Œuvres complètes de lord Byron, Tome 11: comprenant ses mémoires publiés par Thomas Moore
The Project Gutenberg eBook of Œuvres complètes de lord Byron, Tome 11
Title: Œuvres complètes de lord Byron, Tome 11
Author: Baron George Gordon Byron Byron
Annotator: Thomas Moore
Translator: Paulin Paris
Release date: May 24, 2010 [eBook #32509]
Language: French
Credits: Produced by Keith J. Adams, Mireille Harmelin, Rénald
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de France (BnF/Gallica)
ŒUVRES COMPLÈTES
DE
LORD BYRON,
AVEC NOTES ET COMMENTAIRES,
COMPRENANT
SES MÉMOIRES PUBLIÉS PAR THOMAS MOORE,
ET ORNÉES D'UN BEAU PORTRAIT DE L'AUTEUR.
Traduction Nouvelle
PAR M. PAULIN PARIS,
DE LA BIBLIOTHÈQUE DU ROI.
TOME ONZIÈME.
Paris.
DONDEY-DUPRÉ PÈRE ET FILS, IMPR.-LIBR.
RUE SAINT-LOUIS, N° 46,
ET RUE RICHELIEU, N° 47 bis.1831.
LETTRES
DE LORD BYRON,
ET
MÉMOIRES SUR SA VIE,
Par Thomas MOORE.
MÉMOIRES
SUR LA VIE
DE LORD BYRON.
C'est pendant le printems de cette année que Lord Byron et sir Walter-Scott eurent, pour la première fois, occasion de se connaître personnellement. M. Murray, ayant fait une visite au dernier, en reçut un superbe poignard turc, pour l'offrir en présent à Lord Byron; et le noble poète, à son retour à Londres, la seule fois qu'il eut jamais occasion de se trouver dans la société de sir Walter, lui offrit en retour un vase rempli d'ossemens humains, trouvé sous les ruines des anciens murs d'Athènes. Le lecteur aimera mieux sans doute avoir tous ces détails de la plume de sir Walter-Scott lui-même, qui, avec cette bonté qui le rend aussi aimable qu'il est admirable pour son talent, a trouvé, au milieu de ses immortels travaux, le loisir de me communiquer ce qui suit 1
Note 1: (retour) On a omis, au commencement de ces souvenirs, quelques passages contenant des détails relatifs à la mère de lord Byron, et qui ont déjà été donnés dans la première partie de cet ouvrage. Parmi ces derniers, cependant, se trouve une anecdote dont on pardonnera facilement la répétition en faveur de l'accroissement d'intérêt et de l'authenticité qui s'attachent à ses détails, racontés par un témoin oculaire tel que sir Walter-Scott: «Je me rappelle, dit-il, avoir vu la mère de lord Byron avant son mariage, et un incident survenu dans cette occasion rendit cette circonstance assez remarquable. C'était la première ou la seconde fois que Mrs. Siddons venait jouer à Édimbourg, et lorsque cette admirable actrice, par l'harmonie de sa voix, de son regard, de son geste et de sa personne, produisait l'effet le plus puissant qu'une créature humaine puisse jamais exercer sur ses semblables. Je n'ai jamais rien vu dans ce genre qui puisse en approcher de cent lieues. Le désir qu'on avait de la voir était encore irrité par la difficulté d'obtenir des places, et par le tems énorme que les spectateurs se résignaient à attendre avant que la pièce commençât. Lorsque la toile tombait, la plus grande partie des dames avaient des attaques de nerfs.»Je me rappelle surtout que miss Gordon de Ghight jeta l'effroi dans la salle par les cris terribles qu'elle poussa en répétant l'exclamation de Mrs. Siddons dans le rôle d'Isabelle: Oh! mon Byron Oh! mon Byron! Un médecin très-connu, le bon docteur Alexander Wood, s'empressa d'offrir ses soins, mais la foule empêcha long-tems le docteur et la malade de se rapprocher. Le plus remarquable de l'affaire, c'est que la demoiselle n'avait pas encore vu alors le capitaine Byron, qui, ainsi que sir Toby, la fit finir par un Oh! comme elle avait commencé.» (Note de Moore.)
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«Mes rapports avec Lord Byron commencèrent d'une manière assez peu agréable. Loin d'être pour rien dans l'acerbe critique de la Revue d'Édimbourg, j'avais fait quelques observations à l'éditeur, mon ami, pour l'empêcher de la publier, parce qu'il me semblait que les Heures de Loisir y étaient jugées avec trop de sévérité. Elles me paraissaient, écrites comme presque toutes les premières productions des jeunes gens, plutôt d'après le souvenir de ce qui leur a plu dans les autres, que sous l'inspiration de leur propre génie. Toutefois, je crus distinguer dans les Heures de Loisir quelques passages de la plus noble espérance; et j'étais tellement frappé de cette idée que je pensai à écrire à l'auteur: ce que je ne fis pas cependant, par suite de rapports exagérés sur l'originalité de son caractère, et de ma répugnance naturelle à donner mon avis quand on ne me le demandait pas.
»Quand Byron composa sa fameuse satire, j'y reçus des étrivières en compagnie de gens qui valent mieux que moi. Mon crime était d'avoir écrit un poème (Marmion, je crois) pour mille livres sterling, ce qui n'était vrai qu'en ce sens que je l'avais vendu cette somme. Sans dire ici que je ne vois pas trop comment un auteur peut être blâmé de tirer de ses ouvrages la somme que l'éditeur consent à lui donner, surtout si celui-ci ne se plaint pas ensuite de son marché, j'avouerai qu'en s'occupant ainsi de mes affaires particulières, il me paraissait être sorti tout-à-fait du domaine de la critique littéraire. D'un autre côté, Lord Byron, dans différens passages, me donnait des éloges si fort au-dessus de ce que je pouvais mériter, qu'il aurait fallu que je fusse d'un caractère plus irascible sur ces matières que je ne l'ai jamais été, pour ne pas me trouver content en somme et ne plus songer à cette affaire.
»Je fus frappé, comme tout le monde, de la force et de la vigueur d'imagination déployées dans les premiers chants de Childe Harold et les autres productions brillantes que Lord Byron lança dans le public avec une rapidité qui tenait de la profusion. Ma propre popularité comme poète commençait alors à décliner, et sincèrement je fus charmé de voir entrer un autre dans la carrière avec tant d'imagination et d'énergie. M. John Murray vint en Écosse à cette époque. Je lui parlai du plaisir que j'aurais à faire connaissance avec Lord Byron; il eut l'obligeance de faire connaître ce désir à sa seigneurie, ce qui amena entre nous un commerce de quelques lettres.
»Me trouvant à Londres pendant le printems de 1815, j'eus l'honneur d'être présenté à Lord Byron. Je m'étais, d'après les rapports d'autrui préparé à trouver un homme d'étranges habitudes, d'un caractère violent; et je doutais que notre société pût nous convenir réciproquement. Je fus agréablement détrompé; je trouvai dans Lord Byron un homme extrêmement affable et même extrêmement bon. Nous nous réunîmes une heure ou deux presque tous les jours dans le cabinet de M. Murray, et la conversation ne languissait pas. Nous nous vîmes aussi fréquemment le soir dans diverses assemblées; en sorte que, pendant deux mois, j'eus l'avantage de vivre très-intimement avec ce grand homme. Nous étions généralement d'accord, excepté sur la religion et la politique, sujets sur lesquels je suis porté à croire qu'il n'eut jamais des idées bien fixes. Je me rappelle lui avoir dit un jour, que, s'il vivait quelques années de plus, je croyais qu'il changerait de sentimens. Il me répondit assez brusquement: Ainsi, vous êtes un de ces prophètes qui annoncent que je me ferai méthodiste?--Non, répliquai-je; je ne pense pas que votre conversion soit d'un genre si commun. Je serais plutôt porté à croire que vous chercherez un asile dans le sein de l'église catholique, et que vous vous distinguerez par l'austérité de votre pénitence. Il faut que la religion à laquelle vous vous attacherez infailliblement un jour ou un autre, soit de nature à exercer beaucoup d'empire sur l'imagination.--Il sourit gravement, et sembla reconnaître que je pourrais avoir raison.
»En politique, il débitait beaucoup de ces sentimens qu'on appelle maintenant libéraux; mais je crus remarquer qu'il le faisait moins par conviction des principes qu'il professait, que par l'occasion qu'il y trouvait d'exercer son esprit satirique contre certains individus à la tête des affaires. Il était certainement fier de son rang et de l'ancienneté de sa famille, et, sous ce rapport, aussi aristocrate que pouvaient le lui permettre son bon sens et sa bonne éducation. Il me parut que quelques dégoûts reçus, je ne sais comment, lui avaient donné cette singulière manière de penser, et avaient mis ces contradictions dans son esprit; mais au fond du cœur, je n'hésite pas à le dire, Lord Byron était essentiellement patricien.
»Lord Byron n'avait pas beaucoup lu, soit en poésie, soit en histoire. J'avais l'avantage sur lui à cet égard, particulièrement d'avoir lu ce que peu de gens s'avisent de lire, ce qui me mettait souvent à même d'attirer son attention sur des ouvrages et des choses qui avaient pour lui l'intérêt de la nouveauté. Je me rappelle particulièrement lui avoir un jour récité le beau poème de Hardyknute, imitation d'une vieille ballade écossaise, dont il fut si fort affecté, que quelqu'un qui se trouvait dans le même appartement me demanda ce que je pouvais avoir dit à Lord Byron pour le mettre dans une telle agitation.
»Je vis Byron pour la première fois en 1815, à mon retour en Angleterre. Nous déjeunâmes ou dînâmes ensemble chez Long dans Bond-Street. Jamais je ne l'ai revu, depuis, si gai et de si bonne humeur; il est vrai que la présence de M. Matthews, le comédien, y contribuait beaucoup. Le pauvre Terry y était aussi. Après l'une des parties les plus gaies où je me sois jamais trouvé, mon compagnon de voyage, M. Scott de Gala, et moi, partîmes pour l'Écosse, et depuis je n'ai plus revu Lord Byron. Nous continuâmes à nous écrire de tems en tems, peut-être une fois tous les six mois. Nous nous fîmes des présens réciproques comme les héros d'Homère; je donnai à Byron un magnifique poignard monté en or, qui avait appartenu au terrible Elfi-Bey. Mais je devais jouer le rôle de Diomède dans l'Iliade, car Byron m'envoya quelque tems après un grand vase sépulcral en argent. Il était plein d'ossemens humains, et il y avait des inscriptions sur deux des côtés de sa base. L'une portait:
»Les ossemens contenus dans cette urne ont été trouvés dans de vieux tombeaux au pied des murs d'Athènes, dans le mois de février 1811.
»L'autre portait les deux vers de Juvénal:
Expende...... quot libras in duce summo
Invenies?
Mors sola fatetur
Quantula..... hominum corpuscula.
(JUV. X.)
»A ces deux inscriptions, j'en ai ajouté une troisième:
Donné par Lord Byron à Walter-Scott 2.
Note 2: (retour) Au moment où Byron faisait ce présent, M. Murray lui avait dit qu'une inscription de cette nature ajouterait beaucoup de valeur à ce vase; mais Byron s'y refusa avec une admirable modestie, disant que cela aurait un air d'ostentation de sa part, et qu'il valait mieux l'envoyer tel qu'il était, sans y rien graver davantage. (Note de Moore.)»L'envoi de cette urne était accompagné d'une lettre que je regardais comme bien plus précieuse encore, à cause des sentimens que ce grand homme y exprimait pour moi. Je crus naturellement ne pouvoir mieux faire que de laisser la lettre dans l'urne; mais elle a disparu. La nature de ce vol ne permettant pas de soupçonner qu'il ait été commis par quelque domestique, je me vois forcé d'en accuser l'indélicatesse de quelque visiteur d'un rang plus élevé, indélicatesse bien gratuite; car je ne suppose pas que, d'après ce que je viens de dire, personne s'avise de se vanter d'avoir en sa possession cette curiosité littéraire.
»Nous rîmes beaucoup, je me le rappelle, de ce que le public pourrait penser et dire sur la nature triste et sombre de nos présens réciproques.
»Je ne crois pas qu'il me reste rien à ajouter à mes souvenirs de Byron. Il était souvent mélancolique, presque chagrin. Quand je le voyais dans cette disposition d'esprit, j'avais coutume ou d'attendre qu'il revînt de lui-même, ou qu'il se présentât quelqu'occasion naturelle de le faire causer: alors les nuages qui avaient obscurci son visage se dissipaient, comme ceux que le soleil dissipe le matin; car dans la conversation il était toujours très-animé.
»Je profitai de toutes les occasions de me trouver avec lui en société, sa manière d'être à mon égard me donnant l'orgueil de croire que mon commerce ne lui était pas désagréable. Je me rappelle bien des parties délicieuses que nous avons faites ensemble, une entre autres chez sir George Beaumont, où cet homme, si aimable lui-même, avait pris soin de réunir des hommes du talent le plus distingué. Il me suffira, parmi les convives, de citer feu sir Humphry Davy, dont le goût en littérature n'était pas moins remarquable que l'empire qu'il a exercé si long-tems dans les sciences exactes. MM. Richard Sharpe et Rogers étaient aussi présens.
»Je crois aussi avoir remarqué dans le caractère de Lord Byron quelque chose de soupçonneux, quand il semblait s'arrêter et réfléchir un moment pour voir s'il n'y avait pas un sens caché et peut-être offensant dans quelque chose qu'on lui disait par hasard. Dans ces occasions, je jugeais que ce qu'il y avait de mieux à faire était de laisser son esprit, comme un ruisseau troublé, s'éclaircir de lui-même: ce qu'il ne manquait pas de faire en une minute ou deux. J'étais, comme vous vous le rappelez, beaucoup plus âgé que notre noble ami: je n'avais aucune raison de craindre qu'il se méprît sur mes sentimens à son égard, et je n'ai jamais douté non plus qu'il ne me les rendît avec la plus grande franchise. Si, d'un côté, j'eusse pu être mortifié de voir son génie s'obscurcir si complètement, toute espèce de prétentions que j'eusse pu alors avoir à cet égard, j'aurais pu me consoler en réfléchissant que la nature m'avait, en compensation, accordé en plus grand nombre les élémens du bonheur.
»Je me tourmente en vain pour rappeler en ce moment des souvenirs qui, en d'autres tems, se présentent d'eux-mêmes à ma mémoire; de ces petits traits, de ces mots qui rappellent son regard, sa manière, son ton et ses gestes; et je persiste à croire qu'il était arrivé à une crise qui devait lui ouvrir un nouveau chemin à la renommée, et que, s'il avait pu y survivre, il aurait effacé le souvenir de certaines parties de sa vie que ses amis souhaiteraient oublier.»
LETTRE CCXX.
A M. MOORE.
23 avril 1815.
