Supplément à la Correspondance Diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Septième: Ambassadeur de France en Angleterre de 1568 à 1575
Nota. Ici, se trouve dans les cahiers déposés aux archives, qui jusques-là sont à peu près complets, une lacune de six mois entiers. Sauf deux lettres des 7 février et 28 mai 1572, qui se sont retrouvées dans les papiers de l'ambassadeur, la correspondance ne reprend qu'au 22 juin 1572, deux mois avant la Saint-Barthèlemy. Les lettres qui manquent, d'après les énonciations contenues dans les dépêches, sont celles des 19 et 24 décembre 1571; 5, 7, 9, 10, 11, 19 et 31 janvier; 11 février; 4, 8, 10, 20, 22 et 31 mars; 19, 20 et 22 avril; 2, 10, 27 et 28 mai; 7, 17, 23, 25 et 27 juin; 11 et 14 juillet, et 7 août 1572.
CV
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du VIIe jour de febvrier 1572.—
Mission donnée à Mr Du Croc en Angleterre pour traiter de la négociation concernant Marie Stuart et l'Écosse.
Monsieur de La Mothe, envoyant le Sr Du Croc, mon conseiller et maistre d'hostel ordinayre, présent porteur, par dellà, suivant ce qui a esté advizé entre mes depputés et les ambassadeurs de la Royne d'Angleterre, Madame ma bonne sœur, pour, avec le gentilhomme qui sera aussy député de sa part, procurer et moyenner d'ung commun consentement la réconcilliation et paciffication des troubles et divisions du royaume d'Escosse, et cependant fère accorder une cessation et abstinence d'armes entre ceux de l'un et l'aultre party du dict pays, je luy ay, par mesme moyen, donné charge de requérir et prier, de ma part, la dicte Royne d'Angleterre luy permettre de veoir et visiter la Royne d'Escosse, Madame ma sœur, suivant ce que j'ay, ces jours passés, escript à icelle Royne d'Angleterre, pour toute instance envers elle, de mettre en liberté ma dicte sœur, la Royne d'Escosse, et l'envoyer, icy, près de moy. En quoy je vous prie de vous employer, tous deux, avec une bonne et mutuelle intelligence; et, au demeurant, croire le dict Sr Du Croc de ce qu'il vous dira de ma part.
Escript à Blois, le VIIe jour de febvrier 1572.
CHARLES. PINART.
CVI
INSTRUCTION POUR LE FAICT DU MARIAGE.
du XXVe jour d'apvril 1572.—
Négociation de Mr de Montmorenci et de Foix (Original).
Estant Monseigneur le duc de Montmorency, pair et maréchal de France, gouverneur pour le Roy et son lieutenant général à Paris et Isle de France, et Messieurs de Foix et de Boistaillé, conseillers en son conseil privé, despéchez, de la part de sa Majesté, pour aller en Angleterre affin d'estre présentz, et avec eulx le Sr de La Mothe Fénélon, ambassadeur de Sa Majesté au dict pays, pour assister au serment que la Royne d'Angleterre doibt faire pour l'entretènement et ratiffication du traicté qui a esté naguières conclud et arresté entre les depputez de Sa dicte Majesté et les ambassadeurs de la dicte Dame Royne,
Sa dicte Majesté a, oultre cella, advisé, pour un plus grand bien, et estreindre davantage leur amitié, de donner particullièrement pouvoir à mon dict sieur duc de Montmorency, et aus dictz sieurs de Foix, de Boistaillé et de La Mothe, de fère ouverture et proposer à la dicte Dame Royne le mariage de Monseigneur le Duc d'Allençon, frère du Roy, avec elle. Sur quoy ilz auront à luy dire de la part de Sa Majesté:
Qu'elle est infiniment aise, contente et satisfaicte de veoir la bonne et perfecte amityé, et intelligence d'entre eulx, renouvellée, confirmée et fortiffiée par ce dernier traicté, si bien qu'ilz se peuvent dire aujourdhui deux vrays et perfectz amys, voisins, alliez et confédérez; et, encores que Sa dicte Majesté s'asseure que, Dieu les ayant si bien uniz, il leur fera aussy la grâce de continuer et persévérer à jamais en ceste bonne amityé et voisinance.
Toutesfoys considérant qu'il n'y a rien qui lye plus estroictement, nourrisse et entretienne davantaige la paix et amityé entre les roys et grandz princes que le mariage et les alliances qui se font des ungs avec les aultres, Sa dicte Majesté, qui n'a rien plus à cœur que de demeurer ferme et constante en ceste bonne, vraye et perfecte amityé, voisinance et intelligence, qui est entre elle et la dicte Royne d'Angleterre, desireroit bien, pour la rendre inviolable, y adjouster ce dernier lyen indissoluble de mariaige.
Et considérant, Sa dicte Majesté, les moyens qu'elle pouvoit avoir de parvenir à ceste sienne seureté et sincère intention, ayant, à son très grand regret, failly à ce faire de la personne de Monseigneur le Duc d'Anjou, son frère, pour les difficultez et scrupulles qui y sont intervenuz à cause de l'exercice de relligion, elle a pensé qu'elle ne pouvoit mieulx renouer ceste négociation, et rentrer en ces termes de mariaige que par le moyen de Monseigneur le Duc d'Allençon, aussy son frère, estant ung subject pour mieulx pouvoir accommoder les conditions au contentement des deux partyes.
Et, sur ce, entreront, mon dict seigneur de Montmorency et les dictz sieurs de Foix et de Boistaillé et de La Mothe, à proposer et fère ouverture de ce mariage avec la dicte Dame Royne, remectant Sa dicte Majesté à eulx de luy fère si bien entendre les bonnes partyes qui sont en Mon dict Seigneur le Duc, lesquelles ilz cognoissent et savent, mieux que nulz autres, estre de très grande espérance; sur quoy ilz s'estendront comme ilz verront qu'il sera à propos et qu'ilz sauront très bien et dignement fère.
En faisant laquelle proposition, ilz représenteront à la dicte Dame Royne le grand bien qui adviendra du dict mariaige à toute la Chrestienté, spéciallement à ces deux royaumes, et aussy le contentement que cella aportera à l'une et à l'autre de Leurs Majestez; d'aultant que les dictz deux royaumes seront lors uniz avec une perfecte et sincerre intelligence, et que c'est chose que icelle Dame Royne doibt desirer, considéré l'estat de ses affères, avec plusieurs occasions qui sont et peuvent advenir journellement en diverses sortes; sur lesquelles Sa Majesté remect à eulx de parler et discourir en cella amplement, ou aller plus retenuz, ainsy qu'ilz verront et congnoistront qu'il sera à propos pour rendre le tout agréable à la dicte Royne.
Et, si icelle Royne entend voluntiers ce propos, comme Sa Majesté et la Royne, sa mère, désirent infiniment, pour un fort grand bien, suivant l'advis des plus grands conseillers de ce royaulme, les dictz Srs de Montmorency, de Foix, de Boistaillé et de La Mothe, entreront franchement en ce négoce, et y vaqueront selon le pouvoir qui leur en a esté baillé; observant exactement la responce et contenance qui leur sera sur ce faicte par icelle Royne, affin que, selon ce qu'ilz jugeront, ilz se comportent dextrement en cest affaire, pour tirer le plus de lumière qu'ilz pourront de son intention et volunté, regardans d'acheminer cest affaire avec la dicte Dame, Royne d'Angleterre, ou ceux qu'il luy plaira depputer pour en traicter, conclurre et arrester; dont et desquelles choses, et de toutes les autres particullaritez qu'ilz estimeront appartenir à cest affaire, ilz donneront bon et continuel advis à Sa dicte Majesté qui remect à eux, selon leur grande suffisance et affection qu'ilz ont à son service, de s'estendre au demourant en cest affaire aultant qu'ilz congnoistront qu'il sera besoing, suivant l'intention de Sa dicte Majesté, honneur et réputation d'elle et de ses affères.
Et, affin que les dictz seigneurs ambassadeurs se puissent ayder de tous les moyens qu'ilz pourront pour bien faire réussir leur négociation, faciliter et parvenir au dict mariaige, le Roy veult et leur ordonne qu'ilz trouvent les moyens que l'ung d'eulx face bien à propos entendre au Sr conte de Lestre le désir, que le Roy a, qu'il preigne alliance en quelque une des meilleures et plus grandes maisons de son royaulme, suivant la volunté qu'il s'est quelquefoys laissé entendre qu'il avoit de se marier en France, et la bonne et grande affection que Sa Majesté a de faire pour luy en cella, luy proposant le party de Mademoiselle de Bourbon, ainsy que Sa Majesté en a advisé avec mon dict seigneur de Montmorency, et encores despuis avec le dict sieur de Foix pour, après, selon qu'il se congnoistra de son desir, l'entretenir en ceste bonne volunté et l'asseurer tousjours qu'il aura en cella toute faveur et la mesme bonne asistance de Leurs Majestez et de Messeigneurs, frères du Roy, qu'il sçauroit desirer, et luy faire davantaige, selon qu'ilz congnoistront qu'il sera besoing, offre et assurance de biens et présents que luy fera le Roy, s'il se marie en France;
Voulant aussy Sa dicte Majesté que les dictz seigneurs ses ambassadeurs facent, par tous aultres moyens courtoys et honnestes, ce qu'ilz pourront faire et faire faire pour gaigner et réduire à leur dévotion les personnes qui se sont cy devant monstrez contraires au mariaige de Monseigneur le Duc d'Anjou et de la dicte Royne, quand il s'en est parlé; et qu'ilz n'y espargnent rien, mais regardent d'employer, à leur faire des présentz et à ceulx qui pourront servir en cest affaire, comme ilz verront qu'il sera à propos, jusques à dix ou douze mille escuz, dont le trésorier de l'espargne trouvera moyen de recouvrer lettres de crédict pour les faire fournir par delà, et il les rendra, icy, ensemble les intérestz.
Et, s'il plaist à Dieu que le dict propos de mariaige d'entre la dicte Royne et Mon dict Seigneur le Duc soit agréable par delà, et que l'on en entre en négociation, le Roy veult que mes dictz seigneurs ses depputez proposent les mesmes demandes et condicions qui furent faictes pour Mon dict Seigneur le Duc d'Anjou, et bailler par escript pour Mon dict Seigneur le Duc la déclaration de ses duchez, contés et seigneuries, qui sont de grand revenu, n'y comprenant toutesfoys la ville de Caen, ny le revenu d'icelle, à cause qu'elle est frontière, mais bien la valeur en aultre terre, que le Roy baillera à Mon dict Seigneur le Duc en récompense.
Faict à Bloys le XXVe jour d'apvril 1572.
CHARLES. PINART.
CVII
LA ROYNE MÈRE A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du XXVIIIe jour de may 1572.—
Nécessité de conclure sans retard le traité concernant le commerce.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Flandres et d'Espaigne ce qui vient bien à propos, car cella sera cause que doresnavant les dicts Anglois feront tout leur trafiq à commercer en ce royaume. Voylà pourquoy il sera bon que, le plus tost que vous pourrez, l'on face une résolution de ce qui reste à accorder pour le faict du fondicq[121] qu'ils veullent avoir de deçà, suyvant nostre dernier traicté, car cella leur apportera une grande commodité et sera cause d'un grand proffit pour nous, et, sy vous n'en pouvez faire une fin avant l'arrivée des dicts sieurs de Montmorency et de Foys pour les empeschemens que vous a dicts le milord de Burgley qu'ils ont à cause de leur dict parlement, il faudra qu'en négociant les autres affaires dont vous avez tous trois charge, vous faciez aussy une résolution de cestuy cy, car, le plus tost qu'il pourra estre expédié et le dict commerce estably, ce sera le meilleur pour eulx et pour nous. Et vous fais ceste dépesche pour le Roy, Monsieur mon fils, et pour moy, d'aultant qu'il est allé à la chasse. Et prie Dieu, etc.
Escript à Monpipeau, ce XXVIIIe jour de may 1572.
CATERINE. PINART.
CVIII
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
des XXIIIe et XXVe jours de juing 1572.—
Affaires d'Écosse.—Négociation du mariage.—Départ des seigneurs anglais qui avaient été envoyés en France pour complimenter le roi.—Présens qui leur ont été faits.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ordre pour le faict du dict païs d'Escosse et ez mains de qui sera randu le chasteau de Humes, d'aultant que j'estime que ceux du chasteau de Lislebourg ne le pourroient pas garder, à present, en l'estat qu'ilz sont. De le mettre aussy ez mains de ceux de l'aultre parti, ce seroit desfavoriser les dictz de Lislebourg, et estre cause de les désespérer et qu'ilz s'endurciroient et irriteroient davantage les uns contre les aultres. D'aultre part, il fault aussy que la Royne d'Angleterre vuide ses mains selon nostre traicté. Voylà pourquoy il est très nécessaire de cercher promptement quelque bon expédient, pendant qu'estes de delà, pour appaiser les troubles d'Escosse et accorder les subjectz sur le faict de l'administration des affaires du dict païs. Et cepandant je croy qu'il ne sera que bon que le dict chasteau de Humes soit mis ez mains et en la charge de quelque escossois, riche, sage et très bien affectionné à la paix du dict pays, qui se choisira avec l'advis du sieur Du Croc; à qui il sera bon que en escriviés pour nous en mander son opinion.
Je luy en escris aussy un mot que je vous prie luy faire tenir avec voz lettres, quand luy escrirés; vous priant, au demeurant, de vous employer, avec toutes les dextérités et moyens que penserés que pourront servir, au mariage de la Royne d'Angleterre avec mon frère le Duc d'Alençon, affin que je puisse estre résollu du tout, avant que partiés pour venir de deçà; car il importe, pour mon servisse et pour le bien de mes affaires, qu'il y soit mis fin promptement sans en laisser tirer à la longue la négotiation, comme peut estre il adviendroit si vous n'y pourvoyés ainsi que je desire et veux que fassiés et qu'il vous sera aisé; car s'en retournans à présent d'ici ces seigneurs anglois si contentz qu'ilz sont, et monstrants de desirer bien fort que le mariage se fasse avec mon dict frère le Duc d'Alençon, qu'ilz ont pour ce fort agréable, je ne double pas qu'ils ne fassent, par lettre et en personne, quand ilz seront de retour de delà, à ceste occasion, tous bons offices envers leur dicte Maistresse et envers ses principaux ministres aussy.
Ils doibvent partir ce jourdhuy, et a esté donné ordre qu'ilz seront accompaignés et conduicts fort honnorablement et accommodés de tout ce qu'il leur faudra jusques à Bouloigne, estant aussy mon cousin le duc de Longueville et le sieur de Piennes bien advertis pour cest effaict, de sorte qu'il ne leur manquera rien; et m'asseure qu'ilz se loueront bien fort du bon traictement qu'ilz auront eu par deçà. J'ay faict présent au Sr comte de Lincoln d'un fort beau buffet d'environ de la valleur de douze mille livres, au dict Smith d'un aultre d'environ mille escus, et au dict Walsingam d'un aultre d'environ deux mille livres, oultre les présentz qu'ilz eurent dernièrement. Je fais donner aussy, mais c'est sans aulcune cérémonie, au Sr de Mildemor et vice admiral, à chascun une cheine de six cens escus; et si, fairay servir le nefveu du comte de Lestre de gentilhomme de ma chambre, et sera tousjours bien vollontiers veu, pendant qu'il sera icy, pour l'amour du dict sieur comte son oncle.
Estant ce que, pour ceste heure, je vous puis escrire si ce n'est pour vous dire qu'il sera besoin qu'advertissiés souvent les Srs Du Croc et Vérac de ce que vous fairés pour le costé d'Escosse, affin qu'ilz asseurent ceux de Lislebourg et ceux aussi de l'autre parti, et que chascun cognoisse pareillement que ce que je fais et desire en cella n'est que pour establir, s'il est possible, la paix et repos en Escosse; priant Dieu, etc.
Escript au chasteau de Bouloigne, ce XXIIIe jour de juing 1572.
CHARLES.
J'espère renvoyer demain le Sr de L'Espinasse que le Sr Du Croc m'a envoyé pour les affaires d'Escosse. Sur quoy je ne puis prendre aultre résollution, mais le remets à ce que vous en ay escript par mes deux dépesches dernières et à ce que je vous en ay mandé encore par ceste cy; vous priant de vous y employer tous trois le plus tost et le plus dilligemment que vous pourrés; car, à ce que j'ay entendu et sceu certainement, ceux de Lislebourg sont à l'extrémité, et est à craindre qu'ilz se désespèrent et se mettent ez mains de quelqu'un de noz voysins, ce que je veux évitter, et conserver, en ce faisant, l'ancienne amitié que j'ay avec les Escossois, et observer aussy sincèrement et entièrement le dernier traicté d'entre la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur et cousine, et moy, qui vous prie l'en asseurer, quand vous parlerés du faict du dict Humes et aviserés du dict faict d'Escosse.
Du chasteau de Bouloigne, ce XXVe jour de juing 1572.
CHARLES. PINART.
CIX
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
des XIe et XIIIIe jours de juillet 1572.—
Retour de Mrs de Montmorenci et de Foix.—Négociation du mariage.—Desir du duc d'Alençon de passer en Angleterre.—Motifs qui empêchent le roi de le lui permettre.—Conférence de Catherine de Médicis avec Walsingham.—Demande faite par les Anglais de la restitution de Calais, en considération du mariage, ou, à défaut, proposition d'un partage dans les Pays-Bas.—Affaires d'Écosse.—Nécessité d'insister auprès d'Élisabeth pour qu'elle abandonne les châteaux qu'elle occupe dans ce pays.—Espoir du roi qu'Élisabeth entrera en guerre avec le roi d'Espagne.
Monsieur de La Mothe Fénélon, j'ay, à ce matin, ouï avec grand plaisir le rapport de tout ce qui s'est passé durant le voyage qu'ont faict par delà les Srs de Montmorency, mon beau-frère, et de Foix, et veu, par vostre dépesche du Ier du moys, que je receus ce dict jour, icy, par l'ordinaire, et par celle que m'avés faicte par Sabran le Ve de ce dict mois[122], ce qu'avés faict despuys leur partement. Sur quoy je vous diray comme vous avés veu, par les dépesches que je vous ay cy devant faictes, qu'il importe, pour le bien de mes affaires et pour ma réputation, et de mesmes aussy pour icelle Royne d'Angleterre, Madame ma bonne sœur, que le mariage de mon frère, le Duc d'Alençon, avec la Royne d'Angleterre, Madame ma bonne sœur, se fasse bientost résouldre, et que ce soit ainsi que nous desirons; car elle y aura aultant ou plus d'avantage que nous, quand elle considèrera tous les poincts qui luy ont esté représentés et bien clairement desduictz en sa présence, comme j'ay veu par le rédigé qu'a faict le dict Sr de Foix de ceste négociation; voulant qu'en parlant avec elle vous l'asseuriés que, suivant la lettre que je luy escripts de ma main, que luy présenterés, je la corresponds avec toute sincérité et amitié; et que, de ma part, je ne desire rien tant en ce monde que de rendre nostre amitié parfaicte et indissoluble comme elle sera fermement, si le dict mariage se faict. Voilà pourquoy il fault, et je vous prie que le luy fassiés entendre bien expressément de ma part que l'affection et amitié que je luy porte, telle que je ne voudrois espargner ma personne mesme pour elle, s'il s'en présente occasion, sera par ce moyen estreinte et liée de telle sorte que jamais elle ne sçauroit diminuer entre nous, noz royaulmes et subjectz; mais au contraire se fortiffier et augmenter journellement.
Et pour ce que, par la lettre que vous escript mon frère le Duc d'Allençon, il vous mande qu'il entreprendroit vollontiers le voyage pour aller luy mesmes remercier la dicte Royne et luy offrir son servisse; si n'estoit la réputation, et qu'il craint aussy que ne luy voulussions permettre, je vous diray que c'est une chose que nous ne sçaurions luy accorder jamais (aussy n'est il pas raisonnable, quelque affection qu'il en ait), jusques à ce que tout soit d'accord; de quoy vous pourrés asseurer, si l'on vous en parle de delà: car, encore que nous soyons en bonne paix et amitié avec la Royne, et que nous l'ayons si expressément par nostre dernier traicté confirmée et fortifiée, l'on ne laisse pas tousjours de doubter et penser aux choses qui pourroient advenir, et que peut estre, contre son naturel, elle seroit conseillée de faire; et, oultre cella, si les choses ne réheussissoient, il y auroit occasion de moquerie. Je sçay bien que, si ceste permission ne dépendoit que de la vollonté de mon frère, qu'il ne se voudroit pas arrester à cella, et qu'il seroit bientost par delà; car il est si extrêmement affectionné et amoureux d'icelle Royne, qu'il ne se figureroit aulcune de toutes ces considérations, lesquelles néantmoins vous pourrés honnestement remonstrer, et faire, au demeurant, en cest affaire tout ce que vous verrés qu'il sera à propos, affin que nous y ayons, entre cy et quinze jours, que le moys escherra, la responce que nous en desirons et espérons, quand nous considérons que c'est un bien commun pour ces deux royaulmes et aussy utille pour la dicte Royne et pour ses subjectz que pour les nostres propres.
