Une grande dame de la cour de Louis XV: La duchesse d'Aiguillon (1726-1796)
Une «crillonnade».—La requête de «monsieur Lustucru».—Voyages à Paris de Mᵐᵉ d’Aiguillon.—Mission infructueuse de Balleroy auprès de Mᵐᵉ de Maurepas.—Entrée sensationnelle à Paris.—Les Espagnols devant Gibraltar.—Les travaux de Cherbourg.—Mᵐᵉ d’Aiguillon, la politique et les voleurs.—Une créance sur Mᵐᵉ Du Barry.—Mariage du duc d’Agénois avec Mˡˡᵉ de Navailles.—La petite vérole de Mᵐᵉ d’Agénois et les perdreaux de Ruel.—«Laïus est mort».—Le procès Linguet.—Morts successives du duc de Richelieu et d’Aiguillon.—Mercier devant les caveaux de la Sorbonne.
A partir de 1782, la correspondance entre Balleroy et ses illustres amis devient plus rare. Le chevalier n’en reste pas moins l’«attentif» aux petits soins pour la duchesse, et l’homme de confiance de son ancien chef. Il en est toujours récompensé par les compliments les plus flatteurs, les billets les plus aimables, les invitations les plus pressantes aux tirés du domaine d’Aiguillon.
Mais la duchesse est le plus souvent maintenant à Paris: il faut bien produire M. d’Agénois et ne pas négliger Mᵐᵉ de Maurepas. Et le duc, toujours mécontent et boudeur, sans vouloir le paraître, n’écrit que de loin en loin, soit pour se plaindre de sa tante, soit pour jouer au propriétaire surmené de besogne.
Mᵐᵉ d’Aiguillon était rentrée au mois de janvier. Elle dit à Balleroy tout son bonheur de revoir son époux et de partager avec lui les devoirs de l’hospitalité. Ils ont en ce moment les évêques d’Agen, de Condom et de Couseran—la province mitrée—; et pour les divertir, ils leur donneront les Caquets et le Devin de village[564]. Il était alors très bien reçu qu’on offrît à des prélats, sur un théâtre de société, la représentation de telle ou telle pièce en vogue. Beaumarchais, quand il protesta, vers la même époque, contre l’interdiction de son Figaro, disait qu’il l’avait fait jouer devant une «assemblée de prélats» qui en avait félicité l’auteur.
Avant son départ pour Paris, Mᵐᵉ d’Aiguillon commente, suivant son habitude, une nouvelle qui lui arrive de la capitale et qui a trait à la guerre maritime engagée entre la France et l’Angleterre: «Il est certain, monsieur le chevalier, que le général Crillon nous a donné là une très bonne crillonnade et que, dans le temps qu’il n’était connu que pour cet amphigouri, on ne se serait pas douté qu’il dût si bien faire parler de lui. Je souhaite qu’il réussisse aussi bien à Gibraltar, si on l’y envoie...» Elle croyait d’ailleurs à une paix prochaine; et, après avoir rappelé tous les services rendus à l’Etat par son mari, annoncé l’affluence des habitués au château, elle terminait sur cette petite phrase: «Monsieur Lustucru, de grognante et de gourmande mémoire, vous présente requête pour lui apporter une provision de gimblettes et de croquignoles[565]».
M. le chevalier disait connaître son Molière et pratiquer le fameux vers
Quinze jours après, le duc lui écrivait pour l’instruire de la gravité de ses occupations: les solliciteurs étaient si nombreux qu’il se voyait obligé de sérier, comme on dit aujourd’hui, ses invitations: nous relevons, entre autres noms, sur sa liste, ceux de Coniac, Saint-Aignan, d’Esterno, Tinténiac, beaucoup de noblesse de Bretagne[566], l’ancien «bailliage d’Aiguillon».
Depuis le retour de sa femme au château—sans doute au printemps—le duc, visiblement tourmenté par les nouvelles qu’elle avait rapportées de Paris, avait chargé son confident d’une mission délicate auprès de Mᵐᵉ de Maurepas. La «négociation» avait été «malheureuse»; il n’en remerciait pas moins le négociateur: «Il est bien difficile, concluait d’Aiguillon, de persuader à des gens de leur âge, prévenus, opiniâtres et accoutumés au despotisme le plus absolu dans leurs famille et société, qu’ils ont tort». L’autoritarisme de Mᵐᵉ de Maurepas s’expliquait, étant donnée l’influence qu’elle avait toujours exercée sur l’esprit de son époux.
Il s’agissait, ainsi que le laisse comprendre la lettre de d’Aiguillon, d’affaires d’intérêt; et les vieillards, même ceux qui ont, comme Mᵐᵉ de Maurepas, des trésors de tendresse pour leurs neveux, sont bien souvent intraitables sur les questions pécuniaires. Mais Mᵐᵉ d’Aiguillon, quand elle serait auprès de sa tante, reprendrait la conversation et saurait quelles étaient les exigences et les appréhensions de la vieille dame, «pourvu que celle-ci en parlât préalablement à M. Amelot[567]».
Ce fut à cette époque que «Mᵐᵉˢ Du Barry» furent reçues au château. Mᵐᵉ d’Aiguillon y signale simplement leur présence, à propos d’un dîner donné pour l’évêque d’Agen[568]. Et quelques jours après, elle annonce au chevalier son départ, le 17 ou le 18, «si elle n’a la maladie à la mode (la grippe)», pour arriver à Paris le 22 ou le 23. Elle demande en même temps: «Que dites-vous de la prise de Gibraltar? Il faut convenir que M. de Crillon a eu une heureuse étoile[569]!» Une étoile bientôt éteinte! La nouvelle était fausse.
Mais voici la duchesse aux portes de la «bonne ville». Son entrée ne laisse pas que d’y faire sensation:
«Il n’y a que moi, je crois, qui arrive de 200 lieues, à pied, à Paris. C’est exactement ainsi que j’ai fait mon entrée. Une des petites roues a cassé net à Bourg-la-Reine, à cinq heures du matin, par un très vilain temps. Je n’en suis pas moins partie...»
Vainement elle cherche un fiacre... déjà à cette époque!... Mais elle continue son chemin: «A huit heures, nous sommes arrivés avec mon fils, M. d’Abrieu, Mˡˡᵉ Delong (sans doute une femme de charge), mes chiens et moi, à la barrière où je harangue le commis de l’octroi pour qu’il n’arrêtât pas ma voiture. Il m’a d’abord pris pour fort mauvaise compagnie»; et l’éloquence de la voyageuse eût été sans doute en pure perte sans la croix du chevalier d’Abrieu et l’uniforme du comte d’Agénois.
Mᵐᵉ d’Aiguillon écrit du jardin de Madrid où demeure sa tante: «Nous avons tous les soirs, et même à dîner, les courtisans désœuvrés de la Muette[570]». Elle annonce le bruit du jour, la banqueroute du prince de Guéméné: «On dit qu’il emporte 28[571] millions. La maison de Rohan a toujours voulu trancher du souverain; dans cette occasion, ce n’est pas du bon côté; elle et les siens y sont pour la forte somme[572].»
Elle est retournée à Paris, dans son hôtel, d’où elle écrit à Balleroy que le démon de la chasse entraîne un peu partout: «J’ai voulu, monsieur le chevalier, vous laisser le temps de détruire tout le gibier de la terre où vous êtes, pour ne prendre pour vous écrire que le moment où je vous crois fatigué de carnage. Ne les tuez pas tous; laissez-en pour renouveler vos plaisirs pour l’année qui vient». Et, sans plus de préambule, la narratrice défile son chapelet de nouvelles: «On vous a mandé que les Espagnols avaient pris ce généreux parti vis-à-vis les Anglais; ils les ont laissé passer tranquilles, à leur barbe, jeter neuf vaisseaux dans le port de Gibraltar, faire une promenade dans la Méditerranée[573]». Elle note les impressions de la population parisienne en présence d’une campagne menée avec autant d’incapacité et d’inertie, et passe, sans autre transition, à des affaires d’ordre privé. Malgré les «mots d’honnêteté» échangés entre M. d’Aiguillon et M. de Fitz-James, celui-ci est encore à payer les dettes de son fils. Puis la duchesse parle théâtre: «Les nouvelles des spectacles, dont vous jugez bien que je suis plus instruite par mon fils que par moi, sont qu’il y a eu hier aux Italiens deux pièces nouvelles, que toutes deux sont tombées à plat, avec justice, ce dit-on[574]».
La correspondance de 1783 est en déficit. Celle de 1784 se réduit à trois lettres. Mais nous y découvrons cet intéressant détail que le duc d’Aiguillon a renoncé enfin à son splendide isolement. Il est revenu à Paris; et il en écrit au chevalier qui, lui, n’y est plus: «Le duc d’Harcourt (gouverneur de la Normandie) mettra sûrement du zèle, de l’activité et de l’économie dans la direction des travaux de Cherbourg; mais, à en croire la marine, la réussite est physiquement impossible; et tout l’argent qu’on y emploiera est inutilement perdu; je souhaite qu’ils se trompent et ce ne sera pas la première fois[575]». D’Aiguillon voyait encore Mᵐᵉ de Maurepas; car il dit l’avoir ramenée de la Comédie à sa maison de Madrid.
Le chevalier était sans doute à Balleroy, dans le château ancestral; car Mᵐᵉ d’Aiguillon lui écrit sur le ton moqueur qui lui est propre: «Votre province est dans ce moment favorisée du ciel, puisqu’elle possède Mᵐᵉ de Flamarens et tous ses charmes, Mᵐᵉ Seguin (?) et toutes ses grâces, Mᵍʳ l’archevêque de Bourges et toute sa sueur[576]».
Vers la fin de l’année, elle se décide à faire le voyage de Ruel, une terre qu’elle n’aime pourtant pas, disait jadis la grosse duchesse. Elle y va «prendre des alignements pour des plantations». Les promenades sont belles et le parc regorge de lapins (ceci à l’intention du chevalier), et brusquement: «Je ne vous parlerai pas politique, 1º parce que je n’y entends rien, 2º parce que cela m’ennuie. Je ne vous parlerai pas plus de voleurs, quoiqu’on en raconte de superbes histoires[577]».
Par une coïncidence assez curieuse, Mᵐᵉ Du Barry, qui avait précisément passé à Ruel les premières heures de sa déchéance, réglait, dans cette même année 1784, ses comptes avec M. d’Aiguillon. Le roi venait de rembourser les millions qui étaient dus à l’ancienne maîtresse de Louis XV. Mᵐᵉ Du Barry paya donc au duc 227.000 livres qu’il lui avait prêtés sous le nom de Binet de Beaupré. Il avait même fait opposition pour le montant de cette somme sur toutes les valeurs appartenant à l’ex-favorite. Et M. Vatel en déduit cette assertion, un peu aventurée, que si M. d’Aiguillon avait été réellement l’amant de la Du Barry, il n’aurait pas exercé une aussi rigoureuse répétition[578].
Le dossier Balleroy ne contient également, pour l’année 1785, que trois lettres des d’Aiguillon; et ce sont les dernières. Elles nous apprennent un nouvel événement survenu dans la famille, événement qui lui permet d’espérer qu’elle ne s’éteindra pas du côté mâle: le duc d’Agénois[579] s’est marié avec Mˡˡᵉ de Navailles. Mais le jeune ménage a cependant éprouvé une déception: «Mᵐᵉ d’Agénois n’est plus grosse: elle en a pris tout de suite son parti». Son médecin l’a trouvée en bon état. «En conséquence, elle a été inoculée[580] hier matin. Elle est établie au Gros-Caillou. M. d’Aiguillon y passe toutes les journées; et son mari est établi avec elle: elle est très contente et jamais il n’y a eu un tel zèle... Je l’ai vu partir (sans doute de l’hôtel d’Aiguillon) avec attendrissement, mais je me suis bien gardée de le faire paraître[581]».
