Œuvres complètes de lord Byron, Tome 11: comprenant ses mémoires publiés par Thomas Moore
LETTRE CCLXX.
A M. MURRAY.
Venise, 2 avril 1817.
«Je vous ai envoyé mon drame en entier, à trois différentes fois, acte par acte, sous des enveloppes séparées. J'espère que vous avez déjà reçu, sinon le tout, du moins une partie, et que le reste vous parviendra.
»Ainsi donc, Love a de la conscience.--De par Diane, je lui ferai reprendre la boîte, fût-ce même celle de Pandore. C'est en l'envoyant chez le bijoutier, pour faire arranger le couvercle, de manière à y placer le portrait de Marianna, qu'il a été découvert que ce n'était que de l'argent. Là-dessus, comme vous pensez bien, j'ai fait remettre la boîte in statu quo, et le portrait a été enchâssé dans une autre qui semble faite exprès. La boîte sur laquelle on m'a trompé a été à peine touchée, et n'est pas restée plus d'une heure entre les mains de l'ouvrier.
»Je conviens de tout ce que vous dites d'Otway, et suis un de ses grands admirateurs, à l'exception pourtant de 71 sa bégueule de Belvidera, chastement impudique, toujours gémissante et curieuse, caractère que je méprise, abhorre et déteste complètement. Mais l'histoire de Marino Faliéro est bien différente, et tellement supérieure pour l'intérêt, que je voudrais qu'Otway eût choisi ce sujet au lieu du sien. Le chef conspirant contre le corps entier qui a refusé de lui faire justice d'une injure réelle;--la jalousie, la trahison, toutes les passions inflexibles et invétérées d'un vieillard sur lequel agit aussi la politique:--le diable lui-même ne pourrait prendre un plus beau sujet, et vous savez qu'il est le seul auteur dramatique et tragique que nous ayons.
»On voit encore dans le palais du doge le voile noir peint sur le portrait de Faliéro, et l'escalier sur lequel il fut d'abord couronné doge et ensuite décapité. C'est ce qui a le plus frappé mon imagination à Venise, bien plus que le Rialto que j'ai parcouru pour l'amour de Shylock, et plus aussi que l'Arménien de Schiller, roman qui me fit une grande impression étant encore enfant. Il a aussi pour titre: le Fantôme prophète, et je n'ai jamais traversé la place Saint-Marc, par le clair de lune, sans y songer et me rappeler ces mots: «A neuf heures il mourut!» au surplus, je hais ce qui n'est que fiction: c'est pourquoi le Marchand de Venise et Othello ne me retracent pas ici des souvenirs d'un grand intérêt, mais il en est autrement de Pierre. La création la plus fantastique devrait toujours être fondée sur quelque fait: l'invention toute pure n'est que le talent de bien mentir.
»Vous parlez de mariage; depuis les funérailles du mien, ce mot me donne des vertiges et des sueurs froides:--ne le répétez pas, je vous prie.
»Vous devriez terminer avec Mme de Staël: ce sera son meilleur ouvrage, et tout historique d'un bout à l'autre.--Il roule sur son père, la révolution, Bonaparte, etc., etc. Bonstetten m'a dit, en Suisse, que c'était très-beau.--Je ne l'ai pas lu moi-même, quoique j'aie vu souvent l'auteur: elle a été très-aimable pour moi à Coppet.
»Il a paru deux articles dans les journaux de Venise, dont l'un est une revue de Glenarvon, et l'autre de Childe Harold, dans lequel on me proclame l'admirateur le plus séditieux et le plus entêté de Bonaparte, qui lui soit resté en Europe. Ces deux articles sont traduits de l'allemand, et tirés de la Gazette littéraire d'Iéna................
»Dites-moi si Walter-Scott va mieux.--Je ne voudrais pour rien au monde qu'il fût malade: je présume que c'est par sympathie que j'ai eu la fièvre en même tems.
»Je me réjouis du succès de votre Quarterly, mais je continue de m'en tenir à la Revue d'Édimbourg. Jeffrey en a agi de même à mon égard; je dois le dire, en dépit de tout, et c'est plus que je n'en méritais de sa part.--Je vous ai plus d'une fois, dans mes lettres, accusé réception de l'article et même des articles: apprenez-moi au moins que vous avez reçu les susdites, ne sachant pas autrement quelles lettres vous arrivent. Les deux Revues me sont parvenues, mais pas autre chose:--je n'ai pas encore vu la pièce de M*** et l'extrait............
»Écrivez-moi, afin que je sache si vous avez enfin reçu mon magicien, avec ses scènes, tous ses enchantemens, etc., etc.
»Toujours tout à vous.
»P. S. Il est inutile d'envoyer vos lettres à la Poste pour l'Étranger: rien ne m'arrive par cette voie; j'imagine que quelque commis zélé aura cru du devoir d'un tory d'y mettre obstacle.»
LETTRE CCLXXI.
A M. ROGERS.
Venise, 4 avril 1817.
«Il s'est écoulé un tems considérable depuis que je ne vous ai écrit; et je ne sais pas trop pourquoi je vous importunerais aujourd'hui, si ce n'est que je me flatte intérieurement que vous ne serez pas fâché de recevoir de tems en tems de mes nouvelles.--Vous et moi n'avons jamais entretenu de correspondance ensemble; mais il y a toujours eu entre nous quelque chose de mieux, c'est-à-dire une bonne et franche amitié.
»J'ai vu votre ami Sharp en Suisse, ou plutôt sur le territoire allemand qui est et n'est pas la Suisse. Il nous avait indiqué, à Hobhouse et à moi, une très-bonne route pour aller aux Alpes bernoises; cependant nous en avons suivi une autre que nous a enseignée un Allemand, et nous sommes allés par Clarens et la Dent de Jaman à Montbovon, et par le Simmenthal à Thoun, et ainsi de suite jusqu'à Lauterbrounn, excepté que de là, au lieu de faire le tour pour nous rendre au Grindelwald, nous avons traversé tout droit le sommet du mont Wengen; et nous trouvant tout juste au-dessous de la Iungfrau, nous avons vu ses glaciers et entendu les avalanches dans toute leur gloire, ayant eu un fameux tems pour cela. Une fois sur le Grindelwald, bien entendu, nous traversâmes le Sheideck pour aller à Brientz et à son lac, et suivîmes le Richenbach et toute cette route montagneuse qui me rappela l'Albanie, l'Étolie et la Grèce, si ce n'est que le peuple ici est plus civilisé et plus fripon. A l'exception de la source de l'Arveron, dont nous nous sommes approchés jusqu'au bord de la glace, de manière à regarder dans la cavité et à y toucher, contre l'avis de nos guides, dont un seulement nous accompagna jusque-là, je n'ai pas été aussi émerveillé de Chamouni que de la Iungfrau, de la Pissevache et du Simplon, qui ne peuvent être rivalisés par rien dans ce monde.
»J'ai passé près d'une lune à Milan, et j'y ai vu Monti et d'autres curiosités vivantes. De là, je suis allé à Vérone, où je n'ai pas oublié votre histoire d'assassinat pendant le séjour que vous y fites. J'ai emporté de cette ville quelques fragmens du tombeau de Juliette, et une impression très-vive de son amphithéâtre. La comtesse Goetz (femme du gouverneur de cette ville) m'a dit qu'il y avait encore un château ruiné des Montecchi, entre Vérone et Vicence. Je suis à Venise depuis le mois de novembre, mais je me rendrai probablement bientôt à Rome.--Quant à ce que j'ai fait ici, ne l'ai-je pas consigné dans mes lettres au silencieux Thomas Moore?--c'est donc à lui que je vous renvoie; il les a toutes reçues, et n'a pas répondu à une seule.
»Veuillez, je vous prie, me rappeler au souvenir de lord et de lady Holland. Je dois des remerciemens à ce dernier, d'un livre que je n'ai pas encore reçu, mais que je me propose de relire avec grand plaisir à mon retour; c'est la seconde édition des œuvres de Lope de Vega. J'ai entendu dire que le poème de Moore allait paraître. Il ne peut pas se souhaiter à lui-même plus de succès que je ne lui en souhaite et ne lui en prédis. J'ai aussi entendu faire un grand éloge des Contes de mon Hôte; mais ne les ai pas encore reçus. D'après ce qu'on en dit, ils surpassent Waverley même, etc., etc., et sont du même auteur. Il paraît que la seconde tragédie de Mathurin est tombée, ce dont je crois que tout le monde sera fâché. Ma santé a été très-florissante jusqu'au mois dernier, où j'ai été atteint d'une fièvre. Il règne une épidémie dans cette ville, mais je ne crois pas que ce fût là ma maladie; quoi qu'il en soit, je me suis rétabli sans médecin ni drogues.
»J'oubliais de vous dire que, l'automne dernier, j'avais donné, pendant quelques jours, le pain et le sel à Lewis, dans ma campagne de Diodati, en retour de quoi (indépendamment de sa conversation), il m'avait traduit verbalement le Faust de Gœthe, et j'ai eu aussi le plaisir de le mettre aux prises avec Mme de Staël, au sujet de la traite des nègres. Je suis vraiment redevable de mille attentions obligeantes à notre dame de Coppet, et je l'aime autant maintenant que j'ai toujours aimé ses ouvrages, dont j'ai été et suis toujours grand admirateur.--Quand commencez-vous à vous occuper de Sheridan? que faites-vous maintenant? et comment va la santé?
»Croyez-moi toujours très-sincèrement, etc.»
LETTRE CCLXXII.
A M. MURRAY.
Venise, 9 avril 1817.
«Vos lettres du 18 et du 20 sont arrivées. Dans la mienne je vous ai rendu compte de la naissance, des progrès, du déclin et de la guérison de ma dernière maladie; elle est allée au diable. Je ne ferai pas à ce dernier le mauvais compliment de dire qu'elle en était venue. Le diable tient trop du gentleman pour cela. Ce n'était qu'une fièvre lente qui a doublé le pas vers le terme de son voyage. Elle m'a persécuté pendant quelques semaines avec des chaleurs brûlantes la nuit et des transpirations le matin; mais me voilà tout-à-fait rétabli, ce que j'attribue à n'avoir pris ni médecine, ni médecin.
»Dans quelques jours je pars pour Rome, au moins tel est mon dessein. J'en changerai peut-être encore plus d'une fois avant lundi, mais continuez à m'adresser vos lettres à Venise comme auparavant.--Si je pars, mes lettres me seront envoyées; je dis si, parce que je ne sais jamais bien ce que je ferai jusqu'à ce que cela soit fait, et comme j'ai pris la ferme résolution d'aller à Rome, il ne serait pas improbable que je me trouvasse un beau matin à Saint-Pétersbourg. Vous me recommandez de me soigner;--oui, sur ma foi, je ferai en sorte.--Je n'ai pas encore envie d'être un auteur posthume, et cependant songez un peu à ce que vaudraient ma Vie et mes Aventures, pendant que je suis en plein scandale, et le contenu de mon secrétaire, seize poèmes commencés pour ne jamais être finis. Croyez-vous que je ne me serais pas brûlé la cervelle l'année dernière, si par bonheur je n'étais venu à penser que Mrs. C*** et lady N***, et toutes les vieilles femmes d'Angleterre en eussent été enchantées, et puis l'agrément d'être déclaré fou 72, d'après l'enquête du Coroner, et puis les regrets de deux ou trois personnes, d'une demi-douzaine peut-être? ........................ Soyez persuadé que j'ai encore envie de vivre pour plus d'un motif. D'abord il y a un ou deux individus que je veux voir hors de ce monde, et autant que j'y veux faire entrer avant de pouvoir mourir en paix; si je m'en vais auparavant, je n'aurai pas rempli ma mission. D'ailleurs, quand je vais attraper trente ans, je deviendrai dévot; je m'y sens une grande vocation quand je suis dans une église catholique et que j'entends le son des orgues.
Note 72: (retour) Comme il existe en Angleterre une loi qui prive de la sépulture du cimetière les corps de ceux qui se sont volontairement détruits, et les condamne à être enterrés sur le grand chemin, l'officier chargé de faire une enquête sur les causes du suicide déclare presque toujours qu'il a été commis dans un moment de folie, afin d'éluder la rigueur de cette loi. Cet officier se nomme coroner, corrompu de crowner, qui signifie officier de la couronne. Nous n'avons pas en France de charge qui réponde exactement a celle-là. (Note du Trad.)
»Je m'afflige avec Drury-Lane, et me réjouis avec ***, modérément pourtant, de la fin tragique de la nouvelle tragédie.
»Ainsi donc vous êtes brouillé avec Leigh Hunt à ce qu'il paraît.... Je vous l'avais présenté, ainsi que son poème, dans l'espoir qu'en dépit de la politique, votre liaison pourrait être avantageuse à tous deux, et voilà que cela finit par une inimitié éternelle, quand, moi, j'avais agi dans les meilleures intentions! Je vous avais aussi présenté ***, et il vous a emporté votre argent.--D'un autre côté, mon ami Hobhouse est en discussion avec le Quarterly, et (à l'exception de ce dernier pourtant) c'est moi qui suis innocemment le canal ou l'isthme, si vous voulez (maudit soit ce mot, je ne saurais l'écrire, quoique j'aie traversé une douzaine de fois au moins celui de Corinthe), c'est moi, dis-je, qui suis le canal ou l'isthme de toutes ces inimitiés.
»Je vais vous dire quelque chose au sujet du Château de Chillon.--Un monsieur Deluc, Suisse et âgé de quatre-vingt-dix ans, se l'est fait lire et en a été content;--du moins, c'est ce que ma sœur m'écrit. Il a dit qu'il a été avec Rousseau à Chillon, et que la description en est parfaitement exacte; mais ce n'est pas tout, j'ai cru me rappeler ce nom, et je l'ai trouvé dans le passage suivant des Confessions, vol. III, page 247, livre VIII.
»De tous ces amusemens, celui qui me plut davantage, fut une promenade autour du lac, que je fis en bateau avec Deluc père, sa bru, ses deux fils et ma Thérèse. Nous mîmes sept jours à cette tournée, par le plus beau tems du monde. J'en ai gardé le vif souvenir des sites qui m'avaient frappé à l'autre extrémité du lac, et dont je fis la description, quelques années après, dans la Nouvelle Héloïse.»
»Ce nonagénaire Deluc, doit être un des deux fils en question. Il vit en Angleterre infirme, mais avec toutes ses facultés intellectuelles. Il est singulier que cet homme ait vécu si long-tems, il ne l'est guère moins qu'il ait fait ce voyage avec Jean-Jacques, et qu'après un tel intervalle il lui soit arrivé de lire un poème d'un Anglais, qui a fait précisément la même navigation, en s'arrêtant dans les mêmes lieux.
»Quant à Manfred, il est fort inutile d'envoyer les épreuves; rien de ce genre n'arrive ici. Je vous l'ai fait passer tout entier à différentes fois.--Les deux premiers actes sont les meilleurs: le troisième couci, couça; mais j'ai été soutenu dans les deux autres par la première chaleur de l'inspiration.--Il faut l'appeler poème, car ce n'est pas un drame, et je ne me soucie nullement de lui entendre donner un tel nom. Poème dialogué, ou pantomime, si vous voulez, tout ce qui vous plaira enfin, à l'exception d'un titre qui sentirait les coulisses. Voici votre épigraphe:
Il est, Horatio, dans le ciel et sur la terre, plus de choses que votre philosophie n'en a jamais rêvé.
