Une grande dame de la cour de Louis XV: La duchesse d'Aiguillon (1726-1796)
La première rencontre de d’Aiguillon avec Choiseul: présence d’esprit de la duchesse.—Le régiment du roi: lettre de Mᵐᵉ d’Aiguillon à Louis XV.—Mᵐᵉ Du Barry devient l’alliée de d’Aiguillon.—Maupeou et Terray négociateurs du traité.—D’Aiguillon capitaine-lieutenant des chevau-légers: le «beau cortège» de la duchesse.—Un amoureux fou mais platonique de la Du Barry.—Le déserteur.
Le rédacteur des Mémoires du ministère du duc d’Aiguillon dit que le commandant de Bretagne «visait, en 1768, au ministère». Cette ambition datait assurément de plus loin; car, déjà—toujours d’après les Mémoires—le Dauphin l’avait «porté pour la marine[118]». En tout cas, Choiseul pressentait depuis longtemps dans le duc d’Aiguillon un redoutable rival, puisque, systématiquement, il l’obligeait à rester en Bretagne, ployant sous le faix de l’impopularité, jusqu’à ce que la situation n’y fût plus tenable.
La lutte entre les deux adversaires allait donc s’engager, plus ardente et plus directe, sur un terrain moins éloigné, mais autrement périlleux, celui de la Cour.
Ces hommes s’étaient rencontrés, pour la première fois, dix années auparavant, en complète opposition, dans une circonstance mémorable, où la duchesse d’Aiguillon avait témoigné, pour le plus grand bien de son mari, de cette sagacité et de cet esprit de décision qui la caractérisaient.
C’était dans les premiers jours de janvier 1757. Damiens venait de frapper le roi. La duchesse était restée à Paris, pendant que son mari luttait désespérément contre les États de Bretagne, s’obstinant à refuser les subsides qu’il leur réclamait pour la guerre. Mᵐᵉ d’Aiguillon suivait ces débats irritants, dont le dénouement semblait devoir s’éterniser, quand l’attentat de Damiens fit surgir dans son esprit une inspiration soudaine. Le mercredi 5, à 10 heures du soir, elle expédie à son mari un courrier porteur d’une lettre, qui lui apprend la nouvelle, et lui indique peut-être le parti qu’il en doit tirer. L’homme, voyageant à franc étrier, arrive à Rennes dans la nuit du jeudi au vendredi. D’Aiguillon fait assembler immédiatement les États, trace un tableau à la fois si terrifiant et si émouvant des horreurs d’un tel régicide, qu’en moins d’un quart d’heure les États renoncent à leurs prétentions, accordent au roi plus qu’il ne demande et décident qu’ils «enverront des députés en Cour» attester leur «sensibilité» et leur loyalisme.[119]
D’Aiguillon renvoie aussitôt à sa femme le même courrier avec le résultat de la séance. Et quand les délégués arrivent peu de temps après à Versailles, ils y sont acclamés et fêtés avec un enthousiasme qui tient du délire.
Lorsque le procès criminel fut évoqué devant le Parlement, d’Aiguillon vint y siéger, en sa qualité de pair. De son côté, le comte de Choiseul, alors en mission à Venise, partit aussitôt, pour se rendre à Versailles où il ne tarda pas à se rencontrer avec le duc. Celui-ci, suivant son habitude, très hautain et très rancunier—peut-être avait-il sur le cœur les perpétuelles avanies des États bretons—déclarait formellement que «le fanatisme des énergumènes du Parlement avait armé le bras du parricide et qu’on en avait de bonnes preuves». Il faisait ainsi indirectement sa cour au Dauphin. Le comte de Choiseul répliquait qu’il apportait, lui aussi, des «preuves», non moins «bonnes», mais de Rome, où il avait appris que les jésuites, surtout ceux de la Silésie, n’étaient pas étrangers au crime. Choiseul abondait dans le sens de la Pompadour, qui méditait déjà l’expulsion des Jésuites et qui, en attendant, avait fait déclarer la guerre à la Prusse[120].
Nous avons vu, dans les chapitres précédents, comment cette opposition de principes avait dégénéré peu à peu, chez les deux hommes d’État, en rivalité politique, dissimulée d’abord par l’attitude réciproque du fonctionnaire et du ministre, dans un conflit où l’autorité royale était en jeu. Mais l’un et l’autre, dès qu’ils eurent les mains libres, ne tardèrent pas à démasquer leurs batteries. Les adversaires devinrent des ennemis mortels.
Des conflits d’influence avaient marqué les premières escarmouches. Une coutume, qui n’est pas prêt de tomber en désuétude, voulait que tout ministre gorgeât de faveurs ses créatures. Choiseul n’avait pas manqué à la règle. Et d’Aiguillon[121], qui s’était «morfondu» en Bretagne, pour reprendre l’expression des Mémoires, réclamait énergiquement, mais vainement, des compensations, en raison même du prodigieux surcroît de dépenses qu’avait entraîné pour lui chaque tenue des États. Il avait jeté ses vues sur le Régiment du Roi. Sa femme écrivit directement à Louis XV pour solliciter cette grâce. Comme elle allait toujours droit au but et que son horreur de l’intrigue lui faisait mépriser les petits moyens, elle ne parla ni des tracasseries, ni des humiliations dont le Parlement de Rennes avait abreuvé son mari; elle rappela simplement les services de d’Aiguillon, l’affaire de Saint-Cast et les promesses de Belle-Isle, alors ministre de la Guerre, qui n’avait pu lui accorder le bâton de maréchal, parce qu’il était depuis trop peu de temps lieutenant général, mais qui lui eût réservé la première place vacante. Belle-Isle était mort trop tôt pour tenir ses engagements. La lettre de la duchesse fut remise au roi par la reine.
Mais Duras insinua au contrôleur général Laverdy que l’octroi d’une telle distinction à un personnage aussi impopulaire que l’était d’Aiguillon, ferait renaître les troubles en Bretagne. D’autre part, Choiseul, qui avait son candidat, dit tout haut «à son café»: La reine demande pour M. d’Aiguillon, moi pour M. Du Chatelet, nous verrons qui l’emportera. Et naturellement ce fut le protégé de Choiseul, Du Chatelet, qui eut la préférence: faveur que ne put pardonner au premier ministre le duc d’Aiguillon, chez qui «la suffisance et la prétention» n’avaient d’égale que «la nullité du mérite»—les termes mêmes de Choiseul[122].
Mais l’ancien commandant de Bretagne allait bientôt avoir dans son jeu un atout imprévu qui devait lui assurer une éclatante revanche.
A ce moment même, Mᵐᵉ Du Barry, remarquée du roi à Compiègne, puis «frénétiquement» désirée par lui, se voyait engagée, un peu malgré elle, dans la mêlée des compétitions politiques.
Au dire de Sénac de Meilhan, elle avait chargé un ami de cet intendant de déclarer à Choiseul qu’elle désirait vivre en bonne intelligence avec lui. Le ministre accueillit assez dédaigneusement de telles avances. Il promit, dans les termes les plus vagues, d’accorder les «grâces» qui lui sembleraient justes et raisonnables[123]. En réalité, il détestait et méprisait la nouvelle sultane. Il prétendit, depuis, que le choix du prince l’avait écœuré; il le trouvait indigne d’un «aussi grand monarque». Après la mort de son amie, la marquise, il avait discrètement autorisé, même dans ses entours, les espérances de nobles dames impatientes de la remplacer. Mais aucune n’avait eu l’heur de plaire absolument au roi. Louis XV avait des goûts bourgeois. Son ministre ne chercha pas à les combattre; et le prudent Hardy va jusqu’à dire—toujours suivant son habitude, d’après la voix publique—que Choiseul les encouragea même, mais en opposant «au Soleil levant» (un mot du premier commis Cromot)[124] un astre, un peu moins éclatant, mais cependant de belle apparence, la femme du docteur Millin[125].
Certes la Du Barry n’avait ni la marotte des hautes conceptions politiques, ni les rêves d’ambition mondiale auxquels Mᵐᵉ de Pompadour avait sacrifié les soins d’une santé précaire et la durée d’une vie déjà compromise. Elle était dans tout l’épanouissement d’une saine et triomphante beauté: et, devenue, avec sa joyeuse humeur de bonne fille, son esprit avisé de grisette parisienne et ses appétits de courtisane à la mode, la maîtresse en titre du «plus grand roi du monde», elle trouvait la place à son goût et prétendait la garder. Aussi l’orgueil revêche de Choiseul lui donna-t-il à réfléchir. Et puisque ce ministre hautain lui faisait grise mine, elle chercha autour d’elle d’autres alliés, dût-elle les prendre dans les rangs ennemis.
«A Fontainebleau, dit M. Claude Saint-André, d’Aiguillon arriva, le premier, dans le salon de la favorite, aussi amoureux qu’intéressé[126].»
D’Aiguillon était donc tout indiqué. Mᵐᵉ Du Barry lui accorda ses faveurs, dit nettement Choiseul.
Dans le portrait élégant que, d’après Brissot[127], Mirabeau a laissé de la dame, le célèbre tribun est moins affirmatif. Il avait les meilleures raisons pour ménager un client comme l’était le rival de Choiseul. Aussi écrivait-il: «Le duc d’Aiguillon avait une marche réglée, l’esprit d’ordre, de la suite dans le travail, un plan accommodé aux circonstances (un opportuniste de la veille!). Il était aimable sans être frivole. On prétendait qu’il avait imité le duc de Choiseul, qui commença par lier sa destinée à Mᵐᵉ de Pompadour de la manière accoutumée. Si cela n’est pas vrai, c’est bien vraisemblable; lorsqu’on signe en tête-à-tête un traité d’alliance, il n’est pas à présumer qu’on oublie les préliminaires.»
Le raisonnement est humain. Puis d’Aiguillon savait plaire aux femmes. Qu’il fût le fils de la grosse duchesse ou le neveu de la comtesse de Maurepas, il était, pour l’une comme pour l’autre, un homme délicieux, pourvu de toutes les qualités, orné de toutes les vertus. Dans des régions moins familiales, c’était, en dépit de son teint «jaune», le beau gentilhomme, le séducteur irrésistible.
Quoi qu’il en soit et sans affirmer, avec la coterie des Choiseul, que le duc était l’amant de la Du Barry, ni conclure, comme M. Vatel, qu’il était simplement son ami, leur intérêt commun les avait amenés à signer ce «traité d’alliance» dont parle Mirabeau, et qui, lui, était bien réel.
Deux hommes l’avaient secrètement préparé: le chancelier Maupeou et l’abbé Terray, contrôleur général.
Le premier était une créature de Choiseul. C’était un ambitieux «d’une froide scélératesse», dont le visage, au teint blême, reflétait toute la bassesse d’âme[128]. Choiseul en appréciait cependant l’activité et l’intelligence: «Il n’y a personne, disait-il, plus capable que lui d’être chancelier: au reste, s’il se conduit mal, je le chasserai». Maupeou connut-il le propos? En tout cas, ce fut Choiseul qui fut «chassé» avant Maupeou.
L’abbé Terray, l’âme damnée du chancelier[129], valait moins encore; c’était un audacieux coquin, cynique, impudent, fripon, sans conscience et sans foi, fondant sa fortune et celle de ses entours sur les plus odieuses exactions et sur la dilapidation des deniers publics. Ce qui ne l’empêchait pas, dans son effronterie, d’exagérer le déficit du Trésor, pour en perdre plus sûrement l’agent responsable, le duc de Choiseul.
D’Aiguillon, déjà peu sympathique, entrait donc en rapport avec Mᵐᵉ Du Barry sous les auspices de deux fâcheux parrains. Il est vrai qu’il amenait avec lui l’élite du parti dévot qui comptait parmi ses chefs le maréchal de Richelieu et le duc de la Vauguyon. Et ce n’est certes pas un des spectacles les moins piquants pour l’observateur, que l’aspect de cette jolie et fringante Mˡˡᵉ Lange, marchant, la main dans la main, avec les amis des Jésuites, à l’assaut d’un gouvernement qui, par l’expulsion des fils de Loyola, avait assuré l’avènement de ceux de Jansénius, c’est-à-dire des Parlementaires.
Au reste, la politique a des raisons que l’honnêteté ne connaît pas. Il avait fallu, pour hâter la chute du favori, que l’aimable fille (et c’en était bien une) qu’était la Du Barry, eût pris rang à la Cour, qu’elle fût présentée. Et Belleval, notant un bruit d’antichambre, dit, à la date du 20 décembre 1768, que Richelieu, d’Aiguillon et Bertin, l’un des prédécesseurs de Terray, «mènent la présentation de la comtesse[130]».
L’ambition—suggérée—de la petite modiste devenue grande dame, ne fut complètement satisfaite que le 22 avril 1769. L’opération avait été laborieuse. Quand ce pince-sans-rire de Richelieu avait envoyé, suivant les règles de l’étiquette, le duc de la Vauguyon annoncer officiellement la présentation de la comtesse à Madame Adélaïde, la princesse lui avait brusquement tourné le dos[131].
La protection de la Du Barry (car maintenant elle n’était plus une protégée) arrivait fort à propos pour d’Aiguillon.
Choiseul, sur la demande des États, avait rétabli l’ancien Parlement de Bretagne[132], le 12 juillet 1769, et celui-ci, qui avait encore sur le cœur sa disgrâce, s’entraînait à une campagne de revendications avec l’exilé de Saintes, La Chalotais, non moins vindicatif que ces Bretons, dont les pamphlets toujours virulents, échappaient aux «lacérations» et aux «brûlures judiciaires» indéfiniment réclamées par d’Aiguillon[133].
Le duc obtenait, entre temps, de Louis XV, une compensation qui devait quelque peu adoucir les cuisantes blessures d’un amour-propre si prompt à s’ulcérer.
Il avait jeté son dévolu sur le régiment des chevau-légers. Or, son rival le demandait pour le vicomte de Choiseul. Mais, affirme Belleval, qui paraît bien informé, Mᵐᵉ Du Barry «a parlé très fort au roi pour le duc d’Aiguillon»; et le prince n’a «rien à lui refuser». Au surplus, le candidat de Mᵐᵉ Du Barry «a beaucoup d’esprit et de finesse; il connaît le Roi et la Cour en homme qui l’a pratiquée toute sa vie».
En effet, Louis XV, après les tergiversations dont il était coutumier, s’était décidé à nommer d’Aiguillon au commandement des chevau-légers. La duchesse en fait part, le 24 septembre, à Balleroy: «Ce n’est que d’avant-hier que M. d’Aiguillon a reçu la lettre du roi par laquelle il lui accorde les chevau-légers. Jusque-là, il n’y avait que des apparences et des vraisemblances; et par cela seul, il était bien difficile d’en rien dire et encore moins d’en écrire avec le peu de sûreté de la poste (toujours la hantise du cabinet noir). Vous trouverez sûrement que cette charge est fortement payée: douze cent mille francs! C’est bien de l’argent, mais, par la suite, c’est un si grand avantage pour mon fils que c’est à cela que nous avons sacrifié notre aisance actuelle[134].»
Cependant, la réception tardait: «cela dépend, disait plaisamment la duchesse, de son habit qui est très long à broder[135]».
Pour n’être pas encore officielle, la nomination n’en était pas moins certaine. Le bruit s’en était répandu dans le public et Belleval, qui se savait persona grata, vint complimenter le nouveau commandant[136], mais d’Aiguillon, toujours mystérieux et toujours cachottier, l’accueille d’un propos narquois:
—Il y a donc des sorciers dans votre pays; et peut-être en êtes-vous un?
Belleval insiste: il se porte garant de la respectueuse sympathie de ses camarades.
—Peut-être, fait d’Aiguillon qui, vraisemblablement en Bretagne, est devenu Normand; je ne dis ni oui, ni non. En attendant, mon cher marquis, gardez au dedans de vous-même l’impression que peut faire naître notre conversation et n’en sonnez mot à personne. Soyez persuadé que je serai particulièrement charmé, si je suis votre capitaine, de pouvoir m’occuper de vous satisfaire et de vous être agréable.
Voilà bien le grand seigneur, cérémonieux et méfiant que nous connaissons, multipliant les chut! chut! autour d’un secret qui est, en somme, celui de Polichinelle.
Mais son bel habit est enfin brodé; et la réception officielle fut un triomphe pour le mari et... pour la femme. La duchesse est aux anges, et son écriture n’en est que plus illisible.
Fontainebleau, 20 octobre 1769.