A son tour, le duc tient son ami au courant de la santé de sa bru, dont il estime que «le caractère s’est un peu plus développé». Veut-il dire (car c’est toujours le même homme de qui l’allure, le geste et la parole sont volontiers énigmatiques), veut-il dire que la nouvelle duchesse d’Agénois est moins sotte?... En tout cas l’inoculation a réussi: la jeune femme ne sera pas marquée. Mais il a eu encore d’autres tracasseries: le procès des Langeac (les bâtards de La Vrillière) sera prochainement jugé; la santé de Mᵐᵉ de Maurepas est dérangée et il part pour Madrid. Puis il tympanise le beau-père de son fils. Comme il attend Balleroy pour chasser les perdreaux de Ruel, il tâchera de les lui conserver «contre la rage de M. de Navailles qui, entre mille prétentions, a celle d’être un grand chasseur: il n’a pas celle d’être un bon père, à peine a-t-il vu sa fille dans sa maladie quoiqu’il dise l’aimer à la folie[582].»
Mᵐᵉ d’Aiguillon était restée depuis quelque temps à Madrid auprès de sa tante. Elle n’en est pas moins à l’affût des nouvelles et fait part au chevalier de son butin:
«Je ne vous parle pas seulement de la mort de notre voisin de Touraine[583]:
Vous savez que c’est M. Du Châtelet qui est exécuteur testamentaire. S’il trouve moyen de payer ses dettes[584], je le tiens bien habile.
On dit qu’elles iront à huit millions...
La reine vient mardi à Paris et doit aller à l’Opéra et le soir voir les illuminations[585]. Vous ne serez pas fâché d’apprendre que l’ambassadeur d’Espagne tira hier un feu d’artifice sur le toit de sa maison, ce qui effraya un peu ses voisins, surtout M. de la Reynière[586].»
Ainsi l’adversaire acharné, l’ennemi implacable du duc d’Aiguillon, Choiseul, qui, renversé par lui, avait réussi à l’abattre à son tour, était mort, sans avoir pu remonter au pouvoir, malgré l’appui, non dissimulé, de Marie-Antoinette. C’est qu’il était aussi odieux au roi que d’Aiguillon l’était à la reine. Non pas que Louis XVI ait jamais partagé contre Choiseul la prévention de certain parti qui le représentait, suivant une note de Soulavie[587], comme l’e.d.s.p., (l’Empoisonneur de son père), c’est-à-dire du Dauphin, fils de Louis XV. Le roi, très dévot, éduqué par M. de la Vauguyon[588] et Mesdames, ne pardonnait pas à Choiseul d’avoir été l’amant de la Pompadour, de même que son vrai grief contre d’Aiguillon était la liaison du ministre avec la Du Barry.
Le duc retourna-t-il jamais dans ce domaine qu’il avait habité pendant près de huit années consécutives, qu’il avait amélioré, embelli et qui, grâce à l’habile gestion d’une femme d’un dévouement infatigable, lui avait permis de tenir une petite cour, moins brillante, il est vrai, que celle de Choiseul, mais digne de son nom et de sa maison?
Nous ne voyons nulle part qu’il ait repris le chemin d’Aiguillon. Et il n’en eut certes pas la pensée. Il était maintenant à Paris et l’espoir lui était revenu en y fixant désormais ses pénates. Pourquoi ne serait-il pas plus heureux que Choiseul, maintenant surtout que ce formidable adversaire avait disparu?
Tombé du pouvoir, l’ambitieux, fût-il doué d’une perspicacité géniale, s’illusionne toujours plus que personne. Il ne tient compte ni des leçons du passé, ni des contingences futures. Il se croit victime des injustices humaines, mais trop indispensable à la marche des affaires pour ne pas obtenir un jour ou l’autre une éclatante réparation. D’Aiguillon n’avait-il pas, dans sa propre famille, un exemple de ces retours inespérés de la fortune? Maurepas, son oncle, après une disgrâce qui avait duré plus d’un quart de siècle, n’était-il pas mort, les mains au gouvernail?
La vie que traîna désormais d’Aiguillon, toujours malade, soit à Paris, soit à Ruel, n’a pas assez occupé l’Histoire, pour qu’elle ait gardé les moindres traces des faits et gestes du politicien déchu, pendant les trois ou quatre années qui précédèrent sa mort. Les Mémoires du temps citent à peine son nom: encore cet éphémère souvenir n’est-il qu’un vague écho de l’interminable procès que soutenait le duc contre Linguet. L’attitude du grand seigneur vis-à-vis du publiciste ne s’était pas modifiée. Cet orgueil, renforcé de mépris, voulait ignorer le faquin qui, se croyant insuffisamment payé pour ses peines et services, osait attaquer un descendant du grand cardinal devant le Parlement. Le journaliste, si âpre dans ses revendications, après s’être montré si peu scrupuleux comme avocat, n’était guère intéressant; mais le duc et pair qui apportait à défendre ses louis un tel esprit de chicane, l’était-il davantage? En tout cas, Linguet n’était pour lui qu’une espèce et sa réclamation une fadaise. Dans leur correspondance avec Balleroy, ni le duc, ni la duchesse ne soufflent mot d’un procès qui défraya si longtemps les conversations de la Cour et de la Ville.
Persuadé que d’Aiguillon l’avait fait rayer du barreau, le 11 février 1774, par un arrêt du parlement Maupeou, Linguet entendit lui imputer la responsabilité de toutes ses disgrâces. L’occasion lui parut favorable, en 1786, une fois que le duc fut rentré à Paris, de lui intenter un procès. Marie-Antoinette en tressaillit de joie. Et alors que, forçant l’entrée de la grand’chambre, à la tête de 300 avocats nouvellement inscrits, Linguet prononçait, au milieu d’une foule immense, une plaidoirie triomphale, des amies de la reine notaient fidèlement tous ces incidents d’audience que la malignité publique allait appuyer de si perfides commentaires.
Linguet était-il si convaincu de la bonté de sa cause? On dit qu’à son heure dernière, presque sur les marches de l’échafaud, il reconnut ses torts envers d’Aiguillon.
Il en est de certaines existences officielles, qui furent longtemps agitées et tumultueuses, se répandant au loin, soumises aux fluctuations les plus diverses de l’opinion et ballottées par les souffles les plus contraires, comme de ces grands fleuves qui, après un cours souvent contrarié par les résistances du sol et par les lois de la nature, se perdent et disparaissent pour ainsi dire avant de s’abîmer dans la mer. Quand d’Aiguillon mourut le 1ᵉʳ septembre 1788[589], il était déjà bien oublié dans la mémoire des hommes. Le Journal de Paris n’enregistra son décès que le 4, et la Gazette de France n’en parla seulement que le 9. Son cousin, le maréchal duc de Richelieu, l’avait «précédé de trois semaines, dit Mercier, dans les caveaux de la Sorbonne». Tous deux «rejoignaient ainsi le fameux ministre qu’ils avaient voulu singer». Résumant le rôle de chacun au XVIIIᵉ siècle, le chroniqueur philosophe ajoutait: «Nous devons nos mœurs modernes au duc (de Richelieu) et la nouvelle fermentation politique à l’ancien commandant de Bretagne: sans le duc de Richelieu mon Tableau aurait eu certainement d’autres couleurs». Et comme ce précurseur du romantisme, disciple convaincu de Rousseau, ne manque jamais une occasion de chevaucher le trépied sybillin, il conclut sur cette prosopopée que n’eût pas désavouée son illustre maître:
«Sainte et véridique histoire, quand je voudrai t’écrire, je me transporterai à la porte du caveau de la Sorbonne: et là, j’interrogerai de mon mieux les singuliers personnages qu’elle renferme; et que sait-on? si en faveur de mon amour pour la vérité, leurs voix ne me répondraient pas[590].»
La duchesse d’Aiguillon, dans cette lugubre solitude, avait trouvé des accents d’émotion plus sincères et d’expression moins ampoulée: il est vrai qu’elle parlait, en mère et en fille désolée, devant les tombes encore récentes de «ce qu’elle avait aimé le plus au monde».
XXIV
Effacement de la duchesse d’Aiguillon pendant plusieurs années.—Rôle de son fils au commencement de la Révolution.—Prétendues représailles contre la reine.—Le fils et la mère émigrent.—Rentrée en France de la duchesse.—Son incarcération.—Le 9 thermidor sauve Mᵐᵉ d’Aiguillon.—Vente et liquidation des propriétés du duc pour désintéresser les créanciers.—La duchesse se retire à Ruel pour exploiter la propriété.—Heures difficiles.—Deux lettres du baron de Scheffer.
La figure de la duchesse, qu’on avait jusqu’alors perçue dans l’ombre de d’Aiguillon, s’efface, après la mort de celui-ci, pendant plusieurs années. Elle ne reparaît, pour fuir définitivement quinze mois après, que dans une correspondance de l’étranger et encore à l’état de reflet: car les lettres où nous la retrouvons ne sont plus de la duchesse, mais d’un ami aussi fidèle et aussi empressé que l’avait été Balleroy, de son vivant.
Quelle détermination prit Mᵐᵉ d’Aiguillon après la mort de son mari? Quelle fut sa part dans la liquidation d’une succession aussi embarrassée que devait l’être celle d’un homme fastueux comme l’était l’ancien ministre, qui pouvait bien avoir cinq cent mille livres de revenu, ainsi que l’affirmait Linguet, mais qui était surchargé de dettes? Nous n’avons eu à notre disposition aucun document qui nous permît d’établir au vrai la situation financière de la duchesse. Elle était désormais toute seule[591]: demeura-t-elle à Ruel ou se résigna-t-elle à vivre auprès de sa tante, Mᵐᵉ de Maurepas, qui ne devait mourir que cinq ans après le décès de son neveu, au plus fort de la tourmente révolutionnaire et sans jamais en avoir éprouvé la moindre secousse[592].
Peut-être aussi cette succession, qui s’ouvrait dix mois à peine avant la période d’anarchie si funeste à la fortune française, en fut-elle, comme tant d’autres, singulièrement retardée et finalement amoindrie: nous verrons bientôt un exemple de ces désastreuses liquidations. Mais l’heure eût été mal choisie pour s’en plaindre.
D’ailleurs la duchesse, qui s’était toujours défendue, sinon de parler, du moins de faire de la politique, n’eût pas voulu se mêler à aucune intrigue sous le nouveau régime, alors que, sous l’ancien, elle s’était abstenue de participer à tant de misérables manœuvres. Son fils, Armand, au dire des contemporains, n’eut pas les mêmes scrupules.
Député à la Constituante, il se rangea du côté des libéraux et même accentua si énergiquement son opposition, qu’il ameuta contre lui, non seulement ses collègues de la droite[593], mais encore toutes les petites feuilles royalistes, où l’invective s’enveloppait souvent d’amusantes pasquinades[594]. On alla jusqu’à écrire qu’aux 5 et 6 octobre 1789, le duc d’Aiguillon avait revêtu le casaquin et la jupe d’une poissarde pour injurier, en toute sécurité, Marie-Antoinette. Il est vrai que, dans la famille, on n’avait guère eu à se louer de la reine. Et lui-même pouvait-il oublier qu’ayant obtenu la survivance de son père pour les chevau-légers, ce régiment avait été licencié[595] et que Marie-Antoinette en avait manifesté une joie insultante? Il serait intéressant de savoir si Mᵐᵉ d’Aiguillon approuva l’attitude politique de son fils, et dans quelle mesure? A vrai dire, cinq ans après, Armand, inquiet de la tournure donnée aux événements par ses meilleurs amis, s’empressait de fausser compagnie à ces démocrates convaincus, en gagnant au plus vite la frontière[596]. Il devait mourir en 1800, à Hambourg[597], sans postérité; et, de ce fait, toute la fortune de la maison d’Aiguillon revenait à son unique héritier, le jeune Hippolyte de Chabrillan.
D’après M. Claude Saint-André, la duchesse d’Aiguillon avait fui, elle aussi, par la diligence de Calais où Mᵐᵉ Du Barry avait pris place, l’emmenant avec elle en qualité de camériste.[598] Ainsi, Mᵐᵉ d’Aiguillon, cette femme jusqu’alors si forte et si intrépide, avait cédé au mouvement de panique qui emportait dans le torrent de l’émigration tant de familles de l’aristocratie.
L’Assemblée législative avait voulu arrêter un exode qui menaçait de dépeupler et d’appauvrir la France: d’où cette loi sur l’émigration, dont les dispositions et le caractère provoquèrent, alors et depuis, des débats si passionnés[599].
