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Œuvres complètes de lord Byron, Tome 09: comprenant ses mémoires publiés par Thomas Moore

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The Project Gutenberg eBook of Œuvres complètes de lord Byron, Tome 09

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Title: Œuvres complètes de lord Byron, Tome 09

Author: Baron George Gordon Byron Byron

Annotator: Thomas Moore

Translator: Paulin Paris

Release date: September 23, 2009 [eBook #30067]
Most recently updated: October 24, 2024

Language: French

Credits: Produced by Mireille Harmelin, Rénald Lévesque and the
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generously made available by the Bibliothèque nationale
de France (BnF/Gallica)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK ŒUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON, TOME 09 ***


ŒUVRES COMPLÈTES

DE

LORD BYRON,

AVEC NOTES ET COMMENTAIRES,

COMPRENANT

SES MÉMOIRES PUBLIÉS PAR THOMAS MOORE,

ET ORNÉES D'UN BEAU PORTRAIT DE L'AUTEUR.

Traduction Nouvelle

PAR M. PAULIN PARIS,

DE LA BIBLIOTHÈQUE DU ROI.

TOME NEUVIÈME.


Paris.
DONDEY-DUPRÉ PÈRE ET FILS, IMPR.-LIBR., ÉDITEURS,
RUE SAINT-LOUIS, N° 46,
ET RUE RICHELIEU, N° 47 bis.


1830.




LETTRES

DE LORD BYRON,

ET

MÉMOIRES SUR SA VIE,

Par Thomas MOORE.







Préface du Traducteur.





Depuis la publication des deux premiers volumes de ces Mémoires, les journaux de la Grande-Bretagne ont ouvert leurs colonnes aux interminables réclamations des amis de lady Noël Byron, à lès en croire, injustement traitée dans le cours de cet ouvrage. La veuve de l'illustre poète a fait elle-même retentir ces organes insoucians du mensonge et de la vérité, des plaintes que semblaient lui arracher l'indiscrétion de l'éditeur, la perfidie de ses demi-confidences, et surtout le rôle affreux qu'il prêtait aux personnes dont elle était entourée à l'époque de la déplorable affaire de son divorce. Certes le public a dû voir avec étonnement les récriminations de lady Byron. Jusqu'alors, il accusait M. Moore d'une partialité peu généreuse en faveur des adversaires de l'illustre poète qui lui avait remis l'honorable soin de le défendre; et le dépositaire, peut-être infidèle, semblait avoir assez fait, sinon pour sa considération personnelle, du moins pour celle d'une famille à laquelle Lord Byron avait toujours attribué ses chagrins les plus cuisans. Voici la première lettre de lady Byron, publiée dans la Litterary Gazette, et reproduite quelques jours après dans le Times:

«Déjà, une multitude d'écrits remplis de faits notoirement faux ont été livrés au public; j'ai dédaigné d'y répondre. Mais aujourd'hui il s'agit d'un ouvrage publié par un homme regardé comme l'ami, le confident de Lord Byron, et par conséquent comme un personnage dont les révélations sont fondées sur la meilleure autorité. Cependant les faits contenus dans cet ouvrage n'en sont pas moins erronés. On ne devrait jamais attirer l'attention du public sur les détails de la vie privée; mais quand cela arrive, les personnes victimes d'une telle indiscrétion ont le droit de repousser d'injurieuses attaques. M. Moore a donné au public ses propres impressions sur des événemens particuliers qui me touchent de fort près; et il en a parlé comme s'il eût eu la connaissance la plus parfaite de ce dont il parlait. La mort de Lord Byron me rend plus pénible encore l'obligation de revenir sur des circonstances qui me reportent à l'époque de mon mariage. Mon intention est donc de ne les faire connaître qu'autant qu'il le faudra pour parvenir au but que je me propose dans cette déclaration. Nul motif de justification personnelle ne m'anime, et je n'accuserai personne: mais la conduite de mes parens étant représentée sous un jour odieux dans certains passages extraits des lettres de Lord Byron et dans les remarques de son biographe, je me crois obligée de les défendre d'imputations que je sais être fausses.

Voici les divers passages des lettres de Lord Byron dont je veux parler:

Dans le second volume on a outragé la réputation de ma mère en disant:

«Mon enfant est dans un état de santé florissant et prospère à ce qu'on me dit; mais je veux y voir par moi-même; je ne me sens nullement disposé à l'abandonner à la contagion de la société de sa grand'mère.»

C'est à tort qu'on l'a accusée de s'être abaissée à employer des espions: «Une dame C. (espèce de factotum et espion de lady Noël) est regardée par des gens bien instruits comme la cause occulte de toutes nos dissensions domestiques.»

Je cite aussi le passage où, après avoir voulu m'excuser moi-même, on ajoute immédiatement après: «Ses plus proches parens sont.......» Ici le mot laissé en blanc indique que l'expression était trop offensante pour être publiée.

Ces passages tendent évidemment à jeter quelque défaveur sur mes parens, et peuvent faire croire que ce sont eux qui ont personnellement causé notre séparation, ou qu'ils l'ont provoquée par les espions officieux qu'ils ont employés.

On peut induire aussi des passages suivans de la biographie, que mes parens ont du moins exercé une influence qui ne leur appartenait pas, afin de parvenir à leur but. «Ce fut peu de semaines après notre dernière entrevue (Lord Byron et M. Moore) que lady Byron prit la résolution de se séparer de son époux. Elle avait quitté Londres dans les derniers jours de janvier pour aller voir son père dans le comté de Leicester, et Lord Byron devait l'y rejoindre peu de tems après. Ils s'étaient quittés dans une union parfaite: en route, elle lui écrivit encore une lettre pleine de tendresse et de gaîté; mais à peine arrivée à Kirkby-Mallory, le père écrivit à Lord Byron pour lui apprendre que jamais il ne la reverrait.»

En répondant à ce passage, j'éviterai autant qu'il me sera possible de parler de choses personnelles soit à Lord Byron, soit à moi-même. Je me borne à rétablir les faits. Je quittai Londres le 15 janvier 1816 pour me rendre à Kirkby-Mallory, résidence de mon père et de ma mère. Lord Byron m'avait signifié formellement dans sa lettre du 6 du même mois, qu'il désirait que je quittasse Londres aussitôt qu'il me paraîtrait convenable de le faire. Mais je ne pouvais me risquer à entreprendre ce voyage fatigant plus tôt que le 15. Avant mon départ, j'avais été vivement frappée de cette idée que Lord Byron était atteint de folie. Ce qui surtout m'avait donné cette opinion, c'étaient les confidences de ses plus proches amis, et de ses domestiques qui avaient eu plus que moi le loisir de l'observer pendant la dernière partie de notre séjour en ville. On avait même été jusqu'à me dire qu'il était à redouter qu'il ne se détruisit lui-même. D'accord avec sa famille, j'avais consulté le 8 janvier le docteur Baillie, notre ami, sur cette maladie qu'on soupçonnait. Je lui racontai toutes les particularités venues à ma connaissance, et j'ajoutai que Lord Byron m'avait témoigné le désir de me voir quitter Londres. Le docteur saisît aussitôt cette idée, et pensa qu'en cas de quelque dérangement d'esprit, mon éloignement pouvait être fort utilement mis à profit. Le docteur Baillie ne pouvait avoir, à cet égard, d'opinion arrêtée, puisqu'il n'avait point approché personnellement Lord Byron. Il me recommanda d'éviter avec soin dans ma correspondance tout sujet de déplaisir ou de tristesse.

Telles étaient donc mes pensées quand je quittai Londres, bien résolue de suivre les avis du médecin. Quelle qu'eût été la conduite de Lord Byron à mon égard depuis mon mariage, c'eût été une véritable inhumanité de montrer dans cette circonstance le moindre ressentiment. Le jour de mon départ, et encore à mon arrivée à Kirkby, le 16 janvier, j'écrivis à Lord Byron une lettre fort affectueuse, ainsi que j'en étais convenue avec M. Baillie. On a plus tard répandu ma dernière lettre, et on a voulu trouver là des preuves que j'avais cédé à des influences étrangères, quand ensuite j'abandonnai mon mari. On en a tiré la conséquence que j'avais quitté Lord Byron dans le plus parfait accord; que des sentimens incompatibles avec la moindre idée d'outrage m'avaient dicté ma dernière lettre, et que ma résolution n'avait subitement changé que quand je m'étais trouvée sous l'influence de mes parens. Ces assertions sont absolument dénuées de fondement: il n'y a point eu la moindre intervention étrangère.

A mon arrivée à Kirkby-Mallery, mes parens ne se doutaient en rien des circonstances qui détruisaient toutes mes espérances de félicité; et quand je leur fis part de l'état d'esprit dans lequel se trouvait Lord Byron, ils firent tous leurs efforts pour me dissuader et le défendre. Ils assurèrent en outre à ceux de nos parens qui étaient avec lui à Londres qu'ils feraient tout ce qui dépendrait d'eux pour guérir sa maladie par les soins les plus attentifs, et qu'ils espéraient, si on pouvait le décider à venir les voir, obtenir les meilleurs résultats de leurs efforts. C'est dans ces intentions que ma mère écrivit le 17 à Lord Byron, en l'engageant à se rendre à Kirkby-Mallory. Elle l'avait toujours traité avec la plus affectueuse considération: son indulgence pour lui s'étendait jusqu'à ses moindres sentimens. Jamais, tant qu'elle vécut avec lui, il ne lui échappa une parole qui pût le blesser 1.

Note 1: (retour) On peut, afin d'apprécier la véracité de lady Byron, consulter, sur la bienveillance de sa mère pour notre poète, le premier chant de Don Juan et les Mémoires du capitaine Medwin.

Après notre séparation, les détails que me donnèrent des personnes qui vivaient dans son intimité ne firent que fortifier les doutes qui déjà s'étaient élevés dans mon esprit sur la réalité de son mal; les rapports des médecins étaient d'ailleurs loin d'établir le fait de l'aliénation mentale. Dans ces circonstances, je crus devoir déclarer à mes parens que, si je devais considérer la conduite passée de Lord Byron comme celle d'un homme dans son bon sens, rien ne pourrait m'engager à retourner auprès de lui. Mes parens et moi jugeâmes convenable de consulter les gens les plus capables de nous éclairer à cet égard. Ma mère se détermina donc à se rendre à Londres, pour cet objet, et afin d'y recueillir de plus amples informations sur ce qui avait pu faire supposer un dérangement d'esprit. Je lui avais donné procuration pour recueillir les opinions d'hommes de lois sur un mémoire que j'avais fait moi-même, bien que j'eusse alors des motifs de cacher une partie de l'affaire, même à mon père et à ma mère.

Convaincue par ces recherches et par toute la conduite de Lord Byron, que les soupçons de folie conçus contre lui étaient tout-à-fait faux, je n'hésitai point à autoriser les mesures qui devaient lui ôter tout pouvoir sur moi. C'est d'après ma résolution, que mon père lui écrivit le 2 février pour lui proposer de nous séparer à l'amiable. Lord Byron repoussa d'abord cette proposition; mais quand on lui eut assuré que, s'il persistait dans son refus, il faudrait en venir aux lois, il consentit à signer l'acte de séparation. Je m'adressai au docteur Lushington, qui avait parfaitement connu tous les détails de cette affaire, pour qu'il voulût bien écrire tous ses souvenirs, et voici la lettre qu'il me répondit à ce sujet. Elle prouvera que ma mère ne put jamais avoir contre Lord Byron le moindre sentiment d'inimitié:


Ma chère lady Byron,

«Voici tout ce que ma mémoire peut me fournir sur le sujet dont vous m'entretenez dans votre lettre.

«Lady Noël me consulta d'abord pour votre affaire pendant que vous étiez encore à la campagne. Ce qu'elle me dit alors suffisait pour justifier une séparation; mais cependant les choses ne me parurent pas tellement graves, qu'il fût indispensable d'en venir à ce point. Je crus même qu'une réconciliation avec Lord Byron n'était pas impossible, et je m'y serais très-volontiers employé. Je ne vis dans le récit de lady Noël, ni la moindre exagération, ni le plus léger désir d'empêcher un rapprochement: elle ne fit aucune objection quand j'en parlai. Lorsque vous revîntes en ville, quinze jours ou peut-être plus après ma première entrevue avec lady Noël, vous fûtes la première à m'informer de faits qui, je n'en doute pas, n'étaient à la connaissance ni de sir Ralph ni de lady Noël. Ces nouveaux renseignemens changèrent tout-à-fait mon opinion; la réconciliation me parut dès-lors impossible; je déclarai ce que je pensais, et j'ajoutai que, si jamais on revenait à cette idée de rapprochement, je ne m'en mêlerais absolument en rien, soit en restant dans les devoirs de ma profession, soit autrement.

«Croyez-moi toujours votre très-affectionné,»
Étienne LUSHINGTON
.



Je dois seulement ajouter ici que, si les informations sur lesquelles mes conseils légaux (feu sir Samuel Romilly et le docteur Lushington) ont formé leur opinion étaient fausses, c'est sur moi seule que devraient retomber tout l'odieux et toute la responsabilité.

J'espère que les faits que je viens d'exposer ici suffiront pour disculper mon père et ma mère de toute participation à mon divorce. Ils ne l'ont ni causé, ni provoqué, ni conseillé; l'on ne peut les condamner pour avoir donné à leur fille l'abri et l'assistance qu'elle réclamait d'eux. Comme il n'y a point d'autres personnes de ma famille qui puissent défendre leur mémoire de l'insulte, je me vois forcée de rompre un silence que j'espérais garder toujours, et je demande à ceux qui liront la vie de Byron qu'ils pèsent avec impartialité le témoignage qu'on vient de m'arracher.

Hanger-Hill, 19 février.
A.J. Noël BYRON.



Le lecteur, avide de détails sur les circonstances et les causes de cette fameuse séparation, n'en trouve que de bien insignifians dans la lettre que nous venons de citer. Que lady Byron ait demandé de sa propre inspiration, ou d'après les conseils de sa mère, l'acte du fatal divorce, c'est une circonstance assez peu intéressante en elle-même. La seule chose que l'on doit ici remarquer, c'est que lady Byron avait le malheur de méconnaître non-seulement le génie sublime, mais le bon sens et la raison de son mari. Elle l'avoue naïvement: il lui fallu le témoignage de tous ceux qui approchaient Lord Byron; il fallut la sentence formelle des médecins pour lui persuader que l'auteur de Childe Harold n'était pas un fou. Avouons-le: ce premier motif de divorce ne doit pas nous prévenir en faveur du second.

La longue lettre de M. Campbell, insérée dans le New Monthly Magazine (avril 1830), offre moins d'intérêt encore que la précédente. Son étendue ne nous permet pas de la traduire en entier; ce ne serait pas, d'ailleurs, chose facile: jamais on n'a tant abusé de la facilité malheureuse qu'offre la langue anglaise de multiplier les mots et les phrases sonores sans exprimer d'idées et sans en suggérer au lecteur.

L'illustre auteur des Plaisirs de la Mémoire 2, au mérite duquel Byron a rendu si amplement justice, M. Campbell, commence par nous apprendre qu'il avait consenti, le mois précédent, à l'insertion, dans la Revue qu'il dirige, d'un article louangeur, sur les mémoires; que même, il en avait fait disparaître certains passages, où le critique reprochait à M. Moore une partialité coupable envers lady Byron. «Mais, ajoute-t-il, j'avais agi ainsi par suite de ma répugnance à blâmer mon ami M. Moore, et parce que je n'avais pas assez approfondi les passages du livre incriminés. En outre, je ne croyais pas alors, comme je le sais aujourd'hui, que lady Byron fût entièrement irréprochable dans l'affaire de la séparation.»

Note 2: (retour) Voyez dans les Poètes anglais et les Journalistes écossais, page 373 du deuxième vol. des œuvres complètes.

Comment! cette fameuse séparation date de quatorze ans, et voilà enfin la conviction de M. Campbell tout-à-coup formée, arrêtée, ou plutôt changée du tout au tout! que s'est-il donc passé pendant ce mois de mars? Le voici: M. Campbell a écrit à lady Byron, lui demandant pour son instruction particulière une appréciation de l'exactitude ou de l'inexactitude des faits avancés par M. Moore, et il en reçut la réponse qu'il publie à ses périls, parce qu'elle lui a paru importante, et sans avoir eu le tems d'en demander la permission à cette dame:


Mon cher M. Campbell,

«En prenant la plume dans l'intention de vous indiquer, pour votre instruction particulière, les passages du livre de M. Moore qui me concernent et que je crois susceptibles de contradiction, je les trouve encore bien plus nombreux que je n'avais d'abord supposé. Nier une assertion çà et là, ce serait implicitement reconnaître la vérité du reste. Si, au contraire, j'entreprenais de prouver toute la fausseté du point de vue sous lequel M. Moore présente les choses, je me verrais obligée à de certains détails, que dans les circonstances actuelles je ne puis dévoiler, d'après mes principes et mes sentimens. Peut-être, par un exemple, vous convaincrai-je mieux de la difficulté du cas: il n'est pas vrai que des embarras pécuniaires furent les causes qui troublèrent l'esprit 3 de Lord Byron, et la principale raison des arrangemens qu'il prit à cette époque. Mais puis-je raisonnablement m'attendre que vous ou d'autres le croirez, à moins que je ne vous montre quelles ont été les causes en question?... et c'est ce que je ne puis faire.

Je suis, etc.»
E. Noël BYRON.



Note 3: (retour) Encore l'esprit de Lord Byron troublé! mais vous avez avoué que c'était une de vos chimères.

Là-dessus M. Campbell de s'écrier: «Excellente femme! honorée de tous ceux qui la connaissent, attaquée seulement par ceux qui ne la connaissent pas, je l'en croirai certainement sur son seul témoignage!»

Certes, si une pareille lettre a suffi pour déterminer la conviction de M. Campbell, il est au moins douteux qu'elle produise le même effet sur l'esprit des lecteurs. Il ajoute, il est vrai, qu'il a recueilli un petit nombre de faits à d'autres sources authentiques, qui lui prouvent jusqu'à l'évidence l'innocence de cette dame, mais qu'il ne nous répétera pas pour ne pas offenser notre délicatesse. Or, n'est-ce pas se jouer un peu trop du public que de lui dire chaque jour: voilà la vérité, je la tiens enfin, la voilà... mais vous ne la saurez pas!

M. Campbell nous représente ensuite lady Byron comme la femme forte, qui trouve dans sa propre conscience la sanction de sa conduite, et s'occupe peu de l'opinion du monde; à la bonne heure, mais alors pourquoi donc importuner de nouveau le public? pourquoi lui écrire par la voie des journaux, uniquement pour lui dire qu'on ne lui dira rien?

L'esprit de Byron était essentiellement versatile; il n'est donc pas étonnant qu'il ait quelquefois cherché à excuser sa femme et à s'attribuer tous les torts d'une rupture qui fit le malheur de sa vie. M. Campbell reproche à M. Moore d'avoir affaibli l'effet de ces prétendus aveux, en y ajoutant ses propres réflexions, et en y opposant les passages de sa correspondance où son noble ami parle dans un sens tout-à-fait contraire. Il cite à cet égard la lettre CCXXXV du recueil: elle passera sous les yeux de nos lecteurs, et, nous sommes fâchés de le dire, ils pourront voir que M. Campbell en a singulièrement altéré et amplifié les termes.

C'est un singulier argument en faveur de lady Byron que de dire: si elle n'avait pas eu de justes sujets de désirer une séparation, le docteur Lushington ne se serait pas chargé de sa cause. Dans une affaire, il y a toujours au moins un avocat de chaque côté: souvent tous les deux sont des hommes de talent; et nous devons en outre les supposer tous deux des hommes d'honneur et de bonne foi. Alors, que devient l'argument? Un peu plus loin se trouve un passage que je traduirai textuellement, parce qu'il est d'une naïveté qui ne serait pas déplacée dans une comédie: «C'est encore une erreur de M. Moore, et je pourrais le prouver au besoin, que de représenter miss Millbank comme engagée avec son futur époux dans un commerce épistolaire, au moment où il venait de solliciter inutilement sa main. Jamais elle ne proposa de correspondance; au contraire, ce fut lui qui, après avoir éprouvé un premier échec, lui écrivit qu'il allait quitter l'Angleterre et voyager pendant quelques années en Orient; qu'il partait le cœur plein de douleur, mais sans entretenir aucun ressentiment, et qu'il s'estimerait heureux qu'elle daignât lui faire dire verbalement qu'elle s'intéressait encore à son bonheur. Une personne aussi bien élevée que miss Millbank pouvait-elle faire autrement que de répondre poliment à un pareil message? Elle lui envoya donc une réponse pleine de confiance et d'affection, ce qui ne signifiait nullement qu'elle voulût l'encourager à renouveler ses offres de mariage. Il lui écrivit, depuis, une lettre extrêmement intéressante sur lui-même, sur ses vues personnelles, morales et religieuses, à laquelle c'eût été manquer de charité que de ne point répondre. Il s'en suivit une correspondance insensiblement plus fréquente, et bientôt elle s'attacha passionnément à lui. .............................................»