«... M. d’Aiguillon est tout à fait en possession de la compagnie de chevau-légers. Il a été reçu mercredi. Voici comment cela s’est passé.
La troupe a monté à cheval à 10 heures, ayant à leur tête les officiers de service actuel. Deux de ceux qui n’en sont pas sont venus prendre M. d’Aiguillon et sont montés à cheval avec lui pour rejoindre les autres. Le roi est venu à 11 heures à cheval. M. d’Aiguillon l’a suivi et s’est rangé à côté de lui, en face de la troupe à qui le roi dit:
—Mes chevau-légers, je vous donne mon cousin le duc d’Aiguillon pour capitaine-lieutenant; et je vous ordonne de lui obéir en ce qui concerne mon service.
Ensuite, en partant, le roi lui a fait un geste de la main rempli de bonté. Les maréchaux de Soubise et de Richelieu se sont avancés et ont reçu son serment: après quoi, il s’est mis à la tête de la troupe et l’a emmenée au pas. Il leur a donné à dîner. En tout ils étaient 80.
J’ai été les voir, quand ils sont sortis de table, et leur ai dit toutes les gentillesses dont j’ai pu m’aviser: je me suis rappelé toute ma coquetterie des États... Ils m’ont ramenée chez moi et j’ai traversé toutes les rues à leur tête, ce qui faisait un beau cortège. Voilà une description exacte...»
En tout cas, elle ne manque pas d’un certain brio, qui était bien dans le caractère ferme et décidé de la duchesse; mais nous ne voyons pas que le beau régiment ait donné, avec la fougue brillante qui lui était familière, le temps de galop traditionnel en pareil cas. Le duc «l’a emmenée au pas». Un court billet de la duchesse nous révèle le secret de cette paisible allure.
«M. d’Aiguillon est encore à Fontainebleau. Il en revient mardi, escortant le Roi à la tête des chevau-légers. Il prendra Sa Majesté à la Cour de France et la conduira jusqu’à Choisy: la course est un peu forte, n’étant pas habitué d’être à cheval. Aussi j’ai de l’impatience qu’elle soit finie. Il donne, en attendant le roi, une halte aux troupes qui sont d’autant plus sensibles à cette attention, qu’ils ne sont pas gâtés sur cet article, M. de Chaulnes (son prédécesseur qui venait de mourir) ne leur ayant jamais donné un verre d’eau[137].»
Belleval rend compte, lui aussi, dans ses Souvenirs, de la cérémonie d’investiture, mais en termes techniques et surtout plus concis. Par exemple, il nous en apprend ce que dut ignorer Balleroy de sa correspondante, les préliminaires; et l’information est d’autant plus vraie qu’il la tient de Mᵐᵉ d’Aiguillon elle-même[138]. Il était constant que le roi avait promis à Choiseul les chevau-légers pour le vicomte, son parent; et quand Mᵐᵉ Du Barry vint le harceler avec la candidature de d’Aiguillon, il ne sut comment se dédire vis-à-vis d’un ministre qui exerçait encore sur lui un si grand empire. Il opposa à sa maîtresse sa parole:
—Tant mieux, répliqua Mᵐᵉ Du Barry; c’est une raison pour me l’accorder. Ne faut-il pas punir Choiseul de ses méchancetés à mon égard?
Le roi ne put réprimer un sourire.
—Allons, allons, dites à M. d’Aiguillon qu’il a ma parole.
C’était Mᵐᵉ Du Barry qui avait rapporté la conversation à la duchesse. Et Belleval, en la consignant pieusement dans son journal, de l’appuyer de cette conclusion doucement ironique: «Ce qui prouve que les paroles des rois ne sont pas toujours des paroles d’évangile».
Au reste, n’ayant qu’à se louer de la bonhomie bienveillante de son commandant, alors qu’il voyait en Choiseul un grand seigneur si hautain et si sec, Belleval glisse légèrement sur la nature des relations qui s’étaient établies entre d’Aiguillon et la Du Barry. Il les tient plutôt pour deux alliés devenus deux amis. Et si la comtesse se rend aussi fréquemment chez la duchesse, c’est en raison du sentiment très vif que celle-ci lui inspire, du fait même de son accord avec le duc.
Mᵐᵉ d’Aiguillon n’est pas moins discrète. A peine cite-t-elle une ou deux fois, et incidemment, le nom de Mᵐᵉ Du Barry dans ses lettres à Balleroy. Nous aurons l’occasion de reparler de son attitude à la Cour devant la favorite, attitude qu’on sent commandée par le mari, mais qui n’était pas dépourvue d’une certaine gratitude affectueuse. Si d’Aiguillon était monté jusqu’au faîte des grandeurs, c’était bien à Mᵐᵉ Du Barry qu’il le devait.
Et il a fallu que cette femme, en dépit de l’obscurité de sa naissance, de l’indignité de ses débuts et du laisser-aller de sa vie à la Cour, eût encore des qualités de charme et de bonté exceptionnelles, pour que les libellistes qui la traînèrent si volontiers dans la boue, en aient éprouvé quelque remords: car leurs pamphlets ignominieux rapportent des faits qui sont tout à la louange de la favorite royale.
Bien avant M. Vatel, dont le livre restera classique, Belleval commença la réhabilitation—quoique le mot soit un peu gros—de Mᵐᵉ Du Barry à laquelle il avait voué un culte, qui fut presque de l’adoration, dans des circonstances qu’il n’est pas inutile de faire connaître.
Un de ses camarades, nommé Carpentier, pris d’un subit accès de folie, avait déserté avec armes et bagages. Il avait été bientôt arrêté, jugé et condamné; il devait, dans les vingt-quatre heures, avoir «la tête cassée», comme on disait alors. Carpentier était très aimé du régiment; ses camarades s’émurent et Belleval, qu’on savait au mieux avec d’Aiguillon, «courut» à son hôtel lui demander la grâce du déserteur.
—Ce n’est pas par moi, lui répondit le duc, que vous l’obtiendrez du roi, mais par Mᵐᵉ Du Barry. Revenez tantôt avec votre supplique et je vous mènerai chez elle.
A l’heure indiquée, Belleval, en grand uniforme, est reçu par d’Aiguillon qui l’attendait et l’introduit chez la favorite, «comme un homme devant qui les portes sont toujours ouvertes».
Quand Belleval pénétra dans le sanctuaire, ce fut pour lui un éblouissement.
«Elle était, dit-il, nonchalamment assise, plutôt même couchée dans un grand fauteuil et avait une robe fond blanc, à guirlande de roses que je vois encore. Mᵐᵉ Du Barry était une des plus jolies femmes de la Cour... et certainement la plus séduisante par la perfection de toute sa personne. Ses cheveux qu’elle portait souvent sans poudre étaient du plus beau blond. Ses yeux bleus, bien ouverts, avaient un regard caressant et franc qui s’attachait sur celui à qui elle parlait et semblait suivre sur son visage l’effet de sa parole. Elle avait le nez mignon, une bouche petite et une peau d’une blancheur de la santé.
«Enfin on était bientôt sous le charme et c’est ce qui m’arriva si fort que j’en oubliai presque ma supplique dans le ravissement où j’étais de la contempler. J’avais vingt-cinq ans alors. Elle s’aperçut bien de mon trouble que d’ailleurs le duc d’Aiguillon lui fit remarquer avec beaucoup de finesse et en lui tournant un compliment comme il savait les faire.»
Belleval se ressaisit et présenta sa requête avec une éloquence si pressante, eu égard au peu de temps dont il disposait, que Mᵐᵉ Du Barry lui promit de parler immédiatement au roi, lui laissant espérer la grâce de son protégé.
—Monsieur le duc, ajouta-t-elle, sait bien que ses amis sont aussi les miens et je le remercie de ne pas l’oublier.
Puis, après quelques questions obligeantes sur la famille de Belleval et ses états de service, elle congédia les deux auditeurs en disant au jeune officier qu’il «aurait bientôt de ses nouvelles».
«Elle tendit la main au duc d’Aiguillon qui la baisa en lui disant:
—C’est pour le capitaine-lieutenant. N’y aura-t-il rien pour la compagnie?
Ce qui la fit rire et me valut la même faveur qu’au duc.»
Naturellement le déserteur fut gracié[139].
Comment s’étonner si, après une telle audience, Belleval devint un adorateur passionné de cette Déesse... des petits Appartements!
VIII
Le Conseil accorde à d’Aiguillon l’évocation de son procès de Rennes devant le parlement de Paris.—Appui prêté par Mᵐᵉ Du Barry, malgré la résistance de Louis XV.—Le mémoire justificatif de Linguet; un collaborateur masqué; récompense de Marmontel.—La procédure du parlement de Paris.—Trêve matrimoniale.—Incidents.—Reprise des séances: récit de Mᵐᵉ d’Aiguillon.—Le roi arrête le procès.—La vengeance du parlement.—D’Aiguillon entaché.
Les Mémoires secrets publiaient, à la date du 12 mars 1770[140], comme information, qu’on venait d’imprimer furtivement «la procédure de Bretagne, ou procès extraordinairement instruit et jugé, au sujet d’assemblées illicites, discours injurieux, subornation de témoins, complots de poison et incident de calomnies, précédé d’un discours préliminaire, où le duc d’Aiguillon est représenté comme l’ennemi implacable, l’instigateur et presque le bourreau de six exilés, un sujet indigne de la confiance de son prince, un chef de conjurés, un suborneur de témoins, le fauteur d’un projet d’empoisonnement, le complice et peut-être même le premier auteur de ces crimes».
Autant déclarer avec le fabuliste que la mort était seule capable d’expier de tels forfaits.
Choiseul n’allait pas jusque-là; car, si, dans les Mémoires qui parurent sous son nom, en 1790[141], il dit, à propos de cette instance judiciaire: «J’ai cru que M. d’Aiguillon était déshonoré et je le regarde encore comme tel», il ajoute, par manière de correctif: «mais je n’ai jamais cru qu’on pût le faire pendre». Il plaide même, avec une sorte de pitié dédaigneuse, les circonstances atténuantes en faveur d’un adversaire qui, victime d’un atavisme vaguement défini, n’est peut-être pas entièrement responsable de son indignité: «Il avait porté dans son commandement le caractère malheureux de despotisme, de basse vengeance et même de cruauté avec lequel il était né.» Mais Choiseul ne l’était-il pas, lui aussi, responsable de ces prétendus excès de pouvoir, pour en avoir si longtemps maintenu l’auteur dans son commandement?
La situation devenait donc, sinon menaçante, du moins irritante pour d’Aiguillon. Maupeou, par politique, beaucoup plus que par sympathie pour le rival de Choiseul, estima que le procès devait être évoqué devant le parlement de Paris; et, comme Maupeou, d’Aiguillon demanda et obtint du roi, le 24 mars, cette juridiction qui était celle de ses pairs[142].
Ce n’était pas sans peine que le Conseil s’était arrêté à cette solution. D’abord le parlement de Rennes, à qui Louis XV avait énergiquement refusé le rappel des La Chalotais, n’entendait pas qu’on lui infligeât encore une nouvelle déception, en lui retirant le procès de M. d’Aiguillon, cette proie sur laquelle il s’était rejeté avec délices. Jusqu’au 17 mars, il s’obstinait à ne point s’en dessaisir, sachant de reste que nombre de parlementaires parisiens étaient de cœur avec lui[143].
D’Aiguillon, lui, ne pouvait oublier qu’à deux reprises différentes, en 1767 et 1769, il avait supplié le roi de lui laisser porter devant ses pairs une plainte en règle contre ses accusateurs, et que chaque fois le Conseil lui avait répondu par une fin de non-recevoir. Mais, aujourd’hui, en présence de ces histoires de brigands auxquelles semblait croire le duc de Choiseul, il ne pouvait point ne pas rompre ce silence, que le roi, dans son horreur de tout bruit, avait si souvent exigé de la longanimité de son représentant. Le maréchal de Richelieu et la comtesse de Forcalquier—une amie bien chère[144]—appuyaient les revendications de l’ancien commandant de Bretagne:
—Il lui faut, disaient-ils, une justification triomphante.
Dans le principe, Maupeou avait longtemps hésité: il savait le secret des répugnances royales; et ce «Pantalon au regard faux et perfide», comme l’appelait Sénac de Meilhan, mais déjà tacticien consommé, se demandait peut-être l’avantage qu’il pouvait tirer du salut ou de la perte d’un homme que protégeait si visiblement la sultane favorite.
Ne lui avait-elle pas déjà donné une preuve indéniable de sa bienveillance, alors qu’il négociait l’achat des chevau-légers[145]? D’Aiguillon sut l’amener à lui en ménager une nouvelle, à cette heure décisive pour sa fortune. Richelieu, adroit et complaisant, obtint de Mᵐᵉ Du Barry des entrevues, où, sous prétexte de l’intéresser à un procès, qu’au dire des contemporains elle eut toujours beaucoup de mal à comprendre, d’Aiguillon continua sur elle ce travail d’emprise qui devait le conduire au pouvoir. «Doucement tendre, peu à peu, il s’empara d’elle. Sa mère, la vieille duchesse, «au regard fol», plaida aussi la cause de son fils, avec une éloquence passionnée» qui parvint à convaincre la comtesse[146].
Tant d’influences, et de si diverses natures, finirent par l’emporter. Maupeou et les autres ministres opinèrent en faveur de d’Aiguillon.
—Vous le voulez, dit Louis XV, qui fit un dernier semblant de résistance, au Conseil du 24 mars; vous verrez ce qui arrivera.
Maupeou le pressentait peut-être.
Toujours est-il que des lettres patentes ordonnèrent au parlement de Rennes de passer les procédures à celui de Paris, qui fut convoqué, à Versailles, où devait s’ouvrir, le 4 avril, ce procès célèbre, prélude d’un plus célèbre encore.
La première séance fut solennelle et magnifique: nos pères aimaient l’apparat judiciaire. Le 7 avril, le procureur général concluait—et l’assemblée adopta cette solution—à l’annulation des procédures de Bretagne. Tout était à recommencer; informations, réassignations et auditions de témoins; et du 16 avril au 7 mai, ce fut une série interminable de dépositions—entre autres, celles d’Hévin et de Cornulier de Lucinière—rebrassant, avec quelle animosité, les accusations d’assassinat, des crimes les plus vils et les plus odieux, qui mettaient infailliblement d’Aiguillon au ban de la société. L’émotion fut intense. Maupeou se rappela le mot du roi: car ce n’était pas seulement le procès d’un agent de l’autorité, mais celui de cette même autorité qui s’instruisait en public.
«Le gouvernement, écrit Linguet, à titre d’avocat-conseil, était donc forcé d’arrêter cette explosion formidable.»
D’Aiguillon avait, en effet, choisi pour rédiger les mémoires justificatifs qu’il voulait présenter au parlement, cet homme, dont la personnalité stimulait déjà singulièrement la curiosité publique. Assez froidement accueilli, lors de ses débuts, par d’Alembert qui s’était défendu d’appuyer sa candidature à l’Académie, Linguet avait juré une haine éternelle aux Encyclopédistes. Il avait fait une active campagne contre leurs idées philosophiques et leurs doctrines d’économie politique, dans des livres où il avait donné libre cours à la fougue de sa polémique outrancière qu’avivait encore l’âpreté d’un esprit naturellement paradoxal et sarcastique. Puis, estimant sans doute que ses contemporains ne lui décernaient pas assez de couronnes, il se fit inscrire au barreau, où son plaidoyer en faveur du chevalier de la Barre—cher pourtant aux philosophes—avait trouvé, à juste titre, nombre d’approbateurs, quand d’Aiguillon lui confia sa défense.
S’il faut en croire un passage fort intéressant des Mémoires[147] de Marmontel, le duc ne fut que médiocrement satisfait du travail de Linguet; il en déplorait le ton déclamatoire et le verbiage ampoulé. C’étaient ses propres expressions qu’un certain Garville, «honnête homme» et grand ami de la Clairon, citait à Marmontel, chez Mᵐᵉ Geoffrin.
—J’ai appris, disait-il, à connaître M. d’Aiguillon au cours de mes voyages en Bretagne et je suis convaincu que le procès qui lui est intenté est tout simplement «une affaire de parti et d’intrigue. Malheureusement il n’a pu trouver pour avocat qu’un enfant perdu», Linguet, «de qui le talent n’est pas encore formé».
C’était le duc d’Aiguillon qui parlait, en ces termes, à Garville de son défenseur et du mémoire qui l’avait si fort mécontenté.
—Mais, lui répliquait son interlocuteur, «voyez un homme de lettres...»