Le Sr de Walsingam tesmoigne de desirer bien fort l'accomplissement de ce mariage; ce que la Royne, Madame et Mère, m'a encore confirmé ce matin, et qu'elle l'a particulièrement cogneu à quelques discours qu'il luy tint hier en particulier, pendant que j'estois à la chasse avec mon frère le Duc d'Anjou et le Roy de Navarre. Je laisse les aultres particularités des propos qu'ilz eurent ensemble. Le plus important c'est qu'il luy dict que le milord de Burgley luy avoit mandé, comme de luy mesmes, que, pour faciliter le dict mariage, qu'il falloit que l'âge feust récompencé de quelque chose qui peût couvrir et escuser l'inégalité qui est entre la dicte Royne, sa souveraine, et mon dict frère, et par ce moyen asseurer parfaitement la paix entre ces deux royaulmes, luy parlant de Calais qu'il eût bien desiré qu'il leur eust esté restitué, à condition que mon dict frère en demeureroit gouverneur durant sa vie, et qu'après sa mort il reviendroit aux enfants qu'il auroit de la dicte Royne. Sur quoy Ma dicte Dame et Mère asseura le dict ambassadeur qu'il ne falloit pas qu'ilz s'attendissent à cella, pour ce qu'ilz n'y pouvoient prétendre rien plus pour les raisons qu'ilz sçavent assés que la paix seroit tousjours bien gardée de nostre part, et que Dieu, de sa grâce, avoit séparés et bornés de la mer pour un grand bien ces deux royaulmes. Il luy dict sur cella que le dict Calais estoit anciennement de la maison de Bouloigne, et qu'il estoit venu de la Royne, Madame et Mère, laquelle respondit que, pour ceste occasion, ilz y pourroient encores moins prétendre. Aussy sur cella il respondit qu'il voyoit bien que nous ne le leur rebaillerons pas, mais qu'il y avoit bien moyen de faire aisément quelque aultre chose, au lieu du dict Calais, qui seroit bien à propos: c'est que la Royne d'Angleterre peût avoir Flexingues en ses mains et protection, et que, combien que l'on eût faict de deçà une publication qui avoit apporté quelque desfaveur aux Gueux de Flandres, et à ceux qui sont allés de ce royaulme avec eux, et que cella eût aussy aulcunement faict rettenir ceux d'Angleterre, que néantmoings il falloit regarder de faire quelque partage et prendre, chascun de son costé, des Païs Bas en sa protection. Sur quoy Ma dicte Dame et Mère luy respondit que c'estoit un affaire dont elle ne pouvoit luy parler à cause de mon absance, mais qu'elle desiroit le bien et contentement de la dicte Royne, sa Maistresse, et qu'elle s'asseuroit que j'avois les mesmes souhaits.
Je me remets sur vous de cest affaire du mariage, lequel nous avons tant en affection que nous n'avons jamais desiré chose tant que ceste cy, puisque les termes et propos en sont si avant et si fort publiés. Car, enfin, si les choses ne succédoient bien, il ne peut qu'il n'y aille de nostre honneur et réputation comme vous sçavés très bien considérer.
Quand aux affaires d'Escosse, je suis bien aise de la résolution qui a esté prise que ma dicte sœur, la Royne d'Angleterre, et vous, escrirés par un gentilhomme exprès affin que la suspension d'armes soit establie au dict païs pour deux moys, pendant lesquels l'on faira en sorte que la paix y sera aussy faicte et les divisions et guerres, qui y sont, appaisées; mais il est besoing que vous fassiés souvenir la dicte Royne de la restitution de Humes, et de ce qu'elle tient encore du dict royaulme d'Escosse, affin qu'elle le rende suivant la bonne intention de nostre traicté, et que, de sa part, elle se comporte, pour le faict du dict païs d'Escosse, sincèrement, comme j'ay tousjours faict, despuys que mes depputés commencèrent à traicter avec les ambassadeurs, et que je fais encores, et veux faire sellon ma foy et promesse; ne voullant aulcunement assister un parti plus que l'aultre, mais seullement tascher, tant qu'il sera possible, à les accorder, affin que le dict royaulme d'Escosse, au lieu qu'il se destruict, soit conservé, et que la paix y soit bien establie. J'escripts un mot de lettre, suivant cella, à Mr Du Croq; laquelle vous luy fairés tenir; priant Dieu, etc.
Escript à Paris, le XIe jour de juillet 1572.
Je vous envoye le pouvoir pour recevoir la ratiffication de nostre traicté, ensemble les actes dont je vous envoye les formes telles que je les ay baillées par deçà.
CHARLES.
Monsieur de La Mothe, despuys ceste dépesche faicte, j'ay receu la lettre que m'avés escripte par Jaques le courrier, et j'ay veu celle que je receus de vous par Sabran, présent porteur, que j'ay advisé de vous envoyer en la plus grande dilligence qui sera possible, affin que vous puissiés vous servir des lettres que nous escrivons de noz mains, et faire en cest affaire tout ce qu'il sera possible: car, s'il ne succédoit comme nous desirons, il ne peut estre qu'il n'y aille de nostre réputation, ayant esté les choses si avant que chascun a creu qu'elles feussent faictes et résollues. Et quant aux nouvelles que me mandés qui sont venues de Flexingues, je seray bien aise, à vous dire vray, que la Royne d'Angleterre s'embarque avec les Gueux bien avant, et qu'elle se déclare, par ce moyen, ouvertement contre le Roy d'Espaigne, pour les raisons que vous entendrés de Sabran, qui vous dira aussy les préparatifs qui se font pour le mariage de ma sœur et de mon frère, le Roy de Navarre, qui sera consommé dans quinze ou dix huict jours, comme vous pourrés dire à la dicte Royne d'Angleterre. Je vous fairay responce à ce que vous m'avés mandé sur les lettres que ma sœur, la Royne d'Escosse, vous a escriptes, et vous les renvoyeray aussytost que Dardoy sera arrivé icy.
De Paris, ce XIVe jour de juillet 1572.
CHARLES. PINART.
CX
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du XXe jour de juillet 1572.—
Mission de Mr de La Mole en Angleterre sur la négociation du mariage.—Vives recommandations pour le succès de cette affaire.—Desir du roi de connaître les projets des Anglais sur la Flandre.—Affaires d'Écosse.—Mécontentement du roi contre le sieur de Flemy.
Monsieur de La Mothe Fénélon, afin de n'oublier rien qui puisse ayder pour avoir bonne responce de la Royne d'Angleterre sur le mariage de mon frère, le Duc d'Allençon, nous avons trouvé à propos d'envoyer vers la dicte Dame le Sr de La Moosle, présent porteur, avec les lettres que nous escrivons de noz mains à ma dicte bonne sœur et au comte de Lestre et milord de Burgley, que nous vous envoyons ouvertes affin que les voyés, puis les fermerés bien. Vous assisterés le dict La Moosle, en les présentant à la dicte Dame, à laquelle il tiendra tel propos que vous adviserés et penserés qu'il conviendra, selon les termes où seront toutes choses pour le faict du dict mariage. Mon dict frère, oultre la lettre qu'il vous escript, qui se pourra bien monstrer, si vous voulez, escript aussy au dict comte de Lestre et milord de Burgley, à chascun une lettre de sa main, qui vous sont aussy envoyées ouvertes, affin que vous voyés le contenu d'icelles, pour, après, les fermer et les leur bailler vous mesme, ainsi qu'avés accoustumé.
Je vous recommande cest affaire singulièrement, et vous prie, sur tous les servisses que desirés de me faire, y employer tout ce que vous pourrés de vostre prudence et dextérité pour le conduire à l'heureuse perfection que je desire, comme aussy font singulièrement la Royne, Madame et Mère, et mon dict frère d'Alençon, qui ne vous en sçauront pas moins de gré que moy, qui vous prie encore instruire si bien le dict La Moosle comme il aura à se comporter par delà, que son voyage serve en l'affaire de mon dict frère d'Alençon; car aussy l'a il choisi comme un de ses plus confidents et de ceux qu'il ayme le plus, comme vous sçavès, affin que la dicte Royne luy en sçache plus de gré et qu'elle puisse cognoistre que, pour l'affection grande qu'il a à elle, ne pouvant avoir ce bien de passer de delà, il y envoye un de ses serviteurs qu'il ayme le plus, et en qui il se fie beaucoup, et s'asseure qu'il luy faira service par delà, selon le conseil et advis et ainsi que luy sçaurés bien faire entendre qu'il aura à faire envers la dicte Royne et les aultres personnes à qui il pourra parler.
Je vous prie m'escrire, le plus souvent que vous pourrés, des nouvelles que vous aurés du costé de Flandres; et aussy comment se comporte la dicte Royne d'Angleterre envers ceux de ses subjectz qui vont servir les Gueux, et s'il y en va grand nombre; qui les soldoye, et soubz qui ilz marchent?
J'ay veu le deschiffrement de la lettre que vous a escript Vérac, et aussy le postscript de celle du Sr Du Croc; mais, pour l'espérance que j'ay que bientost la suspension d'armes sera establie en Escosse, et que ce sera un moyen d'y faire la paix, je ne vous diray aultre chose sur cella.
Je trouve fort estrange que le Sr de Flamy, qui avoit receu icy vingt et quattre mille livres, il y a six ou huict moys, pour porter à ceux qui sont à Lislebourg, n'y est arrivé que depuis peu de temps, et encore ne leur a il baillé que trois mille escus. Il a grand tort: et me fera plaisir que en advertissiés, si pouvés, secrettement et sans qu'il soit sceu, la Royne d'Escosse, ma sœur; et luy donniés advis aussy de ce que je vous escripts de la confience qu'elle doibt avoir, affin que la Royne d'Angleterre n'ait poinct de nouvelle occasion de s'irriter contre elle; car il me semble, par ce que nous a rapporté mon cousin le duc de Montmorency, qu'elle est bien adoucie et qu'elle luy faira doresnavant meilleur traictement qu'elle n'a eu despuys quelque temps. Puisque Dieu a permis qu'elle soit prisonnière et ainsy réduicte avec la Royne d'Angleterre et aussy avec ses subjects escossois, je lui conseilleray tousjours de se comporter doucement; et cependant je feray tousjours, comme je veux aussy que faictes de ma part, envers icelle Royne d'Angleterre, mais que ce soit doucement et bien à propos, sans l'aigrir ny luy donner nouveau soubçon, tout ce que vous pourrés pour elle, espérant que la paix sera bientost establie en son royaulme parmi ses subjectz, et que Dieu luy faira la grâce que icelle Royne d'Angleterre, voyant sa constance, s'adoucira et faira pour elle mieux que nous n'avions pensé jusques icy. Je vous prie d'escrire souvent au Sr du Croc et à Vérac, et me mander, chasque fois que vous m'escrirés, en quel estat ils seront; priant Dieu, etc.
Escript à Paris, le XXe jour de juillet 1572.
CHARLES. PINART.
CXI
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du IXe jour d'aoust 1572.—
Négociation du mariage.—Réponse d'Élisabeth sur la mission de MMrs de Montmorenci et de Foix.—Explications données par Walsingham.—Desir du roi que la négociation soit continuée, alors même qu'il resterait peu d'espoir de la voir réussir.—Recommandation pour que le traité concernant le commerce s'achève.—Instances de Marie Stuart afin qu'il soit permis à quelqu'un de sa maison en France de se rendre auprès d'elle.—Nouvelles assurances de la protection du roi en sa faveur.—Affaires d'Écosse.—Nouvelles de Flandre.—Intention du roi que l'ambassadeur pousse Élisabeth à déclarer la guerre au roi d'Espagne.—Prochain mariage du roi de Navarre avec Madame.
Monsieur de La Mothe Fénélon, j'ay eu fort agréable la façon de laquelle vous vous estes comporté despuis le partement du duc de Montmorency, mon beau frère, et du Sr de Foix, mon cousin, en la négociation du traicté du mariage de la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur et cousine, avec mon frère, le Duc d'Alençon, ayant eu grand plaisir de voir par voz lettres les honnestes et véritables persuasions que, sur cella, vous avés, comme je vous avois escript, faictes de ma part, et de la Royne, Madame et Mère, et aussy de mon dict frère d'Alençon, à la dicte Royne, ainsi que j'ay veu par vos dépesches des XXe, XXIIe et XXIXe du moys passé[123] que j'ay receues, les deux premières par l'ordinaire, et l'autre par Vassal, présent porteur; lequel, oultre ce que par voz dictes lettres nous escrivés bien particulièrement, a fait encore verballement entendre à la Royne, Madame et Mère, ce que luy aviés donné charge nous dire, et qu'il a apris en cest affaire, négociant avec le milord de Burgley, toutes les foys que l'avés envoyé vers luy pour cest effaict; ayant trouvé le tout fort conforme à ce que le Sr de Walsingam déclara, hier au matin, au dict duc de Montmorency, mon beau frère, luy baillant une honneste lettre de sa Maistresse, faisant mention de la responce que nous attendons d'elle sur le propos du dict mariage; dont aussy le dict ambassadeur en manda aultant au dict Sr de Foix par son secrettaire, leur monstrant les lettres que icelle Royne, encore qu'elle n'ait acoustumé d'escrire à ses ambassadeurs, luy en avoit néantmoins voullu escrire elle mesme sa délibération, à cause de l'importance de l'affaire; ayant le dict ambassadeur présentement, en l'audience que nous lui avons donnée, faict entendre à la Royne, Madame et Mère, vers laquelle il est allé premièrement, pour ce que je disnois, faire entendre la responce que nous faisoit sa Maistresse au dict propos de mariage; et nous l'a déclaré en mesmes termes qu'il avoit dict au dict duc de Montmorency et mandé au dict Sr de Foix, conformément à ce qui lui étoit prescript par la première lettre qu'il avoit receue de sa Maistresse; qui est du XXIIe de juillet, laquelle contient, comme il nous a dict, que:
«Pour la grande inesgalité de l'âge d'entre elle et mon dict frère d'Alençon, il n'estoit possible que les choses se peussent faire et réheussir comme elle eût bien desiré pour son contentement et le nostre; mais qu'elle nous prioit que, ne se pouvant faire, pour ceste légitime occasion, cella ne feust cause de diminuer aulcunement nostre amitié ni altérer nostre dernier traicté, et que, de sa part, elle y persévèreroit et continueroit de tout son pouvoir sans y rien espargner.»
Et, poursuivant son propos, nous a dit que, par l'aultre lettre que luy a escripte la dicte Royne, sa Maistresse, despuis l'audience qu'elle vous avoit donnée, en laquelle luy présentastes et fistes voir les lettres que, de si bonne affection, je luy avois escriptes de ma main, et aussy la Royne, Madame et Mère, et pareillement mon dict frère d'Alençon, de l'extrême desir qu'il avoit de luy faire servisse et méritter ses bonnes grâces, elle luy mandoit qu'elle eût bien desiré de voir mon dict frère d'Alençon, et que luy l'eût veue aussy; car, en telles choses, cella serviroit beaucoup.
Sur quoy, suivant la résolution que nous en avons à ce propos prise, à ce matin, avec aulcungs seigneurs de mon conseil, qui ont toujours eu communication de cest affaire, la Royne, Madame et Mère, qui luy a premièrement donné audience, a, sur ce, respondu au dict ambassadeur, comme aussy ay je despuis, que, si nous sçavions et que luy cogneût que la dicte entreveue servît à nous donner le contentement que nous avions espéré et que nous desirons encore en cest affaire, que nous voudrions très vollontiers que mon dict frère allât plus tot aujourdhui que demain en Angleterre; mais aussy que, si la dicte Royne avoit changé la vollonté qu'elle et ses ministres vous ont dicte, il y a assés longtemps, qu'elle avoit de se marier, ou qu'elle n'eût agréable mon dict frère, que véritablement, se faisant en vain la dicte entreveue, que cella seroit cause certainement que nous aurions lors beaucoup plus grande occasion de mécontentement que nous n'avons à présent de la responce qu'elle nous a faicte, et peut estre que cella seroit cause de diminuer bien fort et altérer, possible, entièrement nostre amitié, laquelle, au contraire, nous espérions, le dict mariage se faisant, estre à jamais parfaicte et indissoluble par le moyen d'icelluy, comme, de vray aussy, seroit elle, s'il se faisoit, et en recevrions, elle et nous, noz royaulmes et communs subjectz, un extrême bien; et considéré l'estat auquel elle se peut retrouver en ses affaires et entre ses subjectz, j'estime qu'elle en auroit encore plus de commodité et de bien que nous.
Le dict ambassadeur, après y avoir un peu pensé, a supplié la Royne, Madame et Mère, que, sur cella, il luy pleût qu'il luy parlât en serviteur et non pas comme ambassadeur, car il n'avoit, pour ce faict, aultre charge que ce qu'il avoit dict. Il la supplioit que nous voullussions encore faire conduire cest affaire doucement, sans le rompre si soudain, et que, tousjours bien à propos, l'on en parlât sellon les occasions qui se présenteront, mesmes qu'il estimoit qu'il ne seroit que bon que j'escrivisse ou fisse dire par vous à la dicte Royne, et que la Royne, Madame et Mère, luy escrivît aussy plus affectionnément comme il luy est permis, estant mère, le grand desir et espérance que nous avons tousjours eue, despuis qu'elle vous avoit faict déclarer qu'elle estoit résollue de se marier en maison royalle, qu'elle espouseroit mon dict frère d'Alençon; et que, considéré encore le grand bien que cella apporteroit à ces deux royaulmes et à elle principallement, ses subjectz et païs, nous ne pouvons, la voullant parfaictement aymer, comme nous y sommes du tout disposés, si cella se faisoit, que nous ne le desirions encore infiniment.
Le dict ambassadeur monstrant d'estre très marri que nous n'en avions eu ceste fois aussy bonne responce que nous attendions, a faict croire à la Royne, Madame et Mère, et à moy aussy, qu'il y a fort grande affection que le dict mariage se fasse comme nous avons tousjours pensé de luy, pour ce que c'est le bien de sa Maistresse et particullièrement de ses païs et subjectz; mais aussy avons nous soubçonné, à l'instant, une chose où il y a quelque apparence, considéré ce que l'on vous a conseillé de delà, comme vous m'avés escrit: qui est de ne rompre pas du tout ceste négociation; et sommes entrés en quelque opinion, voyant la contenance du dict ambassadeur, et considérant l'humeur et cœur de sa Maistresse, qu'elle nous pouvoit bien avoir faict faire ceste responce pour se revancher de celle qui luy feust faicte pour mon frère le Duc d'Anjou, affin que cella luy servît de quelque réparation, et que nous n'eussions, en ceste négotiation, rien plus qu'elle, estimant que, si l'on revenoit, d'ici à quelques jours, à remettre en avant, doucement et de bonne façon, le propos du dict mariage d'elle et de mon dict frère d'Alençon, qu'avec l'ayde de Dieu, qui est le directeur de telles œuvres, elle y entendra, et qu'avec les grandes occasions qu'elle a de se marier et les persuasions et les dextérités dont vous saurés bien user en cest affaire, nous y verrons bientost quelque bonne espérance.
Il fault que vous travaillés à cella tant que vous pourrés; car, encore que cella ne se fît, combien que nous en ayons bonne espérance, sellon nostre grand et extrême desir, si fault il nécessairement que cessi nous serve, pour quelque temps, à entrettenir nostre amitié et establir mes affaires. Et pour ceste cause, vous aviserés, Monsieur de La Mothe Fénélon, à vous conduire en cella de façon qu'encore que vous vissiés qu'il n'y eût aulcune espérance au dict mariage, d'en mener tousjours le propos honnestement, et en parler à la dicte Royne, et à ses ministres, de bonne façon, monstrant que nous y avons tousjours espérance et toute affection d'entretenir, de nostre part, envers elle, sincèrement nostre bonne amitié, et la fortiffier du tout par le moyen du dict mariage.
Je ne luy en escris poinct pour ceste heure, ni aussy la Royne; Madame et Mère, comme estoit d'advis icelluy ambassadeur, et n'y a que mon dict frère, le Duc d'Alançon, duquel je vous envoye la lettre ouverte, que vous fermerés après l'avoir leue, pour la présenter et faire voir à la dicte Royne; et aussy, si vous voyés qu'il soit à propos, luy monstrerés celle qu'il vous escript affin que ce vous soit une nouvelle occasion de commencer à renouer et entretenir ceste négociation, pour laquelle nous verrons ce que La Mosle nous rapportera. Mais, quoy que ce soit, et en quelque estat que puisse estre, à son partement, cest affaire, il fault, et je vous prie ne faillir, quand bien il seroit du tout rompu, et que verriés qu'il n'y auroit nulle espérance, de trouver moyen d'en entrettenir toujours doucement le propos, d'ici à quelque temps; car cella ne peut que bien servir à establir mes affaires et aussy pour ma réputation.
Il est aussy bien besoin que vous acheviés le faict et establissement du commerce sellon l'intention de nostre traicté; duquel j'ay receu la ratification que m'avés envoyée, faicte par la dicte Royne d'Angleterre en bonne forme, mais il est besoing que la dicte Royne envoye au Sr Walsingam un pouvoir pareil à celluy que je vous ay dernièrement envoyé pour le faict de la dicte ratiffication; car icelluy Sr de Walsingam n'en a poinct qui soit exprès pour cest effaict, à ce qu'il dict.
