charge d'en négotier avec moy celluy des seigneurs de son conseil qu'elle envoyera devers moy, par lequel elle remet de s'en esclercir avec moy; qui est, comme j'estime, pour tousjours gaigner temps, pendant lequel, si elle faisoit quelque nouvelle démonstration de faveur à ceux d'Esterlin, soit pour leur envoyer secours de gens ou d'argent, pour leur rellever le cœur à cause de l'honteuse retraicte qu'ilz ont faicte de devant Lislebourg, je desire que, venant à vostre cognoissance, vous luy en faictes instance ainsi prudemment que vous avés tousjours bien sceu faire jusques ici, pour servir à l'empescher d'y aller aussy librement, que je ne fais poinct de doubte qu'elle en est incessamment sollicitée.
Et estant tout ce que j'ay à vous respondre sur vostre dicte lettre du Xe, je viendray à celle du XVe, et vous dirai que j'ay trouvé fort sage la responce que vous avés faicte au comte de Lecestre sur les propos qu'il vous a tenus du desir, que ma dicte bonne sœur a, de continuer toute sa vie en mon amitié, sans s'en vouloir jamais despartir, et que vous ne fissiés aulcun doubte qu'elle ne voullût passer oultre, ou à l'alliance jà commencée, ou bien à une fort estroicte confédération avec moy, et aussy entendre à accommoder, pour mon respect, les affaires d'Escosse, pourveu que je ne la fasse presser de se despartir de la déterminée résollution qu'elle a prinse de ne se désemparer jamais de la personne de ma dicte belle sœur; d'aultant que c'est chose qu'elle ne peut faire pour sa seurté, à cause des grandes pratiques qui se sont jà descouvertes qu'elle faisoit traicter, qu'elle continuerait encores davantage, estant dellivrée, soit avec le Pape, le Roy d'Espaigne, ses parents ou ses propres subjects, dont elle ne pourroit vivre en repoz en son estat; comprenant par ce propos que l'on ne peut faire plus grand desplaisir à ma dicte bonne sœur que de luy parler de la dellivrance de ma dicte belle sœur; qui est cause que je ne suis pas d'advis que vous luy en parliés, mais bien, si elle s'eslargissoit à voulloir donner quelque secours à ceux du dict Esterlin selon la capitulation qu'il vous a esté donné advis que milord d'Housdon a faicte avec eux, vous continuerés là dessus vos instances accoustumées, ainsi qu'il est contenu cy dessus; trouvant, au reste, extrêmement à propos l'advis, que vous me donnés, de ne faire poinct démonstration de sçavoir aulcune chose de la délibération, (qui vous a esté déclarée ma dicte bonne sœur avoir prinse), de ne mettre jamais en liberté la Royne d'Escosse, ma belle sœur; mais je seray bien ayse que vous m'ouvriés les moyens, qui se pourront trouver sans cella, honnorables et non trop mal aisés pour entrer en intelligence au bien et repos des trois royaulmes.
Vous voulant bien dire, au surplus, pour le regard de la nouvelle de la victoire du Turc, qu'elle est, à la vérité, belle et grande, et d'une perte de près de deux cens gallères, ainsi que portent les derniers advis, que nous en avons eu; mais non toutesfois telle que, pour cella, il y ait apparance que ma dicte bonne sœur doibve craindre que le Roy Catholique tourne ses entreprises du costé d'Irlande; vous voullant bien dire, au surplus, que le Sr de Mondoulcet, qui est mon agent en Flandres, m'a mandé qu'il avoit esté grand bruit, par delà, d'une entreprise qui se faisoit sur l'Angleterre, qui est, à mon opinion, celle dont faict mention vostre dépesche du XXe[118], laquelle s'est descouverte par l'accusation d'aulcuns des seigneurs qui sont prisonniers à la Tour. Il m'a aussy escript que Seton, qui s'estoit embarqué pour passer en Escosse, avoit esté contrainct de relascher en Flandres, à cause de ceste descouverte, et estoit entièrement destourné de ce voyage.