—Ils sont tous contre moi, interrompait le duc.
C’est alors, dit Garville, en s’adressant à Marmontel, que je «vous ai nommé comme un ennemi-né de l’injustice et du mensonge».
Aussitôt le duc d’embrasser Garville: «Vous me rendrez le plus grand des services, si vous engagez M. Marmontel à travailler à mon mémoire».
L’invite était formelle et pressante; et peut-être bien la rencontre de «l’homme de lettres» avec le confident de M. d’Aiguillon n’était-elle pas aussi fortuite que semble vouloir le dire le narrateur.
En tout cas, Marmontel déclare solennellement:
«—Ma plume ne se refuse pas à servir une bonne cause. Je veux connaître celle du duc d’Aiguillon pour savoir si je dois travailler pour lui: qu’il me confie ses papiers. Je m’emploierais de même à servir la cause de l’homme du peuple (toujours l’humanitarisme vrai ou faux du XVIIIᵉ siècle!). Je ne mets à mon acquiescement que deux conditions, que le secret me sera gardé et qu’il ne sera jamais question de lui à moi de remercîments ou de reconnaissance; je ne veux même pas le voir.»
Le petit couplet en l’honneur de la fierté et de l’indépendance du lettré serait le plus joli du monde, s’il n’avait reçu, et même dans cette occurrence, de forts accrocs, hélas! trop humiliants pour le siècle de la philosophie.
Donc, dès le lendemain, Garville apporte les papiers. Marmontel y découvre la preuve que «le procès n’est qu’une persécution suscitée par des animosités personnelles». Il prend alors le mémoire de Linguet, le «refond, y met de l’ordre et de la clarté, en élague les métaphores incohérentes», complète enfin le travail d’un «nouvel exorde (celui de Linguet était trop impertinent) et d’une conclusion également nouvelle, la première n’étant pas suffisamment serrée».
D’Aiguillon, enchanté, «fait venir Linguet et le prie d’adopter les changements» qu’il a introduits dans le mémoire.
Linguet jette feu et flamme: «C’est, dit-il, un homme de l’art qui a mis la main à mon ouvrage: vous voulez me déshonorer, car je n’entends être l’écolier de personne. Cherchez un avocat qui veuille être le vôtre: ce n’est plus moi.»
D’Aiguillon, le personnage si hautain et si vaniteux, se voit obligé de subir ces rebuffades, «puisqu’il ne pouvait trouver d’autre avocat». Il finit donc par apaiser Linguet, qui reprend son mémoire pour y mettre la dernière main. Il refait l’exorde et la conclusion, mais il conserve l’ordre suivi par Marmontel et ne rétablit pas les bizarreries de style biffées par le correcteur.
Nous avons cru qu’il ne serait pas indifférent au lecteur de connaître le dénouement de cet épisode de la vie littéraire au XVIIIᵉ siècle.
Linguet, écrit Marmontel, parvint à savoir le nom du confrère qui avait ainsi rhabillé sa prose: il fut dès lors «son plus cruel ennemi».
Quant à Marmontel qui, si l’histoire est exacte, serait le premier apôtre de la réhabilitation du commandant de Bretagne, il ne tarda pas, de son propre aveu, à rabattre quelque peu de son attitude républicaine vis-à-vis le duc d’Aiguillon. L’obligeant Garville redoubla si fort ses instances qu’il décida Marmontel à venir dîner chez son client de circonstance; et celui-ci, quelque temps après, lui adressait, manu propria, ce succulent poulet:
«Je viens, monsieur, de demander pour vous au roi la place d’historiographe de France, vacante par la mort de M. Duclos. Sa Majesté vous l’a accordée. Je m’empresse de vous l’annoncer. Venez remercier le roi.»
Quoi qu’il en soit, le «secret» exigé par Marmontel fut bien «gardé»; car les malicieux rédacteurs des Mémoires dits de Bachaumont, toujours à l’affût des échos scandaleux, ne soufflent mot de ce passage à la teinture de l’œuvre de Linguet. Lorsqu’ils signalent l’apparition de celle-ci dans leur article du 21 juin 1770, ils démontrent, quoique plutôt hostiles à l’ancien commandant de Bretagne, avec quelle habileté l’avocat avait fait valoir la cause de son client. D’après Linguet, le duc avait su concilier les exigences de l’Etat avec les intérêts de la province, à tel point que ses ennemis eux-mêmes n’avaient osé lui refuser leurs éloges; mais le défenseur n’avait pu «dissimuler que, dans la septième tenue des États, en 1768, le duc d’Aiguillon n’eut pas le même succès et que, le trouble parvenu à son comble, il crut devoir, par une retraite prudente, prévenir un plus grand et plus long désordre».
C’était alors la conviction qu’avait l’avocat[148] ou qu’il prétendait avoir. Car, depuis, quand il fut en contestation avec le duc pour le chiffre de ses honoraires, il s’infligea à lui-même le plus sanglant démenti dans des invectives restées classiques: palinodie écœurante, que constate, non sans une joie maligne, dans ses Souvenirs, Brissot de Warville, et qu’y vient confirmer une anecdote des plus piquantes. Le futur conventionnel avouait, en effet, que d’Aiguillon «défendu par les mémoires de Linguet ne lui semblait pas coupable» et il les appelle, ces «mémoires», un «monument éternel de honte et d’infamie». A Mᵐᵉ Lem qui les lui avait reprochés, Linguet n’avait-il pas eu le cynisme de déclarer:
«—Pourquoi les États de Bretagne ne se sont-ils pas adressés à moi? Je les aurais défendus![149]»
Le parlement de Paris avait pris en main leur cause, de façon si ostensible, et dans un esprit de malveillance si prononcé contre d’Aiguillon, que, le 8 mai, le chancelier enjoignait, de l’ordre du roi, au premier président d’apporter la grosse de l’information, close la veille. Le 9, le parlement obéissait, mais avec cette raideur dont il était coutumier: il usait de son arme familière,—les remontrances—pour déclarer solennellement que «l’honneur ne se rétablit pas par voie d’autorité» et qu’«interrompre la procédure serait porter préjudice à l’accusé, au bien de la justice et au service du roi».
Une trève de courte durée interrompit ces premières hostilités.
Louis XV mariait le Dauphin, son petit-fils, avec l’archiduchesse d’Autriche, Marie-Antoinette, fille de l’impératrice-reine Marie-Thérèse. Dans les fêtes mêmes qui marquèrent cette nouvelle alliance entre deux maisons si longtemps rivales, les ennemis de d’Aiguillon trouvèrent amplement matière à exercer leur malignité contre l’ancien commandant de Bretagne. Ils se montraient dans les allées, brillamment illuminées, du parc de Versailles, alors que Choiseul donnait le bras à la princesse de Beauvau[150], d’Aiguillon offrant gracieusement le sien à l’ancienne maîtresse du Roué. Et qui sait? peut-être signalèrent-ils le couple odieux, par une allusion perfide, à l’adolescente, qui, devenue femme et plus tard reine de France, devait envelopper dans la même exécration le favori et la favorite de Louis XV. Car, si chastement que l’eût élevée sa mère, la future Dauphine ne pouvait ignorer en quel milieu les exigences de la diplomatie l’appelaient à vivre. Mais, Marie-Thérèse, qui avait un sens politique si développé, lui avait recommandé une extrême prudence, la meilleure forme de déférence que la jeune épousée dût observer envers un roi et un vieillard.
S’il faut en croire les Anecdotes de la comtesse Du Barry[151] qui parfois sont bien informées, des émissaires de M. de Choiseul auraient tenté de dissuader la maîtresse du roi d’assister à l’«entrée» de la Dauphine; ces officieux l’engageaient même à prétexter une saison à Barèges, pour éviter une rencontre qui pourrait désobliger la jeune princesse.
—Ah! madame, lui dit Richelieu, ignorez-vous les dangers de l’absence?
Et d’Aiguillon d’appuyer fortement l’argumentation de son cousin.
«Ils avaient raison, conclut le rédacteur des Anecdotes; car la chose se passa fort bien.»
En apparence peut-être, mais nous ne serions pas autrement surpris si les intrigues de cour, toujours souterraines et mystérieuses, n’avaient agi dans le sens que nous indiquions plus haut.
Les fêtes officielles du mariage étaient à peine terminées que le parlement, impatient de reprendre la piste, faisait prier le roi, le 26 mai, de lui donner son jour pour prononcer sur deux requêtes qu’il avait reçues, l’une de d’Aiguillon, l’autre de la Chalotais qui se portait partie civile.
—Je répondrai, dit Louis XV, quand j’aurai la grosse de la seconde information.
Le parlement s’ajourne au 19 juin, mais avec le vague pressentiment que se préparait un coup de force, d’ailleurs proposé au Conseil par Maupeou.
Le 19, les gens du roi viennent annoncer que le prince «parlerait» le 27. Louis XV ne «parla» que le 28.
Ici nous laisserons «parler» aussi Mᵐᵉ d’Aiguillon: car elle a très véridiquement retracé la physionomie de la journée. Dès le lendemain, le 29, elle écrit au chevalier; elle est encore sous l’impression de l’événement; et l’émotion qu’elle en éprouve n’altère ni la fermeté de son esprit, ni la souplesse de sa belle humeur. Elle montre combien, dans ces heures critiques, elle reste à la hauteur de son devoir, multipliant ses bons offices auprès de son mari et prêchant d’exemple, par son attitude énergique, mais enjouée, à cet homme que semble effarer la nécessité de prendre une décision.
Elle dit tout d’abord à son confident combien elle est «affairée, quoique n’ayant rien à faire» et s’excuse d’être en retard avec lui: ne s’est-elle pas «persuadée que qui n’écrit pas de mémoires, ne doit pas écrire?»
Mais, par contre, ce qu’elle en lit! «Tout autre genre de littérature est banni de chez moi: le code et le code criminel, voilà les livres que l’on trouve dans mon boudoir et sur ma toilette.» Aussi dans quelle solitude vit-elle! «Depuis votre départ, je n’ai vu qui que ce soit le soir: je reste seule jusqu’à dix heures, dix heures et demie que M. d’Aiguillon revient et cause avec moi jusqu’à près de minuit.» Comme son mari rentre très fatigué—elle n’ose dire très déprimé—elle s’efforce de le distraire: elle court toute la journée «pour attraper quelques nouvelles ou quelques histoires qui puissent l’amuser un moment[152]».
Mais, sous ce badinage de surface, sa perspicacité reste toujours en éveil et son raisonnement immuable: «Ce qui peut nous arriver de mieux serait d’être jugé.»
Malheureusement «le ministère n’a pas pensé de même» ajoute-t-elle sans commentaires. Et elle résume, à l’intention de son correspondant, les divers épisodes du «lit de justice» qui s’est tenu la veille, «pour faire enregistrer les lettres patentes par lesquelles le roi arrête la procédure et défend de la continuer». Là-dessus, «le chancelier a fait un beau discours» (la pointe d’ironie est à peine sensible) pour expliquer la pensée du prince. «Le roi, dit-il, qui n’avait pas permis à M. d’Aiguillon, l’an passé, malgré ses instances, de rendre publiques les requêtes qu’il lui avait présentées, a voulu, cette année, savoir quelles étaient les accusations. Il a permis, en conséquence, que les instructions se fissent avec le plus grand appareil judiciaire. Mais, très surpris de voir que quelques témoins avaient parlé de choses étrangères au sujet et compromis ainsi l’administration, il défendait la suite de cette affaire et ordonnait le silence le plus absolu.»
Ici se place un incident assez piquant:
«Comme, au moment de l’enregistrement, le duc d’Orléans avait paru y mettre quelque obstacle, le roi lui a dit qu’il lui permettait ainsi qu’aux autres pairs d’aller au Palais, mais qu’il lui ordonnait, au cas où l’on parlerait de cette affaire, de lever le siège et de sortir.»
Une consolation restait à la duchesse, c’est que «dans les lettres patentes, le roi disait qu’il n’avait jamais vu dans la conduite de M. d’Aiguillon que le plus grand zèle pour son service et pour le bien de l’État[153]».
Pas plus qu’elle, aucun des amis, ni même des ennemis de M. d’Aiguillon n’avait été dupe de cette solution inattendue. En vain, Louis XV avait-il justifié publiquement le représentant de sa politique; en vain, pour lui donner une preuve nouvelle de sa confiance, l’avait-il emmené souper avec lui à Marly. Le duc n’en était pas moins victime d’un déni de justice. Et son entourage en exprimait très haut son mécontentement; Mᵐᵉ Du Deffand le note dans ses lettres. Le chevalier d’Abrieu, secrétaire intime de d’Aiguillon, de Laigle, le vicomte de Barrin, Becdelièvre, Tinténiac et combien d’autres déplorent un tel dénouement[154]. De la Guerre en écrit à la duchesse. Tous stigmatisent la perfidie de Maupeou qui a voulu faire coup double, et contre d’Aiguillon, et contre le parlement.
Voltaire, lui-même, écrit que le duc d’Aiguillon fut victime d’une persécution publique et acharnée presque semblable à celle dont mourut Lally. Avait-il oublié par hasard la galéjade que lui avait inspirée le cure-dent de la Chalotais? Ou ne vaut-il pas mieux croire qu’il obéissait au premier élan de son cœur qui le portait d’instinct vers les victimes de l’injustice et de la calomnie? Et puis l’affection, un peu aveugle, qu’il avait toujours vouée à Richelieu, ne pouvait-elle rejaillir sur un des plus proches parents de son héros?
Pour nous, autrement précise est l’opinion de Condorcet, quand il écrit à Turgot, le 29 juin, le même jour que la duchesse à Balleroy: «S’il est vrai que le parlement de Rennes l’ait (le duc d’Aiguillon) calomnié en 1764 et n’ait cessé de le faire calomnier depuis, j’avoue que la haine parlementaire est aussi cruelle que le despotisme ministériel[155].»
Cette «haine parlementaire» allait singulièrement justifier l’appréciation, presque prophétique, de Condorcet.
La duchesse, dans sa lettre à Balleroy, qui dut partir fort tard le 29 juin, disait que le jour même, le parlement avait tenu une très longue séance de onze heures du matin à neuf heures et demie du soir. Le résultat en était resté indécis et confus: «Vingt avis s’étaient ouverts plus biscornus les uns que les autres et plus impertinents envers le roi.» De guerre lasse, on s’était ajourné au lendemain. Mais la duchesse prenait facilement son parti d’orages qu’elle avait vus tant de fois au-dessus de sa tête: «C’est l’affaire du roi, écrit-elle, ce n’est plus la nôtre... Nous allons partir bientôt pour Véret.»
Pouvait-elle prévoir le coup de tonnerre qui allait si brusquement retentir par tout le royaume?
Le 2 juillet, le parlement assemblé sans les princes et les pairs qui s’étaient, sur les ordres de Louis XV, abstenus de siéger, rédigeait les remontrances et l’arrêt, dont il devait être, dans un avenir prochain, le mauvais marchand.
Il s’élevait contre l’abus de pouvoir qui interrompait le cours de la justice, violait les formes les plus précises et garantissait l’impunité aux gouverneurs de province; il retenait ces dépositions qu’avait frappées de suspicion le gouvernement et, sans débats, sans même que l’accusé eût été entendu, il fulminait cet arrêt célèbre qui entachait d’Aiguillon et l’excluait des fonctions de la pairie; «ces lettres patentes à lui données par le roi, étaient des lettres d’abolition».
On eût dit que l’auteur de la Lettre d’un gentilhomme breton, le plus vigoureux des pamphlets dirigés contre le commandant de Bretagne, avait eu comme le pressentiment de cet arrêt inique et l’avait frappé, par anticipation, de flétrissure, quand il déclarait que retenir les La Chalotais en exil, après les avoir pour ainsi dire réhabilités, était un déni de justice: «Les commencements de preuves, déclarait le pamphlétaire anonyme, ne sont pas des preuves».
Cet aphorisme, bien qu’émané d’un adversaire, se retournait contre l’arrêt du parlement; car c’était également un déni de justice que d’avoir noté d’infamie le duc d’Aiguillon, en violant, avec une telle désinvolture, les lois de la raison et de l’équité[156].
Mais, dans ces affaires de Bretagne, les illégalités ne se comptaient déjà plus.