«Lord Wentworth est mort la semaine dernière. La masse de sa fortune, qui consiste en 7 ou 8,000 livres sterling de rente, est substituée à lady Milbanke et à lady Byron. La première est partie pour le comté de Leicester, afin d'en prendre possession, et d'assister aux funérailles aujourd'hui....................................... ....................................................................................
»J'ai parlé de la manière dont lord W. avait disposé de ses biens, parce que les journaux, avec leur exactitude ordinaire, ont commis toutes sortes de méprises dans le rapport qu'ils en ont fait. Son testament est tel qu'on s'y attendait. La plus grande partie de ses propriétés revient à lady Milbanke (aujourd'hui Noël) et à Bell. Il laisse, de plus, une terre qui doit être mise en vente pour le paiement de ses dettes (qui ne sont pas considérables), et des legs qu'il fait à son fils et à sa fille naturels.
»La tragédie de madame *** est tombée hier au soir. On peut essayer de la jouer une seconde fois, et on le fera probablement; mais elle n'en est pas moins tombée. Il a été impossible d'entendre un seul mot du dernier acte; j'y allai, quoique j'eusse dû rester chez moi sous le sac et la cendre, à cause de mon oncle; mais je ne sais pas résister à une première représentation vue d'un coin retiré et paisible de ma loge: ainsi donc j'ai été témoin de toute l'affaire. Les trois premiers actes, accompagnés de quelques applaudissemens passagers, se sont traînés pesamment, et ont été écoutés avec patience. Je dois dire que la pièce était mal jouée, surtout par ***, qui fut hué dans le troisième acte, pour quelque chose qu'il dit à propos d'horreur, et cette horreur fut la cause qu'on le siffla: Eh bien! le quatrième acte s'embourba d'une manière terrible; mais le cinquième, que Garrick appelait assez sottement la concoction d'une pièce, le cinquième, dis-je, s'arrêta tout court à la prière du roi. Vous savez qu'il dit que «jamais il ne se couche sans la faire, et qu'il ne veut pas y manquer en ce moment;» mais il ne fut pas plus tôt à genoux, que les spectateurs se levèrent. Le maudit parterre se mit à hurler, à huer, à siffler de toute sa force. Cela, pourtant, s'apaisa un peu; mais la scène des brigands, les paysans faisant pénitence, et le meurtre de l'évêque et de la princesse lui donnèrent le coup de grâce. La toile tomba sur les acteurs qu'on n'écoutait plus, et ce fut tout aussi infructueusement que Kean essaya d'annoncer le spectacle pour lundi. Mrs. Bartley avait si peur, que, quoique le public fût passablement tranquille, l'épilogue fut inintelligible pour la moitié de la salle. Enfin--vous savez tout. Quant à moi, j'ai applaudi jusqu'à m'écorcher les mains, et sir James Mackintosh, qui était avec moi dans ma loge, en a fait autant. Tout l'univers était dans la salle, à commencer par les Jersey et les Grey. Mais cela n'y a rien fait. Après tout, ce n'est pas une pièce jouable; elle est bien écrite, mais elle manque d'énergie.
»Les femmes, à l'exception de Joanna Baillie, ne peuvent pas faire de tragédies. Elles n'ont pas assez vu, assez connu la vie pour cela. Je crois que Sémiramis, ou Catherine II (si elles eussent pu cesser d'être reines) auraient été capables de composer une fameuse tragédie.
»Quoi qu'il en soit, c'est une bonne leçon pour ne pas risquer de tragédies. Je n'y ai jamais été très-porté; mais je l'aurais été, que ceci m'en eût guéri.
»A jamais, carissime Thom.,
»Tout à toi,»
BYRON.
LETTRE CCXXI.
A M. MURRAY.
21 mai 1815.
«Vous avez dû trouver très-étrange, sinon très-ingrat de ma part, de ne pas vous avoir parlé des dessins 3, lorsque j'ai eu le plaisir de vous voir ce matin. Le fait est que je ne les avais pas encore vus, et ne savais pas qu'ils fussent arrivés. Ils avaient été portés dans la bibliothèque où je ne fais que d'entrer en ce moment, et on n'en avait pas parlé. Ce présent est si magnifique, que..... bref, que je laisse à lady Byron le soin de vous en remercier, et ne vous écris ce billet que pour m'excuser de la négligence, bien involontaire, dont j'ai dû vous paraître coupable ce matin.
»Votre, etc.» BYRON.
LETTRE CCXXII 4.
A M. MOORE.
«Je n'ai aucune excuse à vous offrir en faveur de mon silence, si ce n'est la paresse invétérée qui me tient. Je suis trop apathique pour inventer un mensonge, sans quoi j'y aurais certainement recours, étant honteux de la vérité. K***, j'espère, est parvenu à apaiser la sublime indignation qu'avaient excitée en vous ses sottises. Je vous ai désiré et vous désire encore de tout mon cœur, dans le comité 5.
Note 5: (retour) Il était devenu depuis peu membre du comité composé, indépendamment de lui, des personnes citées dans cette lettre qui s'étaient chargées de la direction du théâtre de Drury-Lane; son désir avait été, depuis la première formation du comité, de m'avoir pour collègue: c'est à une méprise qui fut faite dans la manière dont on me communiqua cette proposition, qu'il fait allusion dans la phrase précédente. (Note de Moore.)C'est une affaire qui paraît si désespérée, que la compagnie d'un ami serait du moins une consolation.--Mais nous en parlerons plus au long à notre première rencontre. En attendant, vous êtes instamment prié de décider Mrs. Esterre à s'engager. Je crois qu'on lui a déjà écrit à ce sujet; mais il est probable que votre influence, soit que vous la voyiez en personne, ou que vous en chargiez un intermédiaire, aura plus de poids que nos propositions. Je ne vous dirai pas en quoi consistent celles-ci; mes nouvelles fonctions se bornant à écouter le désespoir de Cavendish Bradshaw, les espérances de Kinnaird, les désirs de lord Essex, les plaintes de Whitbread, et les calculs de Peter Moore, qui me semblent tous en parfaite contradiction les uns avec les autres.
»C. Bradshaw voudrait éclairer le théâtre au gaz, ce qui (si l'on en croit le vulgaire) empoisonnerait la moitié des spectateurs et tous les personnages en scène. Essex a cherché à persuader à K*** 6 de ne plus s'enivrer, et depuis ce moment il n'a pas cessé d'être ivre une minute. Kinnaird, avec autant de succès, a voulu faire entendre à Raymond qu'il avait de trop forts appointemens. Whitbread veut que nous augmentions encore le parterre de six sous, proposition insidieuse qui finira par tout mettre en combustion. Pour couronner le tout, l'huissier priseur R***, n'a-t-il pas l'impudence d'être mécontent de ne pas recevoir de dividende! Le coquin est propriétaire d'actions, et de plus il est orateur de longue haleine dans nos assemblées. On m'a dit qu'il avait prédit notre incapacité; conclusion qui n'est pas neuve, et dont j'espère bien lui donner des preuves signalées avant que nous ayons fini.
»Nous donnerez-vous un opéra? Je jurerais que non, et cependant je le voudrais................................ .......................... .............................................
»Pour en finir avec le monde poétique, je vous dirai que Walter-Scott est retourné en Écosse. Je vous dirai que Murray le libraire a été cruellement maltraité, par de mauvais coquins, à Newington Butts, pendant qu'il s'en retournait chez lui, après avoir dîné dans le voisinage. Imaginez-vous qu'on lui a volé trois ou quatre bons de quarante livres sterling chacun, et une bague à cachet de son grand-père, qui vaut un million; voilà du moins sa version. Mais il y a des gens qui prétendent que c'est D'Israeli, avec lequel il avait dîné, qui l'a terrassé en lui jetant à la tête sa nouvelle publication «Des querelles des Auteurs,» à la suite d'une dispute sur le prix du manuscrit. Quoi qu'il en soit, les journaux ont retenti de son injuria formœ, et depuis il est dans les fomentations, et ne voit personne que son apothicaire.
»Lady B. est sur le chemin de la maternité, depuis un peu plus de trois mois, et nous espérons qu'elle arrivera heureusement au terme. Nous sommes allés très-rarement dans le monde cet hiver, à cause de sa position qui demande de la tranquillité. Son père et sa mère ont changé leur nom contre celui de Noel, pour se conformer au testament de lord Wentworth, et par reconnaissance pour le bien qu'il leur a laissé.
»J'ai appris que vous aviez été reçu en triomphe par les Irlandais, et cela vous était bien dû. Mais ne souffrez pas qu'ils vous tuent à force de claret et d'attentions, dans le dîner national qui, à ce que j'ai entendu dire, se prépare en votre honneur. Si vous voulez m'en désigner le jour, je m'enivrerai moi-même de ce côté de l'eau, et vous enverrai un hoquet approbateur par-delà le canal.
»En fait de politique, on n'entend autre chose que le cri de guerre, et C...h prépare sa tête pour la pique sur laquelle nous la verrons porter avant que tout ceci ne soit fini. L'emprunt a mis tout le monde de mauvaise humeur. Je reçois souvent des nouvelles de Paris, mais elles sont en contradiction directe avec les rapports que nous font dans l'intérieur nos journalistes gagés.
»Quant aux affaires de la société, nous n'avons rien de neuf depuis lady D***. Il n'est pas question d'un seul divorce, quoiqu'il s'en prépare un bon nombre, à en juger par les mariages qui se font.
»Je vous envoie ci-jointe 7 une épître que j'ai reçue ce matin, de je ne sais pas qui, mais je pense qu'elle vous amusera. Celui qui l'a écrite doit être un drôle d'original.
»P. S. Un monsieur d'Alton (non pas le Dalton que vous connaissez) m'a envoyé un poème national intitulé: Dermid. La même cause qui m'a empêché de vous écrire a étendu son influence sur le désir que j'aurais eu de lui adresser une lettre de remerciemens. Si vous le voyez, dites-lui toutes sortes de belles choses pour moi, et assurez-le que je suis le plus paresseux et le plus ingrat des mortels.
Note 7: (retour) Voici la lettre dont il parle ici:Darlington, 3 juin 1815.
«MILORD,
»Je viens d'acheter un exemplaire de vos œuvres, et je suis très-fâché que vous n'en ayez pas retranché l'Ode à Bonaparte; elle a certainement été écrite avec trop de précipitation, et sans y avoir sérieusement réfléchi. La Providence vient de le ramener pour régner de nouveau sur des millions d'hommes, tandis que cette même Providence tient, en quelque sorte, en garnison un autre souverain, que, suivant l'expression de M. Burke, il précipita du trône. Voyez si vous ne pouvez trouver un moyen de réparer votre manque de jugement. Songez que, presque sur tous les points, la nature humaine est la même, dans tous les climats, à toutes les époques, et n'agissez pas ici en jeune écervelé. Est-ce aux Anglais à parler du despotisme des tyrans, pendant que des torrens de sang répandus dans les Indes Orientales appellent à grands cris la vengeance du ciel? Apprenez, mon bon Monsieur, à ne pas jeter la première pierre. Je suis le serviteur de votre seigneurie.
»J. R***» (Note de Moore.)
»Encore un mot. Ayez soin que sir John Stevenson ne parle pas du prix de votre premier poème; autrement on viendrait vous demander votre part de l'impôt sur les propriétés. Je parle très-sérieusement, car je viens d'entendre une longue histoire sur ces coquins de collecteurs, qui ont forcé Scott à payer sa taxe sur le sien. Ainsi, prenez-y garde; 300 livres sterling sont une diable de déduction à faire sur 3,000.»
LETTRE CCXXIII.
A M. MOORE.
7 juillet 1815.
«Grata superveniet, etc. Je vous avais encore écrit, mais commençant à vous croire sérieusement fâché de ma paresse, et ne sachant pas trop comment vous prendriez les bouffonneries que contenait ma lettre, je l'avais brûlée. Depuis, j'ai reçu la vôtre, et tout est au mieux.
»J'avais abandonné tout espoir d'en recevoir de vous. A propos, mon grata superveniet aurait dû être au présent, car je m'aperçois maintenant qu'il a l'air de faire allusion au présent griffonnage, tandis que c'est à la réception de votre lettre de Kilkenny, que j'ai fait l'application de ce respectable sentiment.
»Le pauvre Whitbread est mort hier matin. C'est une perte aussi grande que soudaine. Sa santé était chancelante, mais ne donnait pas lieu de craindre une attaque aussi fatale. Il est tombé, et n'a plus parlé depuis, je crois. Je vois que Perry attribue sa mort à Drury-Lane, opinion très-encourageante, et d'une grande consolation pour le nouveau comité. Je n'ai pas de doute que ***, qui est d'un tempérament apoplectique, ne se fasse saigner de suite, et comme j'ai moi-même, depuis mon mariage, perdu en grande partie ma pâleur, et, horresco referens (car je hais jusqu'à un modeste embonpoint) cette heureuse maigreur à laquelle j'étais parvenu lorsque je fis votre connaissance, cet arrêt du Morning-Chronicle ne me laisse pas sans inquiétude. Tout le monde doit regretter Whitbread. C'était assurément un homme supérieur, et un excellent homme.
»Paris est pris pour la seconde fois. Je présume qu'à l'avenir cela lui arrivera tous les ans. J'ai, ainsi que tout le monde, perdu un parent dans les derniers combats. C'est le pauvre Frédéric Howard, le meilleur de sa race. Je n'avais, depuis quelques années, que fort peu de relations avec sa famille; mais je n'ai jamais vu ou entendu dire que du bien de lui. Le frère d'Hobhouse a été tué;--bref la mort n'a pas épargné une seule famille.
»Tout espoir d'une république est évanoui, et nous continuerons de vivre sous le vieux système; mais je suis profondément las de la politique et du carnage, et le bonheur dont la Providence s'est plue à combler lord *** ne fait que prouver le peu de valeur que les dieux attachent à la prospérité, puisqu'ils ont permis à un..... tel que lui, et à ce vieil ivrogne de Blucher, de battre des hommes qui valent mieux qu'eux. Wellington, cependant, mérite une exception: celui-là est un homme et le Scipion de notre Annibal; ce qui n'empêche pas qu'il doit rendre grâce aux glaces de la Russie, qui ont détruit la véritable élite de l'armée française pour le faire vaincre à Waterloo.
»Bon Dieu, Moore, comme vous blasphémez «le Parnasse et Moïse!» en vérité, vous me faites honte. Ne ferez-vous rien pour l'art dramatique?--Nous vous demandons en grâce un opéra. La méprise de Kinnaird a été en partie la mienne. Je voulais à toute force que vous fussiez du comité et lui aussi; mais nous sommes bien aises maintenant que vous ayez été plus sage que nous, car je commence à soupçonner que c'est une fâcheuse affaire.