Puisqu'après quatorze ans, passés dans l'attente, il paraît que nous sommes condamnés à ne rien savoir de certain sur cette fameuse affaire de la séparation, il faut bien en prendre notre parti et nous contenter de simples conjectures. Les adversaires les plus acharnés du noble poète sont obligés de convenir qu'il se montra toujours généreux, aimant et aimable; les partisans les plus ardens de sa veuve ne contestent ni sa fierté, ni sa froideur glaciale, ni ses prétentions ridicules à l'esprit et aux connaissances scientifiques. Lord Byron, qu'elle accuse, après sa mort, de torts qu'elle refuse de spécifier, et dont personne ne peut, en conséquence, justifier sa glorieuse mémoire, Lord Byron n'a jamais perdu un ami pendant la durée trop courte de son existence, il est au contraire parvenu à s'attacher sincèrement des hommes qui d'abord s'étaient déclarés ses ennemis; il fut un fils, sinon tendre, du moins attentif et respectueux envers une assez mauvaise mère; nous pouvons donc en conclure qu'il se fût montré bon mari, si l'épouse n'eût été encore plus insupportable que la mère.

Les Mémoires que nous donnons aujourd'hui au public ne sont pas, au moins quant à cette première partie, ce que le monde littéraire avait droit d'attendre, et attendait en effet de M. Moore, écrivant la vie et publiant la correspondance de Lord Byron. Cependant ils ne laissent pas d'offrir le plus vif intérêt. Il en est du chantre de Childe Harold, comme de tous les hommes véritablement grands: sa mort nous a fait mieux apprécier son mérite, et le temps, loin de diminuer sa gloire, n'a fait qu'ajouter à la popularité de ses ouvrages immortels. On voudra connaître la vie d'un homme si étonnant, on voudra assister au développement graduel de ce puissant génie; et des détails qui, partout ailleurs, pourraient sembler puérils, prendront de l'intérêt à cause de celui auquel ils se rapportent. Il eût été à désirer sans doute que la position sociale de M. Moore, en lui imposant moins de ménagemens envers les vivans, lui eût permis de rendre plus de justice à l'illustre mort. Lié avec tous ceux qui tiennent le premier rang dans l'aristocratie et dans la littérature de la Grande-Bretagne, non seulement M. Moore n'a pas osé tout dire, mais encore il a souvent gauchi devant la vérité. Sa prose, toujours maniérée, devient presque inintelligible précisément dans les passages où nous aurions le plus désiré qu'il nous donnât une idée précise des hommes et des choses. Ceux qui ont lu, je ne dis pas ses œuvres poétiques, mais ses ouvrages en prose, seront fort étonnés du mince talent qu'il a déployé dans celui-ci; et personne ne reconnaîtra dans le pâle compilateur des Mémoires de Lord Byron, l'auteur si ingénieux, si léger et si profond à la fois des Mémoires du célèbre chef irlandais, le capitaine Rock.

Au moment où nous songions à donner cette traduction, d'autres libraires en faisaient paraître une autre que recommandait le nom de son auteur. Madame Belloc l'avait, en effet, commencée avec le talent que tout le monde lui reconnaît; mais bientôt, pressée sans doute par son éditeur, elle a plutôt résumé que traduit le texte anglais, et son style s'est beaucoup ressenti de la précipitation de son travail. Ajoutons qu'elle n'a pas eu plus d'égards pour les lettres de Lord Byron que pour les commentaires un peu longs de son biographe; en sorte que l'on peut dire avec vérité qu'elle n'a réellement donné au public, ni la vie, ni la correspondance de Lord Byron.

Pour nous, nous avons religieusement tout traduit, et nous nous sommes appliqué à rendre notre auteur dans les termes dont il se serait servi, s'il eût écrit en français. A peine nous sommes-nous permis de retrancher dans ce premier volume une ou deux notes absolument étrangères au sujet. Dans le second, nous serons forcé de supprimer près d'une demi-feuille d'impression, c'est-à-dire quelques lettres où le noble poète consulte un de ses amis sur la coupe de certains vers, sur le choix de certaines expressions anglaises; le lecteur sentira facilement que ces lettres eussent été presque impossibles à traduire, et que la lecture ne lui eût offert aucune espèce d'intérêt.




PRÉFACE

DE L'ÉDITEUR ANGLAIS.




En publiant cet ouvrage, je n'aurais pu, je l'avoue, me défendre d'une grande défiance, en songeant à tout ce qui me manquait pour accomplir une pareille tâche, si je n'étais persuadé que le sujet lui-même et la variété des matériaux qu'il comporte doivent conserver une grande partie de leur intérêt, même dans les mains les plus inhabiles. Les motifs qui portèrent Lord Byron à fuir son pays sont bien déplorables sans doute, mais c'est à son éloignement de l'Angleterre, alors que son génie brillait du plus vif éclat, que nous devons toutes les lettres qui formeront la plus grande partie du troisième et du quatrième volume de cet ouvrage, et qui, nous n'en doutons pas, seront jugées pour l'intérêt, l'énergie et la variété, comparables à ce qui honore le plus notre littérature dans le même genre.

On a dit de Pétrarque que sa correspondance et ses vers offraient «l'intérêt progressif d'un récit dans lequel le poète s'identifie toujours avec l'homme.» On peut appliquer, et plus justement encore, les mêmes expressions à Lord Byron, tant sa physionomie littéraire et son caractère personnel sont intimement liés. C'est même au point que priver ses ouvrages du commentaire instructif qu'en offrent sa correspondance et l'histoire de sa vie, ce serait commettre une égale injustice envers lui-même et envers le monde.





MÉMOIRES

SUR LA VIE

DE LORD BYRON.




On a dit de Lord Byron qu'il était plus fier de descendre de ces Byron qui accompagnèrent Guillaume-le-Conquérant en Angleterre, que d'avoir composé Childe-Harold et Manfred. Cette remarque n'est pas dénuée de tout fondement, l'orgueil de la naissance était certainement l'un des traits caractéristiques du noble poète; et d'ailleurs toute l'illustration que les années donnent à une famille, il pouvait justement la réclamer pour la sienne. Le nom de Ralph de Burun occupe, dès le tems de Guillaume-le-Conquérant, un rang distingué dans le Doomsday-Book, parmi les tenanciers du Nottinghamshire; et pendant les règnes suivans, nous voyons les descendans de ce Ralph, sous le titre de lords de Horestan-Castle 4, posséder, dans le Derbyshire, des propriétés considérables, auxquelles la terre de Rochdale, dans le duché de Lancastre, fut ajoutée au tems d'Édouard Ier. Telle était, dans ces premiers tems, la richesse territoriale de la famille, que le partage de ses biens, dans le seul Nottinghamshire, avait suffi pour fonder quelques-unes des premières maisons de la province.

Note 4: (retour) Il y avait, dit Thoroton, dans le parc de Horseley, un château dont on peut voir encore quelques ruines; il s'appelait Horestan-Castle, et était le principal manoir des successeurs de Ralphe de Burun. (Note de Moore.)

Mais son antiquité n'était pas la seule distinction qui recommandât à ses héritiers le nom de Byron; le mérite personnel et les hauts faits qui doivent former le premier ornement d'une généalogie, semblent avoir été le partage fréquent de ses ancêtres. Dans l'un de ses premiers poèmes, il fait allusion à la gloire de ses aïeux, et rappelle avec une vive satisfaction «ces fiers barons bardés de fer, qui brillaient parmi ceux qui conduisirent leurs vassaux européens dans les plaines de Palestine;» puis il ajoute: «Sous les remparts d'Ascalon périt John de Horiston; la mort a glacé la main de son ménestrel.» Cependant comme, autant que je l'ai pu découvrir, il n'est fait mention nulle part de quelqu'un de ses ancêtres qui se fût croisé, il est possible que sa seule autorité, en composant ces vers, fut la tradition qui se rapportait à certains groupes des vieilles boiseries de Newsteadt. Dans l'un de ces groupes profondément sculptés et se détachant du panneau, on peut reconnaître facilement un Sarrasin, ou un Maure avec une femme européenne, d'un côté, et de l'autre un soldat chrétien. Un deuxième groupe, placé dans l'une des chambres à coucher, représente une femme au centre, et de chaque côté la tête d'un Sarrasin, dont les yeux sont fixés avec intérêt sur elle. On ne sait rien de bien exact sur ces sculptures; mais la tradition est, m'a-t-on dit, qu'elles se rapportent à quelque aventure d'amour dans laquelle se trouvait engagé l'un des chevaliers croisés dont parle le jeune poète. Quant aux exploits les mieux prouvés, ou du moins les plus connus des Byron, il suffira de dire que sous Édouard III, au siége de Calais et dans les plaines mémorables, à diverses époques, de Créci, de Bosworth et de Marston Moor, leur nom se montre revêtu de la double illustration de rang et de mérite, dont se glorifiait leur plus jeune descendant, dans les vers que nous venons de citer.

Ce fut sous le règne de Henri VIII, à l'époque de la suppression des monastères, que l'église et le prieuré de Newsteadt furent, avec les terres contiguës, ajoutés, par un don royal, aux autres domaines de la famille Byron 5. Le favori à qui furent données les dépouilles du monastère, était le petit neveu du vaillant guerrier qui combattit à Bosworth, aux côtés de Richemond, et que l'on distingue des chevaliers du même nom par le titre de sir John Byron le Court, à la grande barbe: son portrait était du petit nombre de ceux qui décoraient les murs de l'abbaye, quand elle appartenait au noble poète.

Note 5: (retour) Le prieuré de Newsteadt avait été fondé et dédie à Dieu et à la Vierge, par Henri II; ses moines, chanoines réguliers de l'ordre de St.-Augustin, étaient, à ce qu'il paraît, les objets particuliers de la faveur royale, dans leurs doubles intérêts spirituels et temporels. Pendant la vie du cinquième Lord Byron, on trouva dans le lac de Newsteadt, où l'on supposait que les moines avaient tenté de le cacher, un grand aigle de cuivre; on le fit ouvrir, et l'on découvrit dans l'intérieur une case secrète qui recelait plusieurs vieilles chartes relatives aux droits et aux privilèges de la fondation. A la vente des effets du vieux Lord Byron, en 1776-1777, cet aigle avec trois candélabres, trouvés à la même époque, furent achetés par un horloger de Nottingham (celui-même qui avait trouvé les pièces dont nous venons de parler), et ayant de ses mains passé dans celles de sir Richard Kaye, prébendier de Southwell, ils forment à présent un des ornemens les plus remarquables de la cathédrale de cette ville. Un document curieux, trouvé, dit-on, dans l'aigle, appartient aujourd'hui au colonel Wildman; c'est un plein pardon, accordé par Henri II, de tous les crimes possibles (et l'on en trouve désigné un assez long catalogue) que les moines peuvent avoir commis avant le huit décembre précédent. «Murdris per ipsos post decimum nonum diem novembris ultimo præteritum perpetratis, si quæ fuerint, exceptis

Au couronnement de Jacques Ier, nous trouvons un autre représentant de cette famille, le petit-fils de sir John Byron le Court, devenu l'objet de nouvelles faveurs royales et créé chevalier du Bain (Knight of the Bath). Une lettre de ce personnage, conservée dans les Illustrations de Lodge, nous apprend, que, malgré l'ostentation d'une apparente prospérité, cette ancienne famille avait déjà l'expérience des embarras pécuniaires. Dans cette pièce, après avoir parlé à son héritier du meilleur moyen de payer ses dettes, «je vous conseille donc, continue-t-il 6, aussitôt que vous aurez terminé, comme vous le devez, les funérailles de votre père, de régler et de réduire ce grand train de maison, et de ne garder de tous vos domestiques que quarante ou cinquante au plus. Dans mon opinion, vous feriez beaucoup mieux de vivre quelque tems dans le comté de Lancastre que dans celui de Nottingham; et cela, pour plusieurs raisons excellentes, qu'au lieu de vous écrire, je vous dirai à notre première entrevue.»

Note 6: (retour) Le comte de Shrewsbury. (Note de Moore.)

C'est du règne suivant, celui de Charles Ier, que date l'origine de la noblesse de la famille. En 1643, sir John Byron, arrière-petit-fils de celui qui avait obtenu le riche domaine de Newsteadt, fut créé baron Byron de Rochdale, dans le comté de Lancastre; et rarement de pareils titres furent concédés pour des services aussi réels et aussi honorables que ceux auxquels ce gentilhomme dut le sien. Presque à chaque page de l'histoire de nos guerres civiles, son nom se trouve lié aux diverses fortunes de son roi; toujours fidèle, persévérant et désintéressé dans sa conduite. «Sir John Byron, dit l'auteur des Mémoires du colonel Hutchinson, plus tard Lord Byron, et tous ses frères, hommes d'armes, actifs et vaillans de leurs personnes, étaient tous acquis passionnément au roi.» Dans une réponse que le colonel Hutchinson eut l'occasion de faire, étant gouverneur de Nottingham, à son cousin germain, sir Richard Byron, il accorde un glorieux tribut à la valeur et à la fidélité de la famille. Sir Richard ayant envoyé quelqu'un vers son parent pour l'engager à rendre le château, reçut pour réponse «que, sauf le cas où il trouverait dans son cœur quelque disposition à une trahison semblable, il devait se rappeler qu'il coulait dans ses veines assez du sang des Byron, pour qu'il eût horreur de trahir ou d'abandonner ce qu'il avait entrepris de défendre.»

Tels sont quelques-uns des personnages distingués qui ont transmis à Byron leur nom illustré.

Du côté maternel notre poète pouvait vanter ses ancêtres, à la noblesse desquels l'Écosse ne pouvait rien préférer, sa mère étant de la famille des Gordon de Gight, descendans de sir William Gordon, troisième fils du comte de Huntley, par la fille de Jacques Ier.

Après les tems agités des guerres civiles, où se distinguèrent aussi plusieurs Byron, puisqu'à la fameuse bataille d'Edgehill on vit jusqu'à sept frères de ce nom, leur renommée semble assoupie pendant près d'un siècle. Mais vers l'année 1750, le naufrage et les souffrances du grand-père de notre poète, M. Byron, plus tard amiral, réveillèrent à un haut degré l'attention et l'intérêt du public. Quelque tems après, une autre sorte de célébrité, moins glorieuse il est vrai, devint le partage de deux autres membres de la famille: l'un grand-oncle, l'autre père de Lord Byron. Le premier, en 1765, subit un jugement devant la Chambre des Pairs, pour avoir tué en duel, ou plutôt au milieu d'une querelle, son parent et son voisin, M. Chaworth; le second ayant enlevé et conduit sur le continent la femme de lord Carmarthen, l'épousa dès que le marquis eut réussi à obtenir un divorce. Une fille fut le seul fruit de cette courte union: ce fut l'honorable Augusta Byron, aujourd'hui femme du colonel Leigh.

En parcourant ainsi rapidement les premiers et les derniers ancêtres de Lord Byron, on ne peut s'empêcher de remarquer à quel point ce dernier réunissait en lui une partie des grandes et peut-être des mauvaises qualités remarquables dans plusieurs de ses aïeux! La générosité, la hardiesse, la grandeur d'ame des plus illustres; mais aussi les passions déréglées, la bizarrerie, le mépris de l'opinion publique, qui caractérisaient les autres.

M. Byron, le père du poète, ayant perdu sa première femme en 1784, se remaria l'année suivante à miss Catherine Gordon, fille et unique héritière de George Gordon de Gight. Outre le domaine de Gight, qui pourtant était dans l'origine bien plus important qu'aujourd'hui, cette dame possédait en valeur pécuniaire, actions, etc., une fortune considérable; et l'opinion commune était que M. Byron ne lui avait fait la cour que pour s'affranchir de ses dettes.

Un trait bien singulier que l'on raconte de miss Gordon, surtout si jusqu'alors elle n'avait jamais vu le capitaine Byron, prouve en même tems l'extrême vivacité et la véhémence des sentimens qu'elle avait déjà pour lui. Elle était au théâtre d'Edimbourg, un soir que le rôle d'Isabella était rempli par Mrs. Siddons; l'illusion que faisait cette grand actrice l'affecta au point de la faire tomber, avant la fin de la pièce, dans de violentes attaques de nerf. On l'emporta hors du théâtre, tandis qu'elle s'écriait à haute voix: «Oh! mon Byron, mon Byron!»

A l'occasion de son mariage, un rimeur écossais fit paraître une ballade que l'on a dernièrement réimprimée dans une collection d'anciennes chansons et ballades du nord de l'Écosse.

Comme elle porte la preuve de la réputation de fortune qu'avait la nouvelle épouse et de l'inconduite extravagante de son époux, on en pourra lire volontiers l'extrait suivant:


MISS GORDON DE GIGHT.

Oh! où êtes-vous allée, jolie miss Gordon? où êtes-vous allée si gentille et si parée? Vous avez épousé, vous avez épousé John Byron, pour dissiper les terres de Gight.

Ce jouvenceau est un mauvais sujet venu d'Angleterre; les Écossais ne connaissent pas sa famille; il entretient des maîtresses; son hôte l'importune et ne peut s'en faire payer. Oh! ce sera bientôt fait des terres de Gight.

Oh! où êtes-vous allée, etc.

Entendez-vous les coups de fusil, le bruit du tambourin, celui du cor dans les bois, de la cornemuse sous le vestibule, les aboiemens des chiens courans et des chiens d'arrêt. Avec tout ce bruit-là, ce sera bientôt fait des terres de Gight.

Oh! où êtes-vous allée, etc.


Bientôt après le mariage, qui eut lieu, je crois, à Bath, M. Byron et sa femme se retirèrent dans leur terre d'Écosse, et il se passa peu de tems avant que les pronostics du faiseur de ballades ne se réalisassent. La malheureuse héritière mesura alors des yeux l'abîme de dettes qui devait engloutir sa fortune. Les créanciers de M. Byron se présentèrent sans perdre de tems. Argent comptant, actions de la Banque, droits de pêche, tout fut sacrifié pour les satisfaire; tout cela ne suffisant pas, il fallut grever la propriété d'une hypothèque assez considérable.

Dans l'été de 1786, elle et son mari quittèrent l'Écosse pour la France; et l'année suivante il fallut vendre le domaine de Gight, toujours pour payer des dettes. La totalité du prix de la vente y passa, à l'exception d'une petite somme remise en main tierce, pour l'usage particulier de mistress Byron, qui se vit ainsi, dans le court espace de deux ans, réduite d'un état d'opulence à un revenu modique de 150 livres sterling 7.

Note 7: (retour) Les détails que je joins ici sur la fortune de mistress Byron (la mère), avant son mariage, et la rapidité avec laquelle cette même fortune fut dissipée bientôt après, sont de la plus grande exactitude; j'ai tout lieu de le croire, d'après l'authenticité de la source où je les ai puisés.

«A l'époque de son mariage, miss Gordon possédait à peu près 3,000 liv. st. en espèces, deux actions de la banque d'Aberdeen, les domaines de Gight et de Monkshill, et le privilège de deux pêcheries de saumons sur la Dee. Peu après l'arrivée de M. et de mistress Byron en Écosse, il fut évident que le premier avait contracté des dettes considérables, et ses créanciers commencèrent des poursuites légales pour arriver au recouvrement de leurs créances. L'argent comptant fut immédiatement sacrifié pour les satisfaire, les actions de la banque furent vendues à raison de 600 liv. st. (elles en valent actuellement 5,000); on abattit sur la terre de Gight et l'on vendit du bois, au montant de 1,500 liv. st. On disposa de la ferme de Monkshill et des pêcheries, formant un franc-fief, pour 480 liv. st. Ce n'est pas tout, dans l'année même du mariage, on emprunta une somme de 8,000 liv. st., pour laquelle mistress Byron donna hypothèque sur son domaine de Gight.

«En mars 1786, un contrat de mariage fut dressé selon la coutume d'Écosse et signé par les parties. Dans le cours de l'été de la même année, M. et mistress Byron quittèrent Gight pour n'y plus revenir; le domaine fut vendu l'année suivante à Lord Haddo moyennant 17,850 liv. st. La totalité de cette somme fut employée à payer les dettes de M. Byron, excepté une rente de 55 liv. sterl. 17 schellings 1 penny, douaire de la grand'mère de mistress Byron, représentant un capital de 1,128 liv. st., qui devait revenir à cette dernière à la mort de son aïeule, et 3,000 qui devaient être déposées en mains tierces pour l'usage particulier de mistress Byron, et qui furent depuis placées chez M. Carsewell de Ratharllet, dans le comté de Fife.»

Une autre personne, bien informée, m'a raconté une particularité singulière qui eut lieu avant la vente de la terre, c'est que tous les ramiers de la maison de Gight s'envolèrent de concert et se rendirent au colombier de Lord Haddo; leur exemple fut suivi par une troupe de hérons qui avaient fait leur nid depuis maintes années dans un bois voisin d'un grand lac, appelé le Hagberry-Pot. On vint en avertir Lord Haddo. «Laissez venir les oiseaux, répondit-il, ne les effarouchez pas, la terre ne manquera pas de les suivre.» Ce qui arriva effectivement. (Note de Moore.)

Mistress Byron revint en Angleterre à la fin de 1787, et le 22 janvier suivant elle mit au monde à Londres, dans Holle-street, son premier et unique enfant, George Gordon Byron. Le nom de Gordon lui fut donné par suite d'une condition testamentaire imposée à quiconque épouserait l'héritière de Gight; l'enfant, à son baptême, eut pour parrains le duc de Gordon et le colonel Duff de Fetteresso.

