Tableau historique et pittoresque de Paris depuis les Gaulois jusqu'à nos jours (Volume 5/8)
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DES BERNARDINS.
TABLEAUX.
Dans la chapelle de la famille de Grien, un tableau représentant un évêque; par un peintre inconnu.
Sur le maître-autel, la conversion de Guillaume, duc d'Aquitaine; par un peintre inconnu.
Quatre tableaux représentant saint Pierre, saint Paul et deux évêques, également par un peintre inconnu.
Dans la sacristie, deux tableaux singuliers: Jésus-Christ s'élançant de la croix pour aller embrasser saint Bernard; par un peintre inconnu. La Vierge se pressant les mamelles, et en faisant jaillir le lait dans la bouche du même saint; par un peintre inconnu.
Dans la salle des actes, différents traits de la vie des quatre pères de l'Église, un trait particulier de celle de saint Thomas d'Aquin, et saint Bernard au concile de Reims, en tout six tableaux; par Liébaut.
SCULPTURES.
Sur le devant de l'autel de la chapelle de Grien, une Annonciation, l'Adoration des bergers et celle des Mages, en relief; sans nom d'auteur.
Dans la cinquième chapelle, sous la croisée, une statue d'évêque à genoux devant un prie-dieu.
SÉPULTURES.
Dans une chapelle de cette église on voyoit le mausolée de Guillaume du Vair, garde des sceaux de France, et depuis évêque de Lisieux, mort en 1621[244]. Plusieurs personnes de sa famille avoient été inhumées dans la même chapelle.
Il y avoit une autre chapelle destinée à la sépulture de la famille de Grien.
Le chœur occupoit la plus grande partie de l'église, et l'on admiroit les vitraux du chevet, d'une très-grande hauteur et d'une exécution très-délicate.
Les corridors, dortoirs et réfectoire, ainsi que l'escalier, étoient vastes et bien entretenus. La bibliothèque, peu considérable, ne contenoit que des livres de théologie, au nombre de cinq à six cents volumes.
Cette maison, composée d'un proviseur, de deux professeurs en théologie, d'un procureur, d'un sous-prieur, d'un sacristain et des étudiants, étoit la résidence du procureur-général de l'ordre. Les abbés de Cîteaux, de Clairvaux et de Pontigny y avoient chacun leur hôtel.
Les Bernardins prétendoient posséder depuis 1251 le crâne de saint Jean-Chrysostôme, que le pape Alexandre VI avoit envoyé à Clairvaux. Il y avoit, en 1497, dans leur église, une chapelle de Saint-Yves, qui étoit un titre[245].
L'ÉGLISE
SAINT NICOLAS DU CHARDONNET.
Cette église a pris son nom du fief du Chardonnet, sur le territoire duquel elle est bâtie. Ce fief s'étendoit entre la Seine et la Bièvre, depuis le clos Mauvoisin, c'est-à-dire depuis la rue de Bièvre, où il finissoit, jusqu'à l'ancien canal de la rivière de Bièvre, tel qu'il subsiste aujourd'hui. Ce fut en 1230 que Guillaume d'Auvergne, évêque de Paris, ayant obtenu de l'abbaye Saint-Victor cinq quartiers de terre, y fit bâtir une chapelle[246], que l'on doit regarder comme la première époque de la fondation de Saint-Nicolas. Il est vrai que les historiens de Paris ne fixent qu'en 1243 l'érection de cette chapelle en église paroissiale[247]; mais Jaillot les a réfutés avec sa critique ordinaire, et, soutenu des titres les plus authentiques, il prouve jusqu'à l'évidence que la cure de Saint-Nicolas existoit avant 1243, et que ces historiens ont pris la construction d'une nouvelle église, ou l'agrandissement de celle qui existoit déjà depuis treize ans, pour l'époque de l'érection d'une chapelle en cure[248].
Le même critique attaque avec un égal succès ceux qui veulent lui donner une plus haute antiquité que cette année 1230; il démontre parfaitement que Dubreul, Malingre et Sauval ont eu tort de citer une bulle qu'ils attribuent à Alexandre III, et dont ils se sont appuyés pour avancer que cette église existoit dès 1166. Cette bulle, qui fait mention d'une rente de 25 liv., affectée aux clercs de matines à Notre-Dame sur les revenus de la cure de Saint-Nicolas du Chardonnet, ne peut être que du pape Alexandre IV, lequel fut élu le 25 décembre 1254; et toutes les circonstances qui accompagnent cet acte concourent à fortifier cette démonstration[249].
L'église de Saint-Nicolas du Chardonnet fut dédiée par Jean de Nant, évêque de Paris, le 13 mai 1425. Trompé par cette date, Dubreul a cru qu'elle avoit été rebâtie vers ce temps-là; mais on ne trouve aucun indice qui puisse donner quelque poids à une semblable opinion. Il faut remarquer que cette église étoit d'abord située le long du canal de la Bièvre; mais ce canal ayant été supprimé, et l'église commençant à tomber en ruine, on prit, en 1656, le parti d'en construire une nouvelle à côté de l'ancienne, et dans une direction opposée: elle n'étoit pas achevée lorsqu'elle fut bénite, le 15 août 1667, par M. de Péréfixe, alors archevêque de Paris.
À ne juger de cette église que comparativement avec les autres monuments de ce genre, élevés à Paris dans les dix-septième et dix-huitième siècles, on peut dire qu'à l'intérieur elle est bien bâtie et d'une ordonnance régulière. Sa nef est décorée d'un ordre composé, dont le chapiteau, d'une invention singulière, et formé d'un seul rang de feuilles, imite celui qu'on appelle communément chapiteau attique; du reste, les travaux repris en 1705, et continués jusqu'en 1709, furent de nouveau suspendus à cette époque, et laissés imparfaits jusqu'à nos jours; de manière qu'il manque, pour l'entier achèvement du monument, une travée entière, le portail principal du côté de la rue Saint-Victor et le clocher.
Le seul portail qui existe est collatéral, et se trouve situé sur la rue des Bernardins. Il est traité dans cette forme pyramidale dont les édifices sacrés nous offrent de si fréquents exemples, et orné de deux ordres de pilastres, ionique et corinthien, le premier couronné d'un fronton, le second surmonté d'un comble à la mansarde. À cette incohérence d'ornements rassemblés sans goût et sans nécessité, l'auteur de ce portail a joint la licence vraiment inconcevable de ne pas donner à l'ordre supérieur la dimension qu'il doit avoir. C'est ainsi généralement que l'on traitoit l'architecture à une époque où l'école n'avoit aucune marche sûre, aucun principe constant; et où chaque artiste, dédaignant l'imitation, seule lumière des beaux-arts, croyoit pouvoir se livrer sans inconvénient à tous les caprices de son imagination[250].
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE St-NICOLAS DU CHARDONNET.
TABLEAUX.
Dans la chapelle de la Vierge, la Résurrection de Jésus-Christ; par Verdier. À droite, une Assomption; par Robin.
Sur les autels placés à l'entrée du chœur, un saint Ambroise et le Baptême de Notre-Seigneur; par de Peters, peintre en miniature.
Dans la chapelle de la Communion, les Pélerins d'Émmaüs; par un peintre inconnu.
Un saint Antoine; par un peintre inconnu.
Le Miracle de la manne et le Sacrifice de Melchisédech; par Coypel.
Le Sacrifice d'Abraham et Élysée dans le désert, par Francisque Millet.
Dans la chapelle qui servoit de sépulture à la famille d'Argenson, la Construction du temple de Jérusalem; par un peintre inconnu.
Dans la chapelle de Saint-Charles, saint Charles-Borromée; par Lebrun[251]. Le plafond de cette chapelle étoit peint par le même artiste.
Dans une autre chapelle, le martyre de saint Denis; par Jeaurat.
Dans la dernière chapelle, une sainte Catherine; par Le Lorrain.
SCULPTURES.
Sur le maître-autel, un Ecce Homo et une Vierge en marbre.
Au-dessus de la porte du chœur, un Christ en bois, avec la statue de la Vierge et celle de saint Jean, également en bois, exécutés sur les dessins de Lebrun; par Poultier.
TOMBEAUX.
Dans la chapelle à côté de la sacristie avoit été inhumé Jean de Selve, premier président du parlement de Paris, mort en 1529.
La chapelle de Saint-Jérôme renfermoit le tombeau de Jérôme Bignon, avocat-général au parlement de Paris. Deux vertus, la Justice et la Tempérance, étoient représentées assises sur un cénotaphe, au-dessus duquel s'élevoit le buste de ce magistrat. Ces figures étoient de la main d'Anguier. Sur le soubassement du mausolée on voyoit un saint Jérôme en bas-relief, de la main de Girardon[252].
La famille d'Argenson avoit sa sépulture dans une chapelle de cette église; on y voyoit le buste de Marc-René de Voyer de Paulmy d'Argenson, garde des sceaux de France[253].
Dans la chapelle Saint-Charles avoit été inhumée la mère de Le Brun. Le tombeau de cette dame, exécuté par Tuby et Colignon, d'après les dessins de son fils, étoit le monument de cette église qui avoit le plus de réputation, et l'un de ceux que les étrangers visitoient avec le plus d'empressement[254].
Sous la croisée de la même chapelle on voyoit le mausolée de cet artiste célèbre; par Coysevox[255].
Cette église, assez riche en beaux ornements et en vases sacrés de grand prix, dont quelques-uns même étoient enrichis de diamants, possédoit en outre plusieurs morceaux de la vraie croix. Cette précieuse relique étoit exposée, dans les grandes fêtes, à la vénération des fidèles.
CIRCONSCRIPTION.
Cette paroisse, de figure oblongue, comprenoit autrefois dans sa circonscription toute la rue des Bernardins, et, laissant la Seine à gauche, remontoit jusqu'au pont sur la Bièvre, au delà de la porte Saint-Bernard. Après avoir suivi la rue de Seine, dont elle avoit les deux côtés et les maisons situées au coin d'en haut à main gauche, sans toucher au jardin du roi, elle reprenoit à la première maison qui fait le coin de la rue Copeau, vis-à-vis de la fontaine de Saint-Victor, continuoit des deux côtés de la rue en rentrant dans Paris, puis remontoit de la rue des Fossés Saint-Victor jusques et inclus le carré entier de la rue des Boulangers, et la rue Clopin inclusivement. Elle renfermoit encore les deux côtés de la rue d'Arras, et la moitié de celle de Versailles, dont elle avoit le côté droit en descendant, puis continuoit à droite jusqu'à l'église paroissiale, en laissant à la paroisse Saint-Étienne ce qui est à gauche dans la rue Saint-Victor.
La porte Saint-Bernard, le château de la Tournelle et la moitié du pont du même nom étoient sur le territoire de cette paroisse; mais l'abbaye Saint-Victor, quoique située dans son étendue, avoit sa paroisse particulière[256].
LES RELIGIEUSES ANGLOISES
Ce sont des chanoinesses régulières réformées de l'ordre de Saint-Augustin, qui vinrent en France au commencement de 1633, et obtinrent, au mois de mars de cette même année, des lettres-patentes qui leur permettoient de s'établir à Paris ou dans les faubourgs. Jean-François de Gondi, archevêque de cette ville, y joignit son consentement, sous certaines conditions, dont la principale étoit qu'on n'y recevroit que des filles nées de pères et mères anglois. Elles se logèrent d'abord au faubourg Saint-Antoine[257] et ensuite sur les fossés Saint-Victor. Sœur Marie Tresduray, leur abbesse, obtint, en 1655, de nouvelles lettres-patentes qui leur accordoient la permission de recevoir parmi elles des filles françoises et des états alliés de la France. Ces lettres furent enregistrées le 7 septembre de la même année, à la charge néanmoins que lesdites abbesse et religieuses ne pourroient avoir à la fois plus de dix françoises professes. La maison qu'elles occupoient et qu'elles avoient fait reconstruire avoit appartenu à Jean-Antoine Baïf, poète célèbre dans le seizième siècle. C'est là qu'il avoit établi, comme nous l'avons déjà dit, cette académie de musique[258] dont les concerts attiroient ce qu'il y avoit de plus considérable à la cour, et que Charles IX et Henri III honorèrent souvent de leur présence. Il rassembloit aussi dans cette maison les beaux esprits de son temps, et l'on peut regarder ces réunions comme le premier modèle des sociétés savantes qui ont donné naissance à nos diverses académies.
La maison de ces religieuses portoit le nom de Notre-Dame-de-Sion.
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DES FILLES ANGLOISES.
TABLEAUX ET SÉPULTURES.
Dans cette église, qui est fort propre, et à laquelle on arrive par un escalier de trente-cinq marches, sur le maître-autel, Joseph d'Arimathie et les Saintes-Femmes ensevelissant le corps de N. S.; par un peintre inconnu.
Au côté gauche de cet autel, près la croisée, Jésus-Christ portant sa croix; également sans nom d'auteur.
On remarque aussi du même côté les épitaphes de plusieurs seigneurs anglois inhumés dans cette église[259].
LES PRÊTRES
DE LA DOCTRINE CHRÉTIENNE.
Cet institut doit son origine à César de Bus, écuyer. Plein de zèle pour la propagation de la foi, et voyant avec douleur combien l'instruction chrétienne étoit négligée, il forma la résolution de s'associer quelques ecclésiastiques animés des mêmes sentiments, et d'en former une sorte de congrégation apostolique, destinée surtout à parcourir les campagnes, à visiter les dernières classes du peuple, et à y répandre les vérités de la religion catholique[260]. Le projet de cet établissement fut formé à l'Isle, dans le comtat Vénaissin, le 29 septembre 1592, et approuvé l'année suivante par l'archevêque d'Avignon. Placés d'abord dans l'église de Sainte-Praxède de cette capitale du Comtat, ces prêtres furent ensuite transférés dans celle de Saint-Jean-le-Vieux de la même ville, et le succès de leurs travaux eut tant d'éclat que Clément VIII confirma leur établissement par sa bulle du 23 décembre 1597, et qu'ils obtinrent, treize ans après, en 1610, la permission de s'introduire en France.
Le vénérable César de Bus étant mort le 15 avril 1607, ses disciples, dans l'intention de donner une entière stabilité à leur congrégation, désirèrent la rendre régulière. Paul V, cédant à leurs vœux, les unit et les incorpora, par son bref du 11 avril 1616, à la congrégation des clercs réguliers de Saint-Mayeul, établis en Italie, et communément appelés Somasques. Mais cette union, quoique approuvée par Louis XIII en 1617, ne subsista que l'espace de trente années. Innocent X, par sa bulle du 30 juillet 1647, sépara ces deux congrégations, et remit celle de la doctrine chrétienne dans l'état où elle avoit été approuvée par Clément VIII[261].
Ces pères, qui, comme nous l'avons dit, avoient eu, dès l'an 1610, des lettres-patentes par lesquelles leur établissement en France étoit autorisé, obtinrent encore, en 1626, de Jean-François de Gondi, archevêque de Paris, la permission de se fixer dans cette capitale et dans tout son diocèse. Le père Vigier, en conséquence de cette permission, acheta, le 16 décembre 1627, de Julien Joly, ecclésiastique du diocèse du Mans, une grande et vieille maison, appelée hôtel de la Verberie, et située rue des Fossés Saint-Victor. Selon Jaillot, ces pères s'y établirent de suite, et firent construire, par parties, les bâtiments qu'ils occupoient encore avant la révolution. Leur chapelle étoit sous l'invocation de saint Charles Borromée. On remarque, comme une chose singulière, que, dans cette chapelle, il y avoit tous les ans sermon et salut en l'honneur du bon larron.
En 1705 M. Miron, docteur en théologie de la maison de Navarre, légua sa bibliothèque aux pères de la doctrine chrétienne, à condition qu'elle seroit publique. Elle étoit composée de plus de vingt mille volumes, parmi lesquels il y avoit des éditions rares et les manuscrits du savant abbé Lebeuf.
Cette maison de Paris étoit devenue le chef-lieu de la congrégation. Le supérieur-général, qu'on élisoit tous les six ans, y faisoit sa résidence avec son conseil[262].
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DES PRÊTRES DE LA DOCTRINE CHRÉTIENNE.
TABLEAUX.
Sur le maître-autel, saint Charles-Borromée; par Vouet,
Dans les chapelles voisines:
Le roi David; par un peintre inconnu.
Les quatre Évangélistes; par un peintre inconnu.
Les quatre Pères de l'Église; également par un peintre inconnu.
LES FILLES
DE LA CONGRÉGATION DE NOTRE-DAME.
Pierre Fourrier, chanoine de Saint-Augustin, curé de Mataincourt en Lorraine, et la dame Alix Leclerc, jetèrent, en 1597, les premiers fondements de cette société. Ce ne fut d'abord qu'une petite communauté séculière, destinée à instruire la jeunesse, à l'instar des filles de Sainte-Ursule. Le succès de cet institut engagea madame d'Aspremont à le faire transférer en 1601 à Saint-Mihiel. Ce premier établissement fut bientôt suivi de plusieurs autres; mais il n'eut une forme stable et régulière qu'en 1617, époque à laquelle Alix et ses compagnes prirent l'habit religieux. Dès l'an 1615 elles avoient obtenu du pape Paul V la permission d'ériger leurs maisons en monastères, et d'y vivre en clôture, sous la règle de saint Augustin. Ce fut de l'un de ces monastères, établi à Laon en 1622, que sortirent les religieuses qui formèrent à Paris la maison dont nous parlons. Tout ce que Sauval et Piganiol[263], son copiste, disent à ce sujet est un tissu d'inexactitudes: les autres historiens de Paris ont gardé le silence. L'erreur des premiers provient sans doute de ce qu'ils ont ignoré qu'il y a eu trois émigrations différentes des religieuses de la congrégation de Notre-Dame, et qu'elles sont venues toutes trois du monastère de Laon.