Un homme de loi, M. Bernet, à qui les d’Aiguillon avaient confié le soin de leurs affaires, s’entendit sans doute avec un de leurs fidèles, nommé Rousseau, pour les démarches que nécessitait l’observation de cette loi, car il en recevait la lettre suivante:
«J’ai été au comité de législation; on m’a dit que les personnes hors de France doivent, d’après la loi, y rentrer. Il n’y a pas un moment à perdre pour faire revenir Mᵐᵉ d’Aiguillon. Le moyen le plus expéditif est celui qu’il faut employer de préférence[600].»
Bien ou mal conseillée (car le point est encore discutable, tant d’émigrés de la première heure ayant payé de leur tête leur rentrée en France!) Mᵐᵉ d’Aiguillon revint donc à Paris.
La même obscurité règne toujours sur sa vie. Il était sage, d’ailleurs, en ces heures difficiles, de se faire oublier. Mais le passif de la succession d’Aiguillon était tellement énorme, qu’on avait dû vendre et liquider les biens pour éteindre les dettes. La duchesse avait des droits sur le domaine de l’Agenois[601]; car il fallut son consentement pour la vente des «effets restés à Aiguillon». Elle donne sa procuration, en conséquence, au «citoyen Gauthier», un ancien prêtre, qui demeurait 12 rue des Marmousets et qui s’était établi «homme de loi». Dans son pouvoir, la duchesse abandonnait tout, sauf «les tableaux, c’est-à-dire les portraits de famille».
Or, l’administration n’avait pas attendu pour mettre la main, et sur le château, et sur le mobilier qu’il contenait. Le tout avait été confisqué en 1792 comme bien d’émigré[602].
Comment vécut Mᵐᵉ d’Aiguillon? Où se trouvait-elle, quand mourut Mᵐᵉ de Maurepas, en 1793? Put-elle lui fermer les yeux? Autant de problèmes dont nous avons vainement cherché la solution.
Ce qui est certain, c’est qu’en dépit de tous les sacrifices qu’elle avait consentis, depuis son retour d’émigration et dans le cours d’une vie restée silencieuse, elle ne sut désarmer la méfiance des sociétés révolutionnaires qui encombraient de leurs dénonciations les comités de Sûreté Générale et de Salut Public.
Victime de l’esprit de délation qui était à l’ordre du jour, Mᵐᵉ d’Aiguillon fut arrêtée et enfermée aux Filles anglaises[603]. Le 9 thermidor la sauva[604]. Elle se résolut alors à quitter définitivement Paris pour aller s’enfermer à Ruel avec les misérables débris que lui avaient laissés tant de ventes après tant de confiscations. Elle se remit à cette vie de fermière qu’elle menait si allègrement au temps des splendeurs d’Aiguillon. L’ancienne propriété du cardinal, déjà très morcelée et dépouillée de tous ses ornements, abrita les derniers jours de cette grande dame qui avait vu les premières maisons de France s’écraser dans ses salons trop étroits pour recevoir tant de servile ingratitude et de basse méchanceté.
La duchesse d’Aiguillon fit valoir elle-même l’exploitation qu’elle créa dans ce domaine abandonné. Elle le mit en culture maraîchère. Les pelouses d’antan furent divisées en carrés de légumes; et là où s’étaient promenés, en devisant de galanterie ou de politique et même des deux, tant d’élégants cavaliers et de belles dames, poussèrent des navets, des carottes, des choux que Mᵐᵉ d’Aiguillon allait vendre elle-même sur les marchés de Paris. Elle installa, en outre, une laiterie qui, assurément, n’avait rien de commun avec les étables pomponnées et enrubannées de Marie-Antoinette à Trianon-Idylle.
La lettre suivante qu’elle dut écrire à son homme d’affaires, dès qu’elle entreprit de gérer elle-même sa propriété, atteste une fois de plus cet esprit de décision, ce sentiment de la vie pratique et cette intelligence alerte dont elle ne cessa de faire preuve en tout temps:
«Je vous renvoye le mémoire que vous m’avez envoyé à signer, parce que je le trouve trop verbiageux et que je suis persuadée que les mémoires longs ne sont pas bons et par conséquent (quatre mots illisibles) ne servent à rien.
Le commencement est très bien, mais l’article qui veut prouver que je me serais opposée à l’émigration de mon fils se répète trop et ne signifie rien. Il y faut dire simplement que depuis un an je n’avais pas vu mon fils et qu’étant à cent lieues j’ignorais le parti qu’il prenait. J’ai barré l’endroit que je trouve trop long; renvoyez-le moi tout de suite pour le signer. Je crois, quoi que vous en disiez, que 5.000 francs ou même 4.500 valent mieux que rien, qu’une maison qui n’est pas habitée se dégrade et perd beaucoup de sa valeur. Ainsi donc, j’opine pour la laisser à ce prix, mais seulement pour trois ans: il ne faut pas faire comme la fille de la fable qui, à force de refus, n’a pu trouver à se marier. Quant au cheval, j’ai peine à me résoudre à en acheter un autre, que celui-là ne soit vendu. Au reste, vous verrez si cela est nécessaire.
J’ai vu hier M. de Quélen qui m’a dit l’arrangement que vous aviez fait ensemble.
On dit que, sous trois jours, le décret sur les réquisitions (?)[605]... Je le souhaite plus que je ne l’espère.
Rien encore de fini pour la basse-cour; mandez-moi tout de suite si vous apprenez quelque chose de M. Joly. Je vous assure de toute la considération que j’ai pour vous.»
Plélo d’Aiguillon.
De quelle maison voulait-elle parler? De l’hôtel d’Aiguillon, du château de Veretz, d’un immeuble ayant appartenu à Mᵐᵉ de Maurepas? Autant de problèmes.
Mais, là encore, nous retrouvons l’influence bienfaisante d’un Quélen. La fille, comme la mère, rencontrait appui, soutien, dévouement chez un parent, héritier des mêmes traditions familiales.
Depuis un an, Mᵐᵉ d’Aiguillon demandait donc à son labeur rustique le pain quotidien, quand elle reçut d’Ek, en Suède, les deux lettres suivantes[606]:
14 juillet 1795.
«... La brebis égarée, Madame la duchesse, est retrouvée, c’est-à-dire que j’ai eu, cette semaine, deux lettres de vous...
15 juillet 1795.
... J’ai tressailli de joie, Madame la duchesse, en recevant une lettre où j’ai reconnu vos caractères, où cette main si précieuse était peinte. La vivacité avec laquelle je l’ai ouverte est (illisible); mais ma surprise
a été grande en trouvant qu’elle a été écrite le 24 août de l’année passée. Vous vous y plaigniez d’un concierge barbare qui vous a privée de toute communication avec le reste du genre humain. Un nouveau surveillant vous était donné plus humain; mais, malgré cela, votre lettre du mois d’août 1794 ne m’est parvenue que dans un moment, un mois (? sans doute un an) après qu’elle a été écrite.
Cette lettre vous apprendra toute la douleur dont mon âme est pénétrée par les malheurs qui m’ont privé de vos nouvelles.
Etes-vous libre? Etes-vous enfermée entre quatre murs? Enfin, madame, si ces lignes ont le bonheur de tomber entre vos mains, au nom de Dieu, apprenez-moi quel est celui (sans doute le sort) de vos enfants. Je suis (illisible) et je touche peut-être aux derniers moments de ma vie[607]. Ne me refusez pas cette consolation: elle adoucira les peines que j’ai souffertes, elle rendra les derniers jours de ma vie heureux.»
Le signataire de ces deux lettres était le baron de Scheffer, ancien secrétaire d’Etat aux affaires étrangères en Suède et frère du comte du même nom, ancien ambassadeur de Stockholm à Versailles. On sait la particulière affection que les d’Aiguillon et les Richelieu avaient vouée à la patrie de Gustave-Adolphe, constante alliée du cardinal. Nous avons vu l’accueil fait, précisément à Ruel, par la grosse duchesse au futur roi de Suède et la liaison très intime de son fils, le ministre, avec le comte de Creutz, successeur du baron de Scheffer. Or celui-ci avait gardé des relations d’amitié avec les d’Aiguillon, et son frère, le comte était en correspondance réglée avec eux depuis 1754[608].
La duchesse lui avait écrit, après que la chute de Robespierre et de ses partisans eût rendu aux prisonniers une liberté relative, en attendant que la porte de leurs cachots s’ouvrît toute grande devant leur impatience et celle de leurs amis. Mᵐᵉ d’Aiguillon avait cherché un peu partout, comme ses compagnons de captivité, réconfort, consolation, espérance, le souffle de la Terreur ayant balayé dans toutes les directions, quand il ne les avait pas anéantis, les membres de cette société polie et raffinée dont le premier crime était son blason.
XXV
Le baron de Scheffer, ancien ministre des affaires étrangères de Suède.—Sa joie quand il apprend que Mᵐᵉ d’Aiguillon a pu échapper «aux mains des tigres sanguinaires».—Il s’inquiète de la situation financière de Mᵐᵉ d’Aiguillon et se désole de la voir se rendre à Paris en charrette.—Que sont devenues les amies de la duchesse et surtout Mᵐᵉ de Laigle?—Travaux rustiques: basse-cour et arbres fruitiers.—Apparition des Mémoires de Richelieu, d’Aiguillon, de Maurepas: opinion de Scheffer sur des compilations que Mᵐᵉ d’Aiguillon déclare apocryphes.—La bru et le petit-fils de la duchesse sont avec elle.—La dernière lettre de Scheffer.
Les lettres du baron de Scheffer méritent de fixer l’attention, non qu’elles soient des modèles de style, mais elles constituent une documentation précieuse, qui, tout en permettant d’achever le crayon de Mᵐᵉ d’Aiguillon, apporte des renseignements curieux sur la vie économique et littéraire du temps.
La seconde lettre de Scheffer, datée du 22 juillet 1795, nous montre un homme pleinement rassuré:
«Elle est libre, m’écriai-je! elle est sortie de prison, elle est retournée à sa chère habitation de Ruel... Vous a-t-on rendu vos biens en sortant des mains (!!!) de ces tigres sanguinaires?... Vous avez dû renvoyer une partie de vos domestiques; et votre homme d’affaires a bien mal géré les vôtres... Il faut qu’on vous ait dépouillée.
Mᵐᵉ de Laigle est-elle sortie du naufrage général?
J’ai adressé une lettre aux Filles anglaises (Mᵐᵉ d’Aiguillon avait écrit au baron de sa prison).
Nous avons un ministre accrédité du 2 juillet: c’est le citoyen Rival (?)»
La Révolution avait si brusquement séparé, surtout depuis trois ans, la France du reste de l’Europe, que les amis qui se revoyaient ou reprenaient leur correspondance après un temps d’arrêt aussi long et aussi imprévu, pressaient et précipitaient leurs questions, comme s’ils eussent craint une nouvelle et brutale interruption: ce qui explique le décousu de la lettre du baron de Scheffer, décousu qu’on retrouve dans beaucoup d’autres correspondances du temps. Le gentilhomme suédois reparlera souvent de Mᵐᵉ de Laigle, qui était une grande amie de la duchesse et pour laquelle il manifestait en toute occasion la plus vive sympathie. Cette dame avait une santé des plus précaires, et se soignait peu ou mal: «Elle se croit encore à dix ans, écrit Mᵐᵉ d’Aiguillon à Balleroy; son mari devrait l’avertir[609].»
En général, les lettres de Scheffer sont plutôt des billets, où les phrases, courtes et heurtées, continuent à n’avoir aucune liaison entre elles. Elles ne sont pas toujours datées. En voici cependant quelques-unes qui paraissent se rapporter aux premiers mois de 1796.
Encore des questions sur la société de la duchesse, des dames que nous avons vu se succéder au château d’Aiguillon: «Que sont devenues Mᵐᵉˢ d’Esparbès, de Flamarens, si elles vivent encore? Et Mᵐᵉ de Laigle?»
La situation de fortune de sa correspondante préoccupe beaucoup Scheffer. Il compte bien que les hommes du gouvernement lui rendront ses biens séquestrés: «Je l’attends de leur équité pour chanter de loin leurs louanges». «... Je vois que vous avez trouvé quelque ressource pécuniaire, et j’en suis très aise; mais que cela ne soit que par l’ouvrage de vos mains, cela fait toujours mon étonnement et ma peine. Je reçois des détails fort intéressants sur votre genre de vie, sur la société que vous recevez...» Les prisonniers s’étaient créé, sous les verrous, des relations qu’ils conservèrent après leur mise en liberté: «Si vous n’avez pas tiré quelque autre parti de votre captivité, écrit Scheffer, c’est de vous avoir attaché quelques personnes qui peuvent vous tenir compagnie».