»Quand vous verra-t-on en Angleterre? Sir Ralph Noël (ci-devant Milbank, et il ne paraît pas disposé à ensevelir de sitôt le nom de Noël avec lui) s'étant aperçu qu'un homme ne pouvait pas habiter deux maisons, m'a donné sa terre, située dans le nord, pour en faire ma résidence, et c'est là que lady B. menace d'accoucher en novembre. Sir R. et madame ma belle-mère établiront leurs quartiers à Kirby, qui appartenait jadis à lord Wentworth. Peut-être viendrez-vous avec Mrs. Moore nous rendre une visite cet automne. Dans ce cas, vous et moi (sans nos femmes), prendrons notre vol vers Édimbourg, pour aller embrasser Jeffrey. Ce n'est pas à beaucoup plus de cent milles de chez nous. Mais nous causerons de ceci, et d'autres affaires importantes, à notre première entrevue, qui aura lieu, je l'espère, sitôt votre retour. Nous ne quittons Londres qu'au mois d'août.
»Tout à vous.»
LETTRE CCXXIV.
A M. SOTHEBY.
15 septembre 1815, Piccadilly Terrace.
CHER MONSIEUR,
«Ivan est accepté, et sera mis à l'étude aussitôt l'arrivée de Kean.
»Les acteurs sont pleins de confiance dans le succès de la pièce. Je ne sache pas qu'il soit nécessaire d'y faire des changemens pour la représentation; mais, dans le cas où il en faudrait, cela se réduirait à peu de chose, et vous en seriez averti à tems. Je vous conseillerais de n'assister qu'aux dernières répétitions, les directeurs, du moins, m'ont chargé de vous donner cet avis. Vous pouvez les voir, c'est-à-dire Dibdin et Rae, quand bon vous semblera, et en attendant je ferai tout ce que vous jugerez convenable de suggérer.
»Mrs Mardyn n'a pas encore paru, et l'on ne peut rien décider avant son premier début, c'est-à-dire, quant à sa capacité pour le rôle dont vous parlez, et qui, sans aucun doute, n'est pas dans Ivan, Ivan me paraissant pouvoir être très-bien joué sans elle. Mais nous en reparlerons plus tard.
»Votre très-sincèrement dévoué.» BYRON.
»P.S. Vous serez sans doute bien aise d'apprendre que la saison a commencé d'une manière brillante.--La salle est constamment pleine; les recettes excellentes,--les acteurs en très-bonne harmonie avec le comité, ainsi qu'entre eux.--Enfin, il y règne autant d'intelligence qu'il est possible d'en entretenir dans une administration aussi compliquée et aussi étendue que celle de Drury-Lane.
A M. SOTHEBY.
25 septembre 1815.
CHER MONSIEUR,
«Je crois qu'il vous sera utile de voir les acteurs et directeurs aussitôt que vous le pourrez, car il y a des points sur lesquels vous devez avoir besoin de conférer avec eux. L'observation que je vous ai rapportée vient du côté des acteurs; elle est générale et non particulière à cette circonstance. J'ai cru bien faire en vous la communiquant de suite; cela ne vous empêchera pas sans doute de voir quelques-unes des répétitions.
»Je serais tenté de croire que Rae a jeté son dévolu sur le rôle de Naritzin. C'est un acteur plus en faveur que Bartley, et certainement il donnera plus de force au caractère. D'ailleurs, c'est un des directeurs, et il portera plus d'intérêt à la pièce, s'il peut y jouer doublement un rôle. Mrs. Bartley représentera Petrowna; quant à l'impératrice, je ne sais qu'en penser et qu'en dire. La vérité est que nous ne sommes pas très-bien pourvus d'actrices tragiques, mais choisissez ce que nous avons de mieux, et tirez-en le meilleur parti possible. Nous avons tous beaucoup d'espoir que la pièce réussira, et mettant à part toute autre considération, nous le désirons ardemment, cette tragédie étant la première qu'on aura représentée à Drury-Lane, depuis l'ancien comité.
»A propos, j'ai un procès à vous faire, et comme le grand M. Dennis, qui s'écria dans une semblable occasion: «De par Dieu, vous m'avez pris mon tonnerre,» je m'écrierai, moi: «Voici mon éclair!» dans la scène entre Petrowna et l'impératrice, où se trouve une pensée semblable à celle de Conrad dans le troisième chant du Corsaire, et exprimée presque de la même manière. Ce que j'en dis, cependant, n'est pas pour vous accuser, mais pour me justifier moi-même de tout soupçon de plagiat, mon poème ayant été publié six mois avant que vos tragédies n'eussent paru 8.
Note 8: (retour) Malgré cette précaution du poète, l'analogie qui existe entre ces deux passages fut citée quelques années après d'une manière triomphante, à l'appui d'une accusation de plagiat portée contre lui par quelques écrivailleurs; voici les vers de M. Sotheby.«Je me suis élancé avec transport de la pierre qui me sert de couche, pour saluer le tonnerre éclatant au-dessus de ma tête, et accueillir l'éclair dont la lueur jaillissante faisait étinceler mes fers.»(Note de Moore.)
»Georges Lambe avait l'intention de vous écrire. Si vous ne voulez pas avoir maintenant de conférence avec les directeurs, indiquez-moi ce que vous désirez qu'on fasse, et j'aurai soin que cela soit exécuté.
»Votre très-sincèrement dévoué.» BYRON.
LETTRE CCXXV.
A M. TAYLOR.
13 Piccadilly Terrace, 25 sept. 1815.
CHER MONSIEUR,
«Je suis très-fâché que vous vous affectiez d'une circonstance 9 dont je ne me tourmente nullement. Il m'est fort indifférent, si cela amuse votre journaliste, ses correspondans et ses lecteurs, d'être le sujet de toutes les chansons qu'il peut insérer dans sa feuille, pourvu, toutefois, que, dans les produits de ses veilles, il ne soit question que de moi.
Note 9: (retour) M. Taylor ayant inséré dans le Soleil (dont il était alors principal propriétaire) un sonnet adressé à lord Byron, en retour du présent que le noble lord lui avait fait d'un exemplaire de ses œuvres richement relié, il parut le lendemain dans le même journal (de la plume d'une personne qui avait acquis quelqu'autorité sur cette feuille), une parodie de ce sonnet, où il était fait allusion à lady Byron d'une manière fort peu respectueuse. C'est à cette circonstance, dont M. Taylor avait donné l'explication en écrivant à lord Byron, que se rapporte la lettre ci-dessus, qui fait tant d'honneur aux sentimens du noble époux. (Note de Moore.)»Il y a long-tems que ces choses-là ne m'effrayent plus, et je ne sache pas qu'une attaque de ce genre pût m'exciter à me défendre, à moins qu'elle ne s'étendît à ceux qui me touchent de près, et dont les qualités sont de nature, j'espère, à les mettre à l'abri d'un pareil outrage, aux yeux même des gens qui ne me veulent aucun bien. En supposant qu'un tel cas se présentât, je dirai, renversant le sens des paroles du docteur Johnson, que si les lois ne peuvent me rendre justice, je me la rendrai moi-même, quelles qu'en soient les conséquences.
»Je vous renvoie, avec tous mes remerciemens, Colman et les lettres.--Quant aux poèmes, je me flatte que votre intention est que je les garde, c'est du moins ce que je ferai jusqu'à ce que vous me disiez le contraire.
»Très-sincèrement à vous.»
A M. MURRAY.
25 septembre 1815.
«Voulez-vous publier la Pie voleuse de Drury-Lane, ou, ce qui serait mieux encore, voulez-vous donner cinquante ou même quarante guinées du manuscrit? Je me suis chargé de vous faire cette question dans l'intérêt du traducteur, et je désire que vous y consentiez. On nous en offre partout ailleurs dix livres sterling de moins, et connaissant votre libéralité, je me suis adressé à vous, et serai bien aise d'avoir votre réponse.
»Tout à vous.»
LETTRE CCXXVI.
A M. MURRAY.
27 septembre 1815.
«Voilà qui est beau et généreux, digne enfin d'un éditeur dans le grand genre. M. Concanen, le traducteur, va être enchanté, et il paiera sa blanchisseuse, tandis que moi, en récompense de votre libéralité dans cette circonstance, je ne vous demanderai plus de rien publier pour Drury-Lane, ni pour aucun autre 10 Lane. Vous n'aurez de moi ni tragédie ni autre chose, je vous en réponds, et vous devez vous trouver heureux d'être débarrassé de moi pour tout de bon, sans plus de dommage. En attendant, je vais vous dire ce que nous pouvons faire pour vous;--nous allons jouer l'Ivan de Sotheby, qui réussira, et alors vos publications présentes et futures des drames de cet auteur se débiteront tant que vous voudrez, et si nous avons quelque chose de très-bon, vous aurez la préférence, mais on ne vous présentera plus de pétition.
»Sotheby a dans sa pièce une pensée, et presque les mêmes paroles qui se trouvent dans le troisième chant du Corsaire, qui, comme vous le savez, fut publié six mois avant sa tragédie. C'est à l'occasion de l'orage qui éclate dans la cellule de Conrad. J'ai écrit à M. Sotheby pour la réclamer, et comme Dennis qui criait dans le parterre: «De par Dieu, voilà mon tonnerre!» ainsi ferai-je et m'écrierai-je: «De par Dieu, voilà mon éclair!»--Car c'est de ce fluide électrique qu'il est question dans ledit passage.
»Vous aurez, pour mettre en tête de la pièce, un portrait de Fanny Kelly, dans la Pie voleuse, qui vaut bien; en conscience, deux fois l'argent que vous a coûté le manuscrit. Dites-moi, je vous prie, ce que vous avez fait de la note que je vous ai donnée sur Mungo-Park.
»Toujours tout à vous.»
LETTRE CCXXVII.
A M. MOORE.
13 Piccadilly Terrace, 28 octobre 1815.
«Il paraît que vous voilà revenu en Angleterre, à ce que j'apprends de tout le monde, excepté de vous. Je présume que vous vous tenez sur la réserve, parce que je n'ai pas répondu à votre dernière lettre d'Irlande. Quand avez-vous quitté le «cher pays?» C'est égal, allez, je vous pardonne, ce qui est une grande preuve de--de je ne sais pas quoi, mais c'est pour donner le démenti à ce vers:
»Celui qui a tort ne pardonne jamais.»
»Vous avez écrit à ***. Vous avez aussi écrit à Perry, qui laisse entrevoir l'espérance que vous nous donnerez un opéra. Coleridge nous a promis une tragédie. Or, si vous tenez la parole que nous a donnée Perry, et que Coleridge remplisse la sienne, en voilà assez pour mettre Drury-Lane sur pied, et il faut dire qu'il a terriblement besoin qu'on vienne à son aide: nous avons commencé au grand galop, et nous voilà déjà rendus.--Quand je dis nous, c'est-à-dire Kinnaird, qui est ici l'homme capable, et sait compter ce qui est plus que n'en peut faire le reste du comité.
»C'est réellement fort amusant, quant à ce qui est du mouvement que se donnent matin et soir ces gens-ci, les uns se carrant, les autres pestant. Et si l'on parvient jamais à payer cinq pour cent, cela fera honneur à l'administration. M. *** a fait recevoir une tragédie, dont la première scène commence par le sommeil, non pas de l'auteur, mais du héros. Elle nous a été présentée comme étant prodigieusement admirée par Kean; mais le susdit Kean étant interrogé, nie cet éloge, et proteste contre son rôle.--Je ne sais pas comment cela finira.
»Je ne vous parle autant du théâtre, que parce que Londres est mort dans cette saison. Tout le monde en est parti excepté nous, qui y restons pour accoucher en décembre, ou peut-être plus tôt. Lady B. est énorme et en état de prospérité, du moins en apparence, je voudrais que le moment fût passé et bien passé.--
»J'ai devant les yeux une pièce d'un personnage qui se signe Hibernicus.--Le héros est Malachi, le roi Irlandais, et le traître usurpateur c'est Turgesius le Danois. Le dénouement est beau. Turgesius est enchaîné par la jambe à un pilier sur le théâtre, et le roi Malachi lui adresse un discours qui ne ressemble pas mal à ceux de lord Castlereagh sur l'équilibre du pouvoir et le droit de légitimité, discours qui jette Turgesius dans un accès de rage, comme le feraient ceux de Castlereagh, si son auditoire était enchaîné par les jambes.--Il tire un poignard et s'élance sur l'orateur; mais, se voyant au bout de sa corde, il le plonge dans sa propre carcasse, et meurt en disant qu'il a accompli une prophétie.
»Or, voilà des faits exacts et sérieux, et la partie la plus grave d'une tragédie qui n'a pas été faite dans l'intention de la rendre burlesque. L'auteur a l'espoir qu'elle sera jouée.--Mais, qu'est-ce que l'espoir? rien que le fard dont nous parons la face de la vie, le moindre souffle de vérité le détruit, et nous voyons alors, sans déguisement, comme elle a les joues creuses. Je ne suis pas bien sûr de ne pas avoir déjà fait cette belle réflexion-là; mais n'importe, elle ira encore cette fois à la tragédie de Turgesius, à laquelle je puis l'appliquer.
»Eh bien! comment va la santé, ô toi, poète, non des mille, mais des trois mille! J'aurais bien voulu que votre ami, sir John Forté-Piano, eût gardé cela pour lui, et ne l'eût pas publié au jugement du marchand de chansons de Dublin, et je vais vous dire pourquoi: il y a de la libéralité à Longman de vous avoir donné ce prix, et il est honorable pour vous de l'avoir obtenu, mais ceci va déchaîner, contre l'heureux auteur, tous les juges faméliques et décharnés. Après tout, qu'ils aillent au diable!--Jeffrey et Moore, réunis, peuvent défier le monde avec leur plume.--À propos, le pauvre C...e, qui est un homme d'un talent admirable, et de plus dans le malheur, est sur le point de publier deux volumes de poésie et de biographie.--Il a été plus maltraité par les critiques que nous ne l'avons été nous-mêmes. Voulez-vous me promettre, si son ouvrage paraît, de faire un article en sa faveur, dans la Revue d'Édimbourg? Je pense bien que vous ne pourrez faire autrement que de lui donner des louanges; mais il faut aussi le bien louer, ce qui, de toutes les choses, est la plus difficile.--Cela fera sa réputation.
»Ceci doit rester secret entre nous, car il serait possible que ce projet ne plût pas à Jeffrey, ni probablement à C...e lui-même. Mais mon avis est qu'il n'a besoin que de quelqu'un qui lui prépare les voies, et d'une étincelle ou deux de courage pour fournir glorieusement sa carrière.
»Votre très-affectionné, B.
»P. S. Voici un ennuyeux griffonnage, mais ma première sera «plus de ce monde.»
Comme, après cette lettre, on ne trouve plus, dans sa correspondance, que des allusions très-rares à la part qu'il eut dans l'administration de Drury-Lane, je profiterai de cette occasion pour donner quelques extraits de ses Pensées détachées où l'on trouve ses souvenirs sur ses relations de courte durée avec l'intérieur du théâtre.