Celles qui font le sujet de cet article ne vinrent à Paris qu'en 1643. Le 9 juin de cette année elles obtinrent de l'archevêque la permission de s'établir sur la paroisse Saint-Jean en Grève[264], au Marais. Cependant Jaillot, qui avoit consulté leurs titres, pense qu'elles n'y formèrent aucun établissement; ce qui le prouveroit, c'est que, la ville y ayant donné son consentement, elles achetèrent, le 4 octobre 1644, deux maisons rue Saint-Fiacre, au coin de celle des Jeux-Neufs, et qu'au mois de janvier 1645 Sa Majesté leur accorda des lettres-patentes, confirmées le 10 août 1664.
M. Imbert Porlier, recteur de l'hôpital général, sous la direction duquel elles s'étoient mises, et qui demeuroit à la Pitié, ayant senti toute l'utilité de cet établissement, forma le dessein de placer ces religieuses dans le quartier qu'il habitoit. En conséquence, le 15 octobre 1673, il acquit la maison de Montauban, qui s'étendoit jusqu'à la rue du faubourg Saint-Victor, et, le 28 octobre de l'année suivante la communauté fut transférée dans cette maison, dont ce généreux protecteur leur fit présent par contrat du 18 avril 1681, ainsi que de quelques petites maisons et jardins qu'il possédoit déjà dans le quartier. L'année suivante elles acquirent une maison et un jardin contigu à leur terrain, et firent bâtir une église, qui fut bénite le 15 août 1688. Depuis, toutes ces acquisitions furent amorties par lettres-patentes du mois d'août 1692[265].
L'ABBAYE DE SAINT-VICTOR.
Il est peu de maisons religieuses dont la célébrité soit constatée par un plus grand nombre de monuments, et dont l'origine présente plus d'incertitude et d'obscurité. Les annales manuscrites de cette maison font mention d'un monastère existant avant le douzième siècle; la Chronique d'Alberic[266] parle d'un prieuré de moines noirs de Marseille; et l'on trouve dans un autre écrit très-ancien[267] que des chanoines réguliers étoient établis hors de la ville de Paris, dans un lieu où il y avoit une chapelle de Saint-Victor. On cite à ce sujet une charte de Philippe Ier, datée de l'an 1085, et souscrite par Anselme, abbé de Saint-Victor de Paris. Les historiens de Paris, et Duboulay[268] concluent, d'après cette charte, de l'existence de l'abbaye à cette époque. L'abbé Lebeuf[269], au contraire, va jusqu'à nier l'existence de la charte. La critique de Jaillot[270] a jeté de grandes lumières sur cette discussion. Il prouve d'abord, contre l'abbé Lebeuf, que cette charte existe bien réellement, ensuite, contre ses adversaires, qu'elle est absolument étrangère aux moines de Saint-Victor et qu'on peut même douter de son authenticité; mais que, dans tous les cas, la souscription du prétendu Anselme, abbé de ce monastère, ne peut avoir été apposée que sur une copie, parce qu'elle est accompagnée de celle de plusieurs autres personnages bien connus[271], qui ne vivoient que cent cinquante ans après cette date de 1085; et cette démonstration, qu'il pousse jusqu'à l'évidence la plus complète, lui sert même à rectifier le nom de cet abbé de Saint-Victor, mal à propos nommé Anselme par une erreur de copiste, et qui se nommoit réellement Ascelin.
On ne peut donc rien avancer de positif sur la première origine de la chapelle Saint-Victor; mais il est certain du moins qu'elle existoit avant 1108, puisque Guillaume de Champeaux s'y retira cette même année, avec quelques-uns de ses disciples, et qu'il y jeta les premiers fondements de cette école célèbre, qui depuis produisit tant de grands hommes, dont plusieurs sont encore regardés aujourd'hui comme les lumières de l'Église. Quant à l'abbaye proprement dite, tout porte à croire qu'elle fut fondée par Louis-le-Gros: car on possède une charte de ce prince, datée de 1113, par laquelle il déclare qu'il a voulu doter des chanoines réguliers dans l'église du bienheureux Victor: In ecclesiâ beati Victoris... canonicos regulariter viventes ordinari volui[272]. L'existence de la chapelle avant celle de l'abbaye est donc bien constatée; mais on ne trouve aucune preuve de deux autres opinions adoptées successivement par beaucoup d'historiens; 1o qu'il y ait eu dans cet endroit des moines noirs de Marseille, c'est-à-dire des Bénédictins; 2o que Hugues de Saint-Victor leur ait substitué, par ordre du roi, des chanoines réguliers de Saint-Ruf, de la ville de Valence. Jaillot, qui les réfute avec beaucoup de solidité, rejette également une conjecture de l'abbé Lebeuf, qu'il est inutile de rapporter ici[273].
Au milieu de toutes ces traditions confuses ce que nous savons de certain, c'est qu'au douzième siècle il existoit une celle et une chapelle de Saint-Victor, et que Guillaume de Champeaux choisit ce lieu pour s'y retirer avec quelques-uns de ses disciples. Il étoit archidiacre de Paris. Son éloquence et ses lumières l'avoient rendu célèbre, et il le devint encore davantage pour avoir été le maître d'Abailard, qui depuis fut son rival, et s'immortalisa à la fois, et très-malheureusement pour lui, par ses écrits et par ses amours. Nous aurons occasion de parler par la suite de cette rivalité fameuse et de ses effets: peut-être contribua-t-elle à dégoûter du monde Guillaume de Champeaux, à le faire renoncer à son archidiaconé, et à lui faire prendre, dans la maison de Saint-Victor, l'habit de chanoine régulier. Qu'il y ait été poussé par ce motif purement humain, ou par le désir de mener une vie plus tranquille et plus parfaite, il n'en est pas moins vrai qu'à la prière de plusieurs personnes considérables, qui gémissoient de voir d'aussi rares talents enfouis dans l'obscurité d'un cloître, il ne tarda pas à y reprendre ses anciens exercices scolastiques. De nouveaux disciples se portèrent en foule aux leçons d'un si habile maître; et telle fut la première source de la célébrité de la maison de Saint-Victor, dont les membres, formés dans son école, furent bientôt appelés de toutes parts pour instruire, éclairer, édifier et former des établissements nouveaux sur le modèle de cette congrégation. On voit ensuite, en 1113, Guillaume de Champeaux élevé par son mérite à l'épiscopat de Châlons; et la même année, dans cette même ville, Louis-le-Gros se déclara fondateur de la maison de Saint-Victor, la dota des biens énoncés dans la charte dont nous avons déjà parlé, biens qu'il augmenta depuis par un diplôme donné à Paris en 1125. À ces libéralités ce prince ajouta, en faveur des chanoines, le privilége de se choisir un abbé, sans requérir le consentement ni l'autorité du roi, disposition qui fut confirmée en 1114, par une bulle du pape Pascal II.
Piganiol[274] prétend que la chapelle de cette église, dédiée à Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle, étoit l'église qui fut construite par Louis-le-Gros, à l'endroit même où étoit l'ancienne chapelle de Saint-Victor. Jaillot, dont le texte est ici un peu obscur, semble faire entendre que ce monarque, dont les bienfaits furent le premier fondement de la prospérité de ce monastère, ne fut point cependant le fondateur de son église. Les Annales manuscrites de Saint-Victor, qu'il avoit lues, n'en faisoient point mention, et le Nécrologe de cette église en attribuoit l'honneur à Hugues, archidiacre d'Alberstat, chanoine de cette maison, et oncle de Hugues de Saint-Victor. Cette église, réparée en 1448 par Jean Lamasse, trentième abbé de Saint-Victor, et en partie par les libéralités de Charles VII, fut ensuite presque entièrement rebâtie sous le règne de François Ier. La première pierre y fut mise le 18 décembre 1517 par Michel Boudet, évêque de Langres; celle du chœur fut posée par Jean Bordier, alors abbé de Saint-Victor, qui fit réparer tous les anciens édifices de cette maison, et construire des murs autour de l'enceinte.
L'église étoit un monument d'architecture gothique, dont la proportion eût semblé assez bonne, si la grande élévation et la largeur de la nef n'eussent pas présenté un contraste choquant avec les dimensions trop basses et trop étroites des bas côtés[275]. Elle n'avoit point été achevée du côté de l'entrée, et il y restoit deux arcades à construire, imperfection qu'on avoit essayé de masquer par un portail construit seulement en 1760. Cette composition bizarre, exécutée dans le plus mauvais goût de l'architecture alors en usage pour les édifices sacrés, faisoit regretter l'ancien portail, d'une construction gothique, mais hardie et légère, et que l'on avoit été forcé d'abattre, parce qu'il menaçoit ruine.
Les parties de l'ancienne église conservées dans la nouvelle étoient la tour ou le clocher, et ce vieux portail dont nous venons de parler; deux arcades d'une chapelle placée derrière le grand autel; une chapelle souterraine, pratiquée sous celle-là, et dédiée à la Vierge. La chapelle Saint-Denis, qui existoit encore au fond du chevet, étoit d'un gothique élégant qui sembloit remonter jusqu'au douzième siècle, à l'exception du sanctuaire construit dans le quinzième. Elle étoit éclairée par deux croisées en ogives, hautes et étroites, offrant à leur sommet des arrières-voussures très-bien exécutées. Par ce mélange bizarre que l'on faisoit quelquefois dans le seizième siècle des divers genres d'architecture, le jubé de l'église étoit porté sur des colonnes corinthiennes cannelées, et en même temps flanqué de deux tourelles gothiques, formant des cages d'escaliers.
Le grand cloître, très-spacieux et ouvert d'un côté par d'étroites arcades, que portoient de petites colonnes groupées, offroit dans sa construction un travail de la fin du douzième siècle et du commencement du treizième. Au bout du second cloître on voyoit une chapelle dite de l'infirmerie, qui, par l'élégance de ses colonnades et le travail des vitrages du fond annonçoit également un gothique du treizième siècle: le réfectoire, les dortoirs, l'infirmerie étoient du seizième.
Le buffet d'orgue étoit estimé, ainsi que les cloches, que l'on comptoit au nombre des plus belles et des plus harmonieuses de Paris.
CURIOSITÉS DE L'ABBAYE SAINT-VICTOR.
TABLEAUX.
Sur le maître-autel, un très-bon tableau, représentant l'adoration des Mages; par Vignon.
Autour du sanctuaire, quatre tableaux, par Restout, représentant:
- 1o David obtenant, par ses prières, la cessation de la peste;
- 2o La résurrection du Lazare;
- 3o Melchisédech allant au-devant d'Abraham victorieux, et offrant pour lui le pain et le vin;
- 4o Une cène.
Dans l'ancien chœur, derrière le maître-autel, quelques paysages peints à fresque dans la manière du Guaspre. Ils étoient placés entre les vitraux qui terminoient le rond-point de cette église. Plusieurs de ces vitraux, et notamment ceux de la chapelle Saint-Clair, étoient estimés des amateurs de ce genre de peinture pour la vivacité des couleurs.
Dans deux chapelles collatérales, substituées vers les derniers temps au jubé, deux médaillons peints à fresque, représentant saint Louis et la Madeleine; par Robin.
TOMBEAUX ET SÉPULTURES.
Dans le chœur de l'église avoient été inhumés:
- Maurice de Sully, évêque de Paris, mort en 1196.
- Étienne de Senlis, évêque de Paris, mort en 1141 ou 1142.
- Burchard, évêque de Meaux, mort en 1134.
- Étienne de La Chapelle, évêque de Meaux, mort en 1174.
- Geoffroy de Tressy, évêque de Meaux, mort en 1213.
- Jean, évêque de Paneade en Palestine, mort dans le douzième siècle.
Dans la chapelle Saint-Denis:
- Pierre Le Mangeur, théologien célèbre, mort en 1185.
- Arnou, évêque de Lisieux, mort vers le même temps.
- Guillaume d'Auvergne, évêque de Paris, mort en 1248.
- Renaud de Corbeil, évêque de Paris, mort en 1268.
- Pierre Lizet, premier président du parlement de Paris, mort en 1554.
Dans la chapelle de Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle,
- Odon, qui, de prieur de Saint-Victor, fut fait abbé de Sainte-Geneviève, lorsque la régularité s'y introduisit au milieu du douzième siècle.
Près de la porte d'entrée à droite,
- Le célèbre Hugues de Saint-Victor, mort en 1140.
Dans la chapelle dite de l'infirmerie:
- Guillaume Baufet ou d'Orillac, évêque de Paris, mort en 1319.
- Guillaume de Chanac, évêque de Paris, mort en 1348.—Sa statue, en marbre, étoit couchée sur son tombeau[276].
Dans le cloître,
- Le fameux Santeuil, chanoine régulier de cette abbaye, et l'un des plus grands poëtes latins des temps modernes[277].
Plusieurs autres personnages illustres, entre lesquels on doit distinguer le Père Maimbourg, ex-jésuite, auteur de plusieurs ouvrages; Ismaël Bouillaud, également célèbre par son esprit et par sa science; Henri du Bouchet, conseiller au parlement, et l'un des bienfaiteurs de cette maison avoient aussi leur sépulture dans l'église ou dans le cloître.
La bibliothèque de Saint-Victor n'étoit d'abord composée, comme celle des autres maisons religieuses, que de manuscrits des Pères de l'église et des auteurs scolastiques. Le P. Lamasse, abbé de cette maison, l'augmenta. Nicaise de Lorme, l'un de ses successeurs, y fit de nombreuses additions, et la plaça dans un nouveau bâtiment qu'il fit construire à cet effet en 1496. Elle devint ensuite publique, par les soins et par la libéralité de M. du Bouchet qui, par son testament du 27 mars 1652, légua sa bibliothèque à la maison de Saint-Victor, et laissa un fonds annuel pour son entretien, à condition que: «L'un des religieux se trouvera aux jours marqués à la bibliothèque, pour avoir soin de bailler et de remettre les livres après que les étudiants en auront fait[278].» Elle devint plus considérable encore par le don que M. Cousin, président de la cour des monnoies, fit de la sienne en 1707. Elle fut augmentée de nouveau par plusieurs autres donations, et spécialement par celle de M. du Tralage, qui l'enrichit d'un recueil immense de dessins, mémoires, cartes géographiques. Le tout formoit une collection remarquable par le choix et le nombre des livres, surtout par dix-huit à vingt mille manuscrits, parmi lesquels il y en avoit de très-précieux[279]. Peu de temps avant la révolution, on avoit construit un nouveau bâtiment pour placer cette bibliothèque; lequel a été détruit avant d'être entièrement achevé.
Les jardins de cette abbaye étoient immenses. Sous le grand dortoir régnoit une salle basse, soutenue par des piliers gothiques, qu'on disoit être l'école où Abailard avoit enseigné la théologie. Une autre particularité digne de remarque, c'est que les évêques de Paris avoient, au treizième siècle, un appartement à Saint-Victor, où ils se retiroient chaque année, et demeuroient plusieurs jours: on en a la preuve dans les hommages qu'ils y ont reçus, et dans plusieurs de leurs actes qui sont datés apud sanctum Victorem in aula episcopi, ou in domo episcopi ad S. Victorem.
Enfin cette maison possédoit une grande quantité de reliques très-vénérées et très-authentiques, dont la liste a été donnée par l'abbé Lebeuf. Aucune maison religieuse de Paris n'étoit dans une relation plus intime avec la cathédrale, dont elle observoit toutes les coutumes: aussi le chapitre y faisoit-il plusieurs stations dans le courant de l'année, et de même les chanoines de Saint-Victor officioient plusieurs fois par an à la cathédrale, etc.[280].
LES NOUVEAUX CONVERTIS.
Le zèle pour la conversion des protestants étoit grand dans le dix-septième siècle, et fit naître plusieurs associations de personnes vertueuses et charitables, qui ne se contentoient pas de ramener aux lumières de la religion ces malheureux égarés; mais qui cherchoient encore à procurer des moyens d'existence à ceux qui en étoient dépourvus. Dès l'an 1632, le Père Hyacinthe, capucin, avoit conçu ce pieux dessein; et ses soins avoient formé une société dont le but étoit de se consacrer au soulagement et à l'instruction des hérétiques. Des vues si louables déterminèrent M. Jean-François de Gondi, archevêque de Paris, à autoriser cette association, sous le nom de Congrégation de la propagation de la foi, et sous le vocable de l'Exaltation de la croix. Ses lettres furent données le 6 mai 1634; et cette société, formée en faveur des deux sexes, reçut l'approbation du pape Urbain VIII, le 3 juin de la même année. Des lettres-patentes du roi confirmèrent cet établissement en 1635. Les assemblées se tinrent d'abord au couvent même des capucins de la rue Saint-Honoré, dans une chapelle que l'on voyoit encore, avant sa destruction, dans la cour de ce monastère. Le succès en fut tel, que l'on pensa à séparer les hommes d'avec les femmes, ce qui forma deux communautés. Celle des hommes fut établie d'abord dans une maison qu'on loua dans l'île Notre-Dame. Il y demeurèrent jusqu'en 1656, qu'ils furent transférés dans la rue de Seine, en vertu d'un arrêt du Conseil; et là ils occupèrent deux maisons contiguës, dont ils avoient fait l'acquisition. Les bâtiments de cette communauté n'avoient rien de remarquable, et leur chapelle n'avoit d'autre ornement qu'un Christ placé sur le maître-autel.
L'HÔPITAL DE LA PITIÉ.
La multitude innombrable de pauvres qui inondoit Paris au commencement du dix-septième siècle ayant fait naître de justes craintes que la tranquillité publique n'en fût troublée, Louis XIII donna, en 1612, l'ordre de les renfermer; et les magistrats s'occupèrent dès-lors d'exécuter cette mesure, et de se procurer des logements assez vastes pour contenir tous ces malheureux. Nous parlerons successivement de ces diverses acquisitions. La première qui fut faite est celle de l'hôpital dont nous parlons. On acheta d'abord une grande maison, jardin et jeu de paume, où pendoit pour enseigne la Trinité, entre la rue du Battoir et celle du jardin du Roi; on joignit par la suite à cet emplacement les maisons et jardins de la rue Sainte-Anne, situés entre ces deux rues, ainsi qu'une partie de la rue du Puits-l'Ermite. D'autres maisons de la rue Copeau, et qui étoient alors séparées de la rue Françoise par une ruelle nommée Denys-Moreau, furent aussi achetées et réunies à cet hôpital, de sorte que le terrain des pauvres enfermés sous le nom de Notre-Dame-de-Pitié, finit par former dans ce quartier une espèce d'île entre les rues du jardin du Roi, d'Orléans, des Fontaines, la place du Puits-l'Ermite et les rues du Battoir et Copeau. On y plaça d'abord de pauvres enfants des deux sexes, ensuite seulement des petits garçons qui y étoient élevés avec le plus grand soin. On leur apprenoit à lire et à écrire jusqu'au moment de leur première communion; et, après l'avoir faite, ils en sortoient pour être mis en apprentissage[281].
