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Œuvres complètes de lord Byron, Tome 12: comprenant ses mémoires publiés par Thomas Moore

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LETTRE CCCCXXXV.

A M. MOORE.

Ravenne, 22 juin 1821.



«Votre naine de lettre est arrivée hier. C'est juste;--tenez-vous à votre magnum opus.--Ah! que ne pouvons-nous combiner un peu nos talens pour notre Journal de Trévoux. Mais il est inutile de soupirer, et cependant c'est bien naturel;--car je pense que vous et moi irions mieux ensemble dans une association littéraire, que toute autre couple d'auteurs vivans.

»J'ai oublié de vous demander si vous aviez vu votre panégyrique dans la Correspondance de mistriss Waterhouse et du colonel Berkeley. Certainement, leur morale n'est pas tout-à-fait exacte, mais votre passion est complètement efficace, et toute la poésie du genre asiatique--(je dis asiatique, comme les Romains disaient l'éloquence asiatique, et non parce que la scène se passe en Orient)--doit être constatée par cette épreuve seule. Je ne suis pas très-sûr que je permette un jour aux miss Byron (légitimes ou illégitimes) de lire Lalla Rookh,--d'abord, à cause de ladite passion, et, en second lieu, afin qu'elles ne découvrent pas qu'il y eut un meilleur poète que papa.

»Vous ne me dites rien de la politique;--mais hélas! que peut-on dire!

Le monde est une botte de foin,

Les hommes sont les ânes qui la mangent,

Chacun la tire de son côté,--

Et le plus grand de tous est John Bull!

»Comment nommez-vous l'oeuvre nouvelle que vous projetez? J'ai envoyé à Murray une nouvelle tragédie, intitulée Sardanapale, écrite suivant les règles d'Aristote,--hormis le choeur:--je n'ai pu me décider à l'introduire. J'en ai commencé une autre, et je suis au second acte:--ainsi, vous voyez que je vais comme de coutume.

»Les réponses de Bowles me sont parvenues; mais je ne puis continuer toujours à disputer,--surtout d'une façon civile. Je présume qu'il prendra mon silence volontaire pour un silence forcé. Il a été si poli, que je n'ai plus assez de bile pour le plaisanter;--autrement, j'aurais une rude plaisanterie ou même deux à son service.

»Je ne puis vous envoyer le petit journal, parce que je ne puis le confier à la poste. Ne supposez pas qu'il contienne rien de particulier; mais il vous montrera les intentions des Italiens à cette époque,--et un ou deux autres faits personnels comme le premier.

»Donc Longman ne mord pas:--c'était mon désir que de tirer parti de cet ouvrage. Ne pourriez-vous obtenir une somme, quelque petite qu'elle fût, par une vente à réméré.

»Êtes-vous à Paris ou à la campagne? Si vous êtes à la ville, vous ne résisterez jamais à l'invasion anglaise dont vous parlez. Je vois à peine un Anglais tous les six mois; et, quand cela m'arrive, je tourne mon cheval à l'opposite. Le fait que vous trouverez dans la dernière note de Marino Faliero, m'a fourni une bonne excuse pour rompre toute relation avec les voyageurs.

»Je ne me rappelle pas le discours dont vous parlez, mais je soupçonne que ce n'en est pas un du doge, mais d'Israël Bertuccio à Calendaro. J'espère que vous regardez la conduite d'Elliston comme honteuse:--c'est mon unique consolation. J'ai obligé les journalistes milanais à rétracter leur mensonge, ce qu'ils ont fait avec la bonne grâce de gens habitués à cela.

»Tout à vous, etc.»
BYRON.



LETTRE CCCCXXXVI.

A M. MOORE.

Ravenne, 5 juillet 1821.



«Comment avez-vous pu présumer que je voulusse jamais me rendre coupable d'une plaisanterie à votre égard? Je regrette que M. Bowles n'ait pas dit plus tôt que vous étiez l'auteur de la note, ce que j'ai appris par une lettre particulière qu'il a écrite à Murray, et que Murray m'envoie. Au diable la controverse!

Au diable Twizzle,

Au diable la cloche,

Au diable le sot qui la mit en branle!--Ma foi!

Je serai bientôt délivré de tous ces fléaux.

