Œuvres Complètes de Chamfort (Tome 5): recueillies et publiées, avec une notice historique sur la vie et les écrits de l'auteur.
ŒUVRES
COMPLÈTES
DE CHAMFORT.
ESSAI
D'UN COMMENTAIRE SUR RACINE.
NOTES SUR ESTHER.
Tale tuum carmen nobis, divine poëta,
Quale sopor fessis in gramine quale per æstum
Dulcis aquæ saliente sitim restinguere rivo.
Virg. Ecl. v.
Racine n'est pas seulement du nombre de ces auteurs que tout le monde connaît; mais il est encore du très-petit nombre de ceux que tout le monde sait par cœur. Qu'est-ce donc que des Observations sur Esther, dira-t-on d'abord? Qui n'a pas commenté Racine? Sont-ce les beautés de cette tragédie que vous voulez faire admirer? Fiez-vous en à Racine lui-même; le langage du cœur est celui qui s'entend le plus facilement, et que l'on explique le plus mal. Sont-ce ses défauts que vous voulez nous faire remarquer? mais il n'y en a pas dans le style, et tout le monde sait que le plan n'en est point parfait. Oui, sans doute, et je conviens de toutes ces vérités. Je suis loin de cette orgueilleuse folie de quelques auteurs inconnus, qui viennent nous éblouir tout à coup, sans ménagement pour la faiblesse de nos yeux, de ces torrens de lumières inattendues, en nous apprenant qu'Homère n'avait pas de génie, que Boileau était un pauvre auteur, et que Rousseau manquait d'imagination. Elancés dans la sphère de ces Erostrates modernes, nous nous trouvons en effet, pour quelques instans, dans une espèce d'aveuglement. C'est parce que l'obscurité nous environne: telles ne sont point mes erreurs; j'aime à lire Racine, je le lis souvent, et je viens répéter avec ses admirateurs: O Racine! celui-là n'aura point d'oreilles, que ta douce mélodie n'enchantera pas; celui-là n'aura point d'âme, que tes vers ne toucheront pas; celui-là n'aura pas d'imagination, que la tienne n'échauffera pas! Mais où trouver quelqu'un d'assez malheureux pour être privé de toutes ces facultés? où donc trouver un détracteur de Racine?
Voilà ce que tout le monde a pensé, ce que bien des gens ont écrit, et ce que je viens écrire encore. Mes idées pourront souvent être déjà connues, j'en conviens; je serais même fâché de n'en avoir que de neuves sur Racine. Depuis quelque temps, tout ce qui est neuf en littérature (comme en bien d'autres genres), est si extravagant! J'ai voulu seulement entrer dans le temple où l'on adore ce dieu de l'harmonie; et dès que j'y suis entré, ai-je pu me refuser au plaisir de brûler un grain d'encens sur son autel? D'ailleurs, il est si doux de parler de tout ce qui nous procure des jouissances agréables, que cette raison seule peut me servir d'excuse.
Mon intention n'est point d'analyser rigoureusement le plan, ni d'entrer dans de grands détails sur toutes les parties de cet ouvrage. Tout cela a été fait de nos jours par un auteur [1] qui, dans cette partie, n'a plus rien laissé à faire. Mes remarques portent sur de très-petits défauts de style; sur quelques vers durs, uniquement remarquables, parce qu'ils sont dans Racine; le plus souvent sur les divers genres de beautés qu'offre la seule tragédie d'Esther; enfin, sur ces hardiesses d'expressions si naturellement enchassées, que souvent elles échappent à beaucoup de lecteurs égarés au milieu d'un parterre émaillé des plus belles fleurs du printemps; j'en ai cueilli quelques-unes des plus agréables. J'ai osé arracher le très-petit nombre de celles qui me paraissaient pouvoir blesser la vue.
Esther sera toujours un monument mémorable de la force du génie. Douze ans d'inertie devaient sans doute faire croire que l'auteur d'Andromaque aurait oublié ces accords magiques dont il avait su enchanter jadis. Mais il eut à peine repris la lyre, que les sons les plus doux s'empressèrent de renaître sous ses doigts. Tel fut pour moi le prestige de la main savante de Racine, que j'avais lu vingt fois Esther, avant de m'apercevoir de l'odieux de certaines parties de son rôle; elle m'avait intéressé à ses malheurs, à sa séparation d'avec Elise, à sa nation persécutée; je l'admirai sur tout, je tremblai pour elle, lorsqu'excitée par les discours de Mardochée, elle se décide à braver la mort en allant trouver Assuérus. Qui ne frémirait au moment où ce roi prononce d'un air farouche:
... Sans mon ordre on porte ici ses pas!
Quel mortel insolent vient chercher le trépas?
Gardes... C'est vous, Esther? quoi! sans être attendue?
Esther tombe entre les bras de ses femmes:
Mes filles, soutenez votre reine éperdue.
Je me meurs.....
Quel spectacle! mais Assuérus répond aussitôt:
Esther, que craignez-vous? suis-je pas votre frère?
Est-ce pour vous qu'est fait un ordre si sévère?
Vivez. Le sceptre d'or que vous tend cette main,
Pour vous, de ma clémence est un signe certain.
Mais quelle sensation délicieuse, surtout lorsqu'Esther, revenant un peu à elle-même, répond par ces deux vers d'une harmonie enchanteresse!
Quelle voix salutaire ordonne que je vive,
Et rappelle en mon sein mon âme fugitive?
Je sens alors que mon âme est touchée, mon oreille est enchantée, mes sens sont ravis; Esther s'empare de toutes mes affections. Je n'ai pu être rassuré par l'idée qu'une maîtresse peut toujours croire à la clémence de son amant, parce que j'ai vu que cette idée n'était entrée pour rien dans la démarche d'Esther. D'ailleurs, elle est encore sous mes yeux; je la vois pâle, éperdue, à demi morte; et je ne doute plus que, victime dévouée, elle ne marchât en holocauste pour son dieu et sa nation. J'épouse tous ses sentimens; sa passion me pénètre; je tremble encore pour les jours de Mardochée; et l'impie Aman me paraît alors indigne de toute pitié. Voilà l'effet de la magie de Racine, qui sentait le défaut de son plan; mais le prestige tombe aux yeux plus calmes de la raison; et celui qui avait admiré, dans la jeune reine, le dangereux courage de braver les ordres d'un despote pour sauver sa patrie, voudrait pouvoir encore admirer en elle la clémence. Je ne connais pas de plus belles scènes dans Esther, ni qui frappe plus vivement l'imagination, que celle-là. Rien de si touchant que de voir ce roi si sévère, si terrible, qui, le moment d'auparavant, tenait un langage si effrayant, prendre celui de l'aménité et de la douceur, et s'efforcer de rassurer son esclave tremblante. C'est dans de pareilles scènes que l'on voit, suivant l'excellente remarque de M. de La Harpe, combien la vérité historique des mœurs est toujours observée par Racine [2]. Un autre que ce grand poëte eût peut-être mis:
Que craignez vous, Esther? suis-je pas votre époux?
Racine a mis votre frère; et d'un seul mot, il nous a initiés dans les mœurs étrangères. Et puis quels vers!
Seigneur, je n'ai jamais contemplé qu'avec crainte
L'auguste majesté sur votre front empreinte.
Jugez combien ce front, irrité contre moi,
Dans mon âme troublée a dû jeter d'effroi.
Sur ce trône sacré qu'environne la foudre,
J'ai cru vous voir tout prêt à me réduire en poudre:
Hélas! sans frissonner, quel cœur audacieux
Soutiendrait les éclairs qui partaient de vos yeux?
Ainsi du dieu vivant la colère étincelle.....
Quelle majesté dans cette diction! quelle suite d'images sublimes! et combien tout le morceau est imprégné de cette terreur profonde que devait éprouver Esther, lorsqu'elle est tombée entre les bras de ses femmes! Nous avons été frappés de sa frayeur; mais lorsqu'elle parle, cette frayeur nous pénètre nous-mêmes. Remarquons aussi combien il est hardi de dire un front irrité; et comme ces belles figures de la foudre qui environne le trône, et des éclairs qui partaient des yeux, amènent parfaitement cette comparaison qui termine ce beau morceau:
Ainsi du dieu vivant la colère étincelle...
Si quelque chose peut être mis à côté de cette belle scène, c'est le livre même d'Esther dans la Bible. D'un côté, on voit toute la pompe et tout l'éclat dont la poésie est susceptible; de l'autre, cette simplicité sublime, qui étonne et qui pénètre si vivement. Voyez comme Assuérus est dépeint sur son trône:
«Ingressa igitur cuncta per ordinem ostia stetit contra regem, ubi ille residebat super solium regni sui, indutus vestibus regiis, auroque fulgens et pretiosis lapidibus, eratque terribilis aspectu. Cumque elevasset faciem, et ardentibus oculis furorem pectoris indicasset, regina corruit, et in pallorem colore mutato, lassum super ancillulam reclinavit caput.»
Y a-t-il rien de si touchant que cette image lassum caput reclinavit (reposa sa tête fatiguée)? et de plus fort que: cumque ardentibus oculis furorem pectoris indicasset?
Enfin, le langage de Racine est-il plus doux que cet entretien?
«Quid habes, Esther? Ego sum frater tuus, noli metuere. Non morieris: non enim pro te, sed pro omnibus hæc lex constituta est. Accede igitur et tange sceptrum.
Cumque illa reticeret, tulit auream virgam et posuit super collum ejus, et osculatus est eam, et ait: cur mihi non loqueris?
Quæ respondit: Vidi te, Domine, quasi angelum Dei, et conturbatum est cor meum præ timore gloriæ tuæ. Valdè enim mirabilis es, Domine, et facies tua plena est gratiarum.
Cumque loqueretur, rursùs corruit, et pœnè exanimata est. Rex autem turbabatur, etc.
Je l'avouerai, ce dialogue me plaît peut-être encore plus que celui de Racine; il me pénètre davantage; après l'avoir lu, je suis plus attendri, plus ému. Que de sentimens dans cette seule interrogation: cur mihi non loqueris? et quelle image sublime dans cette réponse d'Esther: vidi te, Domine, quasi angelum Dei, etc. Disons aussi que la haute poésie n'est peut-être pas susceptible de cette extrême simplicité, qui fait tout le charme du morceau que nous venons de voir; et que si Racine est moins touchant (ce dont tout le monde pourrait encore ne pas convenir), il le rachète bien par la force de son expression et la beauté de ses images. D'ailleurs, il est impossible de rendre mieux, ni plus fidèlement que notre poète, toute la première partie de ce dialogue. Le latin dit: Quid habes, Esther? Ego sum frater tuus, noli metuere. Et Racine:
Esther, que craignez-vous? suis-je pas votre frère?
Et l'image de la colère de Dieu, substituée à celle de l'ange dans la bouche d'Esther, par le développement que le poète lui a donné, acquiert aussi cette supériorité de force que toute la scène française a sur l'expression naïve du livre sacré. C'est une chose digne de remarque que de voir combien Racine, même dans les détails de son plan, s'est peu écarté de la Bible. Presque toutes les scènes principales en sont tirées, comme celle où Esther adresse sa prière à Dieu, celle d'Assuérus que l'on vient de voir, celle d'Assuérus avec Asaph, celle où la reine divulgue le secret de sa naissance, etc. Ces entraves, que Racine a mises à son imagination, n'ont fait qu'ajouter à sa gloire par le mérite de la difficulté vaincue, et ont donné aux poètes un modèle de la manière de traiter des sujets très-connus.
Quel dommage que le défaut principal que nous avons indiqué dans le caractère d'Esther, nous empêche aussi de nous livrer à toute l'admiration qu'inspire la scène où se développe l'action de la pièce, par la chûte d'Aman! Nous sommes fâchés de voir Esther parler si éloquemment, lorsque nous voyons que, non contente de servir son peuple, elle veut encore satisfaire son propre ressentiment. Cependant, ce morceau pour la diction étant un des plus beaux de cette tragédie, je ne puis me refuser au plaisir d'en transcrire ici quelques endroits.