A propos de sa qualité de fils unique, Lord Byron, dans une des feuilles de son journal, rapporte quelques coïncidences curieuses du même fait dans sa famille, qui, pour un esprit disposé comme le sien à trouver partout du merveilleux dans tout ce qui avait rapport à lui-même, devaient paraître plus singulières et plus frappantes qu'elles ne le sont en effet: «J'ai pensé, dit-il, à une chose bizarre; ma fille, ma femme, ma sœur de père, ma mère, ma tante maternelle, la mère de ma sœur, ma fille naturelle et moi-même sommes ou étions tous fils ou filles uniques; la mère de ma sœur, lady Conyers, n'eut que ma sœur de son second mariage; elle-même était fille unique; mon père n'eut que moi de son second mariage avec ma mère, également fille unique. Une telle complication dans une seule famille est bien singulière, elle semble vraiment l'effet de la fatalité.» Ensuite il ajoute ces paroles caractéristiques: «Mais les plus fiers animaux ont le moins de petits, tels que les lions, les tigres et jusqu'aux éléphans, qui sont doux en comparaison des premiers.»

De Londres mistress Byron se rendit avec son enfant en Écosse; et, en 1790, elle fixa son séjour à Aberdeen, où le capitaine Byron vint bientôt la rejoindre. C'est là qu'ils vécurent ensemble quelque tems, logés en garni chez un nommé Anderson, dans Queen-street; mais leur union étant loin d'être parfaite, une séparation fut bientôt jugée nécessaire, et mistress Byron prit le parti d'aller loger, toujours en garni, à l'extrémité de la même rue 8. Malgré cette désunion, ils n'en continuèrent pas moins à se visiter de tems en tems, et même à prendre le thé l'un chez l'autre; mais les élémens de discorde se multiplièrent et finirent par amener leur séparation complète et définitive. Il arrivait toutefois fréquemment au mari, d'accoster la bonne et son fils dans leur promenade et d'exprimer un vif désir d'avoir l'enfant chez lui pour un ou deux jours. Mistress Byron était d'abord peu disposée à céder à ce vœu; mais la bonne lui représenta que si le père avait l'enfant une seule nuit, il n'en voudrait pas davantage, et cette réflexion la décida enfin à y consentir. L'événement justifia la prédiction de la bonne; quand elle vint le lendemain s'informer de son enfant, le capitaine Byron lui déclara qu'il avait assez de son jeune hôte, et qu'elle pouvait le reprendre tout de suite.

Note 8: (retour) Il semble que plusieurs fois elle changea de domicile à Aberdeen; on désigne encore deux maisons où elle aurait quelque tems logé, l'une dans Virginia-street, et l'autre chez un M. Leslie, je crois, dans Broad-street. (Note de Moore.)

Il faut observer qu'à cette époque la fortune de mistress Byron ne lui permettait pas d'avoir plus d'une domestique; il n'est donc pas étonnant que l'enfant envoyé affronter l'épreuve d'une visite, sans la surveillance ordinaire de sa bonne, se soit montré un hôte difficile à gouverner.

Du reste, que dès l'enfance son caractère fût violent, sournois et colère, il est impossible d'en douter; jusque dans ses petites jupes, il manifestait avec sa bonne ce même esprit d'impatience dont il donna dans la suite tant de preuves à ses critiques. Un jour elle le réprimanda vivement d'avoir sali ou déchiré un fourreau qu'on venait de lui mettre: ces reproches le firent entrer dans une de ces rages silencieuses, comme il les nomme lui-même; il prit le fourreau de ses deux mains, le mit en pièces, puis revint à une soudaine immobilité, défiant et son censeur et son ressentiment.

Mais malgré cette petite scène et d'autres emportemens semblables, auxquels ne l'encourageait que trop l'exemple de sa mère (qui en agissait, dit-on, fréquemment de même avec ses bonnets et ses robes), il y avait dans ses inclinations, et le témoignage de ses bonnes, de ses maîtres et de tous ceux qui eurent alors des rapports avec lui est ici conforme, un mélange de douceur affectueuse et d'enjouement qui lui gagnait nécessairement les cœurs, et qui plus tard, comme dans ses plus tendres années, rendait son commerce facile pour ceux qui l'aimaient et le connaissaient assez pour user toujours à son égard de douceur et de fermeté. La gouvernante, dont nous avons déjà parlé, et la sœur de cette femme, May-Gray, qui la remplaça, prirent sur son esprit une influence à laquelle il ne résistait que bien rarement; tandis que sa mère, dont les caprices et les accès de tendresse et d'emportement diminuaient également le respect et l'affection de son enfant, ne dut jamais qu'à l'autorité de son titre de mère le faible pouvoir qu'elle eut sur lui.

Par l'effet d'un accident qui, dit-on, arriva au moment de sa naissance, l'un de ses pieds fut détourné de sa position naturelle. Ce défaut, grâce surtout aux efforts que l'on fit pour y remédier, fut pour lui, pendant sa jeunesse, la source d'une foule de douleurs et d'ennuis. On voulut redresser ce membre d'après les expédiens alors en vogue, et sous la direction du célèbre John Hunter, qui même entretint à ce sujet une correspondance avec le docteur Livingstone d'Aberdeen. C'était à sa gouvernante qu'était confié le soin de lui mettre le soir ses machines-bandages; souvent alors, comme elle l'a raconté depuis, elle lui chantait ou lui racontait, pour mieux l'endormir, des histoires et des légendes auxquelles, comme la plupart des enfans, il prenait un grand plaisir. Elle lui apprit encore, dans cet âge si tendre, à répéter un grand nombre de psaumes, et le premier et le vingt-troisième furent ceux qu'il confia d'abord à sa mémoire. C'est un fait vraiment remarquable que, par les soins de cette respectable et pieuse personne, il acquit une connaissance plus parfaite des saintes Écritures, que ne l'ont en général les jeunes gens. Dans une lettre qu'il écrivit d'Italie à M. Murray, en 1821, après lui avoir demandé, par la première occasion, l'envoi d'une bible, il ajoute: «N'oubliez pas cela, car je suis un grand lecteur et admirateur de ces livres; je les avais parcourus tous avant l'âge de huit ans,--c'est-à-dire les livres de l'Ancien-Testament; quant au Nouveau, sa lecture me semblait une tâche, et celle de l'autre un plaisir. J'en parle d'après mes idées d'enfant, telles que je me les rappelle, et comme se présente encore à ma mémoire ce tems que je passai à Aberdeen en 1796.»

La difformité de son pied était dès-lors un sujet qui l'affligeait beaucoup et sur lequel il se montrait très-irascible. Une personne de Glascow m'a rapporté que la gouvernante de sa femme et celle de Byron se voyaient souvent quand elles sortaient pour promener les enfans qui leur étaient confiés, et qu'un jour elle lui avait dit: «Quel bel enfant que ce Byron! et quel malheur qu'il ait un pareil pied!» L'enfant l'entendit, et soudain, outré de colère, il la frappa d'un petit fouet qu'il avait à la main, en s'écriant avec impatience: Ne parlez pas de cela. Quelquefois cependant, comme plus tard, il parlait avec indifférence et même plaisantait de son infirmité. Dans le voisinage se trouvait un autre enfant qui avait dans l'un de ses pieds un défaut semblable; Byron disait alors à cette occasion en riant: Venez voir les deux petits garçons qui s'en vont dans Brood-street avec leurs deux pieds bots.

Parmi une foule d'exemples de vivacité et d'énergie, sa gouvernante citait le suivant. Un soir, elle l'avait conduit au théâtre, à la représentation de la Femme colère corrigée (the taming of the Shrew); il avait suivi la pièce pendant quelque tems avec un intérêt silencieux, mais à la scène entre Catherine et Pétruchio, quand les acteurs en furent à ces deux vers:

Catherine. Je sais que c'est la lune.

Pétruchio. Non, vous mentez, c'est le soleil bienfaisant.

Le petit Geordie (ainsi l'appelait-on), se levant de son siége, se mit à crier vivement: Mais je vous dis, moi, que c'est la lune, monsieur.

Nous avons déjà parlé du séjour du capitaine Byron à Aberdeen; il revint encore y passer deux ou trois mois avant son départ définitif pour la France. Chaque fois, le principal objet de sa visite était de tirer encore, s'il le pouvait, quelque argent de la malheureuse femme qu'il avait réduite à la misère; et il y réussit si bien, que la dernière fois cette dame, gênée comme elle l'était, parvint à lui procurer les moyens de se rendre à Valenciennes 9, où il mourut l'année suivante (1791). Bien que sur la fin Mrs. Byron refusât de le voir, elle lui conserva toujours, dit-on, une vive affection; et à cette époque, quand la gouvernante venait à le rencontrer, elle ne manquait pas de s'informer auprès d'elle, avec la plus tendre sollicitude, de sa santé et de l'air de son visage. Quand elle apprit sa mort, sa douleur, suivant le récit de la même personne, tenait du désespoir, et ses cris perçans furent entendus jusque dans la rue. C'était vraiment une femme extrême dans toutes ses passions; sa douleur et sa tendresse partaient de son tempérament autant que d'une sensibilité réelle. Quoi qu'il en soit, déplorer la mort d'un pareil mari était, il faut l'avouer, faire preuve d'une générosité bien gratuite; d'autant plus que ne l'ayant épousée, comme il le disait tout haut, que pour sa fortune, et ayant bientôt dissipé le seul charme qu'elle eût à ses yeux, il avait la cruauté de lui reprocher fréquemment les inconvéniens de la pénurie, fruit de son extravagante prodigalité.

Note 9: (retour) Mrs. Byron, dit quelqu'un que j'ai déjà cité, s'était endettée de trois cents liv. st., par suite des avances d'argent faites à M. Byron lors de ses deux visites à Aberdeen, et par les frais d'ameublement de la chambre qu'elle occupa après la mort de son mari, dans Brood-street. Les intérêts de cette somme réduisirent son revenu à 139 liv.; toutefois elle sut vivre sans augmenter ses dettes, et à la mort de sa grand'mère, ayant hérité des 1,122 liv. réservées pour le douaire de cette dame, elle les acquitta entièrement.

Le jeune Byron n'avait pas cinq ans accomplis quand on l'envoya à une école primaire, tenue à Aberdeen par M. Bowers 10. Il y resta, sauf quelques interruptions, durant l'espace de douze mois, comme l'atteste l'extrait suivant du registre journalier de l'école:

georges gordon byron,
19 novembre 1792.
19 novembre 1793, reçu une guinée.

Note 10: (retour) Dans Long-acre, l'instituteur actuel de cette école est M. Davie Gronta, l'ingénieux éditeur d'une collection de batailles et monumens militaires, et d'un ouvrage fort utile intitulé: Livre classique des poèmes modernes.

Le prix de cette école, pour la lecture seulement, n'était que de 5 shillings par quartier; et ce fut certainement moins dans le but de hâter ses progrès que pour mieux échapper à sa turbulence que sa mère l'y envoya. Quant au résultat de ces premières études à Aberdeen, tant sous M. Bowers que sous différens autres instituteurs, il nous en offre lui-même le curieux document dans une sorte de journal commencé sous le titre de mon Dictionnaire, et qu'on retrouve dans l'un de ses manuscrits:

«J'ai vécu dans cette ville plusieurs années de ma première jeunesse; mais depuis l'âge de dix ans je n'y suis pas retourné. A cinq ans, ou plus tôt même, on m'envoyait à l'école tenue par un M. Bowers, que l'on surnommait Bodsy, à cause de son air vif et éveillé. C'était une école à l'usage des deux sexes; j'y appris peu de chose, si ce n'est à répéter par cœur, à force de l'entendre, mais sans en retenir une lettre, la première leçon monosyllabique: Dieu fit l'homme, il faut l'aimer. La seule preuve que je donnais de mes progrès à la maison, c'était de répéter ces mots avec la plus grande volubilité; mais un jour, ayant tourné le feuillet, j'eus le malheur de redire encore la même chose, et cela fit découvrir les bornes étroites de mes jeunes talens: on me tira les oreilles (criante injustice, attendu que c'était par elles que j'avais appris ce que je savais), et l'on confia mes dispositions aux soins d'un nouveau précepteur; c'était un pieux et habile petit prêtre, nommé Ross, devenu plus tard, ministre de l'une des églises d'Écosse (celle d'East, je pense). Je fis sous lui d'étonnans progrès, et je me rappelle encore aujourd'hui ses manières douces et sa généreuse sollicitude. Dès que je pus lire, ma grande passion fut l'histoire, et surtout je me passionnai, pourquoi? je l'ignore, pour la bataille donnée près du lac Régille, dans l'histoire romaine, que l'on m'avait d'abord mise entre les mains. Il y a quatre ans, me trouvant sur les hauteurs de Tusculum, mes regards s'arrêtèrent sur le petit lac circulaire, jadis de Régille, et qui n'est plus qu'un point dans la perspective; alors je me souvins de mon jeune enthousiasme et de mon vieux instituteur. Plus tard j'eus pour maître un nommé Paterson, honnête jeune homme, mais très-sérieux et taciturne: c'était le fils de mon cordonnier; du reste fort instruit, comme le sont généralement les Écossais; c'était de plus un presbytérien rigide. Je commençai avec lui le latin, dans la grammaire de Ruddeman, et je continuai jusqu'au moment où l'on me mit à l'école de grammaire. Là je fis toutes mes classes jusqu'à la quatrième forme 11, époque de mon rappel en Angleterre, ma patrie, par la mort de mon oncle.

Note 11: (retour) Un collége régulier anglais se divise généralement en six formes, quoiqu'un même professeur puisse être chargé de deux à la fois. L'ordre des formes est inverse du nôtre; ainsi (la rhétorique et la philosophie faisant partie de l'enseignement spécial des universités), la sixièmes forme correspondra à notre classe de seconde, et la première forme à notre septième ou aux classes plus élémentaires encore. (Note du Traducteur.)

C'est à Aberdeen, et sur les belles exemples de M. Duncan, que j'acquis le beau point d'écriture que je ne lis pas moi-même sans difficulté. Je ne pense pas qu'il se mît beaucoup en peine de mes progrès. J'écrivais mieux alors que je n'ai jamais fait depuis; la hâte et l'agitation d'une et d'autre espèce ont fait de moi le plus parfait griffonneur qui jamais ait tenu une plume. Il pouvait y avoir à cette école de grammaire cent cinquante enfans de tout âge; elle était divisée en cinq classes, tenues par quatre maîtres, le principal se chargeant de la quatrième et de la cinquième forme, comme en Angleterre la cinquième et la sixième forme et les moniteurs ont toujours pour professeur le chef de l'école.»

Parmi ses compagnons de classe, il en est de vivans qui se souviendront encore de lui 12, et l'impression qu'ils en ont conservée est que c'était un enfant vif et passionné, emporté, rancunier, mais affectueux et sociable à l'égard de ses camarades; hardi, singulièrement aventureux et toujours, comme l'un d'eux le répétait heureusement, toujours plus prêt à donner qu'à recevoir des coups. Entr'autres anecdotes à l'appui de ce caractère, on cite qu'une fois, revenant de l'école, il se trouva de compagnie avec un enfant qui l'avait auparavant insulté, sans en avoir été puni. Le petit Byron avait juré qu'il le lui paierait à la première occasion; en conséquence cette fois-ci, bien que plusieurs autres enfans prissent le parti de son adversaire, il parvint à lui donner une volée complète; et quand il arriva chez sa mère, tout essoufflé, la servante lui demanda ce qu'il avait fait. Il répondit, avec un mélange de rage et d'enjouement, qu'il venait d'acquitter une dette en rossant un enfant auquel il l'avait promis; qu'il était un Byron, et que jamais il ne fausserait sa devise: Croys Byron.

Note 12: (retour) Le vieux portier du collége aussi se rappelle bien le petit garçon à la jaquette rouge et au pantalon de nankin, qu'il a si souvent chassé de la cour du collége.

Il est certain qu'il cherchait bien plus à se distinguer parmi ses camarades par sa supériorité dans tous les jeux et exercices violens, que par ses progrès à l'étude 13. Cependant il était plein d'ardeur dès qu'on parvenait à fixer son attention, ou qu'un genre d'étude venait à lui plaire. Il était en général parmi les derniers de sa classe, et ne semblait guère ambitieux de places plus honorables. Il est d'usage, je crois, dans cette pension, d'intervertir de tems en tems l'ordre des places et de mettre les plus faibles écoliers sur les bancs ordinairement réservés aux plus forts, sans doute dans la vue de mieux stimuler l'ardeur des uns et des autres. Dans ces occasions, et seulement alors, Byron était parfois à la tête de ses condisciples, et son professeur disait en le raillant; Allons, George, vous ne tarderez pas à retourner à la queue 14.

Note 13: (retour) C'était, dit l'un de ceux que j'ai consultés, un bon joueur de billes, il les lançait plus loin que la plupart des enfans; il excellait aussi aux barres, jeu qui exige une grande agilité de jambes.
Note 14: (retour) Il paraît, d'après la liste trimestrielle tenue a l'école de grammaire d'Aberdeen, dans laquelle le nom des enfans se trouve placé suivant le rang qu'ils tenaient dans leur classe; il paraît, dis-je, qu'en avril 1794, le nom de Byron se trouvait le vingt-troisième sur une liste de trente-huit enfans, dans la seconde forme. En avril 1798, il lui arriva d'être le cinquième dans la quatrième classe, composée de vingt-sept enfans, et de dépasser plusieurs de ses condisciples qui l'avaient toujours devancé jusque-là.

Durant cette période, sa mère et lui eurent l'occasion de faire visite à plusieurs de leurs amis: ils passèrent quelque tems à Fetteresso, demeure de son parrain le colonel Duff (on s'y rappelle encore le plaisir que prenait l'enfant à jouer avec un vieux sommelier, bon vivant, nommé Ernest Fiddler). Ils s'arrêtèrent aussi à Banff, où résidaient quelques proches parens de mistress Byron.

Il eut en 1796 une attaque de fièvre scarlatine, après laquelle sa mère l'envoya, pour changer d'air, dans les montagnes de l'Écosse (highlands); et ce fut alors, ou l'année suivante, qu'ils choisirent pour résidence une ferme dans le voisinage de Ballater. C'est un séjour recherché pendant l'été par ceux qui veulent reprendre leur santé ou leur enjouement; il est situé sur la rivière, à quarante milles environ d'Aberdeen. Bien que cette maison, où l'on montre encore avec orgueil le lit du jeune Byron, soit naturellement devenue un but de pélerinage pour les admirateurs du génie, elle est, ainsi que la vallée étroite et aride dans laquelle elle est bâtie, bien indigne de s'associer au souvenir d'un poète. A peu de distance de là, on peut vanter avec raison un paysage où se retrouvent tous les genres de beautés sauvages qui suivent le cours de la Dée à travers les montagnes. C'est là que les noirs sommets de Lachin-y-Gair s'élançaient en forme de tourelles aux yeux du poète futur; les vers qu'il consacra, plusieurs années après, au tableau de ces objets sublimes, montrent que déjà, malgré sa tendre jeunesse, il connaissait tous les genres de gloire sourcilleuse qui s'y rattachaient 15.

Note 15: (retour) Les souvenirs exprimés dans cette pièce sont charmans, mais il n'en est pas moins certain, d'après le témoignage de sa gouvernante, qu'il alla tout au plus deux fois sur cette montagne, située à quelques milles de leur résidence ordinaire.

Ah! c'est là que mes pas s'égarèrent souvent dans mon enfance; mon chapeau était le bonnet à carreaux, mon manteau le plaid des montagnards; les souvenirs des chefs de clans, morts depuis long-tems, venaient s'offrir à mon esprit, quand, chaque jour, j'errais dans les clairières couvertes de pins. Je ne songeais pas à retourner au château, avant que la gloire du jour mourant n'eût fait place aux rayons brillans de l'étoile polaire, car mon imagination charmée aimait à se nourrir des traditions glorieuses que je recueillais de la bouche des habitans de la sombre Loch-na-Gar.

On a plusieurs fois attribué la première étincelle de son génie poétique à la sévérité grandiose des scènes au milieu desquelles s'écoula son enfance; mais on pourrait se demander si jamais pareilles facultés furent l'effet d'un pareil accident. Que les charmes d'une nature pittoresque, nés principalement de notre imagination et de nos souvenirs, soient profondément sentis à un âge où l'imagination est à peine née, où les souvenirs sont rares, c'est ce qu'on concevra difficilement, tout en faisant la part d'un génie prématuré. L'éclat que le poète voit dans les aspects de la nature n'est pas autant dans les objets eux-mêmes que dans l'œil qui les contemple; et l'imagination doit entourer ses tableaux d'une sorte d'auréole avant de pouvoir leur emprunter quelque inspiration.

A la vérité, comme matériaux susceptibles d'être mis en œuvre par la faculté poétique quand elle sera développée, ces merveilleuses impressions, recueillies dès l'enfance avec toute la vivacité, conservées avec toute la puissance de souvenir qui appartient au génie, peuvent bien former l'un des plus purs et des plus précieux alimens dont il se nourrira par la suite; mais cependant la source de ce charme est dans le sentiment poétique qui existait en lui et qui s'éveille alors. C'est l'imagination seule qui, agissant sur ses souvenirs, imprégnera pour lui, dans la suite, tout le passé de poésie.

Il faut donc classer les impressions que Lord Byron reçut dans son enfance des scènes de la nature, avec les divers autres souvenirs qu'il conserva de la même période, comme de son innocence, de ses jeux, de ses espérances et de ses affections premières, tous souvenirs que le poète sait convertir à son usage, mais dont aucun ne fait le poète; pas plus que le miel (pour employer une comparaison de Byron lui-même) ne fait l'abeille qui le butine.