»Toujours tout à vous.
»Amitiés et remerciemens à M. Gifford.»
LETTRE CCLXXIII.
A M. MOORE.
Venise, 11 avril 1817.
«Je continuerai de vous écrire tant que l'accès me tiendra; cela vous servira de pénitence, pour vous être plaint jadis de mon silence. Je suis sûr que vous rougiriez, si vous pouviez rougir, de ne m'avoir pas encore répondu. La semaine prochaine je pars pour Rome. Après avoir vu Constantinople, j'ai envie de voir aussi sa camarade. D'ailleurs je veux connaître le pape, et j'aurai soin de lui dire que je vote pour les catholiques, et pas de veto.
»Je n'irai pas à Naples, ce n'est que la seconde des plus belles vues de la mer, et j'ai vu la première et la troisième, c'est-à-dire Constantinople et Lisbonne. (Par parenthèse, la dernière n'est qu'une vue de rivière, quoiqu'on la mette après Stamboul et Naples, et avant Gênes.) D'ailleurs, le Vésuve est muet, et j'ai traversé l'Etna. Ainsi donc, je reviendrai à Venise en juillet; c'est pourquoi, si vous m'écrivez, je vous prie de m'adresser vos lettres à Venise, qui est mon quartier-général.
»Mon ci-devant médecin, le docteur Polidori, est ici et va retourner en Angleterre avec le lord G*** actuel, et la veuve du feu comte. Le docteur Polidori n'a plus de malades dans ce moment-ci, parce que ses malades ne sont plus. Il en avait trois dernièrement, mais ils sont tous morts. L'un d'eux est embaumé; Horner et un enfant de Thomas Hope sont enterrés à Pise et à Rome. Lord G*** est mort d'une inflammation d'entrailles: aussi les lui a-t-on ôtées (pour les punir) et les a-t-on envoyées, séparément du corps, en Angleterre. Figurez-vous un homme allant d'un côté, ses intestins de l'autre, et son ame immortelle prenant un troisième chemin.--A-t-on jamais vu une telle distribution? Assurément nous avons une ame; mais comment a-t-elle jamais pu se résoudre à s'enfermer dans un corps? c'est ce que je ne saurais comprendre! Tout ce que je sais, c'est que lorsque la mienne en sera une fois sortie, elle prendra ses ébats avant que je la laisse rentrer dans mon corps, ou dans tout autre.
»Ainsi donc, la seconde tragédie de ce pauvre cher M. Mathurin a été dédaignée par le judicieux public. *** en sera diablement content, et diablement sifflé sans être content, si jamais ses pièces sont jouées sur aucun théâtre.
»J'ai écrit à Rogers l'autre jour, et l'ai chargé de quelque chose pour vous.--J'espère qu'il est toujours florissant de santé et de gloire;--c'est le Tithon de la poésie;--il est déjà parvenu à l'immortalité, tandis que vous et moi, il faut que nous attendions.
»Je n'entends parler de rien, ne sais rien de rien. Vous imaginez aisément que les Anglais ne me cherchent pas, et moi je les évite. À la vérité, il n'y en a que peu ou point ici, à l'exception de ceux qui ne font qu'y passer. Florence et Naples sont leur Margate et leur Ramsgate, et d'après ce qu'on dit, on y trouve aussi à peu près le même genre de monde; ce qui nous fait beaucoup de tort parmi les Italiens.
»Je meurs d'envie de savoir des nouvelles de Lalla Rookh. Avez-vous paru? Mort et furies! Pourquoi ne me dites-vous pas où vous êtes, ce que vous êtes, et comment vous êtes? J'irai à Bologne par Ferrare, au lieu de Mantoue, parce que j'aime mieux voir la cellule où le Tasse fut enfermé et devint fou; et ***, que son manuscrit à Modène, ou cette Mantoue, qui fut la patrie de cet harmonieux plagiaire et misérable flatteur dont on m'a fait apprendre par cœur, à Harrow, les maudits hexamètres. J'ai vu Vérone et Vicence en venant ici, ainsi que Padoue.
»Je pars seul; mais seul, parce que j'ai l'intention de revenir ici. Florence ne m'inspire pas la moindre curiosité, et cependant je ne puis me dispenser d'y aller, à cause de la Vénus, etc., etc. Je désire voir aussi la chute de Terni. J'ai le projet de reprendre la route de Venise, par Ravenne et Rimini, sur lesquels je me propose de prendre quelques notes pour Leigh Hunt, qui sera bien aise d'apprendre quelque chose des lieux où se passe son poème. On l'a diablement critiqué, il y a un an, dans le Quarterly, et il leur a répondu. Toute réponse est assurément une imprudence; mais que voulez-vous? les poètes sont de chair et de sang, et il faut toujours qu'ils aient le dernier mot;--cela est certain. J'ai eu et j'ai encore une très-haute opinion de son poème; mais je l'ai averti de tout le déchaînement qu'allait exciter contre lui ce style antique dont il est si amateur.
»Vous avez pris une maison à Hornsey; j'aimerais mieux que vous en eussiez choisi une dans les Apennins.--Si vous avez envie de prendre votre essor pour un été ou plus, prévenez-m'en afin que je me tienne sur le qui vive.
»Toujours tout à vous.»
LETTRE CCLXXIV.
A M. MURRAY.
Venise, 14 avril 1817.
«Le docteur Polidori étant sur le point de partir pour l'Angleterre, avec le nouveau lord G*** (le feu lord étant allé par une autre route, accompagné de ses intestins, dans un coffre séparé), je profite de cette occasion pour vous envoyer deux miniatures, que vous aurez la bonté de faire remettre à Mrs. Leigh; mais, auparavant, vous voudrez bien prier M. Love (comme un gage de paix entre lui et moi), de les faire monter sur or, avec mes armes complètes, et de faire graver ces mots sur le dos: Peint par Prepiani. Venise 1817. Je vous prie aussi de faire faire pour moi une copie de chaque, par Holmes, et de me garder lesdites copies jusqu'à mon retour. L'un de ces portraits a été peint pendant que j'étais très-malade; l'autre, tandis que je me portais bien: ce qui peut expliquer leur dissemblance. J'espère qu'ils arriveront sans accident à leur destination.
»Je recommande le docteur à vos bons offices, auprès de vos amis ministériels: et si vous pouvez lui être utile sous un point de vue littéraire, soyez-le, je vous en prie.
»Aujourd'hui, ou plutôt hier, car il est plus de minuit, je suis monté sur les remparts de la plus haute tour de Venise, et je l'ai vue, avec tous ses alentours, sous l'influence radieuse d'un beau ciel italien. J'ai parcouru aussi le palais Manfrini, fameux par ses tableaux. Dans le nombre, il y a un portrait de l'Arioste, par le Titien, qui surpasse tout ce que j'avais imaginé du pouvoir de la peinture, et de l'expression de la figure humaine: c'est la poésie du portrait, et le portrait de la poésie. Il y avait aussi celui d'une femme savante, qui vivait il y a quelques siècles, et dont j'ai oublié le nom, mais dont les traits ne s'effaceront jamais de ma mémoire. Je n'ai jamais vu plus de beauté, de douceur, ni de sagesse; c'est une figure à vous rendre fou, parce qu'elle ne peut sortir de son cadre. Il y a aussi un fameux Christ, mort, entouré d'apôtres vivans, dont Bonaparte a offert en vain cinq mille louis, et qui est regardé comme le chef-d'œuvre du Titien: n'étant pas connaisseur, je n'en dirai pas grand'chose, et en pense encore moins, à l'exception d'une seule figure. Il y a dix mille autres tableaux, entr'autres de très-beaux Giorgiones, etc., etc. On y trouve aussi deux portraits originaux de Laure et de Pétrarque, tous deux hideux.--Pétrarque a non-seulement le costume, mais l'air et les traits d'une vieille femme; et Laure ne nous en représente nullement une jeune et jolie. Ce qui m'a le plus frappé dans cette collection, c'est l'extrême ressemblance que présente le genre de figure des femmes qui composent cette masse de portraits, âgés de plusieurs siècles, avec celles que vous voyez et rencontrez tous les jours parmi les Italiennes vivantes. La reine de Chypre, et surtout la femme de Giorgione, sont des Vénitiennes d'aujourd'hui; ce sont les mêmes yeux, la même expression, et, à mon avis, il n'y en a point d'une plus grande beauté.
»Il faut vous rappeler, cependant, que je n'entends rien à la peinture, et que je la déteste, à moins qu'elle ne me rappelle quelque chose que j'aie vu, ou que je croie possible de voir. C'est pourquoi j'abhorre tous les saints et tous les sujets de la moitié des impostures que j'ai vues dans les églises et palais, et leur cracherais volontiers à la figure. Je n'ai jamais été aussi dégoûté de ma vie qu'en Flandre, de Rubens et de ses femmes éternelles, et de cet infernal éclat de couleur que je leur trouvais. En Espagne, je n'ai pas conçu une grande opinion de Murillo et de Velasquez. Croyez-le bien, la peinture est, de tous les arts, le plus artificiel, le moins d'accord avec la nature, et celui qui abuse le plus de la sottise du genre humain. Je n'ai pas encore vu une statue ou un portrait qui approchât d'une lieue de l'attente que j'en avais conçue, et j'ai vu des montagnes, des mers, des rivières, des sites, et deux ou trois femmes qui la surpassaient d'autant, sans parler de quelques chevaux, et d'un lion chez Veli Pacha en Morée, et du tigre d'Exeter-Change.
»Quand vous m'écrirez, continuez de m'adresser vos lettres à Venise. Où croyez-vous que soient les livres que vous m'avez envoyés? À Turin! Cela vient de cette maudite Poste Étrangère, qui m'est assez étrangère pour le bien qu'elle peut me faire à moi ou à d'autres; et qu'elle aille au diable, depuis son premier charlatan Castlereagh, jusqu'à son dernier commis.
»Cela fait au moins la centième lettre que je vous écris. Tout à vous.»
LETTRE CCLXXV.
A M. MURRAY.
Venise, 14 avril 1817.
«Les épreuves ci-jointes de la totalité du drame, ne commencent qu'à la dix-septième page. Mais comme j'ai corrigé, et vous ai renvoyé le premier acte, cela est indifférent.
»Le troisième acte est certainement diablement mauvais, et comme les homélies de l'archevêque de Grenade, qui sentaient un peu la paralysie, on y peut reconnaître les restes de la fièvre qui me tenait pendant que je l'écrivais. Il ne faut, sous aucun prétexte, qu'il soit publié dans son état actuel. Je tâcherai de le corriger, ou de le refaire en entier; mais la première inspiration est passée, et il n'est pas probable que je puisse jamais en faire grand'chose; toutefois, je ne voudrais pour rien au monde, qu'il parût comme il est. Le discours de Manfred au soleil est le seul morceau de cet acte que je trouve bon moi-même; le reste est certainement aussi mauvais que ce puisse, et je me demande quel diable s'était emparé de moi.
»Je suis vraiment bien aise que vous m'ayez envoyé l'opinion de M. Gifford, sans en rien rabattre; me croyez-vous assez imbécille pour ne pas lui en être très-obligé, et que, dans le fait, je ne sois pas, au fond de ma conscience, persuadé et convaincu que tout cet acte n'est qu'une absurdité?
»Je ferai une seconde tentative: en attendant, mettez-le dans un carton (je veux parler du drame); mais corrigez, je vous prie, les copies que vous avez du premier et du second acte, sur le manuscrit original.
»Je ne vais pas en Angleterre, mais je pars pour Rome dans quelques jours. Je serai de retour à Venise en juin; ainsi, adressez-moi mes lettres ici comme à l'ordinaire, c'est-à-dire à Venise. Le docteur Polidori quitte aujourd'hui cette ville avec lord G***, pour l'Angleterre. Il est chargé de quelques livres qui vous sont adressés de ma part, et de deux miniatures, que je vous prie de faire remettre toutes deux à ma sœur.
»Rappelez-vous de ne pas publier, sous peine de je ne sais quel châtiment, avant que je n'aie essayé de refaire le troisième acte. Il n'est pourtant pas bien sûr que j'essaie, et encore bien moins que je réussisse, si je m'y mets; mais, ce dont je suis certain, c'est que, tel qu'il est, il n'est digne ni de la publication, ni de la lecture: et à moins que je n'en vienne à bout à ma satisfaction, je ne veux pas qu'il y ait rien de publié.
»Je vous écris à la hâte, et après vous avoir écrit très-souvent depuis peu.
»Tout à vous.»
LETTRE CCLXXVI.
A M. MURRAY.
Foligno, 26 avril 1817.
«Je vous ai écrit l'autre jour de Florence, en vous envoyant un manuscrit intitulé: Les Lamentations du Tasse. C'est le résultat du voyage que je viens de faire à Ferrare.
»Je ne suis resté qu'un jour à Florence, étant pressé de voir Rome dont me voici tout près. Cependant j'ai été voir les deux galeries, dont on revient ivre de toutes les beautés qu'on y voit. La Vénus inspire plus d'admiration que d'amour; mais il y a des peintures et des sculptures qui, pour la première fois, me donnèrent une idée de ce que pouvait signifier le jargon des enthousiastes de ces deux arts, les plus artificiels de tous. Ce qui m'a le plus frappé, c'est un portrait de la maîtresse de Raphaël, un portrait de la maîtresse du Titien; une Vénus du Titien dans la galerie de Médicis;--la Vénus de Canova, dans l'autre galerie, c'est-à-dire celle du palais Pitti; le Parcœ de Michel-Ange, portrait; l'Antinoüs, l'Alexandre, et un ou deux groupes de marbre très-peu décens; le Génie de la Mort et une figure endormie, etc., etc.
»Je suis allé aussi à la chapelle Médicis.--On y voit un bel étalage de grandes plaques de marbres variés et précieux, pour éterniser la mémoire de cinquante vieilles carcasses pourries et oubliées: elle n'est pas terminée et ne le sera pas. L'église de Santa-Croce contient beaucoup de néant illustre; les tombeaux de Machiavel, de Michel-Ange, de Galilée et d'Alfieri en font l'abbaye de Westminster de l'Italie. Je n'ai rien admiré dans ces tombes, excepté leur contenu;--celle d'Alfieri est lourde, et toutes me semblent surchargées. Que fallait-il de plus qu'un buste et qu'un nom? et peut-être une date pour ceux qui, comme moi, ne sont pas forts en chronologie? mais toutes ces allégories louangeuses sont détestables, et pires encore que ces statues des règnes de Charles II, de Guillaume et d'Anne, dont les crânes anglais sont affublés d'énormes perruques, tandis que tout le reste du costume est à la romaine.
»Quand vous écrirez, adressez à Venise comme à l'ordinaire: mon intention est d'y être de retour dans une quinzaine; je n'irai pas de long-tems en Angleterre. Cet après-midi, j'ai rencontré lord et lady Jersey, et leur ai parlé pendant quelque tems. Ils sont tous en bonne santé;--les enfans ont grandi et se portent bien. Elle est toujours très-jolie, mais brunie par le soleil;--quant à lui, il est très-dégoûté des voyages: ils se dirigent sur Paris. Il n'y a pas beaucoup d'Anglais en route, et la plupart de ceux qui y sont retournent chez eux. Pour moi, je n'irai que lorsque les affaires m'y obligeront, étant beaucoup mieux où je suis en santé, etc., etc.