Au surplus, Monsieur de La Mothe Fénélon, pour ce que l'on pourra parler diversement par delà du despart de l'ambassadeur d'Espaigne de ma ville de Paris, je vous veux bien dire que, ayant séjourné longuement au dict Paris, sous coulleur de l'indisposition qu'il disoit avoir, il a, pendant son dict séjour, employé ordinairement le temps à faire toutes les mauvaises pratiques qui luy a esté possible avec mes propres subjects, dont, se sentant coulpable, comme je pense, et jugeant bien que cella estoit venu à ma cognoissance, il s'en est allé, déguisé, en Flandres, sans avoir prins congé de moy; qui est une façon nouvelle, et convenable à tous les aultres mauvais offices qu'il a faict pendant qu'il a résidé par deçà, vous pouvant asseurer qu'il n'a eu juste occasion de crainte, qui l'ayt deu faire ainsi quitter, s'il ne la s'est donnée luy mesmes par le jugement de sa propre conscience; et que, pour cella, on ne doibt penser que je sois en aulcune mauvaise intelligence avec le Roy Catholique, mon beau frère, lequel ayant adverti de ses déportements, a trouvé très mauvaise la façon du dict ambassadeur, et s'en est grandement courroucé; qui est cause qu'il n'a osé aller trouver son Maistre; priant Dieu, etc.
Escript à Duretat, le dernier jour de novembre 1571.
CHARLES. BRULART.
CIII
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du premier jour de décembre 1571.—
Arrivée de Quillegrey en France.—Audience qui lui est accordée par le roi.—Explications sur la remise de l'argent envoyé par La Mothe Fénélon à Marie Stuart.—Détails donnés par Quillegrey sur la conspiration du duc de Norfolk et la correspondance de Marie Stuart avec le duc d'Albe.—Projets des Espagnols de s'emparer du prince d'Écosse et de faire une entreprise sur l'Angleterre.
Monsieur de La Mothe Fénélon, le Sr de Quillegrey, estant arrivé depuis quelques jours, je luy ay donné, ce jourdhuy, audience, en laquelle il a commencé à me dire, après ses lettres présentées, que ma dicte bonne sœur l'avoit envoyé pour résider, pendant que le Sr de Walsingam se fairoit guérir de sa maladie, luy ayant donné charge de me dire que, ayant entendu comme je remettois à faire plus certain jugement sur la responce qui a esté faicte par elle aux articles cy devant proposés par mon cousin le Sr de Foix, touchant le mariage de mon frère le Duc d'Anjou, de ce que j'en debvois espérer, à la venue de l'un des seigneurs de son conseil qu'elle me doibt envoyer, pour avoir trouvé quelque obscurité ès dictes responces, elle continuoit en sa résollution de le dépescher par deçà au plus tost que faire se pourra; ayant escusé le retardement de son partement sur les grands affaires que a eu Madame ma bonne sœur, mesmes en ce faict de conspirations, qui se sont, puis naguières, descouvertes contre sa propre personne et son estat.
A quoy je luy ay respondu que, en quelque temps et heure que vînt le dict seigneur de son conseil, il sera tousjours le très bien venu, et receu de moy comme personne envoyée de la part de la princesse de ce monde, de qui j'estime plus l'amitié, laquelle je desire confirmer tousjours davantage, soit par une bonne alliance ou par une plus estroicte confédération, ne pouvant estre, pour nostre commune bonne intelligence, que bien fort marri du trouble que l'on luy a voulleu susciter. Puis je suis venu à luy parler de la restitution des deux mille escus, au mesme langage que aviés escript par vostre lettre du Ve de novembre[119], qui est que la moytié d'iceulx vous a esté envoyée par moy, et l'autre est procédée d'une partie que je vous ay faict addresser par l'archevesque de Glasco, pour estre le tout par vous envoyé à Vérac, mon agent; m'ayant là dessus respondu que ma dicte bonne sœur avoit, jusques ici, pensé qu'ilz eussent esté baillés par l'ambassadeur d'Escosse pour secourir les gens de ma belle sœur, mais, puisque la chose estoit ainsi que je la luy ay dicte, il ne manqueroit de le luy escrire, de sorte que je ne fais poinct de doubte que les deux mille escus ne vous soyent rendus.