Quand il arrive, comme ce fut le cas en Grèce pour Lord Byron, que les mêmes accidens de nature, sur lesquels la mémoire a réfléchi son charme, se reproduisent devant les yeux, entourés de circonstances nouvelles et inspiratrices, et de tous les accessoires qu'une imagination riche et vigoureuse peut leur prêter; alors, et le passé, et le présent, tout contribue à rendre l'enchantement complet. Or, jamais cœur ne fut mieux né pour réunir ces divers sentimens que celui de Lord Byron. Dans un poème écrit un ou deux ans avant sa mort 16, il fait honneur de sa passion pour les montagnes aux impressions de son séjour dans les highlands; et il attribue même le plaisir que lui fit éprouver l'aspect de l'Ida et du Parnasse, bien moins aux traditions classiques qu'aux souvenirs profonds que lui fournissaient son enfance et Lachin-y-gair.

Celui dont les premiers regards se sont arrêtés sur les montagnes de l'Écosse, couronnées d'un bleu céleste, aimera à contempler toutes les cimes qui lui offriront une couleur analogue; il saluera, dans chaque mamelon, le visage connu d'un ami; à la vue d'une montagne, son ame s'épanouira, comme pour l'embrasser. Long-tems j'ai parcouru des pays qui n'étaient pas mon pays; j'ai adoré les Alpes, aimé les Apennins, révéré le Parnasse, admiré l'Ida cher à Jupiter, et l'Olympe qui s'élève majestueusement au-dessus de la mer. Mais ce n'était point le souvenir de leur gloire antique, ce n'était point la vue de leur beauté présente qui m'imposaient ces impressions profondes de respect et d'amour. Les ravissemens que l'enfant avait éprouvés survivaient à l'âge de l'enfance. Loch-na-Gar dominait avec l'Ida sur les champs de la Troade. Les souvenirs celtiques entouraient le mont Phrygien, et les eaux des cascades des highlands se mêlaient à la claire fontaine de Castalie.

Dans une note jointe à ce morceau, nous le voyons faire le même anachronisme dans l'histoire de ses propres sentimens, et rapporter à son enfance elle-même cet amour des montagnes, qui n'était autre chose que le résultat du travail de son imagination se reportant au passé. «C'est, dit-il, de cette époque (celle de son séjour dans les highlands) que date mon amour des pays montagneux. Je n'oublierai jamais l'effet que produisit sur moi, quelques années plus tard, en Angleterre, la seule chose que j'eusse vue depuis long-tems qui ressemblât à des montagnes, quoiqu'en miniature; je veux parler des Malvern-hills. Lorsque je retournai à Cheltenham, je les regardais chaque soir, au coucher du soleil, avec une émotion que je ne pourrais décrire.» Son amour pour les courses solitaires et pour les excursions de toutes espèces 17, le conduisait souvent assez loin pour donner sur lui des inquiétudes sérieuses. Il lui arrivait à Aberdeen, toutes les fois qu'il en trouvait l'occasion, de s'esquiver, inaperçu, de la maison. Quelquefois il se dirigeait du côté de la mer; et un jour, après de longues et pénibles recherches, on trouva le petit aventurier se débattant au milieu d'une fondrière ou mare, d'où il n'aurait pu se tirer de lui-même.

Note 17: (retour) Cette phrase rend fort douteuse l'assurance donnée par sa gouvernante (au rapport de Thomas Moore), que Byron n'avait jamais vu que deux fois la montagne de Lachin-y-gair, si voisine de l'habitation de sa mère. (N. du Tr.)

Dans le cours de l'une de ces excursions d'été le long de la Dée, il eut l'occasion de voir les sauvages beautés des highlands, mieux encore que dans les environs de leur résidence à Ballatrech. Sa mère l'avait conduit sur la route romantique d'Invercauld, jusqu'à la petite chute d'eau appelée la vigne de la Dée; sa passion pour les aventures fut alors sur le point de lui coûter la vie: comme il grimpait le long d'une pente inclinée sur cette cascade, une bruyère arrêta son pied bot et il tomba. Déjà même il roulait vers le précipice, quand la gouvernante eut la force et la présence d'esprit de le retenir, et de le ravir ainsi à une mort certaine.

Il n'avait encore que huit ans: ce fut alors qu'un sentiment plus près de l'amour qu'on ne le supposerait possible dans un âge si tendre, prit, de son propre aveu, sur ses pensées, une puissance absolue, et prouva ainsi, de bonne heure, combien il était facile d'éveiller sa sensibilité sur ce point comme sur tous les autres 18. L'objet de son attachement était Marie Duff; et les passages d'un journal, tenu par lui en 1813, montrent avec quelle fraîcheur, après un intervalle de dix-sept ans, il se rappelait toutes les circonstances de cette première passion:

Note 18: (retour) On sait que Dante n'avait que neuf ans quand, à la fête du Mai, il vit pour la première fois Béatrix et en devint amoureux. Alfieri lui-même, amant précoce, considère une telle sensibilité prématurée comme le signe incontestable d'une ame née pour les beaux-arts. «Effetti, dit-il en décrivant ce qu'il éprouva lui-même lors de son premier amour, che poche persone intendono, e pochissime provano: ma a quei soli pochissimi è concesso l' uscir della folla volgare in tutte le umane arti.» Canova disait ordinairement qu'il se rappelait fort bien avoir été amoureux dès l'âge de cinq ans.

«J'ai dernièrement, dit-il, beaucoup pensé à Marie Duff; il est bien étrange que j'aie pu me passionner aussi profondément pour cette jeune fille, à un âge où je ne pouvais connaître l'amour, ni ce que ce mot signifiait: et pourtant c'était bien de l'amour. Ma mère me raillait d'habitude sur cet attachement puéril; et plusieurs années après (j'avais alors seize ans), elle me dit un jour: Byron, je reçois une lettre d'Edimbourg; miss Abercromby me mande que votre ancienne passion, Marie Duff, est mariée à un M. Co..... Et quelle fut ma réponse? En vérité, je ne sais comment expliquer ce que je ressentis en ce moment; mais je faillis entrer en convulsion. Ma mère en fut tellement alarmée, que plus tard elle évita toujours de revenir sur ce sujet avec moi,--se contentant de le redire volontiers à chacune de ses connaissances. Maintenant que signifiait tout cela? Je ne l'avais pas vue depuis que, par suite d'un faux pas de sa mère, à Aberdeen, elle fut ramenée à Banff, auprès de son aïeule: nous étions tous deux de véritables enfans; j'avais dès-lors, et j'ai depuis éprouvé cinquante fois, d'autres sentimens tendres; cependant je me rappelle encore tout ce que nous nous disions l'un à l'autre, toutes nos caresses, ses traits, mon inquiétude, mes insomnies, mes instances auprès de la servante de ma mère pour qu'elle lui écrivît de ma part; ce qu'elle fit à la fin pour me tranquilliser. La pauvre Nancy pensait que j'étais fou; et comme je ne pouvais écrire une lettre moi-même, elle devint mon secrétaire. Je me rappelle aussi nos promenades, mon bonheur quand j'étais assis près de Marie dans l'appartement des enfans, à leur maison proche des Plainstones à Aberdeen. Alors, tandis que sa petite sœur jouait à la poupée, nous faisions l'amour à notre manière.

«Comment diable tout cela arriva-t-il à un pareil âge? d'où cela provenait-il? Certainement, plusieurs années après, je n'avais pas encore l'idée de la distinction des sexes; et cependant mes tourmens et mon amour furent si violens, que je doute quelquefois si j'ai jamais été depuis réellement amoureux.

«Qu'il en soit ce qu'on voudra, l'annonce de son mariage, plusieurs années après, fut pour moi un coup de foudre et fut sur le point de m'étouffer, au grand effroi de ma mère et à l'étonnement de tous les spectateurs qui refusaient d'y croire. C'est dans ma vie un phénomène (puisque je n'avais alors que huit ans), qui m'a souvent tourmenté et qui me tourmentera jusqu'à ma dernière heure; et récemment encore, je ne sais pas pourquoi, son souvenir (non pas l'amour lui-même) s'est représenté avec plus de force que jamais. Je serais bien étonné qu'elle eût gardé de moi la moindre souvenance, et qu'elle se rappelât comme elle plaignait sa petite sœur Hélène de ne pas avoir aussi un amoureux! Il est incroyable comme j'ai gardé d'elle une parfaite et charmante idée; de son front, de ses cheveux noirs, de ses yeux d'un brun clair, de ses vêtemens même: je serais vraiment fâché de la voir aujourd'hui; la réalité, toute belle qu'elle serait, détruirait ou du moins obscurcirait les traits de la charmante Péri que je contemplais alors en elle, et qui vit encore dans mon imagination après plus de seize années. J'ai maintenant vingt-cinq ans et quelques mois.....

«Ma mère, je le suppose, raconta cette circonstance (l'effet qu'avait produit son mariage sur moi) aux Parkynses et certainement à la famille Pigot; elle le mentionna sans doute également à miss Abercromby, qui connaissait mon ancien penchant, et qui sans doute n'avait donné cette nouvelle qu'à mon intention..... Je l'en remercie! Comme ses commencemens, le terme de cette passion m'a souvent fait réfléchir; quant à l'exactitude des faits, d'autres les connaissent aussi bien que moi, et le souvenir que j'en conserve est encore plein de vie. Mais plus j'y songe, et plus je suis embarrassé d'assigner quelques causes à cette précocité d'affection.»

Les chances qu'il avait de succéder au titre de ses ancêtres furent quelque tems tout-à-fait incertaines; car; en 1794, le cinquième lord Byron vivant avait encore un petit-fils. Sa mère cependant, dès sa naissance, avait caressé l'espoir qu'il serait non-seulement un lord, mais encore un grand homme. Une circonstance bizarre sur laquelle elle fondait cette espérance, c'est qu'il était boiteux; pourquoi? il serait difficile de le dire, si ce n'est peut-être qu'ayant un esprit des plus superstitieux, elle avait consulté quelque diseur de bonne aventure, qui, pour anoblir aux yeux d'une mère cette infirmité, l'avait rattachée à la destinée future de l'enfant.

La mort du petit-fils du vieux lord, arrivée en Corse en 1794, brisa le seul obstacle qui se trouvait jusqu'alors placé entre le petit George et l'héritage immédiat de la pairie: l'importance sensible que cet événement leur donna fut sentie non-seulement par Mrs. Byron, mais aussi par le jeune baron futur de Newsteadt. Pendant l'hiver de 1797, sa mère lisait un jour par hasard un discours prononcé à la Chambre des Communes; un ami se trouvait présent, qui dit à l'enfant: «Nous aurons un jour ou l'autre le plaisir de lire aussi vos discours à la Chambre des Communes.» J'espère que non, répondit-il; si vous en lisez quelqu'un de moi, ce sera à la Chambre des Lords.

Le titre dont il se félicitait ainsi ne lui fut que trop tôt dévolu. S'il avait pu demeurer encore pendant dix ans tout simplement George Byron, on ne peut douter que son caractère n'y eût gagné sous beaucoup de rapports. L'année suivante, son grand oncle, le cinquième lord Byron, mourut à l'abbaye de Newsteadt, ayant consommé les dernières années de sa vie dans un état d'isolement austère et presque sauvage.

Le lendemain de l'accession du petit Byron à la pairie, on dit qu'il courut à sa mère et lui demanda si elle apercevait quelque changement en lui depuis qu'il était lord, car il n'en trouvait lui-même aucun. Réflexion ingénieuse et naturelle; l'enfant ne songeait pas encore que la simple addition d'une syllabe au-devant de son nom avait suffi pour opérer un changement complet et magique dans toutes ses relations futures avec la société.

On peut se faire une idée de l'effet que produisit dès-lors sur lui cet événement, d'après l'agitation que, dit-on, il manifesta en s'entendant, pour la première fois, appeler dans l'école avec l'addition du titre de dominus. Incapable de faire la réponse habituelle, adsum, il resta silencieux au milieu de la surprise générale de ses camarades, et finit enfin par fondre en larmes.

Le nuage qu'avait jeté, et sans cause, à plusieurs égards, sur le caractère du dernier lord Byron, sa malheureuse affaire avec M. Chaworth, avait encore été, dans la suite, obscurci par les effets naturels d'une vie insociable et bizarre. On fait encore dans le voisinage les récits les plus exagérés de sa cruauté envers lady Byron, avant leur séparation mutuelle, et l'on croit même que, dans l'un de ses accès de fureur, il avait été jusqu'à la précipiter dans l'étang de Newsteadt. Une autre fois, dit-on, ayant tué son cocher pour quelque désobéissance, il avait jeté le cadavre dans la voiture où se trouvait lady Byron, et montant aussitôt sur le siége, il avait lui-même conduit les chevaux. Ces histoires sont, à n'en pas douter, des fables grossières, comme la plupart de celles dont son illustre héritier fut plus tard la victime. Une femme au service du vieux lord, encore vivante, contredit ces deux récits comme autant d'inventions de la calomnie; elle suppose pourtant que la première est fondée sur les circonstances suivantes. Une jeune dame du nom de Booth se trouvait à Newsteadt en visite; un soir, on fit une partie de plaisir devant la façade de l'abbaye, et lord Byron, par accident, l'avait poussée dans le bassin qui reçoit la cascade: de là, sans doute, le conte dont nous avons parlé.

Une fois séparé de lady Byron, l'isolement complet dans lequel il vécut réveilla toute la puissance d'imagination des habitans de l'endroit; nul fait atroce ou désespéré que les commères du village ne fussent disposées à lui imputer. Il y avait dans son triste jardin deux images grimaçantes de satyres, que bientôt l'effroi de ceux qui les entrevirent décora du nom de diables du vieux lord. On sait qu'il marchait toujours armé, et l'on rapporte que le dernier sir John Warren, son voisin, ayant été admis à dîner un jour avec lui, trouva sur la table une boîte à pistolets placée là comme partie ordinaire du service.

Dans ses dernières années, les seuls compagnons de sa solitude, outre cette colonie de grillons qu'il s'amusait, dit-on, lui-même, à nourrir et à dresser 19, étaient le vieux Murray, plus tard valet favori de son successeur, et la domestique dont je viens de citer l'autorité. Cette dernière, d'après les fonctions auxquelles on suppose qu'elle avait été promue auprès de son noble maître, avait reçu généralement dans le pays le nom de Lady Betty.

Note 19: (retour) Lord Byron avait l'habitude d'ajouter à ceci, sur l'autorité de vieux domestiques, que le jour de la mort de leur patron, ces grillons laissèrent tous de concert la maison, et en si grand nombre, qu'il était impossible de faire un pas dans le vestibule sans en écraser quelques-uns.

Quoiqu'il vécût dans sa solitude d'une manière sordide, il paraît qu'il éprouvait souvent le besoin d'argent; et l'un des torts les plus sérieux qu'il fit à sa propriété, fut la vente du domaine de Rochdale, dans le duché de Lancastre, dont le produit minéralogique passait pour très-important. Il savait bien, dit-on, à l'époque de la vente, qu'il n'avait pas le droit de donner un titre légal de possession, et il n'est pas croyable que ceux qui rachetèrent ignorassent l'irrégularité de la transaction; mais ils prévirent sans doute, comme en effet cela arriva, qu'avant d'être dépossédés de la propriété ils seraient à peu près indemnisés par le produit qu'ils en tireraient.

On tenta, pendant la minorité du jeune lord, de rentrer dans le domaine de Rochdale, et, comme on le lira bientôt, ce fut avec un plein succès. Pour Newsteadt, les bâtimens et les dépendances menaçaient une ruine prochaine, et parmi les rares témoignages de la sollicitude ou de la dépense de son propriétaire, se trouvaient quelques masses de pierres réunies à grands frais, et quelques bâtimens, crénelés, élevés sur le bord du lac et dans l'épaisseur du bois. Les forts bâtis sur le lac étaient destinés à donner un aspect naval à ses ondes: souvent, quand il était en bonne humeur, il se plaisait à des combats simulés; ses bâtimens attaquaient la forteresse, qui à son tour les canonnait. Le plus grand de ses vaisseaux avait été construit pour lui dans l'un des ports de mer de l'est: on l'avait dirigé sur des roues vers la forêt de Newsteadt, comme pour accomplir l'une des prophéties de la mère Shipton, que quand un vaisseau chargé de ling traverserait la forêt de Shervood, le domaine de Newsteadt sortirait de la famille Byron. Dans le duché de Nottingham, ling répond au mot bruyère; et afin de justifier la mère Shipton et de dépiter le vieux lord, on dit que les paysans escortaient le vaisseau en y jetant sans cesse des touffes de bruyère.

Cet homme singulier prenait évidemment fort peu de soin du sort de ses descendans; il n'avait entretenu aucun rapport avec son jeune héritier d'Écosse, et s'il lui arrivait d'en parler, ce qui était fort rare, ce n'était jamais que sous le nom du petit enfant qui est à Aberdeen.

La mort de son grand oncle faisait de Lord Byron le pupille de la chancellerie, et le comte de Carlisle fut désigné pour être son tuteur. Il avait avec la famille quelques rapports de parenté, comme fils de la sœur du défunt lord. En 1798, pendant l'automne, Mrs. Byron et son fils, escortés de leur fidèle May Gray, quittèrent Aberdeen pour Newsteadt. Avant leur départ, ils avaient vendu le mobilier de l'humble appartement qu'ils occupaient, et le produit, à l'exception du linge et de la vaisselle que Mrs. Byron emporta, fut de 74 livres sterling 17 shillings 7 pence.

Le tems que Byron passa en Écosse, où sa mère avait d'ailleurs pris naissance, lui permettait de se considérer lui-même, comme il s'en est glorifié dans Don Juan, à moitié Écossais par sa naissance, et entièrement par son éducation.

Nous avons déjà vu avec quelle vivacité il gardait le souvenir des montagnes qui, dans l'origine, avaient frappé ses yeux; les allusions qu'il y fait, dans le passage de Don Juan que je viens de citer, au pont romantique du Don et aux autres localités d'Aberdeen, montrent la même fidélité et le même entraînement de souvenir.


De dire comment Auld-Lang-Syne évoque devant moi l'Écosse en masse et dans tous ses détails, les Plaids écossais, les Snoods écossais, les montagnes bleues, les ondes claires, la Dee, le Don, le mur noir du pont de Balgounie, mes souvenirs d'enfant, en un mot le plus doux songe de ce qui me faisait alors rêver, enveloppé, comme les fils de Banco, de leurs manteaux funéraires;--d'expliquer ces allusions enfantines qui ramènent sous mes yeux ma douce enfance,--je ne m'en soucie pas, c'est un effet de Auld-Lang-Syne.


Puis il ajoute en note:


Le pont du Don, près de la vieille ville d'Aberdeen, avec son arche unique et ses eaux noirâtres et poissonneuses, me sont encore présens, comme si je les avais vus hier. Je me rappelle également, bien que je le cite mal peut-être, le terrible proverbe qui, dans ma jeunesse, me faisait craindre et pourtant désirer de le passer, parce que j'étais fils unique, au moins du côté de ma mère. Le voici tel que je m'en souviens, quoique je ne l'aie entendu ni lu depuis l'âge de neuf ans:

Brig of Balgounie, black's your wa'

Wi a wife's ae son, and a mear's ae foal

Down ye shall fa'.....

Pont de Balgounie, ton mur est noir, tu tomberas avec le fils unique d'une femme et le poulain unique d'une cavale.


Il eut toujours un véritable plaisir à rencontrer une personne d'Aberdeen: quand feu M. Scott, qui était né dans cette ville, lui rendit une visite à Venise, en 1819, il lui désigna surtout, en rappelant leurs habitudes d'enfance, une place nommée la niche de Wallace, où se trouve encore aujourd'hui une grossière statue de ce guerrier écossais. Cette sorte de souvenir ne le trouvait jamais insensible. A son premier voyage en Grèce, non-seulement l'aspect des montagnes, mais le jupon court des Albanais, tout, dit-il, le reportait à Morven. Dans sa dernière et fatale expédition, l'habit qu'il portait de préférence, à Céphalonie, était une veste de tartane.

Mais quelque sincères et profondément senties que fussent les impressions qu'il gardait de l'Écosse, il lui arrivait quelquefois, comme pour toutes ses affections les plus aimables, de donner un démenti à son bon naturel; et lorsque la colère ou l'ironie l'excitait, de persuader et les autres et lui-même que toutes ses affections se portaient vers des objets directement opposés.

Le fiel qu'il répandit à l'occasion de sa querelle avec la Revue d'Édimbourg, sur tout ce qu'il y avait d'Écossais, offre l'exemple de ce triomphe temporaire de ses passions. Dans tous les tems, le moindre soupçon de ridicule jeté sur l'Écosse ou ses habitans suffisait pour faire taire ses affectueux sentimens. Un de ses amis me raconta l'amusante colère dans laquelle le mit un jour une innocente jeune fille, pour avoir remarqué qu'il avait quelque chose de l'accent écossais: «Bon dieu! s'écria-t-il, j'espère bien que non; j'aimerais mieux voir tomber la maudite Écosse dans la mer que d'avoir l'accent écossais.»