»Pour ma commodité personnelle, je vous prie de m'envoyer immédiatement à Venise, faites bien attention, à Venise,--la poudre à dents rouge de Waite, en provision, et de la magnésie calcinée, de la meilleure qualité, en provision aussi, tout cela par une occasion prompte et sûre; et, de par le ciel, n'y manquez pas.
»Je n'ai rien fait au troisième acte de Manfred. Il faut attendre: je m'y mettrai dans une semaine ou deux.
»Toujours tout à vous.»
LETTRE CCLXXVII.
A M. MURRAY.
Rome 5 mai 1817.
«Par ce courrier (ou par le premier, au plus tard), je vous envoie sous deux autres enveloppes le nouvel acte de Manfred; j'en ai refait la plus grande partie, et j'ai laissé ce qui n'était pas corrigé dans l'épreuve que vous m'avez envoyée: l'abbé est devenu un brave homme, et les esprits paraissent au moment de la mort. Vous trouverez, je crois, dans ce nouvel acte quelques bons vers par-ci par-là;--si vous en êtes content, imprimez-le d'après les corrections de M. Gifford, s'il veut bien avoir la bonté de l'examiner, et ne m'en envoyez plus les épreuves. Adressez, comme de coutume, toutes vos réponses à Venise: j'y serai de retour dans dix jours.
»J'espère que les Lamentations du Tasse, que je vous ai envoyées de Florence, vous sont parvenues. Je crois que ce sont de bonnes rimes, comme disait le papa de Pope à son fils quand il était enfant.--Pour cet ouvrage et pour le drame, vous me compterez (par la voie de Kinnaird) 600 guinées.--Vous serez peut-être surpris que je mette le même prix à ce dernier poème qu'au drame; mais, outre que je le juge bon, je me suis fait une loi de ne pas accepter moins de 300 guinées pour quoi que ce soit. Les deux réunis formeront une publication plus volumineuse que Parisina et le Siége de Corinthe; ainsi donc vous devez vous en trouver quitte à bon marché, c'est-à-dire si ces poèmes valent quelque chose, comme je le crois et l'espère.
»Je suis depuis quelques jours à Rome, cette merveille du monde. Je me suis occupé à voir, et n'ai fait autre chose, à l'exception de votre troisième acte. J'ai vu ce matin un pape en vie et un cardinal mort: Pie VII présidant aux funérailles du cardinal Bracchi, dont j'ai vu le corps exposé en parade dans la Chiesa Nuova. Rome m'a ravi plus que je ne l'avais été depuis Athènes et Constantinople, mais je n'y resterai pas long-tems cette fois. Adressez à Venise.
»Tout à vous,
»P. S. J'ai ici mes chevaux de selle, et je parcours la campagne de Rome à cheval.»
LETTRE CCLXXVIII.
A M. MURRAY.
Rome, 9 mai 1817.
«Adressez toutes vos réponses à Venise, car j'y serai de retour dans une quinzaine, s'il plaît à Dieu.
»Je vous ai envoyé de Florence les Lamentations du Tasse, et de Rome le troisième acte de Manfred:--j'espère que l'un et l'autre vous parviendront sans accident. Je vous ai parlé du prix de ces deux ouvrages dans ma dernière; et je vous le répèterai ici, ce sera 300 guinées pour chacun, autrement dit 600 pour les deux, c'est-à-dire si cela vous convient, et s'ils valent quelque chose.
»Enfin un des paquets est arrivé. Dans les notes de Childe Harold, il y a une erreur de vous ou de moi.--Il est question de mon arrivée à Saint-Gingo, et, immédiatement après, il est dit: «Sur la hauteur, on voit le château de Clarens;» c'est une grande bévue:--Clarens est de l'autre côté du lac, et il est totalement impossible que j'aie dit une pareille sottise. Consultez le manuscrit, et, dans tous les cas, rectifiez cela.
»J'ai lu avec grand plaisir les Contes de mon Hôte, et je comprends maintenant très-bien pourquoi ma sœur et ma tante sont tellement convaincues de la fausse opinion que j'en suis l'auteur. Si vous me connaissiez aussi bien qu'elles me connaissent, vous seriez peut-être tombé dans la même erreur; un jour ou l'autre, que j'en aurai le loisir, je vous expliquerai le pourquoi.--À présent, la chose est assez indifférente;--mais vous avez dû trouver cette méprise très-singulière, et moi aussi avant d'avoir lu cet ouvrage. La lettre que Croker vous adresse est très-flatteuse: je vous la renverrai dans ma première.
»Il paraît que vous publiez une vie de Raphaël d'Urbin.--Vous serez peut-être bien-aise de savoir que les artistes allemands qui sont ici laissent croître leurs cheveux, et les arrangent à la mode de ce grand peintre, imitant ainsi les disciples du grand philosophe, qui buvaient comme lui du cummin: s'ils coupaient leurs cheveux pour en faire des pinceaux, et qu'ils se missent à peindre comme lui, ce serait un meilleur moyen de lui ressembler.
»Que je vous raconte une histoire. L'autre jour, un homme, un Anglais qui est ici, prenant les statues de Charlemagne et de Constantin, qui sont équestres, pour celles de saint Pierre et saint Paul, demanda à quelqu'un lequel des deux était Paul? Voici la réponse qu'on lui fit: «Je croyais, monsieur, que Paul n'était plus remonté à cheval après son accident.»
»En voici une autre. Henri Fox écrivant de Naples l'autre jour à quelqu'un, après une maladie qu'il vient de faire, ajoute: «Et je suis si changé, que les plus anciens de mes créanciers ne me reconnaîtraient pas.»
»Je suis enchanté de Rome, comme je serais enchanté d'un bijou: c'est une belle chose à voir, plus belle que la Grèce elle-même, mais je n'y suis pas resté assez long-tems pour y être attaché comme résidence, et il faut que je retourne en Lombardie, car je suis malheureux d'être séparé de Marianna. J'ai monté tous les jours mes chevaux de selle;--j'ai été à Albano, aux lacs, sur la cime du mont Albain, à Frescati, à Aricia, etc., etc., etc.; enfin dans la ville et aux alentours de la ville, pour la description de laquelle je vous renvoie au Guide du Voyageur. Comme ville ancienne et moderne, elle l'emporte sur Constantinople et la Grèce, sur tout enfin, du moins sur tout ce que j'ai vu. Mais je ne puis décrire mes premières impressions, parce qu'elles sont toujours vives et confuses, et que ma mémoire ensuite y fait un choix et y met de l'ordre, de même que la distance dans un paysage fond mieux les teintes, quoiqu'elle les rende plus vagues. Nous devrions avoir un sens ou deux de plus que nous n'en possédons, nous autres mortels; là où il y a beaucoup à embrasser, nous sentons toujours notre insuffisance, et tout ce qui manque à notre intelligence en étendue et en hauteur. J'ai reçu une lettre de Moore qui éprouve quelque inquiétude au sujet de son poème: je ne vois pas pourquoi.
»J'en ai eu une aussi de ma pauvre chère Augusta qui est dans un grand tourment à cause de ma dernière maladie. Dites-lui, je vous prie, que je me porte aussi bien que jamais (ce qui est la vérité), que je jouis d'un superflu de santé presque importun, et suis en train de devenir (si je ne le suis déjà) gros et joufflu, ce qui m'attire d'impertinens complimens sur ma mine robuste, tandis que je devrais être pâle et intéressant.
»Vous me dites que Georges Byron a un fils, et Augusta dit une fille: lequel des deux? Au surplus, cela ne fait pas grand'chose. Le père est un brave homme et un excellent officier--qui a épousé une très-gentille petite femme qui lui donnera plus d'enfans que d'écus;--cependant elle a eu une assez belle dot, et c'était une charmante fille:--ce qui n'empêche pas que Georges fera bien d'obtenir le commandement d'un vaisseau.
»Je n'ai aucune idée d'aller vous voir de quelque tems, pour peu que je puisse éloigner les affaires. Si je pouvais seulement vendre Newsteadt d'une manière passable, mon retour deviendrait inutile, et je puis très-sincèrement vous assurer que je suis beaucoup plus heureux (du moins que je l'ai été beaucoup plus) depuis que je suis hors de votre île que pendant que je l'habitais.
»Toujours tout à vous.
»P. S. Il y a peu d'Anglais ici; mais parmi ceux qui y sont, j'ai rencontré quelques-unes de mes connaissances, entre autres le marquis de Lansdowne, avec lequel je dîne demain. J'ai rencontré les Jerseys sur la route de Foligno:--ils sont tous en bonne santé.
»Oh! j'oubliais! On a imprimé Chillon en Italie, etc., etc.: c'est une piraterie.--C'est une jolie petite édition, plus jolie que la vôtre, et qui, à mon grand étonnement, était publiée à mon arrivée ici.--Ce qui est plus singulier encore, c'est que l'anglais en est très-correctement imprimé.--Dans quelle intention cela a-t-il été fait, et par qui? c'est ce que je ne saurais vous dire,--mais le fait est exact. Je présume que c'est pour les Anglais qui sont ici: je vous en enverrai un exemplaire.»
LETTRE CCLXXIX.
A M. MOORE.
Rome, 12 mai 1817.
«J'ai reçu votre lettre ici, où j'ai fait une promenade, mais je retourne à Venise dans quelques jours, de sorte que, si vous m'écrivez, il faudra y adresser vos lettres. Je n'irai pas en Angleterre sitôt que vous le pensez, et je ne songe nullement à en faire ma résidence. Si vous traversez les Alpes dans votre expédition projetée, vous me trouverez dans quelque coin de la Lombardie, et bien content de vous voir. Seulement écrivez-moi d'avance un mot, car je ferai volontiers quelques lieues pour aller au-devant de vous.
»Je ne vous dirai rien de Rome, elle est impossible à décrire, et le Guide du Voyageur est aussi bon que tout autre livre. J'ai dîné hier avec lord Lansdowne qui est sur son retour. Il y a peu d'Anglais ici à présent, l'hiver est leur saison. Je suis monté à cheval tous les jours depuis que je suis ici; c'est ainsi que j'ai passé la plus grande partie de mon tems à l'examiner, comme je l'avais fait de Constantinople; mais Rome est la sœur aînée et la plus belle des deux. Je suis allé il y a quelques jours sur le haut du mont Albain, qui est superbe. Quant au Colisée, au Panthéon, à Saint-Pierre, au Vatican, au mont Palatin, etc., etc.,--voyez, comme je l'ai déjà dit, le Guide du Voyageur. C'est incompréhensible, il faut voir cela.--L'Apollon du Belvédère est l'image de lady Adélaïde Forbes; je n'ai jamais vu une telle ressemblance.
»J'ai vu un pape en vie et un cardinal mort, qui tous deux avaient vraiment très-bonne mine; le dernier était exposé en parade dans la Chiesa Nuova, avant ses funérailles.
»Vos craintes poétiques sont sans fondement;--continuez et prospérez. Voici Hobhouse qui entre et qui m'annonce que mes chevaux m'attendent à la porte; il faut donc que je parte pour aller visiter le Campus Martius qui, par parenthèse, est tout couvert des bâtimens de Rome la moderne.
»Tout à vous sincèrement et à jamais.
»P. S. Hobhouse vous présente ses souvenirs, et est, comme tout le monde, plein d'impatience de voir paraître votre poème.»
LETTRE CCLXXX.
A M. MURRAY.
Venise, 30 mai 1817.
«Je suis de retour de Rome depuis deux jours, et j'ai reçu votre lettre; mais je n'ai eu aucune nouvelle du paquet que vous me dites avoir envoyé par sir C. Stuart. Après un intervalle de plusieurs mois, un paquet contenant les Contes de mon Hôte m'est arrivé à Rome; mais voilà tout ce qui m'est parvenu et me parviendra peut-être jamais de ce genre.--La poste me paraît la seule voie de transport qui soit sûre, et ce n'est que pour les lettres. Je vous ai envoyé de Florence un poème sur Tasso, et de Rome, le nouveau troisième acte de Manfred; j'ai remis aussi au docteur Polidori deux portraits pour ma sœur. En partant de Rome je suis venu ici sans m'arrêter;--vous continuerez donc d'adresser vos lettres comme à l'ordinaire. M. Hobhouse est allé à Naples, j'y aurais été aussi passer une semaine, si je n'avais entendu dire qu'il s'y trouvait une foule d'Anglais. Je préfère les haïr de loin, à moins que je ne fusse sûr qu'il survînt un tremblement de terre ou une bonne éruption du Vésuve pour me réconcilier avec leur voisinage.......................
»La veille de mon départ de Rome j'ai vu guillotiner trois voleurs. Cette cérémonie qui présente à nos yeux des prêtres masqués, les bourreaux à demi nus, les criminels les yeux bandés, le Christ en deuil avec sa bannière, l'échafaud, les soldats, la procession marchant d'un pas lent, enfin le mouvement précipité de la hache et sa lourde chute, le jaillissement du sang et la paleur horrible de ces têtes exposées, toute cette cérémonie, dis-je, produit une impression bien plus profonde que le supplice vulgaire et ignoble de la potence avec toutes ses agonies, qu'on inflige en Angleterre aux victimes de la loi. Deux de ces hommes se comportèrent avec assez de calme; mais le premier des trois mourut avec beaucoup de répugnance et de terreur. Une chose horrible, c'est qu'il ne voulut pas se coucher, puis ensuite que sa tête se trouva trop grosse pour l'ouverture, et le prêtre fut obligé de couvrir ses cris par des exhortations encore plus bruyantes. La tête tomba avant que l'œil pût suivre le coup; mais, par suite de l'effort qu'il avait fait pour la rejeter en arrière, quoiqu'elle fût tenue en avant par les cheveux, elle fut coupée rase aux oreilles. Les deux autres furent plus nettement enlevées. Cette coutume vaut mieux que celle qu'on observe en Orient, et je la crois préférable aussi à la hache de nos ancêtres. L'exécution est accompagnée de peu de douleur, et cependant l'effet qu'elle produit sur le spectateur, ainsi que les préparatifs qui entourent le criminel, est de le frapper de terreur et de le glacer d'effroi. La vue du premier de ces hommes me donna une espèce de fièvre, je brûlais, j'avais soif, et je tremblais tellement que je ne pouvais plus tenir la lorgnette (j'étais peu éloigné de l'échafaud, mais résolu à voir attentivement ce qui se passait, par la raison qu'il faut tout voir une fois dans sa vie;) le second et le troisième, j'ai honte de le dire (et cela prouve d'une manière effrayante combien vite on s'accoutume à tout), ne me firent plus éprouver de sensation d'horreur, quoique je les eusse sauvés si je l'avais pu.
»Tout à vous, etc.»
LETTRE CCLXXXI.
A M. MURRAY.
Venise, 4 juin 1817.