Tous les siens n’étaient pas partis pour l’émigration ou quelques-uns en étaient revenus: «Je vous félicite de recevoir chez vous Madame votre belle-fille et votre Armand[610]. Il doit être bien grandi, depuis qu’il était à demeure chez vous».
Mais voici l’avril. Mᵐᵉ d’Aiguillon doit tenir son ami au courant de ses travaux, et lui de répondre: «Vous êtes en pleine occupation pour faire labourer et semer vos champs et planter dans votre garenne». (7 avril 1796.)
Puis, c’est une publication qui fait grand bruit et dont la lecture a certainement intéressé la duchesse: «Je viens de lire les Mémoires du maréchal de Richelieu. Louis XV est assez malmené. Je lui sais (à l’auteur) pourtant gré d’avoir parlé fort avantageusement de M. le duc d’Aiguillon. M. le duc de Choiseul n’y est rien moins que ménagé[611].»
L’horizon est moins sombre; et l’apparence de sécurité que le gouvernement du Directoire, cependant si faible et si divisé, offre au pays, a rendu à Mᵐᵉ d’Aiguillon un semblant de belle humeur: elle a retrouvé la rondeur et la bonhomie de la fermière d’autrefois; et le baron lui réplique sur le même ton:
«Votre lettre m’a fait grand plaisir par le détail qu’elle contient de la société dont vous jouissez à présent, qui, quoique diminuée à raison de ce qu’elle était auparavant, doit être fort bonne puisqu’elle vous convient ainsi. Je vous en fais mon compliment, de même qu’aux petits cochons de lait qui viennent de vous naître. C’est un bon produit de votre basse-cour. Vous avez des boutons à vos arbres fruitiers (lettre du 21 avril)... Je vous fais mille remercîments de votre lettre qui m’apprend les malheurs arrivés dans votre basse-cour. Je vous ai fait part de la mort d’une belle vache; mais ce n’est qu’entre nous que nous pouvons nous confier de pareils chagrins; les gens de la ville se moqueraient de nous.» (Lettre du 28 avril.)
Une lettre, datée du 5 mai 1796, nous apprend une particularité, tout à fait inattendue, sur le domaine de Veretz. La duchesse avait annoncé à Scheffer la mort de son homme d’affaires en Touraine, mort qui ne lui avait pas laissé de profonds regrets; et le baron l’avait «félicitée» de l’avoir «perdu». Puis il ajoutait: «C’est quelque chose d’avoir pu disposer des meubles qui étaient à Veretz[612]; mais cette terre vous appartient en propre». Elle venait cependant du père de M. d’Aiguillon. Le fils l’avait-il reconnue, comme douaire, à sa mère?[613] En tout cas, Scheffer argumentait sur ces prémisses: «Pourquoi ne la voulez-vous pas? Vous n’êtes ni émigrée, ni vous n’avez jamais rien fait contre la République et la Constitution. Avec la permission de votre gouvernement, je trouve que cela n’est pas juste. Si l’administration, jadis violente et tyrannique, l’a mise en séquestre, c’est à un gouvernement juste et sage d’y remédier».
Notre octogénaire a, par moments, des velléités d’optimisme; il est vrai qu’il rend ainsi, et par voie détournée, un délicat hommage à la bonté, bien connue, de son amie: «Votre domestique est aujourd’hui peu nombreux; quelquefois on n’en est que mieux servi. Et comme vos gens vous ont été toujours fort attachés, je compte que vous ne regretterez rien».
Mais le dévouement de la domesticité ne pouvant prévaloir contre la maladie, Mᵐᵉ d’Aiguillon s’était plainte de ce que «ses chevaux étant sur la paille, elle était obligée d’aller à Paris dans sa charrette». Et ce brave Scheffer de déplorer l’aventure: «Je voudrais du moins vous savoir hors de cette charrette, lorsque vous allez de Ruel à Paris et dans une bonne berline où l’on est moins secoué».
Les intérêts de la duchesse nécessitaient alors sa présence à la ville: elle devait assister à la levée des scellés apposés dans l’hôtel d’Aiguillon (lettre du 3 juin).
Elle avait en conséquence élu domicile chez sa vieille amie Mᵐᵉ de Laigle, qui était frappée de paralysie; elle craignait des rechutes. Et le bon Scheffer, quoique comprenant ces appréhensions, se défendait de croire à l’imminence d’une fin prochaine pour une personne dont il ne cessait de réclamer des nouvelles dans chacune de ses lettres, car il avait vu des paralytiques «vivre encore longtemps même avec la bouche de travers».
Le frère de l’ancien ambassadeur de Suède aborde des sujets d’ordre moins intime. Il annonce l’arrivée prochaine, comme envoyé de la République, «du fameux Pichegru[614], qui a conquis la Flandre et la Hollande: on le loue pour ses qualités morales». Et, tout en félicitant «Madame la duchesse de sa correspondance bien rentrée dans son train ordinaire»—elle devait être en effet fort irrégulière—il traite une question intéressant au plus haut point la veuve de l’ancien ministre et dont elle avait déjà entretenu son correspondant:
«Je n’ai point vu les Mémoires du duc d’Aiguillon et du comte de Maurepas[615], bien que je lirais avec le plus vif intérêt tout ce qui regarde des personnes si illustres et avec qui j’ai été lié à Paris; mais je voudrais alors voir la vérité et non un fatras d’anecdotes, vraies ou fausses, mais à qui on donne une tournure odieuse et (illisible) vers le but de l’objet que les auteurs se proposent.
Les Mémoires de Richelieu sont venus dans ce pays. C’est un ouvrage de deux gros volumes mais qui ne sont pas proprement la vie du maréchal. L’objet principal a été de dire tout le mal possible de Louis XV, de la reine et de la Cour. J’ai vu avec plaisir que vous n’étiez pas nommée; apparemment qu’il n’a pas pu dire de mal de vous. Et votre mari, quoique nommé, n’y est pas aussi barbouillé que d’autres; il n’est pas sans avoir eu quelque coup de patte.» (Lettre du 9 juin 1796.)
Quand il pense à ses amies de Paris, avec lesquelles il a tant de confidences à échanger «sur le bon vieux temps passé», l’honnête diplomate se rassure et s’inquiète tour à tour, suivant les nouvelles qu’il reçoit de la duchesse, ou qu’il lit dans la «Gazette». Mᵐᵉ d’Aiguillon l’«instruit des carrés(?)» qu’elle se propose d’établir dans sa propriété, et de la «situation de son économie de Ruel qui assurément va mieux que la sienne à Ek, où il est entouré d’un grand lac». (Lettre du 23 juin). Il est tout à fait tranquille, maintenant que ce travail est «achevé sans accident ni événement fâcheux». Mais le voici dans des transes nouvelles, depuis qu’il sait par la gazette «qu’une femme près de Paris a été attaquée dans sa maison». (Lettre du 30.)
Evidemment les environs de la grande ville sont infestés de rôdeurs; c’est une maladie endémique dont a souffert de tout temps la banlieue suburbaine. Mais la duchesse n’est pas femme à s’effrayer: qu’a-t-elle à craindre? écrit-elle; il n’y a rien à prendre chez une fermière; on ne peut pas tondre un œuf. «Ce mépris du danger» fait de la peine à Scheffer. Il est toutefois d’autres rapines dont se préoccuperait davantage «la fermière». Nous l’apprenons par son correspondant: «J’avais espéré qu’on vous rendrait justice sur vos justes prétentions; mais je vois que vous êtes à la veille d’être inquiétée sur la garenne de Ruel que vous possédez à si juste titre.» L’ami de la France s’affirme dans ces petites phrases: «Je vous félicite du succès de vos armées en Italie[616]. Si cela continue, on va vous gorger d’argent... Votre ambassadeur Lehoc a été fort regretté[617]».
Puis le digne gentilhomme fait un retour sur lui-même et termine sa lettre par un mot charmant:
«Dans quinze jours, j’entre dans ma quatre-vingtième année; ma main est bien tremblante, mais mon cœur est toujours le même pour vous.» (Lettre du 21 juillet.)
Cette noble affection s’affirme plus encore, à la réception d’une lettre où Mᵐᵉ d’Aiguillon se désole de la situation de Mᵐᵉ de Laigle qui empire chaque jour: «Que ne puis-je être auprès de vous pour vous sauver de vous-même, pour vous prouver qu’il existe un ami tendre et fidèle; mais cette consolation m’est refusée et j’en suis au désespoir». (Lettre du 28 juillet.)
Mᵐᵉ de Laigle s’était rétablie de sa crise; mais les intérêts de la duchesse se trouvaient de jour en jour plus compromis. Et Mᵐᵉ d’Aiguillon, qui avait reporté toute sa tendresse maternelle sur l’enfant de son fils, dont elle n’était pas séparée, pressentait dans un avenir prochain une spoliation qui l’eût ruinée infailliblement. Scheffer s’indigne:
«Mais, s’écrie-t-il, votre petit-fils n’est pas sorti de France et on le dépouille de ses biens! Vous n’avez jamais eu de part aux (illisible) de ceux dont on est mécontent. Vous ne l’avez pas fait; et cependant on vous punit! C’est inouï!» (Lettre du 2 août.)
Dans celle du 11 août, l’ancien diplomate revient sur un sujet dont s’occupe volontiers la grande dame:
«Vous me parlez des mémoires d’Aiguillon, de Richelieu, de Maurepas et vous les regardez tous comme apocryphes[618].
«Je suis assez de votre avis, surtout n’ayant point vu les deux premiers et ne sachant s’ils existent. Quant à ceux du maréchal, comme il est uniquement en vue de favoriser le gouvernement révolutionnaire chez vous, il est assez naturel qu’on veuille se servir de noms aussi connus pour remplir ce but. L’auteur des Mémoires ne dit pas qu’ils soient écrits sous sa dictée ou par lui-même; mais il peut avoir du maréchal un amas immense de lettres, des annotations, des notes, sur lesquels il a composé son livre. Ce livre se fait lire avidement; et bien des gens y croient comme à l’Evangile.»
Ce fut la dernière lettre de son vieil ami que put lire, si elle la lut, la duchesse d’Aiguillon. Elle lui était adressée le 11 août 1796; et la grande dame, devenue fermière, mourait, dans son exploitation de Ruel, le 15 septembre suivant[619], d’une maladie de langueur causée par ses douleurs et ses deuils.
Par une cruelle ironie du sort, Scheffer lui écrivait dans cette même lettre:
«Votre lettre, madame la duchesse, du 13 du passé (juillet) m’est bien arrivée. Vous m’apprenez que votre amie est hors d’affaire, mais que les craintes pour l’avenir vous restent. Dans la joie de mon âme, je me réjouis de savoir qu’elle vous reste encore. Vous êtes trop nécessaires l’une à l’autre pour jamais vous séparer et si mes vœux pour vous sont exaucés, vous irez au moins aussi loin que Mᵐᵉ votre tante, Mᵐᵉ de Maurepas. Dieu veuille seulement que les temps puissent changer pour vous et que je vous sache plus heureuse que vous n’êtes actuellement!»
Mᵐᵉ de Laigle avait-elle survécu à son amie?
Ainsi disparaissait dans l’obscurité, dans la solitude, dans l’abandon et presque dans la misère, une femme qui avait été jadis si entourée, si fêtée, si courtisée, une des premières à la première cour du monde. Elle avait habité de superbes palais, s’était assise à la table des rois et avait présidé aux fêtes les plus somptueuses. Mais, au milieu du luxe et des grandeurs, elle était restée simple, vraie et bienveillante. Dans l’incessant conflit entre les passions les plus viles et les intrigues les plus basses, elle avait conservé sa franchise, sa droiture, sa loyauté. Car elle n’était ni vaine, ni ambitieuse. Elle n’avait dans le cœur d’autre sentiment que celui de la famille, d’autre amour que celui de son mari, d’autre idéal que l’honneur du nom. Aussi, frappée dans toutes ses tendresses et dans toutes ses affections, passa-t-elle sa vie à souffrir. Mais la douleur n’eut jamais raison de son énergie. L’adversité fortifia son âme au lieu de l’abattre. Elle ne fut jamais si grande, ni d’humeur si égale que lorsqu’elle fut le jouet de la tempête. Elle fut tour à tour victime des manœuvres perfides de ses pairs et de l’aveugle violence du populaire. Septuagénaire, elle se résigna, sans récriminations, mais au contraire le sourire sur ses lèvres, à n’être plus qu’une simple fermière; mais, dans un temps où des seigneurs de l’ancienne cour se cachaient sous une défroque jacobine, elle signait fièrement Plélo d’Aiguillon: les noms du héros que fut son père et de l’admirable femme qu’était sa mère, associés à celui du prêtre génial qui, le siècle précédent, avait assuré l’unité de la France.