Mais on ajoutera peu de foi aux saillies de ce genre répandues dans ses écrits ou sa conversation, quand on les comparera aux preuves décisives qu'il a laissées de son attachement pour le pays où il passa son enfance. Et si, pour lui, ces impressions étaient ineffaçables, de l'autre il y a chez les citoyens d'Aberdeen, qui le regardent comme leur compatriote, une correspondance chaleureuse d'affection pour sa mémoire et pour son nom. Ils montrent encore aux voyageurs les diverses maisons où il résidait dans sa jeunesse; l'avoir vu seulement une fois, réveille en eux un souvenir d'orgueil, et le pont du Don, déjà beau en lui-même, est désormais revêtu, grâce à la mention qu'il en a faite dans son Don Juan, d'un nouveau charme. Il y a deux ou trois ans qu'on offrit une somme de cinq liv. st. à une personne d'Aberdeen en échange d'une lettre écrite par le capitaine Byron quelques jours avant sa mort; et au nombre des souvenirs du jeune poète, devenus autant de trésors pour ceux qui les possèdent, il en est un dont il n'aurait pu sans rire entendre parler, c'est tout simplement une vieille soucoupe de porcelaine dont il avait une fois mordu un large morceau dans un accès de colère.

Ce fut dans l'été de 1798 que Lord Byron, alors dans sa onzième année, quitta l'Écosse avec sa mère et sa bonne, pour prendre possession de l'ancien domaine de ses ancêtres. Voici comme il parle de ce voyage dans une de ses dernières lettres:

«Je me souviens de Loch-Leven comme si c'était d'hier; ce fut pourtant à l'époque de mon voyage d'Angleterre, en 1798, que je le vis.»

Déjà ils touchaient à la barrière de Newsteadt, ils voyaient les bois de l'abbaye s'élancer comme pour les recevoir, quand Mrs. Byron, affectant de méconnaître l'endroit, demanda à la femme de la barrière à qui appartenait cette propriété. On lui répondit que le possesseur, Lord Byron, était mort depuis quelques mois. «Et quel est l'héritier? demanda la mère avec un orgueil satisfait.--On dit, répondit la femme, que c'est un petit enfant qui vit à Aberdeen.--Et le voici, dieu le bénisse!» s'écria la gouvernante, incapable de se contenir, et couvrant de baisers le jeune lord assis sur ses genoux.

Une élévation si soudaine aurait eu sans doute, même dans des circonstances plus favorables pour lui, une influence dangereuse sur son caractère; le guide qui désormais allait conduire les pas du jeune Byron dans le monde ne pouvait être plus inhabile à lui en montrer les écueils. Sa mère, dépourvue de jugement et d'empire sur elle-même, employait à son égard, avec la même maladresse, et l'indulgence, et ce qui était pire encore, une violence dont l'enfant s'amusait. Ce sentiment exquis du ridicule qui, plus tard, le rendit si remarquable, et que dès-lors il possédait, l'emportait toujours sur la crainte que pouvait lui inspirer sa mère. Quand Mrs. Byron, femme petite et dont l'embonpoint embarrassait la marche, essayait, dans ses accès de colère, de l'atteindre afin de le punir, le petit diable, glorieux de sa légèreté, se plaisait à lui échapper sans cesse, courant autour de la chambre en dépit de sa jambe boiteuse, et riant à gorge déployée d'avoir pu rendre inutiles toutes ses menaces. Dans ses Memoranda, il a consigné quelques anecdotes de ces premiers tems, et bien qu'il n'y nomme jamais sa mère qu'avec respect, il est facile de voir que l'idée qu'il en avait conservée, du moins la plus caractéristique, était d'une nature pénible. L'un des passages les plus frappans de ces Mémoires se rapporte au chagrin profond qu'il ressentait de son infirmité; il décrit l'impression d'horreur et d'humiliation qui s'empara de lui quand sa mère, dans un accès de colère, l'appela, vilain boiteux. Comme il reproduit dans sa poésie, sous une forme ou l'autre, tous les sentimens profonds de sa vie, il ne faut pas être surpris d'y retrouver une expression de ce genre; nous voyons donc à l'ouverture de son drame, le Difforme transformé:

Berta. Va-t'en, vilain bossu.

Arnold. Ma mère, je suis né ainsi.

On peut se demander si l'origine du drame entier ne serait pas due à cet unique souvenir.

Avec un pareil caractère dans la personne qui devait seule diriger ses premières années, on conçoit qu'il dut perdre tout le fruit des soins et de la sollicitude qu'un tuteur éclairé eût pu avoir pour lui. D'ailleurs Lord Carlisle, peu lié avec la famille, et n'ayant jamais eu l'occasion de connaître l'enfant, n'avait accepté qu'avec répugnance cette charge pénible; et comme ce titre le mettait surtout en rapport avec Mrs. Byron, il ne faut pas s'étonner qu'il ne désirât jamais pénétrer dans les détails de l'éducation de son pupille, plus qu'il n'y était rigoureusement obligé: ce qui l'en éloignait était la crainte de se trouver en opposition avec les habitudes violentes et capricieuses de la mère.

D'un autre côté, si la réputation du dernier Lord eût été assez populaire pour piquer d'émulation son jeune successeur, peut-être l'envie salutaire de rivaliser avec les morts eût suppléé aux bons exemples des survivans, et nul esprit ne se serait plus facilement ouvert à cette louable émulation que celui de Byron. Mais malheureusement, comme nous venons de le dire, les circonstances étaient autres, et à la place d'un aussi désirable stimulant fut substituée une rivalité d'une espèce contraire. Les étranges anecdotes qui circulaient sur le feu Lord dans le pays où ses rudes et solitaires habitudes avaient laissé une trace d'effroi; ces anecdotes, dis-je, avaient frappé son imagination poétique, et réveillé dans son jeune esprit une espèce d'admiration pour des bizarreries qui lui semblaient un motif d'étonnement et de souvenir. On a même quelquefois supposé que ce fut le récit des bizarreries de son oncle, qui nourrit son imagination de ces sombres peintures et de ces figures idéales, qu'il sut par la suite revêtir de formes diverses et anoblies par son génie 20. Mais, quoi qu'il en soit, on peut conjecturer que, dans sa pénurie de meilleurs modèles, les singularités de son prédécesseur immédiat eurent une grande influence sur ses goûts et son imagination. Une habitude, entre autres, qu'il semblait devoir à cet esprit d'imitation, et qu'il conserva toute sa vie, fut celle d'avoir ordinairement auprès de lui une arme d'une espèce quelconque; même encore enfant, il portait toujours de petits pistolets chargés dans la poche de sa veste.

Note 20: (retour) Pourquoi donc accuser ces impressions, si les effets en furent si admirables? (N. du Tr.)

La querelle du dernier Lord avec M. Chaworth avait pu d'ailleurs, dès l'origine, lier d'une sorte de connexité, dans son esprit, le nom de sa famille et l'habitude des duels; peut-être aussi les mortifications que lui faisait dévorer, ou du moins craindre, à l'école, son infirmité physique, trouvèrent une sorte de consolation dans l'espoir qu'un jour les lois du combat singulier lui permettraient de lutter avec le plus fort, à armes égales.

Aussitôt après leur départ d'Écosse, Mrs. Byron, dans l'espoir d'obtenir sa guérison, avait confié son fils aux soins d'un individu de Nottingham qui se chargeait de ces sortes de cures: cet homme, charlatan de son métier, se nommait Lavender; son procédé était de frotter d'abord d'huile pendant long-tems le pied malade, puis de le tordre violemment et de le tenir comprimé dans une machine de bois. Pour que l'enfant ne fût pas, durant cet intervalle, retardé dans ses études, un respectable professeur venait lui donner des leçons de latin. M. Rogers, c'était son nom, lisait avec lui des morceaux de Virgile et de Cicéron, et ses progrès lui parurent alors, malgré sa jeunesse, extrêmement sensibles: toutefois, dans le cours de ses leçons, il éprouvait fréquemment de violentes douleurs, à cause de la position de son pied; un jour, M. Rogers lui dit: «Milord, je ne puis vous voir en proie à une douleur comme celle que vous souffrez.--N'y songez pas, M. Rogers, répondit l'enfant, vous ne vous en apercevrez plus.»

Cet homme distingué, qui ne parle jamais de son élève que dans les termes les plus affectueux, se souvient de plusieurs exemples de la plaisante malice avec laquelle il aimait à se venger de son bourreau, en mettant à découvert sa fastueuse ignorance. Un jour il avait placé au hasard, sur une feuille de papier, toutes les lettres de l'alphabet, mais toutefois en les disposant de manière à simuler des mots et des phrases; il mit le papier sous les yeux du docte personnage en lui demandant quelle langue c'était: «De l'italien,» répondit notre homme, incapable d'avouer de bonne foi son ignorance. On conçoit que cette réponse fut accueillie par la joie immodérée et les insultans éclats de rire de notre jeune satirique, charmé du succès de ce premier piége tendu au charlatanisme.

C'est par une suite de la profonde impression qu'il conservait de tout ce qui l'entourait dans sa jeunesse, et qui semblait un des traits distinctifs de son caractère, que plusieurs années après, se trouvant dans les environs de Nottingham, il envoya une lettre à son vieux précepteur, remplie de sentimens affectueux. Il avait même chargé celui qui la portait de dire à M. Rogers, qu'à compter d'un certain endroit de Virgile, qu'il désignait, il pouvait encore réciter une vingtaine de vers qu'il se souvenait fort bien d'avoir expliqués avec lui tandis qu'il souffrait le plus.

C'est dans ce tems, au rapport de sa gouvernante May Gray, que se manifestèrent en lui les premiers indices de dispositions poétiques. Voici à quel propos: une dame âgée, qui faisait de fréquentes visites à sa mère, s'était servie à son égard d'expressions fort insultantes; et ces affronts, il en conservait ordinairement un ressentiment implacable. Cette dame s'était formé des idées singulières relativement à notre ame: elle s'imaginait qu'elle s'arrêtait dans la lune comme pour y subir une épreuve préliminaire avant d'aller plus loin. Un jour, Byron ayant reçu, comme il paraît, une seconde injure du même genre, se présente en fureur devant sa gouvernante: «Eh bien, mon petit héros, lui dit-elle, qu'avez-vous donc?» L'enfant répondit que cette vieille l'avait mis dans une affreuse colère, qu'il ne pouvait plus la supporter, etc., etc.; puis soudain il répéta plusieurs fois les mauvais vers suivans, charmé d'avoir trouvé un moyen d'exhaler sa bile:

Dans le comté de Nott, demeure à Swan-Green une vieille maudite, si jamais il en fut, et quand elle mourra (promptement je l'espère) elle croit sur-le-champ qu'elle ira dans la lune.

Ces vers ont peut-être été rajustés après coup; et lui-même, comme on va le voir, date d'une année plus tard son premier essai poétique, mais l'anecdote n'en fait pas moins connaître son caractère; c'est ce qui m'a décidé à la conserver.

Dans le même tems les faibles revenus de Mrs. Byron reçurent une augmentation fort opportune sans doute, mais dont j'ignore le motif. Ce fut une pension sur la liste civile de 300 liv. st. de rente; la lettre suivante est une copie de l'ordonnance royale rendue à ce sujet:

GEORGES ROI.

Il nous a plu accorder à Catherine Gordon, veuve Byron, une rente annuelle de 300 livres, à commencer au 5 juillet 1799, pour continuer durant notre plaisir. Nous voulons et il nous plaît, qu'en vertu de notre lettre générale du sceau privé, sous la date du 5 novembre 1760, des fonds de notre trésor ou de l'échiquier applicables au service de notre liste civile, vous payiez à ladite Catherine Gordon, veuve Byron, ou à son ordre, ladite rente, à commencer du 5 juillet 1799, pour lui être servie par quartier ou autrement, dès que l'échéance sera arrivée; la présente sera votre garantie.

Le 2 octobre 1799; de notre règne la 39me.

Par ordre de sa majesté,

Signé W. Pitt,


S. Douglas.


Peu satisfaite de l'opérateur de Nottingham, Mrs. Byron, pendant l'été de 1799, jugea convenable de conduire son enfant à Londres, où, d'après l'avis de Lord Carlisle, on le confia aux soins du docteur Baillie. Il était important de le placer dans une école paisible où l'on pût facilement lui faire suivre le régime que l'on adopterait pour sa guérison: on choisit à cet effet la maison de feu le docteur Glennie à Dulwich; et comme en outre on jugea à propos de lui donner une chambre à coucher séparée, le docteur Glennie avait fait placer un lit dans son propre cabinet pour son nouvel élève. Mrs. Byron, à son arrivée dans la ville après être restée peu de tems après lui à Newsteadt, prit un appartement à Sloane-terrace, et, sous la direction du docteur Baillie, on chargea l'un de messieurs Sheldrake de la construction d'une machine propre à redresser peu à peu la jambe de l'enfant 21. On lui prescrivit de la modération dans tous les exercices du corps, mais le docteur Glennie trouvait le précepte plus facile à donner qu'à faire exécuter, et bien que l'enfant fût assez tranquille dans les heures d'étude, dès que celle des jeux sonnait, il ne montrait pas moins d'émulation dans tous les exercices athlétiques que les enfans les plus robustes de l'école: «émulation,» ajoute le docteur Glennie, avec lequel j'ai eu quelques entretiens peu de tems avant sa mort, «que j'ai en général remarquée dans les jeunes enfans affectés de semblables défauts naturels 22

Note 21: (retour) Dans une lettre adressée dernièrement par M. Sheldrake à l'éditeur d'un journal médical, on établit que la personne du même nom qui fut appelée à Dulwich auprès de Lord Byron doit à une méprise cet honneur, et ne fit rien pour sa guérison. L'auteur de la lettre ajoute qu'il fut lui-même consulté par Lord Byron, quatre ou cinq années plus tard, et bien qu'il n'ait pu alors entreprendre la guérison du pied à cause du peu de docilité de son noble patient, il parvint cependant à lui construire une sorte de soulier qui allégea l'inconvénient de son infirmité.
Note 22: (retour) «Quoique, dit Alfieri en parlant de son tems d'étude, je fusse le plus petit de tous les grands qui se trouvaient au second appartement où j'étais descendu, c'était précisément mon infériorité de taille, d'âge et de force, qui m'engageait à me distinguer.

Comme le jeune écolier avait reçu les élémens de la langue latine suivant le système d'enseignement adopté à Aberdeen, il eut de la peine à revenir sur ses pas, et se trouva, comme cela arrive souvent, retardé dans ses études et embarrassé dans ses souvenirs, par la nécessité de se soumettre au mode d'enseignement suivi dans les écoles anglaises. «Je m'aperçus, dit le docteur Glennie, qu'il montra d'abord de l'ardeur et obtint des succès: il était gai, toujours de bonne humeur et chéri de ses camarades; il connaissait nos poètes et nos historiens bien mieux que les enfans de son âge, et dans mon cabinet il trouvait à sa disposition une foule de livres capables de flatter son goût et de satisfaire sa curiosité, entre autres une collection de poètes, depuis Chaucer jusqu'à Churchill, que je serais tenté de croire qu'il parcourut depuis le commencement jusqu'à la fin. Il avait encore à cet âge une connaissance étendue de la partie historique des saintes écritures; il aimait à m'en entretenir, surtout après nos exercices pieux du dimanche soir, et quand il lui arrivait de raisonner sur les faits racontés dans nos livres sacrés, il le faisait avec l'air d'être persuadé des vérités divines qu'ils renferment. Que les impressions de son enfance, dit encore la même personne, se soient conservées plus tard dans sa mémoire, malgré ses habitudes d'une vie irrégulière, c'est ce qu'on ne peut guère révoquer en doute après avoir lu ses ouvrages sans prévention, et je n'ai jamais pu m'ôter de la tête que, dans les étranges désordres qui malheureusement marquèrent sa carrière, il n'ait dû souvent trouver bien difficile de violer les excellens principes qu'il avait d'abord adoptés.»

J'aurais dû mentionner, parmi les traits caractéristiques de sa jeunesse, et d'après le récit du mari de sa première gouvernante, qu'il montrait dès-lors, et dans toutes les occasions, un esprit investigateur en matières religieuses.

Le docteur Glennie ne fut pas long-tems sans s'apercevoir que la mère était beaucoup plus difficile à conduire que l'enfant. Tout en professant la plus entière déférence pour les représentations de l'habile instituteur, quant à la nécessité de ne pas interrompre les études de son fils, Mrs. Byron n'avait ni assez de raison, ni assez d'empire sur elle-même, pour confirmer ses paroles par ses actions; en dépit des remontrances du docteur et des injonctions de Lord Carlisle, elle ne laissa pas d'intervenir dans les détails de l'instruction de son fils, et comme on pouvait l'attendre d'une mère tendre, impérieuse et passionnée. En vain lui représentait-on que dans toutes les connaissances élémentaires exigées d'un jeune homme que l'on destinait à l'une des grandes écoles publiques, Lord Byron était fort en arrière, et que pour suppléer à ce défaut il n'avait pas trop de tous ses instans; Mrs. Byron paraissait bien comprendre la justice de ces observations, mais elle s'embarrassait peu d'en profiter, et n'en continuait pas moins à déranger sans cesse le professeur et l'enfant. Peu satisfaite d'emmener son fils du samedi au lundi à Sloane-terrace, contre la volonté du docteur Glennie, elle le retenait fréquemment chez elle une semaine de plus; et pour ajouter encore à la distraction née de ces interruptions, elle réunissait autour de lui un cercle nombreux de jeunes amis, sans mettre dans ses choix beaucoup de sagacité. En pouvait-il être autrement? se demande le docteur Glennie. «Mrs. Byron était totalement étrangère à la société et aux manières anglaises; avec un extérieur peu prévenant, une intelligence assez bornée et un esprit singulièrement peu cultivé, elle avait conservé tous les préjugés nés des opinions et des habitudes du nord. Je ne pense donc pas faire la moindre injure à sa mémoire en déclarant que Mrs. Byron n'était pas précisément une Mrs. Lambert, ornée des facultés capables de redresser les torts de la fortune, et de former l'esprit et le caractère d'un jeune homme de bonne famille.»

Plus d'une fois l'intervention de Lord Carlisle, dont il fallut alors invoquer l'autorité, avait mis quelque obstacle à cette indulgence inopportune. Grâce à un tel soutien, le docteur Glennie osa bien s'opposer à la sortie du samedi, dont on avait tant abusé; mais les scènes violentes auxquelles il était en butte à chaque nouveau refus auraient pu lasser la patience de tout autre professeur moins consciencieux et moins zélé. Mrs. Byron, dont les accès d'emportement n'étaient pas comme ceux de son fils, des silencieuses rages, se laissait souvent entraîner à des cris dont les écoliers et les valets recevaient la confidence. C'est au point que le docteur Glennie eut un jour le chagrin d'entendre un camarade de son noble élève lui dire: «Byron, ta mère est une sotte;» à quoi l'autre répondit gravement: «Je le sais bien.» Par suite de toutes ces violences et de ces incompatibilités de mœurs, Lord Carlisle finit par ne plus se mêler de son pupille, et l'instituteur ayant sollicité une autre fois le bénéfice de son intervention, il répondit: «Je ne veux plus rien avoir à démêler avec Mrs. Byron, tirez-vous-en comme vous pourrez avec elle.»

Parmi les livres que l'enfant pouvait consulter dans le cabinet du docteur Glennie, était une brochure écrite par le frère d'un de ses meilleurs amis, et intitulée: Relation du naufrage de la Junon sur la côte d'Arracan, en l'année 1795; l'auteur avait été officier en second du vaisseau, et le récit qu'il avait envoyé à ses amis des souffrances de leur équipage leur avait paru assez touchant et assez extraordinaire pour être publié. La brochure ne flatta que faiblement, à ce qu'il paraît, l'opinion publique; mais elle était à Dulwich la lecture favorite des jeunes élèves, et l'impression qu'elle laissa sur l'esprit observateur de Byron contribua peut-être à lui suggérer le désir d'étudier toutes les relations de naufrages, afin de mieux retracer la grande et magnifique scène du même genre que l'on trouve dans Don Juan. Les passages suivans de la brochure ont été adoptés, comme on va le voir, avec de faibles changemens, par notre poète, sauf quelques incidens:

«De ceux qui n'étaient pas immédiatement auprès de moi, je ne sais rien, si ce n'est par leurs cris. Quelques-uns résistaient long-tems et mouraient dans une agonie complète, mais ce n'était pas toujours ceux dont la faiblesse était plus sensible qui succombaient avec moins de peine, quoiqu'il en arrivât quelquefois ainsi. Je me rappelle particulièrement les exemples suivans: le valet de M. Wade, garçon fort et robuste, mourut instantanément et presque sans murmurer, tandis qu'un autre jeune homme du même âge, mais d'un extérieur moins robuste, résista beaucoup plus long-tems. La destinée de ces malheureux jeunes gens fut encore différente sous un autre rapport mémorable. Leurs pères à tous deux étaient dans les hunes à l'instant où leurs enfans commencèrent à être malades; le père du valet de M. Wade apprit avec indifférence l'état de son fils, il ne pouvait rien faire pour lui, il l'abandonnait à son sort. L'autre, quand il reçut la même nouvelle, descendit à la hâte, et, saisissant le moment favorable, se traîna le long du plat-bord jusqu'à son fils qui était dans les agrès de mizaine; cependant il ne restait plus que trois ou quatre planches du gaillard d'arrière, justement sur la galerie contiguë à l'autre; c'est là que le père infortuné transporta son fils et l'attacha à la rampe pour l'empêcher d'être emporté par les flots: quand le jeune homme était saisi d'un accès de vomissement, le père le soulevait et essuyait l'écume qui couvrait ses lèvres; s'il survenait une pluie d'orage, il lui ouvrait la bouche pour qu'il pût en recevoir les gouttes, ou bien les exprimait d'un linge où il les avait recueillies. C'est dans cette situation douloureuse qu'ils restèrent tous deux quatre ou cinq jours, après lesquels l'enfant expira. Le malheureux père, comme s'il n'eût pu croire à ce qu'il voyait, se mit à soulever le corps, à le regarder attentivement; et quand enfin il ne conserva plus aucun doute, il le regarda en silence jusqu'au moment où la mer l'emporta; alors, s'enveloppant dans une pièce de toile, il tomba à terre et ne se releva plus. Il doit cependant avoir vécu deux ou trois jours au-delà, comme nous le jugeâmes d'après les tremblemens convulsifs de ses jambes, quand une vague venait à le couvrir 23

Note 23: (retour) Le passage suivant est la traduction qu'a tentée Lord Byron de ce touchant récit, et tous les lecteurs jugeront que c'est un des exemples dans lesquels la poésie est forcée de céder la palme à la prose. Il y a dans la dernière phrase de la relation originale un sublime que les artifices de la mesure et de la rime affaiblissent nécessairement, et que nuls vers, quelles que soient leurs beautés, ne sauraient exprimer avec moitié autant de force et de naturel.