Cepandant je vous diray que, pendant que nous avons faict cette dernière saillie pour aller à la chasse, j'ay faict bailler à l'ambassadeur de la Royne d'Escosse, ma sœur, les deux longues lettres qu'elle vous avoit escriptes, ensemble tout ce que Derdoy a raporté, et que luy avoit baillé la dicte Royne; et si, luy a dict, de vive voix, le dict Derdoy, tout ce qu'elle m'a mandé, et que j'avois donné charge au dict duc de Montmorency luy dire de ma part, de sorte que le dict ambassadeur est bien capable de toutes les intentions de ma dicte sœur; laquelle desire, à ce que nous a dict le dict ambassadeur, qu'il pleût à la Royne d'Angleterre luy permettre que son thrésorier ou un aultre de ses gens, tel que l'on voudra choisir, soit gentilhomme ou aultre, eût saufconduict pour aller d'ici à elle, instruict de toutz les affaires des biens qu'elle a de deçà à cause de son douaire, affin de les luy faire entendre et luy en rendre compte, et sçavoir aussy, sur plusieurs choses qui en dépendent, son intention et vollonté. Je vous prie, Monsieur de La Mothe Fénélon, luy en parler à la première audience que vous aurés, si vous voyés qu'il soit à propos, et que cella ne puisse préjudicier au traictement de ma dicte sœur, la Royne d'Escosse, ny aussy nuire au propos de mon dict frère le Duc d'Alençon; car, comme vous sçavés, j'ay tousjours faict et veux faire pour elle ce que honnestement il me sera possible et avec telle discrétion que mes assistances luy servent à son bon traictement et à sa conservation.
Et, quand aux affaires d'Escosse, j'ay veu par la pénultiesme dépesche que m'avés envoyée du Sr Du Croc comme ils se sont battus du costé du Nort, et que le frère du duc de Hontelly a surpris ceux que le parti du Petit Lict avoit laissés en garnison du costé de Hambletons, qui a esté cause, avec les dilligences et persuasions que le dict Du Croq m'escript par la dernière dépesche avoir tousjours faictes de ma part, et le Sr de Drury avecque luy de la part de la Royne d'Angleterre, qu'ilz sont en termes de faire une suspension d'armes pour deux moys, pendant laquelle ilz accordent tous d'assembler les Estatz au païs, et faire une bonne paix. A ce que j'ay entendu, et comme le dict Du Croc mesme m'escript, ceux de Lislebourg ne sont pas en si grande nécessité que l'on disoit, et ont encores bien bon moyen de résister, si la paix ne se faict entre eulx; pour laquelle j'escris encore présentement au dict Du Croc et aussy à Vérac qu'il fault qu'ilz travaillent tant qu'ilz pourront; car c'est la chose qui est la plus nécessaire au dict pays, et que je desire aultant que si c'estoit pour mes propres subjectz.
Vous aurés, à mon advis, bien entendu la défaicte du Sr de Genlis[124] et de quelques françois, mes subjectz de la nouvelle religion, qui s'estoient mis avec lui, et passés, sans mon adveu, en Flandres, ces jours icy; mais la deffaicte n'estoit pas si grande que l'on l'aura publiée par delà. Je vous en ay bien voullu dire ce petit mot.
L'on croit que la guerre se faira bien fort en Flandres, mais ce ne sera pas de mon costé, si ce n'est que les Espagnolz assaillent les premiers mon royaulme. Il seroit bien bon pour mes affaires que la Royne d'Angleterre, qui a tant de moyens, s'y mist de piedz et de mains, et qu'elle pratiquât en Zélande et ez villes qui sont, de ce costé là, tant ses voysines. Si cella estoit, le prince d'Orange, qui marche droit vers Monts avec son armée, quand il aura en passant pris quelque argent et artilleries des villes maritimes, seroit bien plus asseuré et fort qu'il ne sera; car il n'aura de mes subjectz de la nouvelle religion que ceux qui pourront s'eschaper à cachette. Il sera très bon que vous continuiés accortement à eschaufer, tant que vous pourrés, ceste Royne à se déclarer ouvertement, s'il est possible, contre le Roy d'Espagne: car cella faira qu'elle desirera davantage et tiendra plus chère la conservation de mon amitié, et que plus aisément elle consentira aussy au propos du mariage d'elle et de mon dict frère d'Alençon, qui n'oubliera jamais, ny moy aussy, la peyne que y avés prinse et prendrés encore.
Les fiançailles de ma sœur avec mon frère, le Roy de Navarre, se fairont, avec l'ayde de Dieu, mècredy prochain, et les nopces lundy. Le surplus des nouvelles vous l'entendrés par Vassal présent porteur; priant Dieu, etc.
Escript à Paris, le IXe jour d'aoust 1572.
CHARLES. PINART.
CXII
LA ROYNE MÈRE A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du Xe jour d'aoust 1572.—
Négociation du mariage.—Espoir qu'elle pourra être conduite à bonne fin.—Assurance d'une vive reconnaissance pour les soins donnés par l'ambassadeur à cette affaire.
Monsieur de La Mothe Fénélon, ainsi que Vassal, présent porteur, estoit prest à monter à cheval pour s'en retourner, la despesche que nous aviez faict, de Brichil, le IIIe de ce moys[125], est arrivée, laquelle j'ay aussytost veue, ayant eu plaisir de voir le contenu en icelle, qui me donne encore quelque espérance. En quoy je suis bien asseurée que vous ne perdrés une seule occasion de tout ce qui se peult faire en cella, pour nous faire avoir, s'il est possible, du fruict et contantement que nous en desirons de si grande affection, que vous pouvez, estant assuré que, si ce mariage se faict, vous nous aurés donné le plus grand contantement que puissions, pour ceste heure, desirer et espérer; et dont vous aurés telle rémunération que jamais gentilhomme ne l'a receu meilleure ni de meilleur cœur que nous la vous fairons. Et quand encores les choses ne succèderont si bien que nous vouldrons, sachant bien que vous vous y estes employé de la plus grande affection que se peult, nous ne laisserons de recognoistre vos bons services d'aussi bon cœur que je prie Dieu, etc.
Escript à Paris, le dimanche, Xe jour d'aoust 1572.
CATERINE. PINART.
CXIII
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du XXIe jour d'aoust 1572.—
Négociation du mariage.—Espoir de l'heureux succès de la mission de Mr de La Mole.—Desir du roi que Leicester soit chargé de passer en France.—Protestation de reconnaissance envers Leicester.—Affaires d'Écosse.—Célébration du mariage du roi de Navarre avec Madame.—Nouvelles de Marie Stuart.—Charge donnée à l'ambassadeur de continuer toujours à solliciter pour elle.—Assurance que le roi ne s'opposera point aux projets d'Élisabeth sur Flessingue.
Monsieur de La Mothe Fénélon, je receus hier seulement, à l'arrivée du Sr de L'Espinasse, venant d'Escosse, vos deux despesches des VIIe et XIe de ce moys[126], et, ayant très grand plaisir d'avoir veu si amplement et particulièrement par icelles, ce qui s'est passé aux deux audiences que la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur et cousine, vous a donnée sur l'occasion du voyage du Sr de La Mole; ce que j'espère, comme vous, servira bien à induire tousjours ceste princesse à entendre plus volontiers au mariage d'elle et de mon frère, le Duc d'Alençon, voyant qu'elle est recherchée de si bonne affection par mon dict frère, et que nous tous y avons aussi si bonne volonté pour rendre nostre amitié parfaicte et indissoluble; ainsi que vous aurez veu par la despesche que vous avons faite par Vassal, et que le Sr de Walsingam, son ambassadeur, aura, de sa part, escript à la dicte Royne, sur la responce qu'elle nous a, (au bout du moys qu'elle avoit prins de terme) faict faire par mon beau frère, le duc de Montmorency, et le dict ambassadeur.
J'estime que le dict Vassal et le courrier, que icelluy ambassadeur despescha sur ceste mesme occasion, seront arrivés bientost après vostre dicte despesche de l'unziesme à Quilingourt, et qu'estans auprès d'icelle Royne les comtes de Lestre, de Sussex et de Lincoln, et aussi milord trésorier, il se sera faict quelque bonne résolution sur ce que icelluy ambassadeur aura escript que la Royne, Madame et Mère, et moy luy respondismes du peu d'apparance qu'il y a que mon dict frère d'Alençon doibve aller de dellà, que premièrement il n'y ayt asseurance du dict mariage. Ce a esté cependant très bien faict à vous d'avoyr si dextrement bien introduict le dict de La Molle envers la dicte Royne et ceulx de sa court; et n'eust esté possible de se pouvoir mieux, à mon gré, comporter envers elle, sur l'occasion du voyage d'icelluy La Molle, que vous avez faict, comme j'ay veu par vos lettres. J'en espère quelque bon fruict, atandant en bonne dévotion son retour.
Et cependant je prens fort bonne estime de ce que le dict comte de Lestre persévère tousjours de vouloir venir par deçà se conjoyr de la part de la dicte Royne, sa Mestresse, avec moy de la naissance de l'enffant que j'espère que Dieu me donnera bientost, et que icelle Royne vous ayt dict qu'elle le y envoira si c'est un fils, en quoy je desire, soit que ce soit fils ou fille, qu'il vienne; car, par cella congnoistra on s'il desire sincèrement le dict mariage, et aussi si la dicte Royne y est résolue, pour ce que, si ainsi est, elle voudra, comme j'estime, pour l'honnorer, luy faire faire le dict voyage, et luy l'entreprendra plus volontiers, pour avoir cest honneur de nous déclarer la volonté et les condicions que la dicte Royne desirera au dict mariage, et pour, par mesme moyen, captiver la bonne grâce et amitié de mon dict frère d'Alençon, lesquelles ne luy manqueront poinct, ny toutes les bonnes volontés qu'il pourroit desirer et attandre de luy. Dont vous le pouvez asseurer que je veux estre et me constitue la vraye caultion de mon dict frère, et que je desire infyniement de le voir de deçà affin de le marier aussy et luy faire cognoistre, par un bon et grand effect, que je ne veux demeurer ingrat envers luy des bons offices qu'il a faicts, et que je me suis tousjours promis et si certainement assuré qu'il faira en cest affaire envers icelle Royne.
La Royne, ma femme, est en son huictiesme moys, et espère que, dedans peu de jours, nous yrons à Fontainebleau où elle faira ses couches; et seroit bien à propos, pendant que serons là, si le dict mariage a à réussir, comme nous le desirons tous, que la dicte Royne s'en déclarast apertement affin que nous en peussions bientost voir la conclusion et résolution au voyage du dict comte de Lestre, que je desirerois qui partist au plus tard, dedans six ou sept semaines, pour venir icy; et bientost après, se fairoit non seulement l'entreveue dont son dict ambassadeur nous a parlé de sa part, et elle à vous, mais la consummation du dict mariage.
Je vous ay tant de foys, par ci devant, escript les vifves et apparentes raisons qui luy doibvent, et à ses ministres, estre représentées du bien et commodité qu'elle recevra, s'il se faict, et vous m'en avez aussi, de vostre part, si souvent escrit, que je me remetz à vous pour en sçavoir user selon les occasions et ainsi qu'il sera à propos.
Je suis bien fort aise de la suspension d'armes accordée en Escosse, ainsi que m'avez escript, et que j'ay aussi entendu par le Sr de L'Espinasse, lequel je fairay renvoyer incontinant que j'auray prins résolution sur sa despesche avec ceulx de mon conseil, que j'assembleray dedans un jour ou deux, après que les tournoys des nopces de ma sœur et du Roy de Navarre seront parachevez.
Il ne sera que bien à propos, si voyez bientost ma dicte sœur, la Royne d'Angleterre, de luy dire comme le dict mariage se feist fort sollempnellement, lundy dernier, en ceste ville, en la grande église Nostre Dame, et les festins et cérémonies, comme il est de tout temps accoustumé, au palais et au Louvre; et qu'encores solempnisons nous, tous ces jours icy, les dictes nopces en tournois et allégresses, dont touts mes subjectz indifféremment se resjouissent, ainsi que je pense bien que son dict ambassadeur luy aura escript.
Je suis bien aise du retour de vostre secrétaire qu'aviez envoyé vers ma sœur, la Royne d'Escosse, et d'avoir veu par vostre lettre qu'elle se porte bien. Il sera bon que tousjours, quand verrez qu'il sera à propos, vous contynuyez tous bons offices pour elle, de ma part, envers la dicte Royne d'Angleterre et ses ministres.
Et, quant à ce que m'escrivez que l'on dict par dellà, que le Sr de Strossi avoit escript à ceux de Flexingues, encores que chascun aura bien cogneu despuis le contrayre, si suis je bien d'advis que, s'il vient à propos, quant parlerez à la dicte Royne, que l'asseurerez, ou ses ministres, que je ne la veux ni voudrais aulcunement empescher en ses desseins, et que, si elle y en a quelcung de ce costé là, qu'elle n'y sera aulcunement traversée de moy ni de mes subjectz, et ne faillyr de luy en donner toute assurance de ma part; priant Dieu, etc.
Escript à Paris, ce XXIe jour d'aoust 1572.
Par postille à la lettre précédente.
Monsieur de La Mothe Fénélon, j'escriptz un mot de lettre au Sr Du Crocq, lequel je vous prie de luy envoyer par la première commodité. Ce XXIe d'aoust 1572.
CHARLES. PINART.
CXIV
LA ROYNE MÈRE A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du XXIe jour d'aoust 1572.—
Négociation du mariage.—Proposition d'une entrevue sur mer.—Affaires d'Écosse.—Recommandation pour Marie Stuart.
Monsieur de La Mothe Fénélon, considérant voz deux despesches des VIIe et XIe de ce moys, je suis encore en quelque bonne espérance du propos du mariage de la Royne d'Angleterre et de mon fils d'Alençon; en quoy je suis très asseurée que vous n'obmettrez rien de tout ce qui se peult, pour en voir la bonne et heureuse fin que desirons; aussi ne vous en fairay je pas longue lettre, me remettant à ce que vous en escript le Roy, Monsieur mon filz. Et seullement vous diray que, s'il y avoit quelque chose de bien commancé et asseuré au dict mariage, il seroit bien fort aizé à faire que la dicte Royne d'Angleterre, mon filz d'Alençon et moy, nous verrions avec seuretté, pour elle et pour nous, en un beau jour, bien calme, entre Boullongne et Calais et Douvres, ainsi que l'on pourroit aizément disposer toutes choses, comme nous en avons devisé amplement, mon cousin le duc de Montmorency et moy, car je n'ay pas moindre vollonté de la voir qu'elle moy, et que si elle estoit ma propre fille, ainsi que vous ferez entendre à ses ministres doulcement, et à elle aussi, si voyez que bon soit, et qu'il se puisse espérer quelque bon succès du dict propos de mariage.
Cependant nous regarderons, ces jours icy, au faict d'Escosse, pour renvoyer incontinent le Sr de L'Espinasse, afin qu'ilz n'ayent pas seulement la suspension d'armes mais aussi une bonne paix entre eux, vous recommandant tousjours ma fille, la Royne d'Escosse, et priant de continuer, de ma part, quand il sera à propos, envers la dicte Royne d'Angleterre et ses ministres, les bons offices qu'avez accoustumé faire pour elle; priant Dieu, etc.
Escript à Paris, le XXIe jour d'aoust 1572.
CATERINE. PINART.
CXV
LE DUC D'ALENÇON A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du XXIe jour d'aoust 1572.—
Remerciemens des soins donnés par l'ambassadeur à la négociation du mariage.—Attente du retour de Mr de La Mole.
Monsieur de La Mothe Fénélon, je voy par voz dépesches comme vous estes sy affectionné, en l'affaire qui me concerne, que vous pouvés croire et estre asseuré que jamais je ne l'oublieray, vous priant continuer, affin que je puisse recevoir le bien et contantement que j'attandz de ceste négociation. Nous espérons que le Sr de la Molle sera bientost de retour, l'attandant en grande dévotion, pour l'extrême desir que j'ay qu'il nous raporte quelque bonne résolution sur l'occasion de son voyage, et que tant de peynes qu'en prennés succèdent bien pour me rendre fort contant; car il faut que je vous confesse, Monsieur de La Mothe Fénélon, qu'ayant ouy parler des vertus de la Royne d'Angleterre et des partyes qui sont en elle, que j'estime toutes perfections, je ne vois pas que je me puisse jamays despartir de l'affection que je luy porte, comme vous aura peu dire le Sr de La Molle; priant Dieu, etc.
De Paris, le XXIe jour d'aoust 1572.
Vostre bien bon amy. FRANÇOYS.
CXVI
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du XXIIe jour d'aoust 1572.—
Blessure faite à l'Amiral.—Assurance qu'il sera rendu justice.—Mesures prises pour l'observation de l'édit de pacification.—Les Guises signalés comme les auteurs de l'attentat.
Monsieur de La Mothe Fénélon, ainsi que mon cousin, le Sr de Chastillon, Admiral de France, sortoit présentement du Louvre, pour aller disner en son logis, il luy a esté tiré, par la fenestre d'une maison, où loge le Sr de Villemeur, qui estoit précepteur de mon cousin, le duc de Guyse, un coup de harquebuse, duquel il a esté fort bien blessé à la main droicte et au bras gauche; dont je suis infinyement marry, ayant aussytost faict faire tout ce qui se peut pour prendre (comme j'espère qu'on faira) celluy qui a donné le coup, et sçavoir d'où cella procède, afin d'en faire faire promptement telle et si grande justice que ce soit exemple par tout mon royaume; ayant aussi escript, par toutz les endroicts de mon dict royaume, aux gouverneurs des provinces et des principalles villes combien je trouve mauvais ce malheureux acte, et la résolution où je suis d'en faire faire justice très exemplaire, deffandant très expressément que, soubz ce prétexte, ni aultre que ce soit, nul de mes subjectz s'en esmeuve; mais au contraire que chascun ayt à garder et observer inviolablement, plus que jamais, mon édict de paciffication.
Et pour ce que je ne doubte pas que incontinant les nouvelles n'en soient par delà, je vous ay bien vouleu avec ceste dépesche, qui estoit preste à partir, advertir, affin que vous faciez entendre de ma part à ma sœur, la Royne d'Angleterre, ce que je vous en escriptz, et la dellibération où je suis d'en faire faire si grande justice que chascun y prendra exemple en mon dict royaume, et de faire, au demeurant, garder entièrement et inviolablement mon dict édict de paciffication; priant Dieu, etc.
Escript à Paris, le XXIIe jour d'aoust 1572.
Monsieur de La Mothe Fénélon, je ne veux oublier de vous dire que ce méchant acte procède de l'inimitié d'entre sa maison et ceux de Guyze; et sauray bien donner ordre qu'ils ne mesleront rien de mes subjectz en leurs querelles: car je veux que mon édict de paciffication soit de point en point observé.
CHARLES. PINART.
CXVII
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du XXIVe jour d'aoust 1572.—
Première nouvelle de la Saint-Barthèlemy.—Soulèvement de la maison de Guyse contre la maison de Chatillon.—Meurtre de l'amiral Coligni et de ses adhérens.—Efforts du roi pour apaiser la sédition.—Mesures qu'il a dû prendre afin de se préserver lui-même.—Le roi de Navarre et le prince de Condé gardés auprès du roi.
Monsieur de La Mothe Fénélon, vous aurez entendu ce que je escrivis avant hyer de la blesseure de mon cousin l'Admiral, et comme, après ce faire tout ce qui m'estoit possible pour la vérification du faict et en faire faire si grande et prompte justice qu'il en feust exemple par tout mon royaume, à quoy il ne s'est rien oublié; despuis il est advenu que ceux de la maison de Guyse et les autres sieurs et gentilhommes qui leur adhèrent, qui n'ont petite part en ceste ville, comme chascun sçait, ayant sceu certainement que les amis de mon dict cousin l'Admiral vouloient poursuivre, et exécuter sur eux vengeance de ceste blesseure, parce qu'ils les soubçonnoient d'en estre la cause, se sont esmeus ceste nuit passée, si bien qu'entre les uns et les autres il s'est passé une grande et lamantable sédition, ayant esté forcé le corps de garde qui avoit esté ordonné à l'entour de la maison du dict sieur Admiral, luy tué avec quelques autres gentilshommes, comme il en a esté aussi massacré d'autres en plusieurs endroicts de la ville: ce qui s'est meu avec une telle furie qu'il n'a esté possible d'y apporter le remède tel que l'on eût peu désirer, ayant eu assez à faire à employer mes gardes et autres forces pour me tenir en seureté dans mon chasteau du Louvre, ayant donné cependant ordre partout d'appaiser la dicte sédition, qui s'est extrêmement eschauffée par toute ceste ville. Ce qui est advenu par la querelle particullière qui est, de longtemps, entre ces deux maisons.
De laquelle ayant tousjours préveu qu'il adviendroit quelque mauvais effaict, j'avois cy devant faict tout ce qui m'avoit esté possible pour l'appaiser, ainsi que chascun sçait; n'y ayant en cella rien de la rupture de mon édict de pacification, lequel je veux au contraire entretenir plus exactement que jamais, ainsi que je le fais sçavoir par tous les endroictz de mon royaume, et que je vous prie aussi faire entendre par delà à ma sœur, la Royne d'Angleterre, et aux autres qu'il sera besoin, afin que l'on n'entre en aucune opinion de la rupture du dict édict, ni que j'y aye aucune volonté; mais que chascun cognoisse que j'ay grand desplaisir de ce qui est ainsi mal advenu, et que c'est bien la chose que je déteste le plus.
J'ay près de moy mon frère, le Roy de Navarre, et mon cousin, le Prince de Condé, pour avoir mesme fortune que moy.
Sur ce, je prierai Dieu, Monsieur de La Mothe Fénélon, vous avoir en sa saincte et digne garde.
Escript à Paris, le XXIVe jour d'aoust 1572.
CHARLES. PINART.
Je vous prie de faire tenir, au plus tost, au Sr Du Croq la lettre que je luy escris.