Cette maison pouvoit être regardée comme le chef-lieu de l'hôpital général; et c'est là que ses administrateurs tenoient leurs assemblées.
Le bâtiment, vaste et bien distribué pour un semblable établissement, n'a rien que de très-simple dans sa construction. L'église, également très-spacieuse, est composée de deux nefs qui font équerre.
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DE LA PITIÉ.
TABLEAUX.
En face de la chaire, une Descente de croix, que l'on attribuoit à Daniel de Volterre.
Dans une chapelle, de petits enfants à genoux devant une sainte; par Louis Boullongne.
Sur le devant de la tribune de l'orgue, la Conversion de saint Paul, par un peintre inconnu.
Sur le maître-autel, un groupe représentant la Vierge qui pleure sur le corps de son fils, dont un ange soutient la tête; sans nom d'auteur.
Le même sujet, dans un médaillon placé sur la porte de la sacristie.
JARDIN ET CABINET DU ROI.
«Dès le temps de Henri IV, dit Fontenelle, on s'étoit aperçu que la botanique, si nécessaire à la médecine, devoit être étudiée, non dans les livres des anciens, où elle est fort confuse, fort défigurée et fort imparfaite, mais dans les campagnes; réflexion qui, quoique très-simple et très-naturelle, fut assez tardive. On avoit vu aussi que le travail d'aller chercher les plantes dans la campagne étoit immense, et qu'il seroit d'une extrême commodité d'en rassembler le plus grand nombre qu'il se pourroit dans quelque jardin, qui deviendroit le livre commun de tous les étudiants, et le seul livre infaillible. Ce fut dans cette vue que Henri IV fit construire à Montpellier, en 1598, le jardin des plantes, dont l'utilité se rendit bientôt très-sensible, et qui donna un nouveau lustre à la Faculté de médecine de cette ville. M. de La Brosse, piqué d'une louable jalousie pour les intérêts de la capitale, obtint du roi Louis XIII, par un édit de 1626, que Paris auroit le même avantage. Il fut fait intendant de ce jardin, dont il étoit proprement le fondateur[282].»
Il faut donc rejeter ce que dit Germain Brice[283], sans en apporter aucune preuve, que le projet d'un jardin de plantes médicinales ayant été formé à Paris sous le règne de Henri IV, Jean Robin, aux soins duquel il avoit été confié, commença à le faire exécuter au lieu où nous le voyons aujourd'hui. Le fait est que ce jardin ne subsistoit pas même en 1626, comme l'avance cet auteur et plusieurs autres; seulement on trouve qu'au mois de janvier de cette année, Louis XIII accorda au sieur Herouard, son premier médecin, des lettres-patentes portant l'ordre de former un établissement de ce genre; mais cet acte ne donne pas même la désignation du lieu: il y est dit seulement qu'il sera construit «en l'un des faubourgs de cette ville de Paris ou autres lieux proche d'icelle, de telle grandeur qu'il sera jugé propre, convenable et nécessaire.»
Ce projet n'eut point alors son exécution. Depuis, MM. Bouvard, premier médecin, et Gui de La Brosse, médecin ordinaire, ayant jeté les yeux sur le terrain de Coupeaux, le jugèrent convenable pour cet objet. Il consistoit alors en 14 arpents, y compris la butte qui s'étoit successivement formée par l'amas des gravois et des immondices qu'on y avoit anciennement transportés. Cette voirie, située d'abord au carrefour de Coupeaux, où elle étoit encore en 1303, avoit été reculée depuis jusqu'à l'endroit où se trouve cette butte qui en avoit été formée. En 1535 on en fit une autre à côté de celle-ci, à l'endroit où est aujourd'hui la terrasse. La voirie des bouchers étoit au bas de cette dernière.
Cette butte et ses dépendances, qui, dans le principe, appartenoit à l'abbaye Sainte-Geneviève, étoit devenue, par plusieurs mutations, la propriété d'un particulier nommé Voisin, et ne contenoit alors qu'un peu plus de deux arpents. Le roi en fit faire l'acquisition en 1633; celle des terrains voisins ne fut faite qu'en 1636. Alors Gui de La Brosse, qui, dès l'année précédente, avoit obtenu des lettres-patentes portant confirmation de l'établissement du jardin du Roi, fit construire les logements nécessaires et les salles convenables pour les démonstrations de botanique, de chimie, d'astronomie et d'histoire naturelle. Il obtint de l'archevêque, le 20 décembre 1639, la permission d'avoir une chapelle; elle fut accordée avec tous les priviléges dont jouissent celles des colléges de fondation royale ou particulière.
Telle est l'origine d'un établissement qui aujourd'hui n'a pas son pareil dans le monde. Ce fut en 1739 que le célèbre Buffon fut nommé intendant du jardin du Roi; on lui doit son accroissement et la plus grande partie des richesses qu'il renferme. Bientôt il l'étendit jusqu'aux bords de la Seine; le cabinet d'histoire naturelle, formé des cabinets de Tournefort et de Vaillant, fut successivement enrichi de productions nouvelles rassemblées des quatre parties du monde, et chaque voyageur se fit un honneur d'y déposer ce qu'il avoit pu recueillir de plus précieux.
Nous allons donner ici une courte description du jardin et du cabinet, l'espace ne nous permettant pas d'en tracer une notice détaillée, qui fourniroit elle seule la matière de plusieurs volumes[284].
Jardin de Botanique.
En entrant par la rue de Buffon, dans une grande cour, on laisse derrière soi les bâtiments qui renferment le cabinet d'histoire naturelle, et l'on entre dans le jardin, fermé par une grille de fer. Il offre les dispositions suivantes:
À droite, plusieurs allées d'arbres étrangers qui se prolongent jusqu'au bord de la Seine.
À gauche, le jardin de botanique: il est classé selon la méthode de Jussieu[285]. À la suite de ce jardin, l'école pratique d'agriculture. Elle se compose, 1o des arbres fruitiers; 2o des plantes potagères ou qui concernent les arts. Toutes les grilles en fer qui entourent cette partie du jardin, sont sorties des forges de Buffon, et ont été faites aux dépens de Louis XV.
À la suite de ce jardin on trouve la ménagerie, dont la construction grossière et le délabrement semblent indignes d'un aussi magnifique établissement.
Les serres et une orangerie sont séparées du jardin botanique par des fossés, où l'on a placé des ours de différentes espèces.
Au delà de ces fossés l'œil se repose avec plaisir sur une espèce de jardin anglois, auquel on a donné le nom de Vallée suisse. On y a parqué un grand nombre d'animaux étrangers, tels que des buffles, des daims, des chameaux, etc. Ces animaux s'y promènent librement au milieu de leurs pâturages, ce qui donne à cet endroit une physionomie particulière. Une multitude d'oiseaux curieux y sont renfermés dans des volières, tandis que d'autres se baignent dans des pièces d'eau destinées à leur usage.
Auprès de la volière on a réuni quelques espèces de singes: ils sont renfermés dans des cages.
À la suite de la vallée suisse se présentent plusieurs maisons servant de demeures aux professeurs du jardin, et un cabinet d'anatomie comparée extrêmement curieux[286].
En sortant de la vallée suisse on trouve deux petites collines couvertes d'arbres toujours verts. Sur l'une d'elles s'élève le cèdre du Liban, planté, il y a environ cinquante ans, par Bernard de Jussieu. Il étoit contenu alors dans un petit vase, aujourd'hui il couvre une partie de la colline de ses vastes branches horizontales.
Un peu plus haut on rencontre une colonne élevée à la gloire de Daubenton, savant illustre, et qui, avec Buffon dont il étoit le collaborateur, a le plus contribué à l'avancement et à la gloire de la science.
Le sommet de cette colline est couronné par un kiosque, d'où l'on découvre une partie de Paris[287].
En rentrant dans le jardin de botanique on passe auprès des serres, et l'on visite le milieu du jardin, où sont cultivées, dans différents parterres, des plantes d'agrément et de curiosité. On y voit aussi plusieurs pièces d'eau peuplées de plantes et d'oiseaux aquatiques.
Ce jardin qui, avant la révolution, contenoit déjà quarante arpents, a été depuis considérablement augmenté.
CABINET D'HISTOIRE NATURELLE.
Ce cabinet est renfermé dans un vaste bâtiment qui forme l'entrée principale du côté de la rue du Jardin du Roi, et le fond de la perspective à partir de l'extrémité du jardin. L'architecture en est simple, noble et convenable de tous points à l'objet auquel il est destiné[288].
Premier étage.
En entrant à droite, plusieurs salles renfermant une des plus riches collections minéralogiques que l'on connoisse, classée d'après la méthode de M. Haüy.
À gauche, une partie de la collection des poissons et des reptiles, classée d'après la méthode de M. Lacépède.
La bibliothèque est ornée d'une statue de Buffon, de la main de M. Pajou.
Second étage.
En entrant à droite, les singes, les quadrupèdes et la suite des poissons. On a suivi pour leur classification l'ordre que MM. Cuvier et Jeoffroi ont établi dans le tableau des animaux.
À gauche, les oiseaux et quelques quadrupèdes.
Au milieu des salles, dans toute leur longueur, sur des buffets dressés à cet effet, sont placés les insectes, les coquillages et les papillons[289].
LE MARCHÉ AUX CHEVAUX.
Le marché aux chevaux se tenoit autrefois près de la porte Saint-Honoré, dans un endroit qui depuis a formé une partie du jardin des Capucines; ce même lieu servoit aussi de marché aux cochons. Un particulier nommé Jean Baudouin obtint d'abord, en 1627, des lettres du roi qui lui permirent de transférer ce dernier marché sur la place dont nous parlons, laquelle se nommoit anciennement la Folie Eschalart. Cette translation éprouva des obstacles, fut arrêtée par des oppositions que levèrent de nouvelles lettres données en 1659, et enregistrées en 1640. Par ce dernier arrêt il étoit ordonné que le lieu destiné à ce marché contiendroit quatre arpents, qu'il seroit entouré de murs, et que l'impétrant feroit paver les rues qui devoient lui servir d'entrée.
Au mois d'avril de l'année suivante, le sieur Baranjon, apothicaire et valet de chambre du roi, obtint la permission d'établir au même endroit un marché aux chevaux le mercredi de chaque semaine, ce qui n'empêchoit pas qu'on ne continuât tous les samedis de conduire les chevaux au marché de la porte Saint-Honoré. Ce dernier fut bientôt supprimé, et depuis l'on n'a point cessé de le tenir dans le lieu dont nous parlons.
C'est un vaste terrain planté d'arbres, formant avenue, et dans lequel on entre d'un côté par le boulevard, de l'autre par la rue qui en porte le nom. À l'une de ses extrémités est un pavillon construit en 1760 par ordre de M. de Sartine, et qui servoit de logement à l'inspecteur de police chargé de présider à ce marché. On y vendoit des chevaux le mercredi et le samedi de chaque semaine[290].
MAISON DE SAINTE-PÉLAGIE.
Cette maison étoit destinée aux filles ou femmes débauchées, que les magistrats vouloient soustraire à la société, et à celles qui s'y retiroient volontairement. Les bâtiments habités par les premières portoient le nom de Refuge, et ceux qu'occupoient les filles de bonne volonté furent désignés sous le titre de Sainte-Pélagie. C'est principalement au zèle et aux libéralités de madame de Miramion que l'on dut cet utile établissement. Elle avoit essayé de joindre la douceur à l'autorité, pour retirer du vice sept à huit filles dont la conduite étoit portée aux derniers excès du scandale. Munie de la permission des magistrats, elle les avoit placées d'abord dans une maison particulière au faubourg Saint-Antoine, sous la conduite de deux femmes pieuses, propres à faire revenir ces filles de leurs égarements. Cet essai réussit tellement, qu'il lui inspira le dessein d'ériger une maison publique destinée à ces retraites involontaires. Elle fut secondée dans des vues si louables par madame la duchesse d'Aiguillon, à laquelle se joignirent les dames de Farinvilliers et de Traversai. Chacune d'elle, à l'exemple de madame de Miramion, donna une somme de 10,000 liv. pour le nouvel établissement, qui, par des lettres-patentes du roi, accordées en 1665, fut établi sous le nom de Refuge, dans des bâtiments dépendants de la Pitié, et soumis à l'administration de l'Hôpital-général. Sa première destination fut d'abord uniquement pour les filles qu'on renfermoit par ordre des magistrats; mais madame de Miramion crut devoir y ouvrir un asile à celles qui d'elles-mêmes voudroient y mener une vie pénitente, ce qui donna lieu à cette distinction des Filles de Bonne-Volonté, qui bientôt se présentèrent en très-grand nombre, et auxquelles on assigna un logement séparé. Ce nombre devint même si considérable, que les bâtiments de la maison se trouvèrent insuffisants pour les loger, et qu'on se vit forcé de leur chercher une plus vaste demeure. Madame de Miramion les plaça au faubourg Saint-Germain, dans un édifice qu'avoit occupé la communauté dite de la Mère de Dieu; mais peu de temps après, au moyen de nouvelles dispositions qu'on fit dans la maison du Refuge, et sur la prière des administrateurs de cet établissement, la plupart de ces filles y retournèrent. Cependant le second asile, confirmé par des lettres-patentes de l'année 1691, continua de subsister jusqu'au moment de la révolution.
Jaillot fait observer que, malgré la destination de cette maison, l'on y a quelquefois fait enfermer des personnes qui n'étoient point coupables de débauches ou de libertinage, mais que des raisons particulières ne permettoient pas de mettre dans d'autres couvents, ni de laisser dans la société[291].
CURIOSITÉS DE SAINTE-PÉLAGIE.
TOMBEAUX.
Dans la chapelle, érigée pour le service des deux maisons, le mausolée de dame Madeleine Blondeau, veuve de Messire Michel d'Aligre, l'une des principales bienfaitrices de Sainte-Pélagie. Ce tombeau, de la main de Coysevox, se composoit d'un sarcophage en marbre, sur lequel étoit agenouillé le génie de la religion; derrière s'élevoit une pyramide, terminée par un enroulement ionique que surmontoit une urne en bronze[292].
Une épitaphe placée vis-à-vis annonçoit qu'Étienne d'Aligre, second président du parlement, son épouse et leur fille, avoient été inhumés dans cette même chapelle.
LES PRÊTRES
DE SAINT-FRANÇOIS-DE-SALES.
M. le cardinal de Noailles ayant supprimé, en 1702, une communauté de filles appelées les Filles de la Crèche, qui s'étoit établie vers l'année 1656 au carrefour du Puits-l'Ermite, destina la maison qu'elles occupoient à la communauté des prêtres de Saint-François-de-Sales. Elle avoit été formée depuis quelque temps[293] par M. Witasse, docteur de Sorbonne, en faveur des pauvres prêtres de son diocèse, auxquels la vieillesse et les infirmités ne permettoient plus de remplir les devoirs de leur saint ministère. M. le cardinal de Noailles, pour assurer la subsistance de ces prêtres infirmes, dont le nombre étoit assez considérable, non-seulement leur affecta les biens des religieuses de la Crèche, mais réunit encore à leur maison la mense priorale de Saint-Denis-de-la-Chartre, par son décret du 18 avril 1704, confirmé par lettres-patentes du même mois. Enfin, les religieuses Bénédictines d'Issi ayant été dispersées en 1751, et leur abbaye réunie à celle de Gersi, on donna aux prêtres de Saint-François-de-Sales la maison qu'elles occupoient. Ils en prirent possession en 1753, et conservèrent cependant celle du Puits-l'Ermite pour leur service d'hospice[294].
LES RELIGIEUSES HOSPITALIÈRES
DE LA MISÉRICORDE DE JÉSUS,
DITES
DE SAINT-JULIEN ET DE SAINTE-BASILISSE.
La charité chrétienne avoit fait établir, dans le quartier Saint-Antoine, une maison hospitalière destinée à servir d'asile et à fournir des remèdes et des secours aux pauvres femmes ou filles malades[295]. L'utilité de cet établissement fit naître à M. Jacques Le Prévost d'Herbelai, maître des requêtes, le dessein d'en former un entièrement semblable. Il fit à cet effet des propositions aux religieuses hospitalières de Dieppe; ces dames les ayant acceptées, il leur assura 1500 liv. de rente par contrat du 18 juin 1652, et leur procura une maison à Gentilli, où elles furent placées la même année, du consentement de l'archevêque de Paris. Des lettres-patentes données en 1655, et enregistrées en 1656, les autorisèrent à transférer leur domicile à Paris; dans les faubourgs Saint-Victor, Saint-Marcel, Saint-Jacques ou Saint-Michel. Elles avoient déjà acquis, dès 1653, du sieur Le Begue, la demeure qu'elles ont occupée jusqu'au moment de la révolution. Cette acquisition consistoit en deux maisons, accompagnées de cours et de jardins. On y construisit une chapelle et plusieurs bâtiments; mais comme au commencement du dix-septième siècle ils tomboient en ruine, le roi les fit réparer et augmenter à ses frais, sous la direction de M. d'Argenson, alors lieutenant-général de police. La chapelle de cette maison étoit sous l'invocation de saint Julien et de sainte Basilisse, dont ces religieuses prirent le nom.
Il y avoit dans cette maison trente-sept lits, dont une partie avoit été fondée par des particuliers, qui avoient le droit de les faire occuper gratis. On payoit pour les autres 36 fr. par mois[296].
CURIOSITÉS.
Sur le maître-autel de leur église, qui étoit petite mais propre, une Résurrection de Notre Seigneur, par un peintre inconnu.