Ce Dieu, maître absolu de la terre et des cieux,
N'est point tel que l'erreur le figure à vos yeux.
L'Éternel est son nom, le monde est son ouvrage:
Il entend les soupirs de l'humble qu'on outrage,
Juge tous les mortels avec d'égales lois,
Et du haut de son trône interroge les rois.
Ces vers sont d'une perfection où peut-être l'on n'atteindra jamais. On a toujours aimé à voir deux grands génies lutter ensemble dans les mêmes sujets; et ces sortes de parallèles, lorsque ce n'est point la prévention qui les a faits, ont toujours tourné au profit du goût. C'est pourquoi je rapporterai ici quelques strophes sur Dieu, tirées d'une ode de J.-B. Rousseau.
Les Cieux instruisent la terre
A révérer leur auteur:
Tout ce que leur globe enserre
Célèbre un dieu créateur.
Quel plus sublime cantique
Que ce concert magnifique
De tous les célestes corps!
Quelle grandeur infinie,
Quelle divine harmonie
Résultent de leurs accords!
De sa puissance immortelle,
Tout parle, tout instruit:
Le jour au jour la révèle;
La nuit l'annonce à la nuit.
Ce grand et superbe ouvrage
N'est point pour l'homme un langage
Obscur et mystérieux;
Son adorable structure
Est la voix de la nature
Qui se fait entendre aux yeux.
(ODE II, liv. Ier).
Un troisième auteur, célèbre aussi, a traité le même sujet, et l'on a voulu le comparer aux deux autres; c'est pourquoi j'en parle ici. Voltaire a dit, dans sa Henriade:
Au-delà de leur cours, et loin dans cet espace,
Où la matière nage, et que Dieu seul embrasse,
Sont des soleils sans nombre et des mondes sans fin;
Dans cet abîme immense, il leur ouvre un chemin.
Par-delà tous ces cieux, le Dieu des cieux réside.
On sent combien ces vers sont faibles, même le dernier, qui est gâté par le terme prosaïque de par-delà. D'ailleurs, les au-delà, loin, par-delà, qui disent toujours la même chose, font un mauvais effet, ainsi que la conjonction et qui commence les seconds hémistiches des trois premiers vers; enfin, les relatifs où, que et le dans du quatrième vers, embarrassent la marche, et jettent dans ce morceau une lenteur insupportable. Racine dit tout de suite:
L'Éternel est son nom, le monde est son ouvrage.
Et Rousseau, non moins vîte:
De sa puissance éternelle,
Tout parle, tout instruit.
Précision, justesse, beauté d'expression, tout se trouve dans ces vers. L'imagination, frappée de coups précipités, n'a pas le temps de se refroidir, et reste étonnée.
On ne peut s'empêcher, en parlant de descriptions poétiques de la grandeur de Dieu, de citer les vers que Racine le fils a faits sur ce sujet, dans son Poème sur la Grâce. On y remarque ces trois vers, qui ne sont pas indignes du nom qu'il portait:
Il vole sur les vents, il s'assied sur les cieux;
Il a dit à la mer: Brise-toi sur la rive;
Et dans son lit étroit, la mer reste captive.
Le reste du morceau est d'une diction un peu faible.
En continuant la tirade d'Esther, que j'ai commencé à citer, on trouve encore deux beaux morceaux contre lesquels J. B. Rousseau semble avoir voulu lutter. Je ne crois pas sortir de mon sujet, lorsque j'en rapproche tout ce qui peut y ressembler: c'est un moyen plus sûr d'en faire ressortir les beautés, et de les mieux apprécier. Citons les deux auteurs.
Mais, pour punir enfin nos maîtres à leur tour,
Dieu fit choix de Cyrus avant qu'il vît le jour,
L'appela par son nom, le promit à la terre,
Le fit naître, et soudain l'arma de son tonnerre,
Brisa les fiers remparts et les portes d'airain,
Mit des superbes rois la dépouille en sa main,
De son temple détruit vengea sur eux l'injure.
Babylone paya nos pleurs avec usure.
Cyrus, par lui vainqueur, publia ses bienfaits,
Regarda notre peuple avec des yeux de paix,
Nous rendit et nos lois et nos fêtes divines;
Et le temple déjà sortait de ses ruines.
Mais, de ce roi si sage héritier insensé,
Son fils interrompit l'ouvrage commencé,
Fut sourd à nos douleurs. Dieu rejeta sa race,
Le retrancha lui-même, et vous mit à sa place.
Tout le monde sent la beauté de ces vers. Combien cette coupe est heureuse!
L'appela par son nom, le promit à la terre,
Le fit naître, et soudain, etc.
C'est là le grand art du poète, et que Virgile possède si éminemment. La monotonie, qui, je crois, est naturelle à la poésie française en général, par le peu d'inversions qu'elle peut se permettre, et en particulier aux vers alexandrins, à cause de la rigueur avec laquelle la suspension de l'hémistiche est observée, rend infiniment précieuses toutes ces tournures qui brisent les vers, sans offenser l'oreille [3].
J. B. Rousseau, dans son Ode aux Princes chrétiens, fait le tableau suivant:
La Palestine enfin, après tant de ravages,
Vit fuir ses ennemis, comme on voit les nuages
Dans le vague des airs fuir devant l'Aquilon;
Et des vents du midi la dévorante haleine
N'a consumé qu'à peine
Leurs ossemens blanchis dans les champs d'Ascalon.
De ses temples détruits et cachés sous les herbes,
Sion vit relever ses portiques superbes,
De notre délivrance auguste monument:
Et d'un nouveau David la valeur noble et sainte
Semblait, dans leur enceinte,
D'un royaume éternel jeter les fondemens.
Voilà deux modèles de narration poétique. Enfin, voyons encore ces deux maîtres exprimant une même idée; et puis nous chercherons à faire un parallèle entr'eux.
Esther, toujours dans le morceau que nous avons cité, dit:
Ciel! verra-t-on toujours, par de cruels esprits,
Des princes les plus doux l'oreille environnée,
Et du bonheur public la source empoisonnée, etc.
Rousseau, dans l'Ode sur la mort du prince de Conti, fait usage de la même figure, en parlant de la flatterie:
Le pauvre est à couvert de ses ruses obliques;
Orgueilleuse, elle suit la pourpre et les faisceaux;
Serpent contagieux, qui des sources publiques
Empoisonne les eaux.
Un homme vraiment touché des beautés de la poésie, ne pourra, je crois, jamais donner la préférence à l'un des deux auteurs sur l'autre, dans les morceaux que nous avons comparés. Tout ce que l'on peut faire, c'est, il me semble, d'assigner le caractère propre de chacun d'eux. En général, on peut remarquer qu'il y a un luxe de poésie plus grand dans Rousseau, plus de hardiesse dans son expression, une marche plus décidée. Rien de beau comme cette comparaison:
La Palestine enfin, après tant de ravages,
Vit fuir ses ennemis, comme on voit les nuages
Dans le vague des airs fuir devant l'Aquilon, etc.
Et quelle grandeur dans cette idée!
. . . . Semblait dans leur enceinte,
D'un royaume éternel jeter les fondemens.
Dans Racine, règne une majesté plus noble et plus calme, une harmonie peut-être plus mélodieuse, plus soutenue. Quelle superbe image dans ce seul vers!
Et le temple déjà sortait de ses ruines.
Que résulte-t-il de ce que nous disons? c'est qu'en parlant des deux auteurs, nous avons caractérisé presque le style propre des genres dans lesquels ils ont écrit. Esther, parlant à Assuérus, est plus pressée d'exposer le sujet de sa plainte, et n'a pas le temps d'accumuler des comparaisons; mais le poète lyrique, livré tout entier à son enthousiasme, s'abandonne à tous les écarts de l'imagination, et passe d'une idée à l'autre, à mesure que la ressemblance des objets qui l'environnent, avec son sujet principal, vient les offrir à son esprit. Aussi, en développant les mêmes idées, Racine et Rousseau n'ont rien dans leurs vers qui se ressemble; et c'est pourquoi tous deux ils ont acquis la perfection.
Lorsqu'on étudie beaucoup ces deux grands écrivains, on voit combien ils sont nourris de la lecture des livres saints, ces véritables dépôts de la plus haute poésie. Rien ne peut élever l'imagination comme la lecture fréquente de ces ouvrages. Quelle beauté dans les Cantiques de Salomon et dans les Psaumes de David! Quelle verve brûlante dans le prophète Isaïe! et quelle touchante simplicité dans l'Evangile! Là, les idées, dans leur marche fière, n'ont pas besoin, pour étonner, de se revêtir de l'éclat emprunté des paroles, ni de l'arrangement mécanique des mots; mais belles de leur propre beauté, elles se présentent toujours seules et n'en paraissent que plus sublimes. C'est là que le style s'habitue à une concision énergique, et l'écrivain à resserrer son expression à proportion que son idée s'agrandit; il n'est aucun genre de beauté dont ces livres ne nous offrent des modèles que l'on n'a point encore égalés. Rien, dans aucune langue, est-il exprimé d'une manière plus touchante que ce verset de l'évangéliste Mathieu:
«Vox in Ramâ audita est; ploratus, et ululatus multus: Rachel plorans filios suos, et noluit consolari, quia non sunt.»
Et dans la Bible, ces mots d'un jeune prince, qui, condamné à la mort pour avoir transgressé la loi, en goûtant d'un peu de miel, dit en expirant:
»Gustans, gustavi paululùm mellis, in summitate virgæ, et ecce morior.»
Qu'on lise la première olympique adressée à Hiéron, ou quelques-unes des belles odes d'Horace, comme celle à Drusus; y trouvera-t-on plus de feu et de poésie que dans les morceaux suivans, tirés au hasard d'Isaïe:
«Nisi Dominus exercituum reliquisset nobis semen, quasi Sodoma fuissemus, et quasi Gomorrha, similes essemus.
»Audite verbum Domini, principes Sodomorum, percipite auribus legem Dei nostri, populus Gomorrhae.
»Quæ mihi multitudinem victimarum vestrarum, dicit Dominus! plenus sum. Holocaustæ arietum et adipem pinguium et sanguinem vitulorum, et agnorum et hircorum nolui.
»Ne offeratis ultrà sacrificium frustrà: incensum. Abominatio est mihi. Neomeniam et sabbatum, et festivitates alias non feram; iniqui sunt cætus vestri.
»Et cum extenderitis manus vestras, avertam oculos meos à vobis; et cum multiplicaveritis orationem, non exaudiam: manus enim vestræ sanguine plenæ sunt.
»Lavamini, mundi estote, auferte malum cogitationum vestrarum ab oculis meis: quiescite agere perversè.»
Quel mouvement dans toutes ces tournures: Audite, quo mihi, ne offeratis, lavamini! Et quel feu dans la seconde strophe! Le prophète s'est à peine donné le temps de dire: nous serions comme les habitans de Sodome et de Gomorrhe; qu'emporté par son indignation, dès la phrase suivante, il les traite de princes de Sodome, de peuple de Gomorrhe; voilà la véritable marche lyrique. Enfin, quelle image plus belle peut montrer combien Dieu pénètre profondément dans le fond de notre âme, que celle-ci: Auferte malum cogitationum vestrarum ab oculis meis.
Éloignez de mes yeux vos coupables pensées.
Rousseau, dans ses Odes sacrées, a fait connaître David; et tout le monde est à portée de juger combien il est rempli de traits du plus grand sublime; c'est pourquoi je n'en citerai rien. Mais, disons en passant, avec Klopstock [4], ce rival unique que l'Europe ait à opposer à Milton: «Qu'il ne suffit pas, pour un auteur qui travaille dans le genre sacré, d'avoir profondément étudié la religion, qu'il faut encore qu'elle ait formé son âme de cette main ferme, que l'homme de probité sait si bien reconnaître.» Cette pensée d'un homme de génie étranger est peut-être la plus grande réfutation des inculpations atroces faites au Pindare moderne.