87. Dans cette déplorable troupe, il y avait deux pères et avec eux les deux fils. L'un de ceux-ci paraissait le plus robuste et le mieux portant; il mourut des premiers. À l'instant de sa mort, son plus proche voisin en avertit le père, qui dit, en jetant les yeux sur lui: «Je n'y puis rien, la volonté de Dieu soit faite!» Et sans une larme ou soupir, il vit jeter son corps à la mer.

88. Le second père avait un fils plus faible, aux joues décolorées, au maintien délicat. Ce jeune homme résista long-tems, et se roidit contre sa destinée avec une patiente tranquillité d'esprit. Il parlait peu, et de tems en tems il souriait pour alléger le poids des mortelles pensées qui oppressaient d'autant plus le cœur de son père, qu'il voyait son fils les supporter comme lui.

89. Penché sur son corps, le père ne levait pas les yeux de dessus son visage; il essuyait l'écume qui couvrait ses lèvres, et n'avait d'attention que pour lui. Quand la pluie tant désirée vint enfin à tomber, et que les yeux de l'enfant, déjà demi-voilés d'une membrane épaisse, vinrent à briller et à remuer pour un instant, il exprima quelques gouttes de pluie dans sa bouche expirante:--ce fut en vain.

90. L'enfant mourut.--Le père demeura long-tems attaché sur son corps; mais enfin, quand la mort se montra à découvert, et que le poids insensible pressé contre son cœur ne lui donna plus de mouvement ni d'espérance, il ne le perdit pas des yeux, jusqu'au moment où une vague impitoyable éloigna le corps du lieu d'où il avait été jeté. Alors il tomba lui-même roide et glacé, ne donnant d'autre signe de vie que l'agitation convulsive de ses jambes.

Le lecteur trouvera le récit de la perte de la Junon dans la Collection des naufrages et désastres maritimes, à laquelle Lord Byron eut habilement recours, pour y puiser les connaissances techniques et les circonstances de sa belle description.

Ce fut sans doute pendant les vacances de cette année que sa jeune cousine, miss Parker, en faisant naître en lui une passion enfantine, eut la gloire de lui inspirer ses premiers essais poétiques; c'est à elle du moins qu'il attribué cet heureux effet. «Mes premiers essais poétiques, dit-il, remontent à 1800, c'était l'ébullition d'une belle passion pour ma cousine germaine, Marguerite Parker, fille et petite-fille des deux amiraux Parker, l'une des plus belles de ces jeunes filles qui, comme des fleurs, périssent dans leur printems. J'ai oublié depuis long-tems les vers; mais elle, il me serait difficile de l'oublier; ses yeux noirs, ses longs cils, son profil d'un style tout-à-fait grec! J'avais alors douze ans, elle était un peu plus âgée, peut-être d'un an. Elle mourut, un ou deux ans après, des suites d'une chute; elle s'était brisé l'épine du dos, et cet accident amena la consomption. Sa soeur Augusta, que quelques-uns regardaient comme plus belle encore, périt de la même maladie, et c'est même en lui prodiguant ses soins que Marguerite éprouva l'accident qui occasionna sa propre mort. Ma sœur m'a dit que quand elle alla la voir peu de tems avant sa fin, mon nom ayant été cité par hasard, le rouge monta à la figure de Marguerite, quoique la mort fut déjà dans ses yeux, au grand étonnement de ma sœur, qui, vivant avec sa grand'mère lady Holderness, et ne me voyant que rarement, pour raisons de famille, ne savait rien de notre attachement, et ne pouvait concevoir comment mon nom faisait un tel effet sur elle dans un tel moment. Je ne sus rien de sa maladie qu'après sa mort; j'étais à cette époque à Harrow ou dans la campagne. Quelques années après, j'essayai une élégie; elle était bien plate 24.

Note 24: (retour) Cette élégie est la première de son volume non publié.

«Je ne me rappelle rien d'égal à la beauté transparente de ma cousine, ou à la douceur de son caractère, pendant la courte période de notre intimité. On l'eût dite faite d'un arc-en-ciel: tout en elle était paix et beauté.

«Ma passion eut sur moi ses effets habituels: je ne pouvais ni dormir, ni manger, ni reposer, bien que j'eusse toutes les raisons de croire qu'elle m'aimât. Mon tourment de chaque jour était de penser au tems qui devait s'écouler avant que je la revisse: c'était ordinairement douze heures. J'étais alors bien fou, et maintenant je ne suis guère plus sage.»

Il y avait deux ans qu'il était sous la garde du docteur Glennie, quand sa mère, mécontente de la lenteur de ses progrès, lenteur dont elle pouvait, comme nous l'avons vu, s'accuser avant tous les autres, pressa tellement lord Carlisle de le faire passer dans une école publique, que celui-ci finit par accéder à ses vœux. «En conséquence, dit le docteur Glennie, il entra à Harrow aussi mal préparé qu'il est naturel de le supposer, après deux années d'instruction élémentaire, et continuellement dérangé par tout ce qui pouvait distraire son jeune esprit de l'école et de toute étude sérieuse.»

Ce sage instituteur ne vit plus que rarement Lord Byron à compter de ce moment; mais à en juger par ce qu'en disent Mrs. Glennie et lui, il est clair qu'ils le suivirent toujours avec intérêt dans le reste de sa carrière; ils virent ses déviations, mais à travers le prisme flatteur d'une affection réelle; et dans ses aberrations les plus étranges, ils conservèrent la trace des belles qualités qu'ils avaient chéries et admirées dans son enfance. Au reste les affectueux sentimens du docteur Glennie furent mis à une rude épreuve, quand en 1817 il visita Genève, peu de tems après le départ de Lord Byron de cette ville, et au moment où sa réputation personnelle était frappée de la plus grande impopularité; ceux qui voyaient dans le docteur Glennie son ancien maître, ne manquaient pas d'accuser ce dernier de l'avoir mal élevé, ou, pour employer leurs propres expressions, de n'en avoir pas fait un meilleur sujet.

Tandis que Lord Byron venait continuer à Londres son éducation, sa gouvernante May Gray quittait le service de sa mère et retournait dans son pays natal, où elle mourut il y a trois ans environ. Elle s'était mariée convenablement; et dans l'une de ses dernières maladies elle recevait les soins du docteur Ewing d'Aberdeen, qui, ayant toujours été admirateur enthousiaste de Lord Byron, éprouva autant de joie que de surprise de trouver une ancienne servante de son poète favori, dans une femme qu'il avait soignée plusieurs années. Comme on peut le supposer, il recueillait avec avidité de la bouche de sa malade toutes les particularités qu'elle pouvait se rappeler des premiers jours de sa seigneurie. Toutes ces communications, M. Ewing nous en a fait la confidence; c'est à lui que nous devons une partie des anecdotes que nous avons citées.

Byron, au départ de May Gray, voulut lui donner un témoignage de sa reconnaissance pour les soins qu'elle avait eus de lui; il lui donna sa montre, la première qu'il eût eue en sa possession. La fidèle gouvernante conserva ce précieux souvenir jusqu'à sa mort, comme une sorte de trésor; et aussitôt après, son mari la donna au docteur Ewing, qui l'apprécia également comme une relique du génie. L'affectueux enfant lui avait aussi donné son portrait, grande miniature en pied peinte par Kay d'Édimbourg, en 1795. Il s'y trouve représenté tenant à la main un arc et des flèches, avec les plus beaux cheveux du monde tombant sur ses épaules. Ce morceau curieux est également passé dans la possession du docteur Ewing.

Byron étendit les effets de sa reconnaissance à la sœur de cette femme, qui avait été sa première gouvernante. Il lui écrivit quelques années après son départ d'Écosse, et dans les termes les plus aimables; il s'informait de sa santé, et lui apprenait avec joie que son pied s'était assez bien redressé pour lui permettre de se servir de bottes ordinaires; «événement qu'il avait si long-tems désiré, et qui lui ferait sans doute à elle-même le plus vif plaisir.» Il accompagna sa mère à Cheltenham durant l'été de 1801, et le récit qu'il fait de ses propres sensations à cette époque nous montre à quel âge prématuré il était familier avec les impressions poétiques. Un enfant qui contemple avec émotion le soleil couchant sur les hauteurs, parce qu'il lui rappelle les montagnes où il a passé sa jeunesse, a déjà sans doute le cœur et l'imagination d'un poète. Ce fut pendant ce voyage à Cheltenham qu'une diseuse de bonne aventure, consultée par sa mère, fit sur lui une prédiction à laquelle il pensa quelque tems avec inquiétude. Mrs. Byron, dans sa première visite à cette femme (c'était, si je ne me trompe, la fameuse Mrs. Williams), s'était donnée pour une demoiselle; la sibylle toutefois ne s'y trompa point: elle déclara que celle qui la consultait était non-seulement mariée, mais la mère d'un fils boiteux; que ce fils était prédestiné, entre autres événemens qu'elle lisait dans les astres, à courir les dangers d'un empoisonnement avant sa majorité; qu'il serait deux fois marié, et la seconde fois à une étrangère.

Après deux ans, le jeune Byron raconta ces particularités à la personne dont je tiens cette histoire, et il disait que l'idée de la première partie de la prédiction s'était souvent présentée à lui. Cependant la dernière partie semble avoir été plus près de se réaliser.

Si on fait attention au caractère réservé de Byron dans sa jeunesse, et même jusqu'à un certain point dans toute sa vie, la transition d'un établissement paisible comme celui de Dulwich au fracas d'une grande école publique était assez difficile. Aussi trouvons-nous, d'après son propre témoignage, que, pendant les premiers dix-huit mois, il haïssait Harrow. Cependant son esprit actif et social finit par vaincre sa répugnance, et après avoir été, comme il le dit lui-même, enfant fort impopulaire, il parvint à se montrer le boute-en-train de tous les plaisirs et de toutes les espiégleries de l'école. Pour bien connaître ses dispositions et ses habitudes de ce tems-là, nous ne pouvons mieux faire que de nous en rapporter à la digne et respectable autorité du docteur Drury, qui était alors à la tête de l'école, et auquel Lord Byron a payé un tribut d'affection qui, semblable aux respectueux sentimens de Dryden pour le docteur Belly, uniront à jamais les deux noms du poète et de l'instituteur. Ce savant vénérable m'a fait passer le morceau suivant qui, malgré sa brièveté, présente d'importans détails sur l'impression que le jeune Lord fit alors sur lui.

«Lord Byron avait treize ans et demi quand M. Hanson, son guide, vint le confier à mes soins. Il me fit remarquer que son éducation avait été négligée, et ajouta qu'il était mal préparé pour les études d'une école publique; mais qu'après tout il croyait à l'enfant de véritables dispositions. Aussitôt son départ, je pris dans mon cabinet le nouvel élève, et j'essayai de le faire parler, en m'informant de ses plaisirs, de ses habitudes, de ses amis dans son autre pension; mais je perdis presque entièrement mon tems, et je compris bientôt qu'on m'avait confié un jeune faon sauvage. Cependant il y avait de l'esprit dans ses yeux, et il fallait d'abord le lier d'amitié avec un enfant plus âgé, qui pût le familiariser avec les nouveaux objets qui l'entouraient et avec le système de la maison dont il allait faire partie. Mais ce qu'il apprit dans la conversation de son conducteur lui causa de la peine quand il sut que des élèves beaucoup plus jeunes que lui étaient bien plus avancés, et il se crut humilié de ne pouvoir rivaliser avec eux. Je m'en aperçus et m'empressai de le confier aux soins spéciaux de l'un des maîtres, comme répétiteur, en assurant l'enfant qu'il ne prendrait rang dans la classe qu'au moment où son travail lui permettrait de marcher avec ceux de son âge. Cette promesse lui plut, et dès-lors il fut plus à son aise avec ses camarades, car pendant un certain tems il gardait une sorte de timidité. Ses manières et son caractère me firent bientôt juger qu'il était plus facile de le conduire avec un fil de soie qu'avec un câble; et je me réglai sur ce principe. Après quelque séjour à Harrow, et comme son esprit commençait à se développer, lord Carlisle, son parent, exprima le désir de me voir; j'allai trouver sa seigneurie. Son but était de m'apprendre quels étaient les biens à venir de Byron; il me représenta ses espérances de fortune comme bornées, et voulut savoir quelle était sa capacité. Je ne fis pas d'observation sur ses premières confidences, et je répondis à sa question: Il a des talens, milord, qui ajouteront de l'éclat à son rang. En vérité!!! répondit sa seigneurie, avec un air de surprise qui n'indiquait pas, à mon avis, toute la satisfaction que j'en attendais. Quant à son talent pour l'art oratoire, voici la circonstance à laquelle vous faisiez allusion. Les hautes classes de l'école avaient composé de ces sortes de déclamations qui, après avoir été corrigées par les répétiteurs, étaient portées au professeur; alors ceux qui les avaient faites les répétaient, afin qu'on pût réformer leurs gestes et leur accent, avant qu'ils les prononçassent en public. Je fus, en cette occasion, enchanté de l'attitude, de la prononciation et des gestes de Lord Byron, non moins que de son travail en lui-même. Tous les jeunes orateurs ne manquaient pas de suivre à la lettre leur composition écrite: Lord Byron fit de même dans la première partie de son travail; mais à ma surprise, il s'écarta tout d'un coup de son manuscrit, et avec assez de hardiesse et de rapidité pour me faire craindre de le voir manquer de mémoire pour la conclusion. Mes alarmes n'étaient pas fondées, il fournit sa carrière sans hésitation et sans le moindre embarras. Je lui demandai, pourquoi il avait ainsi altéré sa composition; il me répondit qu'il n'y avait rien changé, et qu'il ne s'était pas aperçu qu'il s'en fût écarté le moins du monde. Je le crus, et d'après l'expérience que j'avais de sa manière d'être, je compris qu'étant plein de son sujet, il avait involontairement substitué des expressions et des couleurs plus vives à celles que sa plume avait tracées.»

Le docteur Drury, en me communiquant ces détails, ajoute un fait qui atteste tout le cas que Lord Byron fit toujours des opinions de son vieux maître, même quand il fut au faîte de sa gloire.

«Après ma retraite d'Harrow, je reçus de lui deux lettres pleines d'affection, et dans mes visites à Londres, à l'époque où ses ouvrages fascinaient les yeux du public, je lui demandai pourquoi il n'avait pas pensé à m'en faire tenir un seul, comme c'était son devoir. C'est, me dit-il, parce que vous êtes le seul homme auquel je crains de les voir lire. Puis, après un court intervalle, il ajouta: Que pensez-vous du Corsaire

Maintenant je vais mettre sous les yeux du lecteur les diverses notes sur sa vie au collége, qu'il a consignées lui-même dans plusieurs livres de souvenirs. Il n'est pas besoin de dire qu'étant son ouvrage, elles présenteront sur ce tems les particularités les plus fidèles et les plus curieuses.

«J'avais dix-huit ans, tout singulier que cela puisse paraître, avant d'avoir jamais lu une revue; mais étant à Harrow, mes connaissances, sur toute sorte de sujets nouveaux, étaient assez grandes pour faire supposer que je devais aux revues toute ma science, attendu qu'on ne me voyait jamais lisant, mais toujours badinant, jouant, ou occupé à quelque méchanceté. La vérité est que je lisais en mangeant, au lit et partout où nul ne lisait; et avant d'avoir cinq ans j'avais lu toutes sortes de livres, à l'exception d'une revue: cette exception est ce qui me l'a fait remarquer. Je me souviens qu'en 1804, Hunter et Curzon m'ayant confié l'idée qu'on avait de moi au collége à ce sujet, je les fis bien rire en leur demandant d'un air surpris: et qu'est-ce donc qu'une revue? Au reste, elles étaient alors moins répandues. Trois années plus tard je les connus beaucoup mieux: mais enfin j'en lus une pour la première fois en 1806.

«J'ai déjà dit qu'on remarquait à l'école l'étendue et la variété de mes connaissances générales; mais n'ayant aucune activité sous les autres rapports, je pouvais bien faire d'une haleine trente ou quarante hexamètres grecs fidèles à la prosodie, Dieu sait comme! mais d'un travail soutenu j'en étais incapable. Mes dispositions étaient plutôt celles de l'orateur ou du guerrier que celles du poète; et c'était l'opinion du docteur Drury, mon grand patron et le principal du collége, d'après ma faconde, ma turbulence, mon organe, mon talent de gestes et de déclamation, que je deviendrais un jour grand orateur 25. Je me souviens que ma première déclamation le surprit, et qu'il m'en fit devant mes rivaux les plus vifs complimens à la première répétition, ce qui était étonnant, car il en était fort économe. Mes premiers vers de Harrow (j'entends vers anglais) furent la traduction d'un chœur du Prométhée d'Eschyles. M. Drury les reçut froidement; et personne ne prévoyait en moi, d'après eux, la moindre disposition poétique.

Note 25: (retour) Pour mieux développer son talent dans ce genre, Byron ne manquait pas de choisir pour les jours de discours les passages les plus véhémens, comme le discours de Zanga sur le corps d'Alonzo et le monologue de Léar. Dans l'une de ces occasions publiques, il était convenu qu'il prendrait le rôle de Drancès, et le jeune Peel celui de Turnus; mais Lord Byron changea tout d'un coup d'idée et préféra le rôle de Latinus, craignant, comme on le supposa, d'inspirer quelque allusion ridicule avec cette raillerie de Turnus: Ventosa in lingua, pedibusque fugacibus istis.

«Peel, cet orateur et cet homme d'état (car il l'était, l'est et le sera), était de la même forme que moi; nous en tenions la tête tous deux, suivant l'expression reçue. Nous étions bien ensemble; mais son frère était mon ami intime. Maîtres et écoliers nous avions conçu de Peel les plus grandes espérances, et il ne les trompa pas.

«Pour les connaissances classiques, il était de beaucoup au-dessus de moi; comme orateur et acteur; on m'estimait au moins son égal. Hors de l'école j'étais toujours en partie et lui jamais, tandis qu'en classe il savait toujours ses leçons et moi rarement; mais quand une fois je les savais, je les savais presque aussi bien. Du reste, en instruction générale, en histoire, etc., etc., je pense que je lui étais supérieur, aussi bien qu'à la plupart des enfans de mon âge.

«La merveille du collége, de notre tems, était George Sinclair, fils de sir John; il faisait, à la lettre, les exercices de la moitié des écoliers, des vers à volonté et des amplifications presque malgré lui..... Il était de mes amis; comme nous nous trouvions dans la même division, il me demandait souvent de le laisser faire mes devoirs, faveur que je lui accordais toujours avec empressement quand ils étaient difficiles, ou quand j'avais à faire quelqu'autre chose, ce qui m'arrivait au moins une fois par heure. Du reste, son humeur était douce et la mienne querelleuse. Il m'arrivait souvent de me battre pour lui, ou de battre les autres à son intention, ou bien encore de le battre lui-même pour le forcer à battre les autres quand je jugeais qu'il le devait pour l'honneur de sa taille. D'autres fois nous parlions politique, sujet sur lequel il était très-fort. Nous nous aimions beaucoup, et je conserve encore des lettres qu'il m'a écrites de l'école 26.

Note 26: (retour) Malheureusement ses réponses à M. Sinclair sont perdues. Je tiens de ce dernier qu'il y en avait une, entre autres, où Lord Byron développait toute l'ombrageuse sensibilité de son caractère. Elle exprimait le ressentiment d'une insulte imaginaire, et commençait par l'apostrophe boudeuse de monsieur!

«Un autre prodige effrayant de savoir, de talent et d'espérance était Clayton; j'ignore ce qu'il est devenu, mais c'était réellement un génie. Les amitiés de collége, étaient pour moi de véritables passions 27 (car je n'ai jamais senti à demi), et je ne pense pas que j'en aie conservé une seule; mais il faut dire que plusieurs de ceux qui me les inspirèrent n'existent plus. Ma liaison avec lord Clare fut l'une des premières et des plus durables dont je me souvienne, l'éloignement ayant pu seul la refroidir. Jamais je n'entendis prononcer le nom de Clare sans un vif battement de cœur, et remarquez-le, j'écris encore aujourd'hui sous le charme de mes impressions de 1803, 1804 et 1805, etc., etc.»