La grande famille[620] à qui sont revenues d’aussi glorieuses traditions, perpétuées par le trésor de magnifiques archives, ne pouvait recueillir de plus noble héritage[621].
APPENDICE I
L’ŒUVRE DE SOULAVIE
Les diverses publications historiques ou prétendues telles, entreprises de 1788 à 1801 par Soulavie, tiennent trop au cœur même de notre sujet, pour que nous n’accordions pas quelques lignes à l’homme et à l’œuvre, d’après M. Mazon (Histoire de Soulavie, Paris, 2 vol. in-8º 1893) et d’après Soulavie lui-même.
Une société s’était formée, en 1790-91, pour imprimer et éditer à Paris, rue de Condé, nº 7, une collection de Mémoires relatifs à l’histoire du règne de Louis XV.
L’idée n’était pas neuve. Des spéculations de librairie, remontant à une époque antérieure, avaient déjà attaché des aventuriers de lettres, à la plume et à l’imagination faciles, à la confection de prétendus mémoires historiques des règnes de Louis XIII et de Louis XIV. Quelques miettes de vérité délayées dans un lourd fatras de faits douteux et d’anecdotes controuvées, telle était la recette de ces indigestes compositions, dont le secret n’est pas encore perdu.
Il semblait que la société de 1790 dût présenter plus de garanties. M. de Laborde était, en grande partie, «propriétaire de la collection» projetée; et Soulavie, ancien ecclésiastique, savant doublé d’un érudit, devait diriger la publication.
Ce n’était pas, toutefois, qu’il ne fût, lui aussi, sujet à caution. Du vivant du maréchal de Richelieu, et pendant trois années, il avait pu, grâce à la confiance de ce grand seigneur, que ses attaches et ses intrigues avaient mis en possession de si précieux documents, explorer les portefeuilles mis à sa disposition par Losques, le bibliothécaire du vieux courtisan. Il venait précisément d’en tirer les premiers volumes des Mémoires du duc de Richelieu, récit, quelquefois fidèle et amusant, mais trop souvent romanesque, invraisemblable et satirique, d’événements auxquels le maréchal avait été si particulièrement mêlé. Aussi le duc de Fronsac, qui avait pourtant fourni des notes à Soulavie, crut-il devoir protester, au nom de la mémoire de son père, contre les inexactitudes et l’esprit tendancieux d’une publication qu’il condamnait. Soulavie affirma que le maréchal avait au contraire encouragé un travail dont il avait fourni les matériaux.
Presque en même temps, paraissait dans la collection de Laborde, où Soulavie était seul en nom, la première édition de ces Mémoires, célèbres entre tous, monument littéraire et historique qui a rendu impérissable le nom de Saint-Simon.
Nombreuses furent les publications, annoncées ou parues, connues ou ignorées, qui, en se succédant, ne démontrèrent que trop avec quelle déplorable désinvolture Soulavie traitait les documents historiques, mutilant, défigurant, supprimant ou interpolant, suivant les besoins de la cause.
Nous ne retiendrons de cette liste que trois ouvrages, plus ou moins attribués à Soulavie, deux surtout que nous ne pouvions négliger pour la mise au point de notre travail.
1º Les Mémoires du comte de Maurepas qui s’arrêtent à la disgrâce de ce ministre, sacrifié à la rancune de Mᵐᵉ de Pompadour.
2º Les Mémoires du duc de Choiseul, compilation, en diverses parties, des pièces officielles émanées de cet homme d’Etat, en même temps qu’une longue diatribe, sous son nom, contre le duc d’Aiguillon et Mᵐᵉ Du Barry. Soulavie dut y ajouter certainement du sien. Nous verrons la thèse contraire dans les Mémoires du ministère du duc d’Aiguillon. Rien que cette façon de plaider le pour et le contre en dit assez sur la probité littéraire et sur la moralité du rédacteur.
3º Les Mémoires du ministère du duc d’Aiguillon. C’est Soulavie qui en déterminera lui-même l’attribution dans un passage de ses Mémoires sur le règne de Louis XVI (tome I, p. 241). Il reconnaît qu’il a publié ceux du ministère du duc d’Aiguillon d’après les notes fournies à Mirabeau par le maréchal de Richelieu. Mais celles-ci, à en croire les indications inédites de Soulavie recueillies par M. de Monmerqué, subirent, avant et pendant l’impression, des modifications importantes dont certaines méritent d’être signalées. D’abord, M. de Laborde, qui n’aimait pas Choiseul, avait révisé soigneusement les chapitres concernant l’ancien ministre. Il est de fait que soixante pages du livre (110-172) sont une exécution en règle de Choiseul.
Une autre note inédite de Soulavie, transcrite par M. de Monmerqué à la page 327, nous donne le mot du chapitre dont elle est l’en-tête et qui est intitulé Remarques sur les Mémoires du ministère du duc d’Aiguillon—autant de rectifications de certaines assertions contenues dans le volume, rectifications ainsi affirmées: «Ces notes ont été données à M. Soulavie par M. d’Aiguillon et sa mère, veuve, à condition que tant qu’ils vivraient, M. Soulavie ne dirait jamais les tenir de leurs mains».
Enfin, suivant son habitude, Soulavie apporte sa part de collaboration à l’œuvre de Mirabeau; son biographe, M. Mazon, la signale à la fin du volume, à propos d’un plan gouvernemental, que nous retrouverons en son temps, et d’embellissements de Paris où Soulavie s’annonce comme un précurseur du baron Haussmann.
Et cependant, en tenant compte de toutes ces réserves, il importe de reconnaître que les Mémoires du ministère du duc d’Aiguillon constituent pour l’étude qui nous occupe un document de premier ordre. Il s’accorde mieux assurément avec les pièces officielles du temps que toutes les autres compilations de Soulavie.
Cet homme avait le génie de l’inexactitude... voulue, qui ressemble singulièrement à de la mauvaise foi, alors que les circonstances l’avaient si bien servi. En bonne posture auprès des Jacobins, il avait été chargé, après le 10 août, de dresser l’inventaire des papiers de Louis XVI. Mieux encore, la protection de Robespierre—faveur si rare—l’avait fait nommer ministre de la République à Genève. Et le diplomate improvisé (à quoi mène le publicisme!) dut assurément profiter de la bienveillance du maître pour consulter ces archives des affaires étrangères que l’Incorruptible avait eu le bon sens de laisser, comme le ministère lui-même, entre les mains expertes des premiers commis de l’ancien régime.
Sans doute, la carrière diplomatique de Soulavie ne fut pas exempte de déboires; mais cet infatigable compilateur sut s’en consoler par une série de nouvelles publications qu’il faut contrôler aussi minutieusement que les précédentes.—Ce fut ainsi qu’il fit paraître, en 1801, ses Mémoires historiques et politiques du règne de Louis XVI, dans lesquels il reconnaît (tome I, p. 192) avoir composé cet ouvrage diffus et prolixe, mais bourré de faits curieux, sur des notes que lui avaient remises Richelieu, le duc de Fronsac, Mᵐᵉ d’Aiguillon, M. de Laborde et le cardinal de Luynes.
APPENDICE II
NÉGOCIATIONS SECRÈTES DE BEAUMARCHAIS
Quelques mois auparavant, Louis XV avait employé Beaumarchais pour le rachat d’un libelle de Théveneau de Morande contre Mᵐᵉ Du Barry. M. Robiquet a donné dans son Théveneau de Morande (Paris, 1882, p. 43) le récit de cette négociation:
«C’est La Borde... qui désigna Beaumarchais au vieux roi, alors à la recherche d’un homme supérieur dans la négociation...» pour avoir raison du terrible biographe de Mᵐᵉ Du Barry.
Beaumarchais accepta la mission délicate qui lui était proposée et se rendit à Londres, en mars 1774, sous le nom de Ronac, anagramme de Caron.
Morande ne demandait qu’à se laisser corrompre. Dans les lettres qu’il avait adressées au duc d’Aiguillon et à M. de Sartine, l’auteur des Mémoires secrets d’une fille publique avait lui-même fait son prix. D’après ce que raconte Dutens dans les Mémoires d’un voyageur qui se repose, il fut convenu, entre l’envoyé de Louis XV et le libelliste, que ce dernier supprimerait toute l’édition, moyennant une somme de 32.000 livres et une pension de 4.000, dont la moitié serait reversible sur la tête de sa femme.
M. de Loménie dit, nous ne savons sur la foi de quels témoignages, que Morande ne toucha qu’un capital de 20.000 francs comptant; mais la Police dévoilée (de Manuel) et le Diable dans un bénitier (de Lafite de Pellepore) donnent le même chiffre que Dutens qui tenait ces renseignements de Beaumarchais en personne.
Quant à la pension de 4.000 livres, d’autres disent 4.800, c’était un contrat de rente bien authentique.
Tous les exemplaires de la biographie de Mᵐᵉ Du Barry furent brûlés dans un foyer à briques aux environs de Londres. On n’épargna qu’un seul exemplaire. Les feuillets furent coupés en deux moitiés: Beaumarchais garda l’une et Morande l’autre. Si l’ouvrage reparaissait, le contrat serait frappé de nullité...
... Le duc d’Aiguillon aurait bien voulu savoir quelles personnes de la cour renseignaient Morande avec une perfidie et une exactitude si dangereuses pour le repos du roi. Mais le pamphlétaire ne livra pas des secrets qui faisaient sa force, et Beaumarchais affirme, dans un mémoire adressé à Louis XVI, qu’il refusa, de son côté, de «jouer le rôle infâme de délateur».
APPENDICE III
NOUVELLISTES A LA MAIN EN 1774
Le duc d’Aiguillon fut-il réellement, sinon l’inspirateur, du moins le commanditaire de cette fabrique d’ignobles opuscules qui couvrirent de fiel et de boue Marie-Antoinette? Cette œuvre de scandale et de calomnie n’entra en activité, dans ce qui concerne, et la reine de France, et la femme du roi, qu’à l’avènement de Louis XVI. Or, nos recherches personnelles[622] nous ont fait découvrir un acte d’association, dans cette même année, pour la composition et l’exploitation des Nouvelles à la main, entre un gazetier famélique et le chevalier d’Abrieu, secrétaire intime de M. d’Aiguillon. Le traité suivit-il son cours entre les deux parties contractantes? Nous n’avons trouvé aucune pièce qui autorise à l’affirmer.
Mais, dans un autre carton des archives de la Bastille[623], nous avons rencontré, parmi les papiers d’un gazetier de la même époque, des pièces intéressantes qui établissent une sorte de connexion entre l’abandon de son industrie par le nouvelliste et la démission du ministre de Louis XV. Signalons tout d’abord le registre d’abonnement de ce journaliste à la main[624], registre où nous relevons, entre autres noms, ceux de «M. le duc de Choiseul en son château à Chanteloup, par Amboise» et de «Monseigneur le comte d’Artois» par l’intermédiaire de son premier valet de chambre, avec cette mention: «Il faut mettre un point à l’A». Nous retrouvons sur l’un des feuillets l’adresse du cardinal de Bernis à Rome et celle du «chevalier de Balleroy, brigadier des armées du roi à Bayeux», mais tous deux ont cessé leur abonnement depuis le 14 janvier 1774.
Le document le plus curieux du dossier Surgeon est encore cette note qu’adresse, le 25 juillet 1774, au lieutenant général de police, l’inspecteur Goupil.[625]
«... J’ai l’honneur de vous rendre compte que, dans les recherches et démarches que j’ai faites à l’occasion des Nouvelles à la main dont vous avez bien voulu me charger, je suis parvenu à savoir du sieur Renaud et son épouse que plusieurs personnes se mêlaient d’abonner pour les provinces. J’ai même été sans succès dans les endroits qu’ils m’ont indiqués, puisque j’ai appris des sieurs Fréret et Landriau, avec la plus grande ingénuité, qu’ils ne s’en étaient pas occupés depuis la retraite de M. le duc d’Aiguillon.»