On s'est plu souvent à comparer Racine, comme poète, à J.-B. Rousseau. Je n'ai jamais bien démêlé les motifs de ceux qui travaillaient à acquérir au premier une réputation à laquelle il paraît n'avoir jamais prétendu; car on n'est pas un lyrique, pour avoir fait quelques chœurs de tragédie; encore moins l'est-on assez pour être mis à côté de l'auteur des Odes à la fortune, au comte du Luc, au prince Eugène, et de vingt autres non moins belles. J'ai vu seulement que ces parallèles avaient souvent servi de prétexte pour tâcher de rabaisser ce Rousseau, si beau dans ses ouvrages, si ferme dans ses malheurs.
Comparons, par exemple, les stances sur la calomnie, qui se trouvent dans l'un des chœurs d'Esther, avec l'ode de Rousseau sur le même sujet:
Rois, chassez la calomnie;
Ses criminels attentats,
Des plus paisibles états
Troublent l'heureuse harmonie.
Sa fureur, de sang avide,
Poursuit partout l'innocent.
Rois, prenez soin de l'absent
Contre sa langue homicide.
De se montrer si farouche,
Craignez la feinte douceur:
La vengeance est dans son cœur,
Et la pitié dans sa bouche.
Ces vers sont certainement fort beaux. Il y a de la force dans ceux-ci:
Sa fureur, de sang avide,
Poursuit partout l'innocent, etc.
Ainsi que dans les deux vers suivans:
La vengeance est dans son cœur,
Et la pitié dans sa bouche.
quoiqu'il eût fallu peut-être tâcher de renverser les deux vers, afin de réserver le trait le plus fort pour le dernier.
Mais écoutons Rousseau:
O Dieu, qui punis les outrages
Que reçoit l'humble vérité,
Venge-toi... détruis les ouvrages
De ces lèvres d'iniquité;
Et confonds cet homme parjure,
Dont la bouche non moins impure,
Publie avec légèreté
Les mensonges que l'imposture
Invente avec malignité.
Quel rempart, quelle autre barrière
Pourra défendre l'innocent,
Contre la fraude meurtrière
De l'impie adroit et puissant!
Sa langue aux feintes préparée,
Ressemble à la flèche acérée
Qui part et frappe en un moment:
C'est un feu léger dès l'entrée,
Que suit un long embrâsement.
(Ode XII, liv. Ier).
Assurément, il y a bien plus de force et de poésie dans ces strophes de J.-B. Rousseau; l'expression de lèvres d'iniquité, est une de ces expressions créées par le génie. Quelle énergie dans ces vers:
Sa langue aux feintes préparée,
Ressemble à la flèche acérée
Qui part et frappe en un moment.
Et la belle image qui termine cette strophe, est rendue avec une élégance et une concision étonnantes.
Il est bien inconcevable que M. l'abbé Batteux, pour prouver que le moelleux manquait à Rousseau, ne se soit jamais avisé de comparer qu'un morceau de celui-ci avec Racine, où c'est Racine qui précisément a tout l'avantage de la force, et Rousseau celui du moelleux. C'est être bien malheureux dans son choix. Nous lisons, dans les Principes de la littérature, ou Traité de la poésie lyrique [5], qu'on compare (ce qui pour le coup n'est ni moelleux, ni harmonieux) l'ode qui commence par ces mots:
J'ai vu mes tristes journées,
qui est sans contredit celle où il y a le plus de moelleux, avec le chœur d'Esther:
Pleurons et gémissons.
C'est le même sentiment qui règne dans l'un et dans l'autre morceau. Il ne sera point difficile de le sentir, il faut comprendre ce que vous voulez dire. J'avoue que, pour moi, je n'y entends rien. Quelle comparaison y a-t-il à faire entre les paroles d'un convalescent qui parle de son mal, et les gémissemens d'une troupe de femmes qui sont près d'être égorgées, ainsi que toute leur nation? Je n'ai jamais vu de sentimens qui se ressemblassent moins; encore si ces femmes étaient déjà sauvées, le sentiment aurait au moins cette ressemblance que, dans les deux morceaux, il serait question d'un danger passé; mais il n'y a rien de cela. Dans Rousseau, celui qui parle exprime sa joie, parce qu'il n'a plus rien à craindre; et dans Racine, au contraire, ses femmes ont tout à craindre, puisqu'elles sont des victimes sur lesquelles le couteau est levé, et qui s'attendent à tout moment à être frappées. Mais enfin, puisque M. l'abbé Batteux veut qu'on compare, comparons et mettons nos lecteurs à portée de juger sur-le-champ. Racine dit:
Quel carnage de toutes parts!
On égorge à la fois les enfans, les vieillards,
Et la sœur et le frère,
Et la fille et la mère,
Le fils dans les bras de son père!
Que de corps entassés, que de membres épars,
Privés de sépulture,
Grand Dieu! tes saints sont la pâture
Des tigres et des léopards!
J'ai beau chercher dans l'Ode de Rousseau rien qui ressemble à cet endroit, je n'y trouve que les vers suivans, qui sont remplis de cette mélancolie douce, si naturelle au convalescent échappé d'une grande maladie, et qui se rappelle le danger qu'il a couru:
J'ai vu mes tristes journées
Décliner vers leur penchant;
Au midi de mes années,
Je touchais à mon couchant;
La mort déployant ses ailes,
Couvrait d'ombres éternelles
La clarté dont je jouis;
Et dans cette nuit funeste,
Je cherchais en vain le reste
De mes jours évanouis.
(Ode XV, liv. Ier).
Mais voyons encore plus loin, peut-être comprendrons-nous ce que veut dire M. l'abbé Batteux. Je trouve dans le chœur d'Esther:
Arme-toi, viens nous défendre;
Descends tel qu'autrefois la mer te vit descendre;
Que les méchans apprennent aujourd'hui
A craindre ta colère;
Qu'ils soient comme la poudre et la paille légère,
Que le vent chasse devant lui.
Il n'y a rien non plus de tout cela dans l'Ode de Rousseau. J'y lis la strophe suivante, écrite toujours avec le même moelleux, et cette même harmonie que la première.
Mais ceux qui, de sa menace,
Comme moi, sont rachetés,
Annonceront à leur race
Vos célestes vérités.
J'irai, Seigneur, dans vos temples,
Réchauffer, par mes exemples,
Les mortels les plus glacés;
Et vous offrant mon hommage,
Leur montrer l'unique usage
Des jours que vous leur laissez.
C'est assurément être doué d'une manière de voir bien étrange, que de trouver, dans ces morceaux, de quoi faire un parallèle, et de nous citer ce chœur d'Esther, pour preuve de moelleux dans le style. Mais il n'y en a pas, car jamais moelleux n'eût été plus mal placé; c'était de la force qu'il fallait, et c'est bien ce que Racine a senti. Aussi voyons-nous qu'autant Rousseau, dans ses vers, est ici doux, harmonieux, touchant, autant Racine est mâle, vigoureux et ferme dans ses descriptions. Cependant, comme on est toujours conséquent, même dans ses erreurs, M. l'abbé Batteux finit par nous dire avec élégance: «On verra (après cette judicieuse comparaison faite) que si M. Rousseau a eu un grand nombre des parties nécessaires pour former les grands lyriques, il y en a quelques-unes qu'il n'a pas eues, ou qu'il n'a eues que dans un degré ordinaire.»
Voilà assurément un morceau d'une logique et d'une littérature bien parfaites.
Mais revenons aux strophes de nos deux auteurs sur la flatterie, que j'ai citées et qui sont un peu plus susceptibles de comparaison. Conclurai-je de ce que celles de Rousseau sont supérieures, qu'il était plus grand lyrique? J'avoue que je le crois depuis long-temps; et les Cantiques de Racine comparés aux Odes sacrées de Rousseau me le prouveraient assez: mais ce n'est jamais par les parallèles de morceaux tirés des chœurs, avec des odes, que je voudrais me décider à porter ce jugement. Les deux auteurs sont toujours dans des positions différentes; et s'ils ont quelquefois les mêmes sentimens ou les mêmes idées à traiter, les personnages qu'ils ont à faire parler sont bien différens; et par la manière dont ils modifient leur style, ils détruisent toute possibilité de comparaison. Ici, par exemple, l'un fait parler de jeunes filles, l'autre parle en son propre nom. Il eût été du dernier ridicule que leur langage fût le même; d'ailleurs, l'on s'exprime toujours d'une manière plus énergique, lorsqu'on se plaint d'un vice qui nous opprime seuls, que quand on parle de ce vice en général, ou que l'on est plusieurs ensemble victimes de ses effets. J'en reviendrai donc à dire encore qu'ils ont parfaitement fait tous deux, mais qu'il faut bien se garder de les comparer. Cependant, nous lisons, dans certaine brochure de Voltaire, intitulée Eloge de Crébillon, où pourtant personne n'est loué, excepté Voltaire lui-même, que les chœurs d'Athalie et d'Esther, sont tout ce que les Français ont de plus parfait dans le genre lyrique. Cela est un peu difficile à croire, quand on a lu les Odes sacrées VII et VIII, l'Ode au comte du Luc, celle au prince de Vendôme sur son retour de Malte, et l'Epode de J.-B. Rousseau, qui peut seule être regardée comme un des plus beaux poèmes de la langue française. D'ailleurs, serait-il juste, si ce même Rousseau eût laissé deux ou trois scènes de tragédie, parfaitement écrites et dialoguées, que ses admirateurs voulussent l'exalter en le mettant, comme poète tragique, à côté de Racine ou de Voltaire? Les hommes sont bien étranges de circonscrire volontairement le cercle de leurs plaisirs, et de pousser la cruauté jusqu'à se nier eux-mêmes leurs jouissances intérieures. Nous n'avons déjà pas trop de grands hommes; et d'ailleurs, on n'élève personne en abaissant un rival. Réconcilions donc deux écrivains que la postérité semble avoir voulu brouiller, et qui, s'ils eussent été contemporains, se seraient admirés et se seraient complus dans la gloire l'un de l'autre. Racine et Rousseau sont des modèles que peut-être on n'égalera jamais. Etudions-les; voilà l'hommage que leur doivent leurs partisans respectifs; et rappelons-nous que le plus grand ennemi de notre lyrique, son censeur le plus injuste, a cependant dit de lui, dans un de ses momens où la haine n'usurpait pas les droits de la vérité:
«Tu vis sa muse. . . . . . . .
Manier d'une main savante,
De David la lyre imposante,
Et le flageolet de Marot.»
(Temple du goût.)
Ce qui distingue surtout Racine et Rousseau de tous les autres poètes, c'est qu'ils ont presque toujours cette pureté de style et cette finesse de goût qui les rendent classiques, et qui font qu'on peut se livrer sans réserve à la lecture de leurs ouvrages. Tous deux ils ont écrit avec la correction de Boileau; mais ils avaient de plus l'imagination et la sensibilité, que celui-ci n'avait pas. En général cependant, si l'on veut une idée juste de la perfection en littérature, ce sont ces trois auteurs qu'il faut prendre, et qui, chacun dans leur genre, sont placés à la tête des autres écrivains. Ce beau triumvirat fera toujours les délices et le désespoir des poètes qui écriront après eux.