Note 27: (retour) Dans l'un de ses journaux, et sous la date de 1808, je trouve le passage suivant de Marmontel, qui sans doute l'avait frappé comme s'appliquant à l'enthousiasme de ses premières liaisons. «L'amitié, qui dans le monde est à peine un sentiment, est une passion dans les cloîtres.» (Contes moraux.)

J'emprunte l'extrait suivant à un autre de ses Souvenirs.

«À Harrow, je tenais bien ma place au coup de poing 28. Je crois me rappeler que je ne fus battu qu'une fois sur sept, et c'était avec H..... encore le drôle ne me battit que par l'intervention déloyale des gens de la maison où il mangeait, et où la scène se passait; je n'avais pas même de second. Je ne lui pardonnerai jamais, et je serais fâché de le rencontrer aujourd'hui, car certainement nous nous querellerions. Mes combats les plus mémorables furent avec Morgan, Rice, Raiesford et lord Jocelyn, mais nous restâmes toujours bons amis par la suite. J'étais un des enfans les moins aimés, cependant je finis par me faire respecter. J'ai gardé toutes mes amitiés de collége et toutes mes haines, si ce n'est relativement au docteur Butler, contre lequel je me révoltais, ce dont plus tard j'ai été fâché. Le docteur Drury, que je tourmentais aussi passablement, fut de tous mes amis le meilleur, le plus tendre, et j'ajouterai le plus sévère; je le regarde encore aujourd'hui comme un père.

Note 28: (retour) M. d'Israeli, dans son livre ingénieux sur le caractère des gens de lettres, a émis l'opinion que l'un des indices du génie dans les jeunes gens est le dégoût des jeux et des exercices du corps. Il cite en preuve Beattie, qui peint ainsi son ménestrel idéal:

«Il avait toujours fui le bruit, les réunions, les fatigues, et ne se souciait pas de paraître dans la tumultueuse mêlée des écoliers; mais les forêts avaient pour lui le plus grand charme.»

Son autorité la plus imposante est Milton, qui dit aussi de lui-même:

«Étant enfant, nul jeu d'enfant ne m'était agréable.»

On ne peut appliquer ces règles générales, ni aux dispositions ni au mérite des hommes de génie, si dans les personnages cités par M. d'Israeli on reconnaît quelque infirmité corporelle, et si dans plusieurs autres on peut remarquer des goûts directement opposés. Une foule d'autres poètes, comme Eschyles, Dante, Camoëns, se sont distingués à la guerre, le plus turbulent des exercices; et si l'on est obligé d'avouer qu'Horace fut mauvais cavalier, et que Virgile ne savait pas jouer à la paume, on trouve d'un autre côté que Dante fut aussi habile à la chasse qu'à l'escrime, que Tasse sut également bien danser et manier le fleuret, qu'Alfieri était bon cavalier, Klopstock bon patineur, Cowper renommé dans sa jeunesse à la crosse et au ballon, et qu'enfin Lord Byron excellait dans tous les exercices du corps.

«P. Hunter, Curzon, Long et Tatersant furent les principaux objets de mon affection; je m'attachai encore à Clare, Dorset, C. Gordon, Debath, Claridge et J. Wingfield; ils étaient plus jeunes que moi, et je les gâtais par mon indulgence. Peut-être n'ai-je jamais aimé quelqu'un autant que le pauvre Wingfield, qui mourut à Coimbre en 1811, avant mon retour en Angleterre.»

Un des plus frappans résultats de l'éducation en Angleterre c'est qu'on ne retrouve dans aucun pays autant d'exemples d'amitié vigoureuse formée dès l'enfance et conservée dans l'âge mûr, et que dans nulle autre contrée peut-être les sentimens d'affection pour la maison paternelle ne sont aussi rares ou du moins aussi faibles. Éloignés, comme ils le sont, des cercles de famille, dans un tems où leur cœur est le plus accessible aux sentimens affectueux, les enfans substituent naturellement aux liens de parenté ces amitiés de collége, qui, s'unissant ensuite aux scènes et aux événemens qui charmèrent leur jeunesse, conservent toujours sur eux la plus grande force. On peut observer des résultats tout-à-fait différens en Irlande, et je crois aussi en France, où le système d'éducation se lie mieux aux souvenirs domestiques. Là, la maison paternelle obtient une sorte de partage naturel et légitime dans le cœur des enfans; mais aussi les amitiés hors de ce cercle domestique sont en proportion moins vives et moins durables 29.

Note 29: (retour) À huit ou neuf ans, on met l'enfant à l'école, et dès-lors il dévient étranger dans la maison où il est né; l'affection de son père est interrompue pour lui, et les sourires de sa mère, ses tendres avis, la sollicitude de ses parens, ne sont plus devant ses yeux. D'année en année, il se sent vers eux moins d'entraînement, et il finit par perdre ses premiers sentimens au point de se trouver plus heureux partout ailleurs que dans sa famille. (Lettres de Cowper.)

Pour un jeune homme comme Byron, rempli des sentimens les plus passionnés, et ne trouvant dans la maison maternelle de sympathie qu'avec la portion la moins noble de sa nature, le petit univers de l'école devait nécessairement mettre en jeu ses affections, et leur donner une extension extrême. Voilà pourquoi les amitiés qu'il contracta au collége se ressentirent beaucoup de ce qu'il désigne lui-même comme des passions. C'est le vide de pareilles affections dans ses foyers, et leur vivacité parmi la sociale réunion d'Ida, qu'il décrit ainsi dans l'un de ses premiers poèmes 30.

Note 30: (retour) Même avant ses liaisons de collége, il avait montré la même sorte d'attachement romanesque pour un enfant de son âge, fils d'un de ses fermiers de Newsteadt. Dans deux ou trois de ses premiers poèmes il ne s'arrête pas moins sur l'inégalité que sur la chaleur de cette amitié.

«Que la folie sourie, en voyant ton nom et le mien unis par l'amitié; la vertu roturière a plus de droit à ce sentiment que le vice anobli.

«Bien que ton sort ne soit pas égal au mien, puisque ma naissance m'appelle aux honneurs de la pairie, ne m'envie pas cet éclat pompeux, un mérite modeste fait ton orgueil.

«Nos ames du moins se rencontrent égales, ton humble condition n'est point une disgrâce pour ma position élevée; notre commerce n'en sera pas moins doux, puisque le mérite remplace en toi la naissance.»

N'y a-t-il point quelqu'autre cause qui rende ce mot d'enfance si cher à tout le monde? Ah! sûrement il y a une voix secrète qui nous dit tout bas que l'amitié sera doublement douce à celui qui est obligé de chercher des cœurs aimans, de les chercher hors du sein de sa famille, quand il ne peut les y trouver. Ces cœurs, chère Ida 31, je les ai trouvés dans ton sein, tu as été pour moi une famille, un monde, un paradis.

Note 31: (retour) Ida, nom poétique de l'école d'Harrow. (N. du Tr.)

Cette première publication est remplie des témoignages les plus touchans de ses amitiés de collége; il n'est pas jusqu'aux reproches qu'il adresse à l'un d'eux, à propos de quelques griefs, qui ne portent un caractère de tendresse.

Vous saviez que mon ame, que mon cœur, que ma vie étaient à vous en cas de danger; vous saviez que les années et la distance ne m'avaient pas changé, que je n'existais que pour l'amour et l'amitié.

Vous saviez... mais pourquoi revenir en vain sur le passé? les liens qui nous unissaient sont rompus. Peut-être ce souvenir vous arrachera-t-il un jour des larmes tardives; vous soupirerez alors en songeant à celui qui fut votre ami!

La description suivante de ce qu'il éprouvait après avoir quitté Harrow, quand il retrouvait dans le monde quelqu'un de ses anciens camarades, se rapproche beaucoup de la scène qui eut lieu en Italie, quelques années seulement avant sa mort, quand à la vue de son cher lord Clare, après une longue séparation, il se sentit touché jusqu'aux larmes par les souvenirs qu'il réveillait en lui.

..... Si par hasard quelque figure que je me rappelle bien, quelque ancien camarade de mon enfance vient, une honnête joie peinte sur la figure, réclamer en moi son ami; mes yeux, mon cœur, tout montre que je suis encore un enfant: la scène éblouissante, les groupes bruyans qui m'entourent disparaissent devant l'ami que je viens de retrouver.

On a vu par les extraits de son journal que M. Peel était l'un de ses condisciples d'Harrow. La curieuse anecdote suivante, qui les concerne tous deux, m'a été rapportée par un ami de ce dernier, et je tâcherai de me rapprocher autant que possible des propres expressions du narrateur.

Tandis que Lord Byron et M. Peel étaient à Harrow, un tyran 32, plus vieux de quelques années, réclama le droit de basculer le petit Peel, droit que Peel, à tort ou à raison, ne voulut pas reconnaître. Mais sa résistance fut vaine: le tyran non-seulement le fit fléchir, mais il résolut d'infliger une punition à l'esclave réfractaire. Il se mit donc en devoir de lui administrer une espèce de bastonnade sur la partie interne du bras, que durant l'opération il avait comprimé de deux cordes, avec un talent cruel, pour rendre la douleur plus vive. Tandis que les coups se succédaient rapidement et que le pauvre Peel n'en pouvait déjà plus, Byron aperçut et comprit de suite les tourmens de son ami; il savait bien qu'il n'était pas assez fort pour chercher querelle au tyran et que d'ailleurs il était dangereux de l'approcher; toutefois il s'avance vers la scène de l'action, et le visage rouge de colère, les yeux pleins de larmes et une voix que l'indignation et la terreur rendaient incertaine, il lui demanda humblement qu'il voulût bien lui dire combien de coups il entendait infliger. «Et que t'importe? petit drôle! répondit l'exécuteur.--C'est que si vous y consentiez, repartit Byron, en présentant son bras, j'en prendrais la moitié.» Il y a dans ce petit trait un mélange de simplicité et de grandeur vraiment héroïque; nous pouvons sourire à notre aise des amitiés d'enfance, mais il est rare que celles de l'âge mûr soient capables d'une générosité comparable à celle-ci.

Note 32: (retour) On appelle ainsi, dans les grands colléges d'Angleterre, les élèves les plus anciens; ceux des dernières classes sont désignés sous le nom d'esclaves. Il en était de même à l'école polytechnique, il y a quelques années, et la bascule était également une servitude qu'imposaient les élèves de deuxième année à ceux de la première. (N. du Tr.)

Parmi ses favoris d'école, on peut remarquer qu'un grand nombre étaient nobles, ou de familles nobles, tels que les lords Clare et Delaware, le duc de Dorset, et le jeune Wingfield. Une circonstance peut laisser croire que leur rang avait eu quelque part dans les motifs qui attirèrent Byron vers eux: un jour, celui de ses condisciples qui me raconta le fait, avait, en sa qualité de moniteur, mis lord Delaware sur sa liste de punition; Byron s'en étant aperçu, s'approcha de lui, en disant: «Wildman, je vois que vous avez mis Delaware sur votre liste; ne le faites pas frapper, je vous prie.--Pourquoi donc?--Je ne sais pas, mais enfin c'est mon collègue à la pairie.» Il est inutile d'ajouter que son intervention en pareil cas n'était rien moins qu'heureuse; car l'un des rares bienfaits de l'éducation publique est de faire tomber en quelque sorte ces distinctions artificielles, et de placer les jeunes plébéiens dans une égalité parfaite avec les pairs, bien que ces derniers puissent avoir leur revanche dans le monde.

Il est vrai que, dans Lord Byron, le sentiment de sa supériorité nobiliaire était alors assez peu déguisé pour lui attirer fréquemment les moqueries de ses camarades; c'est, je crois, à Dulwich que son habitude de tirer orgueil de la prééminence qu'il trouvait dans un vieux baron anglais, sur tous les nouveaux pairs, lui fit donner le surnom de vieux baron anglais. Mais ce serait une erreur de croire que, soit à l'école, soit plus tard, il ait jamais été guidé par d'aristocratiques sympathies dans le choix de ses amis. Tout au contraire, suivant l'usage des hommes d'une extrême fierté, il préférait généralement pour ses intimes, ceux d'un rang inférieur au sien, et tels étaient presque tous ceux qu'il comptait à l'école parmi ses amis. D'un autre côté, ce qui le charmait le plus dans ses autres plus jeunes amis, c'était leur infériorité sous le rapport de l'âge et de la force. Elle lui permettait de se complaire encore dans son généreux orgueil, en prenant quand il le fallait, à leur égard, le rôle de protecteur.

William Harness, qui était entré à Harrow à dix ans, tandis que Byron en avait quatorze, fut l'un de ceux qu'il aima le plus, par ce dernier motif, bien qu'il ait oublié d'en parler. Le jeune Harness, encore boiteux des suites d'un accident d'enfance, et à peine remis d'une maladie grave, était peu capable de surmonter les difficultés d'une école publique; Byron le vit un jour maltraité par un enfant beaucoup plus âgé et plus fort; il se hâta de prendre sa défense. Le lendemain, le petit enfant demeurait seul à l'écart; Byron vint encore à lui, et lui dit: «Harness, si quelqu'un te bat, dis-le-moi, et, si je puis, je le rosserai.» Il tint sa parole, et, dès ce moment, le protecteur et le protégé devinrent, malgré leur différence d'âge, des amis inséparables. Cependant leur amitié subit un refroidissement auquel Lord Byron, dans une lettre écrite après six ans, fait allusion avec tant de sensibilité, de franchise et de délicatesse, que je ne puis m'empêcher d'anticiper la date, et d'en donner ici un extrait.

«Nous paraissons tous deux nous rappeler parfaitement, avec un mélange de plaisir et de regret, les jours que nous passions ensemble; et je vous jure bien sincèrement que je les compte au nombre des plus heureux de mes courts instans de bonheur. Maintenant je touche à ma majorité, c'est-à-dire que j'ai vingt ans et un mois; encore un an, et je parcourrai dans le monde ma carrière de folie. Alors j'avais quatorze ans: vous étiez presque le premier de mes amis d'Harrow, le premier certainement en estime, sinon en date; mais une assez longue absence d'Harrow, et de votre part de nouvelles liaisons, le contraste de votre conduite (décidément tout à votre avantage) et de ces habitudes turbulentes et querelleuses qui m'entraînèrent dans tous les genres de désordres, toutes ces circonstances se réunirent pour détruire une intimité que l'affection me pressait de continuer, et que la mémoire m'obligeait de regretter amèrement. Mais il n'est pas une particularité de cette époque, pas même une seule de nos conversations, qui ne reste encore aujourd'hui gravée dans mon esprit. Je n'en dirai pas davantage: cette assurance seule vous prouvera que si je n'y avais pas attaché de prix, je ne me souviendrais pas aussi bien de tout cela. Comme je me rappelle la lecture de vos premiers essais! Une autre circonstance que vous ignorez, c'est que les premiers vers que j'essayai de faire à Harrow vous étaient adressés, vous deviez les voir; mais Sinclair en avait gardé la copie quand nous allâmes en vacance, et à notre retour nous avions cessé d'être liés; ils furent détruits, et certes ce ne fut pas une grande perte. Par ce fait, vous pouvez juger de mes sentimens à un âge où l'on ne saurait être hypocrite.

«Je me suis arrêté plus que je ne pensais sur ce sujet, et je finirai par où j'aurais dû commencer. Nous étions autrefois amis, nous l'avons même toujours été, car notre séparation fut l'effet du hasard et non du refroidissement. J'ignore où notre destinée doit nous conduire l'un et l'autre; mais si l'occasion et quelque penchant vous décident à jeter une pensée sur un écervelé de mon espèce, vous me trouverez toujours sincère, et jamais assez aveugle sur mes défauts pour envelopper les autres dans leurs conséquences. Voulez-vous m'écrire quelquefois? Je ne dis pas souvent; mais enfin, si nous nous retrouvons, j'espère que nous serons l'un pour l'autre ce que nous devions être et ce que nous étions

Une autre preuve aussi forte de la vivacité de ses impressions de jeunesse, c'est, quand ses amis ont gardé un si petit nombre de ses anciennes lettres, le soin avec lequel il conserva toutes celles que lui adressèrent les principaux d'entr'eux, même les plus jeunes. Et si quelquefois ses correspondans oubliaient de dater leurs missives, sa fidèle mémoire, après plusieurs années d'intervalle, suppléait à leur oubli. Parmi ces souvenirs qu'il conservait si précieusement, il en est un qu'il serait injuste de ne pas citer, soit comme monument de l'énergie qui brillait au milieu de son langage enfantin, soit en mémoire des tendres et affectueux sentimens que leur lecture réveillait, comme on le verra plus tard, dans l'ame de Byron.

À LORD BYRON, etc., etc.
Harrow-la-Montagne, 28 juillet 1805.

«Puisque vous avez paru assez peu mon ami pour me dire des noms toutes les fois que vous me rencontriez ces jours derniers, je vous demande une explication, et je désire savoir si vous voulez que nous soyons aussi bons amis qu'auparavant. J'ai bien vu que ce mois-ci vous m'aviez absolument laissé là, sans doute pour vos nouvelles connaissances; mais il ne faut pas croire, parce que vous aurez dans la tête un caprice quelconque, que je reviendrai toujours à vous, comme certains autres le font, pour regagner votre amitié. Ne pensez pas que je sois votre ami par intérêt, et parce que vous êtes plus grand ou plus âgé que moi: non, cela n'est pas, et ne sera jamais. J'étais votre ami, et je ne le suis encore qu'à une condition: c'est qu'en me voyant vous ne me direz plus des noms. Vous avez bien vu, j'en suis sûr, que je n'aimais pas cela; pourquoi donc le faisiez-vous, si ce n'est parce que vous ne voulez plus être mon ami? et pourquoi le resterais-je, si vous me traitez mal? Je ne tiens à rien de pareil; vous pouvez bien laisser les autres m'attaquer, mais si vous vous moquez de moi, je serai bien plus malheureux.

«Je ne suis pas un hypocrite, Byron, et je ne le serai jamais assez pour rester votre ami quand vous me direz des noms. Personne ne dira, j'en suis sûr, que je me sois abaissé pour regagner une amitié dont vous ne voulez plus. Pourquoi le ferais-je? ne suis-je pas votre égal? Quel intérêt y aurais-je? Quand vous me retrouverez dans le monde (c'est-à-dire si vous le voulez), vous ne pourrez m'avancer ou me protéger, ni moi vous. Je vous engage donc et vous demande, si vous tenez à mon amitié (ce qui n'est pas, à en juger par votre conduite), à ne pas me donner les noms que vous faites, ni à vous moquer de moi. Jusqu'alors il me sera impossible de vous nommer mon ami. Je vous serai obligé de me répondre de suite.

«En attendant, je demeure votre...

»Je ne puis dire votre ami.»

Sur le dos de cette lettre était la note suivante, de la main de Byron:

«Cette lettre et une seconde furent écrites à Harrow par mon alors et toujours cher ami Lord de ***, quand nous étions camarades d'études. Il me les adressa à la suite de je ne sais plus quel malentendu, le seul qui s'éleva jamais entre nous; il fut d'ailleurs de courte durée, et je ne conserve cette lettre que pour la lui rappeler quand je le verrai, afin que nous puissions rire au souvenir de l'insignifiance de notre première et dernière querelle.»
BYRON.

On retrouve dans une lettre du même enfant, écrite deux années plus tard 33, ces passages remarquables:

«Votre dernière lettre m'a fait penser que vous étiez extrêmement piqué contre la plupart de vos amis, et même un peu contre moi, si je ne me trompe. Vous dites d'un côté: Il n'est presque pas douteux que peu d'années ou de mois nous rendront aussi indifférens l'un à l'autre, que si nous n'avions pas passé ensemble une partie de notre vie. En vérité, Byron, vous me faites injure, et je n'ai pas de doute, au moins je l'espère, que vous ne vous calomniiez vous-même.»

Note 33: (retour) D'autres lettres encore offrent de curieuses preuves de la sensibilité jalouse et passionnée de Byron. Dans l'une d'elles, par exemple, nous voyons qu'il s'était offensé que son jeune ami lui eût écrit mon cher Byron au lieu de mon très-cher; et dans une autre, qu'il avait eu de la jalousie de quelques expressions échappées à son ami, à l'occasion du départ de Lord John Russell pour l'Espagne. «Vous me dites, lui répond-on, que jamais vous ne me vîtes agité comme quand j'écrivis ma dernière lettre; pensez-vous que j'eusse tort? J'avais reçu une lettre de vous le samedi, où vous me disiez que vous quittiez l'Angleterre au mois de mars pour six ans; et le lundi John Russell partait pour l'Espagne. Mais pouvez-vous imaginer que je fusse plus triste au sujet de Lord Russell, qui s'en va pour quelques mois, et de qui j'aurai constamment des nouvelles, que relativement à vos six années de voyage au bout du monde, pendant lesquelles j'entendrai à peine parler de vous, et qui peut-être m'empêcheront de vous revoir jamais? J'éprouve une véritable peine de ce que vous me dites, que je dois vous excuser si vous êtes jaloux de me voir plus affecté du départ d'un ami qui était près de vous que de celui qui était éloigné. Il est impossible que vous ayez pu croire un moment que l'absence de John m'affectât plus que la vôtre. Je finis donc sur ce sujet.»