CXVIII
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du XXVe jour d'aoust 1572.—
Continuation de la sédition.—Découverte d'une conspiration tramée par les protestans contre le roi, ses frères et la reine-mère.—Recommandation faite à l'ambassadeur de garder le silence sur ces évènemens jusqu'à nouvelles informations.—Attente de plus grands éclaircissemens.—Ordre donné de retenir les dépêches envoyées pour Mr Du Croc en Écosse.
Monsieur de La Mothe Fénélon, je vous feis hyer une despesche de l'émotion qui advint, dès le matin, qui continua hyer, et qui véritablement, à mon très grand regret, n'est encore apaysée; mais, pour ce que l'on a commencé à descouvrir la conspiration que ceux de la religion prétandue réformée avoient faicte contre moy mesmes, ma mère et mes frères, vous ne parlerez poinct des particullaritez de la dicte émotion et de l'occasion, jusques à ce que vous ayez plus amplement et certainement de mes nouvelles; car j'espère, dedans aujourdhuy au soir ou demain matin, avoir esclaircy le tout; et vous en manderay aussitost la vérité, ayant advisé vous despescher ce courrier en toute dilligence, priant Dieu, Monsieur de La Mothe Fénélon, vous avoir en sa saincte garde.
Escript à Paris, le lundy, XXVe jour d'aoust 1572.
N'envoyez pas au Sr Du Croc les dernières lettres que je luy escripvois de la dicte émotion, et que je vous mandois luy faire tenir pour ce que je luy en fairai demain, comme à vous, une bien ample.
CHARLES. PINART.
CXIX
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du XXVIe jour d'aoust 1572.—
Affaires d'Écosse.—Instances que doit faire l'ambassadeur auprès d'Élisabeth au sujet de l'occupation d'Édimbourg.—Explication du traité concernant la suspension d'armes.—Charge donnée à Mr de L'Espinasse de passer en Écosse.—Pension payée par le roi au lair de Grange pour retenir le château d'Édimbourg.—Secret qu'il faut garder sur cette circonstance.—Nécessité où se trouve le roi de conserver la paix avec l'Angleterre.—Envoi d'un mémoire justificatif de la Saint-Barthèlemy.—Espoir que la négociation du mariage pourra se continuer.
Monsieur de La Mothe, renvoyant le Sr de L'Espinasse, présent porteur, en Escosse, j'ay advisé de vous adresser sa despesche toute ouverte, afin que voyés le contenu en icelle, et que puissiés faire envers la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur et cousine, qu'elle mande et fasse faire, de sa part, comme j'escriptz au Sr Du Croc faire, de la mienne, envers mon cousin le comte de Mar, et aultres seigneurs tenant son parti en Escosse, pour faire incontinent sortir de la ville de Lislebourg les soldats qui y sont, suivant l'abstinence et suspension d'armes, laquelle j'escriptz aussi au dict Du Croc et Vérac faire, s'il est possible, prolonger encore pour deux moys, afin qu'ilz ayent plus de moyen et de temps de traitter quelque bonne et ferme paix au dict païs d'Escosse, sellon la charge que je en ay donnée et le pouvoir que je en ay envoyé.
Je luy escriptz aussi, comme verrés par mes dictes lettres, l'interprétation qu'il fault qu'il se fasse de ces mots: que chascun rentrera en leurs maisons. De quoy il fault pareillement que ma dicte sœur, la Royne d'Angleterre, escrive bien expressément au Sr de Drury, et qu'elle luy envoye un bon pouvoir pour tout ce que dessus, et pour résouldre, avec le dict Sr Du Croq, suivant ce qui a esté accordé par les Escossois, les difficultés qui se pourront mouvoir, en traittant de la paix d'entre eux, vous priant de renvoyer incontinant le Sr de L'Espinasse en Escosse, afin qu'il soit bientost par delà.
J'envoye par luy la somme de trois mille livres, pour ayder à payer les soldats que ceux du bon parti ont licentiés, et, oultre cela, j'envoye au Sr de Granges, capitaine du chasteau de Lislebourg, mille livres pour le prochain mois de l'entretènement que j'ay promis luy bailler secrettement, par forme d'entretènement, par chascun moys, afin que tousjours il tienne et garde bien le dict chasteau à la dévotion de ma sœur la Royne d'Escosse, et de moy pareillement; car je ne veux rien perdre de l'accès et bonne intelligence que mes prédécesseurs et moy avons accoustumé d'avoir au dict païs d'Escosse, en laquelle ce moyen aydera bien à me maintenir; mais il faut tenir secret l'entretènement que je donne au dict de Granges, et prendre seuretté de luy, signée de sa main et scellée du scel de ses armes, de la promesse qu'il m'en faira, comme j'escriptz au dict Sr Du Croq. Et se fault bien garder que l'on le sçache, car il seroit à craindre que le comte de Mar et ceux de son party se despartissent, du tout, de ma confédération, et aussi que la dicte Royne d'Angleterre prînt occasion, par cela, d'altérer le traicté qu'elle et moi avons faict dernièrement, lequel je désire bien fort entretenir, et plustost fortiffier et augmenter nostre amitié que la diminuer. A quoy je vous prie tendre toujours tant que vous pourrés.
Je vous envoye un mémoire[127] à la vérité comme les choses sont passées en ceste dernière émotion, affin que, sellon icelluy, vous le fassiés entendre à ma dicte sœur, la Royne d'Angleterre, à ses principaux ministres et à ceux que verrés qu'il sera à propos, me donnant advis de ce que l'on en dira par delà et des autres occurrences comme avés accoustumé.
J'attends toujours le retour du Sr de La Molle, desirant bien fort qu'il nous apporte quelques bonnes nouvelles du propos du mariage de la Royne et de mon frère d'Allençon, ce que je vous recommande tousjours d'affection; et prie Dieu, etc.
Escript à Paris, ce XXVIe jour d'aoust 1572.
CHARLES. PINART.
CXX
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du XXVIIe jour d'aoust 1572.—
Retard apporté au départ de Mr de L'Espinasse.—Annonce de l'envoi du mémoire justificatif de la Saint-Barthèlemy par un courrier exprès.—Desir du roi de connaître quels sont les protestans français qui se sont réfugiés en Angleterre, et si Montgommery est du nombre.—Nécessité d'avertir promptement le roi de tout ce qui se passera entre Élisabeth et le roi d'Espagne.—Prompt départ de Mr de L'Espinasse.—Protection accordée pendant les troubles à Walsingham.
Monsieur de La Mothe Fénélon, je pensois que le Sr de L'Espinasse deût partir dès ce soir, pour aller, en toute diligence, comme je luy avois expressément commandé, passer vers vous en Angleterre, et, de là, s'acheminer en Escosse, avec la responce et résolution de la dépesche, pour laquelle il estoit venu icy[128]; et, par mesme moyen, pour vous porter le mémoire, au vray, comme toutes choses sont passées en ces émotions advenues, vendredy dernier, afin que, suivant ce que je vous ay dernièrement escript, vous puissiés en parler selon les termes portés par icelluy; lequel, pour ce que je voy que le dict de L'Espinasse n'ait pu si tost partir, et que peut estre il ne fairoit pas assés de diligence, j'ay advisé de vous l'envoyer, avec ce petit mot de lettre, par ce courrier exprès, qui faira toute diligence, vous priant d'user du dict mémoire de telle sorte, envers ma dicte sœur, la Royne d'Angleterre, que ce qui est advenu de deçà ne soit point cause d'altérer nostre bonne amitié; mais, au contraire, que le propos de mariage d'elle et de mon frère, le Duc d'Allençon, se puisse heureusement effectuer, attendant tousjours en bonne dévotion le retour de La Mole; vous priant aussy de vous enquérir doucement quels de mes subjects de la religion se sont retirés en Angleterre, et principalement Montgomery; car je doubte qu'il s'y soit saulvé pour ce que ceux qui estoient allés après luy ne l'ont peu attraper.
Vous me ferés aussi fort grand service de me tenir continuellement adverti des occurrances de delà, et comme la dicte Royne se comportera du costé de Flexingues et avec le Roy d'Espagne, et ses ministres, et aussi avec les Escossois, et pareillement avec les princes de la Germanie protestans. Et cependant je prie Dieu, etc.
Escript à Paris, le XXVIIe jour d'aoust 1572.
Despuis ceste lettre escripte, le dict de L'Espinasse est venu en ce Louvre, ayant asseuré qu'il partiroit incontinent, voylà pourquoy j'ay différé de vous envoyer ceste cy par homme exprès, mais la luy fairai bailler. Le Sr de Walsingham a esté soigneusement conservé, pendant ce trouble, en son logis, et le fairai tousjours, luy et les siens, assyster, comme le requiert la vraye amitié d'entre ma sœur, la Royne d'Angleterre, et moy.
CHARLES. PINART.
CXXI
INSTRUCTION A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
Mémoire justificatif de la Saint Barthèlemy.
Le Roy a, du vingt deuxiesme de ce mois, donné advis au Sr de La Mothe Fénélon, son conseiller et ambassadeur en Angleterre, de la blesseure qui advint, le jour mesme, au feu Sr de Chastillon, admiral de France, affin de le faire entendre à la Royne d'Angleterre, et, quant et quant, le regrès que Sa Majesté y avoit, bien délibérée de faire fère toute la poursuite qu'il seroit possible pour la vérification du maléfice, ainsi qu'il y avoit jà bien esté commancé, et continué jusques au jour de devant hier, avec toute la diligence qui se peult user en affère que Sa Majesté a bien fort à cueur;
Ayants esté députés, pour instruire le procès de ceulx qui se trouveroient coulpables du dict maléfice, aucuns des principaulx conseillers de son conseil privé et maistres des requestes de son hostel, mesmement le maistre des requestes, Cavaignes, qui a tousjours esté le principal conducteur des affaires de ceulx de la nouvelle religion, affin qu'il feût mieulx cogneu, parmy eulx, le bon pied, dont Sa Majesté faisoit procéder en ce faict.
Dont, encores que le dict sieur Admiral, et tous les seigneurs et gentilshommes de la dicte nouvelle religion, ses adhérans, qui estoient près de luy, eussent occasion d'estre contens, et du bon ordre que Sa Majesté avoit donné pour le tenir en seureté dedans sa maison, et empescher que les malveillans et le peuple de Paris, pour beaucoup de respects particulliers, assez cognus à ung chascun, mal affectez envers luy, ne luy fissent aucune offance, ce néantmoins, il s'est descouvert que luy et les autres seigneurs gentilshommes de la dicte nouvelle religion, qui estoient en assés bon nombre en ceste ville, avoient faict une entreprinse et conspiration, pour, (sans attandre l'effect de la justice, que Sa Majesté s'estoit mis en tout debvoir de leur faire fère et administrer, et en laissant ceulx, qu'ilz soubçonnoient en estre autheurs), s'attaquer à Sa dicte Majesté, la Royne sa Mère, et Mes Seigneurs ses frères, qu'ils vouloient mettre à mort et exécuter sur eulx; ce à quoy ilz avoient, d'autres fois, failly, ainsi mesmes que aucuns de ceulx de la dicte nouvelle religion l'ont déclaré, meuz de bon zèle et fidélité envers Sa dicte Majesté, l'avoient dict et déclaré, pour avoir ouy le conseil qui en avoit esté pris entre le dict Admiral, Telligny, La Rochefoucault et Cavaignes; et d'autres, avant que mourir, ont confessé qu'ils recepvoient une juste pugnition de leur mauvaise conspiration, en ce qu'ils avoient heu volonté de faire à l'endroict de Leurs dictes Majestés.
De quoy advertye, Sa dicte Majesté, et voyant que ces advis se conformoient grandement aux menasses que Thelligny n'avoit point esté honteux de fère: qu'ils prandroient les armes, si, dedans deux jours, il n'estoit faict justice de la dicte blesseure; pour se guarantir du danger qui luy estoit tout certain, à la Royne, sa Mère, et à mes seigneurs ses frères, elle a esté contraincte de lascher la main à Messieurs de la mayson de Guyse, qui, le XXIIIIe de ce mois d'aoust, avec quelque petit nombre de soldats, ont tué le dict Admiral et quelques autres gentilshommes de sa faction; s'estant l'esmotion grandement acreue parmy le peuple, pour estre jà imbu de la susdicte conspiration, et luy bien fort irrité d'avoir veu Sa dicte Majesté contraincte avec la Royne, sa Mère, et Mes Seigneurs ses frères, de se resserrer dedans son chasteau du Louvre avec leurs guardes, et de tenir les portes fermées pour s'asseurer contre la force et violence que l'on leur vouloit faire; et pour laquelle exécuter aucuns gentilshommes de la faction du dict Admiral, mesmes Pilles et Mouny, ses principaulx factieux, avoient passé la nuict dedans le dict chasteau, cachés en des chambres pour ayder à ceulx qui debvoient venir de dehors en plus grand nombre et forcer les portes du dict chasteau et exécuter leur entreprinse: ce qui fut descouvert de grand matin, et les dicts gentilshommes déchassés du dict chasteau.
De toutes lesquelles choses le peuple aigri, a exercé grande viollence sur ceulx de la nouvelle religion; dont tous les chefs, qui se trouvoient au dict Paris, ont esté tués.
Ce qui est advenu au grand regrès de Sa dicte Majesté, et toutesfois pour l'occasion qu'ils en ont donnée eulx mesmes les premiers; de quoy Sa dicte Majesté a bien voullu donner advis au dict Sr de La Mothe, affin de faire entendre à la Royne d'Angleterre comme les choses sont passées; dont ne luy veult rien déguiser. Et, en ce faisant, le dict Sr de La Mothe asseurera, de la part de Sa Majesté, à la dicte Royne qu'en ce qui est ainsi advenu, il n'est point question du faict de la religion ni de la rupture de l'édict de pacification; mais que la chose est procédée de la malheureuse conspiration qu'ils avoient faicte contre Sa dicte Majesté, cogneue par tant de certains indices que l'on ne la pouvoit ignorer et tarder à y pourvoir, sans le certain péril de leurs personnes, ayant esté tant plus mal aisé à supporter la dicte conspiration, que Sa Majesté leur avoit tousjours faict tous les favorables traictemens dont elle eût sceu user à l'endroict de ses plus fidelles subjects, et gratifié le dict feu sieur Admiral des grands biens, et faict, despuis l'édit de pacification, comme plusieurs autres gentilshommes de la nouvelle religion qui ont esté receus aux honneurs et dignités qui ont vacqué, ainsi que les autres bons et loyaux subjects catholicques.
CXXII
LE DUC D'ANJOU A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du IIIe jour de septembre 1572.—
Assurance que la tranquillité est rétablie.—Demande que Cavaignes soit livré à la France, s'il s'est réfugié en Angleterre.
Monsieur de La Mothe Fénélon, le Roy, Mon Seigneur et frère, vous escript bien amplement[129] l'estat paysible auquel est à présent, et despuis troys ou quatre jours, ceste ville et les autres de son royaulme, ensemble le propos que nous eusmes hyer avec le Sr de Walsingham, ambassadeur de la Royne d'Angleterre, Madame ma bonne sœur et cousine, sur ces évènementz; qui me gardera vous en faire aucune redicte par ceste lettre, laquelle sera seulement pour vous prier de prendre soigneusement garde sy Cavaignes, qui se trouve chargé de la conspiration faicte contre le Roy, mon dict frère, et son estat, est par dellà, où l'on dict qu'il s'est sauvé et retiré, et faire toute l'instance que vous sera possible, envers la dicte Dame Royne, pour le faire arrester et vous permettre de le renvoyer par deçà soubz bonne et seure garde. Et vous fairés bien grand et agréable service au Roy, Mon dict Seigneur et frère, priant Dieu, etc.
Escript à Paris, le IIIe jour de septembre 1572.
Vostre bon amy. HENRY.
CXXIII
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du VIIe jour de septembre 1572.—
Retour de Mr de la Mole.—Satisfaction qu'éprouve le roi du résultat de sa mission.—Adhésion donnée à l'entrevue demandée par Élisabeth pourvu qu'elle ait lieu sur mer.—Affaires d'Écosse.—Desir que la suspension d'armes soit continuée, et qu'il soit procédé à un traité définitif.—Cessation des troubles dans les provinces.—Mesures prises pour assurer la tranquillité.—Arrestation de Cavagnes.—Fuite de Montgommery à Jersey ou Guernesey.—Injonction faite à l'ambassadeur de demander à Élisabeth l'autorisation de l'arrêter dans ces îles.—Attente d'une réponse au sujet des dépêches sur la blessure et la mort de Coligni.—Desir du roi de connaître la conduite que tiendra Élisabeth avec le prince d'Orange et ceux de Flessingue.
Monsieur de La Mothe Fénélon, hyer, à l'arrivée du Sr de La Molle, j'ay fort particullièrement, et à mon gré, bien entendu, tant par vostre dépesche[130] que par ce qu'il nous a discouru amplement de bouche, comme toutes choses se sont passées en son voyage devers la Royne d'Angleterre, ma bonne seur et cousine, ayant, vous et luy, veu en la dicte Royne toutes les bonnes et grandes démonstrations d'amitié envers moy et les miens qui se peuvent desirer; dont je suis infiniment ayse, la correspondant, en cella, de ma part, comme aussy font la Royne, Madame et Mère, et mes frères, sincèrement, autant qu'il se peut dire, et encore plus mon frère d'Allençon, qui, ayant ouy parler le dict La Molle, a beaucoup augmenté l'espérance qu'il avoit du bon succès du mariage d'icelle Royne et de luy. Et ayant veu et bien considéré, avec la Royne, Madame et Mère, et mes dicts frères, vostre lettre, et l'escript qui vous a esté baillé par les conseillers de la dicte Dame, que nous a rapporté le dict La Molle, enfin nous avons résolu, (pour voir clair, gaigner le temps en cest affaire, et l'effectuer bientost, s'il plait à Dieu qu'il réussisse), de vous donner charge, comme je fais, de regarder les moyens qu'il y aura que l'entrevue, que desire la dicte Royne, se fasse en un beau jour, sur la mer, entre Boullongne et Douvres, que nous desirerions bien estre vers le XXe du moys proschain, où Madame et Mère, et elle, et mon frère d'Alençon, se verront, ainsi que Ma dicte Dame et Mère vous a escript par nostre dépesche du XXIe du passé.
Si la dicte Royne le veult ainsi, il sera bien aisé d'aviser, d'entre cy et là, aux surettés et l'ordre qu'il y faudra donner d'une part et d'autre, dont mon beau frère, le duc de Montmorency, escrira de delà pour en adviser. J'espère qu'à la dicte entrevue se faira la conclusion du dict mariage; car, à ce que nous a dict le dict La Molle, il y a veu la dicte Royne fort disposée, et ses conseillers aussy; dont je me resjouis bien fort, et en prens fort bonne estime par toutes les particularités du discours de vostre lettre, m'asseurant que le Sr de Walsingham, que je sçay certainement qui y a faict tous bons offices pour le service de ma sœur et cousine, sa Maistresse, et pour nostre particullier aussi, persévèrera, tant qu'il pourra, au bien de cest affaire, vous priant l'excuser envers ma dicte bonne sœur, sa Maistresse, et luy dire, de ma part, que ce qu'il y a eu de faulte d'intelligence aux termes qu'il me tint et à la Royne, Madame et Mère, en la responce qu'il nous fit au bout du mois, est venue de nous et non de luy; à qui, pour ceste cause, je la supplie n'en sçavoir nul mauvais gré, car il s'est tousjours porté et démonstré fort desireux et bien affectionné à entretenir et fortifier la bonne amitié d'entre elle et nous, qui l'asseurons, comme luy pourrés aussi dire de nostre part, qu'elle trouvera tousjours en nous toute la droicte et bonne correspondance de parfaicte amitié qu'elle pourroit desirer.
J'ay veu le deschiffrement de ce que ma sœur, la Royne d'Escosse, a escript au Sr Du Croq, ce qu'il vous en a mandé, elles deux lettres qu'elle vous a aussi à ce propos escriptes. Sur quoy je suis d'advis que le dict Sr Du Croq fasse en sorte, ainsi que je luy ay mandé par L'Espinasse: que la dicte ville de Lislebourg soit restituée et laissée libre, comme il a esté accordé par le traicté de la suspension d'armes; que la dicte suspension continue encore pour deux mois, s'il est possible; et qu'il fasse, au demeurant, honestement tout ce qu'il pourra, ainsi que je luy ay tousjours commandé faire, et que je sçai aussi qu'il a faict, pour l'adventage de ma dicte sœur, la Royne d'Escosse, et ses bons subjects; observant entièrement les traittés que mes prédécesseurs et moy avons, de si longtemps, avecque les Escossois, et pareillement celluy que j'ay dernièrement faict avec la dicte Royne d'Angleterre; car je suis résolu de le garder, sans y rien enfreindre en quelque sorte que ce soit. Et faut que vous et luy advisiés par delà de bien suivre en toutes choses l'intention du dict traitté, afin de continuer tousjours la bonne paix et amitié d'entre elle et moy, que je veus entièrement conserver; estimant que, quand je continueray en cela avec elle, que j'auray plus de moyen d'ayder à ma dicte sœur, la Royne d'Escosse, qui le doit, ce me semble, considérer et ainsi desirer, et s'asseurer aussi que je fairai tousjours pour elle, comme j'ay faict, tout ce qu'il me sera possible; ce que luy fairés entendre, de ma part, quand en aurés le moyen.