Après cella, il est entré à me dire qu'il estimoit que je n'avois pas sceu ce qui s'estoit descouvert, de particulier, des dictes conspirations; et a commencé à me raconter qu'il y a assés longtemps que, s'estant cognu que le dict de Norfolc, qui est maintenant prisonnier à la Tour, avoit eu quelques promesses de mariage avec ma dicte belle sœur, la Royne d'Escosse, et aultres mauvaises intelligences, il avoit esté constitué prisonnier en la dicte Tour; et despuis, après avoir recogneu sa faulte, et renoncé à toutes les dictes promesses et intelligences, elle l'avoit fait mettre en liberté, où, ayant demeuré pour quelque temps, il est despuis retombé en la même faulte; dont il a esté faict de nouveau prisonnier, s'estant descouvert par son accusation en plusieurs lettres, qui se sont trouvées, de ma dicte belle sœur, qu'elle estoit entrée en grande deffiance de moy, et n'espéroit plus de secours, de mon costé, en ses affaires; mais estimoit que j'adhérois plustost à la Royne d'Angleterre, ma dicte bonne sœur, si bien qu'elle avoit pris résollution de s'adonner du tout au Roy Catholique, mon beau frère, et d'entendre au mariage de don Jehan d'Austria; et par mesme moyen d'envoyer son fils en Espaigne, pour le marier avec l'une de mes niepces; parmi toutes lesquelles choses il s'est vériffié qu'il y avoit de grandes intelligences avec le duc d'Alve, pour surprendre aulcuns des ports de son royaulme.
Sur quoy je luy ay dict que j'entendroys tousjours avec grand desplaisir qu'il se fasse aulcune chose contre son estat et son royaulme, le repoz duquel je desire comme celluy du mien propre; mais que, tenant ma dicte belle sœur prisonnière, comme elle faict, je la prie de ne luy faire, pour cella, aulcun pire traictement, ainsi qu'il est convenable à sa grandeur et magnanimité.
Et sur ce propos, le dict Sr de Quillegrey s'est départi d'avec moy, vous ayant bien voullu faire ce petit discours, affin que vous sçachiés particullièrement de quelle façon s'est passée l'audience qu'il a eue de moy. Qui est tout ce que j'ay à adjouster à mon aultre lettre[120]; priant Dieu, etc.
A Duretat, le premier jour de décembre 1571.
CHARLES. BRULART.
CIV
LA ROYNE MÈRE A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du premier jour de décembre 1571.—
Audience donnée à Quillegrey par Catherine de Médicis.—Prochaine arrivée en France d'un seigneur du conseil pour la négociation du mariage.—Discussion relative à Marie Stuart et aux affaires d'Écosse.
Monsieur de La Mothe Fénélon, j'ay aujourdhui donné audience au Sr de Quillegray, lequel, m'estant venu trouver, a commencé ses propos par me dire que la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur, l'envoyant par deçà pour se tenir près du Roy, Monsieur mon filz, pendant le temps que le Sr de Walsingam se faira penser de sa maladie, elle luy a donné charge de me voir par mesme moyen, avec commandement de me communiquer de tous affaires, ainsy qu'au Roy, Mon dict Sieur et filz, d'aultant qu'elle sçait bien que luy et moy ne sommes qu'une mesme chose; et aussi pour le respect de l'amitié qu'elle me porte, me tenant au lieu de sa bonne mère; m'ayant faict entendre qu'il a une entière bonne affection de s'acquitter de la charge qui luy est commise, avec tous les dignes offices qui luy seront possibles, pour entrettenir la bonne intelligence qui est entre nous et sa Maistresse, portant une particullière affection à ce royaulme pour y avoir esté longuement nourry.