IX
Riposte de Maupeou: cassation de l’arrêté.—Pluie de couplets et d’anecdotes satiriques.—Avanies prodiguées à Mᵐᵉ Du Barry.—Insolences et mécomptes des parlementaires bretons d’après Mᵐᵉ d’Aiguillon.—La journée du 3 septembre.—Louis XV revient aux traditions de son bisaïeul.—Le sac du roi et le char de la blanchisseuse de d’Aiguillon.—Indulgence et pitié.—Le Parlement de Paris courbe la tête.—Mᵐᵉ d’Aiguillon et ses «chers Bretons».
L’arme qui blessait d’Aiguillon atteignait du même coup la royauté. Maupeou, tout satisfait qu’il dût être de la flétrissure du fonctionnaire, ne pouvait cependant admettre qu’elle s’étendît jusqu’au prince. Aussi envoyait-il à Saint-Hubert, pavillon de chasse où séjournait volontiers Louis XV, l’arrêté du parlement avec un projet de cassation que signa le roi et que le chancelier envoya immédiatement à l’impression.
Cette riposte de Maupeou ne suffisait pas à laver d’Aiguillon de la honte qu’il avait subie et que n’avait su lui éviter Mᵐᵉ Du Barry, si bien préparée pourtant à ce rôle de sauveteur. La malignité des libellistes en prenait texte pour cribler d’épigrammes la protectrice et le protégé. Un couplet de vaudeville, écrit «sur l’air du Déserteur» fait dire au duc:
Je jouis de la faveur.
Grâces aux soins d’une amie,
J’en suis quitte pour l’honneur[157].
Le duc de Brissac prétendait que d’Aiguillon «avait sauvé sa tête, mais qu’on lui avait tordu le col». Et Maurepas qui ne laissait jamais échapper l’occasion de placer un mot, fût-ce aux dépens d’un parent ou d’un ami, ajoutait: «Je crains bien que de tout ceci, il ne reste à mon neveu que le jaune[158].» On sait que d’Aiguillon avait le teint safrané.
Louis XV le voyait d’une autre couleur.
«—Comme il est pâle! disait-il, à son petit lever, en l’apercevant de loin.
—Votre Majesté juge toujours les gens bien favorablement, répliqua le duc d’Ayen: tout le monde le voit bien noir[159].»
Un mauvais plaisant eut, paraît-il, l’audace d’envoyer à d’Aiguillon un dégraisseur auquel il persuada que le duc était très sourd et qui lui cria en présence d’une brillante assemblée: «On m’a dit que vous me demandiez pour laver les taches qui sont sur votre cordon bleu[160]».
Des faits autrement graves que le colportage de couplets ou d’anecdotes satiriques ne pouvaient échapper à l’observation du principal intéressé. La future reine de France, qui n’avait pas encore atteint sa quinzième année, était manifestement prévenue contre Mᵐᵉ Du Barry: il ne manquait pas de bonnes volontés pour remplir cet office, ne fût-ce que celle de M. de Choiseul, d’autant mieux écouté de la Dauphine, que la fille de Marie-Thérèse devait son mariage à ce partisan résolu de l’alliance autrichienne. Aussi, dès le 9 juillet, donnait-elle à sa mère cette impression de la Du Barry, qu’«elle était la plus sotte et la plus impertinente créature qui fût imaginable». Marie-Antoinette s’était trouvée à côté d’elle au jeu du roi: «elle lui avait cependant parlé quand il le fallait[161]».
De leur côté, les ennemis de d’Aiguillon entendaient profiter de leur victoire. L’arrêt du Parlement était à peine rendu, qu’ils le répandaient dans tout Paris par des colporteurs, que pourchassait vainement d’Hémery, l’inspecteur de police, chargé de la surveillance de la librairie[162]. La rumeur publique voulait que la duchesse de Gramont[163], sœur de Choiseul, traversant la Provence et le Languedoc pour aller à Barèges, eût tenté de soulever les Parlements de ces deux provinces contre la décision du conseil suspendant le procès de d’Aiguillon. Et le maréchal de Richelieu avait eu à cet égard une explication des plus vives avec le duc de Choiseul.
L’ambassadeur d’Autriche en France, Mercy-Argenteau, relate l’anecdote à Marie-Thérèse, puis lui en raconte une autre, démontrant de reste comment d’habiles courtisans savaient développer chez Marie-Antoinette une antipathie qui trouvait là un terrain si propice et qui devait bientôt rejaillir de Mᵐᵉ Du Barry sur d’Aiguillon. La dauphine avait vu, non sans déplaisir, qu’on entraînait son mari dans les soupers du pavillon de l’Hermitage, où le roi, revenant de la chasse, se rencontrait avec sa maîtresse. Or, Mᵐᵉ de Noailles, dame d’honneur de Marie-Antoinette, avait conseillé à la jeune princesse d’y accompagner par politique le dauphin. Choiseul, qu’avait consulté la dauphine, avait estimé que la place de Marie-Antoinette n’était pas aux soupers de l’Hermitage, qu’elle «ne devait pas le demander», mais que «si le roi le lui proposait, elle devait s’y prêter avec une apparence de plaisir[164]».
Des avanies, visant plus directement la favorite, et de ce fait autrement outrageantes, ne lui étaient pas épargnées par l’entourage et surtout par la famille de Choiseul. La duchesse de Gramont, beauté arrogante et superbe, qui avait convoité la succession de Mᵐᵉ de Pompadour auprès de Louis XV, se faisait remarquer plus particulièrement par son insolence envers Mᵐᵉ Du Barry. Si, certain jour, à Choisy, les dames de la cour s’étaient refusées à laisser la maîtresse du roi prendre place au milieu d’elles, c’est que la duchesse de Gramont était une des instigatrices les plus actives de ce complot féminin. Sa parente, la comtesse, n’était pas une des ennemies les moins acharnées de Mᵐᵉ Du Barry; et les propos injurieux dont elle l’avait accablée lui avaient valu un exil à quinze lieues de Paris[165].
Ce dut être surtout à cette heure critique, dans le courant de juillet 1770, que l’alliance se scella définitivement, sous les auspices du chancelier, entre la femme si cruellement offensée par les affronts «des Choiseul» et l’homme, au cœur débordant de rancune, que le Parlement croyait avoir marqué d’une flétrissure indélébile.
D’Aiguillon n’était pas parti pour Veretz, comme l’avait écrit la duchesse; mais il était toujours sur les chemins, suivant de près une affaire qui touchait si fort à son honneur, alors que sa femme, fidèle au programme qu’elle s’était précédemment tracé, restait à Paris pour surveiller les intérêts de M. d’Aiguillon et pour lui apporter, dès son retour, le réconfort d’un accueil toujours souriant.
Nous ne voyons pas, à moins que ses lettres ne se soient égarées, qu’elle ait appris ni commenté à son correspondant l’arrêt qui avait noté d’infamie le duc d’Aiguillon et provoqué, de ce fait, un tel retentissement dans le pays.
La première lettre que nous retrouvions de sa main, depuis ce coup de foudre, date du 23 août 1770 et ne parle que des affaires de Bretagne. Il n’avait pas suffi au Parlement de Rennes de voir «entaché» l’ancien commandant de la province; il avait voulu encore protester contre les lettres patentes du 27 juin qui en avaient suspendu le procès; et rêvant d’une de ces coalitions, qui étaient la négation même du pouvoir royal, il avait invité les autres Parlements à se fédérer pour demander des explications au souverain sur la punition infligée aux deux procureurs généraux de Rennes.
La réplique ne s’était pas fait attendre. Dix-huit bretons avaient été mandés à la Cour où ils devaient se rendre le 20 août[166]:
«Je ne veux pas, écrit Mᵐᵉ d’Aiguillon à Balleroy, sur un ton d’aimable ironie, que vous appreniez par d’autres que par moi la détention de votre cher cousin, M. de Lohéac[167]: l’intimité qui était entre vous vous y rendra sûrement très sensible. Voici le fait: Vous avez vu toutes les sottises de notre Sénat breton et surtout celle des 18 membres qui se sont distingués, à la tête desquels étaient MM. de Lohéac et La Noue: ce qui a déterminé le roi à en faire justice. On dit qu’ils ont été menés au Château de Vincennes. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’ils ont été arrêtés en sortant de chez le roi... Ces messieurs s’étaient présentés, la veille, chez tous les ministres qui avaient refusé de les voir. Ils ont voulu aller voir le Grand Couvert. L’huissier leur a dit de la part du premier gentilhomme qu’ils eussent à se retirer. Vous voyez qu’ils n’ont pas été tant fêtés. On croyait que cette nouvelle ferait plus de bruit à Paris... et tout ce que le crédit du ministre qui les protège (Choiseul) a pu faire, ce fut de suspendre leur peine...
«... Ces messieurs nous ont fait l’honneur de faire brûler notre mémoire (celui de Linguet) par la main du bourreau. L’arrêt est lui-même un mémoire. Si je peux en avoir, je vous l’enverrai: il vous paraîtra aussi plat qu’il est long[168].»
Fut-ce l’effervescence nouvelle de ces incorrigibles bretons; ou la malveillance avérée des Parlements de Bordeaux et de Toulouse, en ce même mois d’août à l’égard de d’Aiguillon[169]; ou bien encore l’influence de la Du Barry à qui le duc avait enfin fait comprendre que l’arrêt du conseil du 3 juillet n’était pas une solution[170], influence qui précipita la détermination d’un «homme dont on n’obtenait jamais ni un oui, ni un non[171]?»—Toujours est-il que Louis XV prit, le 2 septembre, une décision inattendue et que Maupeou reçut l’ordre, le même jour, d’en préparer l’exécution.
Le 3, comme si le souvenir de son bisaïeul, entrant, botté et le fouet à la main, au Parlement, pour lui dicter ses volontés, eût enfin secoué la torpeur du plus indolent des monarques, Louis XV arrivait au Palais, dans sa voiture de chasse, «ventre à terre, précédé des quatre compagnies rouges et du vol[172]».
Mais laissons la parole à Mᵐᵉ d’Aiguillon, qui, le lendemain, racontait la scène au chevalier:
«Voilà donc enfin le roi tout à fait roi, Dieu soit loué! Sa Majesté a été hier au Parlement et voici le détail de la bonne besogne qu’il y a faite: il a ordonné qu’on lui apportât toutes les minutes et autres papiers ci-dessus nommés (les informations relatives aux affaires de Bretagne) et les a fait mettre dans un sac qu’il avait apporté tout exprès, ainsi que le registre sur lequel était l’arrêt du 2 juillet, et celui dans lequel ils demandaient réparation au roi...» Avant cette opération, Louis XV avait répondu aux remontrances du Parlement sur la détention des magistrats de Rennes, qu’ils avaient été justement punis et qu’il sévirait contre tous ceux qui imiteraient leur conduite. Quand il eut enlevé jusqu’à la dernière pièce d’une procédure aussi filandreuse qu’elle avait été irritante, le roi signifia au Parlement qu’il eût à «se retirer dans ses chambres pour y remplir sa seule fonction, qui est d’administrer la justice». La duchesse avait remarqué le discours du chancelier, au nom du roi, discours «très long et très fort[173]». Elle ajoute que Paris «n’a pas applaudi généralement» à cet acte d’autorité. Mais en vérité «la folie et l’insolence des parlements étaient poussées trop loin». Elle s’étonne cependant que le maréchal de Richelieu n’ait pas agi aussi énergiquement avec celui de Bordeaux. Pourquoi n’a-t-il pas fait biffer sur le registre du Parlement un arrêt identique à celui du 2 juillet, quoiqu’il en eût l’ordre? Il faut qu’il ait eu quelques raisons particulières qu’il est difficile d’élucider[174].
Quand Mᵐᵉ d’Aiguillon dit que «Paris n’a pas applaudi généralement», elle est, en vérité, bien indulgente, car le roi avait à peine enlevé «le sac qu’il avait apporté avec lui», que les épigrammes pleuvaient de nouveau dru comme grêle, sur la Du Barry et son obligé. Cette peste de Mairobert ouvrit le premier le feu[175]. Avec quel luxe de détails il décrit l’élégant «vis-à-vis» donné, prétend-il, à la comtesse par d’Aiguillon reconnaissant! Cette voiture surpasse en magnificence les carrosses envoyés jadis à Vienne pour la dauphine (encore une cause d’animadversion, si l’anecdote est vraie, contre le duc et son amie). Sur les panneaux, les armoiries de la dame avec son fameux cri: Boute en avant! Et que de galantes peintures! Colombes se becquetant sur des nids semés de roses; cœurs transpercés de flèches, au milieu des attributs de Cupidon coquettement enguirlandés. Les housses du siège des cochers, les supports des laquais par derrière les roues, les moyeux et jusqu’aux marchepieds, tout était du dernier fini. D’Aiguillon l’avait payé, paraît-il, 52.000 livres. Il eut la douleur de constater que la comtesse ne s’en servait pas. Le roi l’avait trouvé trop somptueux pour sa maîtresse et celle-ci le bouda. Que l’anecdote fût vraie ou fausse, un bel esprit la saisit au vol et la métamorphosa en huitain:
Alors que Louis XV opérait son coup de force, Choiseul était en villégiature, au château de la Ferté, chez le banquier de la cour, Laborde. Mais son parti veillait. Estomaqués, un instant, par la séance du 3 septembre, comme l’avaient été les d’Aiguillon par l’arrêt déshonorant du Parlement du 2 juillet, les Choiseul s’étaient ressaisis, pour abominer, avec moins d’anecdotes, il est vrai, «l’infamie, les bassesses et les fourberies» de leurs adversaires. Mᵐᵉ Du Deffand avait envoyé à Walpole «l’imprimé du Parlement», le bulletin qu’elle avait reçu de «la grosse duchesse» (la douairière d’Aiguillon) n’étant «ni exact, ni fidèle[176]». Et ce qui avait le plus particulièrement irrité les amis de Choiseul, c’est que le chancelier, dans son discours, avait représenté d’Aiguillon comme «honoré de la confiance du roi et chargé de ses ordres»; c’est qu’il avait déclaré «sa conduite irréprochable».
Quelques jours auparavant, la correspondante de Balleroy avait insisté sur la signification véritable d’un acte qui exaspérait le parti Choiseul:
«Je comprends que vous ayiez été très aise en apprenant le détail de la journée du 3: en vérité, on peut, à mon avis, l’appeler journée; car c’est une vraie victoire que le roi a remportée sur les ennemis de son autorité, victoire dont je fais plus de cas, que de celles de tous les conquérants, en ce qu’elle peut et doit procurer la paix et qu’elle n’a fait répandre que de l’encre et non du sang. Enfin, de ce moment, si le roi veut soutenir ce qu’il a fait et seulement ne pas vaciller, il redevient roi, et, en vérité, il ne l’était pas.»
Après cet hommage, si ferme et si net, rendu au principe d’autorité, la duchesse revient à ses «chers bretons», qui, quoiqu’elle en ait, la préoccupent toujours. Une nièce de Lohéac, protégée de Mᵐᵉ d’Aiguillon vraisemblablement à cause de sa parenté avec Balleroy, Mˡˡᵉ de Quéhillac, vient d’écrire à la grande dame. Sollicitée par un autre de ses oncles, M. de Goyon, de tenter une démarche auprès de la duchesse, pour qu’elle intéressât La Vrillière (Saint-Florentin)[177] à la cause de Lohéac, Mˡˡᵉ de Quéhillac s’en était d’abord défendue, ne sachant si M. et Mᵐᵉ d’Aiguillon ne déclineraient pas une telle mission. Puis, cédant à un mouvement de pitié, et pour n’être pas taxée d’indifférence, elle avait déféré au désir de Goyon. La duchesse lui répondit par une «lettre ostensible»—terme employé jadis pour désigner ce que nous appelons aujourd’hui une «lettre ouverte».
Celle de la duchesse prouve une bonté d’âme, une générosité plus fortes que le juste ressentiment d’outrages et d’humiliations si longtemps endurés. Depuis que M. d’Aiguillon a quitté le commandement de Bretagne, écrit sa femme, il ne s’est plus mêlé en rien des affaires de la province, sinon pour rendre service aux hommes «dont il connaît les bonnes qualités». Il ignore donc «la punition» que le roi, «très mécontent», se réserve d’infliger au Parlement de Bretagne; mais par amitié pour Mˡˡᵉ de Quéhillac, Mᵐᵉ d’Aiguillon ira recommander à la bienveillance de son oncle M. de Lohéac.
Quelle délicatesse et quel tact chez cette femme que sa correspondance, sa conduite, toute sa vie enfin présentent comme une énergique! Elle laisse à son mari, ce personnage plutôt haineux et vindicatif, l’honneur d’une décision, dont elle assurera, messagère officieuse, l’exécution.