»J'ai vu un ami de votre M. Irving,--un fort joli garçon,--un M. Coolidge, de Boston,--un peu trop plein seulement de poésie et d'enthousiasme. J'ai été fort poli envers lui pendant son séjour de quelques heures, et j'ai beaucoup parlé avec lui sur Irving, dont les écrits font mes délices. Mais je soupçonne qu'il n'a pas été autant charmé de moi, vu qu'il s'attendait à rencontrer un misanthrope en culottes de peau de loup, ne répondant que par de farouches monosyllabes, au lieu d'un homme de ce monde. Je ne puis jamais faire comprendre aux gens que la poésie est l'expression de la passion, et qu'il n'existe pas plus une vie toute de passion qu'un tremblement de terre continuel, ou une fièvre éternelle. D'ailleurs, qui voudrait jamais se raser dans un tel état?

»J'ai reçu aujourd'hui une lettre curieuse d'une jeune fille d'Angleterre--que je n'ai jamais vue,--et qui me dit qu'elle meurt d'une maladie de langueur, mais qu'elle n'a pu sortir de ce monde sans me remercier du plaisir que ma poésie, pendant plusieurs années, etc., etc. Cette lettre est signée, N. N. A., et ne contient pas un mot de jargon ou de prêche qui ait trait à des opinions quelconques. La jeune personne dit simplement qu'elle est mourante, et qu'elle a cru pouvoir me dire combien j'avais contribué aux plaisirs de son existence; elle me prie de brûler sa lettre,--ce que je ne puis faire, attendu que je regarde une lettre pareille comme supérieure à un diplôme de Gottingue. J'ai autrefois reçu une lettre de félicitation en vers de Drontheim, en Norwége (mais elle n'était pas d'une femme mourante):--ce sont ces choses-là qui font quelquefois croire à un homme qu'il est poète. Mais s'il faut croire que *** et autres gens pareils sont poètes aussi, il vaut mieux être hors du corps.

»Je suis maintenant au cinquième acte de Foscari: c'est la troisième tragédie dans l'espace d'un an, outre la prose; ainsi, vous voyez que je ne suis point paresseux. Et vous aussi, êtes-vous occupé? Je soupçonne que votre vie de Paris prend trop sur votre tems, et c'est vraiment pitié. Ne pouvez-vous partager vos journées de manière à tout combiner? J'ai eu une multitude d'affaires mondaines sur les bras pendant l'année dernière,--et pourtant il ne m'a pas été si difficile de donner quelques heures aux Muses.

»Pour toujours, etc.

»Si nous étions ensemble, je publierais mes deux pièces (périodiquement) dans notre commun journal. Ce serait notre plan de publier par cette voie nos meilleures productions.»

Dans le journal intitulé Pensées Détachées, je trouve la mention intéressante des hommages rendus à son génie.

«En fait de gloire (qu'on ait jamais obtenue de son vivant), j'ai eu ma part, peut-être,--que dis-je?--certainement plus grande que mes mérites.

»J'ai acquis par ma propre expérience quelques bizarres exemples des lieux sauvages et étranges où un nom peut pénétrer, et produire même une vive impression. Il y a deux ans (presque trois, c'était en août ou juillet 1819), je reçus à Ravenne une lettre, en vers anglais, de Drontheim, en Norwége, écrite par on Norwégien, et pleine des complimens ordinaires, etc., etc.: elle est encore quelque part dans mes papiers. Le même mois, je reçus une invitation pour le Holstein, de la part d'un M. Jacobson (je crois) de Hambourg; plus, par la même voie, une traduction du chant de Médora du Corsaire, par une baronne westphalienne (non pas la baronne Thunderton-Trunck133), avec quelques vers du propre cru de cette dame (vers fort jolis et klopstock-iens134), et une traduction en prose y annexée, au sujet de ma femme:--comme ces vers concernaient ma femme plus que moi, je les lui envoyai, avec la lettre de M. Jacobson. C'était assez singulier que de recevoir en Italie une invitation de passer l'été dans le Holstein, de la part de gens que je n'avais jamais connus. La lettre fut adressée à Venise. M. Jacobson me parlait des «roses sauvages fleurissant l'été dans le Holstein.» Pourquoi donc les Cimbres et les Teutons émigrèrent-ils?