«J'ai reçu les épreuves des Lamentations du Tasse, ce qui me fait espérer que vous avez aussi reçu le troisième acte refait de Manfred que je vous ai envoyé de Rome presqu'aussitôt mon arrivée dans cette ville. La date de cette lettre vous apprendra que je suis de retour ici depuis quelques jours; quant à moi, de tous vos paquets, il ne m'est parvenu, après un long intervalle, que les Contes de mon Hôte, dont je vous ai déjà accusé la réception.--Je ne comprends pas du tout le pourquoi, mais le fait est tel;--point de manuel, point de lettres ni de poudre à dents, pas d'extrait du Voyage en Italie de Moore sur Marino Faliero, point de rien,--comme le criait un jour un homme à une des élections de Burdett, après de longs hurlemens de: Pas de Bastille, pas de gouvernans, pas de--Dieu sait encore quoi ou qu'est-ce; mais son nec plus ultra fut pas de rien! Et j'en peux dire autant à propos de vos paquets. J'ai un grand besoin de l'extrait de Moore, et de la poudre à dents et de la magnésie,--je ne suis pas si pressé quant à la poésie, aux lettres ou à la tragédie irlandaise de M. Mathurin. La plupart des choses que vous avez envoyées par la poste sont arrivées; je veux dire les épreuves et les lettres: ainsi donc envoyez-moi l'extrait relatif à Marino Faliero dans une lettre par la poste.
»J'ai été enchanté de Rome; aussi en ai-je parcouru les environs plusieurs heures par jour à cheval, tandis que le reste de mon tems se passait à admirer ses merveilles dans l'intérieur. J'ai fait des excursions dans toutes les campagnes environnantes, à Albe, Tivoli, Frescati, Licenza, etc., etc. En outre j'ai été deux fois à la cascade de Terni, qui surpasse tout ce qu'on peut imaginer; en m'en revenant dans le voisinage du temple et sur les bords du Clitumnus, j'ai mangé des fameuses truites de cette rivière, le plus joli petit ruisseau que la poésie ait jamais célébré et qui est entre Foligno et Spolette près de la première poste. Je ne me suis pas arrêté à Florence, étant pressé de retourner à Venise, et ayant déjà vu les galeries et tout ce qu'il y a à voir. J'ai remis mes lettres de recommandation le soir d'avant mon départ, de sorte que je n'ai vu personne.
»Aujourd'hui Pindemonte, le célèbre poète de Vérone, est venu chez moi; c'est un petit homme maigre, qui a la physionomie pénétrante et agréable, les manières douces et polies; au total son aspect est très-philosophique: il peut avoir soixante ans, peut-être plus. C'est un de leurs meilleurs poètes actuels. Je lui ai donné Forsyth, car il parle, ou, pour mieux dire, il lit un peu l'anglais, et il y trouvera un compte favorable rendu de lui-même. Il s'est informé de ses anciens amis de la Crusca, Parsons, Greathead, Mrs. Piozzi et Merry, qu'il avait tous connus dans sa jeunesse.--Je lui en ai dit tout ce que j'en savais, lui répondant comme le faux Salomon Lob à Totterton dans la comédie: qu'ils étaient tous morts, et condamnés à l'oubli par une satire publiée il y a plus de vingt ans; que le nom de leur exterminateur est Gifford; enfin, qu'ils n'étaient, à tout prendre, qu'une triste bande d'écrivassiers, et ne valaient pas grand'chose, sous d'autres rapports. Il a paru, comme de juste, très-satisfait de ces détails sur ses anciennes connaissances, et s'en est allé enchanté de ce qu'il venait d'apprendre, et du sentencieux éloge que M. Forsyth a fait de lui. Après avoir été un peu libertin dans sa jeunesse, il est devenu dévot, et marmotte des prières pour empêcher le diable d'approcher; mais cela n'empêche pas qu'il ne soit un joli petit vieillard.
»J'ai oublié de vous dire qu'à Bologne (qui est célèbre par ses papes, ses peintres et ses saucissons), j'ai vu une galerie d'anatomie où il y a beaucoup d'ouvrages en cire, parmi lesquels....................
»Donnez-moi des nouvelles de Lalla Rookh qui doit avoir paru.
»Je vous renvoie les épreuves, mais la ponctuation a besoin d'être corrigée;--je me sens trop paresseux pour le faire moi-même, priez donc en grâce M. Gifford de s'en charger pour moi. Adressez toujours vos lettres à Venise. Dans quelques jours j'irai dans ma villeggiatura 73; c'est un casino auprès de la Brenta, à quelques milles de la terre ferme. J'ai résolu de passer ici une autre année et plusieurs années même si je puis en disposer. Marianna est auprès de moi, à peine rétablie de la fièvre qui a ravagé toute l'Italie l'hiver dernier, je crains qu'elle n'ait quelque tendance à la phthisie, cependant j'espère pour le mieux.
»Toujours, etc.
»P. S. Torwaltzen a fait un buste de moi à Rome pour M. Hobhouse, qu'on trouve généralement très-beau. C'est le premier sculpteur après Canova, auquel il est des gens qui le préfèrent.
»J'ai reçu une lettre de M. Hodgson qui est très-heureux; il a obtenu un bénéfice, mais n'a pas d'enfans. S'il était resté dans sa cure, les marmots n'auraient pas manqué d'arriver comme de raison, parce qu'il n'aurait pas eu de quoi les nourrir.
»Rappelez-moi à tous nos amis, etc., etc.
»Un officier autrichien, amoureux d'une Vénitienne, reçut l'ordre, l'autre jour, de partir avec son régiment pour la Hongrie. Égaré par les combats de l'amour et du devoir, il acheta du poison qu'il partagea avec sa maîtresse et qu'ils avalèrent tous deux. Les douleurs qui s'en suivirent furent horribles; mais les pilules n'étaient que purgatives et non empoisonnées, par suite de la prévoyance de l'apothicaire peu sentimental, de sorte que ce fut un suicide de perdu. Vous concevrez facilement le désordre qui régna d'abord, et puis qu'on finit par en rire. Néanmoins l'intention y était des deux côtés.»
LETTRE CCLXXXII.
A M. MURRAY.
Venise, 8 juin 1817.
«La présente vous sera remise par deux moines arméniens qui vont en Angleterre s'embarquer pour Madras. Ils vous porteront aussi quelques exemplaires de la grammaire que vous êtes, à ce qu'il me semble, convenu de prendre. Si vous pouvez leur être de quelque utilité parmi vos connaissances attachées à la Marine ou à la Compagnie des Indes, j'espère que vous ne vous refuserez pas à m'obliger sur ce point, car ils ont eu pour moi, ainsi que tout leur ordre, beaucoup d'attention et de bienveillance depuis mon arrivée à Venise. Voici leurs noms: le père Sukias Somalien, et le père Sarkis Théodorosien. Ils parlent italien, et probablement français ou un peu anglais. Je vous réitère vivement ma prière à leur égard, et vous prie de me croire votre très-sincèrement dévoué, BYRON.
»Peut-être pourrez-vous faciliter leur passage, et leur donner ou leur procurer des lettres pour l'Inde.»
LETTRE CCLXXXIII.
A M. MURRAY.
La Mira, près Venise, 4 juin 1817.
«Je vous écris des bords de la Brenta, à quelques milles de Venise, où je me suis établi pour six mois. Adressez vos lettres, comme à l'ordinaire, à Venise.
»Je vous renvoie l'épreuve du Tasse. A propos, n'avez-vous jamais reçu une traduction de St.-Paul, que je vous ai fait passer (non pour être publiée pourtant) avant mon voyage à Rome?
»Je suis maintenant sur la Brenta.--En face de moi, demeure un marquis espagnol, âgé de quatre-vingt-dix ans; le casino voisin du sien est habité par un Français; puis viennent les natifs; de sorte que, comme le disait quelqu'un l'autre jour, nous sommes absolument comme cette comédie de Goldoni (la Vedova Scaltra), où un Espagnol, un Anglais et un Français sont représentés ensemble.--Au surplus, nous vivons tous en bons voisins, Vénitiens et le reste.
»Je vais monter à cheval pour faire ma promenade du soir, et rendre visite à un médecin qui a une aimable famille, composée de sa femme et de quatre filles non mariées, au-dessous de dix-huit ans. Ils sont amis de la signora S***, et ennemis de personne. Il y a et doit y avoir, d'ailleurs, des conversazioni, etc., etc., chez une comtesse Labbia, et je ne sais chez qui encore. Le tems est doux; le thermomètre a été aujourd'hui à cent-dix degrés au soleil, et à quatre-vingts et tant à l'ombre.
»Votre, etc.»
N.
LETTRE CCLXXXIV.
A M. MURRAY.
La Mira, près Venise, 17 juin 1817.
«J'ai appris avec grand plaisir le succès de Moore, et d'autant que je n'ai jamais douté un moment qu'il ne fût complet. Rien ne saurait m'être plus agréable que le bien que vous pouvez avoir à me dire de lui ou de son poème;--je suis très-impatient de le recevoir. J'espère que sa gloire et les avantages qu'il en retire le rendent aussi heureux que je désire qu'il le soit. Je ne connais personne qui le mérite davantage, ou même autant.
»Vous vous occupez du troisième chant. Je n'ai encore fait ni projeté aucun plan pour la continuation de ce poème. Je suis resté trop peu de tems à Rome pour cela, et je n'ai aucune idée d'y retourner.... ........................................................
»Je ne puis pas bien vous expliquer par lettre l'origine de l'idée que Mrs. Leigh avait conçue sur les Contes de mon Hôte; mais c'est à propos de quelques traits de caractère de sir É. Mauley et de Burley, et peut-être aussi à cause d'un ou deux morceaux burlesques qui s'y trouvent.
»Si vous avez reçu le docteur Polidori aussi bien qu'une liasse de livres, et que vous puissiez lui être utile, n'y manquez pas, je vous prie. Rien ne m'a jamais autant dégoûté dans la nature humaine, que les éternelles sottises, les tracasseries sans fin, la frivolité, le mauvais caractère et la vanité de ce jeune homme; mais il a quelque talent, et c'est un homme d'honneur. D'ailleurs, il a des dispositions à se corriger, ce à quoi il a été déjà aidé par quelque peu d'expérience, et il peut bien tourner. Ainsi donc employez votre crédit pour lui auprès du ministère; car il s'est déjà amendé, et il est susceptible de le faire encore.
»Votre, etc., etc.»
LETTRE CCLXXXV.
A M. MURRAY.
La Mira, près Venise, 18 juin 1817.
«Ci-incluse est une lettre de Pindemonte, pour le docteur Holland. Ne sachant pas son adresse, je suis chargé de m'en informer; et comme c'est un littérateur, vous découvrirez peut-être sa retraite dans le voisinage de quelque cimetière populeux. Je vous ai écrit une lettre de gronde, et à propos d'un passage de votre lettre que j'ai mal compris, je crois; mais c'est égal, cela servira pour la première fois, car je suis bien sûr que vous le mériterez. En parlant de docteur, cela me fait souvenir de vous en recommander un qui ne se recommandera pas par lui-même, c'est le docteur Polidori.--Si vous pouvez lui faire trouver un éditeur, faites-le;--si vous avez quelque parent malade, je vous conseille de le lui faire soigner. Tous les malades qu'il a eus en Italie sont morts; savoir: le fils de M. ***, M. Horner et lord G***, qu'il a embaumé avec beaucoup de succès à Pise.
»Rappelez-moi à Moore, que je félicite. Comment se porte Rogers? et qu'est devenu Campbell et tous les autres de l'ordre des Druides? J'ai reçu la Folie de Maturin, mais pas d'autre paquet, et j'ai des attaques de nerfs d'impatience, à force d'attendre la poudre à dent et la magnésie. J'ai besoin aussi des poudres de Soda de Burkitt. Voulez-vous dire à M. Kinnaird, que je lui ai écrit deux fois relativement à des affaires pressantes (il s'agit de Newsteadt, etc., etc.), dont je le prie humblement de s'occuper.--Je viens en ce moment de galopper sur les bords de la Brenta;--le moment choisi est le coucher du soleil.
»Votre, etc., etc.»
LETTRE CCLXXXVI.
A. M. MURRAY.
La Mira, près Venise, 1er juillet 1817.
«Depuis ma dernière, j'ai donné à mes impressions la forme d'un quatrième chant de Childe Harold; dont j'ai ébauché à peu près une trentaine de stances; j'ai l'intention de continuer, et de faire probablement de cette boutade, la conclusion du poème, de sorte que vous pourrez annoncer vers l'automne le tirage de la conscription pour 1818. Il faudra que vous songiez à vous pourvoir d'argent, cette nouvelle reprise vous présageant certains déboursemens. Vers la fin de septembre ou d'octobre, je présume que je serai sous presse; mais je n'ai encore aucune idée de la longueur, ou du calibre de ce chant, ni de ce qu'il pourra valoir. Quoi qu'il en soit, je me propose d'être aussi mercenaire que possible: exemple que j'aurais dû suivre dans ma jeunesse (je ne veux pas désigner par là aucun individu particulier, et moins encore aucune personne de notre connaissance); mais si j'en eusse ainsi agi, j'aurais pu être un homme fort heureux.
»Pas de poudre à dents, pas de lettres, aucunes nouvelles récentes de vous.
»M. Lewis est à Venise, et je vais y aller passer une semaine avec lui.--Un de ses enthousiasmes aussi est d'aimer cette ville.--
J'étais à Venise sur le Pont des Soupirs, etc.
Le pont des soupirs (il Ponte dei Sospiri) est celui qui sépare, ou plutôt qui joint le palais du doge à la prison d'état. Il a deux passages;--le criminel alla au tribunal par l'un, et revint par l'autre à la mort, ayant été étranglé dans une chambre adjacente, où il y avait un procédé mécanique pour cela.
»Je vous ai commencé la première stance de notre nouveau chant; maintenant voyons un vers de la seconde:
Venise ne répète plus les échos du Tasse, et le muet gondolier fend la vague en silence; ses palais, etc.
»Vous savez qu'autrefois les gondoliers chantaient toujours, et que la Jérusalem du Tasse était le sujet de leurs chants. Venise est bâtie sur soixante et douze îles.
»Voyez! voici une des briques de votre nouvelle Babel, et maintenant, mon homme, que dites-vous de l'échantillon?
»Votre, etc., etc.
»P. S. Je vous récrirai bientôt.»
LETTRE CCLXXXVII.
A M. MURRAY.
La Mira, près Venise, 8 juillet 1817.
«Si vous pouvez remettre l'incluse à son adresse, ou découvrir la personne à qui elle est adressée, vous obligerez le créancier Vénitien d'un Anglais décédé. Cette lettre est pour son héritier, en réclamation du loyer d'une maison. Le nom du défunt insolvable est ou était Porter Valter, suivant le dire du plaignant; ce que je soupçonne plutôt être Walter Porter, d'après notre manière d'arranger les choses. Si vous connaissez quelque mort du même nom, bien endetté, déterrez-le nous, je vous prie, et dites-lui qu'il faut «une livre de sa bonne chair,» ou les ducats, et fi de votre loi, si vous nous les refusez 74!»
»Je n'entends plus parler du poème de Moore, ni de Rogers, ni de nos autres phénomènes littéraires; mais demain étant jour de courrier, je recevrai peut-être quelques nouvelles. Je vous écris au milieu de gens qui parlent vénitien tout autour de moi; aussi ne faut-il pas vous attendre à ce que ma lettre soit tout anglaise.