Puisque j'en suis au chapitre des opinions littéraires, je ne puis m'empêcher de dire un mot de cette question oiseuse, et pourtant si souvent agitée, de savoir si une tragédie est plus difficile à faire qu'une ode. Ces discussions, en général, n'ont pas été agitées par amour pur des lettres: la jalousie les faisait naître, et la haine les dictait. Pour moi qui ne suis point jaloux, et qui ne hais personne, puisque je n'ai jamais prétendu être auteur, et que personne ne m'a fait de mal, je pourrais me tromper, mais au moins je n'aurai pas cherché à me tromper moi-même. Il me semble donc qu'on a trop écrit pour la tragédie, et pas assez pour l'ode. En effet, ne pourrait-on pas dire en faveur de celle-ci, que les Français ne comptent encore qu'un lyrique [6], tandis qu'ils ont plusieurs poètes tragiques? Ne pourrait-on pas citer un Lamotte, qui, avec l'esprit seulement, mais sans talent, a pourtant laissé une tragédie que l'on revoit encore avec plaisir, tandis que de son énorme volume d'odes, pas une ne lui a survécu? Ne pourrait-on pas citer Voltaire, dont le recueil en ce genre est peut-être plus mauvais encore que celui de Lamotte? Ne pourrait-on pas dire enfin que les Anglais n'ont que Cowley [7], qui même n'est pas très estimé parmi eux, et que leurs richesses lyriques se bornent presque à la seule ode de Dryden sur la fête d'Alexandre? Que conclure de tout cela? que l'ode est un genre plus difficile; non, mais que la perfection en tout l'est infiniment. Me voilà sans doute un peu loin d'Esther; mais ayant eu Racine et Rousseau à mettre plusieurs fois en parallèle, j'ai été charmé qu'on ne pût se méprendre sur mes vrais sentimens. Je reviens à mon sujet.
En poursuivant nos remarques sur Esther, les vers suivans me semblent dignes d'être cités:
Toi qui, d'un même joug souffrant l'oppression,
M'aidais à soupirer les malheurs de Sion.
Aider à soupirer les malheurs, est une expression infiniment poétique, pour dire, aider à supporter le chagrin que causent les malheurs. Je l'ai rencontrée rarement dans d'autres tragédies, et je crois qu'elle est du nombre de celles qui s'emploient plus particulièrement dans des sujets de sainteté. Il en est de même des expressions suivantes:
Dieu tient le cœur des rois entre ses mains puissantes.
La phrase plus ordinairement employée est tenir dans ses mains, et avoir entre les mains; ce qui ne signifie pas toujours la même chose. Mais il est des occasions, comme dans ce vers de Racine, où l'une et l'autre manière de parler s'emploient et sont synonymes:
Un mot de votre bouche, en terminant mes peines,
Peut rendre Esther heureuse, entre toutes les reines.
L'expression entre toutes les reines est une expression empruntée de l'écriture sainte, et devrait signifier seule entre toutes les reines, dans la même acception que Racine lui donne plus bas, lorsque Zarès dit à Aman:
Seul entre tous les grands, par la reine invité,
Mais il est visible que, dans le premier exemple, cette expression doit signifier plus heureuse que toutes les reines; car elle n'est plus en concurrence avec personne, puisqu'elle l'a déjà emporté sur toutes ses rivales; et sûrement elle ne veut pas dire qu'elle désire être la seule heureuse de toutes les reines: cela serait cruel. Je crois donc l'expression de Racine peu juste dans cet endroit.
Cette expression charmante, de larmes précieuses devant lui, qui paraît aussi être consacrée à la poésie sainte, a été employée par Rousseau. Il a dit dans sa VIe Ode sacrée:
Mais l'humble ressent son appui (du roi juste),
Et les larmes de l'innocence
Sont précieuses devant lui.
Athalie, Esther et les Odes sacrées de Rousseau sont les trésors de ces expressions sublimes et de ces images propres au genre sacré. Je ne toucherai pas au premier ouvrage, il y aurait trop à citer; en voici quelques exemples tirés des deux derniers:
Que ma bouche et mon cœur, et tout ce que je suis,
Rendent honneur au Dieu qui m'a donné la vie.
Quelle expression que tout ce que je suis! et quelle leçon pour ceux qui parlent toujours de mon être, d'espace, nager dans l'espace, et tout ce froid langage métaphysique!
Ministre du festin, de grâce, dites-nous,
Quel mêts à ce cruel, quel vin préparez-vous?
1er ISRAÉLITE.
Le sang de l'orphelin.
Les pleurs des misérables.
1er ISRAÉLITE.
Sont ses mêts les plus agréables...
2me ISRAÉLITE.
C'est son breuvage le plus doux.
Le calme, à l'aspect de ces horreurs, serait, il me semble, déplacé dans un sujet profane; il faudrait s'émouvoir et employer le langage de l'indignation. Ici la tranquillité naît de l'entière confiance dans la justice divine, et devient sublime.
Dieu rejeta sa race,
Le retrancha lui-même, et vous mit à sa place.
Les phrases rejeter sa race, pour ne le plus protéger; et le retrancha lui-même, pour le fit mourir, sont de véritables conquêtes pour la langue, quoiqu'elles appartiennent particulièrement au langage sacré.
C'est par une ellipse à peu près semblable qu'Isaïe a dit:
»Dereliquerunt Dominum, blasphemaverunt sanctum Israël, abalienati sunt retrorsum.»
Ils ont abandonné le Seigneur; ils ont blasphémé le saint d'Israël; ils se sont retirés. [8]
La phrase ils se sont retirés (abalienati sunt retrorsum), est ici pour abandonner le culte.
Voici maintenant quelques expressions du même genre, tirées de J.-B. Rousseau. Je ne ferai que les indiquer.
L'ambitieux immodéré,
Et des eaux du siècle altéré,
N'ose paraître en sa présence.
(ODE VI, liv. Ier.)
De ton dieu la haine assoupie,
Est prête à s'éveiller sur toi.
(EPODE, liv. Ier.)
Tu peux de ta lumière auguste
Éclairer les yeux du juste,
Rendre sain un cœur dépravé,
En cèdre transformer l'arbuste,
Et faire un vase élu d'un vase réprouvé.
(ÉPODE, liv. Ier.)
Tout le monde sent combien cette langue est belle et majestueuse, combien ces locutions de la colère qui s'éveille sur quelqu'un, le vase élu changé en un vase réprouvé, les eaux du siècle, pour dire les vices; combien, dis-je, elles sont particulières et inhérentes au genre sacré. Je ne prétends pas dire par là qu'il soit impossible d'en employer quelques-unes dans les sujets profanes. Depuis quelque temps même, rien n'est si commun que de multiplier l'emploi et le sens des mots, en transportant, par exemple, des termes d'arts dans des sujets littéraires. Ces sortes de néologismes enrichissent une langue, et provoquent souvent un nouvel ordre d'idées, en présentant à l'esprit des images nouvelles. D'ailleurs, le génie peut tout. Poursuivons.
Ce Racine, si doux et si tendre, a souvent des expressions et des images aussi sublimes que Corneille. Qu'on lise les vers suivans:
Et sur mes faibles mains, fondant leur délivrance,
Il me fait d'un empire accepter l'espérance.
Accepter l'espérance d'un empire est une expression elliptique de la plus grande hardiesse.
Tu sais combien je hais leurs fêtes criminelles,
Et que je mets au rang des profanations,
Leur table, leurs festins et leurs libations;
Que même cette pompe où je suis condamnée,
Ce bandeau dont il faut que je paraisse ornée,
Dans ces jours solennels, à l'orgueil dédiés,
Seule, et dans le secret je le foule à mes pieds;
Qu'à ces vains ornemens, je préfère la cendre,
Et n'ai du goût qu'aux pleurs que tu me vois répandre.
Ce morceau nous offre plusieurs remarques à faire. Commençons par admirer combien il est hardi de dire, être condamné à la pompe. Le contraste qui semble exister dans ces deux termes, étonne d'abord; mais un moment de réflexion nous fait bientôt sentir toute la justesse et la profondeur de l'idée; et de là naît le sublime de l'expression.
Cependant la tirade, en général, n'est pas sans quelques taches. Le second vers,
Et que je mets au rang des profanations,
est un peu lent, à cause de et que qui en retarde trop la marche.
Seule, et dans le secret je le foule à mes pieds.
Le relatif le, dans ce vers, est un peu loin de son substantif. Celui-ci,
Et n'ai de goût qu'aux pleurs que tu me vois répandre,
pèche contre la syntaxe. On ne dit pas, avoir du goût au spectacle, mais avoir du goût pour le spectacle. D'ailleurs, qu'aux pleurs que est désagréable. Disons pourtant que, du temps de Racine, il était encore assez commun de dire avoir du goût à quelque chose, comme l'on dit encore, avoir regret à son argent, à ses plaisirs passés; mais alors le substantif ne doit pas être précédé de l'article. Cette faute se rencontre souvent dans les contemporains de Racine. Enfin, le vers suivant mérite d'être remarqué.
Dans ces jours solennels, à l'orgueil dédiés.
L'usage voudrait ici le mot consacrés, parce qu'on dit consacrer ses jours à la patrie, à la gloire, et non pas dédier ses jours à la patrie, à la gloire. Cependant je suis bien loin de donner cette observation pour une critique; je trouve au contraire l'expression dédiés fort belle, quoique latine. Quelques critiques ont blâmé Malherbe d'avoir dit, dans sa belle ode à Duperrier:
Le malheur de ta fille, aux enfers descendue,
Par un commun trépas, etc.
Je ne crois cependant pas que beaucoup de poètes voulussent répéter avec l'abbé Batteux, qu'il nous faut maintenant une circonlocution, et dire le trépas dont personne n'est exempt [9]. C'est là, au contraire, ce qu'il ne nous faut pas; car nous voulons, aussi bien que nos pères, des beautés; et la circonlocution ne serait qu'une platitude. Que l'on critique ces sortes de licences lorsqu'il n'en résulte aucune beauté, la sévérité devient alors justice, parce que la licence, dans ce cas, prouve l'ignorance... de la langue ou la faiblesse du génie: mais lorsqu'elles servent à donner un tour plus vif à l'idée, une plus grande précision au vers, on doit en faire la remarque pour ceux qui étudient la langue, mais non pas les proscrire. Quel poète, par exemple, sacrifierait à la sévérité grammaticale l'expression de Maynard, dans une très-belle Ode trop peu connue.
Romps tes fers, bien qu'ils soient dorés.
Fuis les injustes adorés,
Et demeure toi-même à l'exemple du sage.
Et celle-ci, plus belle encore, de J. B. Rousseau:
Lançant vos traits venimeux,
Osez, digne du tonnerre,
Attaquer ce que la terre
Eut jamais de plus fameux.
Injustes adorés, pour des hommes injustes que l'on adore; demeure toi-même, pour garde ton propre caractère; enfin dignes du tonnerre, pour mériter d'être frappés de la foudre, sont des latinismes si l'on veut; mais avant tout, ce sont des beautés, et dès-lors précieuses.
Racine dit:
L'affreux tombeau pour jamais les dévore.
Et ailleurs:
Souvent avec prudence un outrage enduré
Aux honneurs les plus hauts a servi de degré.
Un tombeau qui dévore, un outrage qui sert de degré aux honneurs, sont des hardiesses non seulement permises, mais admirées.
J'ai foulé sous les pieds, remords, crainte, pudeur.
Ce vers est remarquable par le rapprochement d'une action physique sur des êtres moraux. Il n'a cependant rien qui blesse: mais il faut avoir un goût bien sûr pour employer ces façons de parler sans tomber dans le mauvais goût.
Ainsi puisse à jamais, contre tes ennemis,
Le bruit de ta valeur te servir de barrière!
Il est facile de voir tout ce que la pensée gagne ici par la hardiesse de l'expression, et combien l'homme doit être grand, quand le bruit seul de son nom en impose à ses ennemis. Ce vers en rappelle un autre non moins beau du même auteur:
Déjà de votre gloire on adorait le bruit.
L'image suivante est remplie d'agrément:
Il erre à la merci de sa propre inconstance.
Malherbe avait dit, avec assez peu d'élégance, dans sa consolation à Charitée:
Et livriez de si belles choses
A la merci de la douleur.
Et dans la première églogue de Segrais, on trouve deux vers charmans:
Errant à la merci de ses inquiétudes,
Sa douleur l'entraînait aux noires solitudes.