Au demeurant, Monsieur de La Mothe Fénélon, grâces à Dieu, l'esmotion advenue, comme je vous ay escript, en plusieurs villes et endroicts de mon royaulme, à cause de la mort et conspiration du feu Admiral et ses adhérans, est maintenant appaisée, espérant que tous mes subjects, vivans en paix les uns avec les aultres, se conformeront à ma volonté, sellon la publication que j'en ay faict faire par tout mon royaume, et que mes gouverneurs et mes lieutenans généraulx, qui sont par les provinces, donneront bon ordre, comme je leur ay donné tout pouvoir d'asseurer de ma bonne et droicte volonté ceux qui pourroient estre en crainte, et qui ne sont de la malheureuse conspiration dont je vous ay escript.
Le maistre des requestes, Cavaignes, que je vous avois mandé qui estoit passé en Angleterre a esté pris despuis deux jours, et mis ès mains de justice; mais j'ay sceu certainement que le comte de Montgomery, qui est un des principaux participans à icelle conspiration, est passé ès isles de Grènesay et Gersay, où il a, à ce que j'ay sceu, délibéré de demeurer, comme il fit quelque temps durant les troubles, expressément pour avoir et tirer tousjours la commodité des maisons qu'il a le long de la coste de Normandie et Bretaigne, qui sont bien près des dictes isles, où je l'eusse envoyé prendre, comme il m'estoit fort aysé et que j'en ay bien le moyen, pour estre les dictes isles fort près de moy; mais, ne voullant en façon que ce soit donner aucune occasion à la dicte Royne, ma bonne sœur et cousine, de penser que je veuille rien faire faire ny entreprendre sur ses possessions sans sa permission, j'ay différé et retenu ceux qui l'y eussent aisément esté prendre, jusques à ce que luy en ayés parlé, et requis, comme vous fairés de ma part, me permettre d'y pouvoir envoyer, sans qu'il soit faict tort à nul de ses subjects, ny que cela altère aucune chose de nostre bonne amitié.
J'attends, à toutes heures, de vos nouvelles sur les dépesches que je vous ay faictes despuis la blessure et mort du dict Admiral, desirant aussi que vous fassiés secrètement voir comme ceux de mes subjectz, qui sont de la religion prétendue refformée, passans de là, sont recuillis et receus, et leurs déportemens et les noms des principaux et plus apparans qui y sont, et pourront encore aller.
Je seray aussi bien ayse et desire bien fort que me mandiés comme se comportera maintenant la dicte Royne d'Angleterre envers le prince d'Orange et ceux de Flexingues, et combien il y peut avoir de ses subjects, et si elle persévèrera à y en envoyer, et comme elle s'y comportera. Au demeurant, m'asseurant aussi que vous n'oublierés de m'advertir des autres occurances, je ferai fin à ceste cy et prierai Dieu, etc.
Escript à Paris, le VIIe jour de septembre 1572.
CHARLES. PINART.
CXXIV
LA ROYNE MÈRE A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du VIIe jour de septembre 1572.—
Négociation du mariage.—Motifs qui doivent engager à accepter l'entrevue sur mer.—Satisfaction témoignée par Catherine de Médicis du dévouement de Walsingham.
Monsieur de La Mothe Fénélon, le Roy, Monsieur mon filz, et moy avons résolu que vous proposerés à la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur et cousine, que nous ferons volontiers l'entrevue qu'elle desire, comme aussy faiz je, pour avoir ce bien que j'ay souvant desiré de la voir, et mon filz d'Alençon encores plus qu'elle ny moy, tant il est parfaictement son serviteur; mais il faut que l'entrevue se face sur la mer, comme je vous ay, ces jours passés, escrit, et qu'elle vienne à Douvres, et mon dict filz d'Alençon et moy yrons à Boullongne ou à Callais, par un beau jour, nous acheminer en mer, et sy ce n'est assés d'un jour nous nous pourrons encores revoir. J'espère en Dieu que, sy nous nous voyons (estant toutz les articles accordez) comme me mandez qu'ils sont pour mon dict filz, le Duc d'Allençon, ainsy qu'ils estoient pour mon filz le Duc d'Anjou, excepté celluy de la relligion, à quoy vous préparerés, entre cy et là, quelque bon et honneste et salutaire expédiant, que nous ne nous départirons poinct que nous ne facions le dict mariage, pour lequel je vous prye travailler d'aussy grande affection qu'avés tousjours faict, afin que nous en ayons la bonne yssue que nous desirons. Et croyés que jamais services ne feurent sy bien recognuz envers bon serviteur (comme vous estes) qu'ils seront en vostre endroict, non seullement par le Roy et par moy, mais aussy par mon dict filz d'Alençon, lequel je vous recommande.
Vous priant, au demeurant, suivant ce que le Roy, Mon dict Sieur et filz, vous a escrit, requérir de nostre part la dicte Royne de ne sçavoir aucun mauvais gré au Sr de Walsingam, son ambassadeur, des termes qu'il nous a dict dernièrement, nous faisant la responce, au bout du moys, dont elle luy aura donné charge, car ce feust nous mesmes qui interprétasmes le tout, ainsy qu'il nous fut escrit. Je vous asseure qu'il est bien affectionné (à ce que j'ay cogneu) à entretenir la bonne paix et amytié d'entre elle et nous, qui l'aymons pour ceste occasion, et aussy pour les bons offices que nous avons sceu qu'il a faicts pour la négociation du dict mariage; en quoy, encores que ceste émotion soit advenue icy, j'estime qu'il persévèrera, car il a veu comme nous avons eu très grand soing de le conserver et toutz les siens, comme ilz ont esté, et n'y a eu que en la perquizion de Bricquemault qu'il s'esmeut un peu, mais cella feust soudain passé, et envoya faire l'excuse comme vous a escrit mon dict filz. Je vous prye nous escrire le plus tost que pourrez des occurrances de dellà, priant Dieu, etc.
Escrit à Paris, le VIIe jour de septembre 1572.
CATERINE. PINART.
CXXV
CONJOUISSANCE DE Mr LE CARDINAL DE LORRAINE,
au nom du Roy, faicte au Pape, le VIIe jour de septembre 1572, sur la mort de l'Admiral et de ses complices.
D. O. M.
BEATISSIMO PATRI GREGORIO XIII, PONTIFICI MAXIMO, SACRO ILLUSTRISSIMORUM CARDINALIUM COLLEGIO, S. P. Q. R.
Carolus IX, Christianissimus Francorum Rex, zelo zelatus pro Domino Deo exercituum, repentè, velut angelo percussore divinitùs immisso, sublatis unâ occidione propè universis regni sui hereticis perduellibusque, tanti beneficii immemor nunquam futurus, consiliorum ad eam rem datorum, auxiliorum missorum, duodecennalium precum, supplicationum, votorum, lacrimarum, suspiriorumque ad Dominum Omnipotentem Maximum,
Suorum et Christianorum omnium planè stupendos affectus, omninò incredibiles exitus, modis omnibus redundantem divino munere satietatem, ipse nunc solidissimorum gaudiorum aflluentissimus gratulatus,
Tantam felicitatem, quæ, Beatissimi Patris Gregorii XIII pontificatûs initio, non multò post ejus admirabillem et divinam electionem, evenerit, unà cum orientalis expeditionis constantissimâ et promptissimâ continuatione, ecclesiasticarum rerum instauratione, marcescentis religionis vigorem et florem certò protendere auguratur.
Pro isto tanto beneficio, conjunctis vobiscum hodiè ardentissimis votis, absens corpore, presens animo, hìc, in æde Sancti Ludovici, avi sui, Deo Omnipotenti Maximo gratias agit quàm maximas, utque spes hujusmodi ne fallat, ejus bonitatem supplex deprecatur.
Carolus tituli Sancti Apollinaris S. R. E. Cardinalis de Lotharingiâ hoc omnibus significatum et testificatum esse voluit; anno Domini M. C. LXXII, II Id. septembris.
(Litteris romanis aureis majusculis descriptum, festâ fronde velatum, ac lemniscatum, et supra limen ædis Sancti Ludovici Romæ affixum, anno et die prædictis).
CXXVI
LA ROYNE MÈRE A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du VIIIe jour de septembre 1572.—
Papiers trouvés chez l'Amiral.—Conseil qu'il donnait au roi de se tenir en garde contre le roi d'Espagne et la reine d'Angleterre.—Communication de ces papiers à Walsingham.—Protestation de Catherine de Médicis contre les avis donnés par l'Amiral.—Assurance qu'elle veut, ainsi que le roi, demeurer en constante amitié avec Élisabeth.—Inquiétude sur la manière dont elle aura accueilli la nouvelle de la Saint-Barthélemy.
Monsieur de La Mothe Fénélon, il s'est trouvé, entre les papiers du feu Admiral, une longue lettre qu'il escrivoit au Roy, Monsieur mon fils, laquelle il avoit commencée, dès quand il alla à la Rochelle, et continuée tousjours jusques à la mort; il y avoit une autre lettre avec, qu'il escrivoit à Telligny, par laquelle il le chargeoit expressément qu'après sa mort il présentât et fît voir au Roy la dicte lettre, par où il traitte et discourt plusieurs choses, luy faisant des remonstrances; et, entre autres particullarités, luy veut persuader que les plus grands ennemis qu'il ayt sont et seront tousjours le Roy d'Espaigne et la Royne d'Angleterre, quelque démonstration qu'ilz fassent du contraire, les apellant anciens ennemis de ceste couronne; et conseille le Roy, Mon dict Sieur et fils, de ne cesser jamais tant qu'il les ayt ruynés tous deux: ce que je veux faire voir au Sr de Walsingham, escript de la main du dict feu Admiral, afin qu'il cognoisse comme il n'estoit pas si affectionné à l'endroit de la dicte Royne qu'il disoit, ny tant desireus de nous entretenir en amitié avec elle; qui jugera bien sur cela que ce n'estoit que fiction du dict Admiral et un très dangereus et malin esprit qui ne pouvoit faire sinon mal, l'ayant bien monstré en la malheureuse conspiration qu'il avoit faicte contre son Roy et nous tous, qui luy avons tousjours faict tant d'honneur et de bien;
Vous ayant bien voullu escrire ce que dessus, afin que, si voyés qu'il soit à propos, vous en puissiés parler, et le faire entendre à la dicte Royne d'Angleterre; et l'asseurer que nous fairons tousjours envers elle le contraire du très malein conseil du dict Admiral; car nous sommes résolus de continuer à jamais, aultant qu'il nous sera possible, de nostre part, la vraye et parfaicte amitié d'entre elle et nous: et tant s'en fault que la veuillons diminuer ny changer, qu'au contraire, nous desirons la fortiffier, comme peut bien croire la dicte Royne; desirant et recherchant de si bon cœur et si fort son alliance, comme nous faisons; et en quoy, suivant ceste dépesche, je vous prie de persévérer tousjours, afin qu'en ayons la bonne issue que nous desirons, et que nous faict espérer vostre dernière dépesche, et ce que de La Mosle nous a dict de bousche;
Vous priant, au demeurant, nous escrire en quelle part aura pris la Royne d'Angleterre ce que luy aurés dict de la conspiration du dict Admiral et de ses adhérans, estant très nécessaire que vous entreteniés tousjours si bien ceste princesse que nous puissions demeurer avec elle en bonne paix, et que, du costé d'Escosse, nous y ayons la bonne part et intelligence que nous avons de tout temps acoustumé; car il nous importe grandement. Et m'asseurant que vous y continuerés vos soings et que vous n'y oublierés rien, je prierai Dieu, etc.
Escript à Paris, le VIIIe jour de septembre 1572.
CATERINE. PINART.
CXXVII
LA ROYNE MÈRE A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du XIe jour de septembre 1572.—
Conférence de Catherine de Médicis avec Walsingham sur la négociation du mariage.—Espoir qu'elle pourra être menée à bonne fin.—Proposition de l'entrevue dans l'île de Jersey ou de Guernesey.
Monsieur de La Mothe Fénélon, vous estes sy amplement adverty par les lettres du Roy, Monsieur mon filz, des propos que nous ayons euz avec le Sr de Walsingam, ambassadeur de la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur et cousine, que, m'en remettant au contenu de la dicte lettre[131], que je vous prie suivre suivant l'intention de Mon dict Sieur et filz, je vous diray que j'ay plus d'espérance, à présent, que le mariage d'entre la dicte Royne et mon filz d'Alençon se faira, que je n'eus onques; et ne puis croire que icelle Royne ne se résoulde, après qu'elle aura été esclarcye de la conspiration de l'Admiral et qu'elle aura bien entendu nostre bonne intention envers elle, et, en ce faisant, asseurer ses affaires et subjectz, comme elle peut aisément faire par le moyen du dict mariage. Aussy je vous prie continuer à faire toujours ce qu'il vous sera possible affin que nous y verrions clair le plus tost que vous pourrez: estant bien dellibérée de m'acheminer, et mener mon dict fils d'Alençon avec moy, pour faire l'entreveue, quand la dicte Royne vouldra. J'estime que, suivant ce que vous escrit Mon dict Sieur et filz, qu'il soit bien à propos de la faire ez isles de Jerzay et de Grenezay qui sont de ses possessions et assés près de la coste de Normandye et d'Angleterre, aussy pour sa commodité et la nostre; et sy les seuretés qu'elle peut desirer, et celles aussy, qui seroit besoing que y ayons, se y pourront bien accommoder, pour une part et pour l'autre, sans aucun doubte de péril ou danger. Sy elle trouve bon que ce soit ès dictes isles, il ne sera que bon de sentir de la dicte Royne et ses ministres quand elle voudra que ce soit, que je desirerois bien estre vers le XXe du moys prochain, et ce que l'on préparera, d'une part et d'autre, pour sa seureté et la nostre. Et j'ay veu aussy ce que me mandés du mèdecin Penna, encores que le visage de mon dict filz d'Alençon soit fort amandé et qu'il amande touts les jours, sy, suis je bien d'advis que le dict mèdecin y use des remèdes qu'il m'a faict voir par escript qu'il y faira; car il me semble que ce soit choses qui ne peuvent nuyre: estant ce que, pour ceste heure, j'ay à vous dire, priant Dieu, etc.
Escript à Paris, le XIe jour de septembre 1572.
Le dict mèdecin aisséra sa pratique sur un paige; et, l'esté, il usera de ses remèdes en mon dict filz.
CATERINE. PINART.
CXXVIII
LA ROYNE MÈRE A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
des XIIe et XIIIe jours de septembre 1572.—
Détails de l'audience accordée par Catherine de Médicis à Walsingham.—Desir manifesté par la reine de voir continuer la négociation du mariage.—Crainte témoignée par Walsingham que les exécutions faites en France contre les protestans ne rendent désormais cette union impossible.—Protestation de Catherine que ces exécutions ne doivent en rien altérer l'amitié avec l'Angleterre.—Remontrances de Walsingham en faveur des protestans.—Assurance donnée par la reine que toute protection sera accordée à ceux qui ne conspireront pas;—Que la tranquillité est entièrement rétablie;—Et que la différence des religions n'a jamais été un obstacle aux mariages des princes.—Recommandation faite à l'ambassadeur de surveiller les intrigues des protestans de France en Angleterre, et de savoir quel a été le motif de la mission donnée au vice-amiral d'Angleterre pour la Rochelle.—Communication faite à Walsingham des papiers trouvés chez l'Amiral.—Nouvelle demande pour que Montgommery soit livré.—Autorisation qui lui serait accordée de vendre ses biens, s'il promettait de ne plus rentrer en France.
Monsieur de La Mothe Fénélon, à l'occasion du propos que le Sr de Walsingam, ambassadeur de ma sœur et cousine, la Royne d'Angleterre, avoit teneu à Mauvissière, comme vous verrés par ma lettre d'hyer, j'ay présentement donné audiance au dict ambassadeur et luy ay faict entendre que le Roy, Monsieur mon filz, et mes filz les Ducs d'Anjou et d'Allençon, et moy desirons, autant que nous fismes jamais, et d'aussi grande affection qui se pourroit dire, le mariage de la dicte Royne, sa Mestresse, et de mon filz d'Alençon; que nous procédions en cella sincèrement et droictement, et que nous n'eussions pas accordé de faire l'entreveue, si nous n'y avions une parfaicte volonté; et que ce qui estoit advenu, de la mort de l'Admiral et des autres, ses adhérans, ne nous avoit rien faict changer en cella.
Sur quoy le dict ambassadeur, reprenant à peu près les mesmes propos qu'il me tint, avant hyer, comme vous verrés par nostre dépesche de ce jour là, il m'a dict, en protestant qu'il ne me parleroit point en ambassadeur, pour ce qu'il n'avoit point encores eu lettres de sa Mestresse, mais seulement de quelques particuliers d'Angleterre, depuis les nouvelles de la mort du dict Admiral; mais, comme de luy mesmes, et pour la bonne affection qu'il portoit à l'entretènement de l'amitié d'entre nous et sa dicte Mestresse, il me vouloit bien dire que sa Mestresse avoit faict ce dernier traicté avec nous, pour ce qu'elle voïoit que nous entretenions sincèrement l'édict de paciffication et permettions en ce royaulme l'exercice de la religion de sa dicte Maistresse et des princes protestans de la Germanye, et démonstrions porter si bonne volonté à ceux de nos subjects qui estoient de la dicte religyon; mais que, voïant ce qui estoit au contraire adveneu, il estimoit que sa Mestresse seroit en grand doubte, et que l'on penseroit que cecy eust esté exécuté sellon la dellibération du consile de Trente, et ce qui feut dict à Bayonne[132] pour l'extirpation des dicts de la religion.
Sur quoy, parlant franchement comme j'ay tousjours accoustumé, je luy ay déclaré que nous avions faict le dict traicté avec la Royne d'Angleterre, sa Mestresse, pour la bonne affection que nous portions à elle et à sa couronne, et non avec aucun particulier de ses subjects; aussi que, de mesme, nous avions estimé que sa dicte Mestresse eust traicté avec nous et nostre couronne, qui est une chose stable et permanante, et non avec le dict Admiral ny autres noz subjects, et que la mort d'icelluy Admiral ne pouvoit rien altérer en nostre dict traicté; lequel nous voulions, de nostre part, entièrement garder, et parfaictement observer l'amytié d'entre nous et la dicte Royne, sa Mestresse, et toutz les dicts princes; et que, quand nous aurions faict mourir toutz ceux de nos subjectz que nous penserions qui nous voudroient mal faire et attanter à nostre personne et estat, que nul ne s'en debvoit altérer, ny pour cella s'en départir de nostre amytié, non plus que nous ne nous estions mis en peyne, quand la dicte Royne avoit faict exécutter ceux qui l'avoient voulleu troubler et attanter à elle, et que ne nous altérions jamais de voir qu'elle feist en son royaulme (comme il luy estoit permis faire) faire exécution, quand il y en auroit qui la voudroient troubler comme ceux cy nous avoient faict et voulloient encore faire; et, quand ce seroit contre touts les Catholiques, que nous ne nous en empescherions, ny altèrerions aucunement l'amitié d'entre elle et nous.
M'ayant, sur cela, le dict ambassadeur parlé de la deffance faicte à ceux de la religion de faire assemblées, me disant que cella importoit à l'édit de paciffication, et qu'il sembloit que n'eussions pas dellibéré de l'entretenir; sur quoy je luy ay dict qu'il ne se meist poinct en peyne d'en vouloir sçavoir sy avant; et que le Roy, Monsieur mon filz, dellibéroit d'entretenir le dict édict, et qu'il fairoit en cella ce qu'il cognoistroit estre à propos pour le bien de son service.
Mais icelluy ambassadeur, ne se tenant assés satisfaict de ce que luy en avoys déclaré, m'a de rechef encores remis sur ce propos, et dict que sa Maistresse n'avoit voulleu rennouveller les traictés qu'elle avoit avec le Roy Catholique, pour ce qu'il se manifestoit comme chef des Catholiques, qui alloient contre ceux de sa religion; et que une des occasions, pour lesquelles elle avoit traicté avec nous, ce avoit esté à cause de la bonne démonstration que nous faisions aux dicts de la religion et à l'entretènement du dict édict; mais qu'il sembloit que nous le voulleussions rompre à présent, et qu'il en préjugeoit beaucoup de maulx et la guerre bien grande en ce royaulme.
Qui a esté cause que je luy ay parlé plus ouvertement du dict édict et faict entendre que le Roy, Mon dict Sieur et filz, ayant bien cogneu par expériance, et veu clèrement par les papiers du dict Admiral, après sa mort, que, par le moyen des presches et assemblées que les dictz de la religion faisoient, ils establissoient un segond Roy en son royaulme, et faisoient beaucoup de mauvaises entreprinses et dellibérations contre luy et son estat, le tenant en subjection; que, pour ceste cause, il avoit résolu de ne leur plus permettre les dicts presches et assemblées; que toutesfoys il ne voulloit pas que l'on contraignît, comme aussy ne fait on, aucun en sa religion, mais que chascun vive en repos soubz son obéissance comme, grâce à Dieu, l'on voit que touts ses subjectz s'y disposent, estant desjà un grand nombre retournez en notre religion catholique, et toutes les villes en grand repos; ayant ceux de la Rochelle escrit, comme vous verrés par la dépesche de Mon dict Sieur et filz, qu'ilz sont touts pretz de se conformer à sa volonté, attandans son commandement. Mr de Biron, qui en est gouverneur, y est allé pour cest effect.