»L'autre jour j'ai eu une querelle sur le grand chemin, comme vous allez voir. Je m'en revenais chez moi, à cheval et assez vite de Dolo, vers les huit heures du soir, lorsque je passai à côté d'un carrosse de louage, contenant une société de gens dont l'un, passant sa tête à travers la portière, commença à crier après moi d'une manière inarticulée, mais des plus insolentes. Je fis faire un tour à mon cheval, et rejoignant la voiture, je l'arrêtai en demandant: «Signor, désirez-vous quelque chose de moi?--Non,» me répondit-il d'un ton tout-à-fait impudent.--Je lui demandai ensuite ce que signifiait ce tapage indécent dont il incommodait les passans. Il me répliqua quelque impertinence à laquelle je ripostai par un violent soufflet. Je mis alors pied à terre, car ceci se passait à la portière du carrosse, moi étant à cheval, et ouvrant la voiture, je le priai de sortir s'il ne voulait en avoir un autre. Mais il était satisfait du premier, et voulut s'en tenir à des paroles et des blasphêmes dont il me lâcha une bordée, jurant qu'il irait à la police, et déclarerait avoir été assailli sans provocation.--Je lui dis qu'il en avait menti, et qu'il était un..., et que, s'il ne se taisait, je le ferais sortir de la voiture, et le battrais de nouveau. Ceci lui fit garder le silence. Je lui appris alors mon nom et ma demeure, et le défiai à mort, qu'il fût gentilhomme ou non, pourvu qu'il eût assez de cœur pour accepter le combat. Il préféra aller à la police. Mais comme nous avions eu des témoins sur la route, entr'autres un soldat qui avait vu toute l'affaire, ainsi que mon domestique, considérant qu'il avait été l'agresseur, sa plainte fut renvoyée, malgré les sermens du cocher et des cinq individus que renfermait la voiture, et après beaucoup de frais des deux côtés: je fus ensuite informé que, si je ne lui avais pas donné de coups, j'aurais pu le faire mettre en prison.
»Ainsi, mettez sur vos tablettes, que jadis dans Alep, je battis un Vénitien; mais je vous assure qu'il le méritait bien, car je suis un homme paisible comme Candide, quoique mon étoile, comme la sienne, me force de tems à autre à renoncer à ma douceur naturelle.
»Votre, etc., etc.»
B.
LETTRE CCLXXXVIII.
A M. MURRAY.
Venise, 9 juillet 1817.
«J'ai l'analyse et les extraits de Lalla Rookh, qui, dans mon humble opinion, écrasera ***, et montrera à nos jeunes messieurs, qu'il faut quelque chose de plus que d'être monté sur la bosse d'un chameau, pour écrire un bon poème oriental. Je suis très-satisfait de ce que j'ai vu du plan, ainsi que des extraits, et je meurs d'impatience d'avoir le tout.
»Quant à la critique de Manfred, dans votre maudite précipitation, vous ne m'en avez envoyé que la moitié:--cela s'arrête à la page 294.--Faites-moi passer le reste, ainsi que la page 270, où l'on rapporte la prétendue origine de cette terrible histoire; quoique, par parenthèse, quels que soient ces conjectures et celui qui les a faites, il m'est prouvé qu'il n'y est pas et n'entend rien à la chose. J'en ai été chercher l'origine plus haut qu'il ne pourra jamais le concevoir ou le deviner.
»Vous ne me dites rien de la manière dont Manfred est reçu dans le monde, et je ne m'en soucie guère:--c'est, quoi qu'on en puisse dire, un des meilleurs de mes enfans bâtards.
»J'ai enfin reçu un extrait, mais pas de paquets; ils arriveront, je présume, un jour ou l'autre. Je suis venu passer un jour ou deux à Venise pour me baigner, et je vais, de ce pas, me jeter dans l'Adriatique; ainsi donc, bonsoir,--la poste presse.
»Votre, etc., etc.
»P. S. Dites-moi, je vous prie, le discours de Manfred au soleil a-t-il été conservé dans le troisième acte? Je l'espère, car c'est une des meilleures choses de l'ouvrage, et supérieure au Colosseum. J'ai fait, cinquante-six stances du quatrième chant de Childe Harold; ainsi préparez vos ducats.»
LETTRE CCLXXXIX.
A M. MOORE.
La Mira, près Venise, 10 juillet 1817.
«Murray, le Mokanna des libraires, a trouvé moyen de m'envoyer par la poste quelques extraits de Lalla Rookh. Ils sont tirés d'une Revue, et contiennent une courte analyse, et des citations des deux premiers poèmes. Je suis enchanté de ce que j'ai devant moi, et très-avide du reste. Vous ayez saisi les couleurs comme si vous eussiez été sous l'arc-en-ciel, et la teinte orientale y est parfaitement observée.
»Je vous soupçonne donc de nous avoir donné là une composition diablement belle, et je m'en réjouis du fond du cœur; car les Douglas et les Percy peuvent affronter tous deux le monde entier sous les armes. J'espère que vous ne serez pas offensé, si je regarde vous et moi comme oiseaux du même plumage, quoique, sur quelque sujet que vous eussiez pu écrire, j'eusse éprouvé une véritable satisfaction de vos succès.
»Il y a une comparaison entre les fleurs et les fruits d'un oranger, qui m'aurait plu davantage si je n'avais pas cru y voir une allusion à............................................................
»Vous rappelez-vous le poème de Thurlow à Sam, «Quand Rogers;» et ce maudit souper de Rancliffe, qui devait être un dîner.--«Ah! maître. Shallow, nous avons entendu le carillon de la cloche à minuit.»--Mais ma barque attend sur le rivage, elle va bientôt mettre à la mer; mais avant de partir, Tom Moore, que je te porte une double santé!
Ce soupir est pour ceux qui m'aiment, ce sourire pour ceux qui me haïssent, et maintenant, quel que soit le ciel qui doive couvrir ma tête, je porte un cœur préparé à tous les coups du sort.
L'Océan, mugissant autour de moi, ne m'emportera pas moins sur son sein, et le désert qui m'environnera de sa vaste solitude, a des sources auxquelles il est possible d'arriver.
Dussé-je ne plus trouver que la dernière goutte de cette fontaine en approchant, haletant, de ses bords avant que mon courage défaillant succombât, c'est encore à toi que je boirais.
Avec cette eau, comme avec le vin qui remplit mon verre, la libation que je t'offrirais serait: Paix à toi et aux tiens, et à ta santé, Tom Moore.
»Ceci aurait dû être écrit il y a quinze mois, comme l'a été la première stance. Je viens de nager une heure dans l'Adriatique, et je vous écris ayant devant moi une jeune Vénitienne aux yeux noirs, lisant Boccace.
»Le moine Lewis 75 est ici. Comme c'est agréable 76! C'est un bien bon enfant, et qui vous est tout dévoué. Ainsi l'est Sam, ainsi l'est tout le monde, et parmi le nombre,
»Votre, etc., etc.»
»P. S. Que-pensez-vous de Manfred?
LETTRE CCXC.
A M. MURRAY.
La Mira, près Venise, 15 juillet 1817.
«J'ai fini (c'est-à-dire j'ai grifonné, car la lime ne vient qu'après) quatre-vingt-dix-huit stances du quatrième chant, dont je me propose de faire le dernier. Il sera probablement environ de la même longueur que le troisième, qui a lui-même à peu près la même étendue que le premier et le second. Il y a quelques passages que je juge très-bons, c'est-à-dire si les autres chants le sont: c'est ce que nous verrons. Quoi qu'il en soit, bon ou mauvais, il est d'un genre différent du dernier et moins métaphysique, ce qui, dans tous les cas, sera une variété. Je vous ai envoyé l'autre jour le fût d'une colonne comme échantillon de l'édifice (voyez le commencement de la première stance), ainsi vous pouvez compter sur son arrivée vers l'automne, dont les vents ne seront pas les seuls à se déchaîner, si tant est que ledit chant soit prêt à cette époque.
»J'ai prêté à Lewis, qui est à Venise (dans ou sur le Canallaccio, le Grand Canal), vos extraits de Lalla Rookh et Manuel 77; et, par esprit de contradiction, il se peut que ce dernier ouvrage lui plaise, et qu'il ne soit pas très-ravi de l'autre. Pour moi, je pense que Manuel, à l'exception de quelques passades, est aussi pesant que le plus terrible cauchemar qui ait jamais pesé sur mon estomac après une mauvaise digestion.
»Pour les extraits, je ne puis les juger que comme extraits, et je préfère la Péri au Voile d'argent. Sa versification ne me paraît pas si facile dans le Voile d'argent, et on dirait qu'il est un peu embarrassé de sortir de toutes ces horreurs; mais la conception du caractère de l'imposteur est très-belle, et le plan est vaste pour son génie. Au total, je ne doute pas que l'ensemble n'ait la couleur vraiment arabe et ne soit très-beau.
»Votre dernière lettre n'est pas très-abondante en nouvelles; et aucune autre encore ne l'ayant suivie, il en résulte que je ne sais rien de vos affaires ni des affaires de personne; et comme vous êtes le seul qui m'écriviez sans me dire les choses les plus désagréables du monde, je serai toujours bien aise de recevoir vos lettres. Comme aussi il n'est pas très-possible que je retourne de sitôt en Angleterre, et que j'y réside jamais, si je puis faire en sorte, par quelque combinaison relative à mes affaires personnelles, tout ce que vous me direz au sujet de notre bien-aimé royaume de Grub-Street, et des noirs confrères et des consœurs les bas-bleus de ce vaste faubourg de Babylone, sera tout ce que j'en saurai et en demanderai jamais. N'avez-vous pas quelque nouveau nourrisson des Muses pour remplacer les morts, les absens, ceux qui sont las de littérature, et ceux qui se sont retirés?--Pas de prose, pas de vers, pas de rien?»
LETTRE CCXCI.
A M. MURRAY.
Venise, 20 juillet 1817.
«Je vous écris pour vous informer que j'ai terminé le quatrième et dernier chant de Childe Harold. Il se compose de cent vingt-six stances; il est par conséquent le plus long de tous. Reste encore à le copier et à le polir; puis viennent les notes, dont il lui faudra un bien plus grand nombre qu'au troisième chant, comme il traite nécessairement plus des ouvrages de l'art que de ceux de la nature. Il sera envoyé vers l'automne; et maintenant, venons à notre marché. Qu'en donnez-vous, hein? Vous en aurez des échantillons, si vous voulez; mais je désire savoir ce que je dois en attendre, dans ces tems difficiles (comme cela se dit) où la poésie ne rapporte pas la moitié de sa valeur.--Si vous êtes disposé «à bien faire les choses,» comme le dirait Mrs. Winifred Jenkins, je jetterai peut-être de votre côté quelque chose de plus,--quelques traductions ou quelques légères esquisses originales:--il ne faut pas répondre de ce qu'il peut y avoir de neuf sous l'enclume d'ici à la saison des livres.--Rappelez-vous que c'est le dernier chant, et qu'il complète l'ouvrage. Quant à vous dire s'il est égal au reste, c'est de quoi je ne puis encore juger. Il a moins de suite encore que tous les autres, mais il n'y aura pas de ma faute s'il leur est de beaucoup inférieur. Il est possible que je disserte un peu dans mes notes sur l'état actuel de la littérature et des littérateurs italiens, connaissant quelques-uns de leurs capi 78, tant en hommes qu'en livres;--mais cela dépendra de l'humeur du moment.--Ainsi, voyons, prononcez maintenant: je ne dis plus rien.
»Quand vous aurez les quatre chants complets, je pense que vous pourrez risquer une nouvelle édition du poème in-quarto, avec des exemplaires de surplus des deux derniers chants, pour ceux qui auraient acheté l'ancienne édition des deux premiers. Voici un avis que je vous donne, qui est digne de la confrérie, et maintenant, examinez et prononcez.
»Je n'ai pas reçu un seul mot de vous sur le sort de «Manfred» ou «du Tasse;» ce qui me paraît singulier, qu'ils aient réussi ou non.
»Comme ceci n'est qu'un griffonnage d'affaires, et que je vous ai écrit dernièrement assez souvent, et d'une manière assez étendue sur d'autres sujets, je me bornerai à ajouter que je suis votre, etc., etc.»
LETTRE CCXCII.
A M. MURRAY.
La Mira, près Venise, 7 août 1817.
«Votre lettre du 18 et, ce qui vous fera autant de plaisir qu'à moi, le paquet envoyé par l'entremise et les bons soins de M. Croker, sont arrivés. MM. Lewis et Hobhouse sont ici:--le premier dans la même maison que moi, le second à quelques centaines de toises.
»Vous ne me dites rien de Manfred, d'où je dois conclure qu'il n'a pas réussi;--mais il me semble étrange que vous ne me l'appreniez pas du premier coup. Je ne sais rien de rien de ce qui se passe en Angleterre, et ne reçois absolument de nouvelles de personne; de sorte que tout ce que vous pourrez me dire sur les choses et sur les individus sera entièrement neuf pour moi. Je suis en ce moment très-impatient d'en finir avec Newsteadt, et je regrette que Kinnaird quitte précisément l'Angleterre dans ce moment, quoique je ne lui en dise rien, et ne demande pas mieux que de le voir aller à ses plaisirs, bien que, dans ce cas, mes intérêts puissent en souffrir.
»Si j'ai bien compris, vous avez payé à Morland 1,500 livres sterling: comme la convention du papier passé entre nous porte 2,000 guinées, il reste donc 600 et non 500 livres sterling, les 100 dernières livres formant le surplus de l'espèce; 630 livres sterling résulteront pareillement du manuscrit de Manfred et de Tasso, ce qui fait un total de 1,230 livres sterling, si je ne me trompe; car je ne suis pas très-bon calculateur. Je ne veux pas vous presser, mais je vous dirai franchement qu'il m'arrangera beaucoup que cette somme soit payée aussitôt que vous le pourrez sans vous gêner.
»Le nouveau et dernier chant a cent trente stances, et peut être raccourci ou ralongé à volonté. Je n'en ai pas encore fixé le prix, même en idée, et je ne m'en fais aucune de ce qu'il peut valoir. Il ne s'y trouve rien de métaphysique, au moins je ne le crois pas. M. Hobhouse m'a promis une copie du testament du Tasse pour mettre dans mes notes, et j'ai différentes choses curieuses à dire sur Ferrare et sur l'histoire de Parisina; j'ai peut-être aussi quelque 79 peu de lumière à répandre sur l'état actuel de la littérature italienne. C'est tout au plus si je pourrai être prêt en octobre, car j'ai tout à copier et les notes à faire;--mais cela est fort égal.
»Je ne sais pas s'il plaira à Scott que je l'aie appelé dans mon texte l'Arioste du Nord.--Dans le cas contraire, faites-le-moi savoir à tems.
«On a voulu faire imprimer dernièrement à Venise une traduction italienne de Glenarvon. Le censeur, signor Petrotini, a refusé de consentir à la publication avant de m'avoir vu à ce sujet. Je lui ai dit que je ne reconnaissais pas le moindre rapport entre moi et ce livre; mais que, quelles que pussent être les opinions à cet égard, je ne m'opposerais jamais à la publication d'aucun livre, dans aucune langue, pour mon compte personnel: je le priai donc, contre son inclination, de permettre au pauvre traducteur de publier le fruit de ses travaux. En conséquence, l'affaire va son train; vous pouvez le dire à l'auteur, en lui faisant mes complimens.
»Votre, etc.»