Les poètes se rencontrent tous les jours; et il y a grande apparence que Segrais n'a pas plus copié Malherbe, que Racine n'a copié l'un et l'autre.
Le vers suivant est d'une grande force, et renferme le mot regorger, dans une acception que le style noble admet rarement.
On verra. . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le sang de vos sujets regorger jusqu'à vous.
La phrase est parfaitement grammaticale, le verbe regorger est un verbe neutre, et se construit aussi avec le régime simple. Ainsi on peut dire: Ces masses de pierres jetées dans ce bassin ont fait regorger l'eau [10]. Cependant le mot regorger s'emploie plus souvent au figuré, et alors il exige un régime composé. Ainsi, on dit: regorger d'or, regorger de sang. En poésie, on a recours le plus souvent aux sens figurés des mots pour les ennoblir; ici, au contraire, Racine rétablit le sens propre d'un mot peu usité, et sait encore par-là lui donner plus de force. C'est que Racine, outre son génie, avait une parfaite connaissance de sa langue, étude trop négligée par les jeunes littérateurs.
Hydaspe dit à Aman:
L'heureux Aman a-t-il quelques secrets ennuis?
AMAN.
Peux-tu le demander, dans la place où je suis?
Ce trait est profond et digne de Corneille. Cependant, il eût peut-être fallu que le dernier hémistiche fût plus détaché du premier pour présenter l'idée d'une manière plus frappante.
Rien n'est plus brillant en poésie que les gradations; mais elles demandent un art extrême. Il faut toujours observer la règle de cette figure, qui exige que le trait qui suit l'emporte de beaucoup pour la force, sur celui qui le précède, et que le dernier enfin les efface tous. Racine nous en offre un modèle dans ces vers du rôle d'Aman:
Mardochée est coupable; et que faut-il de plus?
Je prévins donc contre eux l'esprit d'Assuérus;
J'inventai des couleurs, j'armai la calomnie;
J'intéressai sa gloire, il trembla pour sa vie.
Quelle vivacité dans ces deux derniers vers! quels coups redoublés! et comme ils sont bien terminés par le plus terrible: il trembla pour sa vie!
Nulle paix pour l'impie; il la cherche, elle fuit.
Ce vers vole presqu'aussi vîte que la pensée. Maynard, dans l'Ode dont j'ai parlé plus haut, a un trait d'une rapidité aussi sublime. Il dit à Alcippe:
La cour méprise ton encens;
Ton rival monte, et tu descends.
M. l'abbé d'Olivet [11], au sujet du vers de Racine, fait une remarque de grammaire bien importante; il dit: «Je doute que le pronom relatif la, puisse être mis après nulle paix»; et il s'appuie de cette règle de Vaugelas «qu'on ne doit pas mettre de relatif après un nom sans article.» Cependant il n'admet cette règle que pour le relatif le, et non pas pour le relatif qui. Dans la phrase, il la cherche, le la semble en effet dire il cherche nulle paix, puisque ces deux mots ne font qu'un sens et sont inséparables. Pascal, dans ses Lettres provinciales, l'ouvrage le plus pur de la langue française, a fait aussi la même faute. On lit dans sa VIIe lettre (édit. 1766, vol. in-12, pag. 97): «Et ce n'a pas été sans raison. La voici.—Je la sais bien, lui dis-je.» Pour pouvoir dire, la voici, je la sais, il aurait fallu qu'il y eût et ce n'a pas été sans une bonne raison, ou une phrase équivalente, dans laquelle le substantif fut précédé d'un article.
Là où l'on aime à trouver surtout Racine, c'est dans ces images gracieuses, où son imagination féconde s'est plu à embellir une expression peu noble, à enrichir d'un mot créé une idée sans cela trop commune, enfin à métamorphoser, pour ainsi dire tous les objets sur lesquels elle promène ses regards. Citons-en quelques exemples.
L'une d'un sang fameux vantait les avantages;
L'autre, pour se parer de superbes atours,
Des plus adroites mains empruntait le secours.
Ces deux derniers vers n'avaient assurément qu'une idée bien commune à exprimer; mais comme tout est embelli par le charme du style!
Je ne trouve qu'en vous je ne sais quelle grâce.
Le terme de je ne sais quoi semblait appartenir à la familiarité de la conversation ou de la comédie; cependant, dans le vers cité, il paraît être placé si naturellement, que l'élégance, loin d'en être blessée, en contracte un air de naturel, qui ajoute ici au mérite de l'expression, parce que ce naturel sied à merveille au langage d'un amant. Aman dit ailleurs, d'une manière aussi heureuse:
Un je ne sais quel trouble empoisonne ma joie.
Tout le monde a cité ces vers où les exemples de mots communs, ennoblis par notre poète, sont frappans:
Baiser avec respect le pavé de tes temples.
Et celui-ci, dans Athalie:
Ai-je besoin du sang des boucs et des génisses?
En voici un où cette hardiesse n'a pas été heureuse.
Racine fait dire à une Israélite:
Mes sœurs, j'entends du bruit dans la chambre prochaine.
Ce vers pèche par trop de familiarité. Le mot chambre surtout est choquant. Mais la phrase payer avec usure, qui est du nombre de celles que l'on appelle des phrases faites, et par conséquent appartenant au langage familier, a été employée avec beaucoup de bonheur par Racine, dans le vers suivant:
Babylone paya nos pleurs avec usure.
Le vers est noble, et la phrase payer avec usure, loin de paraître basse, ajoute même à l'énergie.
Rien n'est plus gracieux que les images suivantes. En parlant de jeunes filles emmenées en captivité, Esther dit:
Jeunes et tendres fleurs par le sort agitées,
Sous un ciel étranger, comme moi transportées,
Dans un lieu séparé de profanes témoins,
Je mets à les former mon étude et mes soins.
Cette image nous intéresse à la fois, nous émeut de compassion. On ne saurait mieux peindre la situation de jeunes filles sans soutien, jetées au milieu d'une nation qui leur est étrangère.
Ma vie à peine a commencé d'éclore,
Je tomberai comme une fleur
Qui n'a vu qu'une aurore.
Hélas! si jeune encore,
Par quel crime ai-je pu mériter mon malheur?
Il est impossible de lire rien de plus parfait; toutes ces images sont fraîches, gracieuses et touchantes dans la bouche de jeunes filles.
Ma vie à peine a commencé d'éclore,
est de l'imagination la plus aimable et la plus riante.
Aman veut demander à Hydaspe quelle protection Mardochée peut avoir à la cour. Un autre poète aurait fait de cette idée un vers qui n'eût été ni bon ni mauvais; mais Racine a dit:
Sur quel roseau fragile a-t-il mis son appui?
Et ailleurs, Hydaspe, pour demander à Aman qui jamais fut plus heureux que lui, dit:
Eh! qui jamais du ciel eut des regards plus doux?
Toujours des images! et voilà ce qui distingue particulièrement la langue de Racine. Lorsqu'il a de belles idées à exprimer, quelque long récit à faire, ou des passions à traiter, il est impossible, en exceptant cependant l'amour, que d'autres poètes puissent approcher de lui, ou même qu'ils parviennent quelquefois à l'égaler; mais quand il faut substituer une image à l'idée simple, dire une chose que tout le monde a dite, son heureuse imagination laisse bien loin tous ses rivaux.
Citons un des tableaux les plus agréables qui se trouve dans Esther:
Tous ses jours paraissent charmans:
L'or éclate en ses vêtemens;
Son orgueil est sans borne, ainsi que ses richesses;
Jamais l'air n'est troublé de ses gémissemens;
Il s'endort, il s'éveille au son des instrumens;
Son cœur nage dans la molesse.
Pour comble de prospérité,
Il espère revivre en sa postérité;
Et d'enfans à sa table une riante troupe
Semble boire avec lui la joie à pleine coupe.
Toujours cette manie du poète de donner à chaque idée l'expression et l'harmonie qui lui est propre. Quel calme dans ce vers:
Jamais l'air n'est troublé de ses gémissemens.
Et cet il s'endort qui coupe le vers, avec quel art il peint, par sa chûte lourde, l'accablement du sommeil! Je n'ai pas besoin d'avertir combien est belle l'image qui termine le morceau, et combien est hardie l'expression de boire la joie à pleine coupe.
Voyons encore Rousseau, avec son énergie et son feu ordinaires, exprimant les mêmes images:
Cette mer d'abondance où leur âme se noie,
Ne craint ni les écueils, ni les vents rigoureux:
Ils ne partagent point nos fléaux douloureux;
Ils marchent sur les fleurs, ils nagent dans la joie;
Le sort n'ose changer pour eux.
On voit tout de suite, comme dans le premier exemple, l'imagination créatrice et le pinceau du grand maître; et l'on aime, après avoir admiré les vers de Racine cités plus haut, à payer un juste tribut d'éloge à ceux-ci:
Cette mer d'abondance où leur âme se noie,
qui est magnifique, ainsi que le dernier,
Le sort n'ose changer pour eux.
Le sort qui n'ose changer, est de la plus grande force.
Pourquoi si peu de poètes ont-ils été doués de cette sensibilité profonde, si nécessaire à celui qui veut traiter tour à tour les douceurs et les emportemens de l'amour? Pourquoi n'a-t-on recours le plus souvent qu'au seul Racine, quand on parle de cette passion? Et je ne dis pas cela des poètes tragiques seulement, mais encore de presque tous ceux qui ont écrit dans les autres genres; cependant, ils se disent tous inspirés par la sensibilité et par l'amour. Ce moyen est si sûr pour plaire, qu'on ne pense pas à l'impossibilité qu'il y a d'en imposer au cœur. Qu'est-il arrivé? c'est que la plupart des poètes ont rempli leurs ouvrages de définitions de ces sentimens, et que très-peu les font reconnaître au langage qui leur est propre. Ils n'en eussent pas parlé ainsi, s'ils en avaient réellement été pénétrés, car ils auraient su qu'il est certaines affections de l'âme dont les définitions sont aussi inutiles qu'impossibles à faire, parce qu'elles ne sont comprises de personne. L'homme qui n'aura point connu cette passion, ne vous entendra pas; et vous ne pourrez jamais la rendre que faiblement à celui qui l'aura éprouvée. En effet, est-il rien de plus ridicule que de vouloir définir l'amour, la sensibilité, la tendresse? Leurs nuances fines et imperceptibles se font sentir; mais elles échappent, lorsqu'on veut les saisir; et il en sera toujours d'elles comme du plus grand nombre des choses; on dira plutôt ce qu'elles ne sont pas que ce qu'elles sont. Un amant a-t-il jamais cherché à expliquer la passion qui le tourmente? non, il en est incapable; les idées, les mots, tout lui manque. Il pense à celle qu'il aime; c'est là tout ce qu'il peut dire; il est condamné à renfermer sa passion au-dedans de lui-même, ou à ne la manifester que par la joie, la tristesse, le dépit, le chagrin, et d'autres mouvemens semblables et passagers. L'amour n'a pas permis que son secret fût révélé; l'homme ne le possède qu'avec l'impossibilité de le divulguer, et il en perd le souvenir au moment où sa passion cesse, car ce secret n'est jamais que l'amour même. Voilà ce que les Corneille semblent n'avoir pas senti, lorsqu'ils ont mis dans la bouche de leurs amantes ces maximes d'amour, si froides et si éloignées de la nature. Dans Racine au contraire, Hermione, Roxane, ne me débitent aucune sentence, ne cherchent point à me faire comprendre qu'elles aiment par des définitions ou par des raisonnemens. Mais je les vois tour-à-tour accabler leurs amans de reproches et s'efforcer de les attendrir, prendre la résolution de les abandonner et les chercher partout, vouloir bannir leur image de leur cœur et parler sans cesse d'eux. C'est alors que je reconnais l'amour et que je m'intéresse à ceux qui l'éprouvent, parce que je ne doute plus que cette passion ne les tyrannise. Mais quel cœur il faut avoir pour cela, et quelle irritabilité dans l'imagination, pour être frappé de tout et pour pouvoir tout exprimer! Ce devait sans doute être une âme de feu que celle d'où sont partis les emportemens de Roxane, les reproches amers d'Hermione, les douces plaintes de Bérénice, et les fureurs de Phèdre. Aussi, si quelques anciens ont peint l'amour avec la même force que Racine, il n'y a ni anciens ni modernes qui puissent jamais être mis au-dessus de lui; il semble qu'en parlant d'Esther, l'éloge de cette partie du talent de ce grand poète ne dût pas y trouver place. En effet, on avait demandé à Racine une pièce sans amour, il le promit; mais fut-il en état de tenir parole? et dépendait-il de lui qu'on ne reconnût, même dans ce sujet sacré, la plume brûlante qui avait exprimé tous les mouvemens de l'amour? car, qu'est-ce que l'amour, si ceci n'en est point?