«Lorsque j'appartenais au comité de Drury-Lane, et faisais partie de la direction, il y avait environ cinq cents pièces dans les cartons. Imaginant que, dans le nombre, il devait y en avoir de bonnes, j'en fis l'examen en personne, et avec l'aide de mes collègues. Je ne sache pas que, de toutes celles qui me passèrent par les mains, il y en eût une seule qu'on pût décemment supporter.--On n'a jamais rien vu de semblable à quelques-unes d'elles! Mathurin m'avait été très-pressamment recommandé par sir Walter Scott à qui j'eus recours, d'abord dans l'espoir qu'il ferait lui-même quelque chose pour nous, et puis me flattant, dans mon désespoir, qu'il pourrait nous indiquer quelqu'auteur, jeune ou vieux, qui nous promettrait du succès. Mathurin m'envoya son Bertram avec une lettre, mais sans son adresse, ce qui m'empêcha d'abord de lui répondre. Lorsque je découvris enfin son adresse, je lui envoyai une réponse favorable, avec quelque chose de plus substantiel. Sa pièce réussit; mais j'étais à cette époque hors d'Angleterre.
»Je m'adressai aussi à Coleridge;--mais il n'avait rien de convenable sur le métier pour le moment. M. Sotheby nous offrit obligeamment toutes ses tragédies, et je m'engageai et réussis, en dépit de quelques discussions avec mes confrères du comité, à faire accepter Ivan. On en fit lecture, et les rôles furent distribués. Mais voilà que, lorsque tout était en train, un peu de tiédeur de la part de Kean, ou de chaleur du côté de l'auteur, porte ce dernier à retirer sa pièce Sir J.-B. Burgess nous avait aussi présenté quatre tragédies et une petite pièce, et j'avais mis tout en mouvement dans le comité et les coulisses, pour les faire recevoir, mais ce fut inutilement.
»Bon Dieu, par quelles scènes il m'a fallu passer!--Les auteurs, mâles et femelles, les modistes et les sauvages irlandais, les gens de Brighton, de Blackwall, de Chatham, de Cheltenham, de Dublin, de Dundee, qui venaient me tomber sur le dos, et qu'il était convenable de recevoir poliment, d'écouter, et dont même quelquefois il fallait supporter une lecture. Le père de Mrs. ***, maître de danse irlandais, à l'âge de soixante ans, vint me trouver pour me prier de lui faire jouer Archer en bas de soie blancs, par une journée de gelée, afin de montrer ses jambes qui, certainement, étaient belles et bien irlandaises pour son âge, et qui avaient encore été mieux;--miss Emma une telle, se présentant avec une pièce intitulée: le Brigand de Bohême, ou quelque titre de ce genre;--M. O'Higgins, alors résidant à Richmond, avec une tragédie irlandaise, où les unités ne pouvaient manquer d'être observées, puisque l'un des personnages principaux était enchaîné par la jambe à un pilier, pendant la plus grande partie de la pièce. C'était un homme à l'aspect farouche et sauvage et le seul moyen de s'empêcher de lui éclater de rire au nez, était de réfléchir aux résultats probables d'une telle gaîté.
»Comme je suis naturellement un individu honnête et poli et qui ne peut souffrir faire de peine à personne, quand il en peut être autrement,--je les ai renvoyés tous à Douglas Kinnaird, qui est un homme d'affaires, et n'est pas embarrassé de dire non: je les ai donc laissés s'arranger ensemble, et comme, au commencement de l'année suivante, je suis parti pour l'étranger, j'ai été fort peu au fait depuis de la marche des théâtres..............................................................
»On dit que les acteurs sont des gens intraitables, et c'est vrai; mais j'avais trouvé moyen d'éviter toute espèce de discussion avec eux, et à l'exception d'un démêlé 11, qui s'éleva entre Byrne l'aîné et miss Smith, au sujet de son pas de... j'oublie le terme technique, je ne me rappelle pas m'être jamais mêlé de leurs querelles. Je protégeais habituellement miss Smith, parce qu'elle ressemblait de figure à lady Jane Harley, et que les ressemblances ont beaucoup de pouvoir sur moi; mais en général j'abandonnais ces choses-là à mes collègues, qui prenaient à tout cela une part plus active que moi, et me reprochaient très-sérieusement de ne pouvoir me mêler de ces sortes d'affaires sans plaisanter avec les histrions, et m'accusaient de mettre tout en désordre par la légèreté avec laquelle je traitais ces importantes bagatelles.
Note 11: (retour) Un correspondant d'un des Monthly Miscellanies rapporte cette circonstance de la manière suivante:«Pendant l'administration de Lord Byron, Byrne l'aîné composa un ballet dans lequel miss Smith (depuis Mrs. Oscar Byrne) avait un pas seul. Cette demoiselle désira que ce pas fût introduit vers la fin du ballet; le maître de ballets s'y refusa, et la demoiselle jura qu'elle ne danserait pas du tout. La musique qui annonçait le pas commença, et la demoiselle sortit majestueusement du théâtre; les deux parties se précipitèrent dans les coulisses pour exposer leur affaire à Lord Byron, la seule personne qui s'y trouvât alors. Le noble membre du comité prononça en faveur de miss Smith, et les deux plaignans, irrités, s'élançaient dehors au moment où j'entrais moi-même.--Si vous étiez arrivé une minute plus tôt, me dit Lord Byron, vous m'auriez entendu prononcer dans une affaire curieuse, sur une question de danse, moi, ajouta-t-il en jetant un regard sur son pied difforme, moi à qui la nature, dès ma naissance, a défendu de faire un seul pas. Son front se rembrunit après avoir prononcé ces paroles, comme s'il eût regretté d'en avoir trop dit, et il y eut des deux côtés un moment d'un silence embarrassant.» (Note de Moore.)
»Puis venaient le petit comité et le haut comité.--Nous n'étions pas beaucoup, mais nous n'étions jamais d'accord.--C'était Peter Moore qui contredisait Kinnaird, et Kinnaird qui contredisait tout le monde:--et puis nos deux directeurs, Rae et Dibdin, et notre secrétaire Ward; et cependant nous étions tous très-zélés pour le bien du théâtre, et le désirions de très-bonne foi. *** nous avait fourni des prologues pour la reprise de nos vieilles pièces anglaises, mais il n'a pas été content de moi, parce que je lui ait fait le compliment qu'il était l'Upton de notre théâtre (c'est M. Upton qui était le poète d'Astleys 12), et cela est cause qu'il a presque renoncé aux prologues.
»Dans la pantomime qu'on joua en 1815 et 16, on avait introduit une représentation du bal masqué, donné par nous autres jeunes gens du club de Watier à Wellington et compagnie. Douglas Kinnaird, avec deux ou trois autres et moi-même, nous nous masquâmes et montâmes sur le théâtre avec οἱ πολλοί pour voir de la scène l'effet de la salle.--Cela me parut superbe.--Douglas se mit à danser parmi les figurans, et ils furent fort intrigués de savoir qui nous étions, s'étant aperçus qu'ils étaient plus que leur nombre. Il est assez étrange que Douglas Kinnaird et moi nous ayons été tous deux présens au véritable bal masqué, et ensuite à la pantomime qui en fut donnée sur le théâtre de Drury-Lane.»
LETTRE CCXXVIII.
A M. MOORE.
Piccadilly Terrace, 31 oct. 1815.
«Je n'ai pas pu m'assurer d'une manière précise du tems que dure la vente des fonds, mais je crois que c'est un bon moment pour s'en défaire, et je l'espère d'abord, parce que je vous verrai, et ensuite parce que je recevrai certaines sommes au profit de lady B., qui contribueront essentiellement à me mettre à mon aise, car (pour parler le langage des créanciers) j'ai besoin de compléter une somme.
»Hier j'ai dîné dehors avec une assez nombreuse société dans laquelle se trouvaient Shéridan et Colman, Harry Harris de C. G. et son frère, sir Gilbert Heathcote, Douglas Kinnaird et d'autres personnes de marque. Comme dans d'autres réunions de ce genre, le silence régna d'abord, puis l'on parla, puis on argumenta, puis on disputa; enfin, tout le monde voulant, parler à la fois, l'on ne s'entendit plus et l'on finit par se griser. Quand nous fûmes arrivés au dernier degré de cette glorieuse progression, ce ne fut pas chose facile que de descendre sans tomber; et pour couronner le tout, Kinnaird et moi, il nous fallut faire descendre à Shéridan un escalier en limaçon, qui a été certainement construit avant la découverte des liqueurs fermentées, et avec lequel il n'est pas de jambes, tant cagneuses qu'elles soient, qui puissent commodément s'arranger. Nous le déposâmes enfin, sain et sauf, chez lui, où son domestique, qui paraît fort habitué à ces sortes d'affaires, l'attendait dans le vestibule. Lui et Colman avaient été, selon leur coutume, très-amusans; mais j'emportais avec moi beaucoup de vin, et ce vin avait précédemment emporté ma mémoire, en sorte que tout fut hoquet et allégresse pendant la dernière heure, et il ne m'est rien resté de la conversation. Peut-être avez-vous entendu rapporter la réponse que fit dernièrement Shéridan au watchman, qui le trouva privé de cette «divine particule d'air» appelée raison................................................................... .......................................... ..........................................................................................
»Le watchman trouva donc Sherry dans la rue, ivre mort. «Qui êtes-vous, monsieur?» Pas de réponse. «Quel est votre nom?» Un hoquet. «Quel est votre nom?» Alors il répond d'un ton grave, lent et flegmatique: «Wilberforce!!!» N'est-ce pas là tout Shéridan? A mon avis, la réponse est excellente. Il a plus d'esprit dans son ivresse, que les autres à leur première pointe de gaîté.
»Mon papier est rempli, et j'ai un terrible mal à la tête.
»P. S. Lady B. avance rapidement. Le mois prochain donnera la lumière (avec l'aide de «Junon Lucine, fer opem», ou plutôt opes, car ce dernier est plus nécessaire) à la dixième merveille du monde,--Gil Blas étant la huitième, et le père de mon fils la neuvième.»
LETTRE CCXXIX.
A M. MOORE.
4 novembre 1815.
«Si vous ne m'aviez pas troublé la tête avec les fonds, votre lettre aurait eu une réponse immédiate. N'a-t-il pas fallu que j'aille dans la cité? n'a-t-il pas fallu me rappeler, en arrivant là, ce que j'y venais faire, et ne l'avais-je pas oublié?
»Je serais, sans aucun doute, enchanté de vous voir;--mais je n'aime pas à employer mes goûts personnels pour combattre vos motifs.--Vous viendrez et bientôt, car rester ne vous sera pas possible.--Je vous connais depuis long-tems, vous avez trop du vieux levain de Londres, pour en pouvoir rester long-tems absent.
»Lewis va à la Jamaïque sucer ses cannes à sucre. Il s'embarque dans deux jours. Je vous envoie ci-joint son billet d'adieu. Je le vis hier au soir à D. L. T., pour la dernière fois avant son départ. Pauvre diable!--c'est réellement un brave homme, un excellent homme.--Il m'a laissé sa canne et un pot de gingembre confit; je ne mangerai jamais de ce dernier sans avoir les larmes aux yeux.--C'est si brûlant!--Nous avons un bruit de diable parmi nos ballerinas.--On a fait une injustice à miss Smith, au sujet d'un pas écossais. Le comité s'en est mêlé; mais le maudit maître de ballet n'a pas voulu en démordre. Je suis furieux, et Georges Lamb aussi.--Kinnaird est fort content, il ne sait pas trop pourquoi; et moi je suis très-fâché, à peu près pour la même raison. Aujourd'hui je dîne avec Kinnaird, nous aurons encore Shéridan et Colman; et demain encore une fois chez sir Gilbert Heathcote...... ................................................
»Leigh Hunt a composé un poème vraiment bon et très-original, et qui, je crois, fera sensation. Vous ne pouvez imaginer à quel point il est bien écrit, et je ne m'en serais pas fait une idée moi-même, si je ne l'avais pas lu. Quant à nous, Tom, eh bien! quand allons-nous paraître? J'aimerais beaucoup mieux, si vous pensez que les vers en valent la peine, qu'ils fussent mêlés avec les Mélodies Irlandaises, que d'être imprimés séparément.--Mais quand votre chef-d'œuvre sera-t-il publié? Quand verrons-nous votre Shah Nameh?--Jeffrey est bien bon d'aimer les Mélodies Hébraïques. Il y a des gens ici qui préfèrent Sternhold et Hopkins, et qui en conviennent.--Que le diable emporte leurs ames, pour les punir d'un tel goût!
»Il faut que j'aille m'habiller pour dîner.--Pauvre cher Murat! quelle fin! Vous savez, je pense, que son panache blanc était comme celui d'Henri IV, le point de ralliement pendant une bataille.--Il refusa un confesseur et le bandeau qu'on lui offrait, ne voulant pas souffrir qu'on aveuglât ni ses yeux, ni son ame. Vous en apprendrez davantage demain ou le jour suivant.
»À jamais, etc.»
LETTRE CCXXX.
À M. MURRAY
4 novembre 1815.
«Quand vous serez en état de vous former une opinion sur le manuscrit de M. Coleridge, vous me ferez plaisir de me le rendre, parce que, dans le fait, je n'ai pas été autorisé à le laisser sortir de mes mains. J'en pense beaucoup de bien, et désirerais vivement que vous en fussiez l'éditeur; mais si vous n'y consentez pas, je ne désespère nullement de trouver quelqu'un qui s'en chargera.
»J'ai écrit à M. Leigh Hunt, pour l'informer que vous étiez disposé à traiter avec lui comme vous me l'avez fait entendre la dernière fois que je vous ai vu. Quant aux conditions et à l'époque, j'abandonne cela à sa volonté et à votre discernement.--Je dirai seulement que je regarde cette entreprise comme la plus sûre dont vous vous soyez jamais mêlé. Je vous parle comme à un spéculateur; si je devais vous parler comme lecteur et comme critique, je vous dirais que c'est une production admirable, qui n'a tout juste de défaut que pour en rendre les beautés plus remarquables.
»Et maintenant, pour en finir, parlons de mon poème, dont je suis honteux, après avoir nommé les autres.--Publiez-le ou non, comme vous voudrez, je n'y tiens pas le moins du monde. Si vous ne le publiez pas, il ne le sera jamais par aucun autre, et je n'y ai jamais songé que comme appartenant à la collection. S'il vaut la peine d'être mis dans le quatrième volume, placez-l'y, mais pas ailleurs; sinon jetez-le au feu.
»Tout à vous.»