LETTRE CCXCIII.
A M. MURRAY.
Venise, 12 août 1817.
«J'ai été très-affligé d'apprendre la mort de Mme de Staël, non-seulement parce qu'elle a eu beaucoup de bontés pour moi à Coppet, mais parce qu'il ne m'est plus permis de m'acquitter avec elle. Sous un point de vue général, elle laissera un grand vide dans la littérature et dans la société.
»Quant à elle personnellement, je ne crois pas que nous devions plaindre les morts pour leur propre compte.
»Les exemplaires de Manfred et de Tasso me sont parvenus, grâce au couvert de M. Croker.--Vous avez détruit tout l'effet et toute la morale du poème en supprimant le dernier vers prononcé par Manfred; et dans quel but cela a-t-il été fait? je ne le devine pas. Pourquoi persistez-vous à ne me pas parler de l'ouvrage lui-même? Si c'est par la répugnance que vous éprouvez à me dire une chose désagréable, vous vous trompez.--Ne dois-je pas le savoir tôt ou tard? et je ne suis ni assez neuf, ni assez novice, ni assez peu endurci par l'expérience pour ne pas être capable de supporter, non-seulement les misérables petits mécomptes du métier d'auteur, mais encore des choses plus graves,--du moins je l'espère; et ce que vous regardez, vous, comme de l'irritabilité, est un effet purement mécanique, et qui agit comme le galvanisme sur un corps mort, ou comme le mouvement musculaire qui survit à la sensation.
»Si par hasard vous êtes de mauvaise humeur parce que je vous ai écrit une lettre un peu vive, rappelez-vous que cela vient en partie de ce que j'avais mal compris la vôtre, et en partie de ce que vous avez fait une chose que vous ne deviez pas faire sans me consulter.
»J'ai cependant entendu dire du bien de Manfred de deux autres côtés, et par des gens qui ne se font pas scrupule de dire ce qu'ils pensent et ce qu'ils entendent: «ainsi je vous souhaite le bon jour, mon bon monsieur le lieutenant.»
»Je vous ai écrit deux fois au sujet du quatrième chant, vous me répondrez quand il vous plaira. M. Hobhouse et moi sommes venus un jour en ville.--M. Lewis est parti pour l'Angleterre, et je suis
»Votre etc.»
LETTRE CCXCIV.
A M. MURRAY.
La Mira, près Venise, 21 août 1817.
«Je vous prends au mot relativement à M. Hanson, et vous serai bien obligé si vous voulez aller chez lui, et prier M. Davies de le voir aussi de ma part pour lui répéter que j'espère que ni l'absence de M. Kinnaird, ni la mienne, ne l'empêcheront de prendre toutes les mesures nécessaires pour accélérer la vente de Newsteadt et de Rochdale, dont toute mon aisance personnelle doit dépendre à l'avenir. Il est impossible d'exprimer à quel point tout retard dans cette affaire m'occasionnerait de gêne, et je ne sache pas qu'on puisse me rendre un plus grand service que de presser Hanson à ce sujet, et de le faire agir suivant mes désirs. Je voudrais que vous parlassiez franchement, du moins avec moi, et que vous me donnassiez l'explication de la froideur avec laquelle vous vous exprimez sur son compte. Toute espèce de mystère à une telle distance, sont non-seulement tourmentans, mais encore nuisibles et peuvent porter préjudice à mes intérêts; ainsi donc expliquez vous, que je puisse me consulter avec M. Kinnaird quand il arrivera,--et rappelez-vous que je préfère les certitudes les plus désagréables aux allusions et aux insinuations indirectes. Que le diable emporte tout le monde: je ne puis jamais rencontrer une personne qui parle clairement sur les choses ou les individus, et toute ma vie s'est passée en conjectures sur ce que les gens voulaient dire;--on croirait que vous avez tous adopté le style des romans de C*** L***.
»Ce n'est pas de M. Saint-John qu'il est question, mais de M. Saint-Aubyn fils, de sir John Saint-Aubyn, Polidori le connaît, c'est lui-même qui me l'a présenté; il est d'Oxford et il a entre ses mains mon paquet. Le docteur le déterrera, et il le doit: ce paquet contient plusieurs lettres de Mme de Staël et d'autres personnes, outre des manuscrits, etc.--De par ***, si je trouve le gentilhomme, et que le gentilhomme n'ait pas retrouvé le paquet, il entendra de moi des choses qui ne lui plairont nullement.
»P. S. J'ai fini le quatrième et dernier chant qui a cent trente-trois stances. Je désire que vous m'en donniez un prix: si vous ne le faites pas, ce sera moi, je vous en préviens d'avance.
»Votre, etc.
»Il y aura bon nombre de notes.»
LETTRE CCXCV.
A M. MURRAY.
4 septembre 1817.
«Votre lettre du 15 m'a apporté, outre son contenu, l'empreinte d'un cachet auprès duquel la «tête du Sarrasin» est celle d'un archange, et celle de la «mâchoire du taureau» une image délicate. Je savais que la calomnie m'avait passablement noirci dans les derniers tems, mais j'ignorais qu'elle m'eût donné les traits et le teint d'un nègre. La pauvre Augusta en est non moins révoltée que moi, peut-être même l'est-elle plus, et dit qu'il faut que ceux qui ont gravé cette tête noire, aient étrangement perdu la mémoire. Je vous prie, ne cachetez pas vos lettres, du moins celles qui me sont adressées, avec cette caricature du crâne humain, et si vous ne cassez pas la tête au graveur, du moins brisez cette empreinte ou ce portrait injurieux, si tant est que ceci puisse passer pour un portrait de moi.
»M. Kinnaird n'est pas encore arrivé, mais il est attendu. Il a perdu en chemin toute la poudre à dents, comme me l'apprend une lettre de Spa.
»J'ai reçu par M. Rose, en bon état (quoiqu'un peu tardivement), la magnésie et la poudre à dents, et ***. Pourquoi m'envoyez-vous un tel fatras, le pire de tous les galimatias, le sublime de la médiocrité? Merci pour Lalla cependant, voilà qui est bon; merci encore pour le Quarterly et l'Édimbourg, deux revues amusantes et bien écrites. Paris en 1815, etc., est assez bon.--La Grèce moderne, cela ne vaut rien du tout;--c'est écrit par quelqu'un qui n'y a jamais été, et qui, ne sachant pas employer la stance de Spencer, a inventé quelque chose de son cru, composé de deux stances élégiaques d'un vers héroïque et d'un alexandrin entrelacés autour d'une corde. Et puis pourquoi moderne? vous pouvez dire les Grecs modernes, mais quant à la Grèce elle-même, elle est un peu plus ancienne qu'elle n'a jamais été.--Maintenant passons aux affaires.
»Vous m'offrez 1,500 guinées du nouveau chant,--je n'en veux pas;--j'en demande 2,500, que vous me donnerez ou non suivant votre bon plaisir. C'est la conclusion du poème, et il est composé de cent quarante-quatre stances; les notes y sont nombreuses et écrites en partie par M. Hobhouse, dont les recherches ont été infatigables, et qui, j'ose le dire, connaît mieux Rome et ses environs qu'aucun Anglais qui y ait été depuis Gibbon. A propos, pour prévenir toute méprise, je crois nécessaire de déclarer ici comme un fait, que M. Hobhouse n'a aucun intérêt quelconque direct ou indirect dans le prix qui doit être donné du manuscrit et des notes, et cela afin que vous ne supposiez pas que c'est par lui et à cause de lui que je demande plus de ce chant que des autres.--Non.--Mais si M. Eustace doit avoir 2,000 livres ster. pour un poème sur l'Éducation, M. Moore 3,000 pour Lalla, etc.; si M. Campbell reçoit 3,000 livres ster. pour sa prose sur la poésie, sans rabaisser les travaux de ces messieurs, je demande le prix susdit des miens. Vous me direz que leurs ouvrages sont beaucoup plus longs, c'est vrai; et quand ils les raccourciront, j'allongerai les miens et je demanderai moins. Vous soumettrez le manuscrit au jugement de M. Gifford et de deux autres personnes que vous nommerez vous-même (M. Frère ou M. Croker, ou qui vous voudrez, excepté cependant à des gens tels que votre **s et votre **s), et s'ils décident que ce chant dans son ensemble soit inférieur aux précédens, je n'appellerai point de leur jugement, mais je brûlerai le manuscrit et laisserai les choses comme elles sont.
»Votre très-sincèrement, etc.
»P. S. En réponse à une lettre précédente, je vous ai envoyé un résumé concis de l'état de notre compte courant,--savoir: 600 livres ster. encore dues (ou qui l'étaient au moins dernièrement) sur Childe Harold, et 600 guinées pour Manfred et Tasso, formant un total de 1,230 livres ster. Si nous nous arrangeons pour le nouveau poème, je prendrai la liberté de me réserver le choix du format dans lequel il sera publié, et ce sera très-certainement in-quarto...................»
LETTRE CCXCVIII 80.
A. M. MURRAY.
18 septembre 1817.
«Je joins ici une feuille à corriger; si jamais vous arrivez à une seconde édition, vous remarquerez que d'après la bévue de l'imprimeur, on croirait que le château est au-dessus de Saint-Gingo au lieu d'être sur la rive opposée du lac, au-dessus de Clarens. Ainsi séparez cela par un alinéa, ou ma topographie paraîtra aussi inexacte que votre typographie l'a été dans cette occasion.
»Je vous ai écrit l'autre jour pour vous transmettre mes propositions relativement au quatrième et dernier chant. J'ai été plus loin, et je l'ai étendu jusqu'à cent-cinquante stances, ce qui le rend presqu'aussi long que les deux premiers réunis l'étaient dans le principe, et plus long qu'aucun de mes autres petits poèmes, à l'exception du Corsaire. M. Hobhouse a fait des notes très-exactes et très-précieuses, et d'une étendue considérable; et vous pouvez être sûr que je ferai pour le texte tout ce qu'il est possible que je fasse pour en finir décemment. Je regarde Childe Harold comme ce que j'ai fait de mieux; ce fut par là que je commençai, et je crois que c'est aussi par là que je terminerai ma carrière; mais je ne veux pas former de résolution sur ce point, n'ayant pas tenu la promesse que je m'étais faite relativement au Corsaire. Cependant je crains de ne pouvoir jamais faire mieux, et pourtant quand on n'a pas encore trente ans (et il s'en faut encore de quelques lunes que je les aie atteints), on devrait aller en augmentant, du moins du côté des facultés intellectuelles, pendant quelques bonnes années encore. Mais j'ai eu beaucoup à combattre et à souffrir dans ma vie, et les chagrins m'ont usé l'ame et le corps. D'ailleurs j'ai déjà trop et trop souvent publié,--que Dieu me donne le jugement de faire ce qui sera le plus à propos en cela comme dans le reste, car je doute furieusement du mien.
»J'ai lu Lalla Rookh, mais pas encore avec assez d'attention, car je monte à cheval, je flâne, je rêve, et fais encore plusieurs autres choses; de sorte que ma lecture est très-peu suivie et n'a plus la solidité d'autrefois. Je suis enchanté d'apprendre la vogue dont cet ouvrage jouit, car Moore est un garçon rempli des plus nobles qualités, et qui jouira de sa réputation sans aucun des mauvais sentimens que le succès, n'importe de quelle espèce, engendre souvent chez les rimeurs. Quant au poème, je vous en dirai mon opinion quand je m'en serai bien pénétré: je dis poème, car la prose ne me plaît pas du tout, du tout;--jusqu'à présent les «Adorateurs du feu» me semblent ce qu'il y a de mieux, et le «Prophète voilé» ce qu'il y a de pis dans le volume.
»Pour ce qui est de la poésie en général 81, plus j'y pense et plus je suis persuadé que lui et nous tous, tant que nous sommes, Scott, Southey, Wordsworth, Moore, Campbell et moi, sommes tous également dans une fausse route: que nous suivons tous un système erroné de révolution poétique qui ne vaut rien du tout, et dont Rogers et Crabbe sont les seuls exempts, et je ne doute pas que la génération actuelle et celle qui vient ne finissent par être de cette opinion. Ce qui l'a confirmée en moi, c'est que j'ai voulu dernièrement parcourir quelques-uns de nos classiques, Pope surtout, et voici l'épreuve que j'ai faite: j'ai pris les poèmes de Moore, les miens et quelques autres encore, et je les ai relus à côté de ceux de Pope; j'ai été réellement étonné (et plus que je n'aurais dû l'être), et surtout mortifié de la distance immense en fait de sens, de savoir, d'effet, et même d'imagination, de passion et d'invention, qu'il y a entre le petit homme de la reine Anne et nous autres du Bas-Empire.--Croyez-le bien, tout était Horace alors, et tout est Claudien aujourd'hui parmi nous, et si je devais recommencer ma carrière, je me façonnerais sur un autre moule. Crabbe est l'homme qu'il faudrait; mais le sujet qu'il a choisi est grossier et d'une exécution impraticable, et *** est retiré avec la demi-paie, d'ailleurs il en a fait assez, à moins qu'il ne recommençât à écrire comme il écrivait autrefois.»
LETTRE CCXCVIII.
A M. MURRAY.
17 septembre 1817.
.........................................................................................................
«M. Hobhouse se propose de retourner en Angleterre en novembre. Il emportera avec lui le quatrième chant, notes et tout. Le texte contient cent cinquante stances, ce qui est assez long pour cette mesure.
»Quant à «l'Arioste du Nord» il est certain que tous deux avaient également pour sujet la chevalerie, la guerre et l'amour, et si vous saviez ce que les Italiens pensent de l'Arioste, vous ne douteriez pas un moment de tout ce qu'il y a de flatteur dans ce compliment. Mais à l'égard de leurs mesures, vous oubliez que celle de l'Arioste est la stance octave, et que celle de Scott n'est rien moins qu'une stance. Si vous croyez que cela déplaise à Scott, dites-le, et je l'effacerai.--Je ne l'appelle pas «l'Arioste écossais» ce qui serait un petit éloge bien provincial, mais «l'Arioste du Nord» c'est-à-dire de tous les pays qui ne sont pas au Midi...............................
»Comme je vous ai assez importuné de mes lettres depuis quelque tems, je terminerai en me disant votre, etc.»
LETTRE CCXCIX.
A M. MURRAY.
12 octobre 1817.
«M. Kinnaird et son frère lord Kinnaird sont venus ici et en sont répartis. Tout ce que vous m'avez adressé m'est arrivé, à l'exception de la poudre à dents, dont je vous demanderai une nouvelle provision à la première occasion favorable: il me faudra aussi de la magnésie et des poudres de Soda, ce qui est un grand luxe ici, car on n'en peut avoir de bonne ni de l'une ni de l'autre, et même il est difficile de s'en procurer dans le pays............................
»Ma réponse à votre proposition au sujet de mon quatrième chant, vous sera sans doute parvenue, et moi j'attends la vôtre;--peut-être ne nous accorderons-nous pas.--Depuis j'ai écrit un poème en quatre-vingt-quatre stances octaves, dans le genre bouffon; et d'après l'excellente manière de M. Whistlecraft (qui, à mon avis, n'est autre que Frere). Il a pour sujet une anecdote vénitienne qui m'a amusé; mais jusqu'à ce que j'aie votre réponse, je ne vous en dirai pas d'avantage. M. Hobhouse ne retournera pas au mois de novembre en Angleterre comme il se le proposait; il passera l'hiver ici, et comme c'est lui qui doit porter le poème ou les poèmes, car il est possible même qu'il y en ait plus que les deux dont j'ai parlé (et qui, par parenthèse, ne sont peut-être pas compris dans la même publication et dans les mêmes arrangemens), ils ne pourront être publiés aussitôt que je l'avais cru; mais je suppose qu'il n'y a pas grand mal à ce délai.