Croyez-moi, chère Esther, ce sceptre, cet empire,
Et ces profonds respects que la terreur inspire,
A leur pompeux éclat mêlent peu de douceur,
Et fatiguent souvent leur triste possesseur.
Je ne trouve qu'en vous je ne sais quelle grâce
Qui me charme toujours, et jamais ne me lasse.
De l'aimable vertu doux et puissans attraits!
Tout respire en Esther l'innocence et la paix;
Du chagrin le plus noir, elle écarte les ombres,
Et fait des jours sereins de mes jours les plus sombres.
Que dis-je! sur ce trône, assis auprès de vous,
Des astres ennemis j'en crains moins le courroux,
Et crois que votre front prête à mon diadême
Un éclat qui le rend respectable aux dieux même.
Osez donc me répondre, et ne me cachez pas
Quel sujet important conduit ici vos pas,
Quel intérêt, quels soins vous agitent, vous pressent.
Je vois qu'en m'écoutant, vos yeux au ciel s'adressent.
Parlez: de vos désirs le succès est certain,
Si ce succès dépend d'une mortelle main.
Sans doute, celui qui parlait ainsi était inspiré par l'amour. Assuérus n'est content que lorsqu'il est auprès d'Esther; il voudrait pouvoir ne la jamais quitter: à son aspect, le chagrin fait place au plaisir; assis à côté d'elle, il ne craint plus ni les astres ennemis, ni les dieux; il est attentif à ses moindres mouvemens; il la presse, il la supplie de lui révéler son secret. Il la voit lever les yeux au ciel; l'inquiétude s'empare de son esprit, il ne se possède plus; et il finit par lui dire en amant aveugle, sans savoir ce qu'elle exigera:
De vos désirs le succès est certain,
Si ce succès dépend d'une mortelle main.
Voilà le véritable langage de la passion. Et quelle diction! quelle énergie dans ces vers!
Ce sceptre et cet empire
A leur pompeux éclat mêlent peu de douceur,
Et fatiguent souvent leur triste possesseur.
Et quel charme dans les deux suivans!
Du chagrin le plus noir elle écarte les ombres,
Et fait des jours sereins de mes jours les plus sombres.
Rien n'est plus dans le caractère de la passion que ces sortes de répétitions, ni plus agréable que ces oppositions de mots, comme sereins et sombres qui se trouvent dans le même vers. C'est là ce qui fait la beauté de ce vers de Virgile:
Te, veniente die, te, decedente, canebat.
Quelques taches légères s'aperçoivent pourtant dans ce beau morceau. Les critiques ressemblent à ceux qui examinent de grands tableaux d'histoire, une loupe à la main. Les défauts qu'ils aperçoivent au moyen de leur vue artificielle, disparaissent lorsqu'on examine l'ensemble du tableau, mais n'en sont pas moins des défauts. Au reste, cette loupe est plus nécessaire pour Racine que pour tout autre; et puisque nous avons tant fait que de nous en servir, profitons-en pour découvrir encore quelques petites imperfections.
Croyez-moi, chère Esther, ce sceptre, cet empire,
Et ces profonds respects que la terreur inspire,
A leur pompeux éclat mêlent peu de douceur,
Et fatiguent souvent leur triste possesseur.
Il y a ici une petite faute, parce que des trois nominatifs qui régissent la même phrase, il y en a un qui ne peut point la régir. Dégageons ces vers de la tournure poétique, et nous aurons, ce sceptre, cet empire et ces profonds respects fatiguent leur possesseur. On conçoit bien le possesseur d'un sceptre, d'un empire, mais non pas le possesseur de respects. On est l'objet de profonds respects, on n'en n'est pas le possesseur. Plus loin on trouve ces vers:
Que dis-je! sur ce trône assis auprès de vous,
Des astres ennemis j'en crains moins le courroux.
Le relatif en signifie ici à cause de cela, de cette circonstance, et devrait se trouver ainsi à côté de la phrase à laquelle il se rapporte, assis auprès de vous, j'en crains moins le courroux des astres ennemis. Mais étant placé immédiatement après des astres ennemis, on est tenté de rapporter cet en à ces astres: ce qui deviendrait alors une véritable faute, au lieu que ce n'est ici qu'une petite négligence; d'ailleurs, je crois ce en très-nécessaire, parce qu'il revient sur l'idée principale qui occupe Assuérus, et il eût été moins bien de dire:
Que dis-je! sur ce trône assis auprès de vous,
Des astres ennemis je crains moins le courroux.
Racan, dans ces belles stances à Tircis, fait la faute que semblait faire Racine; il dit:
Et voit enfin le lièvre après toutes ses ruses,
Du lieu de sa retraite en faire son tombeau.
Le en est ici visiblement inutile. Puisque le substantif est exprimé, le pronom ne tient la place de rien, et par conséquent est de trop.
Citons encore quelques-uns de ces vers qui n'ont point été faits par Racine, mais qui se sont trouvés faits chez lui, et qui se sont élancés du fond de son âme.
Demain, quand le soleil ramènera le jour,
Contente de périr, s'il faut que je périsse,
J'irai pour mon pays m'offrir en sacrifice.
Cette répétition du mot périr rend le second vers doux et touchant. Les sentimens vifs et les passions aiment en général à revenir sur les mêmes mots, parce que l'âme est toujours obsédée de la même pensée.
Virgile, qui se présente si naturellement à l'esprit lorsqu'on parle de Racine, dit dans une de ses églogues:
Occidet et serpens, et fallax herba veneni
Occidet.
On voit ici l'espérance qui se complaît dans l'idée de voir mourir les serpens et les herbes venimeuses, et qui répète avec complaisance le mot mourir (OCCIDET).
Voici quelques exemples encore du même genre:
Ma prompte obéissance
Va d'un roi redoutable affronter la punissance.
C'est pour toi que je marche, accompagne mes pas
Devant ce fier lion qui ne te connaît pas.
Cette image du lion est noble, sans être recherchée, parce qu'elle est naturelle à une personne de qui la terreur s'est emparée. On la trouve aussi dans la Bible: mais ce qui ne s'y trouve pas, c'est cet hémistiche, qui ne te connaît pas, dont la simplicité est si touchante.
Le dialogue de Racine offre souvent de ces réponses d'une concision élégante, et si rare lorsqu'on est restreint dans les bornes étroites d'un seul vers. Assuérus demande à Asaph:
Quel honneur pour sa foi, quel prix a-t-il reçu?
ASAPH.
On lui promit beaucoup; c'est tout ce que j'ai su.
Et plus loin, Assuérus lui demande
Vit-il encore?
ASAPH.
Il voit l'astre qui vous éclaire.
Ce genre de beauté est peut-être plus difficile à atteindre que beaucoup d'autres qui semblent l'être davantage.
La répétition du même mot dans le vers, ajoute souvent aussi à la majesté et à la force, comme dans ces exemples:
Descends, tel qu'autrefois la mer te vit descendre..
Et détestés partout, détestent tout le monde.
Ailleurs encore,
Et je dois d'autant moins oublier sa vertu,
Qu'elle-même s'oublie..........
En général cependant, on doit être sobre de cette figure; mais bien employée, elle est d'un excellent effet. Dans le premier exemple surtout:
Descends, tel qu'autrefois la mer te vit descendre.
Elle donne une grande majesté au vers; car, outre l'agrément de la répétition, il renferme encore une espèce de comparaison qui en augmente la beauté. Malherbe, qui avait une critique saine et une oreille délicate en poésie, affectionnait ces répétitions de mots. On en trouve des exemples fréquens et quelquefois heureux dans ses poésies. En voici un tiré de son Ode à Louis XIII:
Donne le dernier coup à la dernière tête
De la rébellion.
Et ailleurs:
Est le premier essai de tes premières armes.
Nous avons dit combien le style de Racine était toujours pur. Jamais on ne voit, dans ses ouvrages, qu'il se soit laissé éblouir par le brillant d'une figure; et s'il en emploie quelqu'une, c'est qu'elle est dans la nature de la situation; et loin d'être un défaut, elle ne peut alors être qu'une beauté. L'antithèse, par exemple, dans ce vers d'Assuérus, n'a rien assurément qui puisse choquer. Il dit à Mardochée:
Je te donne d'Aman les biens et la puissance:
Possède justement son injuste opulence.
L'éclat de l'antithèse n'est point ici un faux éclat, parce qu'elle sert à nous développer mieux ce que veut dire Assuérus. Au lieu donc d'être un jeu d'esprit, les deux mots qui sont mis en opposition, deviennent comme la mesure l'un de l'autre, et nous donnent par-là celle de la justesse et de la latitude de l'idée. C'est aussi ce qui fait la beauté de cette figure, dans ces vers de Rousseau:
Et les soins mortels de ma vie,
De l'immortalité seront récompensés.
et ces autres vers si fameux:
Le temps, cette image mobile
De l'immobile éternité.
Dans tous ces exemples, l'antithèse ajoute à la pensée, ou plutôt n'est que la pensée même. Remarquons qu'injuste opulence, dans Racine, est encore un latinisme, mais je me garderai bien de le critiquer.
Me serait-il permis, après avoir épuisé tous les termes de l'admiration, de présenter maintenant quelques critiques. J'en ai dit assez, sans doute, pour qu'on ne puisse pas suspecter mon enthousiasme; et d'ailleurs, le chapitre des fautes est si court dans notre poète, et le mot de Voltaire, qui voulait écrire beau, très-beau, au bas de toutes les pages de Racine, est si vrai, que, me bornant à Esther seule, ma tâche sera légère. Cependant si quelqu'un se plaignait encore, malgré cela, de mes notes, je lui dirais de ne s'en prendre qu'à Racine lui-même; car nous devenons, en le lisant, comme ces sybarites délicats, qui toujours voluptueusement couchés sur des duvets de fleurs, finissaient par se sentir blessés d'une feuille de rose pliée en deux.
On a repris, avec bien de la rigueur, le grand lyrique français, pour avoir dit: Jusques à quand honorerons-nous tes autels? réside le solide honneur et la terrestre masse. Ces observations étaient justes; mais il me semble qu'on leur a donné une importance que d'aussi petites fautes ne pouvaient mériter. L'injustice consiste principalement à tirer de pareilles inadvertances, qui pourtant sont fort rares dans ce poète, des jugemens généraux sur le mérite de ses productions. Il n'est pas d'ouvrages en vers où l'on ne peut recueillir beaucoup de ces négligences, qu'il est presqu'impossible d'éviter dans un poème aussi difficile que l'ode ou la tragédie; et pour s'en convaincre, l'on devrait se rappeler que l'harmonieux Racine, dans sa seule pièce d'Esther, à laisser échapper
Cieux! l'éclairerez-vous cet horrible carnage?
Toute pleine du feu de tant de saints prophètes.
Aux plus affreux excès son inconstance passe.
Et faire à son aspect que tout genou fléchisse.
Sortez tous.