Personne n’ignore que la plupart de ces gazettes étaient souvent très mordicantes, comme on disait alors, et valaient à leurs auteurs ou leurs colporteurs les honneurs de la Bastille.
Goupil, poursuivant ses perquisitions, retourne chez les Renaud. Ceux-ci lui disent de s’adresser au domestique de Pidansat de Mairobert, le continuateur des Mémoires de Bachaumont, mais lui recommandent de «prendre bien garde à trouver le maître». Mairobert n’était pas d’humeur accommodante. Aussi le policier ne peut-il dissimuler sa répugnance à tenter une telle démarche. D’où cette petite scène de ménage que note scrupuleusement Goupil:
«L’épouse, en regardant avec bonté son époux, lui a dit:
—Evitez à monsieur ce nouvel embarras et lui dites au plus juste où il s’adressera.
L’époux, d’un air courroucé, a juré contre son épouse en lui disant:
—Taisez-vous, madame, et ne me compromettez. Vous savez que j’ai des défenses de la police et que, depuis un mois, je ne me mêle plus de ces nouvelles.
Ce qui m’a déterminé à me retirer», conclut l’inspecteur. Peut-être aussi avait-il constaté que sa véritable personnalité était découverte.
Mais il n’avait pas abandonné la partie.
Le motif avoué de toutes ces recherches était bien l’interdiction des Nouvelles à la main, mais le but véritable, soigneusement dissimulé, des enquêtes policières était la capture d’un pamphlétaire qui avait lancé contre la reine un libelle infâme, Le lever de l’Aurore. Or, Goupil le croyait, non sans raison, affilié à l’une de ces agences de gazettes manuscrites, qui pullulaient alors à Paris et qui, fort souvent, empruntaient leur misérable prose à un office central de nouvelles dont elles étaient les abonnées. Goupil apprenait, en effet, le 27 juillet 1774, les relations... littéraires de l’homme qu’il filait—l’abbé Mercier, secrétaire de Marin, rédacteur à la Gazette de France—avec les publicistes nommés Pignatel et Dubec. Et, pour en finir au plus vite, l’inspecteur, armé de lettres de cachet, expédiait à la Bastille, le 28, tout ce lot de journalistes de contrebande, y compris Arnoux, directeur-caissier de la feuille officielle. Or, ce Dubec était précisément l’associé éventuel du chevalier d’Abrieu; et l’une de ses lettres, conservée dans son dossier, certifie qu’il était le prête-nom du titulaire de la Gazette de France, le trop fameux Marin-Quesaco de Beaumarchais; car, celui-ci, à côté de son organe reconnu et commandité par le gouvernement, avait un service de nouvelles, plus ou moins licites, qu’il faisait distribuer en province. Dubec reconnaissait, sans difficulté, qu’il avait fait commerce de nouvelles, mais qu’il avait cessé, sur l’ordre de la police et repassé à son ancien associé Arnoux ses listes d’abonnés. Il avouait également, comme d’ailleurs l’abbé Mercier, que le secrétaire de Marin, dénoncé par son patron, avait collaboré à ses gazettes manuscrites.
Evidemment, les diverses coïncidences que nous venons de relater entre la suppression des Nouvelles, l’arrestation du pamphlétaire Mercier et la démission du duc d’Aiguillon, ne doivent pas être passées sous silence; mais elles ne peuvent fournir les éléments d’un acte d’accusation contre l’ancien ministre[626].
APPENDICE IV
LE DERNIER D’AIGUILLON.—SON ROLE A LA CONSTITUANTE ET A L’ARMÉE.—SON SÉJOUR A LONDRES.
Harcelé et vilipendé par les épigrammes et les pamphlets qui le représentaient, travesti en poissarde, au milieu des furies des 5 et 6 octobre, d’Aiguillon avait fini par s’émouvoir de tant d’outrages. Il en écrivit au Moniteur qui publia sa lettre dans le numéro du 21 janvier 1790 (quelle coïncidence!). Après avoir «résisté longtemps», disait-il, à sa mère, à ses parents, à ses amis qui le pressaient de démentir «les lâches accusations» portées contre lui, d’Aiguillon s’était décidé à se défendre, énumérait ses démarches auprès du comité des recherches de l’Assemblée nationale, de la ville de Paris, etc., etc. Il leur avait demandé de faire procéder à une enquête sur sa conduite. Il mettait au défi ses accusateurs d’établir le bien-fondé de leurs griefs. Et il poursuivrait, comme calomniateur, celui de ses ennemis qui renoncerait à l’anonymat, pour déclarer que d’Aiguillon était réellement coupable des «horreurs» qu’on lui prêtait.
Il ne paraît pas que cette invitation ait été relevée sur le terrain où se plaçait d’Aiguillon... Mais, le Journal général de la Cour et de la Ville, du 5 mai, ayant inséré un quatrain des plus injurieux, signé De Meude-Monpas où se lisait le mot d’Aiguill..., le député de la Constituante somma le journal et l’auteur de l’épigramme de s’expliquer catégoriquement. Meude-Monpas répondit qu’il n’avait pas entendu désigner sous le nom d’Aiguill... le duc d’Aiguillon. Celui-ci fit publier cette déclaration signée dans le nº 145 du Moniteur (25 mai 1790) en l’accompagnant d’un rappel de sa lettre parue le 21 janvier.
Mais la haine politique n’avait pas encore lâché sa proie. Et ce fut à la Constituante qu’elle vint la ressaisir, non plus dans sa personnalité, mais dans celle de son père.
Le nº 343 du Moniteur nous en fournit la preuve.
Au cours de la séance du mardi soir 7 décembre 1790, le député royaliste Cazalès s’exprimait ainsi:
«... La suppression d’un acte de procédure est une tyrannie. Qu’il me soit permis de rappeler à ces Bretons, qui siègent dans cette assemblée, quelle fut leur juste indignation, quand le feu roi fit enlever du greffe du Parlement de Paris la procédure dirigée contre M. d’Aiguillon. Cette indignation fut juste: la France la partagea. Il n’y eut pas un bon citoyen qui ne fût profondément affligé de voir le vertueux La Chalotais rester sous le coup d’une accusation calomnieuse, quand le coupable d’Aiguillon jouissait en paix des crimes qu’il avait commis dans cette province.»
Des murmures éclatèrent sur un grand nombre de bancs, car c’était surtout le fils qui était visé plus que le père. Et l’attaque était d’autant plus illogique que celui-ci avait défendu les prérogatives royales contre les Etats de Bretagne et que lui, Cazalès, combattait pour elles au sein de l’Assemblée nationale.
D’Aiguillon fils avait demandé la parole; il répondit en ces termes à l’attaque de son collègue:
«J’aurais plus tôt demandé la parole pour solliciter de l’Assemblée une justice éclatante des injures et des calomnies que M. Cazalès s’est permises contre la mémoire de mon père, si je n’avais considéré combien les principes de M. Cazalès ont peu d’influence sur l’Assemblée nationale et sur la nation (nombreux applaudissements), si je n’avais pensé que je devais les outrageantes personnalités de M. Cazalès à la différence d’opinion qui existe entre nous.
D’ailleurs les applaudissements que l’Assemblée a bien voulu me donner vengent assez, et moi, et la mémoire de mon père. Je demande donc que, pour ce qui me regarde personnellement, M. Cazalès ne soit pas rappelé à l’ordre (applaudissements prolongés).»
Cazalès regretta publiquement son intempérance de langage; mais elle n’en démontrait pas moins combien était encore vivace l’animosité qui avait survécu au brusque dénouement des affaires de Bretagne.
La Biographie universelle et portative des contemporains (1826) et les Papiers de Barthélemy (Paris, 1886, t. I) nous donnent la suite de la biographie de «Richelieu d’Aiguillon» jusqu’au moment de son départ pour l’émigration.
Après la clôture de l’Assemblée constituante, il reprend du service en qualité de maréchal de camp. Remplaçant Custines dans son commandement de Porentruy, il dut échanger des dépêches avec Dumouriez. (Autre coïncidence! Le père avait fait mettre le futur vainqueur de Valmy à la Bastille!)
Une lettre interceptée lui valut d’être dénoncé à la Convention et décrété d’accusation, bien qu’il eût traité publiquement les émigrés et leurs compagnons de «hordes de traîtres et d’embaucheurs». Ce qui ne l’empêcha pas d’émigrer à son tour, mais, avant, il crut devoir expliquer à ses soldats pourquoi il les abandonnait. Il quitta donc la France pour se retirer à Londres où il fut fort mal reçu des émigrés. Il en partit pour se fixer définitivement à Hambourg. Il y mourut le 4 mai 1800; mais, au dire de la Biographie portative, il venait d’obtenir sa radiation de la liste des émigrés, ce que semble contredire la procédure suivie pour la vente du domaine et du château d’Aiguillon.
Les Mémoires de Brissot (1832, 4 vol.) insèrent, à la page 179 du tome III, cette note:
«Extrait des Mémoires du chanteur anglais Michel Kelly qui était en relations avec le duc d’Aiguillon pendant le séjour de celui-ci à Londres:
«Un matin, le duc me fit appeler: «Je vous ai beaucoup d’obligation, me dit-il, pour la bienveillance et l’hospitalité avec lesquelles vous m’avez traité, ainsi que mes amis. Mais bien que je sois toujours harcelé par le malheur, il m’est impossible d’oublier que je suis le duc d’Aiguillon; et je ne saurais me résoudre à vivre d’emprunts et d’aumônes. J’avoue que je suis réduit à mon dernier schelling, cependant, je conserve ma santé et toutes mes facultés.
«Quand j’étais autrefois grand amateur, j’aimais beaucoup à copier de la musique[627], c’était alors un amusement pour moi; ce serait, à présent, mon bon ami, une précieuse ressource. La grâce que je vous demande c’est de vouloir bien me faire copier de la musique pour vos théâtres au prix que vous donneriez à un copiste ordinaire qui vous serait totalement étranger. Je suis maintenant fait aux privations, j’ai peu de besoins. Jadis logé dans des palais, je me contente aujourd’hui d’une seule chambre à coucher au second étage, et si vous m’accordez ce que j’attends de votre amitié, vous me procurerez la satisfaction après laquelle je soupire de ne devoir ma subsistance qu’au travail de mes mains.»
«Je fus ému jusqu’aux larmes en voyant l’extrémité où se trouvait réduit un homme né dans la plus haute classe de la société et qui avait joui d’une aussi grande fortune. Je lui promis de lui procurer toute la musique qu’il pourrait copier; il parut au comble de ses vœux. Le lendemain, je lui donnai de l’ouvrage.
«Depuis ce moment, il se levait avec le jour et travaillait jusqu’au soir pour remplir sa tâche; ensuite il s’habillait proprement et se rendait au parterre de l’Opéra. Là, il pouvait encore se croire le duc d’Aiguillon, et personne n’eût deviné qu’il avait passé la journée à copier de la musique pour un schelling la feuille.
«Dans cet état de gêne, il doit paraître étrange que son humeur ne se soit jamais altérée et qu’il ait toujours conservé sa gaîté. Il n’est pas douteux que sur dix Anglais placés dans les mêmes circonstances, neuf au moins ne se fussent ôté la vie. Cependant la tranquillité passagère que ce malheureux duc goûtait alors ne fut pas de longue durée. Un ordre émané de l’alien office, aussi cruel qu’il était inattendu, ne lui donna qu’un délai de deux jours pour quitter l’Angleterre. Il partit pour Hambourg où il mourut bientôt après.»
APPENDICE V
THOLIN
Documents sur le mobilier du château d’Aiguillon confisqué en 1792, Agen 1882 (Biblioth. nat. Impr. LK7 24985.)
Résumé de ce précieux opuscule:
L’histoire du château d’Aiguillon et de ses hôtes tient une telle place dans notre livre, la destruction de l’immeuble fut si rapide et la dispersion de son mobilier si radicale, que nous avons cru devoir résumer en quelques pages la brochure de M. Tholin, qui les fait revivre par sa documentation précise et sincère, à l’exemple de ces pièces d’archives, inventaires et procès-verbaux, dont les descriptions exactes et détaillées permettent de reconstituer... sur le papier, les appartements, et l’aspect général des intérieurs d’autrefois.