LES FILLES DE LA CROIX.
Nous ayons déjà parlé de l'origine de cette congrégation[297], destinée à l'instruction des pauvres filles et à l'éducation des jeunes demoiselles. La maison qu'occupoient les Filles de la Croix, et dont il est ici question, faisoit partie du Petit Séjour d'Orléans. Jaillot dit qu'elles acquirent ce lieu, ainsi que la maison voisine, à titre d'échange, de Marie-Anne Petaut, veuve de René Regnaut de Traversai, par acte du 13 juillet 1656. Ces filles tenoient les écoles de charité de la paroisse Saint-Médard, et prenoient aussi des pensionnaires[298].
L'HÔPITAL NOTRE-DAME
DE LA MISÉRICORDE,
DIT LES CENT FILLES.
Louis XIII ayant donné, en 1612, sur la demande des magistrats, des lettres-patentes pour faire enfermer dans les hôpitaux les pauvres de tout sexe et de tout âge qui se multiplioient dans Paris d'une manière effrayante, il se trouva parmi eux un grand nombre de filles orphelines de père et de mère, et trop jeunes pour se procurer des moyens de subsistance. M. Antoine Seguier, président au parlement, magistrat aussi recommandable par ses lumières que par sa piété charitable, forma le projet d'établir un hôpital spécialement destiné à recevoir ces pauvres enfants. Il acheta, dans ce dessein, de madame de Mesmes, le 21 mars 1622, une maison appelée le Petit Séjour d'Orléans, parce qu'elle faisoit partie de l'ancien hôtel des ducs d'Orléans, dont nous parlerons par la suite; et, le 6 avril de l'année suivante, il obtint des lettres-patentes qui érigeoient cette maison en hôpital, sous le nom de Notre-Dame de la Miséricorde. L'inscription qui fut placée dans la chapelle portoit que «le 17 janvier 1624, Antoine Seguier fonda et fit bâtir cet hôpital pour cent pauvres filles, et le dota de 16,000 liv. de rente.» Il ne fut achevé qu'en 1627, trois ans après la mort du fondateur. Les filles qu'on y recevoit devoient avoir six ou sept ans au plus, être nées à Paris de légitime mariage, orphelines de père et de mère pauvres, et saines d'esprit et de corps. On leur faisoit apprendre un métier, et l'hôpital leur accordoit une dot, soit pour se marier, soit pour faire profession religieuse.
Louis XIV, voulant favoriser cet établissement, donna des lettres-patentes au mois d'avril 1656, enregistrées au parlement le 8 mai de l'année suivante, par lesquelles il ordonnoit que les compagnons d'arts et métiers qui, après avoir fait leur apprentissage, épouseroient les filles de cet hôpital, seroient reçus maîtres sans faire de chefs-d'œuvre et sans payer aucun droit de réception.
Ces priviléges furent de nouveau confirmés par d'autres lettres-patentes du mois d'avril 1659, enregistrées le 14 juillet suivant. Enfin le dernier sceau de l'autorité royale fut mis à cet établissement par de nouvelles lettres-patentes du mois d'avril 1672, enregistrées le 18 mai suivant, qui confirment les statuts et réglements faits pour cet hôpital.
Cette maison étoit administrée sous les ordres du premier président, du procureur-général et du chef mâle de nom et famille du fondateur, par une gouvernante et quatre maîtresses.
La reconnoissance fit mettre cette maison sous l'invocation de saint Antoine, patron du fondateur[299].
CURIOSITÉS DE L'HÔPITAL DE NOTRE-DAME DE LA MISÉRICORDE.
SCULPTURES.
Dans l'église un buste en marbre représentant Antoine Seguier. On lisoit au-dessous son épitaphe[300].
ÉGLISE
PAROISSIALE DE SAINT-MÉDARD.
Le silence des anciens auteurs sur l'origine de cette église et sur l'époque de son érection en paroisse a répandu beaucoup de vague et d'incertitude sur ce qu'en ont écrit les modernes. Tout ce que Sauval dit à ce sujet[301], ainsi que sur le bourg Saint-Marcel, est rempli d'erreurs et d'inexactitude: il cite des chartes qui n'existent point ou qu'il n'a certainement pas lues; il transpose ou altère les noms; il brouille les dates. L'abbé Lebœuf, plus exact et plus judicieux, ne donne cependant que des conjectures adoptées par Jaillot, et d'où il résulte que, suivant les apparences, le bourg de Saint-Médard se forma sur la gauche de la Bièvre, à peu près à l'époque à laquelle celui de Saint-Marcel s'établit sur la droite; que l'éloignement où ceux qui l'habitoient se trouvèrent de Sainte-Geneviève, mit dans la nécessité d'y bâtir une chapelle, qui fut détruite par les Normands, et reconstruite lorsque ce bourg eut été repeuplé. Ce qui prouve sa dépendance de Sainte-Geneviève[302], c'est que, dans tous les temps, l'église de Saint-Médard a été desservie par un chanoine de cette abbaye, et qu'elle n'a pas cessé d'être à la nomination de l'abbé. Dès le douzième siècle on la trouve, ainsi que le bourg, sous la dénomination de Villa et Ecclesia sancti Medardi, en françois, sous celui de Saint-Mart, Maart et Mard. L'abbé Lebœuf pense que ce nom vient de quelques reliques de saint Médard que les anciens chanoines de Sainte-Geneviève avoient rapportées du Soissonnois, où les ravages des Normands dans les environs de Paris les avoient forcés de se retirer avec le corps de leur saint patron.
Dès le commencement du siècle dernier il n'existoit déjà plus rien dans cette église de ses premières constructions. Ce qu'il y avoit de plus ancien dans le bâtiment ne remontoit pas à plus de deux cent cinquante ans. Les deux bas-côtés de la nef, qui étoit très-étroite, plus modernes, n'avoient guère que deux siècles d'antiquité. Les désordres et les profanations que les huguenots exercèrent en 1561 à Saint-Médard, bien qu'ils n'eussent pas été punis aussi sévèrement qu'ils auroient dû l'être, devinrent cependant, par plusieurs circonstances que nous ferons connoître[303], une occasion d'agrandissement pour cette église, à laquelle on appliqua les amendes auxquelles quelques-uns des coupables furent condamnés, et les concessions que le zèle religieux fit faire dans cette circonstance. L'argent qui en provint servit à l'augmenter, en 1586, du chœur et du rond-point. On y fit, au siècle suivant, de nouvelles réparations, et le grand autel fut reconstruit en 1655.
Enfin, quelques années avant la révolution, on reconstruisit de nouveau et cet autel et la chapelle de la Vierge qui termine le rond-point; le tout sur les dessins de M. Radel, architecte. Ce maître autel étoit disposé à la romaine; quatre arcades soutenant une voûte plate formoient la grande chapelle. Tout cela existe encore, et n'a rien de remarquable[304].
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINT-MÉDARD.
TABLEAUX.
Dans la chapelle Saint-Denis, Notre-Seigneur au tombeau; par un peintre inconnu.
Dans la chapelle Saint-Charles, saint Charles-Borromée et plusieurs figures de Vertus, le tout peint en grisaille et imitant le relief.
Dans la première chapelle à droite, un très-ancien tableau, peint sur bois, et dont le fond étoit doré, représentant une Descente de Croix.
Dans la nef, plusieurs grands tableaux sans nom d'auteur.
STATUES.
Sur l'autel de la chapelle de la Vierge, sa statue en pierre, posée sur un nuage, et tenant l'Enfant-Jésus.
SÉPULTURES.
Dans cette église avoient été inhumés,
Clément de Rilhac, avocat du roi au parlement de Paris, mort au commencement du quinzième siècle[305].
Olivier Patru, de l'académie françoise, mort en 1681.
Pierre Nicolle, auteur des Essais de Morale, mort en 1695.
Jacques-Joseph Dugué, prêtre et auteur d'un grand nombre d'ouvrages de piété, mort en 1733.
Le célèbre diacre François de Pâris, mort en 1727, âgé de trente-sept ans. (Il étoit enterré dans le petit cimetière.)
Dans la chapelle Saint-Charles étoit la sépulture de la famille Davignon.
CIRCONSCRIPTION.
On peut commencer le circuit de cette paroisse dans la partie la plus élevée de la rue de l'Oursine, un peu au-dessus du couvent des Cordelières, et suivre le rivage gauche de la Bièvre jusqu'au Pont-aux-Tripes. En cet endroit la paroisse s'étendoit au delà de la rivière jusqu'à la rue du Fer-à-Moulin, dont elle avoit le côté gauche, et tout ce qui suivoit du même côté, laissant à droite la rue de la Muette et la rue Poliveau, qui étoient de la paroisse Saint-Martin. Elle s'étendoit ensuite jusque vers les bords de la Seine, puis revenoit à gauche pour renfermer le jardin royal des Plantes. Elle avoit tout le côté gauche de la rue Copeaux en remontant; le même côté de la rue Moufetard en descendant; et quant au côté droit de cette dernière rue, elle ne le renfermoit que depuis la huitième maison, à partir du coin de la rue Contrescarpe. Elle entroit alors dans la rue Pot-de-Fer, dont elle avoit les deux côtés jusqu'à la rue Neuve-Sainte-Geneviève, où elle commençoit à n'avoir plus que le côté gauche. Au bout de cette rue Pot-de-Fer elle coupoit la rue des Postes, entroit dans la rue des Vignes, dont elle avoit le côté gauche, perçoit jusqu'aux murs du jardin du Val-de-Grâce, et revenoit par la cour Saint-Benoît regagner la rue de l'Oursine[306].
Cette église prétendoit posséder une relique de saint Pierre, que l'on conservoit dans la chapelle Saint-Charles.
L'HÔPITAL DE L'OURSINE,
AUTREMENT DIT
COMMUNAUTÉ DE SAINTE-VALÈRE.
Il y a sur l'origine et sur l'auteur de cette fondation beaucoup d'incertitude et d'opinions contradictoires parmi les historiens de Paris. Dubreul paroît avoir rencontré plus juste[307] que les autres en disant que cet hôpital fut fondé par la reine Marguerite de Provence, veuve de saint Louis. Ce qu'il y a de certain c'est qu'au siècle suivant il appartenoit à Guillaume de Chanac, évêque de Paris, et ensuite patriarche d'Alexandrie, ce qui lui avoit fait donner le nom d'Hôtel-Dieu du Patriarche[308]. On ignore quand il reçut celui de Saint-Martial et de Sainte-Valère; mais il est probable que ce fut sous l'épiscopat de Guillaume de Chanac lui-même, ou du moins de Foulques son neveu. Tous les deux étoient Limousins de naissance, et devoient être par conséquent portés à étendre le culte d'un saint évêque de Limoges et d'une vierge qui souffrit le martyre dans cette ville.
Cet hôpital fut sans doute abandonné dans les siècles suivants: car on voit, par un arrêt du parlement de 1559, qu'il fut saisi sur un particulier nommé Pierre Galland, mis en la main du roi, et destiné à recevoir les malades attaqués du mal vénérien.
Dès l'année 1576, Nicolas Houel, marchand apothicaire et épicier, avoit demandé la permission d'établir un hôpital «pour un certain nombre d'enfants orphelins qui y seroient d'abord instruits dans la piété et les bonnes lettres, et par après en l'état d'apothicaire, et pour y préparer, fournir et administrer gratuitement toutes sortes de médicaments et remèdes convenables aux pauvres honteux de la ville et des faubourgs de Paris.» Il demandoit à cet effet que le roi lui abandonnât ce qui restoit à vendre de l'hôtel des Tournelles. Son projet fut agréé, et il reçut un édit favorable à sa fondation, qui fut placée, en 1577, dans la maison des Enfants-Rouges; mais dès 1578, soit que le terrain de cet hôpital ne fût pas assez vaste, soit qu'on trouvât de l'inconvénient à réunir dans un même local deux établissements différents, il fut ordonné que l'hôpital du sieur Houel seroit transféré dans celui de l'Oursine, «désert et abandonné par mauvaise conduite, tout ruiné, les pauvres non logés, et le service divin non dit ni célébré.» Ceci fut exécuté dans la même année; le nouveau fondateur fit construire une chapelle, et acheta vis-à-vis un terrain fort étendu, qu'il destina à la culture des plantes médicinales, tant indigènes qu'exotiques. Ce terrain fut agrandi depuis par l'acquisition de quelques maisons environnantes. C'est aujourd'hui le jardin des apothicaires.
L'hôpital du sieur Houel, indiqué dans les titres sous le nom de la Charité chrétienne, éprouva, après sa mort, quelques changements. Henri IV crut qu'il seroit plus convenable d'y placer les officiers et soldats blessés à son service; et plusieurs édits de ce prince, des années 1596, 1597, 1600, 1604, ordonnèrent que les pauvres gentilshommes, officiers et soldats, vieux ou caducs, seront mis en possession de la maison de la Charité chrétienne, et qu'ils y seront reçus, nourris, logés et médicamentés. Les dispositions que Louis XIII fit bientôt après en leur faveur permirent d'employer cet hôpital à d'autres pieux usages. On le voit successivement occupé par plusieurs petites communautés de filles, qui ne purent s'y maintenir; depuis, uni à l'ordre de Saint-Lazare, ainsi que les autres hôpitaux abandonnés, ensuite remis à l'archevêque de Paris, qui en fit présent à l'hôtel des Invalides, lequel en a joui jusqu'à la fin de la monarchie[309].
L'ÉGLISE COLLÉGIALE
DE SAINT-MARCEL.
L'incertitude, où les anciens historiens nous ont laissés sur la véritable origine de cette église a fait naître parmi les modernes, malheureusement trop portés à tout expliquer, une foule de vaines conjectures. Presque tous ont répété, d'après Corrozet et Dubreul[310], que ce fut dans le principe une chapelle dédiée par saint Denis sous l'invocation de saint Clément; que depuis, saint Marcel y ayant été inhumé, le fameux paladin Roland, comte de Blayes et neveu de Charlemagne, la fit rebâtir et dédier une seconde fois sous le nom de ce dernier saint. Tous ces faits ne semblent appuyés que sur une simple tradition dénuée de preuves, et qui s'est perpétuée, faute de monuments assez authentiques pour la détruire.
Il est certain que saint Marcel, évêque de Paris, fut enterré en cet endroit vers l'an 436; mais on ne trouve nulle part qu'on y eût dès lors édifié une chapelle et formé un cimetière public. La coutume des Romains, que l'on suivoit encore à cette époque, étoit, comme nous l'avons déjà dit, d'enterrer les morts hors des villes et sur les grands chemins; et l'on trouve effectivement que le lieu de la sépulture de saint Marcel étoit sur le bord de celui qui conduit en Bourgogne. Tout ce qu'on en peut conclure, sans oser fixer aucune date, c'est que les chrétiens élevèrent sans doute par la suite une chapelle ou un oratoire sur son tombeau; que la dévotion des Parisiens et le concours des peuples, attirés par les miracles qui s'y opéroient, obligèrent bientôt d'y bâtir des maisons, et qu'ainsi se forma peu à peu le bourg que Grégoire de Tours appelle simplement le bourg de Paris, vicus Parisiensis civitatis[311].
Il faut également rejeter avec Jaillot l'opinion de Launoy, adoptée par Sauval, que l'église Saint-Marcel a été la première cathédrale. Pour le prouver il ne suffit point de supposer, et sans autorités suffisantes, que saint Denis y a célébré les saints mystères, et de rappeler l'Ecclesia senior dont parle Grégoire de Tours[312], dénomination par laquelle il semble désigner l'église dont nous parlons. M. de Launoy convient lui-même que ce mot peut signifier également une vieille église et l'église mère; et la preuve qu'on veut tirer de l'autre assertion est encore plus foible, ou pour mieux dire tout-à-fait nulle. L'opinion de Piganiol[313], qui veut que l'endroit où est située l'église Saint-Marcel fût un cimetière destiné aux évêques et aux clercs, de même qu'il y en avoit un pour les moines, situé sur l'emplacement occupé depuis par les religieuses de Saint-Magloire, et un autre pour le peuple aux SS. Innocents, n'est pas soutenue par de meilleures raisons, et par conséquent ne peut obtenir aucune autorité. Si les évêques et les clercs ont eu un lieu particulier pour leur sépulture, il est vraisemblable qu'on auroit plutôt choisi la montagne où avoit été enterré Prudence, prédécesseur de Marcel[314], qu'un coteau beaucoup plus éloigné, et séparé du faubourg par la rivière de Bièvre.
Il faut donc en revenir à cette première opinion, beaucoup plus vraisemblable, qu'un oratoire aura été bâti sur la sépulture de Saint-Marcel, et qu'un bourg se sera formé autour par la suite des temps. Laissant ensuite de côté toutes les traditions vagues qui fixent la reconstruction de cette antique chapelle, les unes sous Charlemagne, les autres sous Louis-le-Débonnaire, il faut arriver au premier titre qui en parle d'une manière positive; c'est un contrat fait en 811[315] entre le chapitre de Notre-Dame et Étienne, comte de Paris.
Une charte de Charles-le-Simple, de l'année 918, qui confirme aux frères de Saint-Marcel la restitution et donation que leur avoit faite l'évêque Théodulphe de plusieurs maisons ou métairies (manses) situées autour de leur monastère, a fait penser à Piganiol et à dom Félibien que cette église avoit d'abord été desservie par des moines. Jaillot combat cette assertion, 1o en rappelant la remarque déjà faite, que le terme de monastère, monasterium, cœnobium, a été souvent employé pour désigner une église collégiale, et même une paroisse; 2o que le nom de frères s'appliquoit aux chanoines et aux prêtres qui vivoient en commun ainsi qu'aux religieux[316]; 3o enfin, et cette dernière preuve est péremptoire, qu'on ne trouve aucun acte qui fasse mention des moines de Saint-Marcel ni de l'époque à laquelle on leur auroit substitué des chanoines; que la charte même de Charles-le-Simple, confirmée en 1046 par Henri Ier, prouve contre cette assertion, puisqu'on y trouve le nom d'Hubert, doyen de Saint-Marcel, etc. Une foule d'autres titres viennent à l'appui de celui-ci, et donnent à l'opinion de ce critique le dernier degré d'évidence.