Les embarras dont il avait craint de se voir prochainement entouré, en faisant une revue de ses affaires avant son mariage, ne tardèrent pas à réaliser ses plus sinistres présagés. L'augmentation de dépense que lui occasionnait son nouveau genre de vie, sans que ses moyens se fussent beaucoup accrus, les arriérés d'anciennes obligations pécuniaires, et des engagemens qui, depuis lors, s'étaient graduellement accumulés, se réunirent pour l'accabler de tout leur poids, et lui firent plus d'une fois connaître les plus cruelles humiliations de la pauvreté. La nécessité de satisfaire ses créanciers l'avait réduit au pénible expédient de vendre ses livres.--Cette circonstance étant venue aux oreilles de M. Murray, ce dernier se hâta de lui envoyer 1,500 livres sterling, avec l'assurance qu'une pareille somme serait à son service dans quelques semaines, et que si ce secours ne suffisait pas, M. Murray était prêt à lui remettre, pour son usage, la valeur des manuscrits de tous ses ouvrages.
C'est à cette offre généreuse que lord Byron répond dans la lettre suivante.
LETTRE CCXXXI.
A M. MURRAY.
14 novembre 1815.
«Je vous renvoie vos billets que je n'accepte pas, mais qui n'en sont pas moins honorés. Je recevrais de vous ce service, si je devais le recevoir de personne; mais si telle eût été mon intention, je puis vous assurer que je vous en aurais fait la demande franchement, et sans plus de réserve que vous n'en auriez mis à me le rendre, et je ne puis rien dire de plus de ma confiance et de vos procédés.
»Les circonstances qui me décident à me défaire de mes livres, quoiqu'assez pressantes, ne le sont pas d'une manière immédiate: je m'y suis résigné, ainsi n'en parlons plus.
»Si j'avais été disposé à abuser de la sorte de votre obligeance, je n'aurais pas attendu jusqu'à ce moment. Néanmoins je suis bien aise que vous m'ayez donné l'occasion de la refuser, puisque cela fixe mon opinion sur vous, et même me dispose à envisager la nature humaine sous un jour différent de celui où je m'étais habitué à la regarder.
»Croyez-moi très-sincèrement, etc.»
A M. MURRAY.
25 décembre 1815.
»Je vous envoie quelques vers écrits depuis longtems, et destinés à servir d'ouverture au Siége de Corinthe.--Je les avais oubliés, et ne suis pas bien sûr même à présent, s'il ne vaudrait pas mieux les laisser de coté.--Mais vous et votre conseil en décideront.
»Tout à vous.»
Voici les vers dont il est question dans ce billet. Ils sont écrits avec toute la liberté de ce genre de mesure vagabonde, que son admiration pour la Christabel de M. Coleridge lui avait fait alors adopter, et peut-être avait-il eu raison de juger qu'ils ne convenaient pas à l'ouverture de son poème. Cependant ils sont trop pleins de verve et de force pour rester inconnus. Quoiqu'il les eût composés au milieu de l'épaisse atmosphère de Piccadilly, on voit aisément que son imagination errait bien loin de là, sur les riantes collines et dans les heureuses vallées de la Grèce, et que le contraste de la vie monotone qu'il menait alors donnait à ses souvenirs un nouvel essor, une nouvelle énergie.
En l'an 1810 depuis que Jésus mourut pour les hommes, je faisais partie d'une brave troupe qui parcourait le pays à cheval, ou naviguait sur la mer. Oh! que nous allions d'un joyeux train, tantôt traversant la rivière à gué, tantôt gravissant la haute montagne. Jamais nos coursiers ne se reposaient pendant un jour: soit qu'une grotte et qu'une hutte nous servît d'asile, sur le lit le plus dur, nous jouissions d'un doux sommeil étendus sur notre grossière capote ou sur la planche plus grossière encore de notre léger bateau, la tête reposant sur nos selles en guise d'oreiller, nous ne nous en réveillions pas moins frais et dispos le lendemain. Nous donnions un libre essor à nos pensées, à nos paroles; nous avions en partage la santé et l'espérance, la fatigue, inséparable du voyage, mais nous ne connaissions pas le souci. Notre petite troupe était de toutes les langues, de toutes les croyances. Il y en avait qui disaient leurs chapelets, d'autres appartenaient à la mosquée, d'autres à l'église; quelques-uns, si je ne me trompe, n'appartenaient à rien. Enfin dans le monde entier on aurait cherché en vain une troupe plus joyeuse et plus bigarrée.
Mais les uns sont morts, les autres partis. Il y en a qui sont dispersés et solitaires dans ce monde, d'autres sont révoltés sur les montagnes qui dominent les vallées de l'Épire 13, où la liberté rallie encore ses forces par momens, et fait payer aux oppresseurs de leur sang les maux qu'ils lui ont faits. Quelques-uns sont dans de lointains pays, d'autres passent dans leurs foyers une vie inquiète, mais jamais plus ils ne se réuniront en troupe joyeuse pour courir le pays et se divertir.
Ces jours de fatigue s'envolaient gaiement, et maintenant quand je les vois se succéder d'une manière si triste, mes pensées, comme de légères hirondelles, traversent en l'effleurant l'Océan, et transportent de nouveau mon esprit, semblable à l'oiseau sauvage et fugitif, au milieu des espaces de l'air. Voilà ce qui sans cesse inspire mes chants, dans lesquels souvent, oh! trop souvent peut-être, j'implore ceux qui peuvent supporter mes vers, de me suivre dans cette terre lointaine.
Étranger, veux-tu, m'accompagner maintenant et venir t'asseoir avec moi sur la montagne qui domine Corinthe?
LETTRE CCXXXII.
À M. MOORE
5 janvier 1816
«J'espère que Mrs. M. est entièrement rétablie. Ma petite fille est née le 10 décembre dernier; on l'a nommée Augusta Ada (le second de ces noms est très-ancien dans la famille, et n'a pas été porté, je crois, depuis le règne du roi Jean). Elle est venue au monde, et est encore très-grasse et en très-bon état: on dit même qu'elle est très-forte pour son âge.--Elle ne fait que crier et téter:--cela vous suffit-il? Quant à la mère; elle se porte très-bien, et elle a recommencé à se lever.
»Il y a eu un an le 2 de ce mois que je suis marié--hélas!--Je n'ai vu personne depuis peu qui vaille la peine d'être cité, à l'exception de S*** et d'un autre général des Gaules, avec lesquels je me suis trouvé une ou deux fois à dîner dehors. S*** est un beau cavalier, à la tournure étrangère, à l'air scélérat et spirituel; au total, c'est un homme très-agréable. Son compatriote, qui est plus jeune que lui, tient plus du petit-maître; mais je ne lui crois pas les mêmes facultés intellectuelles qu'au Corse, car vous savez que S*** l'est, et de plus cousin de Napoléon.
»Est-ce qu'on ne vous verra plus jamais en ville? À la vérité, il n'y a pas ici un seul des quinze cents individus qui remplissent ordinairement les salons où l'on étouffe, et qu'on appelle le monde à la mode. Nous avons été retenus ici par l'approche de ma paternité, afin d'y être à portée des médecins; et quant à moi, il m'est aussi indifférent d'être ici que partout ailleurs, de ce côté du détroit de Gibraltar.
»J'aurais fait avec joie, ou plutôt avec tristesse, le chant funèbre que vous me demandez pour la pauvre fille 14 en question; mais comment me serait-il possible d'écrire sur quelqu'un que je n'ai jamais vu ni connu? D'ailleurs vous le ferez bien mieux vous-même. Moi, je ne puis composer sur rien sans en avoir quelque expérience personnelle ou en connaître les bases, à plus forte raison sur un sujet de cette nature. Pour vous, vous avez tout cela; et vous ne l'auriez pas que votre imagination y suppléerait:--ainsi, vous ne pouvez jamais manquer de réussir.
»Voilà un griffonnage bien insipide, et je suis moi-même un insipide personnage. Je suis absorbé par cinq cents réflexions contradictoires, quoique n'ayant en vue qu'un seul objet.--Mais n'importe, comme on dit quelque part, «l'azur du ciel s'étend sur tout le monde.» Je voudrais seulement que celui qui s'étend sur moi fût un peu plus bleu, un peu plus semblable «au ciel azuré avec lequel se confond le sommet bleuâtre de l'Olympe,» qui, par parenthèse, était tout blanc la dernière fois que je le vis.
»Toujours tout à vous.»
En lisant cette lettre, je fus frappé du ton de mélancolie qui y régnait; et sachant bien que celui qui l'écrivait avait coutume, lorsqu'il était tourmenté par quelque chagrin ou quelque dégoût, de chercher du soulagement dans ce sentiment de liberté qui lui disait qu'il existait pour lui au monde d'autres asiles, je crus apercevoir dans ses souvenirs du sommet bleuâtre de l'Olympe quelque retour de cet esprit inquiet et errant que le malheur ou l'irritation évoquait toujours en lui. Déjà, au moment où il m'envoya les vers mélancoliques: Il n'y a point de plaisir que le monde puisse donner, etc., etc., j'avais éprouvé quelque crainte vague sur cet accès d'abattement auquel je le voyais se livrer; et lui accusant réception de ses vers, j'avais cherché à l'en distraire par des plaisanteries. «Mais pourquoi donc retombez-vous ainsi dans l'ornière de la mélancolie, maître Stéphen? cela ne vaut rien du tout.--Il y aurait de quoi envoyer en diable tous les devoirs positifs de la vie, et il faut que vous lui disiez adieu. La jeunesse est le seul tems où l'on puisse être triste impunément; à mesure que la vie elle-même devient sérieuse et sombre, la seule ressource qui nous reste est d'être, autant que possible, tout le contraire.» Mon absence de Londres, pendant tout le cours de cette année, m'avait privé de pouvoir juger par moi-même du degré de bonheur que lui promettait sa situation domestique. Je n'avais rien appris non plus qui pût me porter à croire que le cours de sa vie conjugale fût moins paisible que ne le sont ordinairement de pareilles unions, du moins en apparence. Les expressions vives et affectueuses dont il s'était servi dans quelques-unes des lettres que j'ai données, pour m'assurer de son bonheur (assurance que sa franchise ne pouvait me rendre douteuse), avaient aussi puissamment contribué à calmer les craintes que le sort qu'il s'était choisi avait excitées en moi à la première vue. Je ne pus cependant m'empêcher de remarquer que ces indices d'un cœur content ne tardèrent pas à cesser. Il ne parla plus que rarement et avec réserve de la compagne de son existence, et quelques-unes de ses lettres me parurent empreintes d'un esprit d'inquiétude et d'ennui qui réveilla en moi toutes les sombres appréhensions avec lesquelles j'avais d'abord envisagé son sort. Cette dernière lettre surtout me frappa comme remplie des plus tristes présages; et dans le courant de ma réponse, je lui exprimai ainsi l'impression qu'elle avait faite sur moi. «Ainsi donc, il y a une année entière que vous êtes marie!
»L'an dernier je te protestais encore cette douce impossibilité.
»Savez-vous, mon cher B., qu'il y a quelque chose dans votre dernière lettre, une espèce d'inquiétude mystérieuse qui, jointe à l'absence totale de votre vivacité ordinaire, n'a cessé depuis de me tourmenter l'esprit de la manière la plus pénible? Il me tarde d'être près de vous pour connaître réellement ce que vous éprouvez, car ces lettres ne disent rien du tout, et un mot, a quattr'occhi, vaut mieux que des rames entières de correspondance. En attendant, dites-moi seulement que vous êtes plus heureux que votre lettre ne m'a porté à le croire, et je serai satisfait.»
Ce fut quelques semaines après cette lettre que lady Byron prit le parti de se séparer de lui. Elle avait quitté Londres à la fin de janvier pour aller voir son père dans le Leicestershire, et Lord Byron devait la suivre peu de tems après. Ils s'étaient séparés pleins de tendresse:--elle lui écrivit en route une lettre pleine d'enjouement et d'affection; et aussitôt qu'elle fut arrivée à Kirkby Mallory, son père écrivit à Lord Byron pour lui apprendre qu'elle ne retournerait plus vivre avec lui. Au moment où il reçut ce coup inattendu, ses embarras pécuniaires, qui s'étaient rapidement augmentés pendant le cours de la dernière année (puisqu'il n'y avait pas eu moins de huit à neuf saisies dans sa maison durant cette époque), étaient parvenus à leur comble; et au moment où, pour me servir de ses énergiques expressions, il était «seul dans ses foyers avec ses dieux pénates brisés et dispersés autour de lui,» il dut aussi recevoir la nouvelle foudroyante que la femme qui venait de le quitter en parfaite harmonie se séparait de lui--pour jamais.
Ce fut à peu près vers cette époque que le billet suivant fut écrit.
A M. ROGERS.
8 février 1816.
«Ne vous y méprenez pas;--je vous ai réellement rendu votre livre, par la raison que je vous ai dite, et pas autre chose: il a trop de valeur pour un individu aussi insouciant.--Je me suis défait de tous mes livres, et très-positivement je ne veux pas vous priver de la moindre «particule de cet homme immortel.»
»Je serai bien aise de vous voir, si vous voulez venir, quoique je lutte maintenant contre les traits et les flèches de la fortune cruelle, dont quelques-uns m'ont atteint d'un côté d'où assurément je ne les attendais pas. Mais n'importe, «il y a un monde ailleurs,» et je ferai de mon mieux pour m'ouvrir un chemin dans celui-là.
»Si vous écrivez à Moore, dites-lui que je répondrai à sa lettre quand je pourrai en trouver le tems et la force.
»Toujours tout à vous.» Bn.
Ce ne fut que plus d'une semaine après que le bruit de la séparation arriva jusqu'à moi, et je me hâtai de lui écrire en ces termes: «Je suis extrêmement anxieux d'avoir de vos nouvelles, quoique je ne sache pas trop si je dois parler du sujet qui cause toutes mes inquiétudes. Si cependant ce que j'ai appris hier par une lettre de Londres est vrai, vous comprendrez immédiatement ce que je veux dire, et vous m'en communiquerez autant ou aussi peu que vous croirez convenable; seulement je voudrais en savoir quelque chose de vous-même, aussitôt que possible, afin de pouvoir me fixer sur la vérité ou l'imposture du rapport qui m'a été fait.» Voici la réponse qu'il me fit.
LETTRE CCXXXIII.
A M. MOORE.
29 février 1816.
«J'ai été quelque tems sans répondre à votre lettre; et maintenant la réponse que j'aurais à faire à une partie de son contenu serait d'une telle étendue que je la retarderai jusqu'à ce que je puisse vous la donner en personne, et alors je l'abrégerai autant que possible.
»En attendant, je suis en guerre avec tout le monde et ma femme, ou, pour mieux dire, tout le monde et ma femme sont en guerre avec moi, et ne m'ont pas encore écrasé, quoi qu'ils puissent faire. Je ne sache pas que, dans le cours d'une vie pleine de vicissitudes, je me sois jamais trouvé, chez moi au dehors, dans une position plus complètement dénuée de plaisirs actuels et d'espérances futures. Je parle ainsi parce que c'est ainsi que je pense et que je sens; mais je n'en résisterai pas moins à cet état, malgré cette manière de l'envisager:--j'ai pris mon parti.