A quoy je luy ay respondu que ma dicte bonne sœur avoit assés d'occasion de m'aimer pour sçavoir qu'il n'avoit pas tenu à moy et que je n'aye faict tout mon possible pour l'allier d'alliance avec la personne de ce monde qui m'est la plus chère, ainsi que j'en ay encore une bonne vollonté, et de servir de toutes choses qui seront en ma puissance, au dedans de ce royaulme, la bonne vollonté et amitié qu'elle me porte.
Puis est venu à me dire que sa dicte Maistresse avoit entendu, avec grand plaisir, que le Roy, Mon dict Sieur et filz, ait pris en bonne part la responce que a aporté d'elle le Sr de Foix sur l'effaict du mariage, laquelle, encores qu'elle luy ayt assés déclarée et qu'il ne soit besoin d'en faire nulle aultre expression, si est ce que, d'aultant que le dict Sr de Foix luy a dict que le Roy, Mon dict Sieur et filz, auroit grand plaisir qu'elle envoyât devers luy quelqu'un pour cest effaict, elle a délibéré d'y envoyer l'un de ceux de son conseil, combien qu'elle ait jà donné à entendre ce qu'elle pouvoit faire en cest endroit, et qu'elle s'y soit mise plus avant qu'elle ne devoit, estant fille comme elle est; que le retardement du parlement du dict seigneur de son conseil estoit procédé à l'occasion des grands affaires qu'elle a eus, despuis quelque temps en çà, à cause des conspirations qui se sont descouvertes; car, ayant esté choisi une fois pour ceste charge, milord Coban, il s'est trouvé l'un de ceux qui sont fort chargés des dictes conspirations; et, despuis, ayant esté destiné un aultre en sa place, sa dicte Maistresse en avoit aussi eu quelque soubçon qui l'empeschoit de se pouvoir fier à luy; de sorte qu'elle a esté contraincte de se résoudre à un aultre qu'il estime debvoir partir bientost, et que nous aurons agréable. Toutes lesquelles choses je lui ay bien fort gratiffiées et asseuré que le dict seigneur seroit le très bien venu.
Après ces propos, il s'est un peu rettiré de moy, comme s'il eust voulleu prendre congé, toutesfois estant demeuré un espace de temps ferme devant moy sans me parler, je luy ay demandé des nouvelles de la Royne d'Escosse, ma belle fille; sur quoy il m'a dict qu'elle estoit en la maison du comte de Scherosbery, bien traictée, ainsi qu'il appartient à son estat, mais non toutesfois en telle liberté qu'elle a esté cy devant, pour faire beaucoup de mauvaises entreprinses, ainsi qu'il s'est descouvert qu'elle voulloit faire, s'estant trouvé, par l'accusation du duc de Norfolc, et aulcune de ses lettres qu'elle luy a escriptes, comme elle estoit entrée en deffience du Roy, Mon dict Sieur et fils, et de moy, disant que nous adhérions plustost à ma dicte bonne sœur, ez choses qu'elles avoient à débattre ensemble, que à elle; et que partant elle estoit résollue, se voyant ainsi destituée de nostre costé, d'entendre au mariage de don Jehan d'Austria, et d'envoyer son filz en Espaigne, par le moyen d'un sieur auquel elle en escrivoit, affin d'en faire aussy là le mariage.
Je luy ay respondu, là dessus, que j'estois bien aise que ma dicte bonne sœur eût, par là, occasion de cognoistre combien l'on estime que nous marchons syncèrement en la conservation de son amitié; et estimois que l'on mettoit sus beaucoup de choses à ma dicte belle fille que je ne pouvois quasi croire.
Sur quoy il m'a répliqué que, si le Roy, Mon dict Sieur et filz, voulloit, toutes les mauvaises pratiques qu'elle a faictes contre sa Maistresse et les choses contenues cy dessus se vériffieroient en peu de temps, en Angleterre, avec vous, par les procès verbaux et originaux des lettres escriptes, qui vous seroient représentées.
Après cella je luy ay dict que le Roy, Mon dict Sieur et filz, desireroit bien sçavoir du bon portement de ma dicte belle fille, et seroit en quelque bonne vollonté, pour en estre plus assuré, de l'envoyer visitter.