Quant à la restitution faite à ces chanoines, la charte que nous venons de citer nous apprend qu'Ingelvin, évêque de Paris, mort en 883, leur avoit donné quinze maisons près de leur église; que les désastres causés par les Normands, lorsqu'ils assiégèrent la ville de Paris, forcèrent Anscheric, un de ses successeurs, à reprendre ces maisons, qu'il donna à l'un de ses vassaux; et qu'après sa mort Théodulphe jugea à propos non-seulement de les rendre, mais encore d'en ajouter une de son propre domaine. Cette propriété de terrains que les évêques de Paris avoient à Saint-Marcel pourroit faire présumer que ce saint lui-même y avoit sa maison de campagne, laquelle aura appartenu depuis à ses successeurs[317]. Ce qu'il y a de certain c'est que les évêques de Paris ont souvent demeuré au cloître Saint-Marcel. Il existe plusieurs actes qui sont datés de cet endroit; et anciennement on lisoit l'inscription Domus episcopi sur la porte de la maison affectée au doyen de cette collégiale.
Ce fut vraisemblablement sous l'épiscopat de Gozlin, mort en 886, que la crainte des profanations, qui marquoient partout le passage des Normands, fit transporter la châsse de saint Marcel à Notre-Dame. On croit qu'elle y est restée depuis ce temps, soit que l'on appréhendât de nouvelles incursions de la part de ces barbares, soit qu'ils eussent pillé et brûlé l'église d'où elle avoit été retirée. Il paroît que cet édifice fut rebâti au onzième siècle, et que depuis on n'a fait que le réparer.
C'étoit un monument qui, du reste, n'avoit rien de remarquable: sous le maître-autel étoit une chapelle souterraine soutenue sur six piliers, où il y avoit trois autels. La salle capitulaire étoit située sur la droite du chœur.
CURIOSITÉS.
SÉPULTURES.
Au milieu du chœur avoit été inhumé le célèbre Pierre Lombard, dit le maître des sentences, mort en 1164, ainsi que le marquoit l'épitaphe placée sur sa tombe[318].
Le chapitre de Saint-Marcel avoit la préséance sur les deux autres, qui, comme lui, étoient qualifiés du nom de filles de M. l'archevêque. Les canonicats étoient à la nomination de ce prélat. Le chapitre nommoit le doyen et les chapelains, et avoit en outre le droit de nommer aux cures de Saint-Martin, de Saint-Hilaire, de Saint-Hippolyte, et à celle de Saint-Jacques-du-Haut-Pas, conjointement avec le chapitre de Saint-Benoît.
Sa juridiction s'étendoit autrefois sur le bourg Saint-Marcel, le mont Saint-Hilaire et partie du faubourg Saint-Jacques; on l'appeloit la châtellenie Saint-Marcel. Cette justice fut supprimée et unie au châtelet en 1674; mais en 1725 M. Colonne Du Lac obtint que le chapitre auroit la haute justice dans l'étendue du cloître, et la moyenne dans tout ce qui composoit sa seigneurie, laquelle s'étendoit assez avant dans la plaine d'Ivry. L'audience se tenoit dans une maison du cloître.
Le bourg qui s'étoit formé autour de l'église Saint-Marcel, et qui en avoit reçu le nom, étoit séparé de celui de Saint-Médard par la rivière de Bièvre. Des lettres de Philippe-le-Bel, données en 1287, prouvent qu'à cette époque ce lieu n'étoit point encore considéré comme faisant partie des faubourgs de Paris. Il s'accrut tellement par la suite qu'il en reçut le nom de ville, et c'est sous ce titre qu'il est désigné dans les lettres-patentes de Charles VI de l'année 1410[319]. Les faubourgs s'étant eux-mêmes considérablement augmentés dans le quinzième siècle et les suivants, et ceux qui régnoient de ce côté s'étant prolongés jusqu'au bourg Saint-Marcel, il commença à être mis lui-même au nombre des faubourgs de Paris. On le nomme vulgairement Saint-Marceau[320].
L'ÉGLISE SAINT-MARTIN.
Cette petite église étoit située dans le cloître Saint-Marcel, et dépendoit de cette collégiale. La plupart de nos historiens, trompés par la date de la dédicace qu'en fit M. de Beaumont, évêque de Paris, s'accordent à dire qu'elle ne fut érigée en paroisse qu'en 1480. L'abbé Lebeuf a prouvé, par le Pouillé de 1220, que, dès ce temps-là, elle étoit église paroissiale. Quant à son origine, on ne peut en déterminer au juste l'époque. Le plus ancien auteur qui en fasse mention est le continuateur de la Chronique de Sigebert de Gemblours; il en parle à l'an 1129, et ne la qualifie que de petite église, ecclesiola sancti Martini; Albéric lui donne le même nom; et une bulle d'Adrien IV, de 1158, en fait également mention sous le simple titre de chapelle. En la considérant sous ce dernier rapport, il seroit possible qu'elle eût une plus haute antiquité: on sait que l'ancien usage étoit de construire des chapelles auprès des basiliques, et tout porte à croire que, peu de temps après la reconstruction de Saint-Marcel, on aura bâti celle-ci, et qu'on y aura mis un prêtre pour la desservir et pour y administrer les sacrements aux habitants du cloître[321].
Le chœur de cette église fut sans doute reconstruit en 1544, car on voit que le 12 mai de cette année l'évêque de Mégare obtint la permission de la bénir. Elle fut considérablement augmentée en 1678[322].
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINT-MARTIN.
TABLEAUX.
Sur le maître-autel, un tableau de l'école vénitienne, représentant l'Assomption de la Vierge.
Près la porte de la sacristie, une Adoration des bergers; copie de Rubens.
Dans la chapelle de la communion, une Résurrection; par un peintre inconnu.
L'ÉGLISE PAROISSIALE
DE SAINT-HIPPOLYTE.
On ignore en quel temps fut bâtie cette chapelle, et l'époque de son érection en paroisse n'est pas plus connue; tout ce qu'on sait c'est qu'elle dépendoit du chapitre de Saint-Marcel, et c'est ainsi qu'elle est présentée dans la bulle d'Adrien IV, du 26 juin 1158. Plusieurs historiens ont pensé que c'est à cette époque qu'elle devint église paroissiale, et l'abbé Lebeuf, qui adopte cette opinion, y a joint plusieurs réflexions, qu'il présente toutefois comme de simples probabilités. Il pense que «la paroisse Saint-Hippolyte, dont l'existence doit remonter jusqu'au douzième siècle, fut érigée pour le peuple à l'époque où l'on rebâtit Saint-Marcel, et lorsque le village qui entouroit cette église devint si considérable qu'il mérita le nom de bourg, et fut séparé de celui de Saint-Médard[323].» Jaillot trouve avec raison ces conjectures extrêmement hasardées, et même dépourvues de tout fondement. C'étoit un usage, comme nous l'avons déjà remarqué, de construire des oratoires dans le voisinage des grandes basiliques, à la juridiction desquelles elles étoient soumises, et les chapelles de Saint-Martin et de Saint-Hippolyte peuvent devoir leur origine à cette dévotion des fidèles; mais il n'en est pas moins vrai que le service se faisoit constamment dans la grande église; et c'étoit seulement lorsqu'elle devenoit trop petite pour le grand nombre de paroissiens, ou que ceux-ci, par l'agrandissement de la ville et des faubourgs, s'en trouvoient trop éloignés, qu'on érigeoit en aides ou succursales, même en paroisses, les chapelles bâties sur son territoire. Ainsi donc, sans contester que celle-ci ait été antérieure au rétablissement de Saint-Marcel, bâtie dans le même temps ou depuis, on peut présenter à peu près comme certain qu'elle n'a jamais été une église érigée pour le peuple. Il étoit dans l'obligation d'aller à Saint-Marcel, son église mère; rien ne pouvoit l'en dispenser; et la proximité même de l'église Saint-Hippolyte, éloignée seulement de quatre-vingt-dix toises de l'autre, en est une preuve plus forte encore que tout le reste. D'ailleurs cette bulle même d'Adrien IV, citée par le savant abbé à l'appui de son système, ne donne à Saint-Hippolyte que le titre de chapelle, tandis qu'elle désigne avec les qualifications d'église et son cimetière les paroisses établies sur le territoire de Saint-Marcel, de manière qu'il faut en conclure précisément le contraire de ce qu'il a avancé.
On ne peut donc reculer jusqu'à 1158 l'érection de cette chapelle en paroisse; mais, sans en fixer positivement la date, on prouveroit facilement qu'elle jouissoit de ce titre dès 1220; et si l'on s'en rapporte à un mémoire du chapitre de Saint-Marcel contre le curé de Saint-Hippolyte, mémoire cité par Sauval[324], il paroîtroit qu'elle ne l'avoit obtenu qu'en 1215, environ quatre ans auparavant, pour se conformer à une décision du quatrième concile de Latran[325].
L'église de Saint-Hippolyte paroissoit avoir été rebâtie en entier dans le seizième siècle. Le sanctuaire même étoit plus nouveau et d'une construction très-peu régulière. La tour ou clocher, placée du côté méridional, ne paroissoit pas avoir plus de cent cinquante ans. Entre le chœur et le sanctuaire étoient plusieurs tombes taillées à la manière du douzième et du treizième siècles[326].
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINT-HIPPOLYTE.
TABLEAUX.
Sur le maître-autel, dont le dessin avoit été donné par Lebrun, l'apothéose de saint Hippolyte; par ce peintre célèbre.
Dans la chapelle de la communion, un tableau dont le sujet n'est pas indiqué; par le même.
Deux petits tableaux de Le Sueur, également sans indication de sujets.
Dans la nef, plusieurs grands tableaux donnés par les paroissiens, et exécutés par Boisot, Martin, Challe, Clément et Briard.
SÉPULTURES.
Dans une chapelle au fond de l'église, à droite, avoit été inhumé M. Le Prêtre de Neubourg fils.
CIRCONSCRIPTION.
Elle commençoit au coin supérieur de la rue des Trois-Couronnes, dont elle avoit tout le côté droit en montant. Elle se portoit ensuite dans la campagne, d'où elle revenoit enfermer les Gobelins et les Filles-Angloises, établies au Champ-de-l'Alouette. Elle se prolongeoit ensuite dans le chemin de Gentilli; l'abbé Lebeuf ajoute qu'anciennement sa juridiction s'étendoit jusque dans le bourg de Notre-Dame-des-Champs, dont plusieurs maisons furent détachées, sous le règne de Louis XIII, pour former la paroisse de Saint-Jacques-du-Haut-Pas. Le curé de Saint-Hippolyte fut dédommagé de ce démembrement.
La cure de cette paroisse étoit à la nomination du chapitre de Saint-Marcel.
LES CORDELIÈRES.
La véritable époque de la fondation de ces religieuses à Paris n'est pas bien connue. La plupart de nos historiens se sont contentés de rapporter qu'en 1270 Thibauld VII, comte de Champagne et roi de Navarre, établit et dota des Cordelières près de Troyes; qu'il leur donna des revenus suffisants, et leur fit bâtir un monastère, dont elles prirent possession en 1275; que l'endroit qu'elles occupoient n'étant ni sain ni commode, elles le quittèrent en 1289, pour venir s'établir à Paris au faubourg Saint-Marcel. Dubreul[327], qui, le premier, nous a fait connoître ces circonstances de leur établissement; ajoute qu'un chanoine de Saint-Omer, nommé Gallien de Pises, fut le fondateur de ce nouveau couvent, au moyen d'un legs qu'il fit à ces religieuses, lequel consistoit en trois maisons qu'il avoit à Lorcines, un pré et une partie de bois situés dans le même lieu; et qu'il pria humblement la reine Marguerite de Provence, en faveur de laquelle il avoit fait cette dotation, de vouloir bien se charger de poursuivre cette affaire, ce qu'elle accepta volontiers, etc.
Piganiol, qui copie ce récit ajoute[328], qu'on ne voit pas que cette reine ait fait à ce couvent d'autre bien que d'avoir fait bâtir une maison contiguë, dans laquelle elle se retira quelque temps avant sa mort, et qu'elle leur donna par des lettres de l'an 1294, avec ses dépendances, toutefois sous la condition qu'elles ne pourroient, en aucune manière, l'aliéner, et qu'elles en laisseroient la jouissance à Blanche sa fille, sa vie durant. Ces faits sont certains, mais il n'est pas également vrai que Gallien de Pises puisse être regardé comme le premier fondateur de ce couvent; et il est remarquable que Guillaume de Nangis, auteur contemporain, cité comme garant de ce fait par Piganiol, dit précisément le contraire, c'est-à-dire que «ce fut Marguerite de Provence, femme du très-saint roi Louis, qui établit et fonda à Saint-Marcel un couvent des sœurs mineures, dans lequel elle mourut en 1295, après y avoir long-temps vécu.» Hæc Parisiis apud sanctum Marcellum cænobium sororum minorum in quo honestissimè diu vixit, constituit et fundavit. C'est donc à cette reine et non au chanoine de Saint-Omer qu'il faut attribuer la fondation des Cordelières; et l'on ne peut douter que cette fondation ne soit antérieure au testament de ce dernier. C'est du moins ce qu'ont pensé les historiens de la ville, de l'église et de l'université de Paris, les auteurs du Gallia Christiana, Mézerai, etc.[329]
Quant à l'autre opinion, qui veut qu'elles soient venues d'abord et directement de Troyes à Paris, Jaillot ne l'adopte pas; il est plus vraisemblable, selon lui, que les Cordelières déjà établies à Longchamp, où Isabelle de France, sœur de saint Louis, les avoit fondées en 1259, en furent tirées pour aller habiter le couvent du bourg Saint-Marcel, et que celles de Troyes n'y vinrent qu'après. Il cite à ce sujet plusieurs actes, d'où il infère que la fondation en fut faite en 1283[330].
À l'égard de la maison que Marguerite de Provence possédoit près du monastère des Filles de Sainte-Claire, et dont elle leur fit don, maison qui depuis fut comprise dans l'enceinte de ces religieuses, le même critique pense que c'est le châtel que saint Louis avoit en cet endroit, ainsi qu'il est prouvé par plusieurs actes de ce temps-là; et que cette princesse avoit pu se le réserver après la mort de son époux, avec d'autant plus de justice que c'étoit elle-même qui l'avoit fait bâtir. La donation en fut faite aux religieuses de Sainte-Claire par Blanche, sa fille, veuve de Ferdinand de La Cerda, fils aîné d'Alfonse X, roi de Castille et de Léon. Cette princesse fit aussi achever l'église commencée par sa mère, et mérita d'être comptée au nombre des bienfaitrices de ce monastère.
Les Cordelières furent maintenues dans la règle de celles de Longchamp, dont elles avoient été tirées, et reçurent le titre de Filles de Sainte-Claire de la Pauvreté-Notre-Dame. Elles étoient urbanistes[331]; et leur église, dédiée en 1356, l'avoit été sous le vocable de Saint-Étienne et Sainte-Agnès.
Cette église n'avoit rien de fort remarquable. Le cloître, composé d'une suite d'arcades d'un gothique léger et très-élégant, méritoit plus d'attention. Il avoit été construit par la princesse Blanche, et l'on y voyoit ses armes gravées sur les murs en plusieurs endroits[332]. La salle de ses gardes, sa chambre à coucher, son lit, la chapelle où saint Louis entendoit la messe, existoient encore dans cette maison au moment de la révolution. Ces dames possédoient aussi le manteau royal de ce saint roi, et en avoient fait un ornement complet, qui ne servoit que le jour où l'on célébroit sa fête. Il étoit de velours bleu, semé de fleurs-de-lis d'or entourées de semences de perles fines.
La tranquillité de ce monastère fut souvent troublée par les événements politiques, parce qu'il étoit situé hors des murs de Paris. Les troubles occasionnés par la prison du roi Jean, et la crainte des suites que pouvoit avoir cette triste catastrophe, obligèrent les Cordelières de se réfugier dans la ville; les malheurs de la ligue les mirent depuis dans la nécessité de prendre deux fois le même parti; dans l'année 1590, les troupes de Henri IV, qui s'étoient établies dans leur maison, la pillèrent et la détruisirent en grande partie. Enfin la guerre civile les força encore, en 1652, de l'abandonner une quatrième fois; mais ce fut pour peu de temps, car elles y rentrèrent au mois d'octobre de la même année.
Cette communauté a d'abord été régie par des abbesses perpétuelles. Dans un chapitre provincial tenu à Saint-Quentin en 1629, il fut décidé qu'à l'avenir elles seroient triennales. En 1674 on jugea à propos de supprimer le titre même d'abbesse, et elles furent remplacées par des prieures qu'on élisoit également tous les trois ans[333].
LES FILLES ANGLOISES.
Ces religieuses ayant abandonné leur patrie par des motifs de religion, se réfugièrent à Cambrai, où elles obtinrent une maison en 1623. Dix-neuf ans après, on leur procura un établissement à Paris dans le faubourg Saint-Germain. Elle passèrent ensuite au faubourg Saint-Jacques, et quelques personnes charitables leur ayant acheté, au champ de l'Alouette, une maison et un terrain propre à construire un monastère, elles y entrèrent en 1644, et non en 1620, comme le dit Sauval. Leur établissement, autorisé en 1656 par le cardinal de Retz, fut confirmé par lettres-patentes en 1674 et 1676, enregistrées le 4 septembre 1681. Ces dames suivoient la règle de Saint-Benoît.
Leur église étoit sous le titre de Notre-Dame de Bonne-Espérance. Une des principales conditions de leur fondation étoit de prier spécialement pour le rétablissement de la religion romaine en Angleterre, et pour la conversion de ceux qui ne la professent pas[334].
LES GOBELINS,
OU MANUFACTURE ROYALE
DES MEUBLES DE LA COURONNE.