»Puisque nous en sommes là-dessus cependant, n'allez pas croire tout ce qu'on dit à ce sujet, et n'essayez pas de me défendre.--Si vous y réussissiez, ce serait me faire une offense mortelle ou, si vous voulez, immortelle. Qui peut supporter une réfutation? Je n'ai que très-peu de chose à répondre à ceux que cela regarde; et toute mon activité, jointe à celle de quelques amis énergiques, n'a pu encore découvrir aucun prétexte plausible de discuter cette affaire d'une manière expéditive avec personne, quoiqu'hier j'aie manqué d'en clouer un à la muraille, ce qu'il a évité par une explication satisfaisante, du moins au dire des individus présens: je parle des colporteurs de nouvelles, auxquels je ne porte pas d'inimitié, quoiqu'il me faille agir d'après le code ordinaire des usages, quand il m'arrive d'en rencontrer qui en valent la peine.
»Maintenant passons à un autre sujet, la poésie, par exemple. Le poème de Leigh Hunt est diablement bon: il est par-ci par-là un peu bizarre; mais avec le cachet d'originalité et la belle poésie qu'on y trouve, cet ouvrage doit rester. Je ne dis pas cela parce qu'il me l'a dédié, ce dont je suis au contraire très-fâché; car autrement, je vous aurais prié d'en faire la revue 15. Il me semble digne de grands éloges; et je pense qu'un article en sa faveur, dans la Revue d'Édimbourg, ne ferait que lui rendre justice, et le faire connaître aux yeux du public de la manière dont il mérite de l'être.
Note 15: (retour) Je retrouve la réponse que je fis à ce passage de sa lettre, relativement au poème de Hunt. «Quoiqu'il soit, je l'avoue, plein de beautés, et que j'en aime sincèrement l'auteur, je ne pourrais réellement entreprendre de le louer sérieusement. Il y a quelque chose qui prête tant au ridicule dans tout ce qu'il écrit, que je ne puis jamais prendre un ton vraiment pathétique en le lisant.» (Note de Moore.)»Comment vous portez-vous, et où êtes-vous? Je n'ai pas la moindre idée de ce que je vais devenir moi-même, et ne sais encore où j'irai et ce que je ferai. Il y a quelques semaines, je vous aurais écrit des choses qui vous auraient fait rire; mais on me dit maintenant que le rire ne me convient plus: aussi ai-je été et suis-je encore depuis très-sérieux.
»J'ai été un peu incommodé de la maladie de foie, mais je me porte mieux depuis quinze jours, quoique encore soumis aux ordonnances des gens de l'art. J'ai vu depuis peu............................................................ ............................................................................................
»Il faut que j'aille m'habiller pour dîner. Ma petite fille est à la campagne. On me dit que c'est un très-bel enfant; elle a maintenant près de trois mois: c'est lady Noël, ma belle-mère, qui la surveille à présent. Sa fille (ci-devant miss Milbanke) est, je crois, à Londres avec son père. Une certaine Mrs. C. (maintenant espèce de femme de chambre servant d'espion à lady N., et qui, dans un tems meilleur, a été blanchisseuse) est réputée, par les gens bien instruits, comme étant en grande partie la cause secrète de nos différends domestiques.
»Dans toute cette affaire, celui que je plains le plus c'est sir Ralph. Lui et moi sommes également punis, quoique magis pares quam similes dans notre affliction. Cependant, il nous est bien dur à tous deux de souffrir par la faute d'une seule personne; mais ainsi soit-il! je serai séparé de ma femme, et il gardera la sienne.
»Tout à vous.»
Dans ma réponse à cette lettre, écrite quelques jours après, il se trouve un passage où j'exprime une opinion qu'il eût été peut-être plus prudent de cacher, mais que je crois devoir extraire, parce que ceci amena, de la part de Lord Byron, un aveu singulièrement généreux, et également honorable pour les deux parties intéressées dans cette malheureuse affaire. Voici les termes dans lesquels je m'exprimais. «Je suis à peu près dans le même état que vous, relativement au sujet de votre lettre, ayant l'esprit rempli de beaucoup de choses que je ne sais comment écrire, et dont je remettrai la communication jusqu'à notre entrevue au mois de mai, où je vous appellerai en cause pour tous vos crimes et méfaits. En attendant, vous ne manquerez pas de juges, ni même de bourreaux, si on les en croyait. Le monde, dans son ardeur généreuse à embrasser le parti du plus faible, ne tarde pas à en faire le plus fort et le plus formidable. Je suis sincèrement affligé de ce qui s'est passé. Tous mes vœux et toutes mes théories sur l'influence que le mariage aurait sur votre vie en ont été renversés; car, au lieu de vous ramener, comme je l'espérais, dans un cercle régulier, il vous a rejeté encore une fois dans les espaces infinis, et vous laisse, à ce que je crains, dans un état bien pire que celui où vous étiez. Quant à votre défense, la seule personne avec laquelle je l'aie encore entreprise, c'est moi-même; et considérant le peu que je sais de l'affaire, ou plutôt peut-être par cette même raison, j'y ai passablement réussi. Après tout, votre malheur fut dans le choix que vous fîtes: il ne m'a jamais plu.--Mais je m'égare ici dans l'ἀπόῤῥητα et ferai mieux de changer ce sujet pour un autre plus agréable, vos derniers poèmes, par exemple, etc., etc.»
Le retour du courrier m'apporta la réponse suivante, qui, en excitant toute notre admiration pour la noble candeur de celui qui l'écrivit, fait paraître cette affaire sous un jour encore plus triste et plus étrange.
LETTRE CCXXXIV.
A M. MOORE.
8 mars 1816.
«Je me réjouis de votre nomination de président et intendant d'une institution de charité: ce sont là des dignités qui n'appartiennent qu'aux gens vertueux. Mais aussi, rappelez-vous que vous avez trente-six ans; j'en parle avec envie, non de votre âge, mais de l'honneur, de l'affection, de la déférence et des nombreux amis qui vous entourent.--Et moi, il me reste encore huit bonnes années à courir pour arriver à cette perfection grisonnante, à laquelle époque, si j'existe encore 16, je serai probablement dans un état de grâce et de mérite croissant.
Note 16: (retour) Ce triste doute, si j'existe encore, nous paraît aussi mélancolique qu'étrange, quand nous nous rappelons que ce fut effectivement à trente-six ans qu'il cessa d'exister, et à une époque où, comme ses ennemis eux-mêmes sont forcés d'en convenir, il était dans cet état de mérite croissant qu'il prévoit ici en plaisantant. (Note de Moore.)»Je dois cependant vous redresser sur un point. La faute ni même le malheur ne vient pas de mon choix (à moins que mon tort n'ait été d'en faire un quelconque); car je dois déclarer, au milieu de toute l'amertume dont me remplit cette funeste affaire, que je ne crois pas qu'un être meilleur et plus doux, et doué de qualités plus aimables et plus brillantes que lady B., ait jamais existé. Je n'eus jamais aucun reproche à lui adresser tout le tems qu'elle vécut avec moi; s'il y a des torts, ils ne peuvent être que de mon côté, et si je ne puis les effacer, je dois savoir les supporter du moins.
»Ses plus proches parens sont ***. Mes affaires ont été et sont encore dans le plus grand désordre; ma santé aussi a été fort dérangée, et mon esprit inquiet et troublé pendant très-long-tems. Telles sont les causes (dont je ne cherche pas ici à me faire une excuse) qui m'ont souvent jeté dans des excès, et m'ont rendu peu susceptible des douceurs de la vie domestique. Resté mon maître de très-bonne heure, et ayant déjà passablement couru le monde, les habitudes indépendantes et volages que j'en ai contractées ont pu aussi y contribuer pour quelque chose. Je persiste cependant à penser que si les circonstances m'eussent été plus propices, ou que ma position eût été du moins supportable, j'aurais pu m'en tirer honorablement; mais cette dernière me paraît désespérée, et il est inutile d'en parler davantage. À présent, à l'exception de ma santé qui est meilleure (car il est étrange à quel point l'agitation et les contradictions d'un genre quelconque redonnent d'élasticité à mon esprit et me remontent momentanément), à présent, dis-je, j'ai à lutter contre toute espèce de désagrémens, contre toutes sortes de tourmens domestiques et pécuniaires.
»Je crois vous avoir déjà dit cela, mais je me hasarde à le répéter. Les privations de l'adversité, ou plutôt de la mauvaise fortune, ne sont rien pour moi, mais ce sont ses outrages qui révoltent mon orgueil. Cependant je n'ai pas à me plaindre de ce même orgueil qui, je pense, me servira d'égide contre tous les assauts. Si mon cœur avait pu se briser, il l'aurait été il y a quelques années, et par des événemens plus affligeans que ceux-ci.
Je conviens avec vous (afin de changer ce sujet pour en revenir à notre boutique), je conviens, dis-je, que j'ai trop écrit. Mes derniers ouvrages cependant n'ont été publiés qu'avec beaucoup de répugnance de ma part, et par des motifs que je vous expliquerai quand nous nous verrons. Je ne sais pas pourquoi je me suis autant appesanti sur les mêmes scènes, à moins que, m'apercevant qu'elles s'affaiblissaient ou devenaient confuses dans ma mémoire, au milieu de tant de sensations tumultueuses, je n'aie désiré en fixer l'empreinte avant que la planche n'en fût usée.--Maintenant je la brise: c'est au milieu de ces pays-là et des événemens qui s'y rattachent que mes sensations vraiment poétiques ont commencé et fini. Je m'essaierais en vain sur tout autre sujet, et j'ai presque épuisé celui-là. «Malheur, dit Voltaire, à celui qui a dit tout ce qu'il a pu dire sur un sujet.» Il en est sur lesquels j'aurais pu m'étendre davantage; mais je renonce à tout cela maintenant, et ce n'est pas trop tôt.
»Vous rappelez-vous les vers que je vous ai envoyés au commencement de l'année dernière, et que vous avez encore? Je ne prétends pas, comme M. Fitzgerald dans le Morning-Post, m'attribuer le caractère de Vates; mais n'étaient-ils pas, en quelque sorte, prophétiques? Je veux parler de ceux qui commencent ainsi: Il n'est pas de plaisir que le monde puisse donner, etc., etc. Je mets quelque gloire à ces vers, comme ce que j'ai écrit de plus vrai et de plus mélancolique dans ma vie.
»Quel griffonnage je vous envoie! Vous ne me dites rien de vous, à l'exception que vous êtes marguillier lancastrien, et le protecteur de la mendicité. Quand publiez-vous, et comment se porte votre famille? Mon enfant va bien, et son état est florissant, à ce qu'on me dit, mais il faut aussi que je le voie. Je ne suis pas très-porté à l'abandonner à la contagion de la société de sa belle-mère, quoiqu'il me répugne de l'enlever à sa mère.--Elle est sevrée, cependant, et il faut se décider à quelque chose.
»Toujours tout à vous, etc.»
Ayant déjà exposé à mes lecteurs une partie des opinions que je m'étais formées sur le mariage de Lord Byron, à une époque où, loin de prévoir que je deviendrais un jour son historien, je ne pouvais être aucunement influencé par la partialité qu'on suppose toujours attachée à ce caractère, il me sera peut-être encore permis d'extraire de ma réponse à la lettre précédente quelques phrases d'explication que son contenu m'avait semblé demander.
«Je n'avais certainement aucun droit de rien dire sur le malheur de votre choix, quoique je m'applaudisse maintenant de l'avoir fait, puisque cette réflexion a amené de votre part un tribut qui, tout en rendant cette affaire plus mystérieuse et plus inexplicable que jamais, est également honorable aux deux parties. En vous exprimant mes doutes sur l'objet de votre choix, j'étais bien loin de vouloir attaquer le moins du monde un caractère que le monde s'accorde unanimement à trouver parfaitement aimable et estimable. Je craignais seulement qu'elle n'eût été trop parfaite, trop scrupuleusement parfaite, en un mot, un modèle de vertu trop sévère pour que vous pussiez vivre à votre aise avec elle; et qu'une personne d'une perfection moins rigoureuse, et dont les vertus auraient été tempérées par quelques-uns de ces charmans défauts qui savent si bien inspirer l'amour, plus dépendante de votre protection, aurait eu plus de chance de bonheur avec vous, en raison de votre bonté naturelle. Quoi qu'il en soit, j'ai été amené à faire toutes ces suppositions par le désir ardent que j'éprouve de vous justifier de tout ce qui pourrait ressembler à un abandon capricieux d'une telle femme; et, dans l'ignorance où je suis de toutes les circonstances relatives à votre séparation, vous ne pouvez concevoir la sollicitude, l'inquiète sollicitude avec laquelle je me prépare à entendre de votre propre bouche, quand nous nous verrons, le récit de toute cette affaire, récit où je suis sûr de voir briller au moins une vertu:--votre noble candeur.»
Il me semble assez inutile, ayant, comme nous l'avons, sous les yeux le caractère des deux époux, d'aller chercher bien loin les causes secrètes qui amenèrent leur séparation. J'ai déjà, en me livrant à quelques observations sur le caractère des hommes de génie en général, essayé d'indiquer les singularités appartenantes à leur naturel et à leurs habitudes qui les rendaient la plupart du tems incapables de bonheur domestique. Il était impossible que, comme la classe fatalement privilégiée à laquelle il appartenait, Lord Byron n'eût pas hérité de quelques-uns de ces défauts, qui servent d'ombres au génie, et existent en proportion de son étendue. On verra, par l'anecdote suivante qu'il raconte lui-même, jusqu'à quel point une des propensions de son caractère, et la plus capable de flétrir le bonheur, avait été comprise par la personne la plus intéressée à l'observer.
«Quelques personnes se sont étonnées de la mélancolie qui règne dans mes écrits. D'autres ont été surprises de ma gaîté personnelle. Mais je me rappelle une réponse que me fit ma femme un jour que j'avais été extrêmement gai et de très-bonne foi, et même assez brillant dans la conversation. Je lui disais, sur la remarque qu'elle avait faite de ma gaîté:--Et cependant, Bell, on s'est obstiné à dire que j'étais mélancolique, et vous avez dû voir souvent à quel point cela était faux.--Non, Byron, me répondit-elle, vous êtes au fond du cœur le plus mélancolique des hommes, et souvent même quand vous en paraissez le plus gai.»
A ces défauts et à ces inégalités qui tenaient à la susceptibilité de ses sensations, il en ajoutait d'autres résultant d'une longue habitude d'indépendance, et les plus en opposition (si son bon naturel ne les eût adoucis) avec ce système de concessions et de sacrifices mutuels qui peut seul maintenir l'équilibre de la paix domestique. Quand nous réfléchissons à la carrière déréglée dont son mariage devait être le terme, à la manière errante et volage dont sa vie s'était écoulée, semblable à une traînée de feu, au milieu d'un enchaînement de courses lointaines, d'aventures, de bonnes fortunes, et de passions dont la fièvre n'était pas encore calmée, lorsqu'avec la même imprévoyante précipitation il conclut brusquement ce mariage, on doit peu s'étonner que, dans le court espace d'un an, il n'ait pas été capable de revenir tout-à-fait de ses écarts, et de conformer sa conduite à cette régularité monotone qu'en exigeaient les espions officieux de son intérieur. On aurait pu tout aussi bien s'attendre à voir un coursier comme celui de son Mazeppa.