Malgré ces habitudes de jeux et de paresse qui semblaient l'indice d'une certaine absence d'idées et de réflexions, il y avait des momens où le jeune poète rentrait profondément en lui-même et se livrait à des méditations incompatibles avec l'enjouement et l'insouciance de son âge. On montre encore dans le cimetière d'Harrow une tombe élevée, d'où la vue plane sur Windsor; c'était l'endroit favori où l'on savait si bien qu'il aimait à s'arrêter, que les enfans l'appelaient la tombe de Byron 34, et c'est là, dit-on, qu'il demeurait des heures entières abîmé dans ses pensées, ruminant dans la solitude ses premières inspirations sublimes et passionnées, et parfois, peut-être, entrevoyant déjà cet avenir de gloire qui lui inspirait, à peine âgé de quinze ans, ces vers remarquables:

Mon nom seul sera mon épitaphe. S'il ne suffit pour honorer ma cendre, qu'aucune autre gloire ne me soit accordée en récompense. On ne doit voir que ce nom, ce nom seul sur mon tombeau; illustré par lui, ou comme lui à jamais oublié.

Note 34: (retour) C'est à cette tombe que se rapporte ce passage des souvenirs d'enfance, qui font partie de ses œuvres inédites:

«Souvent, quand, oppressé de tristes pressentimens, je m'asseyais incliné sur notre tombe favorite.»

Il passa quelque tems à Bath avec sa mère, pendant l'automne de 1802, et, quoique bien jeune, il prit assez de part aux plaisirs de ces lieux. Il parut dans un bal masqué, donné par lady Riddel, sous le costume d'un jeune Turc; modèle anticipé, quant à la beauté et au costume, de son jeune Sélim de la Fiancée d'Abydos. Au moment d'entrer dans la maison, quelqu'un de la foule essaya d'arracher le diamant qui attachait le croissant de son turban, mais l'un de ceux qui l'accompagnaient s'aperçut à tems de cette tentative de vol. La dame qui m'apprit cette anecdote, et qui voyait beaucoup alors Mrs. Byron, a bien voulu ajouter à son récit les remarqués suivantes: «J'ai vu beaucoup Lord Byron à Bath; sa mère m'a invité souvent à prendre le thé avec elle; il était toujours fort plaisant et original; quand la conversation tombait sur ses amis absens, il montrait un léger penchant à la satire, auquel plus tard il s'abandonna, comme chacun sait, avec une liberté entière.»

Nous touchons maintenant à un événement qui, d'après sa profonde conviction, exerça sur sa vie et son caractère une influence vive et durable.

Ce fut en 1803, que son cœur, déjà deux fois éprouvé, comme nous l'avons vu, par d'enfantines impressions d'amour, conçut un attachement qui, jeune comme il était encore, domina ses facultés au point de colorer d'une teinte particulière le reste de ses jours. Que les passions malheureuses soient en général les plus durables, c'est une triste vérité qui, pour être confirmée, n'avait pas besoin de ce nouvel exemple; mais peut-être faut-il attribuer à la même circonstance l'innocence parfaite de cet attachement pour miss Chaworth, qui le distingua, sans jamais l'effacer de son cœur, de tous ceux qui le suivirent. Comme c'est le seul sentiment du même genre dont les détails puissent être suivis sans dangers, ou dont les résultats, bien que douloureux, puissent être racontés, nous pensons qu'on s'y arrêtera avec plaisir.

Mrs. Byron, en partant de Bath, vint séjourner à Nottingham, Newsteadt étant en ce tems-là loué à lord Grey de Ruthen; et pendant les vacances de Harrow, son jeune fils vint l'y rejoindre. Tel était son attachement pour Newsteadt, que c'était même un plaisir pour lui d'être dans son voisinage; aussi, avant d'avoir fait la connaissance de lord Grey, il lui arrivait souvent de passer la nuit dans une petite maison contiguë à la grande porte et qu'on appelle encore à présent la hutte 35; mais bientôt des rapports d'amitié s'établirent entre son noble locataire et lui, et dès-lors il eut toujours à son service un appartement dans l'abbaye. Comme il avait, peu de tems auparavant, été présenté à Londres à la famille de miss Chaworth, qui, actuellement, résidait à Annesley, dans le voisinage immédiat de Newsteadt, il renouvela bientôt connaissance avec elle. La jeune héritière elle-même joignait à tous les avantages sociaux qui l'environnaient une grande beauté et les dispositions les plus aimables et les plus séduisantes.

Note 35: (retour) Je tiens ce fait de l'un des vieux domestiques de Newsteadt, mais je ne dissimulerai pas que d'autres n'aient révoqué en doute ces haltes nocturnes à la hutte.

Le jeune poète avait déjà remarqué ses charmes; mais ce fut seulement à l'époque où nous sommes arrivés, comme il était dans sa seizième année et miss Chaworth dans sa dix-huitième, qu'il semble en avoir été complètement ébloui. Six courtes semaines d'été, écoulées près d'elle, suffirent pour éveiller une passion qui dura toute sa vie.

D'abord, bien qu'on lui offrît un lit à Annesley, il avait l'habitude de revenir chaque nuit à Newsteadt, et le motif qu'il alléguait était sa frayeur des tableaux de famille des Chaworth, qui, s'imaginait-il, l'avaient pris en grippe en souvenir du duel de son oncle, et se seraient détachés la nuit de leurs cadres pour le tourmenter. À la fin il dit gravement un soir à miss Chaworth et à sa cousine: «La dernière nuit, en m'en retournant, j'ai vu un bogle.» Comme ce dernier mot écossais était complètement inintelligible pour les jeunes dames, il leur fit entendre que c'était un revenant, et qu'il ne voulait pas ce soir-là retourner à Newsteadt. À compter de là, il coucha toujours à Annesley jusqu'à ce que ses visites furent interrompues par une courte excursion à Matlock et à Castleton, dans laquelle il eut le bonheur d'accompagner miss Chaworth et ses parens. Voici la curieuse notice que l'on trouve de ce voyage dans l'un de ses livres-journaux:

«J'avais quinze ans quand il m'arriva, dans une caverne du duché de Derby, de traverser dans une barque, où deux personnes seulement pouvaient rester couchées, un ruisseau qui coulait sous une roche; cette dernière était tellement proche de l'eau, que nous fûmes obligés de faire pousser la barque par un conducteur enfumé, espèce de Caron, qui se tenait derrière, entièrement courbé dans l'eau. J'avais alors pour second M. A. C., dont j'avais été passionnément amoureux sans le lui dire, mais non pas sans qu'elle le découvrît. Je me rappelle mes sensations, mais je ne puis les décrire. Notre société se composait de Mrs. W., des deux miss W...s, de M. et Mrs. Cl...ke, de miss R. et de ma M. A. C. Hélas! pourquoi dire ma? Notre mariage aurait apaisé des haines qui avaient fait couler le sang de nos pères; il aurait réuni des propriétés vastes et riches; au moins aurait-il réuni un seul cœur et deux êtres assez bien assortis pour l'âge (elle avait deux ans de plus que moi), et... et... et... qu'en est-il résulté?»

Miss Chaworth prenait ordinairement part aux danses du soir, à Matlock, tandis que son amant restait à la contempler, solitaire et mécontent. Il est possible que le dégoût qu'il exprima toujours pour ce genre de plaisir soit venu de quelque sentiment amer éprouvé dans sa jeunesse en voyant la dame de son cœur conduite par d'autres à la danse joyeuse dont lui-même était exclu. Un jour que la jeune héritière d'Annesley avait eu pour cavalier une personne qu'elle n'avait jamais vue, Byron lui dit, d'un air de dépit, quand elle vint reprendre sa place: «J'espère que vous aimez votre nouvel ami.» Ces paroles étaient à peine prononcées, qu'il se vit accosté par une dame écossaise, d'une tournure déplaisante, qui vint se recommander à lui comme cousine, et qui, mettant son orgueil à la torture à force de manières et d'expressions vulgaires, décida la belle miss Chaworth à lui dire à son tour à l'oreille: «J'espère que vous aimez votre nouvelle amie.» À Annesley, il passait la plus grande partie de son tems à faire des courses à cheval avec miss Chaworth et sa cousine, ou plongé dans une morne rêverie, les mains occupées de son mouchoir; ou bien tirant contre une porte qui donne sur la terrasse, et qui conserve encore les vestiges de ses balles. Mais son plus grand plaisir était de s'asseoir auprès de miss Chaworth lorsqu'elle faisait de la musique; son air favori était la jolie chanson galloise Maryanne, sans doute principalement à cause de son nom. Pendant tout ce tems, il avait la douleur de voir celle qu'il aimait, entièrement occupée d'un autre amour; et comme il le dit lui-même:

«Ses soupirs n'étaient pas pour lui: pour elle il était un frère, mais rien de plus.»

Il n'est pas même probable, si le cœur de miss Chaworth eût été libre, que Lord Byron eût été choisi par elle comme un objet d'attachement. Deux ans de plus donnent à une jeune fille une avance dans la vie, contre laquelle un homme ne peut pas lutter. Miss Chaworth ne voyait dans Byron qu'un collégien: ses manières étaient d'ailleurs alors dures et peu sociables; elles n'avaient, comme je l'ai entendu répéter vingt fois, rien de flatteur pour les jeunes filles de son âge. Si dans un moment d'illusion il s'était flatté d'inspirer quelque amour à la jeune miss, il dut être bientôt désabusé par une circonstance notée dans ses Mémoires comme l'une des plus douloureuses humiliations auxquelles son infirmité l'eût exposé. Il entendit un jour miss Chaworth dire à sa femme de chambre: «Pouvez-vous croire que je me soucie jamais de ce petit boiteux?» Ces mots, comme il l'a rappelé lui-même, furent un coup de foudre pour lui. Il était nuit fermée quand il les entendit; mais il sortit à l'instant de la maison, et, sans rien voir devant lui, il courut sans s'arrêter jusqu'à Newsteadt.

La peinture qu'il a faite de cet amour, dans l'un de ses plus touchans poèmes, le Songe, montre comment le génie et la sensibilité peuvent élever les réalités de cette vie, et donner un lustre immortel aux objets et aux événemens les plus communs. Sous le nom de l'antique oratoire, la vieille salle d'Annesley rappellera long-tems à l'imagination la vierge et l'adolescent qui s'y trouvèrent une fois réunis; tandis que l'image du coursier de l'amant, bien que le type en ait été la race laborieuse et peu poétique des chevaux de Nottingham, ajoute encore aux charmes généraux de la scène, et jette sur le tableau une portion de la lumière que le génie seul peut à son gré répandre.

Au reste, dès cet âge encore tendre, il paraît avoir eu assez d'expérience de la vie galante pour savoir comment les premiers trophées peuvent conduire en amour à de nouvelles conquêtes; il se glorifiait souvent, auprès de miss Chaworth, d'un nœud de cheveux que lui avait donné quelque beauté sensible (sans doute cette jolie cousine dont il parle avec tant de chaleur dans l'une des notes que nous avons citées). Déjà, et il ne l'ignorait pas, il avait la beauté qui, malgré quelque tendance à l'excessif embonpoint de sa mère, lui promettait cette expression particulière qui donnait à ses traits tant de finesse et tant de charme. Mais avec les fêtes de l'été finit le rêve de sa jeunesse: il ne vit plus qu'une fois miss Chaworth l'année suivante, et il lui dit un dernier adieu, comme il le racontait souvent, sur cette montagne près d'Annesley, qu'il a si bien décrite dans son poème du Songe, comme étant couronnée d'un particulier diadême 36. Personne, à l'entendre, n'aurait pu deviner tout ce qu'il éprouvait, car sa contenance était calme et ses sentimens comprimés. «La première fois que je vous reverrai, lui dit-il en la quittant, vous serez sans doute Mrs. Chaworth 37?--Je l'espère;» telle fut sa réponse. C'était avant cette entrevue qu'il avait écrit au crayon, dans un volume des lettres de Mme de Maintenon, qui appartenait à la jeune miss, les vers suivans:

Note 36: (retour) Parmi les vers inédits en ma possession, je trouve les fragmens suivans, écrits quelque tems après cette époque:

«Collines d'Annesley, arides et nues, dans lesquelles s'égara mon enfance imprudente, comme les tempêtes du nord grondent et mugissent au-dessus de vos ombrages touffus! Aujourd'hui les heures ne s'écoulent plus délicieusement dans ces promenades chéries; le sourire de Marie ne fait plus de vous un paradis pour moi.»

Note 37: (retour) Son mari prit en effet, pendant quelque tems, le surnom de Chaworth.

Cesse, ô mémoire! de me tourmenter. Le présent est aujourd'hui décoloré pour moi: l'avenir ne m'offre plus d'espérances; et quant au passé, par pitié, cache-le-moi. Pourquoi ramener devant mes yeux ces images de ce que je ne reverrai pas? pourquoi me représenter ces délicieux instans à jamais évanouis? Le plaisir passé augmente la peine présente; le regret de ce qui n'est plus se joint à la douleur de ce qui est. Espérances, regrets, vous n'êtes plus que de vains mots: je ne demande plus qu'à vous oublier.

L'année suivante, miss Chaworth épousa l'heureux rival de Byron. M. John Muster, l'un de ceux qui se trouvaient présens quand il en reçut la première nouvelle, raconte ainsi ce qui se passa alors en lui: «J'étais présent quand il apprit ce mariage, sa mère lui dit: Byron, j'ai à vous apprendre une nouvelle.--Eh bien, qu'est-ce?--D'abord, tirez votre mouchoir, car vous en aurez besoin.--Quelle absurdité!--Prenez, dis-je, votre mouchoir (il le fit pour lui plaire), miss Chaworth est mariée. À ces mots une expression singulière et impossible à décrire se peignit sur sa pâle figure; il remit violemment son mouchoir dans sa poche, puis, avec une affectation de froideur et de nonchalance: Est-ce là tout? dit-il.--Comment, je m'attendais à vous voir accablé de douleur. Il ne répondit rien, et bientôt après il ouvrit la conversation sur un autre sujet.»

Sa vie d'Harrow présente les mêmes particularités. Pendant toute sa durée, comme il le dit lui-même, il était toujours jouant, se révoltant 38, ramant et se livrant à toute sorte d'espiègleries. L'esprit de révolte dont il parle ici (bien qu'il n'ait jamais été jusqu'à lui inspirer des actes de violence) se manifesta à l'occasion de la retraite du docteur Drury, quand, à la place vacante, se présentèrent les trois candidats, Mark Drury, Evans et Butler. Dans le premier mouvement auquel cette rivalité donna lieu parmi les écoliers, le jeune Wildman se montra à la tête du parti de Mark Drury, tandis que Byron avait commencé par rester neutre. Mais dans l'espérance de l'avoir pour allié, l'un des membres de la faction Drury dit à Wildman: «Byron, je le sais, ne se joindra pas à nous, parce qu'il ne veut jamais de la seconde place; mais vous pourriez, en lui donnant la première, vous l'assurer.» Wildman suivit cet avis, et Byron prit en effet le commandement de la faction.

Note 38: (retour) Gibbon, parlant des écoles publiques, dit: «La scène comique d'une révolte de collége fait connaître, sous leur véritable point de vue, les ministériels et les indépendans de la génération nouvelle.» Mais de pareils pronostics ne sont pas toujours sûrs; ainsi le doux et paisible Addisson fut, étant au collége, chef d'un soulèvement.

La violence qu'il mit dans son opposition au choix que l'on fit de Butler, et surtout la vive affection qui l'unissait au dernier maître, contribuèrent à aigrir les relations qu'il eut avec le nouveau directeur pendant le reste de son séjour à Harrow. Par malheur, Byron résidant dans les appartemens de Butler, les occasions de mésintelligence étaient on ne peut plus fréquentes. Un jour le jeune rebelle, dans un accès de défiance, arracha tous les grillages des fenêtres de la salle; et quand le docteur lui demanda le motif de cette violence, il répondit, avec un grand sang-froid: «Parce qu'ils obscurcissent la salle.» Une autre fois il lui avoua hardiment la haine qu'il avait contre lui. Ce fut long-tems la coutume que le maître, à la fin de chaque terme, invitât à dîner les élèves les plus âgés; et cette faveur, semblable aux invitations royales, était en général regardée comme un ordre. Lord Byron cependant y répondit par un refus; cela surprit beaucoup le docteur Butler, et, à la première occasion, il lui en demanda le motif devant les autres élèves: «Aviez-vous quelque autre engagement?--Non, monsieur.--Mais vous aviez donc une raison, Lord Byron?--J'en avais.--Et laquelle?--Parce que (répliqua le jeune pair avec une fierté composée) s'il vous arrivait de passer dans mon voisinage tandis que je serais à Newsteadt, je ne songerais certainement pas à vous inviter à dîner; en conséquence, je ne dois pas accepter une pareille invitation de votre part.» En général l'idée qu'avaient de lui ses professeurs à Harrow était celle d'un enfant paresseux, qui ne voulait jamais rien apprendre; et si l'on fait attention à ses habitudes ordinaires, on avouera que cette réputation n'était pas dépourvue de fondement. Il est impossible de jeter les yeux sur les livres dont il se servait, et qui sont couverts de translations interlignées, sans être frappé de l'absence de son attention. Les mots grecs les plus ordinaires ont leur traduction anglaise barbouillée à leur côté, et cette circonstance prouve bien qu'il ne les connaissait pas assez pour les traduire de mémoire. Ainsi, dans son Xénophon, nous trouvons νεοι, jeunes, σωμασιν, corps, ανθρωποις τοις αγαθοις, bons hommes, etc., etc.; et même, dans les volumes de pièces grecques qu'il vendit en partant à la bibliothèque du collége, nous remarquons, entre autres exemples, le mot usuel χρυσος flanqué de son synonyme anglais (or).

Mais quelque faibles que fussent ses progrès dans les matières purement scolastiques auxquelles nous consacrons en pure perte une si précieuse portion de la vie 39, il n'en montrait pas moins des dispositions merveilleuses pour tous les genres variés d'instruction qui ne sont utiles que dans le monde. Né avec un esprit trop scrutateur et trop vagabond pour être facilement emprisonné dans des limites déterminées, il s'attachait à des sujets qui déjà intéressaient ses goûts virils, et que ne pouvait comprendre l'esprit purement pédantesque d'une école; mais ses accès irréguliers et violens de travail, dans cette direction, donnaient à son intelligence une impulsion bien plus haute que celle de ses condisciples les plus laborieux. La liste qu'il a faite de tous les ouvrages divers dont il avait à la hâte, et de son propre choix, dévoré les pages, avant d'atteindre sa quinzième année, est tellement considérable, qu'on a de la peine à y ajouter foi; et elle présente une telle masse de recherches, qu'elle pourrait défier les plus vieux helluones librorum.

Note 39: (retour) Il est déplorable de songer à la perte de tems que l'on fait subir aux enfans dans la plupart des colléges, en les occupant pendant six ou sept ans à apprendre seulement des mots, et encore d'une manière fort imparfaite. (Cowley, Essai.)

Si un Chinois entendait parler de notre système d'éducation, ne supposerait-il pas que nous destinons tous nos jeunes gens à professer des langues mortes dans les pays étrangers, et non pas à faire jamais usage de la nôtre? (Locke, sur l'Éducation.)


Il ne faut pourtant pas croire, d'après l'étendue et l'activité de son esprit, que Byron pût de lui-même choisir une direction privilégiée; quel que soit, en effet, le plan d'instruction d'un jeune homme de talent dans les grandes écoles et dans les universités d'Angleterre, il ne suppléera pas complètement à ce qui lui manque sous le rapport intellectuel, et pourra même l'exposer à des écarts embarrassans et dangereux 40. Dans la difficulté ou même l'impossibilité absolue qu'il trouvera à combiner l'acquisition des connaissances pratiques avec les études de l'antiquité qui lui sont nécessaires pour obtenir les honneurs scolastiques, il devra choisir ou de porter toute son attention et ses vœux vers ce dernier objet, et alors il n'aura aucune idée de tout ce qui doit lui servir le plus dans le monde; ou d'adopter comme Lord Byron et d'autres personnages distingués le système contraire, et consentir à passer à l'école pour un élève incapable et paresseux, afin de se préparer des moyens de supériorité dans le monde.

Note 40: (retour) Un excellent écolier peut quitter les bancs de Westminster ou d'Eton dans une ignorance complète du train de vie et de la conversation du monde anglais, vers la fin du dix-huitième siècle. (Gibbon.)

Les souvenirs inscrits par le jeune poète dans ses livres d'école peuvent nous permettre de croire que dans un âge si tendre il prévoyait déjà vaguement que tout ce qui se rapportait à lui deviendrait par la suite un objet d'intérêt et de curiosité. La date de son entrée à Harrow 41, le nom des enfans qui furent ses moniteurs, la liste des chefs de classe parmi ses condisciples sous le docteur Drury 42, tout y est noté avec la dernière minutie, et comme pour former des points de retour pour l'histoire de sa vie. Un exemple touchant suffira pour montrer qu'il lui arriva plus d'une fois de s'arrêter à ces idées. Nous trouvons sur la première page de ses Scriptores græci la suivante note écrite à la main: «George Gordon Byron, vendredi 26 juin, a. d. 1805, trois heures trois quarts de l'après-midi, classe de troisième, Calvert moniteur, Tem, Wildman à ma gauche et Long à ma droite. Harrow-la-Montagne.» Et sur la même feuille se trouve le commentaire suivant, écrit cinq ans plus tard:

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