Le nom de Gobelins est celui d'une famille qui s'est rendue assez célèbre dans l'art de teindre les laines, surtout en écarlate, pour le faire donner au lieu qu'elle habitoit, à la manufacture qu'on y a depuis établie, et même à la rivière qui passe en cet endroit: car on l'appelle indifféremment rivière de Bièvre et rivière des Gobelins. C'est à tort que la plupart de nos historiens, donnant une origine extrêmement moderne à cette famille, nous représentent Gilles Gobelin comme le premier de ce nom qui se soit distingué dans la teinture sous le règne de François Ier. On trouve que dès les quatorzième et quinzième siècles il y avoit des drapiers et des teinturiers établis le long de la rivière de Bièvre; que Jean Gobelin y fit plusieurs acquisitions et y demeuroit en 1450; que son fils, qui lui succéda, y acquit des biens considérables, partagés, en 1510, entre ses enfants. Ceux-ci et leurs héritiers continuèrent encore quelque temps ce genre d'industrie avec le même succès, et furent enfin remplacés par d'autres fabricants nommés Canaye. Il faut remarquer que jusqu'alors, et même long-temps après, ces manufactures n'étant ni privilégiées, ni attachées spécialement au service du roi, n'étoient soutenues que par la consommation que le public faisoit des produits de leur industrie: car les manufactures diverses que Henri IV plaça au palais des Tournelles, à la rue de la Tisseranderie, aux galeries du Louvre, et celles de haute et basse-lice, qui furent établies par Louis XIII, n'ont rien de commun avec la maison des Gobelins. Ce fut vers 1655 qu'un Hollandais nommé Gluc, lequel avoit succédé aux sieurs Canaye, commença à attirer l'attention par le perfectionnement qu'il apporta dans ses travaux, perfectionnement qu'il dut principalement à un habile ouvrier en tapisserie de haute-lice, qu'il avoit fait venir de Bruges, et qui se nommoit Jean Liansen, dit Jans. L'illustre protecteur de toute industrie, M. de Colbert, résolut dès lors de mettre cette manufacture sous la protection spéciale du roi, et de l'employer uniquement à son service. Il voulut faire plus, et réunir dans cet endroit, de tous les coins du royaume, les plus habiles ouvriers en toutes sortes d'arts, peintres, tapissiers, sculpteurs, orfèvres, ébénistes, etc., afin d'y faire fabriquer tous les meubles nécessaires à l'ornement et au service des maisons royales. À cet effet on acheta en 1662 toutes les maisons et jardins qui forment aujourd'hui le vaste emplacement des Gobelins. Ce ministre y fit construire des logements et des ateliers pour tous les artistes qu'il y avoit rassemblés; un édit du roi donna, en 1667, une forme stable à cet établissement, et Le Brun en fut le premier directeur.
La manufacture des Gobelins a passé jusqu'à présent pour la première de ce genre qui existe en Europe: la France doit à cet établissement les progrès extraordinaires que les arts et les manufactures y ont faits dans l'espace d'un siècle; et la quantité d'ouvrages parfaits et d'excellents ouvriers qui sont sortis de cette grande école est presque incroyable. Rien n'égale surtout la beauté des tapisseries qu'on y exécute, et qui surpassent de beaucoup ce que les Flamands et les Anglois ont jamais fait de mieux en ce genre.
Ces tapisseries étoient exposées tous les ans dans une grande galerie pratiquée dans la maison; et la chapelle, située au fond de la seconde cour, étoit également ornée des plus beaux morceaux de ces mêmes étoffes. Les sujets qu'elles représentoient étoient ordinairement copiés d'après les meilleurs tableaux des habiles peintres de l'école française[335].
HÔPITAL GÉNÉRAL,
DIT LA SALPÉTRIÈRE.
Nous avons déjà fait connoître quelles furent les premières mesures que l'on jugea à propos de prendre sous Louis XIII[336] pour prévenir les désordres qui pouvoient naître de la trop grande quantité de mendiants dont la ville de Paris étoit en quelque sorte infestée. La maison de la Pitié fut le premier asile qu'on leur ouvrit, et dès 1615 Marie de Médicis imagina de faire, en faveur des enfants des pauvres enfermés, un hôpital du lieu dit la Savonnerie, où s'étoit établie en 1604, et sous sa protection, une manufacture de tapisserie[337]. Enfin, vers 1622, on acheta, pour les pauvres vieillards infirmes, l'hôtel de Scipion Sardini, dont nous ne tarderons pas à parler.
Cependant ces mesures et ces divers dépôts ne tardèrent pas à devenir insuffisants. Les accroissements considérables de Paris sous Louis XIII et pendant les premières années de Louis XIV, les troubles qui accompagnèrent la minorité de ce dernier prince, attirèrent dans cette capitale une multitude de vagabonds de toutes les parties du royaume, et y multiplièrent les mendiants à un tel point, que les historiens n'en font pas monter le nombre à moins de quarante mille. Leur audace sembloit croître de jour en jour: ils sentoient leurs forces; ils demandoient avec arrogance des secours dont ils étoient indignes, quelquefois même employoient la violence pour les arracher, et offroient, par l'infamie et la crapule de leurs mœurs, un spectacle odieux et repoussant qu'il étoit impossible de supporter plus long-temps au milieu d'une aussi immense population. Tout le monde sentoit la nécessité d'apporter un prompt remède à un tel fléau, et l'exécution en sembloit dangereuse et presque impossible: car on avoit sujet de craindre qu'ils ne se portassent aux derniers excès, si l'on tentoit de les réprimer. M. Pomponne de Bellièvre étoit alors premier président du parlement: ce grand magistrat, plein de zèle pour le bien public, forma la résolution de surmonter tous les obstacles qui s'opposoient à la destruction d'un tel scandale, et reprit avec activité le projet qu'on avoit déjà formé pour l'établissement d'un hôpital général. Le parlement en avoit ordonné l'exécution par son arrêt du 16 juillet 1632; mais les circonstances fâcheuses dans lesquelles on s'étoit trouvé à cette époque en avoient suspendu l'effet. Louis XIV applaudit au zèle du premier président, entra dans ses vues, et donna, le 27 avril 1656, un édit pour l'établissement d'un hôpital général, et un réglement pour tout ce qui devoit s'y observer. Aux maisons déjà disposées pour recevoir les mendiants qui voudroient s'y retirer, ce monarque ajouta le château de Bicêtre et la maison de la Salpétrière avec toutes leurs dépendances. On travailla aussitôt à disposer ces lieux convenablement à l'usage auquel on les destinoit; et toutes les mesures de prudence qu'exigeoit ce grand coup d'autorité ayant été prises, on publia que l'Hôpital général seroit ouvert, le 7 mai 1657, pour tous les pauvres qui voudroient s'y rendre; en même temps parut une ordonnance des magistrats qui défendoit, sous les peines les plus sévères, de demander l'aumône: le succès le plus complet fut le résultat d'une marche combinée avec tant d'adresse et de prévoyance.
Tout le monde sait que la maison de la Salpétrière étoit, avant cette époque, destinée à la préparation du salpêtre, et que c'est de là qu'elle avoit pris son nom. Dès cette époque, elle avoit une chapelle sous le titre de Saint-Denis; mais sa nouvelle destination fit naître le dessein de remplacer cette chapelle par un monument plus considérable. Cet édifice fut élevé sur les dessins de Libéral Bruant, et fait honneur à cet architecte. Il se compose d'un dôme octogone de dix toises de diamètre, percé par huit arcades qui aboutissent à autant de nefs, dont quatre sont terminées par des chapelles. L'autel, placé au centre, est disposé de manière à être vu de toutes les nefs, qui forment autant de divisions, dans lesquelles les femmes sont séparées des filles, et les hommes séparés des garçons. En dehors est un grand vestibule ou portique décoré de colonnes ioniques, et d'un attique au-dessus; toute cette composition est d'une noble simplicité[338]. L'église nouvelle fut dédiée sous l'invocation de saint Louis.
Il régnoit dans cette maison un ordre et une police vraiment admirables: plus de sept mille pauvres de tout sexe et de tout âge y étoient abondamment entretenus de toutes les choses nécessaires à la vie, et rendus utiles par les travaux auxquels on les assujétissoit, travaux qui étoient proportionnés à leur force et à leur industrie. Il se faisoit un débit considérable des produits de ces ateliers.
Dans une seconde cour étoit la maison de force pour les femmes et filles débauchées. Une troisième renfermoit les bâtiments où logeoient les insensés. Il y avoit de plus une infirmerie, de vastes logements pour les gens chargés du service, et généralement toutes les commodités et toutes les distributions nécessaires dans un aussi grand établissement. L'Hôpital général étoit, pour le spirituel, sous la direction de vingt-deux prêtres et d'un recteur, répartis dans les principales maisons qui le composoient, lesquelles étoient au nombre de trois; la Pitié, qui, comme nous l'avons dit, en étoit le chef-lieu, la Salpétrière et Bicêtre[339]. Les administrateurs, au nombre de vingt, avoient leur bureau à la Pitié. La maison du Saint-Esprit et en partie celle des Enfants-Trouvés étoient réunies à cet établissement[340].
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DE LA SALPÉTRIÈRE.
TABLEAUX.
Sur le maître-autel, la Résurrection de Notre-Seigneur; par frère André.
DE L'UNIVERSITÉ.
Il faut se transporter aux premiers temps de la seconde race pour trouver l'origine de l'Université; non que cette célèbre école eût dès lors son chef, ses magistrats, ses priviléges, tout ce qui l'a maintenue florissante jusque dans les derniers jours de la monarchie: il ne faut point chercher au delà du onzième siècle les premiers éléments de sa formation en compagnie. Mais on la voit remonter, par une succession presque continuelle de maîtres et de disciples, jusqu'au célèbre Alcuin, qui, sous la protection de Charlemagne, fit refleurir dans les Gaules les sciences et les lettres. Introduites d'abord par les Romains dans ces contrées barbares qu'elles policèrent, et où elles furent long-temps en honneur; chassées par les grossiers vainqueurs qui succédèrent à ces maîtres du monde; jetant à peine quelque lueur foible et incertaine sous la dynastie agitée et malheureuse des Mérovingiens, elles se virent enfin rappelées et placées près du trône par ce grand monarque, politique, guerrier, législateur, et qui semble réunir à lui seul tous les talents et tous les genres de gloire. Relevée par cette main puissante, l'école qui, de temps immémorial, existoit dans le propre palais de nos rois où elle étoit principalement destinée à l'instruction de la jeune noblesse, reprit une telle vigueur et un tel éclat, «qu'elle devint, dit Alcuin lui-même, une nouvelle Athènes, préférable à l'ancienne autant que la doctrine de Jésus-Christ est supérieure à celle de Platon.» Les savants les plus distingués de l'Europe, attirés par les caresses et les libéralités de Charlemagne, vinrent de toutes parts y apporter les trésors de leur doctrine. Animés par un si noble exemple, les monastères et les cathédrales rouvrirent les anciennes écoles, qui, de tout temps, y avoient été attachées; et le goût de l'étude se répandit dans toutes les parties de l'empire. Cette étude comprenoit dès lors presque toutes les parties des connoissances humaines, mais seulement dans leurs rapports avec la religion. On apprenoit la grammaire pour mieux entendre l'écriture sainte, et pouvoir la transcrire plus exactement. La rhétorique et la dialectique ne sembloient utiles que parce qu'elles fournissoient des moyens de mieux pénétrer le sens des Pères, et de réfuter avec plus de ressources et de clarté les erreurs contraires aux dogmes du christianisme. Les auteurs païens et surtout les poëtes étoient dédaignés; on condamnoit leur lecture, et la musique elle-même, que l'on cultivoit avec une sorte de passion, étoit entièrement renfermée dans le chant ecclésiastique. C'étoit surtout dans l'école palatine que ce plan d'études avoit été mis en vigueur, et pendant près de trois siècles on y vit fleurir avec plus ou moins d'éclat la théologie et tous les arts libéraux, à l'exception de la médecine, dont il n'est fait presque aucune mention.
Cette école tomba sous Louis-le-Débonnaire, et redevint florissante sous Charles-le-Chauve. Toutefois les noms de ceux qui la gouvernèrent ne sont connus que jusqu'à la fin du règne de ce prince; et c'est encore une question parmi les érudits de savoir si, après lui, l'école palatine continua de suivre nos rois dans les diverses résidences qu'il leur plaisoit de choisir, ou si dès lors elle avoit un établissement fixe à Paris. Il est impossible de rien offrir de positif à ce sujet; mais dès le neuvième siècle on voit fleurir dans cette ville une école dirigée par Remi d'Auxerre, élève des disciples d'Alcuin; et soit que cette école fût une continuation de la première, ou simplement une branche détachée de ce tronc célèbre, il est certain du moins qu'au moment où nous perdons de vue l'école royale, celle que gouvernoit Remi se montre à nos yeux; et de là jusqu'à l'établissement de l'Université, il n'y a plus ni lacune, ni obscurité dans l'histoire de l'enseignement public.
Robert, comte de Paris, régnoit alors dans cette ville, et protégeoit les lettres et ceux qui les cultivoient. Remi, qui mourut au commencement du dixième siècle, laissa des successeurs qui le remplacèrent dignement, et parmi lesquels il faut distinguer Abbon, depuis abbé de Fleuri, et Huboldus, chanoine de Liége, lequel ferme la tradition de l'enseignement à Paris pour le dixième siècle, et la commence pour le onzième. Cette dernière époque, plus riche que la précédente en maîtres fameux, nous conduit enfin à Guillaume de Champeaux, et dès lors les traditions deviennent encore plus authentiques, et la succession non interrompue des maîtres tout-à-fait incontestable.
Quelque temps avant que cet homme célèbre eût paru dans l'école, les études y avoient subi une révolution qui, sous plusieurs points, ne semble pas leur avoir été avantageuse. Depuis Remi d'Auxerre jusqu'alors, la marche de l'enseignement étoit extrêmement simple, mais sûre et raisonnable. On professoit la grammaire et la rhétorique d'après les principes adoptés de tout temps par les meilleurs maîtres; et le système que l'on suivoit dans ce cours étoit peu différent de celui que nous avons vu en vigueur jusque dans les derniers temps de l'Université. Les études théologiques étoient dirigées selon la méthode des Pères et le véritable esprit du christianisme: un grand respect pour les traditions, en étoit le fondement; on ne donnoit presque rien à la raison humaine, et tout à l'autorité. La philosophie, qui se composoit de la dialectique et des quatre parties[341] principales des mathématiques, se réduisoit, pour la première de ces deux sciences, à l'explication du livre des dix catégories, attribué alors à saint Augustin; et le respect qu'inspiroit la religion ôtoit jusqu'à la pensée d'employer les moyens que pouvoit offrir l'argumentation pour en éclaircir les difficultés et en pénétrer les mystères. On connoissoit Aristote; il l'étoit même, du moins en partie[342], dès le neuvième siècle; mais on en faisoit peu de cas, et ce ne fut que quelques années avant le commencement du douzième, que le corps entier de ses écrits pénétra en France par les Arabes alors établis en Espagne, et grands admirateurs de ce philosophe. Ils y furent accueillis avec transport. Malheureusement les esprits n'étoient pas assez forts pour démêler ce qu'il y avoit d'excellent dans les ouvrages de ce beau génie, et en séparer les idées hasardées et systématiques: de là s'introduisirent dans les études un goût d'analyse quintessenciée, la manie de tout définir, de multiplier les divisions et les subdivisons, l'amour de la dispute, les distinctions frivoles, en un mot toutes les subtilités qui formèrent le caractère de la scolastique. Alors on vit paroître la secte dangereuse des nominaux, dont on retrouve encore des traces dans le quinzième siècle. Ils portèrent leurs bizarres égarements jusque dans les matières les plus importantes de la foi, et furent victorieusement combattus par les réalistes. Les arguments les plus puérils des anciens sophistes grecs devinrent l'occupation la plus grave des nouveaux philosophes, non moins absurdes et plus ignorants; l'amour du raisonnement, le sot orgueil qu'il inspire, firent bientôt dédaigner les lettres; et la théologie, traitée d'après cet imprudent système, commença à mêler sans cesse une vaine argumentation à l'autorité.
Cependant le charme de la nouveauté, et cet espèce d'enivrement que produit la science humaine, et même son image, gagnoit peu à peu les esprits. On admiroit indistinctement, comme un progrès réel des connoissances, tout ce qu'on ajoutoit à l'ancien enseignement. Du reste on ne peut nier qu'à certains égards, l'instruction n'eût éprouvé des développements utiles. Aussi est-ce à cette époque que commence la grande splendeur de l'école de Paris. Jusque-là, c'est-à-dire pendant l'espace de près de deux siècles, elle avoit eu des rivales; et plusieurs même, telles que les écoles de Reims sous Gerbert, de Chartres sous Fulbert, de l'abbaye du Bec sous Lanfranc, étaient plus fréquentées, plus fécondes en grands hommes, jetoient enfin un plus grand éclat; mais au douzième siècle, sous Guillaume de Champeaux, dont nous avons déjà parlé, sa gloire commence à obscurcir celle de toutes les autres écoles; et placée alors au premier rang, elle l'a depuis toujours conservé.
Guillaume de Champeaux étoit archidiacre de l'église de Paris: il tint long-temps les écoles du cloître, où il enseigna la rhétorique, la dialectique et la théologie avec beaucoup de réputation et un grand concours d'auditeurs. Le fameux Abailard se mit au rang de ses disciples: abusant des avantages que lui donnoit sur ce grave personnage un esprit moins solide sans doute, mais plus vaste et plus brillant, il eut bientôt éclipsé son maître; et par ses attaques continuelles, il sut lui inspirer de tels dégoûts, qu'on le vit quitter sa chaire, son archidiaconé, prendre l'habit de chanoine régulier, et s'enfermer dans la maison de Saint-Victor[343]. Telle est l'origine de cette dernière école, si célèbre dans l'Université. Guillaume ne tarda pas à y reprendre les leçons qu'il n'avoit interrompues qu'à regret; les excellents élèves qu'il y forma continuèrent l'ouvrage qu'il avoit commencé; le régime de la maison prit de la consistance; elle s'accrut en édifices et en revenus, et devint de plus en plus florissante par la régularité de la discipline et par l'excellence des études théologiques.