Note 133: (retour) Nom de la baronne westphalienne, dans le célèbre roman de Candide. (Note du Trad.)
Note 134: (retour) Klopstock-ish. Byron a lui-même forgé cet adjectif avec le nom de l'illustre auteur de la Christiade. (Note du Trad.)

»Quelle étrange chose que la vie et que l'homme! Si je me présentais à la porte de la maison où ma fille est maintenant, la porte me serait fermée,--à moins que (ce qui n'est pas impossible) je n'assommasse le portier; et si j'étais allé cette année-là (et peut-être encore aujourd'hui) à Drontheim, la ville la plus reculée de la Norwége, j'aurais été reçu à bras ouverts dans la demeure de gens sans rapport de parenté ou de patrie avec moi, et attachés à moi par l'unique lien de l'esprit et de la renommée.

»En fait de gloire, j'ai eu ma part; à la vérité, les accidens de la vie humaine y ont mêlé leur levain, et cela en plus grande quantité qu'il n'est arrivé à la plupart des littérateurs d'un rang distingué; mais, en total, je prends le mal comme l'équilibre nécessaire du bien dans la condition humaine.»

Il parle aussi, dans le même journal, de la visite du jeune Américain, en ces termes.

«Un jeune Américain, nommé Coolidge, est venu me rendre visite il y a quelques mois. C'était un jeune homme intelligent, fort beau, et âgé de vingt ans au plus, à en juger par l'apparence; un peu romantique (ce qui va bien à la jeunesse), et fortement passionné pour la poésie, comme on peut le présumer de sa visite dans mon antre. Il m'apporta un message d'un vieux serviteur de ma famille (Joe Murray), et me dit que lui (M. Coolidge) avait obtenu une copie de mon buste de Thorwaldsen à Rome, pour l'envoyer en Amérique. J'avoue que je fus plus flatté du jeune enthousiasme de ce voyageur solitaire par-delà l'Atlantique, que si l'on m'eût décrété une statue dans le Panthéon de Paris (j'ai vu, même de mon tems, les empereurs et les démagogues renversés de dessus leurs piédestaux, et le nom de Grattan effacé de la rue de Dublin, à laquelle il avait été donné); je dis que j'en fus plus flatté, parce que c'était un hommage simple, sans motif politique, sans intérêt ou ostentation,--le pur et vif sentiment d'un jeune homme pour le poète qu'il admirait. Son admiration, toutefois, a dû lui coûter cher.--Je ne voudrais pas payer le prix d'un buste de Thorwaldsen pour la tête et les épaules de qui que ce soit, excepté Napoléon, mes enfans, «quelque absurde individu de l'espèce féminine», comme dit Monkbarns,--et ma soeur. Me demande-t-on pourquoi je posai pour mon buste?--Réponse; ce fut à la requête particulière de J. C. Hobhouse, Esquire, et pour nul autre. Un portrait est une autre affaire; tout le monde pose pour son portrait; mais un buste a l'air de prétendre à la permanence, et offre une idée d'inclination pour la renommée publique plutôt que de souvenir particulier.

»Toutes les fois qu'un Américain demande à me voir (ce qui n'est pas rare), je condescends à son désir, premièrement parce que je respecte un peuple qui a conquis sa liberté par un courage ferme, sans excès; et, secondement, parce que ces visites transatlantiques «en petit nombre et à longs intervalles» me font le même effet que si je m'entretenais, de l'autre côté du Styx, avec la postérité. Dans un siècle ou deux, les nouvelles Atlantides espagnole et anglaise, suivant toute probabilité, régneront sur le vieux continent, comme la Grèce et l'Europe soumirent l'Asie, leur mère, dans les tems anciens et primitifs, comme on les appelle.»


LETTRE CCCCXXXVII.

A M. MURRAY.

Ravenne, 6 juillet 1821.



«Pour condescendre à un désir exprimé par M. Hobhouse, je suis déterminé à omettre la stance sur le cheval de Sémiramis, dans le cinquième chant de Don Juan. Je vous dis cela, au cas que vous soyez ou ayez l'intention d'être l'éditeur des derniers chants.