D'un souffle l'Aquilon écarte les nuages,
Et chasse au loin la foudre et les orages.
Un roi sage, ennemi du langage menteur, etc.
De ma fatale erreur répareront l'injure.
Ces vers sont pour le moins aussi mauvais et aussi durs que ceux que l'on a reprochés à Rousseau. Mais les remarque-t-on au milieu des beautés dans lesquelles ils sont comme noyés? Tout cela donc est bien peu de chose et mérite à peine qu'on s'y arrête. Venons à des observations plus importantes: les vers suivans nous en offrent quelques unes:
Les quatre premiers vers sont parfaits, mais la similitude est mal énoncée, ou plutôt il n'y a pas de similitude du tout; car on peut bien dire: De même que les ressorts de cette machine obéissent à ma main, ainsi ces chevaux obéissent à la main qui les guide. Mais la phrase n'aurait aucun sens s'il y avait: ces chevaux obéissent à la main qui les guide, comme ces ressorts sont dans ma main. Pour qu'il y ait similitude, il faut que les deux objets comparés soient dans les mêmes attitudes, par rapport aux choses auxquelles ils sont liés.
Or, Racine pèche visiblement ici contre cette règle; car, dans le premier membre de sa composition, le cheval obéit à la main; et dans le second, le cœur des rois est dans la main de Dieu.
Sur le point que la vie
Par mes propres sujets m'allait être ravie.
Sur le point que, n'est pas français. Sur le point régit toujours la préposition de suivie d'un infinitif. Aussi on ne dit pas je suis sur le point que je vais partir, sur le point que cette dignité allait m'être conférée: mais sur le point de partir, d'obtenir cette dignité. Au reste, cette phrase ne peut aucunement trouver place ici. Il aurait fallu, au moment où la vie, etc.
Au bruit de votre mort, justement éplorée,
Du reste des humains je vivais séparée.
Il me semble que justement éplorée est froid et languissant, et qu'Elise, dans l'ivresse de la joie, racontant ce qui s'était passé, eût dû parler avec plus de feu, et non pas motiver une douleur que l'on conçoit aisément dans une femme qui perdait son amie. Je crois remarquer une faute à peu près semblable dans le vers suivant, où Assuérus voyant Esther tomber entre les bras de ses femmes, dit:
Dieu puissant! quelle étrange pâleur,
De son teint tout-à-coup efface la couleur!
Ce mot étrange me paraît encore déplacé, parce qu'il est peu naturel. Le premier mouvement d'Assuérus doit être de dire tout de suite, Dieu puissant! quelle pâleur, etc.
Détourne, roi puissant, détourne tes oreilles
De tout conseil barbare et mensonger.
Oreilles au pluriel n'est ordinairement pas du style noble, surtout lorsqu'il vient seul et sans être accompagné d'une figure. Dans ces vers du rôle de Mardochée, par exemple:
Et s'il faut que sa voix frappe en vain vos oreilles,
Nous n'en verrons pas moins éclater ses merveilles.
Ce même mot n'a rien qui choque, parce qu'il est préparé par l'image de la voix qui frappe. Cependant, je crois qu'il est mieux encore, quand il est employé au singulier, comme dans Iphigénie en Aulide:
Oui, c'est Agamemnon, c'est ton roi qui t'éveille,
Viens, reconnais la voix qui frappe ton oreille.
Cette remarque devient plus pénible, lorsqu'on parle de l'Être-suprême, et qu'on l'envisage sous la figure humaine. Alors, si l'on veut nommer quelque partie du corps, on ne doit presque jamais parler qu'au singulier. Ainsi l'on dit, la main de Dieu m'a soutenu, et non pas les mains de Dieu: le doigt de Dieu m'a guidé, et non pas les doigts de Dieu.
Cette raison semble être fondée sur la conscience que nous avons tous de la force de Dieu, qui n'a pas besoin de moyens compliqués pour exécuter ses desseins, parce que cela prouverait effort, et que tout n'est qu'un jeu pour sa puissance infinie.
Quel profane en ces lieux s'ose avancer vers nous?
S'ose avancer, pour ose s'avancer, serait une faute maintenant; mais du temps de Racine, non-seulement cela n'en était pas une, mais cette manière de s'exprimer était préférée à la moderne. Il y a plus de grâce, ce me semble, en cette transposition, puisque l'usage l'autorise, dit Vaugelas dans ses Remarques [12]: «C'est pourquoi il préfère je ne le veux pas faire; à je ne veux pas le faire. Tous les bons auteurs du siécle de Louis XIV écrivent presque toujours ainsi. Pascal [13], dans sa Xe Lettre provinciale, dit: «Je l'entendis bien, car il m'avait déjà appris de quoi le confesseur se doit contenter pour juger de ce regret.» Et Bossuet de même, dans son Discours sur l'Histoire universelle [14]: «Les sens nous gouvernent trop, et notre imagination, qui se veut mêler dans toutes nos pensées, ne nous permet pas toujours de nous arrêter sur une lumière si pure.» Thomas Corneille ne veut pas qu'on en fasse, comme Vaugelas, une règle générale; mais que, dans ce cas, ce soit l'oreille qui décide. Cependant il observe fort bien qu'il est des occasions où l'on ne peut mettre l'un pour l'autre, et où la construction grammaticale exige absolument que le pronom soit auprès de l'infinitif, comme dans cette phrase: il se vint justifier et répondre aux accusations qu'on lui avait faites. «La raison est, dit Corneille, que ces premiers mots, il se vint répondre qui est mal, parce que le pronom se y est superflu, comme on y trouve il se vint justifier qui est bien, parce que le pronom se y est gouverné par justifier. On connaît par là que la transposition du pronom personnel se est vicieuse, et qu'il faut dire: il vint se justifier et répondre aux accusations; et auquel cas il vint fait une construction correcte, et s'accommode aussi bien avec répondre qu'avec se justifier.» Il pourrait encore résulter un autre inconvénient d'éloigner le pronom de l'infinitif: c'est de changer entièrement le sens par cette transposition. Dans cette phrase, par exemple, il vit s'ouvrir la porte: que l'on sépare le pronom se de l'infinitif, on aura il se vit ouvrir la porte, ce qui veut dire toute autre chose. J'ai allongé cet article, parce que M. l'abbé d'Olivet, dont l'autorité est d'un grand poids, semble pencher pour la plus ancienne de ces deux manières de parler [15], et qu'il m'a paru qu'en l'employant, on risquait souvent de tomber dans les fautes dont on vient de parler, principalement dans celle relevée par Corneille.
Et veulent qu'aujourd'hui un même coup mortel
Abolisse ton nom, ton peuple et ton autel.
On dit dans un sens absolu, nous sommes tous deux abattus d'un même coup: nous nous attendons tous à un même sort; c'est toujours le même homme, et d'autres phrases semblables, où le pronom relatif même, exprimant identité de deux choses, ne permet point que le substantif soit suivi d'un adjectif, parce qu'il n'ajoute rien à la clarté de la phrase, qui, au moyen de la comparaison qu'elle renferme, dit tout ce que cet adjectif pourrait dire:
Esther que craignez-vous? suis-je pas votre frère?
Suis-je pas votre frère, pour ne suis-je pas, est une licence que Racine s'est permise plusieurs fois. Il a dit, dans Alexandre, d'une manière moins heureuse:
Sais-je pas que Taxile est une âme incertaine?
et dans les Plaideurs:
Suis-je pas fils de maître?
M. de Voltaire, dans ses Remarques sur le Menteur de Corneille, dit, au sujet d'un vers où la particule ne est omise devant le verbe:
«Cette licence n'est pas même permise en prose.» Je le crois bien, mais cela n'est pas une raison pour qu'elle ne le soit pas en vers. La poésie, ce me semble, a bien plus de licence que la prose, ou plutôt la prose n'en devrait avoir aucune. Ces licences rendraient variables les principes de la langue, si l'on se les permettait. Au reste, ma preuve contre Voltaire est ce vers même de Racine, dans lequel suis-je pas votre frère n'est assurément pas désagréable, et n'a été critiqué par personne.
O bonté, qui m'assure autant qu'elle m'honore!
Et ailleurs:
En les perdant, j'ai cru vous assurer vous même.
Dans le premier exemple, le mot assurer doit signifier rassurer, faire perdre la crainte que l'on avait; et dans ce sens, on l'emploie encore, quoique rarement. Ainsi l'on dit: j'avais peur, mais cela m'a ASSURÉ; l'habitude de voir le danger ASSURE le soldat [16]. Mais dans le second vers, ce même mot ne saurait avoir aucun sens; car il doit signifier visiblement, vous mettre hors de tout péril, de tout danger, comme quand Assuérus dit:
Mais plus la récompense est grande et glorieuse,
. . . . . . . . . . .
Plus j'assure ma vie.
Ce qui s'entend. Mais de ce qu'on peut dire, assurer la vie de quelqu'un, ce n'est pas une raison pour pouvoir dire aussi assurer quelqu'un, dans le même sens, parce que, dans cette dernière phrase, il y aurait amphibologie. Il paraît au reste que ce mot n'est plus employé dans le sens de mettre à l'abri du danger. En style de commerce, on en fait encore usage; mais alors il signifie, ou garantir le prix des marchandises dont un vaisseau est chargé, ou payer la rançon de l'équipage, dans le cas où il serait pris par l'ennemi. Ainsi l'on dit: assurer un navire à tant pour cent; assurer le capitaine et les matelots [17].
Quiconque ne sait pas dévorer un affront,
Ni de fausses couleurs se déguiser le front.
Se déguiser, pris figurément, comme il l'est ici; c'est se montrer autre que l'on n'est; et alors il se met absolument, parce qu'il forme un sens complet. Ainsi l'on dit se mettre un masque sur le visage, pour se déguiser; il se déguise en mille manières. Mais lorsqu'on veut faire suivre ce verbe d'un régime simple, il ne faut point le faire précéder du pronom se; il eût donc fallu dire dans ce vers, ni de fausses couleurs déguiser son front. Voltaire, dans la Henriade, fait la faute inverse, il dit:
. . . Le héros, à ce discours flatteur,
Sentit couvrir son front d'une noble rougeur.
Ici, il eût fallu le réciproque se couvrir, parce qu'il y a action d'un sujet sur lui-même, et non pas une action extérieure, comme l'indique le verbe actif couvrir.
Je frémis quand je voi
Les abîmes profonds qui s'ouvrent devant moi.
Et ailleurs,
Je le voi, mes sœurs, je le voi;
A la table d'Esther, l'insolent près du roi
A déjà pris sa place.
Racine, à cause la rime, a retranché l's dans toutes ces premières personnes de l'indicatif. Il a dit aussi, dans les Plaideurs:
Oh, Messieurs, je vous tien.
Ce sont de très-petites licences permises aux poètes; celle là l'était d'autant plus, du temps de Racine, qu'il n'y avait pas encore très-long-temps qu'on mettait un s aux premières personnes [18]. Cette s était aussi une licence, que les poètes s'étaient permise d'abord en faveur de l'oreille, mais qui est devenue aujourd'hui une règle que l'on enfreint rarement. Quelques modernes ont profité de la permission de l'ajouter ou de la retrancher. M. de Voltaire, dans sa Henriade, ne la met pas dans le mot Londre, pour la facilité de l'élision; et J.-B. Rousseau, dans une de ses odes, dit:
J'ai toujours refusé l'encens que je te doi.
(Ode VII, liv. 1er.)
On traîne, on va donner en spectacle funeste,
De son corps tout sanglant le déplorable reste.