Abailard ne laissa point son maître tranquille dans cette retraite; et leurs démêlés continuèrent jusqu'au moment où Guillaume, nommé évêque de Châlons, eut enfin cédé la place à son ingrat et présomptueux adversaire. C'est alors que commença pour celui-ci cette longue suite de malheurs et d'égarements qui, plus encore que sa science et son génie, ont rendu son nom à jamais fameux. Personne n'ignore ses amours avec Héloïse, son mariage furtif, la vengeance atroce qu'exerça sur lui la famille de cette jeune personne, la retraite forcée des deux époux, et les persécutions continuelles que s'attira cet esprit ardent, inquiet, incapable de repos, et que l'amour désordonné de la gloire eut bientôt arraché du cloître pour le ramener sur un théâtre qui lui avoit été si funeste. Les subtilités de la dialectique, qu'il mêloit avec beaucoup de témérité dans ses leçons de théologie, le jetèrent bientôt dans de dangereuses erreurs, et élevèrent contre lui de graves accusations. Justement condamné dans un concile assemblé à Soissons, forcé de s'enfuir du monastère de Saint-Denis, où son imprudence avoit excité contre lui de vifs ressentiments; attaqué de nouveau pour ses opinions erronées par saint Bernard et saint Norbert; condamné une seconde fois dans le concile de Sens, il ne mena plus désormais qu'une vie errante et agitée, pendant laquelle on le voit cependant professer encore à Paris dans l'école de Sainte-Geneviève, où dominoit l'étude de la dialectique.
C'étoit dans le cloître qu'Abailard avoit donné ses premières leçons; et les diverses circonstances de sa vie prouvent évidemment la multiplicité des écoles. Outre cette école attachée à la cathédrale, et celle de Sainte-Geneviève et de Saint-Victor, qui y sont clairement désignées, il y en avoit encore beaucoup d'autres[344]; et des auteurs contemporains nous apprennent que la dialectique y étoit enseignée par un grand nombre de maîtres, à quàm plurimis magistris. Du reste on ne voit rien qui puisse faire présumer que ces écoles fussent dès lors réunies par un lien commun, ni soumises à la même autorité. On ne connoissoit encore, du temps d'Abailard, ni les titres de bacheliers et de docteurs, ni les conditions qu'il fallut remplir par la suite pour les obtenir. Cependant on y remarque déjà des traces d'une discipline: on voit, dès cette époque, un maître destitué pour cause de désordres dans ses mœurs; on ne pouvoit commencer à donner des leçons que sous l'autorité d'un professeur titulaire; et lorsqu'Abailard fut attaqué pour ses opinions théologiques, ses accusateurs lui reprochèrent, entre autres griefs, la licence qu'il osoit prendre d'enseigner sans maître, sine magistro, parce qu'effectivement ce n'étoit point dans l'école de Paris, mais dans celle de Laon, qu'il avoit pris des leçons de théologie.
Telle qu'elle étoit, cette école jouissoit d'une considération qui l'égaloit à ce qu'il y avoit de plus élevé dans l'état. Dès ce temps-là, les grandes dignités ecclésiastiques devenoient le partage de ses membres les plus illustres, et l'on compte une foule d'évêques, de cardinaux, et même des papes[345] parmi les disciples qu'elle avoit formés. On la voit recevoir des marques éclatantes de la protection du saint-siége dans ses premiers démêlés, depuis si souvent renouvelés avec l'évêque et le chancelier de Paris; ses théologiens sont appelés dans les conciles, et deviennent la lumière de l'église; quelques écrivains de bon goût, tels qu'Abailard, Hildebert de Lavardin, Jean de Salisbury[346], luttoient encore contre les faux systèmes des scolastiques, qui cependant finirent par l'emporter et dont le pédantisme barbare domina dans tout ce qui s'écrivit jusqu'à la renaissance des lettres dans le quinzième siècle. Les noms de grammaire et de rhétorique ne furent pas sans doute bannis des écoles, mais il n'en resta réellement que les noms: Aristote devint plus que jamais un objet de respect et d'admiration pour les philosophes, et la philosophie fut tout entière dans la dialectique. La compilation de Gratien, revêtue de la sanction des papes, fit instituer des écoles de droit canonique, où elle devint la première des autorités; la découverte des Pandectes de Justinien avoit déjà ranimé l'étude du droit civil[347], jusque-là renfermée dans celle des lois barbares et du code Théodosien; on commença à cultiver la médecine; enfin le cours des études devint à peu près complet, et le treizième siècle n'étoit pas encore commencé, que l'école de Paris avoit déjà acquis les droits de compagnie, un chef, des lois et des priviléges.
Toutefois il ne faut point s'attendre qu'un historien puisse produire l'acte de l'érection de cette école en université. Le changement qu'elle éprouva se fit, non par autorité ni tout d'un coup, mais comme de lui-même, et par cette progression insensible qui seule peut donner de la stabilité aux choses humaines. Des besoins nouveaux indiquèrent peu à peu la nécessité de nouvelles lois, et ce grand établissement se perfectionna ainsi de jour en jour et par degrés au moyen d'une police qui devenoit plus régulière. D'abord, du concours innombrable et toujours croissant des auditeurs, et de la trop grande quantité des maîtres, attestée par les écrivains du temps, naquit une confusion qui détermina l'école à réunir tant de parties éparses et sans consistance, afin d'assujettir cette jeunesse fougueuse à une discipline commune. Dans un corps composé d'une multitude si considérable de membres, l'avantage, la nécessité même des divisions se présentoit d'abord: aussi à peine l'Université est-elle formée, que nous la voyons partagée en provinces; c'est-à-dire que, se composant d'élèves qui s'y rendoient de toutes les parties de l'Europe, chacun s'attachant, par un mouvement naturel, à ceux de son pays, cette première division se fit comme d'elle-même; et telle est l'origine des quatre nations de l'Université, origine qui a précédé celle des facultés. Quant à l'existence d'un chef, plus nécessaire encore, un diplôme de Philippe-Auguste, donné en 1200, nous apprend que l'Université en avoit un qui certainement ne pouvoit être que celui qu'elle a conservé jusqu'à la fin; ainsi nous trouvons à cette époque l'école de Paris subsistante en compagnie, partagée en nations, présidée par son recteur.
Sur ses premiers réglements de discipline, nous avons bien peu de monuments, et l'on peut croire qu'ils se composoient plutôt d'anciennes traditions que d'un code complet de lois écrites. Cependant on voit que la licence ou permission d'ouvrir une école devoit s'obtenir des chanceliers de Notre-Dame ou de Sainte-Geneviève, qui ne pouvoient la refuser aux sujets capables; ce qui suppose le droit de les examiner, quoique la disposition de la loi n'en fasse pas mention. Une autre loi interdit aux religieux l'entrée des écoles de droit et de médecine, et à plus forte raison la faculté de professer eux-mêmes ces deux genres d'études. Sur les autres points de police intérieure, tels que l'ordre des leçons, les exercices proposés aux étudiants, le droit de faire des statuts, de punir les contraventions, etc., on ne pourroit citer alors que des usages qui, par la suite, furent rédigés par écrit, et prirent successivement un caractère immuable.
Une telle compagnie ne pouvoit subsister sans des priviléges qui assurassent la tranquillité de ceux qui la composoient. Un réglement donné en 1158 par l'empereur Frédéric Barberousse en faveur de l'Université de Boulogne, paroît avoir servi de base à ceux qu'on accorda à celle de Paris; et dès lors on voit que ses suppôts obtinrent tous les avantages de la cléricature, le droit de n'être jugés que par les tribunaux ecclésiastiques et dans le lieu de leurs études, celui d'aspirer aux bénéfices et d'en percevoir les revenus, sans être obligés à résidence. On voit aussi s'établir, dès le commencement, les messagers de l'Université, espèce d'officiers nécessaires alors dans les grandes écoles, et au moyen desquels les étudiants qui venoient d'un pays éloigné pouvoient entretenir une correspondance suivie avec leurs familles, et en tirer les secours dont ils avoient besoin[348].
La fondation des colléges remonte à cette même époque, et le premier objet de leur institution fut de lever, à l'égard des écoliers indigents et pourvus d'heureuses dispositions, les obstacles que pouvoit leur opposer le mauvais état de leur fortune. Dans ces premiers établissements[349] se manifeste l'origine des boursiers auxquels ils étoient principalement destinés. Toutefois on se tromperoit si l'on pensoit que de semblables fondations offrissent alors un cours d'enseignement tel qu'il se pratiqua depuis dans nos colléges en plein exercice: c'étoient simplement, comme encore dans les derniers temps nos petits colléges, de simples lieux de retraite où les jeunes étudiants, trouvant le couvert et une nourriture frugale, vivoient sous la direction d'un maître commun qui les menoit aux écoles publiques. Outre les trois principales, situées, comme nous l'avons déjà dit, dans le cloître Notre-Dame, dans les maisons de Sainte-Geneviève et de Saint-Victor, on en comptoit encore un grand nombre d'autres. Quiconque avoit acquis le droit d'enseigner pouvoit établir sa chaire d'enseignement en tel lieu qu'il lui plaisoit, pourvu qu'il ne s'éloignât pas trop des grandes écoles. On trouve des maîtres établis auprès du Grand-Pont et du Petit-Pont, au midi de la rivière et dans le bas de la montagne. Lorsque les clos Mauvoisin et Bruneau commencèrent à être habités, c'est-à-dire dans le cours du treizième siècle, il est probable qu'on y ouvrit aussitôt plusieurs écoles; ce qui est certain, c'est qu'au quatorzième siècle la rue du Fouare, qui fait partie de l'ancien clos Mauvoisin, et la rue Bruneau, qui est aujourd'hui la rue Saint-Jean-de-Beauvais, contenoient les écoles de la Faculté des Arts et de celle de Décret.
Sous le règne de Philippe-Auguste, qui protégea des lettres, et dont l'affection fut grande pour l'Université, cette compagnie commença à prendre un caractère d'indépendance plus marqué. Le chancelier de l'église de Paris, qui effectivement avoit seul le droit de donner la permission d'enseigner dans toute l'étendue du territoire soumis à la juridiction de la cathédrale, voulut porter plus loin ses prétentions, exiger une redevance en argent pour la concession de la licence, astreindre les maîtres à lui jurer obéissance, renfermer l'étude de la théologie et du droit canon dans les écoles épiscopale et claustrale dont il avait l'intendance, enfin soumettre entièrement ce grand corps à sa juridiction. Loin d'y réussir, il fournit ainsi une occasion à l'Université de mieux établir qu'elle ne l'avoit fait jusqu'alors ses priviléges et immunités. Elle s'adressa directement au pape, qui se déclara lui-même son suprême législateur, lui donna des statuts par son légat[350], s'établit le défenseur de ses droits, et l'arracha ainsi sans retour à l'influence du chancelier et de l'évêque. Dès ce moment, elle ne reçut plus d'ordres que de la cour de Rome; et nos rois, respectant en elle l'autorité sainte qui la protégeoit, n'usèrent long-temps de leur puissance que pour lui accorder des priviléges nouveaux, et non, comme ils l'ont fait depuis, pour lui donner des lois.
Cette faveur des papes accrut encore l'éclat et la renommée dont l'Université avoit commencé à jouir dès le siècle précédent; et les hommes illustres qu'elle produisit alors en plus grand nombre que jamais, confirmèrent cette haute estime qu'elle s'étoit acquise dans l'Europe entière, où elle étoit regardée, disent les écrivains contemporains, comme la mère et la source de toute sagesse. Cependant il s'en falloit de beaucoup que les études valussent ce qu'elles avoient été: les belles-lettres étoient de plus en plus négligées; il n'étoit plus question des bons auteurs de la latinité, qu'on expliquoit encore quelque temps auparavant. Toutes les études grammaticales se réduisoient à la grammaire de Priscien, à laquelle on substitua par la suite le doctrinal d'Alexandre de Villedieu, qui avoit écrit vers le milieu de ce siècle. Contents d'éviter dans leur style les solécismes les plus grossiers, les écrivains d'alors dédaignoient, ou plutôt ne connoissoient plus aucune des élégances et aucun des ornements du discours. La philosophie avoit seule tous les honneurs; seule elle attiroit l'attention de ceux qui professoient les arts. Aristote en étoit l'unique guide, la seule tradition, l'autorité infaillible; et la doctrine de ce philosophe païen, aveuglément reçue dans les écoles chrétiennes, continua d'y faire naître des opinions erronées, téméraires, que les élèves portoient ensuite dans la théologie, et qui jetèrent plusieurs d'entre eux dans de nouvelles hérésies non moins dangereuses que celles qui, dans le siècle précédent, avoient déjà été signalées et confondues. Celles-ci le furent avec la même ardeur et le même succès: car tandis que tout dégénéroit dans l'école, on doit à la faculté de théologie cette justice de dire qu'elle continua d'entretenir la véritable doctrine dans toute sa pureté[351].
Ce n'est pas qu'elle fût alors très-savante, mais elle craignoit les nouveautés, et savoit se renfermer dans les justes limites posées par la tradition et par l'autorité. Les zélateurs de l'orthodoxie avoient, comme leurs adversaires, le défaut de mêler trop de métaphysique à leurs raisonnements; mais continuellement appuyés sur la révélation, ils marchoient sans crainte de s'égarer; «La théologie, dit très-bien Fontenelle[352], a été long-temps remplie de subtilités ingénieuses à la vérité, utiles même jusqu'à un certain point, mais souvent excessives; et l'on négligeoit alors la connoissance des pères, des conciles, de l'histoire de l'église, enfin tout ce qu'on appelle aujourd'hui théologie positive.» On ne connoissoit guère que deux livres, la Bible, qui a toujours été expliquée dans l'école de Paris, et l'ouvrage du Maître des Sentences[353].
L'éclat des études théologiques à Paris y avoit attiré, peu de temps auparavant, deux ordres nouvellement formés, les Dominicains et les Franciscains, qui depuis jouèrent un rôle important dans l'histoire de l'Université, et lui durent en grande partie leur premier établissement[354]. Ils ne tardèrent pas à obtenir dans cette capitale une grande considération, tant par le savoir et la piété d'un grand nombre d'entre eux, que par l'honneur que leur fit la reine Blanche de confier à leurs soins l'éducation du roi son fils. Ce grand crédit, les priviléges jusque-là sans exemple que leur accordèrent les papes, dont ils devinrent les plus chers favoris, leur firent naître la pensée d'entrer en partage avec l'Université d'une des branches les plus considérables des études, de la théologie. L'occasion s'en présenta, et ils surent la saisir: une malheureuse querelle qui s'éleva entre les écoliers et les habitants d'un faubourg[355], au sujet de laquelle cette compagnie se crut outragée par l'autorité dont elle avoit réclamé l'intervention, l'ayant portée à fermer ses écoles, et même à provoquer la dispersion de ses membres, les Dominicains, sous prétexte de prévenir les funestes effets qui pouvoient résulter de cette cessation entière de l'enseignement, se firent d'abord autoriser par l'évêque et le chancelier de Notre-Dame à établir chez eux une école de théologie. Les Franciscains ne tardèrent pas à imiter leur exemple; et lorsque l'Université, après deux années d'interruption, eut repris ses exercices sous la médiation du pape, ce fut vainement qu'elle voulut s'opposer, ou du moins mettre quelques bornes aux droits qu'ils avoient acquis. Après de longues et violentes querelles, dans lesquelles la cour de Rome soutint avec juste raison les religieux mendiants, ceux-ci parvinrent enfin à être admis dans cette compagnie, dont ils ouvrirent ainsi l'entrée aux Carmes, aux Augustins, qui vinrent après eux, et même aux religieux de tous les ordres qui existoient alors: car la bulle d'Alexandre IV, à laquelle ils durent cette prérogative, l'accorda également à tous les réguliers.
L'Université fut très-sensible à cette disgrâce. Toutefois sa constitution n'en reçut aucune atteinte considérable: car ces religieux, après quelque résistance, se virent dans la nécessité de se soumettre à toutes les obligations qu'elle imposoit à ses suppôts, de promettre par serment de garder les priviléges, statuts, droits, coutumes louables de la compagnie, et de n'en point révéler les secrets. D'un autre côté, les brillantes lumières que les ordres mendiants apportèrent dans les écoles firent honneur à l'Université en bien des occasions, et contribuèrent à en augmenter la gloire.
Ce grand changement en amena un autre, qui se préparoit depuis plusieurs années: ce fut la formation de la faculté de théologie en un corps distinct et séparé. C'étoit comme théologiens que les mendiants avoient voulu être admis dans l'Université contre la volonté du corps entier, et le doctorat en théologie avoit été l'unique objet de leur ambition. Introduits dans cette partie de l'enseignement, ils y avoient été considérés d'abord comme des intrus par les artiens, et les professeurs en médecine, qui s'obstinèrent long-temps encore à les repousser. Ce fut donc une nécessité pour la faculté de théologie de tenir ses assemblées à part, sans néanmoins se séparer de l'Université, aux priviléges de laquelle elle n'avoit garde de renoncer, et dès lors elle forma un corps distingué des nations. Présidée d'abord par le chancelier de l'église de Paris, elle eut ensuite pour chef le plus ancien de ses membres, sous le nom de doyen.
Quelques années après (en 1270), les facultés de droit et de médecine se formèrent à son exemple en compagnie, eurent leurs sceaux particuliers, des assemblées, une discipline qui leur fut propre; et l'Université prit alors la forme qu'elle a toujours conservée depuis, c'est-à-dire qu'elle fut composée de sept compagnies, les trois facultés de théologie, droit et médecine et les quatre nations[356] de la faculté des arts. Toutefois les trois facultés supérieures ne renfermèrent que des docteurs; leurs bacheliers restèrent dans les nations, qui continuèrent à former le corps de l'Université proprement dite, et sous ce rapport leur supériorité, souvent contestée, ne put jamais recevoir de véritable atteinte.