Mais, comme chez elle, l’esprit d’observation, que nous savons très vif et très aiguisé, ne perd jamais ses droits, elle termine sur ce trait le récit de son anecdote: «M. de Goyon en a été très reconnaissant, mais il n’a pas donné un écu à sa nièce; seulement elle a ainsi acquis le droit de lui dire tout ce qu’elle veut». Droit de bien maigre rapport: car Mᵐᵉ d’Aiguillon dut pourvoir, toujours en considération de Balleroy, à l’établissement de Mˡˡᵉ de Quéhillac; et ce fut pour la duchesse un de ses plus cruels soucis. Sa protégée était d’une famille où les facultés mentales étaient fort mal équilibrées; et ses prétentions pécuniaires étaient si bizarres et si exorbitantes que Mᵐᵉ d’Aiguillon s’en lamente à maintes reprises au cours de sa correspondance avec Balleroy.
Le 4 septembre, le Parlement de Paris s’était assemblé. Encore tout étourdi du coup qu’il venait de recevoir, il se débattit dans une lutte longue et ardente sans pouvoir prendre de décision. La séance fut remise au lendemain; et ce fut le 6 seulement que se terminèrent les débats. Le parti de la modération l’avait emporté. D’un commun accord, on «ajournait l’affaire au 3 décembre». Mais la cour rendait en même temps un arrêt pour protester contre le piège tendu à sa bonne foi et contre les agissements, injurieux pour elle, du chancelier et du contrôleur général[178].
Paris, loin «d’applaudir», s’était révolté... «généralement». La province avait suivi le mouvement. «Tous les parlements se donnent la main, écrit Mᵐᵉ Du Deffand; ils marquent leur mépris et leur indignation contre le chancelier; le contrôleur général rendra bientôt sa déroute complète[179].»
La circonspection du Parlement de Paris déconcerta bien des gens, dit le libraire Hardy[180]. Et comme s’ils avaient eu la prescience de l’avenir, les mécontents regrettèrent que les parlementaires n’eussent pas porté un coup plus vigoureux «pour ne pas laisser au chancelier le temps de faire de nouvelles entreprises et de couronner son plan destructif de l’autorité des magistrats».
L’effervescence, ainsi que l’écrivait Mᵐᵉ Du Deffand, n’en couvait pas moins dans tous les parlements de province, au détriment des représentants de l’autorité royale. Et la duchesse d’Aiguillon, si indulgente qu’elle fût, ne pratiquait pas assez le pardon des injures pour ne pas éprouver un malin plaisir à voir patauger dans le plus effroyable gâchis les politiciens de Bretagne et le successeur de son mari, naguère si durs, si injustes, si méprisants vis-à-vis de M. d’Aiguillon. Tenue au courant des affaires de la province, elle en devisait allègrement avec Balleroy[181].
En vain, disait-elle, a-t-on pu apaiser l’agitation qui menaçait de reprendre, en avisant la noblesse que sa turbulence «donnerait gain de cause» à ses puissants ennemis. «Cet expédient a déjà réussi deux ou trois fois; mais tout s’use à la longue»: sachant qu’ils sont redoutés du commandant, ces brouillons finiront, à la tenue des Etats, par «s’échapper; et aucun frein ne pourra les arrêter... Je compte que ce sera sur la demande du roi et à la rentrée du Parlement qu’on jouera les grands jeux». Mᵐᵉ d’Aiguillon ne «le regrette pas». «Il est juste que ce gentil prélat, ainsi que vous l’appelez (Girac l’évêque de Rennes) et le premier commissaire (Duras) ressentent les biens de la paix qu’ils ont mis dans cette province... Ce qui ne laissera pas que de les y acheminer, c’est que l’on me mande que l’évêque et le premier commissaire sont brouillés à tout jamais avec l’intendant. Faux et sot, comme il est, il peut leur donner du fil à retordre... Quand il est question de nuire, il n’y a pas de sot qui ne trouve de l’assurance...»
La duchesse n’a plus d’autre pensée que la Bretagne. Toutes les lettres qui vont se succéder jusqu’à la rentrée du Parlement de Paris sont uniquement consacrées au malaise intérieur d’une province dont les hommes politiques prétendent singer l’Angleterre (l’anglomanie était alors fort à la mode). Or le Parlement britannique rentre le 20 novembre. Celui de Rennes ne tardera pas à reprendre séance. Les Etats y comptent bien. «En attendant, on pelote... On a nommé une commission pour répondre au mémoire de Linguet.» Les évêques se récusent; celui de Rennes tout le premier, «parce que M. d’Aiguillon est son plus mortel ennemi». Et la duchesse de protester. «Le fat! ce serait lui faire trop d’honneur que d’avoir pour lui d’autre sentiment que celui du mépris.» Le haut clergé se refusant d’ailleurs à siéger dans cette commission, «trois abbés Chalotinistes» furent nommés qui durent «travailler à force» et nous «verrons leur bonne besogne: elle ne m’inquiète pas beaucoup[182]».
Les distractions des villégiatures suburbaines ne détournent guère Mᵐᵉ d’Aiguillon de son unique pensée: il est vrai qu’elle se trouve dans la «thébaïde» d’Aulnay[183], la propriété de Mᵐᵉ de Laigle, dont la solitude ne lui est pas désagréable: «ce n’est pas la beauté du lieu, je n’en connais pas de plus triste; ce n’est pas la beauté du temps, il en fait un à ne pas mettre le nez dehors». Elle n’en pense pas moins à «la chère Bretagne».
«Il me semble, dit-elle, que les cartes se brouillent tant qu’elles peuvent; et je vous avoue que je n’en suis pas fâchée... M. de Duras et le joli évêque sont dans le plus grand embarras: Dieu les y maintienne! On dit que l’on envoie 40 bataillons en Bretagne...»
Evidemment, la duchesse exagère: mais la fermentation d’un pays qu’elle connaissait trop bien ne lui échappait pas; et malgré qu’un autre théâtre, qu’un drame bien plus grandiose, s’imposent désormais à son attention, elle ne cessera de suivre, parallèlement à l’action dirigée par Maupeou contre le Parlement de Paris, le mouvement de la Cour de Rennes, condamnée cependant à s’effacer dans l’ombre de sa grande sœur.
X
Maupeou «la Bigarade».—Sa double action contre Choiseul et contre le Parlement.—Le «beau pacte de famille».—Les larmes de Mᵐᵉ Du Barry.—Remontrances du Parlement et refus d’enregistrer l’édit.—Choiseul pressent sa disgrâce.—Duplicité de Louis XV.—Lettres de cachet.—Impressions de la duchesse d’Aiguillon.—Exil des parlementaires.—Le Parlement Maupeou.
Tous les fourbes ne sont pas nécessairement des hommes d’Etat; mais combien d’hommes d’Etat sont des fourbes! Et Maupeou, «la Bigarade[184]», en était un de première force, comme il était un homme d’Etat supérieur. Il ne procédait pas par la ruse, ainsi que l’avait fait Mazarin avec le Parlement de Paris, mais par la brutalité[185]: car il avait conscience qu’il ne pouvait triompher autrement d’une usurpation de pouvoir, encouragée par la mollesse du gouvernement et menaçant d’amoindrir, voire d’asservir, l’autorité royale.
S’il avait tout d’abord usé de duplicité avec le duc d’Aiguillon, il comprit bientôt qu’il faisait fausse route et que le procès, gagné ou perdu, de l’inculpé découvrait la personne même du roi. D’où cette suppression, par à-coups successifs et précipités, d’une procédure dans laquelle il ne pouvait se flatter d’avoir le dernier mot; car il sentait bien que le Parlement irait jusqu’aux dernières limites d’une inlassable résistance, protégé qu’il était, et cette fois ouvertement, par le duc de Choiseul.
Le ministre ayant partie liée avec les magistrats, Maupeou estima qu’il devait combattre les coalisés simultanément. Ses auxiliaires, nous les connaissons: le souci de leurs intérêts était le plus sûr garant de leur loyauté.
Les escarmouches avaient commencé dès les premiers jours de 1770. Choiseul, fastueux pour l’Etat comme il l’était pour lui-même, dédaignait de tenir des comptes. Il avait reçu 64 millions, affectés au département de la guerre et ne se pressait pas d’en spécifier l’emploi. Terray, avisé et poussé par des ennemis du ministre, réclama cette justification. La scène fut vive au Conseil; et Choiseul alla jusqu’à offrir les diamants de sa femme[186], la petite-fille du riche financier Crozat.
Maupeou l’attaqua sur un autre terrain. Il lui reprocha de vouloir provoquer une guerre entre l’Angleterre et les puissances de la Maison de Bourbon[187]. Il avait dû, sinon persuader, du moins être écouté avec un certain intérêt; car Marie-Thérèse annonçait, dès le 1ᵉʳ septembre, à Mercy-Argenteau, que la disgrâce de Choiseul était chose résolue. Et l’ambassadeur d’Autriche, qui, de son côté, avait pris ses informations, douta, pendant deux mois, du maintien de la paix.
C’était, d’ailleurs, l’opinion générale: «On parle beaucoup de guerre, écrit Mᵐᵉ d’Aiguillon, qui se montre toujours pacifiste convaincue. Dieu veuille que ce soit en vain! Mais, en vérité, nous n’en avons pas besoin. C’est un produit du beau pacte de famille qui a retardé la paix d’un an et l’a rendue plus mauvaise[188]».
Coup de griffe, en passant, au duc de Choiseul, le principal artisan de ce fameux traité signé, le 15 août 1761, entre les rois de France, d’Espagne et le duc de Parme, pour faire échec, par l’union des puissances de la maison de Bourbon, à la supériorité de la marine anglaise!
Rarement la duchesse d’Aiguillon prend à partie, même par voie d’allusion, le premier ministre. Mais son mari allait, parallèlement à Maupeou, entrer en guerre ouverte avec Choiseul, et suivant le mot de Soulavie, «travailler à renverser le visir par la maîtresse».
«La coquine me donne bien de l’embarras» disait, en plaisantant, Choiseul, de Mᵐᵉ Du Barry. D’Aiguillon avait, il est vrai, manœuvré dans la coulisse, pour compliquer encore la situation, déjà difficile, du «visir». N’ayant plus à se défendre, il pouvait prendre l’offensive. Un homme qui l’a bien étudié et bien compris, Sénac de Meilhan, définit, à souhait, le rôle de ce courtisan qui «possédait l’art et le jargon de la galanterie[189]».
«Il fit insinuer par ses conseils à la Du Barry qu’elle n’aurait aucun crédit tant que Choiseul serait au pouvoir et de le remplacer par un homme qui jouerait, grâce à son rang, le même rôle et lui serait tout reconnaissant de l’y avoir poussé.»
Bien stylée par d’Aiguillon, soufflée par Maupeou, cette femme, qui n’avait été jusqu’alors qu’une bonne fille, devint une adroite comédienne. Par intervalles, elle semblait toute mélancolique.
—Qu’avez-vous donc? disait le roi, qu’amusait d’ordinaire la bruyante gaîté de sa maîtresse.
—Les Choiseul débitent des horreurs sur mon compte.
Et elle citait tel ou tel mot du ministre ou de son entourage. Elle n’avait pas besoin d’inventer.
Un autre jour, elle versait des torrents de larmes: «Les vilains Choiseul, disait-elle en sanglotant, me tourmentent.
—Patience, répliquait le roi, qui ne se décidait pas encore, cela finira[190].»
A en croire Mᵐᵉ Campan, la Du Barry «sifflée par ses amis» (et c’était Maupeou qui devait lui seriner l’air) se retournait contre le Parlement, quand le roi restait irrésolu devant les manœuvres des magistrats. Elle le menait alors devant le magnifique portrait de Charles Iᵉʳ par Van Dyck, portrait acheté à Londres et devenu depuis la propriété de la favorite. Quelle leçon que cette fin d’un roi qui avait fléchi devant son Parlement!
La comtesse n’avait pas besoin de cette mise en scène—si tant est que Mᵐᵉ Campan ne l’ait pas imaginée comme un avertissement prophétique—pour inspirer à son royal amant l’horreur et la haine des parlementaires. C’était déjà chez lui de l’atavisme. Puis, ne se plaignait-il pas volontiers de ces «grandes robes qui prétendaient le mettre en tutelle» et qui inscrivaient, en tête de leur programme, la Convocation des Etats Généraux[191]?
Maupeou trouvait donc le terrain tout préparé pour mener à fond son attaque contre les parlements.
Quelques jours avant la rentrée des magistrats, le 27 novembre, il faisait signer au roi l’Edit de règlement ou de discipline—rappel de la déclaration du 3 mars 1766—interdisant au Parlement de Paris toute correspondance avec les autres parlements du royaume, la cessation du service judiciaire, les démissions en corps. L’Edit leur défendait enfin de retarder la publication des édits royaux par l’ajournement de leur enregistrement; Louis XV déclarait dans le même document qu’il ne tenait sa couronne que de Dieu et qu’à lui seul appartenait le droit de faire des lois.
Le Parlement de Paris rentrait le 4 décembre. Son premier acte fut de repousser l’édit; il est vrai qu’il l’enregistrait trois jours plus tard.
Mᵐᵉ d’Aiguillon raconte le conflit. Le premier Président, écrit-elle, avait été délégué auprès du roi pour lui faire «les remontrances les plus vives». Et le prince lui avait répondu: «J’ordonne que mon Parlement enregistre mon édit demain dans la journée; et je vous charge, Monsieur, de m’en rendre compte à 7 heures du soir... Cette réponse ne les a pas contentés: ils ont fait d’itératives représentations dans lesquelles ils disaient qu’ils ne devaient, ni ne pouvaient enregistrer l’édit». Mais le vendredi 7, au lit de justice à Versailles, le chancelier «avait fait un beau discours» au nom du roi, pour démontrer «l’attention de S. M. à veiller au bonheur du peuple, etc., etc.». Le premier Président avait répliqué par «des lieux communs et très platement...» L’édit avait été enregistré immédiatement; et «à midi et demi tout était dit[192]».
Mais la duchesse ne dissimulait pas cette fois l’agitation des Parisiens, surexcitée encore par les protestations des parlementaires rentrés à Paris. De fait, la cabale philosophique et le parti des Encyclopédistes se rangeaient résolument de leur côté, après les avoir si rudement combattus. Mais, là encore, la question religieuse était en jeu. Un prédicateur n’avait-il pas eu l’étrange idée d’appeler Mᵐᵉ Du Barry, la nouvelle Esther et le duc de Choiseul le nouvel Aman? A ce compte, Maupeou devait être le nouveau Mardochée. Aussi les chefs des Philosophes, d’Alembert et Duclos, prirent-ils parti pour Choiseul qu’ils avaient jusqu’alors cordialement détesté, et décidèrent-ils de lui offrir un fauteuil à l’Académie, en le dispensant des visites traditionnelles. L’homme d’Etat, qui était encore ministre, avait, paraît-il, accepté la combinaison[193].
Cependant, le Parlement, escomptant l’appui de Choiseul, entendait avoir le dernier mot dans ce conflit d’autorité. Le 10 décembre, il se défendit formellement de rendre la justice, en dépit de cinq sommations successives que lui fit adresser Maupeou.
«Les esprits sont si échauffés, dit la duchesse d’Aiguillon, qu’ils (les parlementaires) prendront quelque parti violent; les esprits ne sont pas plus calmes en Bretagne, suivant les dernières nouvelles; et l’évêque, malgré son insolente confiance, et le duc sa sotte méchanceté, sont très embarrassés[194].»
En présence de l’acharnement que mettait le chancelier à briser la résistance du Parlement de Paris, Choiseul commençait à perdre sa belle assurance. On parlait à la Cour de l’avènement prochain de d’Aiguillon. Impatient d’en finir avec des commérages qui l’agaçaient, le ministre écrivit au roi pour les lui signaler. Louis XV tint à rassurer Choiseul, tout en lui donnant l’explication de l’intérêt qu’il portait à d’Aiguillon: «Comment pouvez-vous croire, lui disait-il, qu’il puisse vous remplacer!... Je l’aime assez, il est vrai, à cause du tour que je lui ai joué, il y a bien longtemps; mais, haï comme il est, quel bien pourrait-il faire[195]?»
Duplicité insigne et pure comédie! Car Sénac de Meilhan affirme que «le roi haïssait le duc d’Aiguillon comme ayant été l’amant de Mᵐᵉ de Châteauroux» et raconte en même temps par quelle voie détournée Louis XV apprit à Mᵐᵉ Du Barry le succès, presque définitif, de sa campagne contre le premier ministre.