Farouche et indompté comme le daim sauvage, n'ayant jamais été souillé par l'éperon ou la bride, et captif depuis un jour seulement, rester tranquille quand on le tenait en bride, sans s'irriter et ronger son frein. Quand bien même son nouvel état eût été rempli de prospérité et de douceur, il aurait encore fallu accorder quelque tems et quelqu'indulgence à un esprit aussi inquiet pour qu'il pût s'accoutumer au repos; mais son mariage, au contraire (probablement à cause du bruit qui courut qu'il avait épousé une héritière), fut le signal qui fit fondre sur lui toutes les dettes arriérées, et les anciens engagemens que l'embarras de ses affaires l'avait forcé d'accumuler. Sa porte était journellement assaillie par des créanciers, et sa maison fut neuf fois en un an au pouvoir des huissiers 17; tandis que, pour ajouter à toutes ces anxiétés, et, ce qu'il sentait bien plus profondément encore, à tous ces outrages de la pauvreté, il avait en outre le chagrin de croire, à tort ou à raison, qu'il était surveillé par des ennemis et des espions, jusque sous son propre toit, et que chaque parole, chaque regard qui lui échappait, était interprété de la manière la plus perfide.
Note 17: (retour) On trouve dans son journal une anecdote qui se rapporte à cette circonstance.«Quand l'huissier (car j'ai connu un peu de tout dans ma vie) vint, en 1815, faire une saisie chez moi (comme membre du parlement il n'avait aucun droit sur ma personne) je commençai par lui demander, étant naturellement un peu curieux, s'il avait encore d'autres saisies à exécuter. Là-dessus il m'en montra une pour 78,000 liv. st. sur une seule maison seulement. Je voulus savoir ensuite s'il n'avait rien contre Shéridan. «Oh! Shéridan, dit-il en tirant son portefeuille, oui, oui, j'ai ceci, etc.; mais, Mylord, je suis resté une fois un an de suite chez Shéridan: c'est un homme très-bien élevé, et qui sait comment on en use avec nous, etc.» Nous discutâmes ensuite notre affaire, ce qui n'était pas chose facile pour moi à ce moment; mais cet homme était poli, et, ce que j'aime mieux encore, communicatif. J'avais vu plusieurs de ses confrères, quelques années auparavant, dans des affaires qui concernaient des amis qui n'appartenaient pas à la noblesse, mais c'était la première ou la seconde fois que j'en voyais un pour mon propre compte. C'était un homme poli, qui fut payé en conséquence, et qui probablement s'y attendait.» (Note de Moore.)
Comme, en raison de leur peu de moyens, sa femme et lui ne voyaient que fort peu de monde, il n'avait de distraction, aux sombres pensées qu'excitaient en lui les difficultés dont sa vie était assiégée, que dans les occupations qui lui étaient imposées comme membre du comité de Drury-Lane. Et c'est à sa malheureuse liaison avec le théâtre qu'est attachée une des fatalités qui marquèrent sa courte année d'épreuve comme époux. D'après la réputation de galanterie qu'il s'était déjà faite, et l'insouciante légèreté à laquelle il s'abandonnait souvent, quand au fond son ame était rongée d'amertume, il ne fut pas difficile de jeter du soupçon sur quelques-unes des connaissances que ses rapports fréquens avec les coulisses l'avaient amené à faire, comme il arriva dans une circonstance où le nom d'une personne à laquelle il avait à peine adressé une fois la parole, fut compromis de la manière la plus offensante.
Cependant, malgré ce fatal concours de circonstances qui aurait dû pallier les écarts de caractère ou de conduite où il fut entraîné, je suis persuadé, après tout, que ce n'est pas à des causes aussi sérieuses, qu'il faut attribuer la malheureuse mésintelligence qui se termina bientôt par une séparation. «Dans tous les mariages que j'ai vus, dit Steele, et qui, pour la plupart, ont été malheureux, la grande cause du mal est souvent née des circonstances les plus frivoles;» et je crois qu'en examinant bien le fond des choses, celui dont nous nous occupons maintenant ne ferait pas une grande exception à cette remarque. Lord Byron, lui-même, étant à Céphalonie, quelque tems avant sa mort, exprima en quelques mots tout le fond du mystère. Un Anglais, avec lequel il causait de lady Byron, s'étant hasardé à lui énumérer les différentes causes auxquelles il avait entendu attribuer leur séparation, le noble poète, qui parut s'amuser beaucoup de tout ce qu'elles avaient de faux et de ridicule, lui dit, après l'avoir écouté jusqu'au bout: «Les causes, mon cher monsieur, étaient trop simples pour être aisément devinées.»
Dans le fait, les circonstances sans exemple qui accompagnèrent cette séparation, les dernières paroles pleines d'enjouement et d'affection que la femme, adressa au mari en le quittant, tandis que l'époux abandonné ne cessa de parler de sa femme avec les plus tendres éloges, nous prouvent assez qu'au moment où ils se séparèrent, ils ne pouvaient éprouver, l'un contre l'autre, aucun ressentiment bien profond. Ce ne fut qu'après, qu'une force répulsive agit sur ces deux cœurs, lorsque la partie qui avait fait le premier pas décisif crut son orgueil engagé à persévérer avec dignité dans cette même route, et que cette inflexibilité provoqua, comme on devait s'y attendre, dans l'ame fière de l'autre, un profond ressentiment qui finit par se manifester par l'amertume et le dédain. S'il est néanmoins quelque vérité dans cet axiome qui dit «que ceux qui ont commis l'offense ne pardonnent jamais,» Lord Byron, qui fut, jusqu'au dernier moment, disposé à une réconciliation, prouva du moins que sa conscience ne lui reprochait pas de torts bien graves comme agresseur.
Mais quoiqu'il eût été difficile peut-être aux victimes de cette désunion, d'en indiquer ou d'en définir une seule cause, outre cette incompatibilité d'humeur, qui est l'écueil ordinaire de tous les mariages de ce genre, le public, qui ne veut jamais être pris en défaut dans ces occasions, eut, comme de coutume, une bonne provision de motifs pour expliquer cette rupture, tous tendant à noircir le caractère du poète auquel il prêtait déjà des couleurs si sombres, et le représentant comme un monstre accompli de dépravation et de cruauté. La réputation de l'objet de son choix qui lui attribuait toutes les vertus possibles, cette réputation qui, je n'en doute pas, avait été pour lui une des causes déterminantes de ce mariage, par la vanité qu'il mit à obtenir un tel modèle de vertu (tout en passant dans le monde pour un réprouvé), fut ce qui donna à ses adversaires des armes contre lui, non-seulement pour en faire un contraste avec son propre caractère, mais comme si les perfections de la femme étaient des preuves positives de tous les méfaits dont il leur plaisait d'accuser le mari.
Cependant le silence inflexible que (par des motifs de générosité et de délicatesse, sans doute) sa femme elle-même ne cessait d'opposer aux demandes répétées qui lui étaient faites, de spécifier les torts qu'elle avait à lui reprocher, laissa à l'imagination et à la méchanceté le champ le plus vaste pour exercer leur activité. On rapporta donc, et on crut presqu'universellement, que la seconde proposition de mariage du noble lord à miss Milbanke n'avait été faite que dans le but de se venger de l'affront d'un premier refus, et qu'il le lui avait avoué lui-même en allant à l'église. À l'époque où, comme le lecteur l'a vu dans ses lettres écrites pendant sa lune de miel, il se croyait de la meilleure foi du monde au sein du bonheur, et se vantait même, dans l'orgueil de son imagination, que si le mariage se faisait à bail, il renouvellerait avec joie le sien pour quatre-vingt-dix-neuf ans, à cette même époque, s'il en faut croire ses véridiques historiens, il s'occupait à poursuivre le sombre projet de vengeance dont on vient de parler, et à tourmenter sa femme par toute espèce d'actions lâches et cruelles,--telles que de décharger des pistolets pour l'effrayer pendant qu'elle était au lit 18, et autres fantaisies de même genre.
Note 18: (retour) Il y avait cependant une espèce de fondement à ce conte, dans l'habitude qu'il avait prise dès son enfance d'avoir toujours des pistolets chargés auprès de lui la nuit, habitude qu'on regarda comme un penchant si bizarre, qu'elle fut ajoutée à la liste des symptômes (portés, je crois, au nombre de seize) qui furent soumis à l'opinion des médecins comme preuve d'un dérangement intellectuel. Un autre de ces symptômes était l'impression presque convulsive que Kean avait produite sur lui dans le rôle de sir Giles Overreach. Mais le motif le plus plausible (comme il en convenait lui-même) sur lequel reposait cette accusation de démence, était un acte de violence qu'il avait fait tomber sur une vieille montre qu'il possédait dès l'enfance, et qu'il avait portée en Grèce avec lui. Dans un accès de désespoir et de rage causé par quelqu'une de ces difficultés humiliantes auxquelles il était journellement en proie, il lança la montre avec fureur sur le foyer, et la brisa en mille morceaux au milieu des cendres avec les pincettes. (Note de Moore.)J'ai déjà dit quelque chose de la fausseté des liaisons de coulisse qui lui furent attribuées, surtout avec une de nos belles actrices à qui il avait à peine parlé une fois. Mais l'extrême confiance avec laquelle ce conte fut mis en circulation et généralement cru donne un assez bon échantillon de l'espèce de témoignage dont le public se contente dans ses accès de vertueuse indignation. Il est cependant très-loin de mes intentions d'alléguer que, dans le cours de ses relations avec le théâtre, le noble poète ne fut pas quelquefois entraîné dans un genre de société inconvenant, sinon dangereux à la régularité de la vie conjugale. Mais les accusations portées contre lui sur ce point; en ce qu'elles attaquent son caractère d'époux, n'en sont pas mieux fondées, la seule circonstance qui eût pu réellement donner matière à cette imputation n'ayant eu lieu qu'après sa séparation.
Ne se contentant pas de ces charges ordinaires et palpables, la voix publique s'enhardit à aller encore plus loin, et se prévalant du mystérieux silence que gardait l'une des parties, elle osa se répandre en sombres suggestions, en insinuations vagues, que l'imagination de chaque auditeur fut libre d'interpréter comme il lui plut. La conséquence de toutes ces calomnies fut que le cri public s'éleva contre Lord Byron, comme on n'en avait peut-être jamais vu d'exemple dans la vie privée: et toute la gloire qu'il s'était acquise pendant le cours des quatre années qui venaient de s'écouler n'avait pas surpassé de beaucoup les reproches et les accusations calomnieuses qui, dans l'espace de quelques semaines, avaient fondu sur lui. Outre ceux qui croyaient de bonne foi à des excès que les apparences ne rendaient que trop probables, et qui les réprouvaient également, soit qu'ils le considérassent comme poète, ou comme homme du monde, il y avait aussi sans cesse sur le qui vive, cette classe nombreuse et active de gens qui regardent la haine des vices des autres comme équivalant à la vertu, ainsi que ces ennemis naturels de tous les succès qui, ayant long-tems souffert de la gloire du poète, purent alors, sous le masque de champions de l'innocence, accabler l'homme de toute leur malignité. Journaux, libelles, caricatures, tout fut employé pour livrer son caractère à la haine publique 19. À peine une voix s'éleva-t-elle en sa faveur, ou fut-elle écoutée; et, quoiqu'un petit nombre d'amis fût resté inébranlable à ses côtés, ils désespérèrent totalement, ainsi que lui-même, de parvenir à arrêter ce torrent, et, après s'être efforcés deux ou trois fois en vain de se faire entendre, ils se résignèrent au silence. Au nombre des tentatives qu'il fit pour confondre ses calomniateurs, est un appel (tel que celui qui est contenu dans le billet suivant) à quelques-uns de ceux avec lesquels il avait continué de vivre familièrement.
Note 19: (retour) L'extrait suivant d'un poème qui fut publié à cette époque donnera quelque idée de la manière dont on l'injuriait.«Loin de l'Angleterre, sa terre natale, qui toléra trop long-tems le continuel refrain de ses chants profanes, il va, déjà blanchi dans le vice à son début dans la vie, poursuivie une carrière toute pleine de crimes et de folies, et chercher sous un ciel étranger une existence plus en rapport avec la perversité de son ame, dans d'autres climats où son goût blasé et ses regards impies s'attendent à de nouveaux plaisirs. Il fait sagement de chercher une plage ignorée, où on l'estimera d'autant plus qu'on le connaîtra moins.»
Dans un libelle rimé, intitule Épître poétique de Délia à lord Byron, l'auteur s'exprime de cette charitable manière:
«Sans espoir de repos ici-bas, et, pensée accablante! éloigné de ce ciel qui repousse ceux qui ne le cherchent pas, ton éclat n'est que celui d'un phare, ton nom un opprobre; ta mémoire est condamnée à une honteuse et éternelle célébrité. Évité du sage, admiré du sot seulement, les bons pleureront sur ton sort, et les Muses te désavoueront.» (Note de Moore.)
LETTRE CCXXXV.
À M. ROGERS
25 mars 1816.
«Vous êtes du petit nombre de ceux avec lesquels j'ai vécu dans l'intimité, et vous m'avez entendu converser quelquefois sur le pénible sujet de mes derniers chagrins domestiques. Je vous prie de me dire franchement si vous m'avez jamais entendu parler d'elle d'une manière irrespectueuse ou défavorable, ou si je me suis jamais défendu à ses dépens, en reportant sur elle aucune imputation sérieuse? Ne m'avez-vous pas ouï dire que, lorsqu'il y avait entre nous tort ou raison, la raison était toujours de son côté? Je ne vous fais ces questions à vous et à mes autres amis, que parce que je suis accusé, dit-on, par elle et les siens, d'avoir eu recours à ces moyens-là pour me disculper.
»Toujours tout à vous,»
B.
Dans les Mémoires, ou, pour mieux dire, le Memoranda du noble poète qu'on crut devoir sacrifier pour divers motifs, il faisait le récit détaillé de toutes les circonstances qui se rattachaient à son mariage, depuis ses premières propositions à miss Milbanke, jusqu'à son départ d'Angleterre, après leur rupture. Quoique effectivement, le titre de Mémoires qu'il donnait quelquefois lui-même à ce manuscrit, nous transmette l'idée d'une biographie complète et régulière, c'était à cette époque particulière de sa vie que cet ouvrage était surtout consacré, tandis que les anecdotes qui se rapportaient aux autres parties de sa carrière y tenaient non-seulement très-peu de place, mais étaient la plupart de celles qu'on trouve répétées dans les divers fragmens de journal, et les autres manuscrits qu'il laissa après sa mort. Le principal charme, en effet, de cette narration, est le ton d'enjouement mélancolique (je dis mélancolique, car on voit que toutes ces plaisanteries partaient d'un cœur blessé) avec lequel des événemens sans importance, et des personnages sans intérêt autre que leur rapport avec la destinée d'un tel homme, y sont représentés et décrits. Aussi franc que de coutume dans l'aveu de ses torts, et plein de générosité dans la justice qu'il rendait à celle qui avait partagé avec lui la douleur de cette désunion, l'impression que laissa son récit dans l'esprit de tous ceux qui l'entendirent, lui fut toute favorable, quoique le résultat qu'on en pût tirer, d'accord avec l'opinion que j'ai déjà exprimée, fût que les causes de cette séparation ne différaient pas beaucoup, par leur nature et leur importance, de celles qui portent la discorde dans la plupart des mariages de ce genre.