Et ayant, pour la fin, dict au dict ambassadeur qu'il se pouvoit asseurer que, de nostre costé, nous ne diminurions rien de la bonne et parfaicte amytié que nous portons à sa dicte Maistresse; sur quoy il m'a dict qu'il continuera à y faire toutz les bons offices qu'il pourra, et qu'il croit certainement qu'il ne fut jamais sy nécessaire que le dict mariage se feist, ny qu'il y eust plus d'aparance qu'il se doibt faire qu'à présent, affin de ralier et fortiffier tous les princes les uns avec les autres; et m'a demandé commant se pourroit faire le dict mariage et continuer l'amytié entre les princes, si l'exercice de la religion n'estoit permis.
A quoy je luy ay respondu que les feuz Roys Françoys, mon beau père, et le Roy Henry d'Angleterre, père de la Royne sa Mestresse, encores qu'ilz feussent différandz de la religion ne laissoient, pour cela, de s'aymer infiniement; et que, de ce temps là, l'on brusloit beaucoup de gens pour la religion en France, et que le dict Roy, Henry d'Angleterre, ny les autres princes de la Germanye protestans, ausquels nous avions, dès lors, aussy amytié, ne s'en altéroient point; que despuis, le Roy Henry, Mon Seigneur, avoit voulleu donner ma fille, qui feut depuis Royne d'Espaigne au petit Roy Edouart, encores qu'ils feussent différandz de religion; et que les amytiés ne layssent, pour la religion, d'estre bien bonnes et parfaictes; ayant remis le dict ambassadeur, le plus que j'ay peu, de ces considérations raisonnables, dont je vous ay bien vouleu advertir: car je m'asseure qu'il escrira à la Royne, sa Mestresse, de tous les propos que avons euz, par où j'ay cogneu qu'il nous voudroit bien, s'il estoit possible, par ses discours aucunement inthimider affin de gaigner quelque chose pour l'exercice à ceux de sa religion.
Au demeurant, Monsieur de La Mothe Fénélon, le Roy, Monsieur mon fils, a eu advis que aucuns de ses subjectz, huguenots dyépois, arment et préparent quelques vaisseaux à la coste d'Angleterre pour courre sur ceste mer et faire des larcins; que la dicte Royne d'Angleterre, ayant sceu les nouvelles de la mort du dict Admiral, a envoyé soudain le visadmiral d'Angleterre à la Rochelle pour y recognoistre et voir quel il y faict. Il faut que vous pénétriés en cella si avant que nous en puissions descouvrir sa volonté, et vous ne ferez pas petit service au Roy, Mon dict Sieur et filz; priant Dieu, etc.
Escript à Paris, le XIIe septembre 1572.
Monsieur de La Mothe Fénélon, j'oubliois à vous dire que j'ay faict voir au dict ambassadeur ce que le dict feu Admiral escrivoit au Roy en ceste lettre qu'il chargeoit feu Telligny de monstrer, après sa mort, à Mon dict Sieur et filz, par où il parloit ainsy mal que Mon dict Sieur et filz vous escrit de la Royne d'Angleterre. Dont le dict ambassadeur qui a bien cogneu la lettre du dict feu Admiral, car je croy qu'il en avoit eu souvant, a esté fort esbahy.
J'oubliois aussy à vous mander que, quand il m'a parlé de la desfaicte que icelle Royne, sa Maistresse, avoit faicte de renouveller les traictés et amityés avec le Roy d'Espaigne, et qu'elle nous avoit plustost vouleu vouer ses amytiés et moyens que au dict Roy d'Espaigne, qu'elle en avoit eu l'occasion beaucoup plus grande en nostre endroict qu'au sien pour ce qu'il avoit tousjours fomenté et assisté ceux de ses proditeurs qui avoient voulleu entreprendre contre elle; et nous, au contraire, comme elle sçait très bien, nous avons faict tout ce que nous avons peu, comme encores ferons nous tousjours, pour la préserver et l'assister en tout ce qu'il nous sera possible, ainsy que nous espérons qu'elle fera, de sa part, en nostre endroict; et que, pour les choses qui sont advenues, et que nous avons, à nostre très grand regret, esté contraincts de permettre, elle ne diminuera rien de nostre amytié.
Au demeurant, Monsieur de La Mothe Fénélon, vous aurés veu, par la dernière dépesche que l'on vous a faicte, comme nous desirons que vous requissiez la dicte Royne de nous fère seurement envoyer le comte de Montgommery[133]; et, ayant sçu, depuis hyer, qu'il desiroit avoir permission de vendre les biens qu'il a en France pour n'y plus revenir, et se retirer du tout en Angleterre, Mon dict Sieur filz et moy en sommes bien contans. Par quoy, s'il est par dellà, entendés de luy s'il est en ceste volonté pour nous en donner advis, et l'on luy baillera la dicte permission telle et sy seure qu'il la vouldra, pourveu aussy qu'il promette et jure de ne faire aucune menée ni pratique qui importe ou soit contre le service de Mon dict Sieur et filz.
Je desire que vous informiez bien expressément de l'occasion du voïage que faict le dict visadmiral d'Angleterre du costé de la Rochelle, et, sy cognoissés qu'il y ait occasion de penser que ce soit contre l'intention du traicté avec la dicte Royne et amytié que nous avons dernièrement renouvellée, et que voyés qu'il y ayt quelque subject de luy en faire remonstrance, advisés de la faire comme de vous mesmes, et m'advertissés, incontinant, pour vous en mander mon intention; et, sy le dict visadmiral est de retour, il ne sera point mal à propos que luy en parliés, aussy de vous mesmes; car il a desmontré, estant dernièrement avec le comte de Lincoln en ce royaulme, estre fort affectionné et desireux de l'amytié d'entre les Françoys et Anglois: aussy, le voyant si bien affectionné, luy feist on un présent, comme l'on vous a escrit, d'une chesne de six cens escus, ce me semble.
Du XIIIe jour de septembre 1572.
CATERINE. PINART.
CXXIX
LE ROY A LA ROYNE D'ANGLETERRE.
du XXIe jour de septembre 1572—
Nécessité où s'est trouvé le roi de permettre l'exécution de la Saint-Barthèlemy.—Créance remise à l'ambassadeur pour donner à Élisabeth toutes les explications nécessaires.
Très haute, très excellente et très puissante Princesse, nostre très chère et très amée bonne sœur et cousine, le Sr de Walsingham, vostre conseiller et ambassadeur résidant par deçà, nous a présenté les lettres que nous avez escrites, le XIIe de ce moys, et, avec ceste occasion, nous a faict entendre ce qu'il vous sembloit de l'esmotion naguières adveneue en ceste nostre ville de Paris; laquelle s'est faicte, et avons esté contrainct y lascher la main à nostre très grand regret, pour éviter le danger éminent de la conspiration faicte en nostre personne et estat, ainsy que la vérité vous en a esté déclarée par le Sr de La Mothe Fénélon, nostre conseiller et ambassadeur résidant près de vous; ayant encores fort bien satisfaict vostre dict ambassadeur sur ce qu'il nous en a dict, ce jourdhuy, comme nous nous asseurons qu'il vous en advertira avec les mesmes parolles que luy avons dictes, qui vous seront aussy déclarées par le Sr de La Mothe Fénélon; auquel nous en escrivons[134], vous priant, de bien bon cœur, le croire de ce qu'il en faira entendre de nostre part, et pareillement, sur le retour en Angleterre du dict Sr de Walsingham, comme vous feriés nous mesmes; qui prions Dieu, très haute, très excellante et très puissante Princesse, nostre très chère et très amée bonne sœur et cousine, vous avoir en sa saincte et digne garde.
Escrit à Paris, le XXIe jour de septembre 1572.
Vostre bon frère et cousin.
CHARLES. PINART.
CXXX
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du XXIIe jour de septembre 1572.—
Satisfaction du roi au sujet de l'audience dans laquelle l'ambassadeur a rendu compte à Élisabeth de la Saint-Barthèlemy.—Protestation du roi qu'il veut rester en paix avec l'Angleterre, et continuer la négociation du mariage.—Explication sur la nécessité où s'est trouvé le roi de souffrir les massacres de la Saint-Barthèlemy.—Assurance que les Anglais trouveront toute protection en France pour leur commerce.—Affaires d'Écosse.—Négociation du mariage.—Nécessité d'empêcher la réconciliation d'Élisabeth avec le roi d'Espagne.—Audience accordée à Walsingham par le roi et la reine-mère.—Nouvelles explications des causes de la Saint-Barthèlemy.—Résolution du roi de faire punir les auteurs des massacres de Rouen.
Monsieur de La Mothe Fénélon, il n'eust esté possible de pouvoir mieux à mon gré, ny plus véritablement, parler à la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur et cousine, et aux seigneurs de son conseil de ce qui est adveneu dernièrement, à cause de la damnable conspiration du feu Admiral et de ses adhérans, que vous avés faict, comme j'ay veu par vostre fort ample et dernière dépesche du XIIIIe de ce moys[135], espérant que, sellon ce que je vous ay depuis escrit, des premier, IIe, IIIe et VIIe de ce dict moys[136], vous aurés encore en audiance de ma dicte bonne sœur et cousine; et que, continuant, par elle, en la bonne disposition où vous l'aviés laissée, ainsy que j'ay veu par vostre dicte dernière dépesche, elle aura esté beaucoup confortée en la vérité des choses comme elles sont passées, tant par ce que la Royne, Madame ma mère, et moy en avions amplement dict et déclairé, ces jours icy, en deux audiances à son ambassadeur, qui n'aura pas failly de luy escrire, que encores par vous selon le contenu en nos dictes dépesches; et comme je ne desire rien tant en ce monde que continuer en la parfaicte et sincère amytié d'entre elle et moy et nos commungs subjects, comme j'espère, de sa part, qu'elle voudra bien faire; car aussy n'a elle aucune occasion de s'en désister pour infinyes raisons que vous aurés veues par nos dictes lettres, qui ont esté dictes par ma dicte Dame et Mère et moy au dict ambassadeur, desquelles je ne doubte pas qu'il n'aye bien amplement escript à sa Maistresse comme il a accoustumé et que c'est son debvoir. Mais, le voyant sy affectionné en sa religion, je craincts aussy un peu, à présent, plus que je ne soulois, qu'il y aura meslé de la passion extrême où nous l'avons trouvé au commancement des dictes deux audiences à cause de la mort de l'Admiral et des autres, avec lesquels, possible, il conféroit souvant, et qu'il aura peult estre changé la façon qu'il avoit accoustumé d'escrire à sa Maistresse pour entretenir et fortiffier nostre bonne amytié et conduire le faict du mariage d'elle et de mon frère, le Duc d'Alençon. Toutesfoys j'estime qu'aïant bien considéré la vérité des choses, ainsy qu'elles luy ont esté sy sincèrement déclarées et représantées, qu'il retournera tousjours en cella à sa première bonne inclination; car aussy, ainsy qu'il nous a dict, son advis est que sa dicte Maistresse se doibt maintenant plustost lier et fortiffier d'amytié avec nous qu'auparavant que cecy advînt par les raisons emplement portées par nos dictes dernières dépesches, auxquelles je m'en remettray, en attendant que j'aye parlé au dict ambassadeur, qui nous feist hyer dire qu'il avoit eu lettres de sa dicte Mestresse, sur lesquelles il demanderoit bientost audience.
Ceste cy sera premièrement pour vous dire que vous asseurerés, de ma part, la dicte Royne que, quelque chose qu'elle vous ayt dict, il ne faut pas, s'il luy plaist, qu'elle croye que personne de ce monde ayt jamais tant de pouvoir envers moy que de me faire en rien diminuer et desmouvoir de la vraye amytié que je luy porte, et que je la prye d'estre tousjours aussy ferme envers moy et les miens que je veux estre et demeurer à jamais en son endroict; que, quand aux deux poinctz qu'elle vous a dict qu'elle desiroit, pour l'amitié qu'elle me porte, que je feisse: le premier, sur ce qu'elle desire que j'esclaircisse de mesmes elle, les princes et potentats de la Chrestienté, de ce faict, affin qu'ils demeurent bien édiffiés que ce n'a esté nullement de mon costé que la foy et promesse envers mes subjects de la dicte relligion a commancé à se rompre, mais que ce a esté de leur part; et que, pour l'autre poinct, je maintienne par effaict, à ceux de la dicte religion qui n'ont esté de la dicte conspiration, mon édict dernier de paciffication:
Sur quoy vous aurés à luy dire que, par cela, je cognois l'amitié qu'elle me porte, qu'aussy se peult elle réciprocquement asseurer de la mienne, et qu'aux choses que je verray qui luy importeront, je luy donneray, en semblable, le mesme advis et conseil en ma conscience que je voudrois prendre pour moy; qui ay, dès lors mesme que les choses adveinrent, faict entendre aux princes et potentats, mes amys, alliés et confédérés, à la vérité comme toutes choses sont passées en cecy, de sorte que j'estime que touts en demeurent bien édiffiés; ainsy que je m'asseure qu'elle faict de sa part.
Et quand à l'aultre poinct, concernant l'entretènement de mon dict dernier édict, voyant que beaucoup de mes subjects d'icelle religion, qui n'estoient de la dicte conspiration, se départoient d'eux mesmes fort volontairement de faire les presches et assemblées que je leur avois permises, pour ce qu'ils ont veu certainement que, soubz coulleur d'icelles, les mauvais d'entre eux y ont faict les menées et praticques de ceste malheureuse conspiration résolue, et sy preste d'exécuter que je n'ay eu loisir de les en faire punir par justice comme j'eusse bien voulleu, mais permettre de faire sur eux ce qu'ils vouloient faire sur moy, sy je ne les eusse prévenus, j'ay faict différer les dicts presches et assemblées jusques à ce que autrement en soit par moy ordonné, et que je verray comme toutes choses se passeront; laissant néantmoins chascun vivre en sa liberté, doucement en sa maison; qui est ce qui m'a semblé debvoir faire pour le meilleur ordre que j'eusse peu donner pour retenir et arrester le peuple catholique, tant animé contre les dicts de la religion prétandue refformée, de leur courre sus.
Et quand aux deux poincts dont ceux de son conseil vous ont aussy requis qu'ils feussent esclarcys: l'un, de la seureté que leurs marchands pourroient trouver à Bourdeaux, allans pour les vins; et l'autre, de ce qu'ils ont à penser de l'armée du Sr Strosse; vous les asseurerés, quand au premier, que, incontinant que je veis ces dernières esmotions, je feis publier par touts les ports et hâvres, et autres endroicts de mon royaulme, où besoing estoit, la déclaration et deffence que je vous envoye. Et encores que je suis très asseuré que nul marchant estranger ne sera travaillé ny empesché en mon dict royaulme, mais, suivant la dicte publiquation, reçu en toute seureté et liberté, toutesfoys j'ay encores envoyé réitérer les dictes deffenses et faict spécialle mention des marchands angloys qui viendront à ceste flotte pour les vins, tant à Bourdeaux que ailleurs, de sorte que vous pouvés hardiment asseurer les dicts seigneurs du conseil d'icelle Royne que ceux de leur nation peuvent aussy librement et seurement commercer en mon royaulme que mes propres subjects;
Et que, quand à l'armée du Sr Strosse, que j'ay licencié touts les gens de guerre qui y estoient, ne restant que mes gallères que je ne puis renvoyer en ceste saison du costé de Marseille, comme je fairois, sy le temps n'y estoit contraire, asseurant à ce propos ma dicte bonne sœur et cousine, la Royne d'Angleterre, et les dicts seigneurs de son conseil, que, tout ainsy que je tiens pour certain que ce qu'elle arme maintenant par mer et par terre n'est pour entreprendre contre moy, qu'aussy peult elle croire, sur mon honneur, que sy peu que j'ay de forces ensemble ne sont que pour garnir mes frontières, voyant mes voisins armés; et au demeurant que j'ay tant de bonne affection à l'entretènement de mon dernier traicté que, sy elle a affaire d'aucune chose que je puisse, elle en sera, sellon l'intention d'icelluy, de très bon cœur et promptement secourue, comme aussy en espéray je et me promets le semblable d'elle, que je ne faudrois pas de requérir, s'il se présentoit occasion où j'en eusse affaire; et que, si besoin est, je confirmeray encores par escript et serment, icy, ès mains de son ambassadeur, et elle réciproquement ès vostres, de dellà; mais je ne voy pas qu'il soit nécessaire, car il n'a rien esté, en façon que ce soit, altéré ny innové en nostre dict traicté.
Il fault pour l'accomplissement d'icelluy achever de disposer le faict du commerce et la paix d'Escosse, en quoy je vous prie de ramentevoir ma dicte bonne sœur et cousine, la Royne d'Angleterre, et ceux de ses ministres à qui elle a commis le faict du dict commerce, affin qu'il soit du tout résolu et arresté, estant très aise que ce que me mandés qu'elle et les dicts de son conseil ont accordé, d'incister fermement en Escosse, se face promptement et sans feinte, à ce que la ville de Lislebourg soit rendue et remise en l'estat qu'elle estoit, comme aussy le faut il, autrement la dicte Royne et moy y serions interressés pour nostre réputation; et aussy que l'interprétation de l'article porté par la suspension d'armes: que «chascun rentrera en sa maison» s'entende des biens tant ecclésiastiques que temporels; et que la dicte suspension sera encores continuée pour deux moys. C'est un moyen pour composer avec assés de loysir les affaires d'Escosse; mais il faut bien expressément, suivant ce que je vous en ay cy devant escrit et aussy au Sr Du Croq, que vous preniés garde touts deux que ceste négociation d'Escosse se face rondement, et que l'on marche de pied droict, de la part d'icelle Royne et du party des comtes de Mar et de Morton, advertissant le capitaine Granges de se garder de surprise au chasteau de Lislebourg, leur estant allé Quillegrey au dict pays d'Escosse pour négocier. Il est à doubter que le Sr de Drury s'est retiré en sa charge de la frontière de Warvic pour assembler des forces de ce costé là, aussy bien qu'ailleurs, puisque sa Mestresse arme, et vouldra prendre coulleur que c'est pour se tenir sur ses gardes aussy de ce costé là. Il sera besoing d'y avoir l'œil bien ouvert, car, tout ainsy que je procède rondement avec elle, sellon nostre traicté, pour mettre l'Escosse en paix et repos, n'assistant poinct plus un party que l'autre, je ne vouldrois permettre que ceux du bon party feussent interressés, et qu'il se feist quelque surprise et désadvantage sur eux, comme l'on a faict de la dicte ville de Lislebourg; car, en ce faisant, je perdrois du tout les alliances que mes prédécesseurs et moy avons, de sy longtemps, de ce costé là; ce que je vous prie dire franchement à la Royne et à ceux de son conseil, afin que, de leur part, ils y facent procéder aussy sincèrement comme je faiz du mien, et que, avant tout œuvre, la dicte ville de Lislebourg soit rendue et les articles de la dicte suspension entretenus.
J'ay veu aussy ce que me mandés des propos qu'aviés eus, à vostre dernière audiance, du dict mariage d'icelle Royne et de mon frère d'Alençon; en quoy j'estime que, pour ce qui est adveneu, elle ne s'en doibt nullement départir, mais, au contraire, comme je vous ay escrit que nous a dict son ambassadeur, elle a plus d'occasion de le faire qu'elle n'avoit auparavant pour les raisons que je vous ay mandées amplement. Nous attandons la résolution qu'elle prendra sur les ouvertures que luy aurés faictes de l'entreveue, pour laquelle la Royne, Madame et Mère, sera tousjours preste, ainsy qu'elle vous a escript. Mais s'aprochant bientost l'arrière sayson, que les vents sont grandz, et la mer mal aisée, il sera besoing que bientost elle s'en résolve, sy jà elle ne l'a faict, afin que la dicte entreveue se face dans le vingtiesme du moys d'octobre prochain que le temps ne sera poinct encore mauvais. Voullant aussy que, par mesme moyen et à ceste occasion, vous la priés, de ma part, de ne changer la délibération qu'elle avoit prinse d'envoyer par deçà, après l'accouschement de la Royne, ma femme, le comte de Lecestre ou le milord grand trésorier; car elle se peut asseurer qu'il n'y veint de longtemps, de quelque part que ce soit, seigneur qui de meilleur cœur et de plus grande affection feust receu que l'un d'eux sera, s'il luy plaist de l'y envoyer, la priant d'oster toutes opinions de doubte et de danger de leurs personnes; mais, au contraire, l'asseurer qu'ils seront fort volontiers veus de touts mes subjects, et que toutes bonnes réceptions et caresses, qu'ilz se peuvent penser, leur seront faictes, premièrement pour l'honneur d'elle, et puis pour la considération de leurs qualités et de leurs personnes que je desire grandement voir, et dont j'ay aussy grande et bonne estime que de nuls autres que je saiche auprès de prince ou princesse de la Chrestienté; m'asseurant que, sy l'un des deux y venoit, il y auroit toujours meilleure et plus grande espérance au mariage pour ce que, suivant ce que m'avés cy devant escrit, (en quoy je voy grande apparence), la dicte Royne se fiant du tout en eux comme elle faict, et les envoyant, l'un ou l'autre, ce seroit autant pour la conclusion du dict mariage que pour nulle autre chose.
Je fairay prendre garde à ce que la dicte Royne faira négocier en Flandres sur la persuasion que luy a faicte Guaras; mais je desire bien fort, comme je vous ay cy devant escrit en chiffre, que vous empeschiés, le plus que vous pourrés, la réconcilliation et accord de ce costé là, et, au contraire, que fassiés ce que pourrés pour l'acheminer et advancer en l'entreprise et dellibération qu'elle avoit du costé de Flexingues: à quoy, à vous dire vray, je l'eusse foumentée sans la descouverte de la malheureuse conspiration du dict feu Admiral.