Ce fut le 18 septembre 1792 que la Commission du département de Lot-et-Garonne apposa les scellés sur toutes les portes du château d’Aiguillon, propriété de «Vignerot émigré».[628] Huit mois après, le Conseil de Lot-et-Garonne s’inspirait du décret de l’Assemblée nationale (14 novembre 1789) concernant la conservation des livres et objets
JEAN CAUSEUR,
BOUCHER DE PROFESSION,
âgé de cent trente ans, né au Village de Ploumoguer, en Basse-Bretagne. Peint en Août 1771 par Charles Caffieri Sculpteur Breveté du Roi pour la Marine à Brest
Jean Causeur, âgé de cent trente ans, d’après Charles Caffieri
(Collection Désiré Lacroix)
précieux provenant des établissements supprimés, pour «empêcher le pillage, régulariser la vente et faire exécuter le triage des livres, archives et objets d’art».
Le 28 mai 1793, de concert avec l’administration de Tonneins, le Conseil de Lot-et-Garonne nommait Lespinasse père, négociant, à fin d’expertiser, le lendemain 29, les meubles et effets dudit château, à lui présentés par Nugues aîné, administrateur du district de Tonneins, et de se conformer aux prescriptions de Nugues, commissaire du district et de Saint-Amans, commissaire particulier du département.
Le 5 juin 1793, le Conseil du département déléguait Durand, en qualité de commissaire, à Aiguillon, pour y vendre, le 6, les effets inventoriés, «conformément au mode usité pour la vente des meubles et effets nationaux», l’administration se réservant tous les tableaux et autres objets désignés dans l’état Saint-Amans et Noubel du 30 mai[629], «ensemble deux lustres, celui dans le salon de compagnie et autre à choisir dans les autres salles, poëles et cartons et papiers qui devront être gardés au prix de l’estimation».
La vente sur place comporta 52 vacations du 6 juin au 4 septembre 1793 et s’éleva à 98.686 livres 17 sous. Le catalogue, qui ne compte pas moins de 300 pages[630], ne donne cependant que des indications sommaires sur les objets mis en vente: porcelaines, faïences, chandeliers, candélabres en bronze et en argent, meubles en marqueterie, tentures, canapés et fauteuils en tapisserie ne trouvèrent acquéreur qu’à vil prix.
Vingt-deux glaces furent vendues de 165 à 570 livres; quatre cabriolets (petits meubles) garnis en damas, 105 livres; une pendule portative montée sur rhinocéros, 340 livres; une pendule à l’antique, 210 livres... Dix-sept tableaux (portraits) de la famille Vignerot, compris une gravure ovale et deux autres ovales, 400 livres... Un tableau représentant Rennes; un autre, l’enlèvement d’Europe... Des portraits, des vues et des monuments sans désignation.
A ce propos, M. Tholin cite le passage suivant du chroniqueur Proché: «Dans une fête célébrée à Agen, le 22 septembre 1793, on livra aux flammes tous les tableaux qu’on avait retirés des églises, ceux qui représentaient des rois ou des princes, ou qui retraçaient quelques vestiges de féodalité, en un mot tous ceux qu’on avait trouvés dans les maisons des particuliers et au château d’Aiguillon. Tous ces tableaux, dont quelques-uns étaient des chefs-d’œuvre, avaient été portés sur un tombereau qui suivait le cortège. On y remarquait le portrait de Louis XV, représenté en grand, le sceptre à la main, placé sur le devant du tombereau.» La Revue de l’Agenais (1878, tome V, p. 190) suppose que ce fut sans doute ce jour-là qu’on brûla en même temps les tableaux religieux et les portraits des souverains (Louis XIII et Henri IV, inventaire de 1613) qui étaient à l’Hôtel de Ville d’Agen.
M. Tholin estime qu’il faut «en rabattre» de l’appréciation du chroniqueur, et que l’autodafé se borna à la destruction des portraits de roi ou de prince. C’était déjà trop: les vandales qui croyaient faire œuvre de bon patriote en brûlant ces effigies royales, pouvaient-ils savoir si, par exemple, ce portrait de Louis XV, en pied, avec les attributs de la royauté, n’était pas l’œuvre d’un maître, sortant surtout du château d’Aiguillon?
En 1795, le Directoire de Lot-et-Garonne, tenant ses séances dans l’ancien couvent des Carmélites, sur l’emplacement du lycée actuel, se préoccupa d’approprier un local pour le musée départemental. Le directeur des travaux publics communiqua son rapport constatant l’existence d’objets d’art dispersés dans tout le département et l’arrivée de gravures et de moulages envoyés de Paris pour l’école de dessin. Il fit préparer un local pour recevoir ces divers objets; et Tonellé, conducteur des travaux publics, fut chargé de l’aménagement.
Dix jours auparavant, le 6 nivôse an III, le Directoire avait nommé une commission pour inventorier les tableaux du château d’Aiguillon déposés au musée. Ce travail, confié à Saint-Amans, qui l’exécuta avec deux adjoints, fut terminé le 25 nivôse[631], «dans la forme imposée par la Convention, le 8 pluviôse an II, pour les bibliothèques publiques». La notation en usage vaut la peine d’être rappelée. + désignait les objets d’une certaine valeur; ++ ceux qui étaient très remarquables; +++ les plus rares et les plus précieux.
Bon nombre de ces tableaux se trouvent encore à la préfecture d’Agen; et M. Tholin les signale, d’après l’étude critique qui en fut faite (1879) par MM. Boudet, de Monbrison, A. Magen et Payen, architecte départemental:
Pastel de Caffieri (portrait de J. Le Causeur, âgé de cent trente-deux ans[632]); en déficit.
Pastels de Volaine;
Deux vues du château de Veretz par Van Blarenbergue. Travail fort beau et dont la dimension contraste avec le genre du peintre qui était un miniaturiste. Ces vues sont à la préfecture;
Saint-Jean-Baptiste dans le désert, d’après Raphaël (?);
Portrait d’Hortense Mancini (école de Mignard);
Portrait de Mᵐᵉ Du Barry, de Drouais «retouché pour M. d’Aiguillon».
Ne serait-ce pas cette «copie du portrait de Mᵐᵉ Du Barry en Flore retouché d’après nature pour M. le duc d’Aiguillon, au prix de 600 livres» tel que l’indiquent les Goncourt dans leur livre La Du Barry, p. 368? Ce portrait est à la préfecture.
De même ceux de la comtesse de Provence, par Drouais; de Mᵐᵉ de Pompadour, par Nattier; de Mᵐᵉ de Mazarin-Mailly, attribué à Nattier; de Louise de Crussol (école de Mignard); de Cinq-Mars, qu’on suppose provenir des d’Effiat, propriétaires de Veretz avant les d’Aiguillon.
Douze tableaux, consignés par l’inventaire du 25 nivôse an III, ont disparu, et parmi eux le Passage de la mer Rouge, attribué par les experts au Poussin, qui avait travaillé pour Mᵐᵉ de Combalet, duchesse d’Aiguillon et nièce du cardinal de Richelieu.
Nous avons simplement analysé le catalogue, annoté, de M. Tholin, sans nous prononcer pour ou contre des attributions, qui ont d’ailleurs varié, suivant les dates d’expertise.
Le Museum d’Agen, qui devait être constitué avec le fonds d’Aiguillon, dans l’Ecole centrale de Lot-et-Garonne, fondée le 21 novembre 1799, ne semble pas avoir jamais existé. En tout cas, un inventaire du mobilier de la préfecture en 1812, aussi incomplet qu’il est sommaire, porte que les tableaux ont été «trouvés à l’administration centrale. Ils viennent du château d’Aiguillon» et l’inventaire note «portraits de famille pour mémoire». Ils ne sont catalogués que très imparfaitement.
En réalité, tableaux et meubles ont... émigré dans les salons de la préfecture.
L’opuscule de M. Tholin offre le plus grand intérêt, non seulement au point de vue qui nous occupe, mais encore à un point de vue général. Il ouvre de curieux horizons sur la vie économique dans les châteaux de l’ancien régime, quelques années avant la Révolution. Déjà les lettres de M. et Mᵐᵉ d’Aiguillon nous l’ont fait entrevoir. Ici, nous avons des documents précis, des comptes et des chiffres. Voici, par exemple, l’état du sommelier en 1782:
Dans cette année, 577 bouteilles de 60 crus différents parurent «à la grande table». L’office, y compris le personnel du théâtre, qui fut servi à part, consomma 888 bouteilles pour les hommes, 360 pour les femmes, 101 pour les musiciens, 135 pour les garçons, soit un total de 1484 bouteilles.
La vente de la cave, en 1793, qui présentait à peu près la même composition de vins qu’en 1782, ne comporte pas des renseignements moins instructifs. Ce sont les vins de liqueur qui ont toutes les préférences: Malvoisie, Chypre, Xérès, Malaga, Rancio, les muscats du pays (crus Galibert et Reignac situés à la Croix-Blanche, près d’Agen). Certains furent vendus jusqu’à 6 livres la bouteille. Pas de Bourgogne, ni de Champagne. Les Margaux, Saint-Emilion et Barsac sont achetés 1 livre 16 sous, à peine quelques sous de plus que les vins de Cahors et d’Aiguillon.
Le château n’était pas terminé au moment de la Révolution; mais M. Tholin estime, à juste raison, que le corps de logis principal devait être très vaste et complètement meublé, en raison des réceptions qu’y donnaient les châtelains et des hôtes qui venaient y villégiaturer. M. Tholin ajoute que les invitations furent très nombreuses dans le principe et qu’elles furent «acceptées avec reconnaissance», mais bientôt les visites se firent plus rares: la noblesse agenaise était pauvre et le duc d’Aiguillon trop hautain. C’était, en effet, un de ses péchés mignons; mais nous avons vu, d’après la correspondance, qu’il y avait toujours foule au château et même dans la salle de spectacle.
De celle-ci, qui existe encore, mais qui a reçu une autre appropriation, M. Tholin nous donne une description assez précise. C’était une aile du château consacrée à cette destination (nous savons qu’elle avait été construite à cet effet par les d’Aiguillon). Cette salle contenait, outre la scène et un amphithéâtre pour les spectateurs, un chauffoir pour les dames et deux foyers isolés par des portes matelassées. Deux portes, qui subsistent, devaient ouvrir, l’une sur l’escalier du château, l’autre sur la rue. La salle était éclairée par des lustres de cristal, et entourée de loges garnies d’accoudoirs, de banquettes rembourrées et d’autres plus simples. C’est aujourd’hui l’Hôtel du Tapis Vert.
Les décors, les costumes et la bibliothèque du théâtre ne furent pas vendus. Isabeau, le conventionnel en mission, le même qui distribuait aux acteurs de la région les ornements d’église pour s’en faire des costumes, mit, le 16 octobre 1794, à la disposition du Comité dramatique d’Agen le mobilier théâtral du château. Le 19, le Directoire de Tonneins en fit dresser l’inventaire par la municipalité d’Aiguillon.
Les décors servirent quelque temps aux représentations données par le Comité dramatique; mais, en 1797, certains de ses membres se refusant à prendre la responsabilité de la conservation de ces décors, la municipalité agenoise en référa au ministre de l’intérieur.
Celui-ci, d’autre part, avait reçu des citoyens Garnier et Cressant, artistes du théâtre de Montauban, une requête pour l’obtention de ces mêmes décors. Le ministre des finances, avisé, le 26 pluviôse an VI, par son collègue de l’intérieur, lui répondit, le 29, qu’il en avait écrit au département de Lot-et-Garonne. D’Aiguillon sollicitait alors sa radiation de la liste des émigrés: si le Directoire exécutif rejetait la demande, disait le ministre des finances, on pourrait mettre toiles et décors à la disposition des comédiens montalbanais.
Les démarches de d’Aiguillon ne durent pas être accueillies favorablement, car la ville d’Agen fut autorisée à prendre possession du mobilier théâtral du château, sur l’évaluation qui en avait été faite à 478 livres 10 sous, le 10 avril 1798, par le commissaire délégué J. Raymond.