Quant aux détails eux-mêmes, quoique pleins d'importance pour lui à cette époque, comme se rattachant au sujet qui, plus que tout autre, occupait ses pensées, l'intérêt qu'ils pourraient offrir aux autres, maintenant que le premier attrait de la curiosité est passé, et que la plupart des individus auxquels ils se rapportent sont oubliés, serait trop faible pour me justifier de m'y arrêter, et de courir le risque d'offenser quelqu'un en les dévoilant. Dans tout ce qui concerne le caractère du poète illustre qui fait le sujet de cet ouvrage, je suis convaincu que le tems et la justice feront bien plus en sa faveur que tout ce commérage de détails. Pendant la vie d'un homme de génie, le monde n'est que trop porté à le juger d'après ce qui lui manque, plutôt que d'après ce qu'il possède, et même avec la conviction, comme dans le cas actuel, que ses défauts sont en partie les causes de sa grandeur, il s'obstine déraisonnablement à vouloir trouver en lui l'une exempte des autres. Si Pope n'avait pas été irritable et atrabilaire, nous n'aurions pas eu ses satires, et il fallait un tempérament impétueux et des passions indomptées, pour former un poète tel que Lord Byron.
C'est la postérité seule qui peut rendre pleine justice à ceux qui ont payé si cher la gloire d'y arriver. L'alliage qui se mêlait jadis à leur or disparaît, et les faiblesses et même les infortunes du génie sont effacées par sa grandeur. Qui s'inquiète maintenant de savoir si Dante avait tort ou raison dans ses démêlés domestiques? Et combien en est-il, parmi ceux dont l'imagination s'arrête avec complaisance sur sa Beatrix, qui se rappellent seulement le nom de sa Gemma Donati?
Tel court qu'ait été l'intervalle depuis la mort de Lord Byron, l'influence charitable du tems qui adoucit et souvent annule les jugemens rigoureux du monde contre le génie, se fait déjà sentir. On commence à comprendre et à reconnaître enfin, maintenant que son esprit a passé de ce monde, la totale déraison de vouloir juger un tel caractère d'après les règles ordinaires, et de s'attendre à trouver les élémens de l'ordre et du bonheur dans une ame des profondeurs de laquelle s'échappaient continuellement «des flots de lave.» En revenant sur les circonstances de son mariage, la balance est tenue d'une main plus juste, et tout en accordant un légitime tribut d'intérêt et de compassion à celle qui, pour la fatalité de son repos, fut enveloppée dans la même destinée, qui, avec les vertus et les talens qui auraient fait le bonheur d'un homme ordinaire, entreprit dans un funeste moment de maîtriser «le fougueux Pégase,» et échoua dans une tâche où il n'est pas sûr que la plus capable de l'accomplir eût réussi,--on juge enfin, avec plus d'indulgence, ce grand génie martyr de lui-même, chez qui tant d'autres causes, outre la flamme inquiète qui brûlait dans son sein, se réunissaient pour jeter le désordre dans son esprit, et comme il le dit lui-même si expressivement, «le rendre impropre au bonheur,» son sort fut d'être tel qu'il a été ou moins grand.--En domptant cette ame impétueuse, on eût peut-être éteint le feu sacré qui la dévorait, car il n'exista jamais un individu auquel, comme auteur ou comme homme, le vers suivant paraisse plus applicable:
Si non errasset, fecerat ille minus 20.
Pendant le cours de ces événemens, dont sa mémoire et son cœur conservèrent des traces si douloureuses pendant le reste de sa courte vie, il se présenta quelques circonstances relatives à sa vie littéraire, sur lesquelles nous appellerons maintenant l'attention du lecteur, éprouvant une espèce de soulagement à la détourner du pénible sujet sur lequel nous nous sommes arrêtés si long-tems.
La lettre qui suit est une réponse à une autre qu'il avait reçue de M. Murray, et dans laquelle ce dernier lui envoyait un bon de 1,000 guinées pour les manuscrits de ses deux poèmes, le Siége de Corinthe et Parisina.
LETTRE CCXXXVI.
A M. MURRAY.
2 janvier 1816.
«Votre offre est libérale à l'excès (vous voyez que je me sers de ce mot en parlant de vous, et à vous, quoique je n'aie pas voulu consentir à ce que vous vous l'appliquassiez avec M. ***). C'est beaucoup plus que les deux poèmes ne peuvent réellement valoir; mais je ne puis et ne veux l'accepter. Je vous laisse parfaitement libre de les joindre à la collection, sans aucune demande ou attente quelconque de ma part; mais je ne puis consentir à ce qu'ils soient publiés séparément. Je ne veux pas risquer le peu de réputation (méritée ou non) que j'ai pu acquérir sur des compositions qui, dans mon opinion, sont très-inférieures à ce qu'elles devraient être (et, comme je m'en flatte même, à quelques-unes des autres), quoiqu'elles puissent fort bien passer comme des choses sans prétentions, et pour grossir la publication avec d'autres pièces fugitives.
»Je suis bien aise que l'écriture vous ait fait présager favorablement de la morale de l'ouvrage,--mais il ne faut pas vous fier à cela, car mon copiste écrit tout ce que je lui dicte, avec toute l'ignorance de l'innocence. J'espère cependant dans ce cas qu'il n'y a pas grand danger ni pour l'une ni pour l'autre.
»P. S. Je vous ai renvoyé votre bon déchiré, de crainte qu'il n'arrivât quelqu'accident en route. Je vous prie de ne pas faire naître les tentations sur la mienne. Ce n'est pas par mépris de cette idole universelle, ni qu'il y ait chez moi maintenant de superflu en fait de trésors; mais ce qui est juste est juste, et ne doit pas céder aux circonstances.»
Malgré la ruine de sa fortune, le poète continua de regarder comme sacrée la résolution qu'il avait prise de ne pas se servir du produit de ses ouvrages, et il refusa, comme nous venons de le voir, la somme qui lui fut offerte des manuscrits du Siége de Corinthe et de Parisina, somme qui demeura intacte entre les mains de l'éditeur. Il arriva vers le même tems, à un écrivain célèbre sur la politique, de se trouver réduit, par quelque malheur, à de grands embarras pécuniaires, et cette circonstance étant venue à la connaissance de M. Rogers et de sir James Mackintosh, ils pensèrent qu'une partie de la somme que Lord Byron laissait ainsi sans emploi, ne pouvait être mieux placée qu'à venir au secours de cet auteur. Cette idée ne fut pas plus tôt suggérée au noble poète, qu'il agit immédiatement en conséquence, et la lettre suivante, adressée à M. Rogers, est relative à ses intentions à cet égard.
LETTRE CCXXXVII.
À M. ROGERS.
20 février 1816.
«Je vous ai écrit ce matin à la hâte, par le canal de Murray, pour vous dire que je ferai avec plaisir ce que vous et Mackintosh m'avez suggéré au sujet de M. ***. Mais comme je n'ai jamais vu M. *** qu'une seule fois, et n'ai aucun titre à sa connaissance, je pense qu'il vaudra mieux que sir J. et vous arrangiez cette affaire de la manière la moins offensante pour sa délicatesse, et sans qu'il y ait de ma part apparence d'intrusion ou de vouloir me montrer officieux. J'espère que vous y pourrez réussir, car il me serait très-pénible de rien faire à son égard qui pût paraître indélicat. La somme offerte par Murray est de 1,500 livres sterling;--je l'ai refusée, d'abord parce que je l'ai regardée comme au-delà de la valeur que ces deux ouvrages pouvaient avoir pour Murray, et d'après quelques autres motifs de peu d'importance. J'ai cependant, d'après votre suggestion et celle de sir J., terminé avec Murray, et je propose de faire passer à M. *** la somme de 600 livres sterling, de la manière qui paraîtra la plus convenable à votre ami: je destine le reste pour d'autres objets.
»Comme Murray a offert librement cet argent en paiement des manuscrits, l'affaire peut être terminée de suite. Je suis prêt à signer et à apposer mon sceau immédiatement, et peut-être sera-ce aussi bien de n'y pas mettre de retard. Je serai charmé d'être de quelque utilité à M. ***; seulement épargnez-lui les tourmens de ces sortes d'affaires, et la pensée d'avoir contracté une obligation, enfin tout ce qui amène les gens à se haïr.
»Votre très-sincèrement dévoué,» B.
Les autres objets dont il parle ici ont rapport à l'intention où il était de partager le reste de cette somme entre deux auteurs célèbres dans la littérature, et qui avaient également besoin d'un tel secours, M. *** et M. Mathurin. Ce projet cependant, quoique conçu avec la plus grande sincérité par le poète, ne s'exécuta pas. M. Murray, qui connaissait bien les fâcheuses extrémités où Lord Byron lui-même se trouvait réduit, et qui prévoyait qu'il pourrait venir un tems où il serait bien aise de trouver cet argent, malgré la manière dont il était gagné, refusa d'en faire l'avance, lorsqu'il apprit l'usage auquel il était destiné, alléguant que, quoique engagé, non-seulement par sa parole, mais encore par sa volonté, à en payer le montant à Lord Byron, il ne se croyait pas obligé à s'en dessaisir en faveur des autres. On verra dans la lettre suivante combien le noble poète, menacé lui-même de saisies de tous côtés, mit de vivacité à le presser sur ce point.
LETTRE CCXXXVIII.
A M. MURRAY.
22 février 1816.
«Quand je refusai la somme que vous m'offriez, et même me pressiez d'accepter, c'était en raison d'une publication séparée, comme nous le savons, vous et moi; je suis convenu, et je conviens encore que cette somme était considérable, et ce fut un de mes motifs pour la refuser, jusqu'à ce que je fusse mieux instruit du parti que vous en pouviez tirer. Quant à ce qui s'est passé ou va se passer à l'égard de M. ***, c'est un cas qui ne diffère en aucune façon de la cession que j'ai faite précédemment à M. Dallas de mes premiers manuscrits.--Si je vous avais pris au mot, c'est-à-dire que j'eusse pris votre argent, j'aurais pu m'en servir comme bon m'aurait semblé, et il devait vous être également indifférent que j'en fisse cadeau à une fille ou à un hôpital, ou que j'en secourusse un homme de talent dans le malheur. Le fond de l'affaire est donc, à ce qu'il me semble, que vous avez offert plus que les poèmes ne valaient. Je l'ai dit et je l'ai pensé, mais vous savez, ou du moins devriez savoir votre métier mieux que moi; et si vous vous rappelez ce qui s'est passé entre nous avant ceci, en fait de transactions pécuniaires, vous m'acquitterez certainement d'avoir jamais cherché à profiter de votre imprudence.
»Les ouvrages en question ne seront pas publiés du tout; ainsi ne parlons plus de cette affaire.
»Votre, etc.»
La lettre qui vient après celle-ci donnera quelque idée des embarras dont il était lui-même accablé au moment où il s'occupait ainsi des besoins des autres.
LETTRE CCXXXIX.
A M. MURRAY.
6 mars 1816.
«J'ai envoyé chez vous aujourd'hui, par la raison que les livres que vous avez achetés sont encore saisis, et que, dans l'état des affaires, il vaut beaucoup mieux faire vendre tout d'un coup à l'encan 21. Je désire vous voir pour vous rendre le billet que vous m'aviez fait, et qui, Dieu merci, n'est ni payé ni même échu: ce point une fois arrangé, en ce qui vous concerne (ce qui peut être et sera demain quand nous nous verrons), je ne m'embarrasse plus de cette affaire. Voilà à peu près la dixième saisie en autant de mois, de sorte que je commence à m'y habituer. Mais il est juste que je porte la peine des folies de mes ancêtres et des miennes propres; et, quelles que soient mes fautes, je suppose qu'elles seront passablement expiées avec le tems--ou dans l'éternité.
»Toujours tout à vous.»
Note 21: (retour) La vente de ces livres eut lieu le mois suivant, et on la représenta dans le catalogue comme «appartenant à un seigneur qui allait quitter l'Angleterre pour voyager.»Il paraît, d'après un billet à M. Murray, qu'on avait d'abord annoncé qu'il allait en Morée.
«J'espère que le catalogue des livres, etc., etc., ne sera pas publié sans que je l'aie vu. Je veux m'en réserver quelques-uns, et il y en a plusieurs dont il ne doit pas être question. L'annonce ne sait ce qu'elle dit: je ne vais pas en Morée, et quand même j'irais, autant vaudrait annoncer en Russie qu'un homme va partir pour le Yorkshire.
»Votre, etc.»
On vendit avec ses livres un meuble qui est à présent entre les mains de M. Murray. C'est un grand paravent couvert de portraits d'acteurs, de pugilistes, et représentant des combats de boxeurs, etc. (Note de Moore.)
»P. S. Je n'ai pas besoin de dire que je n'ai rien su de cette nouvelle saisie qu'au dernier moment:--je les avais sauvés des saisies précédentes, et croyais bien, quand vous les avez achetés, qu'ils étaient à vous.
»Vous aurez votre billet demain.»
Durant le mois de janvier et une partie de février, ses poèmes du Siége de Corinthe et de Parisina furent livrés à l'impression, et ce fut vers la fin de ce dernier mois qu'ils parurent. Les lettres suivantes sont les seules qui aient rapport à leur publication.
LETTRE CCXL.
A M. MURRAY.
3 février 1816.
«Je vous avais envoyé chercher Marmion, parce qu'il m'était venu dans la tête qu'il y avait quelque ressemblance entre une partie de Parisina et une scène semblable du second chant de Marmion. Je crains qu'elle n'existe, quoique je n'y eusse jamais pensé auparavant, et ne pusse guère former le vœu d'imiter ce qui est inimitable.--Je voudrais que vous demandassiez à M. Gifford s'il me conviendrait de dire quelque chose là-dessus: j'avais achevé l'histoire sur un passage de Gibbon qui conduit tout naturellement à une scène de ce genre, sans que j'y eusse songé, mais maintenant cette pensée qui m'est venue me rend fort mal à mon aise.
»Il y a dans le manuscrit quelques mots et quelques phrases que je voudrais changer avant l'impression: je le renverrai dans une heure.
»Tout à vous.»