Monsieur de La Mothe Fénélon, despuis ceste lettre escrite, le dict Sr de Walsingam, ambassadeur de ma dicte bonne sœur et cousine, la Royne d'Angleterre, a faict ce matin demander audience, que luy avons donnée ceste après disnée. Il est premièrement allé devers Ma dicte Dame et Mère, luy aïant faict entendre, comme à moy, que la dicte Royne, sa Mestresse, luy avoit fait responce sur ce qu'il luy avoit escrit, et que vous luy aviés, de ma part, dict par dellà, pour la conspiration de l'Admiral et mort de luy et de ses adhérans; ce que véritablement elle avoit trouvé merveilleusement estrange, du commancement, mais qu'aïant veu ce que luy avions faict entendre de la dicte conspiration, que, incontinent après, elle s'estoit remise, disant toutesfois qu'il eust esté trouvé plus à propos que j'en eusse faict faire la punition exemplaire par justice que de la façon qu'elle a esté exécutée; et a dict davantaige à Ma dicte Dame et Mère que sa dicte Maistresse s'esbahissoit encores plus comment Ma dicte Dame et Mère spéciallement avoit permis que la dicte exécution s'en feust faicte ainsy, et que, cognoissant que les troubles ne sont pas encores bien appaisés de deçà, et luy n'y estre pas, à son advis, bien en seureté, pour ce que le peuple ne se peut garder de mesdire à ses gens, et aussy qu'il a en Angleterre aucuns particulliers affaires pour le service de sa dicte Maistresse, qu'elle luy avoit, pour ces raisons, mandé prendre congé de nous et se retirer pour quelque temps par dellà, laissant icy son secrétaire pour recevoir nos commandementz jusques à ce que toutes choses fussent mieux appaisées par deçà. Et, parlant à moy, il m'en a, peu après, autant dict, et m'a baillé une lettre de ma dicte bonne sœur et cousine, sa Maistresse, contenant cella mesmes.
Sur quoy, Ma dicte Dame et Mère et moy luy avons particullièrement respondu: quant au premier poinct, que véritablement nous pensions que sa Maistresse se seroit, au commencement, bien esbahye de la mort du dict Admiral, mais aussy qu'aïant sceu comme cella estoit passé, et comme luy et ses adhérans s'estoient tant oubliés que, qui ne les eût bien soudain prévenus, ilz estoient tous prests de faire sur nous la mesme exécution qui a esté faicte sur eulx, que je m'asseurois que la dicte Royne et tous ceux qui en ouyront parler ne pouvoient qu'ils n'approuvassent ce que j'ay à mon très grand regret permis, et que j'eusse très volontiers et fort desiré pouvoir faire faire par justice, n'eust esté que le temps estoit si bref que je n'en avois pas eu le loisir, ayant esté contrainct, avec grande occasion, de prendre ceste résolution; voyant que Pardaillant, qui estoit l'un de leurs premiers et principaulx cappitaines des plus favorisés, et qui estoit ordinairement près du dict Admiral, estoit venu dès le matin avec quarante hommes, pensant surprendre la porte de la court des cuisines de ce chasteau, comme il eust faict, n'eust esté que nous estions desjà levés sur l'advertissement que j'avois eu de ceste malheureuse conspiration, en laquelle par cella je feus davantaige confirmé; ayant un extrême regret de veoir qu'ils se feussent tant oubliés, considéré les faveurs et honneurs que je leur avois tousjours faicts, et qu'encore je leur avois sy volontiers permis avoir et porter des armes, et faict bailler logis à leur commodité, ainsy qu'ilz avoient voulleu, pensant qu'ils les demandassent pour leur seureté; ayant aussy à ce propos respondu au dict ambassadeur qu'il n'y avoit pas grande apparance de pouvoir faire faire le procès à un homme qui avoit trente mil hommes de pied et quatre mil chevaux tousjours prests en ce royaulme à son commandement, et qui debvoit estre le IIIe de ce moys à Meleun, ayant desjà aussy vingt enseignes toutes prestes en Champaigne;
Et quand au congé que icelluy ambassadeur nous demandoit, et que la Royne, sa Maistresse, nous escrivoit luy accorder, que, s'il s'en alloit sans que sa dicte Maistresse envoyât un autre ambassadeur de qualité en son lieu, que soudain je vous révocquerois aussy; mais que je ne croyois certainement qu'il ne se pouvoit faire, de sa part, chose qui feust plus mal à propos pour ce que chascun penseroit qu'il y eust altération en nostre traicté, bonne amitié et intelligence, et qu'après cella il ne falloit pas penser que noz subjectz et ceux qui avoient à aller et venir en noz royaulmes et pays ne feussent, d'une part et d'autre, en crainte, et pour ce, qu'il y pensast: car, au contraire, il nous sembloit qu'il falloit achever de résouldre le faict de l'entrecours et commerce d'entre noz subjectz suivant nostre traicté, et, au demeurant, que, s'il pouvoit faire monstrer et vériffier, par deux tesmoingz seullement, que nul de mes subjectz eût médit au moindre des siens, qu'il en verroit, à une heure de là, faire justice exemplaire devant la porte de son logis.
Sur quoy il nous a dict, principallement à Ma dicte Dame et Mère, qu'il advertiroit de tout ce dessus la dicte Royne sa Maistresse, et que, selon la responce qu'il en auroit d'elle, il nous la feroit entendre et se disposeroit; ayant cependant, affin de le gratiffier, commandé que l'on luy baille, comme l'on fera, quelque plus grand logis que celluy où il s'est retiré en la ville.
Au surplus, Monsieur de la Mothe Fénélon, ayant sceu que le menu peuple de ma ville de Rouen qui avoit esté, suivant ce que j'avois dilligemment escrit, fort bien conteneu et gardé de ne courre sus à ceulx de la dicte religion, feit mècredy dernier une entreprinse secrette, lorsque l'on ne s'en doubtoit aucunement, sur les dicts de la religion qu'ils allèrent chercher tant dedans les prysons que en leurs maisons, et en tuèrent, à mon très grand regret et desplaisir, aucuns, dont je suis infiniement marry, j'ay, à l'instant, escrit au Sr de Carronges, mon lieutenant général, et à ma court du parlement du dict Rouen, (qui firent tout ce qui leur feust possible pour empescher ceste esmotion), d'en faire faire si bonne et prompte justice qu'elle serve d'exemple en la dicte ville et en toutes les autres de mon royaulme, comme je m'asseure qu'ilz fairont; mais pour ce, que je crains que cella divertisse les marchandz engloix de continuer d'aller et venir au dict Rouen pour le commerce, j'ay faict faire aussi spéciallement mention des dicts Englois. Je y ay encores de rechef envoyé faire republier la déclaration de la liberté du commerce, et faict faire aussy spéciallement mention des dicts Engloys, de sorte que je m'asseure qu'ilz y seront autant ou plus respectés et en aussi grande suretté et liberté que mes propres subjects catholiques; et ne doibvent aucunement les dict Engloys ny aultres étrangers en entrer en double. Ce que je vous prie trouver moyen de faire, le plus tost que pourrés, entendre à ma dicte bonne sœur et cousine, la Royne d'Angleterre; la remettant, sy elle s'en faschoit, le plus que pourrés, et l'asseurerés que je ne seray point à mon aize que la justice n'en soit bien faicte exemplairement, comme il faut croire qu'elle sera sur ceulx qui ont machiné la dicte entreprinse, laquelle est très meschante et malheureuse, et comme telle, et estant contre mon intention, aussy ne demeurera elle pas impunye, ainsy que vous entendrés cy après; priant Dieu, etc.
Escrit à Paris, le XXIIe jour de septembre 1572.
Je vous envoye la responce que je fais à la lettre de la dicte Royne, laquelle luy présenterez. Vous verrés ce qu'elle contient par le double que je vous envoye, qui est quasy de créance, principallement sur la requeste que m'a faicte le Sr de Walsingam de luy donner congé, dont vous emploirés vostre dicte exécution sur le contenu cy dessus qui est ce que avons dict sur cella au dict Walsingam.
CHARLES. PINART.
CXXXI
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du IVe jour d'octobre 1572.—
Conférence avec Walsingham.—Nouvelle déclaration du roi sur la Saint-Barthèlemy.—Nouvelles protestations d'amitié pour Élisabeth.—Assurance que l'armée de Strozzy est rompue.—Regret manifesté par le roi à raison de l'arrestation faite de vaisseaux anglais.—Sollicitations de Walsingham en faveur du vidame de Chartres.—Vives recommandations en faveur de Marie Stuart.
Monsieur de La Mothe Fénélon, j'ay veu par vostre ample dépesche du XXIXe du passé[137], comme les accidens qui sont advenus à Lyon et Rouen, et ce que l'on a dict, contre vérité, avoir esté faict à mon chancellier, semblablement aussy quelques prises qui ont esté faictes à Bourdeaux d'aucuns des vaisseaux des marchans anglois, a grandement aigry les gens du conseil de la Royne d'Angleterre et faict incliner les humeurs d'aucuns à dissuader ouvertement d'entendre à une confédération avec moy. A quoy vous avés sceu et sy bien et prudemment répliquer, ensemble à tous les autres propos que vous a tenus la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur, qu'il ne s'y pouvoit estre rien dict de mieux pour la modérer et remètre un peu de la mauvaise impression qu'elle a prise de mes actions; s'estant terminé ce que vous avés négocié avec elle en la responce qui vous a esté baillée par escrit par les gens de son conseil.
Sur laquelle je vous diray que le Sr de Walsingham me fit dire, avant hyer, qu'il avoit heu responce de ma dicte bonne sœur sur les trois poinctz qu'il luy avoit faict entendre, et qu'il desiroit, à cause que son indisposition ne pouvoit pas porter qu'il me vînt trouver, que je depputasse quelcung pour aller devers luy. Et, y ayant envoyé le Sr de Mauvissière et le secrétaire Brulard, il leur fist un tout samblable récist que celluy qui est contenu en l'escript que m'avés envoyé, afin de le me fère entandre et luy randre ma responce; ce que j'ay faict, ayant esté telle: que, quand au procès concernant la vériffication de la conspiration du feu Admiral, il s'instruit touts les jours, et pance l'on que, dedans quelque temps, il sera parfaict; mais la seule parolle et asseurance que j'ay donnée à la Royne, ma dicte bonne sœur, d'avoir esté justement mu de faire faire ce qui a esté exécuté à l'endroict du dict feu Admiral et de ses complisses, luy doit suffire et satisfaire à son jugemant; autant que tout autre preuve qui se pourroit exiber juridiquement faicte, n'y ayant personne au monde qui soit meilleur et plus certain juge que moy du bon traictement ou de la punission que je dois faire à mes propres subjectz, pour estre plus certainement informé que nul autre, comme celluy à qui il touche de plus près, de la vérité de leurs déportemens, ainsy que j'ay esté assés de ceux du dict feu Admiral, qui m'a faict cognoistre qu'il estoit très digne de mort pour les maleureux dessains, qu'il avoit en l'entendement, à la subversion de mon estat.
Et pour le regard du second point, concernant la continuation de nostre amitié, je prenois au plus grand plaisir, que j'eusse sçu recepvoir, d'entandre l'asseurance que ma dicte bonne sœur m'en donnoit de nouveau, et de se montrer, en ce regard, autant affectionnée à mon endroict que je montrois au sien: qui me confirme de plus en plus en la bonne espérance, que j'ay ci devant eue, qu'il ne surviendra aucune ocasion qui puisse porter altération à nostre dicte amitié; car je suis délibéré de luy faire cognoistre, plus que jamais, que je luy suis vray et sincère amy, par tous les meilleurs et plus amiables déportemens que je pourray, ainsy que mes effaitz, vrais juges de mon intention, en randront bon et certain témoniage; m'estant advis que, pour en faire naître entre nous une plus ferme confidence, il n'y avoit point de meilleur moyen que d'effectuer le mariage de mon frère, le Duc d'Alançon, dont il a esté ci devant parlé à ma dicte bonne sœur, lequel la Royne, Madame et Mère, et moy avons tant desiré et desirons, comme chose que nous cognoissons estre pour le commung contentement de ma dicte bonne sœur et de nous, et l'évidante utillité des subjectz de noz deux royaumes, qu'elle s'est résoleue de venir volontiers à l'entreveue dont il a esté ci devant parlé.
Il est bien vray que vous vous estiés un peu élargy en cella de dire que ma dicte Dame et Mère pourroit passer jusques à Douvres, ou pour l'affection que vous avés cogneu qu'elle y avoit, ou pour n'avoir pas du tout bien pris ce qui vous en a esté escript: qui est qu'elle pourroit aller à Boulogne ou à Calais, et ma dicte bonne sœur, d'un autre cousté, venir à Douvres, pour, de là, se résouldre ensamble du lieu qui se trouveroit propre et commode pour effectuer la dicte entreveue.
Et, quand à la jalousie que ma dicte bonne sœur montre concevoir de l'armée du Sr Strossy, encore qu'elle n'ait jamais esté mize sus pour faire aucune offance à ses subjectz, ny à pas un de mes amis et aliés, sy est ce qu'il s'y peust dire qu'elle est aujourdhui tellement rompeue et défaicte par licenciement des gens de guerre, dont elle estoit composée, qu'elle n'a aucune occasion d'en entrer en deffiance; estans seulement demeurées mes gallaires en Brouaige pour ne pouvoir, en ceste sayson, passer à Marseilles, ainsy que je le vous ay mandé par mon autre dépesche. De quoy je prie ma dicte bonne sœur de demeurer en repos et d'en prendre l'asseurance telle que je la luy donnois présentement, ayant de nouveau vouleu escripre par tous les portz et hâvres de mon royaulme, oultre la dernière proclamation qui y a esté faicte, que l'on laisse en toute liberté traffiquer les marchands estrangiers et mesmes les Anglois, qui ne doivent point différer de venir à leurs trafficz acoustumés; car je croy qu'il n'y a pas ung de mes subjectz qui soit si hardy de les y empêcher, veu ce qu'ilz ont assés cogneu combien j'ay cela à cœur. Et ay esté marry de ses vaisseaux qui feurent dernièrement arrestés en Brouaige, que le baron de La Garde m'a escript et asseuré avoir esté randus et restitués suivant le très exprès commandement que luy en ay faict.
Le Sr de Walsingham m'a davantage faict entandre par le Sr de Mauvissière et le secrétaire Brulart, comme le vidame de Chartres, qui s'est retiré en Angleterre, a déclairé à ma dicte sœur qu'il avoit esté contraint d'aviser le fère, sur l'advertissement qui luy feust donné, estant demeuré en sa maison de la Ferté, après sauvegarde que je luy avois faict dépescher, que le Sr de Saint Léger, avec quelques gentilshommes et gens de pied, l'estoit allé chercher pour le prandre; l'ayant bien vouleu recepvoir, ma dicte bonne sœur, sur ce qu'il luy a faict cognoistre que je le tenois pour bon et fidel serviteur et innocent de la conspiration du feu Admiral, ainsi qu'il en faict apparoir par lettres que je luy en ay escriptes; me priant ma dicte bonne sœur en ceste considération, et pour satisfaire au dict vidame, que j'aye agréable qu'il demeure en son royaume pour esviter là toute occasion de suspition mauvaize que l'on pourroit avoir contre luy en mon royaume, et que, pandant son absence, je le tienne pour bon et fidel subject, et luy laisse la jouissance de ses biens, et luy faire expédier toutes lettres pour ce nécessaires.
A quoy je luy ay faict faire responce que le dict vidame n'a eu aucune occasion de se retirer sur volunté que l'on eust de luy mal faire; car, puisque je luy avois faict bailler ma sauvegarde, ce n'avoit poinct esté à autre intantion que pour le conserver, ce que je desire encores de faire; mais, ne pouvant estre son absence hors de mon royaume et retraicte au dict pays, que mal interprêté, et faire penser que je ferois mal traicter mes subjects d'Angleterre, je desire qu'il revienne de deçà avec asseurance que je luy feray faire tout bon traictement. Estant tout ce que j'ay faict respondre au dict Sr de Walsingham, qui le fera sçavoir par dellà à ma dicte bonne sœur; vous en ayant, à ceste occazion, vouleu advertir bien particullièrement, que vous vous trouviés conforme à ce que vous en dirés à icelle ma dicte bonne sœur. Et sur ce, etc.
Escript à Paris, le IVe jour d'octobre 1572.
CHARLES. BRULART.
Monsieur de La Mothe, l'ambassadeur de la Royne d'Escosse me vint hier trouver, et me pria d'envoyer ung gentilhomme exprès vers la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur, pour la prier, de ma part, d'avoir ses affaires pour recommandé, et de ne souffrir qu'il luy soit faict aucun nouveau mauvais traictement pour ce qu'il crainct que, à ce parlement, il ne soit traicté de quelque chose à son préjudice: ce que je luy ay respondu me sembler n'estre à propos de faire en ceste saison, et que cella serviroit, possible, plustot à aigrir ma dicte bonne sœur contre la dicte Royne d'Escosse.
CXXXII
LA ROYNE MÈRE A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du IVe jour d'octobre 1572.—
Danger qu'il y aurait pour Catherine de Médicis d'accepter une entrevue en Angleterre.
Monsieur de La Mothe, nous avons aujourdhuy receu vostre dépesche du XXIXe du passé, et quelques jours auparavant, j'avois eu celle du XVIIIe[138], à laquelle il n'eschet aucune responce, n'estant que responsive à mes précédantes dépesches; et aussi d'autant que, par ma dernière, vous avés esté à plein satisfaict sur les poincts desquels vous désirés estre esclaircy par celle qui vous est faicte présentement, il ne vous sera poinct respondu au contenu de la vostre, du dict XXIXe, d'autant qu'elle vous est faicte un peu en haste, afin de vous envoyer promptement le saufconduict qu'il est besoin estre bientost par delà. Ce qui me gardera d'estandre ceste cy plus avant, sinon de vous dire, en passant, qu'il semble, par la responce que vous a faicte la Royne d'Angleterre touschant nostre entrevue, que nous en sommes assés esloignés; car, de passer à Douvres, je pense qu'il n'y a guière de personnes qui me le conseillassent au temps où nous sommes, et parmi le regret, que monstre porter en son cœur ma dicte bonne sœur, des choses qui sont advenues le XXIVe du mois d'aoust passé, qui est tout ce que je vous dirai en ce lieu, que je prierai Dieu, etc.
Escript à Paris, le IVe jour d'octobre 1572.
CATERINE. BRULART.
CXXXIII
LE DUC D'ALENÇON A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
(Escripte de la main de Monseigneur le Duc.)
du VIIIe jour d'octobre 1572.—
Protestation de dévouement à la reine d'Angleterre.
Monsieur de La Mothe Fénélon, vous ne sçauriés faire chose qui me soit plus agréable que de faire tousjours cognoistre à la Royne d'Angleterre l'entière amitié et sincère affection que je luy porte; car, comme elle est si parfaicte en son endroict qu'elle peut dire avoir maintenant beaucoup plus de puissance sur moy et en pouvoir mieux disposer que moy mesmes, qui me suis desdié à la servir et luy en obéir de tout mon cœur, aussy desirè je bien qu'elle en cognoisse et s'en persuade quelque chose. Et me sera tousjours grand contantement, bien qu'il soit mal aisé de luy fère par les parolles une assés vive expression et telle qu'elle soit pour correspondre à ma vraye affection de penser qu'elle en croye, pour le moingz, une partie, et demeure persuadée qu'il n'y aura jamais prince en la Chrestienté, qui soit plus à son commandement, et duquel elle puisse si librement disposer qu'elle faira tousjours de moy; qui prie Dieu, etc.
Escript à Paris, le VIIIe jour d'octobre 1572.
Vostre bon amy.
FRANÇOIS.
CXXXIV
LA ROYNE MÈRE A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du XXIIIe jour d'octobre 1572.—
Conférence avec Walsingham.—Desir de Catherine de Médicis que l'entrevue ait lieu à Jersey; et que Leicester soit envoyé en France.—Son desir de savoir si Élisabeth consentirait à être marraine de l'enfant du roi.—Motifs qui doivent dispenser le roi de jurer de nouveau le traité d'alliance.—Assurance donnée aux marchands anglais qu'ils peuvent continuer à faire le commerce en France.
Monsieur de La Mothe, attandant que l'on vous face responce à trois ou quatre dépesches que nous avons receues de vous, et dont la dernière est du XVIIIe de ce moys[139], qui m'a esté apportée présentement, je vous ay bien vouleu advertir de la réception d'icelles, et comme l'ambassadeur d'Angleterre vint hier parler à moy sur trois poinctz, qui avoient esté par vous proposés à la Royne, sa Mestresse:
Le premier, c'est l'entrevue en l'isle de Gersay ou de Grènezay, au XXe de ce mois, m'alléguant les mesmes raisons et difficultés, contenues tant en vostre lettre qu'en la responce que ceux du conseil vous ont baillé par escript de sa part.
Sur quoy je luy respondis que ce que j'en avois ainsy advizé estoit, pensant que ce fust le plus comode, d'autant que l'on m'avoit dict que l'entreveue ne se pouvoit faire sur la mer, et qu'il estoit meilleur de la faire en terre ferme, et qu'il me sembloit que je ne pouvois choisir lieu plus à propos que celluy là, estant les dictes isles à elle, comme elles sont; et, pour le reguard du jour, que ce que j'en avois mandé, estoit pensant que la Royne, ma fille, se deust acoucher plus tost qu'elle n'a faict, et, cepandant qu'elle eust esté en ses couches, je desirois de faire ce voyage, et la dicte entreveue.