«Un jour, elle le vit occupé à cacheter une enveloppe:
—Voilà, lui dit-il, une lettre qui vous intéresse.
Elle supplie le prince de lui montrer au moins l’adresse; et elle lit: Au Roi d’Espagne.
—Qu’ai-je de commun avec ce monarque? demande la favorite.
—Comme c’est Choiseul qui a donné l’idée du pacte de famille et que le roi d’Espagne a la plus grande confiance en lui, je crois devoir, par déférence, le prévenir avant de renvoyer le duc, ce qui ne tardera pas[196].»
Bientôt, s’il faut en croire une anecdote, rappelée en juin 1774 par l’abbé Baudeau, le ministre n’eut plus à douter de son sort[197]: «Peu de jours avant son renvoi, il trouve la porte du roi fermée; et avisant d’Aiguillon vers une croisée, il lui dit:
—Vous me chassez donc? J’espère qu’ils m’enverront à Chanteloup.
Vous prendrez ma place; quelque autre vous chassera; ils vous enverront à Veretz; nous serons voisins; nous n’aurons plus d’affaires politiques, nous voisinerons et nous en dirons de bonnes.
D’Aiguillon ne répondit rien.»
La disgrâce éclata. En se servant d’un billet de Choiseul, non daté, à l’adresse des Jésuites (déjà le coup de la fausse dépêche!) Maupeou avait su persuader au roi que son premier ministre excitait sous main le Parlement dans sa révolte[198]. Et le 24 décembre, Choiseul recevait de Louis XV cette lettre de cachet:
«J’ordonne à mon cousin, le duc de Choiseul, de remettre la démission de sa charge de secrétaire d’Etat et de surintendant des Postes entre les mains du duc de la Vrillière et de se retirer à Chanteloup jusqu’à nouvel ordre.»
Le lendemain, Mᵐᵉ d’Aiguillon écrivait à Balleroy:
«Si vous avez quelques affaires à la guerre, aux affaires étrangères, ou à la marine, différez-les, Monsieur le chevalier; car ces trois départements sont actuellement nuls, les ministres qui les possédaient ayant été exilés, l’un à Chanteloup et l’autre à Praslin, cela s’appelle une nouvelle: aussi ne vous en dirai-je pas d’autre: en voilà assez pour aujourd’hui[199].»
Malgré son empressement à lancer «la nouvelle», la duchesse avait été devancée auprès de Balleroy; et peut-être le chevalier lui en avait-il fait l’observation, non sans malice, car elle lui écrit, presque dix jours après, et plus longuement, sur un sujet qui lui tient si fort au cœur. Pour la première fois, elle n’a plus peur du cabinet noir; mais elle donne l’impression exacte de l’inquiétude, de l’angoisse même qu’elle ressentait auparavant de la présence de Choiseul aux affaires: et comme elle parle tout aussitôt du contre-coup qui s’est produit en Bretagne, à la chute du ministre, il semble que, par une association d’idées bien excusable, la duchesse rende Choiseul responsable des tribulations qui avaient assailli son mari pendant et après l’exercice de son commandement.
«Je suis bien fâchée, Monsieur le chevalier, de n’avoir pas été la première à vous apprendre la grande nouvelle; mais enfin, je respire et je respire en paix, ce que je n’aurais jamais pu faire, tant que cet homme y (sic) aurait été. Je suis comme des gens qui échappent d’un violent orage, qui sur terre croient encore sentir l’agitation des vagues. J’ai encore de la peine à le croire.» Le «petit faquin d’évêque de Rennes, en apprenant la nouvelle» avait paru, mandait-on à la duchesse, ne point s’en émouvoir; mais, «malgré toute sa fausseté, on voyait la rage qui perçait... M. de Duras est arrivé à Versailles, le jour de l’an, pour prendre son service: il m’a paru—et d’autres gens que moi l’ont trouvé—qu’il avait le visage bien long: il ne l’a pas autant qu’il le mérite et que je lui souhaite[200]».
La disgrâce de Choiseul était le prélude du coup d’état que Maupeou méditait contre le Parlement de Paris. Ce dénouement était inévitable: si l’imprévoyance du premier ministre, le désordre qui régnait dans toutes les administrations, le gaspillage et la gabegie dont la Cour était la première à donner l’exemple, avaient amené le déficit creusé dans les finances, il fallait, pour le combler, une nouvelle série d’impôts; et le chancelier savait que le Parlement se refuserait énergiquement à les voter. Ce fut la cause, non avouée, mais réelle, qui détermina Maupeou.
En outre, les Etats de Bretagne menaçaient de lui donner de nouveau de la tablature. Un pamphlet, répondant au Mémoire de Linguet, avait reproduit les éternels griefs des Bretons contre un homme «qui était l’auteur des troubles de la province, du procès de M. de la Chalotais et des autres magistrats», un homme «qui avait tout mis en usage à Rennes et à Saint-Malo pour faire périr les détenus et surtout M. de la Chalotais».
Les Etats n’avaient pas, il est vrai, osé couvrir de leur approbation un tel factum; mais leur propre réponse au Mémoire de Linguet n’en avait pas été moins frappée, le 2 janvier 1771, d’un arrêt du Conseil, comme «attentatoire à l’autorité du roi et contenant des propos injurieux contre une personne honorée de la confiance de S. M. et dont elle a de tout temps approuvé l’administration.»
Estimant qu’il n’avait plus de ménagements à garder avec des magistrats qui pratiquaient une politique d’irréductible obstruction, qui allaient même jusqu’à refuser l’impôt, Maupeou leur envoya, dans la nuit du 19 au 20 janvier 1771, par des mousquetaires, une dernière sommation d’avoir à reprendre leurs fonctions. Les récalcitrants, bientôt suivis d’une minorité à qui la frayeur avait arraché tout d’abord une sorte de soumission, durent partir pour l’exil; et le 24 janvier, Maupeou confiait à une Commission du Conseil d’Etat le soin de rendre provisoirement la justice. Sans tenir compte des protestations que formulèrent aussitôt les autres Chambres de la Cour et les Parlements de province, Maupeou reconstitua péniblement celui de Paris avec des membres de la Cour des Aides et des juristes de mince notoriété. On sait quelle pluie de quolibets, d’épigrammes, de satires, de libelles se déchaîna sur ce nouvel organe judiciaire, sur son initiateur Maupeou, et sur ses zélateurs. Ce fut, en quelque sorte, un recommencement des affaires de Bretagne. Presque toute la France fit partie de l’opposition anti-gouvernementale: il n’y eut pas jusqu’aux princes du sang—excepté cependant le prince de Condé—qui ne se montrèrent hostiles à l’œuvre du chancelier: mais celui-ci était enfin le maître; et, moins d’un an après, la pacification était presque complète.
XI
Six mois d’attente!—«Le tyran breton le deviendra de toute l’Europe».—Le futur roi de Suède à Ruel: enthousiasme de la «grosse duchesse».—L’«Agrippine» de Mᵐᵉ Du Deffand et le «triumvirat» du Président de Brosses.—Mariage du comte de Provence.—Comment Mᵐᵉ Du Barry fait entrer d’Aiguillon au Ministère; ce qu’en pense la duchesse; ce qu’en pense le public.—Hostilité de la comtesse d’Egmont; avanie subie par Mᵐᵉ d’Aiguillon et colère de M. de Richelieu.—Débuts du nouveau ministère.—Appréciation de Mercy-Argenteau.
La lettre, dans laquelle Louis XV évoquait, pour rassurer Choiseul, le souvenir du «bon tour qu’il avait joué» à d’Aiguillon, retarda de six mois, dit M. Marcel Marion, l’entrée de l’ancien commandant de Bretagne au ministère.—La Vrillière était devenu, par intérim, secrétaire d’Etat aux affaires étrangères.
De fait, Choiseul était à peine tombé, que la voix publique lui désignait déjà pour successeur le duc d’Aiguillon.
«Le tyran breton le deviendra de toute l’Europe, écrit Mᵐᵉ Du Deffand: cela veut dire qu’il aura les affaires étrangères.» Et la duchesse de Choiseul lui répond, non sans malice, que ce serait son vœu le plus cher, si le Parlement, du même coup, reprenait le procès de M. d’Aiguillon[201].
Voltaire s’en inquiétait dans sa retraite: «Nomme-t-on toujours le duc d’Aiguillon? demandait-il. On peut être très entaché par le Parlement et bien servir le roi». Opinion que ne lui pardonna pas facilement Choiseul.
Or, dans la correspondance saisie chez le chevalier de Balleroy, nous ne voyons pas la moindre allusion à des bruits qui circulaient, avec insistance, aussi bien dans les cercles mondains que dans les sphères politiques. Il semble même que la duchesse d’Aiguillon—à moins que ses lettres n’aient disparu—ait cessé d’écrire, pendant quelques mois, au chevalier. Et pourtant, des événements s’étaient produits, dans l’intervalle, qui devaient éveiller en sa mémoire des réminiscences bien flatteuses pour l’honneur du nom—légitime orgueil dont elle n’avait pu se défendre, depuis qu’elle était entrée dans la maison des Richelieu. Sa belle-mère, la «grosse duchesse», ne s’était même pas fait faute d’évoquer la grande ombre du cardinal, quand elle avait reçu, le 9 mars, dans son château de Ruel, Gustave de Suède, avec le duc et la duchesse d’Aiguillon, le comte de Maurepas et le duc de Nivernois[202]. Au cours d’un souper, «arrangé comme par hasard», n’avait-elle pas souhaité la bienvenue, «en vers vigoureux», au prince voyageur, au nom du Cardinal?
Mᵐᵉ Du Deffand note un convive de plus, d’ailleurs bien indiqué pour la circonstance: le maréchal de Richelieu. Le comte de Haga—le futur Gustave III—attendait précisément, ce jour-là, un frère de l’ancien ambassadeur de Suède, M. de Scheffer qui fut un grand ami des d’Aiguillon, au temps de leur prospérité et qui, nous le verrons plus tard, leur resta fidèle dans les mauvais jours[203].
La duchesse de Choiseul ne put s’empêcher de remarquer, dans sa réponse à Mᵐᵉ Du Deffand[204], que le prince «ménageait bien les d’Aiguillon». A son point de vue, elle était dans le vrai; et M. Vatel a dit, avec juste raison, que le comte de Haga avait agi, en cette occurrence, comme un «fourbe parfait», donnant de l’encensoir aux deux partis opposés. Il envoyait le matin ses compliments à Chanteloup, soupait le soir à Ruel, et, le lendemain, obtenait l’insigne honneur d’offrir un riche collier au petit chien de Mᵐᵉ Du Barry.
La veille de ce fameux souper, il avait reçu à sa table les d’Aiguillon; et Mᵐᵉ Du Deffand, qui était du repas, en écrit à Mᵐᵉ de Choiseul, avec une abondance de maladresse, dont elle n’allait pas tarder à se repentir: «Rien de si aimable que le roi... Mᵐᵉ d’Aiguillon (la mère) est toujours très gaie... elle est charmante, elle ne tire point tout à elle, quoique très parlante... elle m’a mis en valeur autant qu’elle a pu... Après le souper, Mᵐᵉ d’Aiguillon fit chanter la Chanson des Philosophes[205]».
Et—brusque changement de langage—à un mois de là, en corneille étourdie qui abat des noix, Mᵐᵉ Du Deffand s’écrie: «Mᵐᵉ d’Aiguillon me parut fort sérieuse; je me figure qu’elle est occupée de tous les changements qui pourront arriver. Je lui trouve bien des rapports avec Agrippine, avec la différence que le trône de son Néron ne lui aura pas coûté de crimes, mais elle pourra bien être une de ses victimes[206]».
On n’est pas plus obligeant[207].
Au reste, par un singulier contraste, en ce siècle léger et futile, où la plaisanterie a souvent tant de grâce, et le scepticisme de si fine ironie, la note mélodramatique vibre à plaisir. Elle se continue sur le mode romain, dans les lettres du Président de Brosses, qui, bien entendu, en sa qualité de parlementaire, abomine les ennemis de la «grande robe[208]»:
«Voilà donc le triumvirat bien établi (Maupeou, d’Aiguillon, Terray) et cordialement uni, si ce n’est dans l’intérieur, du moins pour tout détruire au dehors.»
Ce pacte n’était pas officiel, puisque d’Aiguillon n’était pas encore ministre; mais il se laissait pressentir par le crédit et la faveur dont jouissait déjà le rival de Choiseul. Ses amis commençaient à en éprouver les effets. La duchesse nous l’apprend dans la première lettre que nous trouvons d’elle en 1771. Elle vient d’«embrasser son mari de tout cœur», heureuse que le duc ait pu rendre service au chevalier. Et en même temps, comme elle a été, malgré elle, «dans les fêtes jusqu’au cou», elle lui décrit méthodiquement celles qui ont accompagné le mariage du comte de Provence avec une princesse de la maison de Savoie. Elle fait un portrait fort exact de cette fille de sang royal[209]:
«J’ai été à Choisy attendre le roi qui nous a amené Mᵐᵉ la comtesse de Provence qu’il est de mode de trouver épouvantable. Moi, qui, comme bien savez, ne suis pas la mode, je ne la trouve pas mal; elle est petite, assez bien faite, surtout une belle gorge; elle a les yeux noirs comme jais, fort grands et fort beaux, les cheveux noirs bien plantés, peut-être un peu bas, mais qui ne choquent, le teint de brune, mais uni et mat, le nez gros, la bouche un peu avancée et la forme du visage longue. Ce qui choque au premier coup d’œil, ce sont ses sourcils qui sont très arqués et qui s’éloignent de ses yeux et lui donnent, quand ses yeux sont baissés, par la distance qu’il y a, l’air chinois. Quand elle a les yeux ouverts, cela choque moins, parce que ses paupières qui sont grandes et fort noires, remplissent l’intervalle. En tout, elle a de la physionomie, et l’air de bonté et d’esprit, ce qui fait que sa figure est, à mon gré, loin de déplaire.» Et, raison qui prime toutes les autres, «le comte de Provence en est fort content». La duchesse parle de la cérémonie nuptiale, avec cette sincérité et cette indépendance d’allures que ne sauraient entamer les cailletages de cour:
«Le mariage s’est fait à midi; et il y a eu, le soir, appartement et banquet... Il est encore de mode de dire qu’il n’y avait personne: ce que je puis vous dire en toute vérité, c’est qu’il y avait des barrières depuis l’appartement du roi jusqu’à la chapelle, et que, derrière, sur des gradins, il y avait du monde à s’étouffer, qu’à la chapelle tous les gradins derrière les travées étaient pleins, ainsi que le bas de la chapelle (il me semble que cela s’appelle du monde) et que, pour le banquet, je voulus aller voir la salle et qu’il me fut impossible d’entrer, tant la foule était grande.»
En bonne historiographe, Mᵐᵉ d’Aiguillon signale les illuminations du mercredi «autour des terrasses... en feux de couleur... le portrait du roi, celui de M. le Dauphin, de Mᵐᵉ la Dauphine, de M. et Mᵐᵉ le comte et la comtesse de Provence, au milieu d’une gloire de feu»; le jeudi, au théâtre, la Reine de Golconde qui, comme spectacle, c’est-à-dire pour la décoration et la beauté de la salle, était superbe; comme opéra, c’était le plus mauvais de tous: il n’y a ni musique, ni paroles, mais force cabrioles et décorations...»
Enfin le bal du lundi. La duchesse en est enthousiasmée: «Je n’avais pas d’idée de la beauté de ce spectacle-là. La salle était superbe, éclairée à merveille, remplie jusqu’en haut d’hommes et de femmes extrêmement parés, le carré de la danse, de même environné de femmes très parées; c’est le plus beau spectacle que j’aie vu de ma vie.»
Après ces fêtes, comme après celles du mariage du Dauphin, la politique reprit ses droits. Le duc de la Vrillière, chargé de l’intérim des affaires étrangères, restait inactif, alors que toutes les ambassades frémissaient d’impatience devant les difficultés diplomatiques qui surgissaient à l’horizon.
—C’est bien de tailler, disait Catherine de Médicis à ses fils: il faut recoudre maintenant.