»J'ai signé et je vous renvoie vos anciens actes par M. Kinnaird, mais sans le reçu, l'argent n'ayant pas encore été payé. M. Kinnaird a une procuration qui l'autorise à signer pour moi, et il le fera quand cela sera nécessaire.
»Mille remerciemens de la Revue d'Édimbourg, qui est très-généreuse envers Manfred, et défend son originalité que je ne sache pas avoir été attaquée par personne. Je n'ai jamais lu, et ne crois pas avoir jamais vu le Faust de Marlow,--et je n'avais et n'ai encore aucun ouvrage dramatique anglais à l'exception des publications nouvelles que vous m'avez envoyées; mais l'été dernier j'ai entendu traduire verbalement à M. Lewis quelques scènes du Faust de Gœthe, dont quelques-unes étaient bonnes, les autres mauvaises, et voilà tout ce que je sais de l'histoire de ce personnage magique. Quant aux premiers germes de Manfred on les trouvera dans le journal que j'ai envoyé à Mrs. Leigh, (et dont je crois que vous avez vu une partie) lorsque je traversai d'abord la Dent de Jaman, puis le Wengen ou Wengeberg et le Sheideck, et que je fis le tour de la Jungfrau et du Shreckhorn, peu de tems avant mon départ de Suisse. J'ai devant les yeux les lieux où se passe l'action de Manfred comme si je les avais vus hier, et je pourrais les décrire place par place, ainsi que les torrens et tout ce qui s'y trouve de remarquable.
»J'étais admirateur passionné du Prométhée d'Eschyle dans ma première jeunesse (c'était une des pièces du théâtre grec que nous lisions trois fois par an à Harrow), et pour dire la vérité, celle-ci et la Médée furent les seules, à l'exception pourtant des Sept Chefs devant Thèbes, qui m'aient jamais beaucoup plu. Quant au Faust de Marlow, je ne l'ai jamais lu, jamais vu, et n'en ai jamais entendu parler, du moins je n'y ai jamais pensé, excepté à propos d'une note de M. Gifford, que vous m'avez envoyée, et dans laquelle il dit quelque chose de sa catastrophe; mais non comme ayant aucun rapport avec la mienne, qui peut lui ressembler ou ne pas lui ressembler, sans que je le sache ou m'en soucie.
»Le Prométhée, quoique n'entrant pas exactement dans mon plan, m'est toujours tellement resté dans la tête que je puis concevoir facilement l'influence qu'il a sur tous mes écrits, ou du moins, sur quelqu'un d'eux;--mais je nie Marlow et sa progéniture, et je vous prie de faire de même.
»Si vous pouvez m'envoyez le papier en question 82 cité par la Revue d'Édimbourg, n'y manquez pas;--l'article du Magazine a été écrit par Wilson, dites-vous? En effet, il avait tout l'air d'être écrit par un poète, et c'est un fort bon article. Quant à celui de la Revue d'Édimbourg, je l'attribue à Jeffrey lui-même à cause de la bienveillance qui y règne. Je suis étonné qu'on ait jugé à propos de l'insérer sitôt après le premier; mais c'est évidemment par un bon motif.
«J'ai vu Hoppner l'autre jour, et j'ai loué pour deux ans sa campagne à Este. Si vous venez par ici l'été prochain, faites-le moi savoir à tems. Mes amitiés à Gifford.
»Votre très-sincèrement, etc.»
LETTRE CCC.
A M. MURRAY.
Venise, 23 octobre 1817.
«Vos deux lettres sont là devant mes yeux, et jusque-là notre marché est conclu. Combien je suis fâché d'apprendre que Gifford soit malade: écrivez-moi, je vous prie, qu'il est mieux;--j'espère que ce ne sera rien qu'un rhume, et dès que vous me dites que sa maladie provient d'un refroidissement, j'aime à croire que cela n'ira pas plus loin.
»M. Whistlecraft n'a pas de plus grand admirateur que moi. J'ai écrit, à l'imitation de sa manière, une histoire en quatre-vingt-neuf stances intitulée Beppo (c'est l'abréviation du nom de Giuseppe, et répond à notre Joe en italien) et je jetterai ce petit poème dans la balance avec le quatrième chant pour vous aider à vous refaire de votre argent. Peut-être pourtant vaudrait-il mieux le publier en gardant l'anonyme; mais c'est ce que nous verrons plus tard.
»Dans les notes du quatrième chant, M. Hobhouse a indiqué quelques erreurs commises par Gibbon. Vous pouvez comptez sur l'exactitude des recherches de Hobhouse. Vous imprimerez dans le format qu'il vous plaira.
»Quant à la grande édition que vous projetez, vous pouvez imprimer tout, ou seulement ce que vous voudrez, à l'exception des Poètes anglais que je ne consentirai dans aucun tems à laisser publier de nouveau. Il n'y a pas de considération qui pût me décider à les faire réimprimer; je ne crois pas qu'ils vaillent grand'chose, même comme poésie, et pour ce qui regarde le reste, vous devez vous rappeler que j'ai renoncé à cette publication à cause des Holland, et que je ne pense pas qu'aucune circonstance puisse dans aucun tems me permettre de revenir sur cette résolution;--ajoutez à cela, que dans les termes où j'en suis avec presque tous les poètes et critiques du jour, ce serait une indignité dans tous les tems, mais surtout en ce moment, de faire reparaître cette folle satire........................................
»La revue de Manfred est arrivée sans entrave, et j'en suis très-content. Il est assez singulier qu'on prétende (c'est-à-dire que quelqu'un prétende, dans un Magazine que la Revue d'Édimbourg combat) que le sujet a été pris dans le Faust de Marlow, que je n'ai jamais lu ni vu. Un Américain qui est arrivé l'autre jour de l'Allemagne, a dit à M. Hobhouse que Manfred était puisé dans les Faust de Gœthe.--Que le diable soit des deux Faust allemand, et anglais: je n'ai-rien pris dans l'un ni dans l'autre.
»Voulez-vous envoyer de ma part chez Hanson, pour lui dire qu'il ne m'a pas écrit depuis le 9 septembre? du moins je n'ai pas reçu de lettre de lui, à ma grande surprise.
»Faites-moi aussi le plaisir de prier MM. Morland d'envoyer immédiatement les sommes qu'ils peuvent avoir de surplus en lettres de crédit, et toujours à leurs correspondans de Venise. Il y a deux mois qu'ils m'envoyèrent un crédit additionnel de 1,000 livres sterling: j'en ai été charmé, mais je ne sais pas comment diable cela est venu, car je ne vois que les 500 livres sterling payés par Hanson, et j'avais cru que les 500 autres venaient de vous, mais il paraît que non, d'après votre lettre du 7, dans laquelle vous m'apprenez que vous n'avez payé que la balance des 1,230 livres sterling.
»M. Kinnaird est en route pour l'Angleterre, avec les différentes assignations que j'ai faites. Je ne puis fixer d'époque précise pour l'arrivée du chant quatrième, qui dépend du retour de M. Hobhouse, qui, je crois, n'aura pas lieu tout de suites.
»Tout à vous, très à la hâte, et très-sincèrement.
»P. S. Les Morlands n'ont pas encore écrit à mes banquiers pour les informer du paiement de votre balance;--priez-les, s'il vous plaît, de le faire.
»Demandez-leur une explication au sujet des premières 1,000 livres sterling, dont je sais que 500 viennent d'Hanson, et trouvez-moi les 500 autres, c'est-à-dire d'où elles proviennent.»
LETTRE CCCI.
A M. MURRAY.
Venise, 15 novembre 1817.
«M. Kinnaird est probablement de retour en Angleterre à présent, et il vous aura donné les nouvelles que vous pouviez désirer de nous et des nôtres. Je suis revenu à Venise pour y passer l'hiver. M. Hobhouse partira probablement en décembre; mais quel jour, quelle semaine? c'est ce que j'ignore encore. Il demeure maintenant en face de moi.
»J'ai écrit hier à M. Kinnaird, me trouvant un peu inquiet et d'assez mauvaise humeur, pour lui demander des nouvelles de Newstead et des Hansons, dont je n'ai rien appris depuis son départ d'ici, excepté par quelques mots inintelligibles d'une femme inintelligible.
»Je suis aussi fâché d'apprendre l'accident arrivé au docteur Polidori, que quelqu'un peut l'être à l'égard d'un homme pour lequel il a une certaine aversion et quelque peu de mépris. Quand il sera rétabli, apprenez-moi quelle espèce de succès il a dans sa profession.--Comment diable ce pauvre garçon est-il venu se fixer ici?
Je crains que toute la science du docteur à Norwich, lui donne à peine le moyen de mettre du sel dans sa soupe.
»Je croyais qu'il allait au Brésil avec le consul danois, faire prendre des médecines aux Portugais, car ces derniers les aiment à la folie............
»Votre nouveau chant s'est étendu jusqu'à cent soixante-sept stances:--vous voyez qu'il sera long; et quant aux notes d'Hobhouse, je soupçonne qu'elles seront de dimension héroïque. Il faut faire en sorte de tenir M. M*** de bonne humeur, car il est diablement chatouilleux au sujet de votre Revue, et de tout ce qui y tient, sans en excepter l'éditeur, l'amirauté et le libraire. Je me croyais passablement auteur, quant à l'amour-propre et noli me tangere, mais je vois que ces prosateurs sont bien autre chose en fait de susceptibilité.
»Vous rappelez-vous que je vous ai parlé, il y a quelques mois, d'un marquis de Moncade, Espagnol d'un rang distingué, âgé de quatre-vingts ans, et mon proche voisin à la Mira? Eh bien! il y a six semaines environ qu'il est devenu amoureux d'une petite Vénitienne d'une bonne famille, mais sans fortune ni réputation. Il l'a prise chez lui, s'est brouillé avec tous ses anciens amis qui avaient voulu lui donner des conseils (excepté moi, qui ne lui en ai donné aucun), et a installé cette fille chez lui, en qualité de concubine actuelle et de future épouse, et maîtresse de sa personne et de ses meubles. Au bout d'un mois, pendant lequel elle s'était on ne peut plus mal conduite, il a découvert une correspondance entre elle et quelque ancien entreteneur, si bien qu'après l'avoir presque étranglée, il l'a mise à la porte, au grand scandale des galans de la ville, et avec un éclat prodigieux qui a occupé tous les canaux et cafés de Venise. Il dit qu'elle a voulu l'empoisonner, et elle dit Dieu sait quoi; mais il y a eu beaucoup de fracas entre eux. Je connaissais un peu les deux parties:--Moncade me paraissait un vieillard plein de bon sens, réputation qu'il n'a pas tout-à-fait soutenue dans cette circonstance, et la femme est plus brillante que jolie. Pour l'honneur de la religion, elle a été élevée dans un couvent; et, pour la gloire de la Grande-Bretagne, c'est une Anglaise qui a été son institutrice.
»Tout à vous.»
LETTRE CCCII.
A M. MURRAY.
Venise, 3 décembre, 1817.
«Une dame vénitienne, savante, et déjà un peu avancée en âge, ayant, dans ses intervalles d'amour et de dévotion, entrepris de traduire les lettres et d'écrire la vie de lady Mary Wortley Montague, entreprise à laquelle il y a deux obstacles, d'abord son ignorance de l'anglais, et ensuite son manque total de matériaux pour la biographie qu'elle se propose, s'est adressée à moi pour que je lui fournisse des faits vrais ou faux sur ce sujet intéressant. Lady Montague, je crois, a passé les vingt dernières années de sa vie et peut-être plus à Venise, ou dans ses environs; mais ici, on ne sait rien, on ne se rappelle rien, car l'histoire scandaleuse du jour est remplacée par celle du lendemain; et l'esprit, la beauté et la galanterie, qui ont pu rendre notre compatriote célèbre dans son pays, n'ont pas dû lui être ici de grands titres de distinction,--d'abord parce que le premier n'est pas nécessaire, et ensuite parce que les deux autres attributs sont communs à toutes les femmes, ou du moins le dernier. Si donc vous pouvez me donner ou me procurer quelques détails sur lady Mary Wortley Montague, je vous en serai obligé, et m'empresserai de les transmettre et de les traduire à la dama en question. Et je vous prie aussi de m'envoyer, par quelque voyageur sûr et expéditif, un exemplaire de ses Lettres, avec la pesante et ennuyeuse histoire écrite par le docteur Dallaway, et publiée par sa sotte et orgueilleuse famille.
»La mort de la princesse Charlotte a produit un ébranlement même ici: chez nous, elle doit avoir eu l'effet d'un tremblement de terre. La liste donnée par le Courrier des trois cents et quelques héritiers de la couronne (en y comprenant la maison de Wirtemberg, avec cette ***, p--de honteuse mémoire, que je me rappelle avoir vue à différens bals, pendant le séjour des Russes, en 1814), doit être bien consolante pour tous les fidèles sujets britanniques, aussi bien que pour les étrangers, à l'exception pourtant du signor Travis, riche négociant juif de cette ville, qui se plaint terriblement de la longueur du deuil en Angleterre, qui lui a fait recevoir contre-ordre pour toutes les soies dont il avait la commande pour plus d'une année. La mort de cette pauvre femme est triste sous tous les rapports: mourir à vingt ans ou environ, en couches, et en couches d'un garçon, une princesse, une reine future, et au moment où elle commençait à être heureuse, et à jouir d'elle-même et des espérances qu'elle inspirait.....
»Je crois, autant que je puis me le rappeler, que c'est la première princesse royale décédée en couches, dans nos annales historiques. J'en suis affligé sous tous les rapports; je regrette la perte d'un règne féminin, et celle d'une femme qui n'avait pas encore fait de mal, et toutes les réjouissances, tous les discours, toutes les ivrogneries, toutes les dépenses de John Bull à son avènement.....
»Le prince se remariera après avoir obtenu son divorce, et M. Southey composera aujourd'hui une élégie, et une ode alors. Le Quarterly aura son article contre la presse, et la Revue d'Édimbourg le sien, moitié l'un, moitié l'autre, sur la réforme et le droit du divorce; *** le Britannique vous donnera l'oraison funèbre du docteur Chalmers, accompagnée de grands éloges, et assignera une place dans les astres à la royauté défunte:--le Morning-Post a déjà fait éclater sans doute ses cris de douleur.
Malheur! malheur! Nealliny! la jeune Nealliny!
»Il y a déjà quelque tems que je n'ai eu de vos nouvelles.--Êtes-vous de mauvaise humeur? je le présume: je l'ai été moi-même; c'est à présent votre tour, et bientôt le mien reviendra.
»Votre très-sincèrement, etc.
B.
»P. S. La comtesse Albrizzi, qui revient de Paris, m'a apporté une médaille de Denon qu'il m'envoie en cadeau.--Elle a un portrait de M. Rogers, à elle appartenant, et qui est aussi de Denon.»