Je n'avais lu, depuis long-temps, les Remarques de M. l'abbé d'Olivet sur Racine, lorsque j'achevai mon premier brouillon de ces notes; et peut-être que si je me fusse rappelé plutôt l'ouvrage de cet excellent littérateur, je n'aurais osé entreprendre le mien. Cependant, l'ayant relu, et voyant que je ne m'étais rencontré qu'une seule fois avec mon devancier dans ce qu'il dit sur Esther, je ne pensai pas devoir supprimer mon travail. L'endroit où nous nous sommes rencontrés, est précisément sur ce qui regarde ces deux vers. J'aime mieux faire le sacrifice de ce que j'avais dit là-dessus, pour ne pas priver le lecteur de l'excellente remarque de l'abbé d'Olivet; la voici: «On dit absolument donner en spectacle, comme regarder en pitié, et beaucoup de phrases semblables, où le substantif, joint au verbe par la préposition en, ne peut être accompagné d'un adjectif. Donner en spectacle funeste est un barbarisme.» Cette remarque est si juste, que M. l'abbé Desfontaines même en est convenu [19].
Que tout leur camp nombreux soit devant ses soldats,
Comme d'enfans une troupe inutile;
Et si par un chemin il entre en tes états,
Qu'il en sorte par plus de mille.
Les deux derniers vers sont lâches et prosaïques, et le paraissent d'autant plus que toute la strophe jusques-là est magnifique.
On a pu remarquer, dans ces notes critiques sur Racine, que nous n'avons jamais pu citer plus de trois vers de suite qui fussent mauvais; et certes, on serait bien embarrassé de trouver chez lui de longues tirades mal écrites. En voici cependant un exemple dans Esther; mais aussi est-ce le seul. Zarès dit à Aman:
Pourquoi juger si mal de son intention?
Il croit récompenser une bonne action?
Ne faut-il pas, seigneur, s'étonner au contraire,
Qu'il en ait si long-temps différé le salaire?
Du reste, il n'a rien fait que par votre conseil;
Vous-même avez dicté tout ce triste appareil.
Vous êtes après lui le premier de l'empire.
Ces vers ne sont que de la prose rimée. Rien de moins poétique que toutes ces formes de raisonnement, ne faut-il pas, au contraire, du reste; ce style serait à peine soutenable dans la comédie. Racine est habitué si fort à la perfection, qu'on est tout étonné qu'il ait pu laisser subsister de semblables vers.
Avant de terminer ce petit écrit, je vais ajouter quelques notes aux Observations de M. l'abbé d'Olivet sur Racine. Les miennes ne sont pas faites dans l'intention de venger ce poète; car, comme l'a dit ingénieusement M. de La Harpe, il n'avait reçu aucune offense. Je viens seulement proposer mes doutes à ceux qui les croiront assez intéressans pour mériter d'être éclaircis. Je n'offre même toutes mes Remarques que comme de simples doutes littéraires; et si le ton affirmatif m'est échappé quelquefois, c'est que je me suis senti vivement ému, lorsque j'ai cru apercevoir la vérité, et qu'alors je n'ai pu toujours réprimer la vivacité qui entraînait ma plume. Mais lorsqu'on voudra me montrer quelqu'erreur dans mes jugemens, je m'empresserai moi-même à les condamner, parce que je n'ai eu pour motif que de m'éclairer, et non pas la vanité de trancher sur le mérite des grands hommes, dont je sens toute la supériorité.
M. l'abbé d'Olivet blâme ce vers:
Condamnez-le à l'amende, ou, s'il le casse, au fouet.
Il dit que c'est le seul exemple d'un le pronom relatif, mis après un verbe, et devant un mot qui commence par une voyelle; et il finit par conclure que Racine a senti que l'élision blessait l'oreille, puisqu'à ce vers il en a substitué un autre dans la suite. Dans ce vers de Racine, la remarque est juste, le double son de la la étant désagréable: mais on ne peut en faire une règle générale. Je croirais, par exemple, que cette élision n'a rien de très-dur dans ce beau vers de la Henriade.
Tout souverain qu'il est instruis-le à se connaître:
Que ce nouvel honneur va croître son audace.
M. l'abbé d'Olivet observe ici que croître est pour accroître, et passe cela comme une licence poétique. Cette remarque est très-juste; et l'autorité de Vaugelas, dont elle est appuyée, la rend incontestable. Il dit positivement que ce verbe est neutre et non pas actif, et que jamais aucun de nos auteurs en prose ne l'a fait que neutre. Vaugelas parle de ses contemporains, comme de Coeffeteau et d'autres; car il est certain qu'il a été actif long-temps avant lui [20], et que l'on s'en servait au lieu d'accroître. Ainsi l'on disait, il voulut croître son jardin [21], son enclos. Bossuet même, dans son Discours sur l'Histoire universelle [22], dit encore: «Saint Irénée vient un peu après, et l'on voit croître le dénombrement qui se faisait des églises.» La règle de Vaugelas est excellente, aussi a-t-elle prévalu; mais je suis tenté de croire qu'au temps de Racine, elle n'était pas encore bien établie. On est rarement avoué par ses contemporains, lorsqu'on présente de nouvelles règles à suivre; l'empire de l'habitude agit trop puissamment sur nous; et les meilleures idées, pour être universellement adoptées, ont besoin de la sanction du temps.
Ma colère revient, et je me reconnais;
Immolons en parlant trois ingrats à-la-fois.
Ces vers assurément n'ont pas de rime, comme l'a fort bien remarqué M. l'abbé d'Olivet. Il est extraordinaire que les poètes en aient encore conservé plusieurs qui ne sont que pour la vue. Rousseau lui-même, qui là-dessus est si strict, fait rimer quelquefois des imparfaits avec des mots qui se prononcent en ois, comme reçois, chinois; et Gresset nous offre ces deux vers, dont la rime est suffisante d'après les règles.
Dans ces gracieux jours, sous mes doigts plus légers,
Mon chalumeau docile enfantait de beaux airs.
Cependant légers et airs sont des sons absolument différens l'un de l'autre; car si l'on prononçait légers, en faisant sentir l'avant-dernière consonne, on tomberait dans l'inconvénient de faire croire que cet adjectif est au féminin, et la clarté en souffrirait trop. Peut-être faudrait-il proscrire aussi les rimes telles que madame et âme, grâce et préface [23], où l'on fait rimer une longue avec une brève; mais la prosodie française, malgré l'excellent ouvrage de M. l'abbé d'Olivet, est encore trop peu reconnue pour priver les poètes d'une licence qui leur est si commode; ils ont déjà tant d'entraves dans cette langue, qu'il faudrait, je crois, chercher plutôt à les diminuer qu'à les augmenter encore.
Voilà tout ce que j'avais à ajouter à l'ouvrage de M. d'Olivet. Ses Remarques sur Racine sont en général bien faites, et d'un grammairien profond. Je conseillerai à quiconque voudra étudier la langue française, de les lire avec attention, ainsi que les ouvrages de cet auteur, qui tous sont écrits avec la plus grande pureté. Il a pu se laisser emporter quelquefois à un esprit de systême; mais comme c'est-là ce qu'un écrivain communique le plus difficilement à ses lecteurs, attendu que cet esprit est le résultat de la méditation et de l'enthousiasme, l'effet en est un peu prompt, et par conséquent peu dangereux. Les remarques de détail, plus faciles à saisir, n'en instruisent pas moins; et en rejetant les fausses conséquences d'un principe trop généralisé, on peut toujours profiter de celles qui sont solides et vraies. Peut-être dira-t-on qu'il est difficile de les démêler, lorsqu'elles se trouvent ensemble. Je ne le crois pas: la vérité a son caractère propre; et ce caractère, c'est la clarté, la simplicité. Les rayons qui s'en échappent frappent d'une lumière éclatante qui dissipe aussitôt le brouillard et l'obscurité; le faux au contraire est ingénieux, et s'il en sort quelques étincelles, elles éblouissent; mais l'esprit, en se consultant bien, s'aperçoit toujours que le nuage n'est pas dissipé. Enfin, le faux peut quelquefois persuader; mais le vrai seul peut convaincre.
Résumons maintenant notre opinion sur Esther. Cette tragédie, sous le double rapport d'un ouvrage fait par ordre, et entrepris après un silence de douze ans, est un de ces phénomènes dont les archives de la littérature ne rapportent aucun exemple. Le défaut capital du rôle d'Esther l'empêchera toujours d'être accueillie sur la scène. Mais d'ailleurs toutes les parties de la tragédie y sont parfaitement observées. Rien n'est plus grand que le sujet, puisqu'il s'agit du sort de toute une nation. Les développemens de l'action y sont d'autant plus admirables, que presque toutes les scènes sont des chefs-d'œuvre [24], et la péripétie est une des plus belles qu'il y ait au théâtre; car, c'est au moment où Aman s'imagine être au faîte des honneurs, qu'il tombe tout à coup, et qu'une nation entière, dévouée à la mort, semble sortir du tombeau pour renaître au bonheur. Et puis, quelle diction! Racine, ayant senti lui-même le défaut inhérent au sujet de son ouvrage, paraît avoir cherché à le couvrir, en y répandant avec profusion tous les trésors de sa brillante imagination et de sa plume harmonieuse, et par-là seul avoir dédommagé cette tragédie de ce que ses aînées avaient d'avantage sur elle.
On chérit généralement Esther avec une sorte de prédilection; on en parle avec complaisance, et beaucoup de gens assurent qu'on la lit plus qu'aucune des autres tragédies de Racine. D'où cela viendrait-il? Est-ce parce qu'elle est mieux écrite, comme quelques littérateurs le prétendent [25], ou parce que, ne paraissant pas sur la scène elle offre d'avantage l'attrait de la nouveauté? En supposant mon hypothèse vraie, ce dont je ne voudrais pas répondre, j'avoue que je penche à croire ce dernier motif plutôt qu'aucun autre. Ce sera toujours une question insoluble que de savoir laquelle des tragédies de Racine l'emporte sur l'autre pour l'élégance de la diction. L'un nommera Phèdre, l'autre Athalie; un troisième Iphigénie en Aulide. Tout cela me prouve bien clairement une chose, c'est qu'elles sont toutes la perfection du style.
Pour moi, j'avoue que j'ai une tendresse particulière pour Esther. Elle produit sur moi le double effet de l'ode et de la tragédie en même temps. Outre les sentimens de pitié et de crainte qu'elle me fait éprouver tour-à-tour, je me sens encore en la lisant, dans une sorte d'enthousiasme continuel. L'onction du style, les chœurs sublimes de ces filles d'Israël, tout concourt à mon illusion. Il me semble, lorsque je prends cette tragédie, que j'entre dans un de ces temples antiques élevés avec pompe dans Jérusalem, au culte du très-haut. Dès l'entrée, je vois un vestibule d'une structure superbe. J'entends, autour de moi, une douce harmonie; la piété elle-même m'adresse la parole; ses accens pénètrent mon âme, enchantent mes esprits; un transport divin s'empare de tous mes sens. J'avance, et bientôt j'aperçois l'intérieur du temple: sa beauté a été par-delà mon imagination; mes premiers regards s'arrêtent sur un de ces anges terrestres qui font l'ornement du genre humain; je la contemple avec respect, et je l'aime avec tendresse. Mais bientôt un spectacle douloureux vient m'attrister profondément; je vois un combat entre le méchant et le juste. La puissance est le partage du premier; la faiblesse, la compagne de l'autre. Dans ce danger pressant, à qui s'adressera le faible? il s'adresse à Dieu, et Dieu vient à son secours: il ne veut point que son troupeau soit dévoré par le loup avide; il vient au secours de l'innocent, et l'innocent triomphe. O délices! ô transport! le juste est récompensé. La tristesse alors s'enfuit de dessus mon front, et la joie vient prendre sa place; car le juste a triomphé. Un concert de louanges retentit de toutes parts; Dieu est célébré, sa puissance infinie exaltée, et le temple redevient le séjour du bonheur et de l'allégresse. C'est au milieu de ces harmonieux accords auxquels se mêlent les voix angéliques, que s'évanouit mon illusion; et mon cœur reconnaissant remercie le mortel fortuné qui peut procurer à ses semblables d'aussi douces jouissances.
FIN DES NOTES SUR ESTHER.