Il ma dict que sa Maistresse estoit princesse de vérité, et l'asseuroit de son bon portement, et qu'il peut croire qu'elle ne luy voudrait poinct faire aulcun mauvais traictement, luy semblant que ce ne luy est pas beaucoup d'honneur, estant telle qu'elle est, de s'en soucier si fort.
Après ce propos, il m'a dict qu'il avoit charge, de sa dicte Maistresse, de parler à moy ouvertement, et de me déclarer ce qu'elle a sur le cœur, qui est que, si le Roy, Mon dict Sieur et filz, voulloit prendre résollution avec sa Maistresse d'appaiser les troubles d'Escosse, et d'y establir l'obéissance du jeune Roy, sans parler, en façon du monde, de la dicte Royne, ma belle fille, elle estime que les choses se pourroient aisément accorder au commun bien et repos de tout le royaulme et à nostre contentement.
Sur lesquelz deux derniers poincts, à sçavoir: de vériffier avec vous les charges de ma dicte belle fille; et le dernier, de l'accommodement des affaires du dict Escosse; je luy ay respondu que j'en parlerois au Roy, Mon dict Sieur et filz, pour luy en rendre responce à Bourgueil, auquel lieu je luy ay assigné une nouvelle audience. Bien luy voullois je dire, comme de moy mesmes, que le Roy, Mon dict Sieur et filz, ne pourrait jamais délaysser la dicte Royne d'Escosse; car, oultre ce, qu'elle est Royne d'un royaulme qui a une ancienne et estroicte confédération avec le sien, elle est son alliée de si près, qu'il ne seroit jamais trouvé bon qu'il l'abandonnât en son affliction, telle qu'elle l'a aujourdhuy, luy semblant appartenir à son honneur d'assister à tous les princes qui sont ses alliés, et ne les délaisser non plus qu'il ne le voudroit faire à l'endroict de sa dicte Maistresse, en façon du monde, quand elle viendroit à tomber en quelque affliction.
Il m'a replicqué là dessus que le Roy, Mon dict Sieur et filz, n'auroit poinct occasion de rien craindre en cessi, ayant, d'un costé, l'amitié des princes protestants, comme elle luy est bien asseurée par le moyen de l'édict de pacification, et, d'un aultre costé, celle de l'Angleterre, me priant de rechef que je luy en parlasse.
Qui est le sommaire de tout le propos que j'ay eu avec luy, désirant, le Roy, Mon dict Sieur et filz, avoir vostre advis sur ce qu'il a proposé de vériffier, en vostre présence, tout ce qui s'est dict par delà des menées et conspirations qui ont esté conduittes par ma dicte belle fille, la Royne d'Escosse; dont je vous prie le rendre certain par vostre première dépesche. Cependant il ne manquera de vous donner, cy après, advis de ce qu'il résoudra et respondra sur iceulx poinctz au dict Sr de Quillegray; auquel j'ay aussy parlé des deux mille escus au mesme langage porté en vostre dépesche du Ve du passé; et ay escusé ce que j'en avois cy devant respondu au dict Sr de Walsingam sur ce que je ne l'avois bien entendu.
A quoi il m'a réplicqué qu'il sembloit que vous eussiés eu quelque intelligence avec les gens du dict de Norfolc. Laquelle je luy ay dict avoir possible esté pour l'adresse des dictz deux mille escus, mais qu'elle ne se trouvera poinct s'estre estendue ez choses dont l'on accuse le dict duc. Ce qu'il m'a confessé, me disant qu'il fauldroit donc rendre les dictz deux mille escus.
A quoy je luy ay respondu que, estant, sa Maistresse, si bonne amie du Roy, Mon dict Sieur et fils, je croy qu'elle ne voudroit, pour deux mille éscus, faire chose qui contrevienne à la dicte amitié. Et sur cella il m'a dict qu'il luy en escriroit, de sorte que je ne fais poinct de doubte que les dicts deux mille escus ne vous soyent restitués. Sur ce, etc.
Escript à Duretat, le 1er jour de décembre 1571.
CATERINE. BRULART.