Mᵐᵉ Du Barry n’était pas une Catherine de Médicis. Et l’habileté toute féminine dont elle usa, d’abord pour renverser Choiseul, puis pour lui substituer d’Aiguillon, serait fort invraisemblable chez un esprit aussi court, si l’on ne savait qu’elle suivait ponctuellement les instructions de Maupeou et d’Aiguillon, et mieux encore, comme nous le croyons avec M. Claude Saint-André, les conseils de sa très fine et très déliée belle-sœur Mˡˡᵉ Claire-Félicité Du Barry[210]. Cette intelligente personne était absolument dévouée à l’ancien commandant de Bretagne. Elle avait compris de quel poids pouvait être pour la fortune de sa famille le crédit d’un grand seigneur tel que le duc d’Aiguillon. Et, certainement, elle ne dut pas être étrangère au second acte de la comédie que la comtesse joua, pendant six mois, avec un monarque, chez qui l’impatience de la volupté promise finissait toujours par l’emporter sur la résistance d’une méfiance instinctive.
«C’est un fait certain et connu des amis de M. d’Aiguillon, raconte Chamfort, que le roi ne l’a jamais nommé ministre des affaires étrangères. Ce fut Mᵐᵉ Du Barry qui lui dit: Il faut que tout ceci finisse; et je veux que vous alliez demain remercier le roi de vous avoir nommé à la place. Elle dit au roi: M. d’Aiguillon ira demain vous remercier de sa nomination à la place de secrétaire d’Etat des affaires étrangères. Le roi ne dit mot. M. d’Aiguillon n’osait pas y aller. Mᵐᵉ Du Barry le lui ordonna. Il y alla. Le roi le lui dit, et M. d’Aiguillon entra en fonctions sur le champ[211].»
Cette nomination à la muette datait du 2 juin. Mᵐᵉ d’Aiguillon, alors à Pontchartrain chez Maurepas, écrivait, le 8, à Balleroy:
«On vous a sûrement mandé que le voilà maintenant ministre des affaires étrangères: il y a si longtemps que le public avait désigné cette nomination que l’on a eu du reste le temps de réfléchir à ce que l’on doit en penser.» La nouvelle ministresse ne paraît pas autrement ravie de ce changement de fortune; elle dit sans phrase: «Mon parti est pris et je sacrifie ma liberté aux volontés de mon maître... Je suis accablée déjà de lettres plus plates et plus basses les unes que les autres, qui m’inspirent pour le plus grand nombre des écrivains le plus profond mépris, mais auxquelles il faut pourtant répondre comme si elles étaient sincères.»
La duchesse était assez perspicace pour ne pas ignorer quel venin distillait cette adulation.
Ce n’était pas que son mari ne fût pris directement à partie, au milieu de son triomphe, par des libelles, des vaudevilles, des épigrammes, presque tous anonymes, il est vrai. Le roi lui-même n’était pas épargné. Dans tous les salons courait ce huitain sous le titre: La Clique de Mᵐᵉ Du Barry:[212]
C’est, sur son ordre sinistre,
Que d’Aiguillon tient registre
Des élus et des proscrits[213].
Le public indigné crie;
Mais du roi l’âme avilie,
Sûre de son infamie,
Est insensible au mépris.
Il était cependant des outrages auxquels le nouveau ministre était plus particulièrement sensible, et sa femme par contre-coup: ceux qu’ils recevaient de leur propre famille, de ces Richelieu auxquels la duchesse était si fière d’appartenir et qui ne se cachaient pas pour leur cingler au visage leur insolent dédain.
La comtesse Septimanie d’Egmont, la propre fille du maréchal, leur meilleur ami, était précisément de ces adversaires implacables, trop hautaine et trop franche pour rien dissimuler de son aversion. Mᵐᵉ d’Armaillé, biographe de la comtesse, explique cette animosité par la rancune des «tyrannies intérieures» que Septimanie avait eues à subir du fait de «ce personnage peu sympathique, son cousin d’Aiguillon[214]».
Peut-être Mˡˡᵉ de Richelieu avait-elle raison; mais oubliait-elle que «la grosse duchesse» lui avait toujours témoigné une si vive sollicitude et une si ardente tendresse, que sa bru et ses petites-filles en avaient un instant pris ombrage? Cette bonne personne qu’était la douairière avait voulu consoler Septimanie dans sa tristesse d’orpheline: car le maréchal, si délicieux homme de cour, était un père autoritaire et despote jusqu’à la dureté. Après s’être débarrassé de la surveillance de sa fille adolescente, en la confiant à l’affection bruyante de sa cousine d’Aiguillon, Richelieu avait marié Septimanie, sans même la consulter, au comte d’Egmont, alliance qui flattait sa vanité. Cet égoïste, d’une sécheresse de cœur égale à la fatuité de son esprit, n’avait jamais pratiqué qu’à ce point de vue le culte de la famille. Il semble que sa fille, quoiqu’en disent ses panégyristes, ne l’ait pas mieux connu. En tout cas, dans une circonstance où les lois de la solidarité familiale étaient en jeu, elle ne sut pas faire le sacrifice de ses ressentiments à la reconnaissance dont elle aurait dû se sentir pénétrée pour la douairière d’Aiguillon.
Il était d’usage, à la Cour, que la femme d’un ministre vînt, peu de jours après la nomination de son mari, remercier le roi, accompagnée d’une de ses plus proches parentes. La duchesse d’Aiguillon avait prié sa cousine Septimanie de lui rendre ce service. Mᵐᵉ d’Egmont refusa net, sous prétexte que le roi devait ordonner aux deux dames de faire également visite, d’abord aux «princesses», puis à Mᵐᵉ Du Barry. Entraînée par son exemple, la douairière se récusa, elle aussi. Le maréchal de Richelieu s’emporta avec la dernière violence contre sa fille: certes, ce n’était pas l’amour de la famille, mais l’orgueil du nom qui excitait sa colère. Celui de la comtesse d’Egmont fut plus fort, et la duchesse subit cet affront de se présenter devant le roi avec une parente très éloignée, alors que son mari était déjà mal reçu par la Dauphine. Le maréchal, exaspéré, chassa Septimanie de sa présence et, de plus, exigea de la douairière qu’elle cessât de la voir et de lui écrire.
Aussi intransigeante que son père, la comtesse ne désarma pas. Quand elle devint la correspondante du roi de Suède, Gustave III, elle ne cessa de vilipender, par écrit, son cousin d’Aiguillon:
«Son orgueil est tel, dit une de ses lettres, qu’il ne conçoit pas qu’on puisse soupçonner l’art qu’il emploie, si grossier qu’il soit. Par exemple, il croit qu’il lui suffit de dire à propos de la grande affaire de Bretagne: «J’étais à Bannière (sic) quand M. de la Chalotais a été arrêté», pour qu’on reste persuadé qu’il n’y a eu aucune part.»
Mᵐᵉ d’Egmont reconnaît cependant que «si son amour-propre ne se trouve point en opposition avec le bien, il pourra faire de grandes choses, nul homme n’ayant plus de moyens pour réussir à ce qu’il entreprend, tant par la fermeté de son caractère que par l’application et la suite qu’il met aux affaires».
A vrai dire, les avis étaient bien partagés sur le rôle qu’allait jouer d’Aiguillon, parvenu au pouvoir. Ils se ressentaient, en général, de l’opinion qu’on s’était faite, vraie ou fausse, des affaires de Bretagne. Horace Walpole, le familier du salon Du Deffand, déclarait qu’«avec des talents médiocres, le nouveau ministre s’était hissé près du trône en se faisant l’instrument de sa tyrannie».
Le comte de Mercy-Argenteau, ambassadeur d’Autriche, qui sera désormais en relations suivies avec d’Aiguillon, en parle sur un ton moins dédaigneux. Mais il le voit sous l’angle où l’envisage Mᵐᵉ d’Egmont: peut-il oublier que Choiseul fut le grand artisan de l’alliance entre la France et l’Autriche? Aussi écrit-il, le 22 juin, à Kaunitz, le ministre des affaires étrangères de Marie-Thérèse:
«Il est de notoriété publique que M. d’Aiguillon a de l’esprit, un cœur haineux et méchant, qu’il est intrigant, adroit, grand travailleur, ennemi implacable, mais aussi ami très constant du peu de gens auxquels il a voué ce sentiment. Son début vis-à-vis des ministres étrangers annonce un grand désir de plaire; et il ne serait peut-être pas impossible que, par nécessité et par système, il réformât en partie les vices qu’on attribue à son caractère. Il y a grande apparence que, dans les premiers temps, il s’occupera moins des affaires d’Etat que d’intrigues de cour; et malheureusement, il y a ici, dans ce genre, de quoi remplir la vie d’un homme[215].»
En effet, la première rencontre du nouveau ministre avec les représentants des autres puissances leur avait laissé une impression plutôt favorable. Elle s’était faite sous les plus heureux auspices et sur un terrain où l’on se met presque toujours d’accord. D’Aiguillon avait donné le 5 juin son premier dîner diplomatique; et Mᵐᵉ Du Deffand, qui semble vouloir se tourner vers le soleil levant, décrit avec une certaine complaisance la solennité. Cinquante-cinq convives prenaient part au festin; et la douairière en faisait les honneurs avec sa bru. Tous les diplomates avaient trouvé «la grosse duchesse» charmante, simple et naturelle dans sa joie, «exempte de hauteur et de fausse gloire et si éloignée d’être avantageuse que tous les partis sont contents d’elle, l’estiment, l’aiment et lui veulent du bien[216]».
Pour n’être pas aussi démonstrative, la «joie» de sa belle-fille n’était pas moindre. C’était, pour elle, comme la revanche des mauvais jours et l’espoir d’une vie meilleure, sinon moins agitée, ce qu’elle eût préféré, sans nul doute, à tout ce tumulte triomphal. Elle savait reconnaître ses vrais amis. Belleval nous dit comme elle fut touchée de la démarche du jeune officier «revenu de si loin» à Versailles pour lui présenter ses félicitations; elle n’ignorait pas «le fond d’affection qu’elle peut faire sur lui[217]».
Balleroy avait sa part, comme bien on pense, dans cette distribution, entre intimes, de bonnes paroles. Le billet qu’elle lui adresse de Versailles, le 8 juillet, témoigne assez de sa quiétude d’âme: elle ne lui parle plus politique; elle le plaisante sur un sujet qui devait revenir souvent dans leurs conversations. «Vous aurez encore le temps de déchiffrer ma lettre: vous êtes assez habile pour cela»; puis elle a d’autres préoccupations, mais qui n’altèrent en rien sa belle humeur: «je ne compte retourner à Paris que mercredi matin; ma fille n’est pas encore accouchée; je me flatte que, puisqu’elle a eu la complaisance d’attendre jusqu’à présent, elle n’accouchera que mercredi; ce serait faire les choses bien galamment...» Tout enfin serait pour le mieux, si son mari n’était recrû de fatigue, avec ses exercices de chevau-légers.
XII
Pronostics sur le futur ministère.—Dîners diplomatiques.—Entrevue de Mercy-Argenteau avec la favorite et Louis XV.—Echange de lettres aigres-douces entre Mᵐᵉ Du Deffand et la duchesse de Choiseul.—Le dîner de Luciennes.—Jugement sévère de la duchesse de Choiseul.—Au décintrement du pont de Neuilly.—Conspiration de Mesdames contre la Du Barry.—Le régiment des Suisses.
Le duc d’Aiguillon allait connaître un travail autrement difficile, délicat et pénible que celui d’une cavalcade sur un champ de manœuvres, un travail auquel il n’était pas suffisamment préparé, mais que son ambition, servie par une présomption sans bornes, se croyait assuré de mener à bonne fin.
Or la situation que lui avait laissée Choiseul était, à l’extérieur comme à l’intérieur, enchevêtrée de telles complications, qu’eût-il pratiqué une politique toute personnelle, ou continué celle de son prédécesseur, il ne pouvait s’attendre à d’éclatantes victoires diplomatiques. Et, de fait, dans les trois années de son ministère, il ne compta guère que des insuccès et des échecs: son manque de décision, sa crainte de déplaire et surtout sa complète ignorance de la mentalité royale, ondoyante et diverse en son indolence voulue, le condamnaient fatalement à cette politique sans résultats. Habile administrateur en Bretagne, il devait être à Versailles le plus médiocre des ministres.
Son avènement avait exercé néanmoins l’imagination, toujours en éveil, des courtisans. On lui prêtait, ainsi qu’à ses collègues, les combinaisons les plus subtiles. On le voyait déjà, avec le chancelier et M. de Boynes[218] «se porter au grand pouvoir» et travailler «longtemps de front» à l’expédition des affaires. Mais, disait-on, des causes de conflit divisaient Maupeou et d’Aiguillon: celui-ci, en prévision des «troubles de l’Europe» qui pourraient «entraîner la France», demandait au conseil des impôts que refusait le chancelier; mais son esprit souple et avisé l’emporterait enfin sur l’autoritarisme de Maupeou pour être mis à son tour en échec par la pondération de M. de Boynes[219].
Mᵐᵉ Du Deffand n’édifiait pas de moindres romans. Elle voyait déjà Terray «sauter», pour s’être permis d’avoir payé, sans consulter le ministre, les sommes dues à la Chalotais[220]. Or, c’était d’Aiguillon qui, soucieux de se rendre populaire, avait pris l’initiative de faire restituer ses pensions à l’exilé de Saintes.
Il mettait à profit les dîners que donnaient en son honneur «ses amis», pour pratiquer le plus largement possible avec les cours étrangères cette politique d’apaisement qu’il avait inaugurée dès son entrée au ministère. Le 28 juillet, à Compiègne, la duchesse de Valentinois, dame d’atours de la comtesse de Provence, avait prié à souper, avec le duc et la duchesse d’Aiguillon et le duc de la Vrillière, une partie du corps diplomatique, le nonce, les ambassadeurs d’Autriche et de Sardaigne. Il est vrai que, Mᵐᵉ Du Barry étant de la fête, Fuentès et Carracioli, représentants de l’Espagne et des Deux-Siciles, s’étaient fait excuser. Mercy-Argenteau a raconté la scène. C’était la première fois qu’il se rencontrait avec la sultane favorite: à celle-ci le nonce et l’ambassadeur de Sardaigne prodiguaient leurs grâces. Mercy attendit qu’elle lui adressât la parole; et, très sensible à cet accueil, le diplomate écrit: «Je reçus plus de distinction que n’en avaient éprouvé les autres». Aussi, quand le duc d’Aiguillon, toujours dans l’esprit de son rôle, le prit à part et l’avertit que le roi lui donnait un rendez-vous pour le surlendemain chez Mᵐᵉ Du Barry, Mercy n’eut-il garde d’y manquer. D’ailleurs d’Aiguillon l’y conduisit, et, sous prétexte d’aller examiner des estampes dans une pièce voisine, laissa Mercy en tête-à-tête avec la dame du logis, qui s’empressa de faire asseoir le diplomate à côté d’elle et de lui conter ses doléances. Elle était désolée «qu’on l’eût prévenue auprès de la Dauphine par les calomnies les plus atroces, en lui attribuant des propos irrespectueux pour son Altesse Royale», alors qu’elle avait «fait les plus justes éloges des charmes» de la princesse.
On sait en effet le mot prêté à la Du Barry et rapporté—naturellement—à Marie-Antoinette; elle aurait appelé la vigilance du vieux monarque sur les périlleuses inconséquences de cette «petite rousse»; paroles imprudentes autant que cyniques, si jamais elles furent prononcées;[221] car elles ne pouvaient que révolter la pudeur de la femme et blesser cruellement l’orgueil de la future reine.
La Dauphine, poursuit la comtesse, «n’a cessé de me témoigner une sorte de mépris».
Mercy lui prodiguant de bonnes paroles, Mᵐᵉ Du Barry entre en confiance, et, le cœur sur la main, ne lui cache rien de son histoire. Elle lui parle de son entrée à Versailles, lui dit comme elle s’ingénie à désennuyer le roi et ce qu’elle pense des gens de la cour: si elle s’exprime ainsi en toute liberté, c’est que sa belle-sœur, «surveillante qui la garde à vue pour le duc d’Aiguillon», est absente. Et cet aimable bavardage (au fait Mercy est-il bien exact?) se continue jusqu’au moment où paraît le roi.
—Dois-je me retirer, Monsieur? dit-elle (elle ne l’appelle pas encore la France).
Louis XV est seul avec l’ambassadeur. Lui aussi se plaint amèrement. Son petit-fils est incapable de diriger la Dauphine, dont la jeunesse trop exubérante a besoin d’être mise en garde contre les pièges qui l’entourent. Aussi veut-il confier à Mercy-Argenteau la surveillance de la princesse. Il remarque chez elle «des préventions et des haines qui lui sont suggérées». Il invite donc le diplomate à «voir souvent» Marie-Antoinette: il l’autorise même à lui parler en son nom.