Le second est d'envoyer icy le conte de Lecestre ou milord grand trésorier pour visitter la Royne, ma dicte fille, en ses couches; qu'il pensoit que ce avoit esté faict en intantion de tenir à batesme pour elle l'enfant que Dieu donnera au Roy, Monsieur mon filz, et qu'elle, n'estant point de nostre religion, n'y pouvoit assister.
Je luy dis, sur ce, que l'on n'avoit point pensé encores de fère élection des compères ou commères, jusques à ce que la Royne, ma dicte fille, sera acouchée; ains seulement pour le desir que nous avions qu'elle, envoyant sur ce prétexte quelcun des grands devers nous, nous puissions conférer avec telle confiance avec luy comme si c'estoit avec sa personne propre, et qu'elle se peust asseurer que cella ne tand à aultre fin que pour l'entretènement de nostre amitié, et luy faire entendre nous mesmes particullièrement plusieurs choses pour cest effect; et que le Roy Édouard, qui estoit de mesme religion qu'elle, avoit bien tenu sur les fonds mon filz le Duc d'Anjou.
Là dessus je desire que, soubs main et plus dextrement que vous pourrés, et sans en parler de la part du Roy, Monsieur mon filz, ny de la mienne, vous sçachiés son intention, si, la priant d'estre commère, elle ne le vouldra pas accepter, et m'en advertir incontinant que vous en aurés peu sçavoir sa volonté.
Le troisième, de renouveller le traicté qui a esté dernièrement faict entre nous par nouveau sèrement, voyant les choses qui s'estoient passées despuis en ce royaume, ce que nous luy avons accordé, selon qu'il seroit advizé debvoir estre faict; mais ayant veu despuis, par leur responce, comme elle dict qu'il n'y a pas occasion de ce faire de sa part, il n'en y a poinct aussy de celle du Roy, Mon dict Sieur et filz, d'autant qu'il n'a esté rien faict contre elle et ses subjectz, et ne luy a esté donné aucune occasion de penser que nous veuillions aucunement enfraindre nostre traicté, et la promesse et sèrement que nous avons faict; et si le Roy a esté contrainct de chastier ses subjectz rebelles, et qui avoient conspiré contre sa personne et son estat, cella ne luy touche aucunement. Et, pour ce qu'ilz disent que, voyant les meurtres qui ont esté faictz en plusieurs villes de ce royaume par les Catholiques contre les Huguenotz, ils ne se peuvent asseurer de l'intantion et volonté du Roy qu'ilz n'en voyent quelque punission et justice et ses édictz mieux observés, elle cognoistra bientost que ce qui est advenu ès autres lieux que en ceste ville, a esté entièrement contre la volonté du Roy, Mon dict Sieur et filz, lequel a délibéré d'en faire faire telle pugnition et y establir bientost ung si bon ordre que ung chascun cognoistra quelle a esté en cest endroit son intantion.
Le dict ambassadeur m'a parlé aussy du peu de seureté que les marchans anglois avoient, à présent, pour leur commerce, tant à la Rochelle que ez autres portz et hâvres de ce royaume.
A quoy je l'ay asseuré qu'il y sera pourveu dedans peu de jours de telle façon qu'elle aura occasion d'en demeurer contante et satisfaicte, dont vous serés bientost adverty pour le leur faire entandre; aussy que nous avions sceu qu'elle avoit retiré en ses portz et hâvres un pirate françois, qui commectoit plusieurs pirateries et larcins, que je le priois le mander à la Royne, Sa Mestresse, qu'elle le chassast et ne permist plus qu'il y feust, afin que, tant de leur cousté que du nostre, ilz ne feussent plus receus ny favorisés en noz portz et hâvres; priant le Créateur, etc.
Escript à Paris, le XXIIIe jour d'octobre 1572.
CATERINE. FIZES.
CXXXV
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du XXVIIe jour d'octobre 1572.—
Naissance de la fille du roi.—Offre faite à Élisabeth d'en être la marraine.
Monsieur de La Mothe, ayant pleu à Dieu me faire père d'une fille, je vous ay aussytost faict dépescher ce porteur, pour vous prier de sentir dextrement si la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur, prandra à plaisir que je l'envoye prier de la tenir sur les sainctz fondz de batesme; et incontinant vous ne faillirés de me ranvoyer ce dict porteur et m'en résouldre. Et n'estant ce mot à autre fin, je prierai Dieu, etc.
Escript à Paris, le XXVIIe jour d'octobre 1572.
CHARLES. FIZES.
CXXXVI
LE ROY A Mr DE LA MOTHE FÉNÉLON.
du IIIe jour de novembre 1572.—
Mécontentement qu'éprouve le roi de la résistance à laquelle se préparent les habitans de la Rochelle.—Déclaration que les massacres faits dans les provinces ont eu lieu sans l'ordre du roi, et que la punition des coupables sera poursuivie.—Remontrances contre les armemens que les protestans pourraient tenter en Angleterre.—Protestations d'amitié, et déclaration que l'armée de Strozzi est réunie pour marcher contre la Rochelle.—Assurance que le légat du pape n'est envoyé en France qu'au sujet de la ligue contre le Turc.—Desir du roi que sa fille soit tenue sur les fonts de baptême par Élisabeth, et que Leicester soit chargé de passer en France à cette occasion.—Communication à la reine d'Angleterre du jugement rendu contre l'Amiral et ses complices.—Satisfaction donnée sur toutes les plaintes des Anglais.—Protestation particulière du roi que les massacres de Rouen ont été exécutés sans son ordre.—Assurance donnée aux protestans réfugiés en Angleterre qu'ils peuvent rentrer en France.—Affaires d'Écosse.—Impossibilité où se trouve le roi d'accorder à l'ambassadeur son rappel.—Déclaration du roi concernant ceux de la religion en Normandie.
Monsieur de La Mothe, despuis l'ample dépesche que je vous fis le VIIe du mois passé[140], j'ay receu les lettres des IIe, VIIe, XIIIe et XVIIIe du dict moys, à aucuns poinctz desquelles je vous ay faict responce, et par ceste cy je vous satisferay à ce qui reste, et aussy à vostre dépesche du XXIIe du dict mois[141], que je receus avant hier de vostre secrétère; et vous diray que, comme je congnois fort bien de quelle importance m'est la ville de la Rochelle, j'ay faict essayer, par tous les moyens les plus doux que j'ay peu, et faict tenter, par personnes que j'ay pansé que mes subjectz de la dicte ville auroient plus agréables et en qui ils auroient plus de créance et assurance de ma bonne volonté, pour essayer de m'y faire obéyr et randre l'obéyssance qui m'est deue par voye amiable, dont j'ay esté quelques jours en assés bonne espérance; mais il samble maintenant que l'on les en dissuade et qu'ilz n'y soient pas si bien disposés que j'espérois, dont il me déplaist bien fort: car les ay faict asseurer de tout ce qu'il m'a esté possible de leur pouvoir accorder, comme encores je fais. Et ay quelque opinion que ce qui les a divertis de la bonne volonté où ilz monstroient, il y a quelques jours, d'estre, est que l'on leur promect assistance et ayde, de quoy il me déplaist bien fort; car si, par la voye amiable, ils ne se réduisent à me randre l'obéissance qu'ilz me doibvent, je seray contrainct, à mon très grand regret, d'y pourvoir par aultre moyen, délibérant pour ceste occasion d'envoyer mon frère, le Duc d'Anjou, de ce costé là, pour leur faire faire toutes les persuasions qu'il sera possible, et leur bailler et faire toutes les plus grandes seuretés qui se pourront.
Cepandant vous faictes fort bien (aux exagérations qui se font par delà, comme j'ay veu par vostre lettre, des choses qui sont icy advenues et du grand nombre des personnes que les ministres, qui s'en sont fuis en Angleterre ont dict avoir esté tués, tant en l'esmotion de ceste ville de Paris que despuis), de persister tousjours à dire que ces choses sont advenues contre ma volonté et à mon très grand regrect, comme aussy la vérité est telle; et mesmes que ce qui a esté exécuté, depuis quelques jours en ça, à Roan et aultres villes, ce a esté par meschantes personnes qui ne demandent qu'à piller et qui n'ont espargné non plus les biens des Catholiques que ceux des aultres, s'ils ont peu mectre la main dessus. Dont je fais poursuivre la pugnition exemplaire avec toute la dilligence qui se peut, comme en chose qui me déplaist infiniment et dont j'ay bien fort à cueur de faire justice.
J'ay bien considéré ce que me mandés de Sores et aultres cappitaynes de marine, mes subjectz, qui sont passés de dellà. Je vous prie de faire toute l'instance qu'il vous sera possible envers ma bonne sœur, la Royne d'Angleterre, à ce qu'ilz n'obtiennent aucune permission d'exercer choses semblables qu'ilz ont faictes aux derniers troubles; car ce seroit autoriser et donner lieu aux pirateries qui, sans cela, s'exercent aujourdhui assés grandes entre l'Angleterre et les costes de mes païs de Normandie et Bretaigne, dont il m'est venu plusieurs plainctes par les marchands du dict païs de Normandye. A quoy le dict Sr de La Meilleraye m'a escript vous avoir envoyé les mémoires pour en faire remonstrance à ma dicte bonne sœur; ce que je vous prie de faire soigneuzement; luy faisant bien entandre que, comme, de mon costé, j'ay porté et porte, ung infiny respect à toutes choses qui touchent la conservation de nostre commune amitié, elle veuille aussy, de sa part, en faire de mesme, et ne croire aysément gens passionnés comme sont les dicts ministres, que me mandés qui sont fuis d'icy à sa court: lesquelz, ou leurs semblables, elle vous a aultresfoys confessé estre cause de toutes les discentions qui se nourrissent entre les peuples, ny aussy les autres impostures qui luy sont proposées pour la retirer de mon amitié; estimant que la remise qui vous fut faicte, comme j'ay veu par vostre dépesche du dict VIIe du passé, de vous donner audience, n'a pas esté du tout fondée sur l'indisposition de ma dicte bonne sœur, mais pour avoir plus de temps et de loisir à vous faire faire les responces que ceux de son conseil vous ont despuis baillées; et voir cepandant ce qui luy seroit mis en avant par les depputés du duc d'Alve, et aussy mes déportemens sur la grande doubte que me mandés qu'elle a des vaisseaux et gens de guerre qu'a le Sr de Strossi.
Sur quoy je vous prie l'asseurer tousjours de ma parfaicte amitié en son endroict, et de la sincère affection, que j'ay, de garder et observer inviollablement nostre dernier traicté, et que ce qui a esté cause que j'ay faict rassembler les forces du dict Strossi, que j'avois, pour certain, entièrement licentiées, a esté pour ce que je voy que les dictz de la Rochelle, au lieu de l'espérance que j'avois qu'ilz seroient si saiges que de se conformer à ma volonté et accepter les résonnables offres et conditions que je leur ay envoyées, je veoy ce soudain changement en eulx; aussy que j'ay certainement sceu et veu par des lettres interceptées que le conte de Montgommery et aultres de mes subjectz, qui sont en Angleterre, les asseurent qu'ilz auront secrètement tout le secours qu'ilz voudront de la dicte Royne d'Angleterre et toute l'assistance qui leur sera nécessaire, sans que, pour cella, elle se déclaire à la guerre contre moy. Qui vous prie, pour ceste raison, le luy faire entandre et l'asseurer que, comme je suis parfaictement résolu d'entretenir la vraye amitié d'entre elle et moy, et la secourir, quand elle en aura besoing, contre qui que ce soit où elle pourroit avoir affaire de forces, et feût ce pour cause de religion; et qu'ayant veu ce que m'avés si souvant escript qu'elle vous a partant de fois dict, et que m'a encores asseuré de sa part son ambassadeur despuis la dernière esmotion advenue en ceste ville, je ne puis penser ny ne veux croire cella d'elle, mais au contraire la persévérance de nostre dicte bonne et perfaicte amytié, laquelle j'ay tousjours extrême desir et espérance de voir augmenter et randre indissoluble entre elle et moy et les miens; vous priant le luy dire bien expressément et l'en asseurer; et luy présentant les lettres que je vous envoye, sur la créance desquelles vous l'asseurerés aussy que le légat du Pape, que Sa Saincteté envoye vers moy, qui doit estre bientost par deçà, estoit parti de Rome avant le jour de ces esmotions adveneues en ceste ville, et qu'il vient, à ce que j'ay sceu, pour me persuader de la part de Sa Saincteté (voyant, par elle, que le Turc faict ung grandissime préparatif pour l'année prochaine) d'entrer en la ligue, ce que suis délibéré et entièrement résolu de ne pas faire, pour ce que mes affaires ne le peuvent maintenant permettre.
Et sera aussy bon et bien à propos que l'asseuriés expressément qu'il ne vient pour nulle aultre occasion, luy faisant par mesme moyen entandre l'acouchement de ma femme, et comme Dieu m'a donné une belle fille, dont vous vous réjouirés de ma part avec elle, et luy dirés la charge que je vous ay donnée de ce faire, desirant bien fort que, suivant ce que je vous ay, ces jours icy, escript, vous sentiés accortement d'elle ou de ses ministres, mais monstrant que ce soit comme de vous mesmes, et sans qu'elle ny eux cognoissent que je vous en aye escript, si elle auroit agréable que je l'envoyasse prier d'envoyer tenir ma dicte fille sur les sainctz fonds de bastême par le Sr conte de Lecestre; car je pense que cella, ainsy que j'ay aussy veu par une de voz lettres, seroit bien à propos et ung vray moyen, comme m'escripvés, de renouveller la vraye et entière amitié d'entre elle et moy et noz subjectz; car je m'asseure que, y envoyant pour elle le dict Sr conte de Lecestre, ce ne seroit pas sans qu'elle luy donnast aussy bien expresse charge de la négociation ez laquelle nous desirons, il y a desjà si longtemps, veoyr quelque heureuse fin, ny aussy sans que le dict Sr conte de Lecestre s'en retournât fort contant, et qu'il ne se prînt avant son partement par mesme moyen quelque bonne résolution en la dicte négociation de mariage.
Et encores que je ne sois tenu randre aulcun compte à qui que ce soit de mes actions, toutesfois, pour faire veoir clèrement à la dicte Royne la malheureuse délibération du feu Admiral et de ses adhérans, je vous envoye le jugement qui a esté donné contre eux, par lequel elle verra clèrement comme ma court de parlement a jugé, avec toute intégrité, ainsy qu'elle a accoustumé, les dictz conspirateurs; en laquelle conspiration, comme il s'est deuement vériffié, ilz avoient délibéré (qui ne les eût bien soudain prévenus) de venir exécuter jusques en mes chasteaux ceux qu'ilz avoient en inimitié, et n'esparnier aussy mes frères et la Royne, ma mère, voire s'adresser à moy mesme, ou, pour le moingz, me retenir en leur puissance et miséricorde. Et ne sçay qu'ilz eussent faict s'ilz se feussent veus plus avant; car ilz avoient desjà adverty en toutes leurs esglizes de prandre les armes, dont les plus près debvoient estre icy dedans deux ou trois jours après.
Sur quoy je remets à vous de vous estendre ou restreindre selon l'occasion, et ainsy que verrés qu'il sera à propos, vous conformant à ce que je vous en ay cy devant escript; l'asseurant aussy, par mesme moyen, que, suivant ce que j'estime que son ambassadeur luy aura faict entendre, j'ay faict faire incontinant entièrement à sa satisfaction les expéditions sur les trois articles que m'a présanté son ambassadeur, ainsy que verrés par les apostilles escriptz sur les marges d'iceux, desquels et des dictes expéditions je vous envoye aussy les doubles, voulant que la priez de ma part, et ceulx de son conseil, de faire samblable bonne expédition et justice à mes pauvres subjectz, qui se pleignent journellement à moy et à mon conseil des déprédations qui se font sur eux par les subjectz d'icelle Royne; estant bien ayze que les marchans anglois soient partis pour la flotte des vins, m'asseurant qu'ilz ne recevront aucun desplaisir, mais, au contraire, seront receus et recueillis aussy humainement et seurement en tous les endroictz de mon royaume qu'ilz sçauroient desirer.
Ne voullant, au demourant, oublier de vous respondre aux propos que vous ont tenus ces trois seigneurs du conseil de la dicte Royne; je vous diray, sur ce qu'ilz dient que j'ay commandé, comme aucungz les ont asseuré, faire l'exécution de ce qui est adveneu à Rouen, que c'est une imposture bien grande; car, tant s'en fault, qu'au contraire j'escrivis, par plusieurs fois, fort expressément au Sr de Carrouges de garder, par tous moyens, qu'il n'advînct au dict Rouen aulcune esmeute, et, Dieu m'en est tesmoing, combien j'ay de regret que les personnes qui n'avoient intelligence des mauvaises conspirations des chefz de la dicte relligion ayent souffert et pâty, m'asseurant que vous ouïerés bientost parler de la justice exemplaire qui en sera bientost faicte au dict Rouen.
Quant aux nouvelles de Rome, se sont aussy impostures, à quoy l'on ne doit prandre guarde, mais, au contraire, penser, comme chacun sçait, que je ne donne charge de mes affaires au dict Rome qu'à mon ambassadeur.
Quand à ceux de mes subjectz qui se sont retirés de delà, vous avés très bien faict, comme j'ay veu par une de vos dictes dépesches, d'avoir remonstré à la dicte Royne que je ne puis que cella ne me déplaise, attandu qu'ilz ont plus de seureté par toutes les provinces et villes de mon royaulme qu'ilz n'ont en Angleterre, veu les doubtes où est icelle Royne d'eulx ou des estrangers qui sont en son dict royaume; et puisqu'elle en faict faire descriptions, c'est signe qu'elle mesme n'en a pas grande asseurance. J'ay faict une ordonnance qui sera bientost publiée, par laquelle ilz verront ma bonne intention, et comme je ne veux ny n'entans qu'il leur soit faict aucun tort ny desplaisir ez leurs personnes et biens, ce que encore vous pourrés dire à ceux de mes dictz subjectz qui parleront à vous, afin de les faire revenir, comme je desire qu'ilz fassent, dedans ung mois après la publication d'icelle.
Et quand à ce que vous a dict le Sr de Coulombières, je m'esbahis bien comme il s'en est allé, veu que j'estois si contant de luy et de sa réduction et contamplation, de laquelle je luy fis envoyer une sauvegarde bien ample; mais j'ay entandu que c'est le conte de Mongommery et ceux qui se sont retirés ez isles de Jerzay et Grènezay qui l'avoient envoyé devers la Royne d'Angleterre, de laquelle il en a raporté résolution de les assister, avec plusieurs dépesches et lettres qu'elle a escriptes et envoyées par le dict Coulombières, dont il sera bon que vous vous enquériés secrètement pour m'en donner advis; et des autres menées qui se font à mon préjudice par ceux de mes dictz subjectz qui sont par delà, à quoy je m'asseure que vous fairés tout ce qu'il vous sera possible pour y pénétrer bien avant et aussy de la volonté que la dicte Royne a devers eux. Et advenant que le dict Coulombières retournât où vous estes, ou que luy puissiés escripre, asseurés le que, s'il veut retourner en sa maison, et se conformer à ma volonté tant bonne et saincte, il y sera receu et pareillement ceulx de mes aultres subjectz qui auront ceste bonne volonté, se pouvans tous asseurer de vivre à repos et sans estre aucunement inquiétés ni molestés, en mon royaulme, et ne fault point qu'ilz en ayent aucune fraïeur; car, sur mon honneur, et en vérité, il ne leur sera faict aucun tort ni desplaisir.
J'attans icy bientost les sieurs Du Crocq et de Vérac pour entandre d'eulx les particullarités des affaires d'Escosse; mais cepandant, pour ce que Quillegrey, qui y est encores demeuré, tâchera, comme j'ay sceu qu'il commance, de faire tout ce qu'il pourra contre ceux du bon party pour maintenir et advantager le conte de Mar et ceux de son party, et diminuer, par ce moyen, tousjours le plus qu'il pourra, l'auctorité de ma belle sœur, la Royne d'Escosse, il est besoing que quelquefois vous escripviés en Escosse aux seigneurs qui y sont bien affectionnés au bon party, et au lair de Granges et à Ledinton, et les conduisiés à ce que verrés qu'ils auront à faire pour le bien de mon service, seureté de Lislebourg et autres places qu'ilz tiennent, et aultres choses concernans le bien et les advantages de ma dicte belle sœur, laquelle il sera bon que vous recommandiés tousjours doucement à icelle Royne et à ceux de ses ministres qui luy sont le moingz rigoureux; mais j'entans, si voyés que le trouviés à propos, et que cella ne puisse nuire à mes affaires et aux siens.
J'ay veu aussy ce que m'escripvés pour vostre congé, que véritablement je serois, comme il est résonnable, bien contant de vous donner pour venir donner ordre à voz affaires; mais, considérant le temps et l'estat des miens en vostre charge, je ne le vous puis accorder sans les incommoder et préjudicier beaucoup. Voilà pourquoy je vous prie demeurer encore pour quelque temps par delà et jusques à ce que nous voyons quelz chemins prandront la négociation du mariage, le faict du commerce et les affaires qui naissent à présent, qui ne sont pas de petite importance, ausquelz ung autre seroit bien nouveau; aussy que la dicte Royne d'Angleterre, si je vous révoquois, pourroit penser que ce feust pour quelque aultre occasion qui peut estre l'altèreroit; priant Dieu, etc.
Escript à Paris, le IIIe jour de novembre 1572.
CHARLES. PINART.