LETTRE CCCV 83.
A M. MURRAY.
Venise, 19 janvier 1818.
«Je vous envoie l'histoire en question 84, sous trois enveloppes séparées.--Elle ne conviendra pas à votre journal, étant remplie d'allusions politiques:--imprimez-la seule et sans nom d'auteur.--N'y changez rien;--faites examiner par un professeur les phrases italiennes, pour qu'il juge si elles sont correctement imprimées (car vos imprimeurs me rendent malade par les bévues qu'ils ne cessent de faire), et--que Dieu soit avec vous. Hobhouse a quitté Venise il y a près de quinze jours: je n'ai eu aucune nouvelle de lui.
»Votre, etc.
»Il a tout le manuscrit, ainsi mettez-vous en prière dans votre arrière-boutique ou dans la chapelle de l'imprimeur.»
LETTRE CCCVI.
A. M. MURRAY.
Venise, 27 janvier 1818.
«Mon père, c'est-à-dire mon père arménien,--le père Pascal, au nom de tous les autres pères de notre couvent, vous envoie les feuilles ci-incluses, avec ses salutations.
»Les traducteurs des passages long-tems perdus et retrouvés depuis peu, du texte d'Eusèbe, ayant jugé à propos de faire paraître le prospectus dont vous trouverez ci-jointes six copies, vous y êtes sollicité de leur procurer des souscripteurs dans les deux universités, parmi les savans, et parmi les ignorans qui voudraient se défaire de leur ignorance:--c'est de quoi le couvent vous prie, ce dont je vous prie, et, à votre tour, priez-en les autres.
»Je vous ai envoyé Beppo, il y a quelques semaines.--Il faut le publier séparément; il y a dedans de la politique et de la hardiesse, il ne vaudra donc rien pour votre journal, qu'on peut comparer à un isthme.
»M. Hobhouse, à moins qu'il ne se soit cassé le cou au milieu des Alpes, doit maintenant nager entre Calais et Douvres, avec un juste-au-corps de liége, tenant mes commentaires de la main droite et sa cotte de mailles entre ses dents.
»On est dans le fort du carnaval, et je suis dans la fièvre et les tourmens d'une nouvelle intrigue, je ne sais précisément avec qui, sinon qu'elle est insatiable d'amour, et ne veut pas d'argent; qu'elle a les cheveux blonds et les yeux bleus, ce qui n'est pas commun ici; que je l'ai rencontrée au bal masqué, et que, quand elle est sans masque, je suis aussi sage que jamais. Je ferai ce que je pourrai du reste de ma jeunesse.»..............................
LETTRE CCCVII.
A M. MOORE.
Venise, 2 février 1818
«Votre lettre du 8 décembre n'est arrivée qu'aujourd'hui, par quelque délai assez ordinaire, mais inexplicable. Votre malheur domestique est terrible, et je le sens avec vous autant que j'ose sentir. Dans le cours de la vie, vos pertes seront les miennes et vos plaisirs les miens; et si même toute la sensibilité de mon cœur venait à se tarir, il y aurait encore au fond de ce cœur desséché une larme pour vous et vos chagrins.
»Je puis comprendre ce que vous souffrez, car (l'égoïsme étant toujours ce qui domine dans notre maudite argile) je suis fou moi-même de mes enfans. Outre ma petite fille légitime, j'en ai fait une illégitime depuis, sans parler d'une autre qui existait auparavant 85, et je vois dans ces derniers les appuis de ma vieillesse, en supposant que j'atteigne jamais, ce qui, j'espère, n'arrivera pas, cette époque désolante. J'ai un grand amour pour ma petite Ada, qui peut-être me tourmentera elle aussi comme ***.
»La dédicace que vous m'offrez m'est aussi agréable que vous pouvez le souhaiter.--Je m'inquiète fort peu de ce que les misérables dont se compose le monde peuvent penser de moi:--tout cela est passé;--mais je tiens beaucoup à l'opinion que vous en pouvez avoir. Après cela, dites-en ce que vous voudrez; vous savez que je ne suis pas d'un caractère insociable, et si quelquefois je suis un peu farouche, cela dépend des circonstances. Quoi qu'il en soit, il n'y a pas grand mérite à être de bonne humeur en votre société; il faudrait faire un effort ou être atteint de folie pour qu'il en soit autrement.
»Je ne sais pas ce que Murray peut avoir dit ou cité 86. J'ai appelé Crabbe et Sam les pères de la poésie actuelle, et j'ai dit que je croyais qu'excepté eux, nous autres jeunes gens étions tous dans une fausse route; mais je n'ai jamais dit que nous ne naviguions pas bien. L'admiration et l'imitation seront fatales à notre gloire (quand je dis notre, je veux parler de nous tous, y compris les disciples de l'école du Lac, excepté le postscriptum des Augustins). La nouvelle génération, par le nombre et la facilité des imitations, se cassera le cou en tombant de notre Pégase qui s'enfuira avec nous.--Quant à nous, nous nous tenons en selle, parce que nous avons dompté le coquin, et que nous savons monter à cheval;--mais quoique facile à monter, c'est le diable à conduire: aussi le premiers devront-ils aller à l'école d'équitation et au manège pour apprendre à diriger le «grand cheval.»
Note 86: (retour) Ayant lu par hasard, dans une de ses lettres à M. Murray, le passage dans lequel il déclare faux et mauvais le système poétique sur lequel le plus grand nombre de ses contemporains, et lui-même, fondaient leur réputation, je saisis cette occasion de le plaisanter un peu dans ma première lettre sur cette opinion, et les motifs qui l'avaient fait naître. «C'était sans doute (osai-je lui dire) une excellente tactique à lui, qui s'était assuré l'immortalité dans ce genre de littérature, de nous couler ainsi à fond, nous autres pauvres diables, qui nous étions embarqués avec lui. Dans le fait, ajoutai-je, il se conduisait à notre égard à-peu-près comme le prédicateur méthodiste, qui disait à sa congrégation: Vous croyez peut-être qu'au jour du jugement vous arriverez au ciel eu vous rattachant aux pans de mon habit, mais je vous attraperai tous, car je porterai un spencer, je porterai un spencer.»
»À propos de chevaux, j'ai transporté les miens, qui sont au nombre de quatre, sur le lido (ce qui veut dire plage en anglais) qui s'étend à une dizaine de milles le long de l'Adriatique, et commence à un mille ou deux de la ville, de sorte que non-seulement je me promène en gondole, mais je puis aussi tous les jours galopper, pendant quelques milles, le long d'un rivage solide et solitaire, depuis la forteresse jusqu'à Malamocco,--ce qui contribue considérablement à entretenir ma santé et ma vivacité.
»Je n'ai presque pas fermé l'œil de la semaine. Nous sommes dans toute la frénésie des derniers jours du carnaval, et il faut que je passe cette nuit ainsi que celle de demain. J'ai eu quelques aventures de masques assez drôles pendant le carnaval; mais comme elles ne sont pas encore terminées, je n'en dirai pas davantage. J'exploiterai la mine de ma jeunesse jusqu'aux dernières veines du minerai, et puis--bonsoir;--j'aurai vécu: cela me suffit.
»Hobhouse est parti avant le commencement du carnaval, de sorte qu'il n'a eu que peu ou pas de plaisir.--D'ailleurs il faut quelque tems pour connaître à fond les Vénitiennes; mais je vous en dirai davantage plus tard à ce sujet dans quelqu'autre de mes lettres.
»Il faut que je m'habille pour la soirée; il y a opéra et redoute, et je ne sais plus quoi, sans compter les bals.--Ainsi donc, toujours tout à vous.
»P. S. J'envoie cette lettre sans l'avoir relue, ainsi excusez les fautes qui s'y trouvent. Je suis enchanté de la célébrité et de la vogue de Lalla, et vous félicite encore une fois d'un succès si bien mérité.»
On ne lira sans doute pas sans intérêt le récit suivant des promenades au Lido, dont il parle dans cette lettre. Ces détails m'ont été communiqués par un monsieur qui le voyait beaucoup à Venise.
«Presque aussitôt après le départ de M. Hobhouse, Lord Byron me proposa de l'accompagner dans ses promenades à cheval sur le Lido. On distingue surtout par ce nom une des longues îles étroites qui séparent de l'Adriatique la lagune au milieu de laquelle s'élève Venise. A l'un des bouts est une fortification qui, avec le château de Saint-Andréa, situé à l'autre extrémité, défend l'entrée la plus voisine de la ville du côté de la mer. En tems de paix, cette fortification est presque démantelée, et Lord Byron y avait loué du commandant une écurie, dont on ne se servait pas, pour y loger ses chevaux. La distance jusqu'à la ville est fort peu considérable: elle est beaucoup moindre que pour gagner la terra firma, et jusque-là le lieu n'était pas mal choisi pour monter à cheval.
»Tous les jours, quand le tems le permettait, Lord Byron venait me chercher dans sa gondole, et nous trouvions les chevaux qui nous attendaient à l'extérieur du fort. Nous allions jusqu'où nous pouvions le long du rivage, et puis sur une espèce de chaussée qui a été élevée là où l'île devient très-étroite, jusqu'à un autre petit fort à moitié chemin environ de la principale forteresse dont j'ai déjà parlé et de la ville ou village de Malamocco, qui est près de l'autre extrémité de l'île. La distance qui sépare les deux forts peut être de trois milles.
»Sur la chaussée du côté de la terre, et non loin du plus petit fort, il y avait une borne qui marquait probablement la séparation de quelque propriété, tout le côté de l'île qui avoisine la lagune étant coupé en jardins potagers pour la culture des légumes qui approvisionnent les marchés de Venise. Lord Byron m'a souvent répété qu'il voulait que je le fisse enterrer sous cette pierre, s'il venait à mourir à Venise ou dans ses environs, pendant que j'y résidais moi-même; et il me parut penser que, quoiqu'il ne fût pas catholique, le gouvernement ne pouvait mettre aucun obstacle à ce qu'il fût enseveli dans un coin de terre qui n'était pas consacré, près du rivage de la mer. Mais, dans tous les cas, je devais ne me laisser arrêter par aucune des difficultés qu'on pouvait élever sur ce point; et surtout, me répéta-t-il souvent, ne pas permettre que son corps fût transporté en Angleterre, ni que personne de sa famille se mêlât de ses funérailles.
»Rien n'était plus délicieux pour moi que ces promenades au Lido. Nous mettions une demi-heure, trois quarts d'heure à traverser l'eau, pendant lesquels sa conversation était toujours amusante et pleine d'intérêt. Quelquefois il emportait avec lui un nouveau livre qu'il avait reçu, et m'en lisait les passages qui l'avaient le plus frappé. Souvent il me répétait des stances entières de l'ouvrage qu'il écrivait, telles qu'il les avait composées dans la soirée de la veille, et ceci était d'autant plus intéressant pour moi, que j'y retrouvais souvent quelque pensée qu'il avait omise dans notre conversation du jour précédent, ou quelque remarque dont il était évident qu'il essayait sur moi l'effet. De tems en tems aussi il me parlait de ses affaires personnelles, et me faisait répéter tout ce que j'avais entendu dire de lui, me priant de ne pas l'épargner, et de lui apprendre sans ménagement tout ce qu'on avait pu imaginer de pis.»
LETTRE CCCVIII.
A M. MURRAY.
Venise, 20 février 1818.
«J'ai des remerciemens à faire à M. Croker, ainsi qu'à vous, pour le contenu du paquet qui m'est arrivé beaucoup plus promptement qu'aucun autre, à cause de la précaution obligeante de M. Croker, et de l'air officiel des sacs. Tout m'est parvenu en bon état, à l'exception des bouteilles de magnésie, dont deux seulement sont arrivées entières, les autres ayant été cassées par le frottement. Mais il n'importe; tout est au mieux, et je vous suis extrêmement obligé.
»Quant aux livres, je les ai lus, ou pour mieux dire, je les lis.--Quel peut être, je vous prie, ce sexagénaire dont le comérage est si amusant? Dans plusieurs de ses esquisses, j'ai reconnu particulièrement Gifford, Mackintosh, Drummond, Dutens, H. Walpole; mesdames Inchbald, Opie, etc., etc., ainsi que les Scott, les Loughborough, et les plus célèbres dans le clergé et le barreau.--Il y a de plus quelques allusions plus courtes à des écrivains connus, et quelques lignes sur certain noble auteur, représenté comme sceptique et malin, suivant la bonne vieille histoire: «ainsi qu'il en fut dans le commencement qu'il en est à présent, mais qu'il n'en sera pas toujours.» Connaissez-vous l'individu en question, maître Murray? Hein? et dites-moi aussi, je vous prie, lequel est désigné pour vous, de tous ces libraires? Est-ce le sec, le sale, l'honnête, l'opulent, le pointilleux, le magnifique, ou le fat? Ventrebleu! l'auteur devient un peu grossier en approchant de son grand climatérique.
»Les Revues m'ont fort amusé.--Il faut être aussi éloigné de l'Angleterre que je le suis pour goûter, dans tout son entier, l'attrait de ces feuilles périodiques: c'est comme de l'eau de Soda pendant un été italien. Mais combien vous êtes cruel envers lady ***! Vous devriez vous rappeler qu'elle est femme, et quoiqu'il faille convenir qu'elles sont de tems en tems bien impatientantes; cependant, comme auteurs du moins, elles ne peuvent faire grand mal, et je trouve qu'il est dommage de perdre avec elles tant d'invectives piquantes, quand nous autres, jacobins, nous offrons un si beau champ. C'est peut-être la critique la plus amère qui ait jamais été faite, et il y a de quoi donner au docteur terriblement de besogne, en qualité de mari et d'apothicaire, à moins qu'elle ne dise comme Pope, en parlant d'une attaque qu'il avait reçue: «Cela me vaut une prise de corne de cerf.»
»J'ai reçu dernièrement des nouvelles de Moore, et j'ai appris avec chagrin la perte qu'il a faite.--C'est ainsi que vont les choses--«Medio de fonte leporum,» au pinacle de la gloire et du bonheur, voilà, comme à l'ordinaire, un malheur qui lui arrive.
»............................................................................................
M. Hoppner, que
j'ai vu ce matin, est devenu père d'un très-beau petit garçon; la mère
et l'enfant vont tous deux très-bien. En ce moment Hobhouse doit être
près de vous, et vous devez aussi avoir reçu certains paquets et lettres
de moi, envoyés depuis son départ. Je n'ai pas été en bonne santé du
tout, depuis huit jours. Mes souvenirs à Gifford et à nos amis.
»Votre, etc.
»P. S. D'ici à un mois ou deux, Hanson sera probablement obligé de m'envoyer un commis avec des actes à signer (Newstead ayant été vendu, en novembre dernier, 94,500 liv. sterl.). Dans ce cas, je vous prie de m'envoyer, par cette occasion, une nouvelle provision des objets que vous avez coutume de me faire passer, et que je prie M. Kinnaird de vouloir bien payer avec les fonds qu'il a dans sa banque, en les portant en déduction sur le compte que j'ai avec lui.
»2e P. S. Demain je vais voir Otello, opéra tiré de notre Othello, et l'un des meilleurs de Rossini, dit-on.--Il sera curieux d'assister, à Venise même, à la représentation du conte vénitien, et de voir ce qu'on aura fait de Shakspeare en musique.»