Quelles étoient alors les ressources de l'Université pour faire face aux dépenses communes: c'est ce qu'il est impossible d'établir d'une manière positive. Cette compagnie savante étoit pauvre, et se faisoit honneur de sa pauvreté. On ne lui connoissoit point à cette époque d'autres revenus que les taxes qu'elle avoit le droit d'imposer sur tous ses suppôts dans les circonstances extraordinaires, les redevances que payoient ceux qu'elle admettoit au baccalauréat et à la maîtrise, enfin un réserve de deniers qui, à la fin du quinzième siècle, se composoit d'une rétribution de deux sous que chaque suppôt déposoit, toutes les semaines, dans la bourse commune.
Ainsi munie de priviléges et de lois constantes et organiques, protégée par les papes contre toute juridiction séculière, à peine soumise aux rois, qui, pendant plusieurs siècles, semblèrent se complaire, et bien imprudemment sans doute, à accroître ses avantages et son influence, consultée dans toutes les affaires importantes de la religion, s'immisçant sans qu'on y trouvât à redire dans celles de l'état, l'Université joua, pendant plusieurs siècles, un rôle important dans les plus grands événements de la France, principalement dans ceux dont la ville de Paris fut le théâtre; et l'on est forcé d'avouer qu'elle s'y présente le plus souvent sous un aspect peu favorable, soit qu'elle soutienne avec trop de complaisance les désordres et l'esprit de sédition de ses disciples; soit que, jalouse à l'excès de ses priviléges, elle abuse quelquefois, pour les maintenir, des avantages de sa position et de la foiblesse du prince; soit enfin qu'agitée intérieurement par une foule de petites passions particulières, elle offre le spectacle scandaleux et trop souvent répété des disputes du recteur avec le doyen et le chancelier, de la guerre des nations contre les facultés, d'une animosité souvent trop violente à l'égard des ordres mendiants. C'étoit comme une espèce de république au milieu d'une monarchie; et ces mœurs, ces habitudes républicaines se développèrent avec plus de licence et plus de danger pour l'état, lorsque le grand schisme d'Occident et les deux conciles si malheureusement fameux qui le suivirent, eurent introduit en France toutes ces maximes séditieuses sur l'autorité spirituelle, qui désolèrent l'église et commencèrent, dans la société chrétienne, à fomenter la rébellion des peuples et à établir le despotisme des rois. L'Université fut la première à adopter ces maximes, et nous avons montré qu'elle avoit su d'abord en tirer toutes les conséquences[357]. C'est alors qu'elle offrit le spectacle effrayant et déplorable de tous les égarements dans lesquels peuvent se précipiter, la science sans guide et sans frein, et la raison humaine livrée à son orgueil et à ses ténèbres. Ce ne fut pas seulement contre le chef de l'église, mais par une suite nécessaire, contre tout pouvoir spirituel et temporel que l'Université se créa des doctrines et rassembla des arguments; ce fut surtout dans son sein que s'accrut, que se fortifia cette licence des esprits, qui, à l'ombre des libertés gallicanes, se manifesta si souvent et sous tant de formes hideuses ou bizarres, produisit, dans l'état les parlementaires, dans l'église les jansénistes, lesquels devoient eux-mêmes produire à leur tour l'athéisme philosophique et l'anarchie révolutionnaire, creusant ainsi de jour en jour davantage l'abîme où s'est engloutie la société.
Toutefois ce ne fut pas sans de grandes vicissitudes qu'elle parcourut cette carrière, périlleuse pour elle en même temps qu'elle préparoit tant de périls à l'état; et le pouvoir temporel avoit pour la réprimer des moyens plus efficaces que ceux dont l'autorité spirituelle crut long-temps devoir faire usage. Les malheurs affreux qui désolèrent la France sous le règne de l'infortuné Charles VI, et pendant les premières années de celui de Charles VII, commencèrent à obscurcir les prospérités jusque-là toujours croissantes de l'Université, et même à porter quelque atteinte à ces priviléges dont elle étoit si fière. Quoique traitée avec peu de ménagements[358] par les Anglais, devenus maîtres de la capitale, elle avoit mis cependant dans sa conduite envers ces étrangers assez peu de mesure pour blesser le légitime souverain, qui parut en avoir conservé quelque ressentiment. Comprise dans le pardon général que le prince accorda à tous les ordres de l'état lorsqu'il fut devenu paisible possesseur de son royaume, elle crut pouvoir reprendre le rang que jusqu'alors elle avoit tenu, et étaler les mêmes prétentions; mais l'autorité monarchique avoit pris une vigueur plus grande, en même temps que cette compagnie avoit perdu de sa considération. Aussi ardente que jamais sur ses priviléges, que les gens de finances ne cessoient d'attaquer, elle trouva moins de patience et moins de faveur auprès du roi, et perdit enfin le droit magnifique qu'elle avoit eu jusqu'alors, de ne reconnoître que lui pour juge dans toutes les matières civiles et contentieuses qui intéressoient le corps entier[359]. Charles VII, mécontent de sa conduite passée, fatigué de ses plaintes continuelles, et voulant abattre enfin cet esprit de mutinerie désormais incompatible avec l'accroissement chaque jour plus marqué de la prérogative royale, transporta au parlement cette haute juridiction que jusque-là nos rois seuls avoient exercée dans les affaires de l'Université. On peut bien penser qu'elle ne se soumit à un tel joug qu'avec une grande répugnance; mais ce fut une nécessité de s'y soumettre. Sous Louis XI, les coups dont elle fut frappée furent encore plus rudes: il viola plus d'une fois ses priviléges, se mêla de son gouvernement intérieur, ce qui jusqu'alors n'étoit point arrivé, et lui fit sentir qu'il n'étoit rien que l'autorité royale ne pût se permettre avec elle. Plus heureuse sous Charles VIII, qui, quoique non lettré, fut un zélé protecteur des lettres; justement humiliée[360], et cependant maintenue dans tous ses droits sous Louis XII, qui sut, à la fois, réprimer ces idées d'indépendance dont elle étoit toujours possédée, et conserver dans une situation florissante une compagnie qui apportoit à la France tant de gloire et d'utilité, elle avoit pris enfin un sentiment de bienséance, et les apparences de cette modération qui doit être le principal caractère de toute société savante, lorsque le prince qui devoit être le restaurateur des lettres monta enfin sur le trône.
Avant cette grande époque, plusieurs événements avoient déjà préparé une si heureuse révolution. Personne n'ignore que la prise de Constantinople, arrivée en 1453, ayant forcé un grand nombre de Grecs d'abandonner leur patrie, ils apportèrent dans l'Occident leur doctrine, leur langue, leurs livres dépositaires de tous les trésors de la science, et répandirent une seconde fois la lumière des beaux-arts dans l'Italie. Cette lumière ne tarda pas à pénétrer en France, et nous trouvons que, dès l'année 1458, il y avoit à Paris des chaires où des professeurs, Grecs de nation, enseignoient la langue de leur pays et la rhétorique. Quoique l'Université, toujours infatuée de sa philosophie barbare, seule base de toutes ses études, eût refusé à ces maîtres nouveaux le titre de régent et les droits qui y étoient attachés[361], cependant ils furent suivis par un grand nombre d'auditeurs, et ranimèrent enfin ce goût des belles-lettres que Nicolas de Clémengis avoit si vainement tenté de faire renaître dans le siècle précédent. L'exclusion humiliante à laquelle ils étoient soumis ne les empêcha point de se perpétuer par d'habiles successeurs; et sous Charles VIII on voit à Paris non-seulement des professeurs grecs de belles-lettres, mais encore des maîtres françois professant aussi les humanités, et cherchant à rétablir parmi nous le goût de la bonne latinité. La découverte récente de l'imprimerie multiplioit en même temps les bons livres, et, par la modicité de leur prix, invitoit à les lire. François Ier parut au milieu de cette disposition générale des esprits: ce prince n'avoit reçu qu'une éducation superficielle, mais la nature l'avoit doué d'un génie ardent, d'une âme élevée, d'un jugement exquis. Avide de toutes sortes de gloire, il voulut que la France, grande par les armes, le fût aussi par les lettres. Les vices de l'éducation littéraire, qui seule cependant pouvoit produire ces heureux effets, avoient déjà frappé les bons esprits, les véritables savants du siècle; et le jeune prince, qui avoit rencontré plusieurs de ces hommes célèbres à la cour de Louis XII son beau-père, qui dès-lors avoit goûté leurs projets de réforme, recueillit de nouveau leurs avis[362], et mit à exécution les plans qu'ils avoient médités. Telle fut l'origine du collége royal, institué principalement pour l'étude des langues grecque, latine et hébraïque[363]. Des professeurs, magnifiquement payés des propres deniers du roi, donnèrent, pour la première fois, des leçons gratuites où ils expliquèrent les plus grands modèles de l'antiquité dans tous les genres d'éloquence; et ces professeurs étoient des savants du premier ordre que la libéralité de ce prince avoit attirés de toutes les parties de l'Europe. Frappée du succès presque incroyable de leurs travaux, l'Université, qui d'abord les avoit vus avec peine s'établir dans son sein[364], finit par reconnoître noblement l'excellence de leur doctrine et de leur méthode, et ne rougit point de marcher sur leurs traces; des réglements furent dressés pour étendre dans toutes ses écoles le cours d'humanités, jusque là borné à deux ou trois ans au plus; on lut les bons écrivains de la Grèce et de Rome avec un autre esprit, on les vit avec d'autres yeux, et l'on conçut le projet de les imiter.
Dans ce mouvement général des esprits, la philosophie elle-même étoit à la veille d'éprouver une grande révolution. Un homme d'un génie vigoureux, d'un caractère indomptable, Ramus osa s'élever contre Aristote et ses stupides adorateurs, et, dans un écrit très-fort, fit voir que cette stérilité dont l'esprit humain étoit frappé depuis tant de siècles, étoit un effet déplorable de l'admiration exclusive qu'on avoit vouée à ce philosophe, et de ce malheureux préjugé qui jusque là avoit enchaîné la pensée humaine dans les limites de la pensée et des systèmes d'un seul homme. Cette espèce d'attentat excita d'abord un soulèvement général: car depuis plusieurs siècles, pendant lesquels elle avoit été la seule règle des études, la philosophie d'Aristote s'étoit comme incorporée avec la théologie, et l'on ne croyoit pas qu'il fût possible de toucher à l'une sans ébranler l'autre. Le parlement et le roi lui-même furent obligés d'intervenir dans la querelle qui s'éleva à ce sujet, et Ramus courut des dangers. Mais après la mort de François Ier, il fit revivre avec plus de succès ses premières accusations; s'il ne parvint pas à chasser entièrement Aristote des écoles, il ouvrit du moins les yeux de quelques-uns sur les abus résultant de l'usage vicieux qu'on y faisoit de ses écrits, et prépara la révolution opérée par Descartes, lequel toutefois, sur beaucoup de points, ne fit que substituer des erreurs nouvelles à d'anciennes erreurs.
Les changements divers qu'éprouva le collége royal, trouveront naturellement leur place dans l'article qui doit le concerner; et quand à l'université, parvenue enfin à cet état fixe et permanent où elle s'est maintenue jusqu'à la fin, son histoire ne présente plus de faits assez importants, ou qui soient de nature à entrer dans un récit uniquement destiné à faire connoître les variations de ses doctrines littéraires et les progrès de son administration. Sous le rapport de ses doctrines politiques et religieuses, nous avons montré ce qu'elle fut sous Henri IV[365]: nous prouverons par les faits que nous ne l'avons point calomniée, et que, sous les règnes suivants et jusqu'à la fin de la monarchie, elle continua d'être ce qu'elle avoit été.
Il nous reste maintenant à dire un mot sur l'institution des nombreux colléges répandus dans les quartiers que nous allons décrire. Uniquement fondés d'abord pour servir de retraite à de pauvres écoliers, on trouva bientôt qu'il seroit utile d'en étendre l'usage à tous les élèves de l'Université. Ces jeunes gens, qui affluoient à Paris de toutes les parties de l'Europe, n'avoient eu jusque là d'autre ressource que de se loger chez les bourgeois; et l'on s'apercevoit depuis long-temps des inconvénients qui en résultoient pour la discipline et les bonnes mœurs. «Dans une même maison, dit un auteur du temps[366], au premier étage sont des écoles; et en bas des lieux de débauche.» L'extrême différence qui se faisoit remarquer entre la tenue des boursiers et celle de cette pétulante jeunesse ainsi livrée à elle-même, fit naître la pensée de réunir également sous un même toit et sous l'autorité d'un maître commun, les jeunes étudiants d'un même pays ou d'un même ordre. Alors les colléges commencèrent à se multiplier, lentement d'abord dans le treizième siècle, mais très-rapidement dans le suivant; et c'est de cette dernière époque que date le plus grand nombre de ces fondations.
Consacrés d'abord uniquement à servir d'asile aux écoliers, les plus considérables d'entre eux devinrent, dès le commencement du quinzième siècle, des écoles publiques, où des régents, distingués du maître et du sous-maître, donnèrent des leçons aux boursiers et aux pensionnaires, leçons auxquelles on ne tarda pas à admettre même des externes. Le collége de Navarre est le premier dans lequel s'introduisit cette nouvelle pratique: l'exemple en fut bientôt suivi, et du Boullay assure que sous le règne de Louis XI il y avoit dix-huit colléges ouverts à tous pour les leçons de grammaire, de rhétorique et de philosophie. Il arriva de là que les écoles de la rue du Fouare furent moins fréquentées, et se virent enfin abandonnées au point de ne plus servir qu'aux exercices probatoires, nécessaires pour parvenir au degré de bachelier-ès-arts; usage qui toutefois se conserva long-temps, car dans le siècle dernier quelques nations y faisoient encore l'examen de leurs candidats.
COLLÉGES.
Collége de Chanac (rue de Bièvre).
Ce collége se trouve aussi désigné sous les noms de Saint-Michel et de Pompadour. Du Breul dit[367] «qu'il fut fondé en l'honneur de saint Michel par Guillaume de Chanac, évêque de Paris, issu de la noble lignée de Pompadour.» Il est vrai que dans un arrêt de 1510[368], M. Antoine de Pompadour est qualifié fondateur du collége de Chanac; mais loin que cette dernière famille dût son origine à la sienne, il est certain qu'il ne prenoit ce titre que comme descendant de Renaud-Élie de Pompadour, lequel épousa, en 1355, Galienne de Chanac, unique héritière de cette maison, dont elle lui transporta tous les droits.
On ignore du reste la date de cette fondation, qu'aucun auteur n'a donnée, mais qui nécessairement a dû précéder l'année 1348, puisque Guillaume de Chanac décéda cette même année. Les termes de son testament annonçoient qu'il avoit destiné sa maison, sise rue de Bièvre, à l'établissement d'un collége dans lequel on placeroit dix à douze boursiers; mais la somme qu'il laissa étoit loin de suffire à l'exécution d'un tel dessein, et les statuts de 1404 prouvent qu'à cette époque le revenu des maîtres et des élèves étoit si peu de chose, qu'il étoit impossible qu'il fournît à leur entretien[369]. Leur extrême pauvreté porta un autre Guillaume de Chanac, évêque de Mende, et le cardinal Bertrand, patriarche de Jérusalem, à venir à leur secours: ils donnèrent chacun 500 livres, et ce dernier y ajouta sa maison du faubourg Saint-Marcel, appelée encore aujourd'hui maison du Patriarche.
Les bourses de ce collége, destinées aux parents du fondateur ou à des écoliers du diocèse de Limoges, furent suspendues en vertu d'une conclusion de l'Université du 16 juillet 1729, confirmée par arrêt[370]. Le trop fameux cardinal Dubois avoit été boursier dans cette maison.
Collége du cardinal Le Moine (rue Saint-Victor).
Il doit son nom et sa fondation à Jean Le Moine, cardinal, mal à propos qualifié évêque de Meaux par quelques historiens. Envoyé en France en qualité de légat par Boniface VIII, pour terminer la fameuse querelle survenue entre ce pontife et Philippe-le-Bel, il profita du temps que lui donna sa négociation infructueuse pour exécuter le projet qu'il avoit formé avant son départ, de fonder un collége à Paris. On a varié sur la date de cet établissement, qu'il faut fixer avec Jaillot en 1302, parce que c'est cette année que le cardinal fit acheter la maison, la chapelle et le cimetière que les Augustins avoient au Chardonnet, pour y loger ses boursiers; et que, dès l'année suivante, un autre acte, dont l'objet principal est d'augmenter leur dotation, prouve évidemment qu'ils étoient déjà établis dans leur demeure. Les lettres de Boniface VIII qui approuvent cette fondation[371] font voir qu'elle n'étoit alors composée que de deux maîtres en théologie et de quatre étudiants dans la faculté des arts; mais, par les statuts, le cardinal ordonna qu'il y auroit dans ce collége soixante artiens et quarante théologiens; qu'il seroit nommé maison du Cardinal; que la valeur des bourses seroit fixée en marcs d'argent[372]: enfin il obtint, en 1308, une bulle du pape Clément V, qui donnoit au chapelain de ce collége la charge des âmes de tous ceux qui l'habitoient. Cette place devoit être occupée par un boursier théologien qui la gardoit toute sa vie, conservoit sa chambre après l'expiration du terme fixé pour sa bourse, et recevoit alors des honoraires convenables.
Dès le seizième siècle, il survint des changements dans ce collége. Le nombre des bourses y étoit alors réduit à quatorze pour les théologiens, et à quatre pour les artiens. En 1545 le parlement donna un arrêt de réglement pour y faire une réformation, par lequel il ordonna qu'outre le grand-maître, le prieur, le curé, les deux chapelains et les régents, il y auroit à l'avenir dix-huit boursiers théologiens et six artiens, ce qui a été maintenu jusque dans les derniers temps, si l'on en excepte la suppression faite en 1765 d'un chapelain.
En 1757 on avoit fait, à cette maison des réparations considérables; le portail de la chapelle fut reconstruit à neuf; on répara le maître-autel, et cette chapelle, dédiée d'abord sous le nom de saint Firmin[373], prit alors celui de saint Jean l'Évangéliste[374].