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Œuvres Complètes de Chamfort (Tome 5): recueillies et publiées, avec une notice historique sur la vie et les écrits de l'auteur.

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ODES.

LA GRANDEUR DE L'HOMME,
ODE.

Quand Dieu, du haut du ciel, a promené sa vue

Sur ces mondes divers, semés dans l'étendue,

Sur ces nombreux soleils, brillans de sa splendeur,

Il arrête les yeux sur le globe où nous sommes:

Il contemple les hommes,

Et dans notre âme enfin va chercher sa grandeur.

Apprends de lui, mortel, à respecter ton être.

Cet orgueil généreux n'offense point ton maître:

Sentir ta dignité, c'est bénir ses faveurs;

Tu dois ce juste hommage à sa bonté suprême:

C'est l'oubli de toi-même

Qui, du sein des forfaits, fit naître tes malheurs.

Mon âme se transporte aux premiers jours du monde

Est-ce là cette terre, aujourd'hui si féconde?

Qu'ai-je vu? des déserts, des rochers, des forêts:

Ta faim demande au chêne une vile pâture;

Une caverne obscure

Du roi de l'univers est le premier palais.

Tout naît, tout s'embellit sous ta main fortunée:

Ces déserts ne sont plus, et la terre étonnée

Voit son fertile sein ombragé de moissons.

Dans ces vastes cités quel pouvoir invincible

Dans un calme paisible

Des humains réunis endort les passions?

Le commerce t'appelle au bout de l'hémisphère;

L'Océan, sous tes pas, abaisse sa barrière;

L'aimant, fidèle au nord, te conduit sur ses eaux;

Tu sais l'art d'enchaîner l'Aquilon dans tes voiles;

Tu lis sur les étoiles

Les routes que le ciel prescrit à tes vaisseaux.

Séparés par les mers, deux continens s'unissent;

L'un de l'autre étonnés, l'un de l'autre jouissent;

Tu forces la nature à trahir ses secrets;

De la terre au soleil tu marques la distance,

Et des feux qu'il te lance

Le prisme audacieux a divisé les traits.

Tes yeux ont mesuré ce ciel qui te couronne;

Ta main pèse les airs qu'un long tube emprisonne;

La foudre menaçante obéit à tes lois;

Un charme impérieux, une force inconnue

Arrache de la nue

Le tonnerre indigné de descendre à ta voix.

O prodige plus grand! ô vertu que j'adore!

C'est par toi que nos cœurs s'ennoblissent encore:

Quoi! ma voix chante l'homme, et j'ai pu t'oublier!

Je célèbre avant toi... Pardonne, beauté pure;

Pardonne cette injure:

Inspire-moi des sons dignes de l'expier.

Mes vœux sont entendus: ta main m'ouvre ton temple;

Je tombe à vos genoux, héros que je contemple,

Pères, époux, amis, citoyens vertueux:

Votre exemple, vos noms, ornement de l'histoire,

Consacrés par la gloire,

Élèvent jusqu'à vous les mortels généreux.

Là, tranquille au milieu d'une foule abattue,

Tu me fais, ô Socrate, envier ta ciguë;

Là, c'est ce fier Romain, plus grand que son vainqueur;

C'est Caton sans courroux déchirant sa blessure:

Son âme libre et pure

S'enfuit loin des tyrans au sein de son auteur.

Quelle femme descend sous cette voûte obscure?

Son père dans les fers mourait sans nourriture.

Elle approche... ô tendresse! amour ingénieux!

De son lait.... se peut-il? oui, de son propre père

Elle devient la mère:

La nature trompée applaudit à tous deux.

Une autre femme, hélas! près d'un lit de tristesse,

Pleure un fils expirant, soutien de sa vieillesse;

Il lègue à son ami le droit de la nourrir:

L'ami tombe à ses pieds, et, fier de son partage,

Bénit son héritage,

Et rend grâce à la main qui vient de l'enrichir.

Et si je célébrais d'une voix éloquente

La vertu couronnée et la vertu mourante,

Et du monde attendri les bienfaiteurs fameux,

Et Titus, qu'à genoux tout un peuple environne,

Pleurant au pied du trône

Le jour qu'il a perdu sans faire des heureux?