Mercy trouve la mission délicate: il le dit. Le roi, embarrassé à son tour, rappelle d’Aiguillon et la comtesse restés dans le cabinet de toilette. Il se lève:
—Il est tard, je vais souper avec mes enfants.
Quand il est parti, le premier ministre et la favorite pressent Mercy de revenir souvent causer aussi simplement avec le roi[222].
Louis XV, volontiers timide, n’avait pas dit à son interlocuteur d’où venaient ces «préventions», ces «haines». Et Mercy, qui en connaît la source et qui veut répondre à la confiance du roi, ne dissimule pas que ses tentatives de conciliation trouvent du côté de Mesdames une opposition irréductible.
En effet, ce n’étaient pas seulement de grandes dames, mais les propres filles de Louis XV et surtout Madame Adélaïde, qui menaient la campagne, poussant devant elles la Dauphine, déjà fort entraînée à subir cette pression familiale. Mercy-Argenteau, redoutant un éclat, s’était efforcé, le 31 juillet, après son entretien avec le roi, de faire appel à la prudence de la jeune princesse, si impulsive de sa nature. Reprenant le thème cher à Marie-Thérèse et à Kaunitz, Mercy redoublait d’instances et de prières auprès de Marie-Antoinette, pour qu’elle eût «l’air d’ignorer le vrai état de la favorite et la traitât sans affectation comme toute femme présentée...» et surtout pour qu’à aucun prix elle ne suivît «les directions de Mesdames». Il crut l’avoir persuadée: car elle lui promit d’adresser la parole à Mᵐᵉ Du Barry, lorsqu’elle entrerait au cercle de la cour. Et comme il la suppliait de persévérer dans sa résolution, sans, bien entendu, en instruire Mesdames, la Dauphine parut choquée d’une insistance qui semblait mettre en doute la parole donnée. Il est vrai qu’elle ne la tint guère; car, le 11 août, alors que, suivant sa convention avec Mercy, elle s’approchait de l’ambassadeur, debout à côté de la comtesse, elle rebroussa aussitôt chemin: la voix impérieuse de Mᵐᵉ Adélaïde lui avait crié qu’il était temps de partir; et la petite Dauphine avait suivi docilement sa tante.
Mᵐᵉ Du Barry ne put dissimuler au roi le dépit qu’elle avait ressenti d’un tel affront, et Louis XV qui, de bonne foi, avait supposé à l’ambassadeur d’Autriche une influence réelle sur l’esprit de Marie-Antoinette, lui dit, le lendemain, d’un ton moqueur:
—M. de Mercy, vos avis ne fructifient guère; il faudra que je vienne à votre secours[223].
D’autre part, les débuts de d’Aiguillon qu’avait accueillis, avec une certaine faveur, la diplomatie étrangère, avaient rencontré plutôt de la méfiance chez les Choiseul. Et même la duchesse avait failli se brouiller avec Mᵐᵉ Du Deffand, après un échange de lettres où elle s’était départie quelque peu de son aménité coutumière, dans une note de vivacité et d’aigreur que ne méritait pas sa correspondante. Mᵐᵉ de Choiseul lui avait écrit le 9 juillet[224] que, si elle respectait la mère, elle n’était pas éblouie de la politesse qu’affectait le fils. «Je suis seulement ennuyée d’en entendre parler. Il fait le mort, mais gare à la résurrection! Car les bons ne seront pas assis à sa droite.» Du fait même de cette déclaration, Mᵐᵉ Du Deffand, qui rêvait peut-être d’accommodements futurs, s’était crue autorisée à des avances qu’elle trouvait toutes naturelles:
«Je dirai à Mᵐᵉ d’Aiguillon tout ce que vous me dites d’elle, mande-t-elle à la duchesse de Choiseul. La fortune de son fils ne lui tourne pas la tête: c’est une très aimable femme.»
La dame de Chanteloup se montra excessivement froissée que sa correspondante eût répété un éloge qui serait «une bassesse indigne d’elle», car elle aurait «l’air de quémander la bienveillance» de la douairière.
Pendant un long mois, la «petite-fille» et la «grand’maman» disputèrent, à perte de vue, sur cette question de... point d’honneur, qui semblait tout de même au bon abbé Barthélemy, intermédiaire bénévole entre les deux parties, un raffinement de «délicatesse» chez la duchesse de Choiseul. Mais cette exagération de susceptibilité allait trouver en quelque sorte sa justification dans un de ces petits événements de cour, qui prenaient alors les proportions d’un gros scandale et dont parle incidemment une lettre de Mᵐᵉ d’Aiguillon au chevalier de Balleroy. La femme du ministre raconte à son confident ses petites misères. Elle a souffert d’un rhume qui «dégénéra en fluxion sur un œil qu’elle eut poché» pendant quelques jours:
«Comme j’étais engagée à dîner chez Mᵐᵉ Du Barry à Luciennes avec tout le corps diplomatique et que ma belle-mère devait y débuter, j’avais fort à cœur de n’y pas manquer. J’ai imaginé de mettre ma tête sur de l’eau bouillante pour finir plus tôt cette fluxion. La chaleur de l’eau et peut-être la disposition m’ont fait porter le sang à la tête.» Ce beau remède lui valut presque une attaque d’apoplexie. Elle eut un «étourdissement suivi de perte de la parole» et des «douleurs dans la tête qui la firent crier comme une femme qui accouche». Aussitôt on la saigna; elle garda le lit le samedi et le dimanche; et «le lundi, j’ai été à Luciennes, de là à Versailles où j’ai donné à souper et le mardi à dîner[225]».
Le «début» de la «grosse duchesse» à Luciennes fait sensation. Le clan des philosophes en reste abasourdi, Mᵐᵉ Du Deffand, qui, jusqu’alors, n’a cessé de rompre des lances en l’honneur de la «sœur du pot», semble fort embarrassée pour annoncer une telle défection à la «grand’maman». Elle lui écrit le 1ᵉʳ octobre: «La mère du Bacha (c’est le nom dont elle se plaît à flétrir d’Aiguillon) est franche, désintéressée; tous ses sentiments sont honnêtes. Elle fit hier une action qui ne vous paraîtra pas une preuve de ce que je dis. Elle dîna chez la sultane. Il y avait huit jours qu’elle résistait au Bacha. Elle se serait brouillée avec lui, si elle avait persisté à résister[226].»
Mᵐᵉ de Choiseul triomphe: «Vous avez beau dire, Mᵐᵉ d’Aiguillon s’est souillée et je rabats de l’estime. Il n’y a point d’autorité, ni de considération qui puisse excuser une infamie[227].»
Si dure pour la belle-mère, Mᵐᵉ de Choiseul se tait sur la bru. Elle qui se sacrifia toujours, sans jamais se plaindre, pour un époux volage, autoritaire et prodigue, elle n’ignore pas que la femme du ministre actuel n’est guère plus heureuse avec son mari. Si M. d’Aiguillon a pu décider sa mère à la plus pénible des démarches, quelle pression ne dût-il pas exercer sur l’esprit de sa femme, pour exiger une absolue soumission aux caprices de ses visées ambitieuses! Désormais la duchesse sera en quelque sorte la dame d’honneur de la favorite: le duc entend qu’elle soit l’inséparable compagne de Mᵐᵉ Du Barry. Et Mᵐᵉ d’Aiguillon subira cette contrainte avec une résignation qui semblera de l’enjouement, tant elle s’applique à ne laisser voir à personne qu’elle obéit à un ordre. Pidansat de Mairobert, observateur perspicace, quand il n’est pas préoccupé de la fabrication de ses nouvelles scandaleuses, a bien compris le caractère de Mᵐᵉ d’Aiguillon jeune[228]. C’est «pour complaire à son mari», qu’elle fait une «cour assidue» à la protectrice de cet époux peu scrupuleux. Elle y gagne l’insigne honneur d’une «familiarité» qui la met souvent dans l’embarras. Un jour, elle complimente, par bienséance, la comtesse Du Barry sur le goût exquis d’une toilette qu’on vient de lui apporter. Là-dessus, la bonne fille qu’est la maîtresse du roi, prend feu: elle court embrasser la duchesse et la supplie, au nom de leur amitié, d’accepter la robe. Mᵐᵉ d’Aiguillon se défend de recevoir un cadeau «qui ne convient pas à une aussi vieille femme»—aveu qui ne lui coûte guère, et qu’on trouve fréquemment dans sa correspondance. Sur ces entrefaites arrive le roi qui donne gain de cause à la comtesse; et les courtisans de trouver l’aventure plaisante.
Mᵐᵉ d’Aiguillon était donc devenue le chaperon de la Du Barry dans les cérémonies officielles. L’année suivante, au décintrement du pont de Neuilly (22 décembre 1772), la famille royale brillant par son absence, «la favorite, écrit Mairobert, resta seule en possession de tous les honneurs». On avait «dressé une loge» à son intention. Elle arriva dans un carrosse dont le fond était occupé par la maréchale de Mirepoix et la duchesse d’Aiguillon: elle se tenait sur le devant avec le comte de la Marche, le seul prince du sang qui fût présent et qui lui servit d’écuyer pour la circonstance[229].
Malgré son peu de goût pour la représentation, la femme du nouveau ministre s’était décidée à «faire ses visites», puis elle s’était «suivant l’usage livrée au public[230]».
De Fontainebleau où elle n’était «pas aussi bien logée qu’à Compiègne», elle continuait ses confidences à Balleroy qu’elle priait, par la même occasion, de lui rapporter un manchon d’hermine doublé de taffetas[231]. Ce n’était pas sans une certaine ironie qu’elle recevait les courbettes empressées de tous ces gens de cour qui l’avaient fuie comme la peste, pendant les heures difficiles des Etats de Bretagne et du procès de Paris: «tout ce qui est ici a passé chez moi indistinctement; même Mᵐᵉ de Chauvelin, que vous avez vue à Compiègne si hautaine, est douce comme un mouton et ne bouge de chez moi. Il n’y a que quatre femmes qui n’y ont pas mis les pieds: Mᵐᵉ d’Egmont et sa grosse belle-fille[232] et Mᵐᵉ de Duras». Elle est d’ailleurs animée du plus grand esprit de conciliation; et les aphorismes qu’elle énonce pour en témoigner seront repris cinquante ans plus tard par Brillat-Savarin: «Il ne faut changer mon cuisinier: il met d’accord les gens les plus opposés: aussi je nomme Martin le pacificateur de la cour». Toutefois l’attitude hostile de Mᵐᵉ d’Egmont avait quelque peu altéré sa bonne humeur: «Ma chère cousine a été ridicule avec moi; et il n’aurait tenu qu’à moi, si je n’avais pas été plus sage qu’elle, d’avoir quelques scènes avec elle; mais je les ai évitées avec soin; je respecte en elle le nom que je porte et la fille d’un homme qui, depuis mon mariage, m’a toujours traitée en père...»
D’autres haines, plus implacables encore et partant de plus haut, sur lesquelles la duchesse se garde bien de s’expliquer, menaçaient déjà son mari, trop fidèle allié de la Du Barry. M. d’Aiguillon devait son poste de premier ministre à la maîtresse du roi: c’était de toute justice qu’il intervînt en sa faveur dans la lutte qui s’engageait contre elle, plus ardente que jamais: «il la gouverne moins par un ascendant décidé que par la souplesse, les égards et les soins», écrit Mercy-Argenteau, à Kaunitz.
Marie-Antoinette ne pardonna jamais à d’Aiguillon l’appui qu’il prêta à Mᵐᵉ Du Barry.
Mesdames applaudissaient à des sentiments d’animosité qui se retournaient contre la maîtresse de leur père; et, dans l’horreur que celle-ci leur inspirait, elles en étaient arrivées à se rapprocher de Choiseul, que l’expulsion des jésuites leur avait rendu plus particulièrement odieux[233]. L’affectation qu’elles apportaient à défendre le ministre disgracié ne pouvait qu’indisposer davantage Mᵐᵉ Du Barry contre un homme qui s’était affirmé si résolument son ennemi. Au reste, Louis XV n’attendait pas après des influences étrangères pour prendre en grippe son ancien favori. L’exil triomphal de Chanteloup et toutes les manifestations en l’honneur du vaincu dont une publicité savante amplifiait l’éclat, avaient fini par énerver ce monarque, parfois si ombrageux sous son apparente indifférence. Aussi, quand on vint lui proposer d’enlever à Choiseul, un an à peine après sa chute, sa charge de colonel-général des Suisses et Grisons (et d’Aiguillon dut participer à la manœuvre), Louis XV se laissa-t-il facilement persuader.
D’ailleurs, le principal intéressé, dès qu’il reçut l’ordre de se démettre, ne put s’y tromper un seul instant. Vainement il avait cru à la parole royale l’assurant, en 1762, qu’il resterait toujours titulaire et possesseur de sa charge. Or, d’Aiguillon venait d’écrire à M. Du Chatelet, l’ami et le représentant de l’ancien ministre, qu’elle n’était pas «inamovible», déclaration confirmée en ces termes de la main même du prince: «ce que dessus ma façon de vouloir[234]!» Et Choiseul d’en tirer cette conclusion qui fait peu d’honneur à sa clairvoyance, si toutefois elle est bien l’expression sincère de sa pensée: «Je n’ai commencé que de ce moment à être vraiment l’ennemi personnel de M. d’Aiguillon et la conduite du roi à mon égard achève l’opinion que j’avais de lui et le dégoût que sa faiblesse cruelle m’inspirait[235]».
Les Mémoires, parus en 1790 sous le nom de Choiseul, sont consacrés en grande partie, le deuxième volume surtout, à l’histoire des négociations qui s’engagèrent et des correspondances qui furent échangées pour la cession de ce brevet de colonel-général. La charge rapportait cent mille livres[236] et les dettes du titulaire étaient énormes. Du Chatelet, intermédiaire très actif et très dévoué, en dépit de tous les tracas que lui valent la raideur et l’aigreur de Choiseul, a trop bien pénétré la volonté arrêtée et irréductible du roi pour ne pas inviter instamment son ami à donner sa démission. Enfin Choiseul cède. Les lettres de continuer.
Il s’agit du prix à débattre. Du Chatelet rend compte à Chanteloup de ses conférences, tantôt avec Mᵐᵉ Du Barry, tantôt avec d’Aiguillon. S’il faut en croire la favorite, le nouveau ministre ne témoigne d’aucun «acharnement» contre son prédécesseur, elle encore moins; c’est le roi qui estime intolérables les chroniques de Chanteloup. Au surplus, «d’Aiguillon ne la gouverne pas; elle écoute tout le monde et ne fait que ce qu’elle veut[237]».
Ce qui n’est pas douteux, c’est que Mᵐᵉ Du Barry se montra, dans la circonstance, plus conciliante que Choiseul ne pouvait raisonnablement l’espérer: «M. Du Chatelet, écrit Mᵐᵉ Du Deffand à Walpole, ne trouvant pas de facilité auprès de M. d’Aiguillon, se détermina à parler à Mᵐᵉ Du Barry, en qui il trouva plus de douceur et de facilité».
Choiseul, dont cette intervention humiliait la fierté, conservait son ton cassant et son attitude de grande victime. Il crut devoir à son orgueil de faire passer sous les yeux du roi, dans les salons de Choisy, une lettre qui l’irritât au possible. Mais la favorite se tourna vers d’Aiguillon et lui dit tout haut:
—Il faut bien que cela soit comme cela.
Enfin, après une conversation des plus animées entre Louis XV, sa maîtresse et son premier ministre, le roi laissa tomber ces mots, en se mettant au jeu:
—Cent mille écus argent comptant, soixante mille livres de pension dont cinquante mille reversibles sur Mᵐᵉ de Choiseul[238].
D’Aiguillon fit part à Du Châtelet de la décision royale. Le dédommagement dépassait les prévisions de l’ex-colonel-général[239]; mais son amour-propre sortait singulièrement froissé de l’aventure:
—Ni moi, ni Mᵐᵉ de Choiseul, écrit l’ancien ministre, ne fîmes de remerciement. L’injustice et surtout la manière dure qu’on avait employée nous dispensaient de la reconnaissance.
Dans l’origine, c’était le comte de Provence que Louis XV avait donné pour successeur à Choiseul. Mais, devant l’opposition du Dauphin, la charge fut attribuée au comte d’Artois.
N’importe, dans l’âme vindicative de d’Aiguillon, l’affaire du régiment des Suisses dut être la contrepartie de celle du régiment du roi.