La description des costumes et accessoires comprend trois grandes pages de l’inventaire, pêle-mêle pittoresque de robes de soie de toutes couleurs, corsets «variés», manteaux brodés, culottes à la musulmane, toges romaines, habits espagnols, chapeaux de Scapin, cuirasses, brassières, peau d’ours... Le répertoire, dont la correspondance de Mᵐᵉ d’Aiguillon indique différentes pièces, appelait évidemment cette variété de costumes.
Parmi les accessoires, nous voyons une «machine pour le tonnerre» et «un tableau avec son chevalet» pour le Tableau parlant de la Comédie-Italienne.
Certes tous ces chiffons et ces fanfreluches, ces oripeaux et ce clinquant, qu’avait déjà dû disperser et ternir l’âpre bise de la tourmente révolutionnaire,—ludibria ventis—ne sont plus aujourd’hui que de vains souvenirs. Mais il reste, de ce même théâtre d’Aiguillon, d’impérissables monuments, actuellement à l’Hôtel de Ville d’Agen, 400 volumes in-folio d’œuvres musicales que le duc avait collectionnées. Ils sont aux armes d’Aiguillon, et plusieurs portent l’ex-libris des grands bibliophiles du XVIIIᵉ siècle, Bonnier de la Mosson, chevalier de Polignac, Rouillé, Du Tillet, marquis de la Chétardie, etc. Il en est qui contiennent des curiosités comme la mise en scène du ballet des Turcs dans le Bourgeois gentilhomme, ou des pièces inédites, telles les Cantatilles de Barthélemy sur le Siège de Saint-Malo et la Bataille de Saint-Cast.
M. Tholin constate, avec juste raison, d’après le catalogue de l’importante bibliothèque musicale de Fétis, achetée par la ville de Bruxelles, que cette collection est moins riche que celle de d’Aiguillon pour certaines séries, «celle des auteurs français de musique dramatique, tragédies mises en musique, comédies, pastorales et ballets».
PIÈCES JUSTIFICATIVES I
Archives de la Bastille, 12391 fº 198
Dossier Tort
Monsieur,
Je m’étais déjà présenté à votre porte pour tâcher de vous rendre mes hommages respectueux, lorsque vous avez bien voulu me mander afin de me prévenir des intentions du roi et de son ministre relativement à la conduite que je dois tenir sur quelques points essentiels de mon affaire contre M. de Guines. Il a toujours été dans mon cœur, Monsieur, le désir le plus vif de ne pas déplaire à mes maîtres, et il n’y a pas de sacrifices que je ne sois prêt à faire pour éviter un pareil inconvénient.
J’ai été malheureusement forcé d’intenter une action criminelle contre M. de Guines (non parce que ce même M. de Guines m’a cruellement persécuté en me faisant traîner dans différentes prisons après m’avoir enlevé toute ma fortune) mais parce qu’il a osé ajouter à ces injustices celle de m’avoir accusé auprès du roi, et publiquement, d’être un voleur domestique et d’avoir trahi les intérêts de la France en vendant à prix d’argent les secrets de l’Etat à différents négociants anglais, etc...
Des accusations de cette espèce ne me laissaient que le choix de mourir dans l’opprobre, ou de me justifier en employant les voies de droit. Ce dernier parti était sans doute dangereux parce que mes démarches, quoique très légales, pouvaient choquer à tout instant les vues d’une administration à laquelle mon adversaire tenait par sa place.
Voilà, Monsieur, quelle était ma position. Il fallut chercher des expédients pour tâcher d’en diminuer l’horreur; et je n’en trouvai pas de meilleur que celui de supplier M. de Sartine de vouloir bien être le juge de la conduite que je me proposais de tenir. Ce magistrat daigna m’écouter; il me promit même avec bonté de m’arrêter sur les objets qui pourraient m’attirer le blâme de la Cour, mais à cette condition que je le préviendrais d’avance de tous les partis que je serais dans le cas de prendre relativement à l’instance que j’allais commencer. Mes intentions étaient trop pures pour ne pas souscrire aux conditions que m’imposait M. de Sartine. Je lui ai tenu scrupuleusement parole. J’ose l’en prendre à témoin. Sa haute sagesse m’a préservé de mille écarts. Mon innocence et ma fermeté ont fait le reste.
Vous devez être bien assuré, Monsieur, d’après ce détail, qu’étant heureusement parvenu au moment d’être jugé, je ne chercherai point à me compromettre en faisant insérer des faits qui puissent intéresser le Gouvernement dans les mémoires que je serai bientôt forcé de donner à mes juges et au public.
M. de Sartine avait encore bien voulu me promettre d’entendre la lecture de ces mémoires avant qu’ils ne fussent mis sous la presse.
Puis-je me flatter de trouver le même intérêt et les mêmes bontés dans son successeur? J’oserais l’espérer, Monsieur, si le désir de les mériter pouvait être compté pour quelque chose. Mais, puisque ce n’est pas un titre, je me bornerai à vous supplier de devenir l’interprète de mes sentiments, en daignant assurer le roi et ses ministres que S. M. n’aura jamais de sujet plus fidèle, plus soumis et plus respectueux que moi.
Je suis, etc.
Tort.
Paris, le 22 septembre 1774.
Lettre de Tort de la Sonde au lieutenant de police. Son dossier est accompagné de ses interrogatoires et de lettres du comte de Guines au duc de La Vrillière.
PIÈCES JUSTIFICATIVES II
ANT 243 Lettre de Mᵐᵉ d’Aiguillon
Paris, 16 juin 1775.
... Je n’ai pas besoin de vous dire ce que j’ai éprouvé, en voyant partir lundi M. d’Aiguillon seul et sans savoir quand et comment je pourrai l’aller trouver. Ce qui est certain, c’est que, si j’ai la possibilité de voir ma tête à couvert, je partirai. Il faut convenir que notre position est plus cruelle que celle de tous les autres exilés que j’aie vus.
M. de M(aurepas) a été envoyé à Bourges dans la maison de son cousin et de son ami; et sa femme a pu ne pas le quitter. De plus, cet éloignement ne marquait pas un acharnement comme le nôtre le prouve. Il n’avait qu’une terre bâtie (Pontchartrain) qui était à quatre lieues de Versailles où le roi allait souvent chasser... Nous en avons une bien bâtie à 60 lieues où nous serions bien à notre aise; c’est pour cela qu’on nous envoie à 200 lieues dans un endroit non bâti et où je ne puis aller... M. de Choiseul, dont assurément le feu roi avait plus d’une raison de se plaindre, a été envoyé chez lui, où non seulement sa femme et sa sœur, mais tous ses amis l’ont suivi. Jamais on n’a imaginé de trouver 60 lieues trop près: cela était réservé pour nous.
PIÈCES JUSTIFICATIVES III
Certificat de résidence
Commune de Marly.—District de Versailles.
Extrait des Délibérations de la commune de Marly.
Nous, soussignés, maire, officiers municipaux, membres du conseil général de Marly, sur la demande faite par la citoyenne ci-après nommée, sur l’attestation des citoyens Gervais, Mottet, J.-Louis Chicaneau, Claude Blein, Jean-Pierre Leroy, L. Durand, Louis Rousseau, J.-J. Hauvy, L. Talveau.
Que la citoyenne de Plélo, veuve d’Aiguillon, douairrière (sic), âgée de soixante-six ans, taille de 4 pieds 10 pouces, visage plein, yeux bleus, cheveux grisonnants, bouche grande, est demeurant actuellement à Rueil[633], maison appartenant à elle-même et qu’il (sic) y réside sans interruption depuis juin dernier jusqu’à ce jour, qu’elle a payé ses impôts depuis 1789 et qu’il nous a justifié de la prestation du serment sur la Constitution.
Fait en la maison commune le 5 février 1793.
Signé: Langevin (maire), Gagne, Fournier, Couturier.
Enregistré à Versailles, le 28 février 1793 (reçu 20 sols).
Certificat d’affiches pendant quinze jours
à Marly, Langevin, maire,
à Rueil, Lavoipierre, maire.
Visa du Directoire du district de Versailles, Chaillou.
Visa du département, Lavoltere.
PIÈCES JUSTIFICATIVES IV
Arch. Chabrillan, carton 7, p. 117.
Le 13 pluviôse, an II.—Vu la déclaration, le Comité de sûreté générale arrête que la ci-devant duchesse d’Aiguillon, en son domaine à Ruel, d. de Versailles, sera transférée en la maison d’arrêt, dite des Anglaises, à Paris, que préalablement, les scellés seront apposés sur ses papiers, distraction faite de ceux qui se trouveront suspects et apportés au Comité de sûreté générale avec le procès-verbal; charge de l’exécution du présent arrêté les citoyens Caplain et Quitelette, membres du comité de sûreté de Saint-Cloud, qui s’adjoindront deux autres membres du comité de sûreté ou deux officiers de Ruel, lesquels pourront requérir la force armée nécessaire dudit lieu.
Dubarran, Jagot, Louis du Bas-Rhin, Guffroy.
PIÈCES JUSTIFICATIVES V
Arch. Chabrillan, carton 25, p. 122.
Le 30 vendémiaire, an III.—Vu les différentes attestations des autorités constituées de la commune de Ruel, près Paris, en faveur de la dame veuve d’Aiguillon, détenue aux Anglaises, rue Saint-Victor, le Comité arrête qu’elle sera sur-le-champ mise en liberté et les scellés levés au vu du présent.
Les membres du Comité de sûreté générale.
Legendre, Lesage-Senault, Laporte, Dumont, Clauzel,
Reverchon.
PIÈCES JUSTIFICATIVES VI
Archives de la commune de Rueil. Communiqué par G. Tausend. Acte de décès et d’inhumation de Mᵐᵉ d’Aiguillon.
Commune de Rueil.
Aujourd’hui trente fructidor an quatre de la République française, onze heures du matin, devant nous, agents municipaux de la commune de Rueil, département de Seine et Oise, est comparu le citoyen Jean Charles Antoine Chauvet[634], âgé de 44 ans, lequel nous a dit que, le jour d’hier, vers les sept heures du matin, est décédée, en sa demeure ordinaire, rue ci-devant dite du Château, la citoyenne Louise Félicité de Bréan de Plélo, veuve d’Emmanuel Armand Duplessis-Richelieu d’Aiguillon, âgée de 70 ans, d’une maladie de langueur; nous, agents municipaux de la dite commune, nous nous sommes transportés en la demeure de la dite citoyenne d’Aiguillon pour nous assurer de son décès, lequel avons reconnu vrai et l’avons conduite au lieu destiné au repos des corps[635], en présence des citoyens A. N. J. Bonvalet, âgé de 30 ans, demeurant à Paris, rue de la Chaise, Section de la Croix Rouge et de Jean Jacques Hauvy, officier invalide, âgé de 55 ans, demeurant en cette commune, témoins qui ont signé avec nous;
Signé: Quelen[636]. Chauvet. Hauvi. Bonau. Hugues.
Chambel. Debourges.
PIÈCES JUSTIFICATIVES VII
Inventaire après décès de Mᵐᵉ d’Aiguillon, morte le 15 septembre 1796, fait par le citoyen Ardent, juge de paix (extrait).
Le 16 prairial an V.
1º..... Dans la chambre de Mᵐᵉ d’Aiguillon, ayant vue sur la pièce d’eau, au 1ᵉʳ étage:
1º Devant de cheminée et garniture cuivre;
2º Une bergère couverte en toile coton blanc, brodé vert;
3º Grand lit à couverture brodée et rideaux;
4º Un lit de repos, 6 chaises, 4 fauteuils;
5º Chiffonnier avec métier à tapisserie;
6º Bercelonnette d’enfant, glaces, canapé, tableaux de paysage, vue de Veretz, portraits de famille.
Serre: 26 orangers et autres plantes diverses.
Dans un grand salon: Glaces, fauteuils, portraits de famille. Buste en bronze représentant le cardinal de Richelieu.[637] Bustes en biscuit représentant M. d’Aiguillon, Mˡˡᵉ de Navailles.
Dans les caves: Vins de Hongrie, de Veretz, de Cahors, de Chypre, de Bordeaux, de Saumur.
Dans la ferme: tombereaux, charrues, herses, 20 têtes de mouton, bélier, 5 vaches, 61 têtes de volaille.
INDEX ALPHABÉTIQUE DES NOMS CITÉS
N.—Les numéros indiquent les pages. Ceux suivis d’un astérisque indiquent les notes. Les noms en italique désignent les noms de lieu et d’ouvrages.
A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, U, V, W.