Oui, j'ose le penser, ces mortels magnanimes

Sont honorés, grand Dieu! de tes regards sublimes.

Tu ne négliges pas leurs sublimes destins;

Tu daignes t'applaudir d'avoir formé leur être,

Et ta bonté peut-être

Pardonne en leur faveur au reste des humains.

LES VOLCANS,
ODE.

Eclaire, échauffe mon génie,

Muse de la terre et des cieux;

Conduis-moi, sublime Uranie,

Vers ces abîmes pleins de feux,

De l'enfer soupiraux horribles,

Arsenaux profonds et terribles

Où, dans un cahos éternel,

Des élémens la sourde guerre

Forme, allume, lance un tonnerre

Plus affreux que celui du ciel.

Quels torrens épais de fumée!

La terre ouverte sous mes pas

Vomit une cendre enflammée:

L'antre mugit... Dieux! quels éclats!

Des roches dans l'air élancées

Retombent, roulent, dispersées.

Je m'arrête glacé d'effroi...

Un fleuve de feu, de bitume,

Couvre d'une bouillante écume

Leurs débris poussés jusqu'à moi.

Monts altiers, voisins des orages,

Qui recélez dans votre sein

Les fleuves, enfans des nuages;

Et les rendez au genre humain,

C'est dans vos cavernes profondes

Que du feu, de l'air et des ondes

Fermente la sédition.

Au fond de cet abîme immense

Je vois la nature en silence

Méditer sa destruction.

L'esclave qui brise la pierre,

Et qui cherche l'or dans vos flancs,

Sent les fondemens de la terre

S'ébranler sous ses pas tremblans.

Il palpite, écoute, frissonne;

Mais le trépas en vain l'étonne,

La rage ranime ses sens:

Il pardonne au fléau terrible

Qui va sous un débris horrible

Écraser ses cruels tyrans.

Dieu! quelle avarice intrépide!

L'antre pousse un reste de feux:

Une foule imprudente, avide,

Accourt d'un pas impétueux.

Voyez-les d'une main tremblante,

Sous une lave encor fumante,

Chercher ces métaux détestés,

Et, sur le salpêtre et le souffre,

Des ruines même du gouffre,

Bâtir de superbes cités.

Mortel, qui du sort en colère

Gémis d'épuiser tous les coups,

Sans doute le ciel moins sévère

Pouvait te voir d'un œil plus doux.

Mais de la nature en furie

Tu surpasses la barbarie;

De tes maux déplorable auteur,

C'est la rage qui les consomme,

Et l'homme est à jamais pour l'homme

Le fléau le plus destructeur.

Quand ce globe a craint sa ruine,

Quand des feux voisins des enfers

Grondaient de Lisbonne à la Chine

Et soulevaient le sein des mers,

Les assassinats de la guerre

Désolaient, saccageaient la terre;

Vous ensanglantiez les volcans;

Et vous égorgiez vos victimes

Sur les bords fumans des abîmes

Qui vous engloutissaient vivans.

Eh quoi! tandis que je frissonne,

Vous allumez pour les combats

Ces volcans, effroi de Bellone,

Ces foudres cachés sous ses pas!

Contre la terre consternée

Quand la nature est déchaînée,

Vous l'imitez dans ses horreurs;

Et le plus affreux phénomène

Dont frémisse la race humaine

Sert de modèle à vos fureurs!

Que ne puis-je, arbitre des ombres,

Forçant les portes du trépas,

Évoquer des royaumes sombres

Tous les morts de tous les climats;

A chacun d'eux si j'osais dire:

Un Dieu t'ordonne de m'instruire

Qui t'a conduit au noir séjour?

Presque tous, homme impitoyable!

Ils répondraient: C'est mon semblable

Dont la main m'a privé du jour.

Ah! jetez ces coupables armes;

De vous-mêmes prenez pitié:

Connaissez, éprouvez les charmes

De l'amour et de l'amitié!

Que la force, que la puissance,

Nobles soutiens de l'innocence,

Ne servent plus à l'opprimer.

Écartez la guerre inhumaine,

Et ne vouez plus à la haine

Le moment de vivre et d'aimer.

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CONTES.

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