»À la requête particulière de la comtesse Guiccioli, j'ai promis de ne pas continuer Don Juan. Vous regarderez donc ces trois chants comme les derniers du poème. Depuis qu'elle avait lu les deux premiers dans la traduction française, elle ne cessait de me supplier de n'en plus écrire de nouveaux. La raison de ces prières ne frappe pas d'abord un observateur superficiel des moeurs étrangères; mais elle dérive du désir qu'ont toutes les femmes d'exalter le sentiment des passions, et de maintenir l'illusion qui leur donne l'empire. Or, Don Juan déchire cette illusion, et en rit comme de bien d'autres choses. Je n'ai jamais connu de femme qui ne protégeât Rousseau, ou qui ne traitât avec dégoût les Mémoires de Grammont, Gilblas, et tous les tableaux comiques des passions, quand ils sont naturellement présentés.»


LETTRE CCCCXXXVIII.

A M. MURRAY.

14 juillet 1821.



«J'espère que l'on ne prendra pas Sardanapale pour une pièce politique; car une telle intention fut si loin d'être la mienne, que je ne songeai jamais qu'à l'histoire d'Asie. La tragédie vénitienne aussi est strictement historique. Mon but a été de mettre en drame, à la manière des Grecs (phrase modeste), des points d'histoire frappans, comme ces mêmes Grecs l'ont fait à l'égard de l'histoire et de la mythologie. Vous trouverez que tout cela ne ressemble guère à Shakspeare; et c'est tant mieux dans un sens, car je le regarde comme le pire des modèles, bien que le plus extraordinaire des écrivains. J'ai eu pour but d'être aussi simple et aussi sévère qu'Alfiéri, et j'ai plié la poésie autant que j'ai pu au langage ordinaire. La difficulté est que, dans ce tems, on ne peut parler ni de rois ni de reines sans être soupçonné d'allusions politiques ou de personnalités. Je n'ai point eu d'intention pareille.

»Je ne suis pas très-bien, et j'écris au milieu de scènes désagréables: on a, sans jugement ni procès, banni un grand nombre des principaux habitans de Ravenne et de toutes les villes des états romains,--et parmi les exilés il y a plusieurs de mes amis intimes, en sorte que tout est dans la confusion et la douleur; c'est un spectacle que je ne saurais décrire sans éprouver la même peine qu'à le voir.

»Vous êtes chiche dans votre correspondance.

»Tout à vous sincèrement.»
BYRON.



LETTRE CCCCXXXIX.

A M. MURRAY.

Ravenne, 22 juillet 1821.



«L'imprimeur a fait un miracle;--il a lu ce que je ne puis lire moi-même,--mon écriture.

»Je m'oppose au délai jusqu'à l'hiver; je désire particulièrement que l'on imprime tandis que les théâtres d'hiver sont fermés, afin de gagner du tems au cas que les directeurs ne nous jouent le même tour de politesse. Toute perte sera prise en considération dans notre contrat, quelle qu'en soit l'occasion, soit la saison, soit autre chose; mais imprimez et publiez.

»Je crois qu'il faudra avouer que j'ai plus d'un style. Sardanapale, toutefois, est presque un personnage comique; mais ainsi est Richard III. Faites attention que les trois unités sont mon principal but. Je suis charmé de l'approbation de Gifford; quant à la foule, vous voyez que j'ai eu en vue toute autre chose que le goût du jour pour d'extravagans «coups de théâtre.» Toute perte probable, comme je vous l'ai déjà dit, sera évaluée dans nos comptes. Les Revues (excepté une ou deux, le Blackwood Magazine, par exemple) sont assez froides; mais ne songez plus aux journalistes,--je les ferai marcher droit, si je me le mets en tête. J'ai toujours trouvé les Anglais plus vils en certains points que toute autre nation. Vous vous étonnez de mon assertion, mais elle est vraie quant à la reconnaissance,--peut-être est-ce parce que les Anglais sont fiers, et que les gens fiers haïssent les obligations.

»La tyrannie du gouvernement éclate ici. On a exilé environ mille personnes des meilleures familles des états romains. Comme plusieurs de mes amis sont de ce nombre, je songe à partir aussi, mais pas avant que je n'aie reçu vos réponses. Continuez de m'adresser vos lettres ici, comme d'ordinaire, et le plus vite possible. Ce que vous ne serez pas fâché d'apprendre, c'est que les pauvres de l'endroit, apprenant que j'avais l'intention de partir, ont fait une pétition au cardinal pour le prier de me prier de rester. Je n'ai entendu parler que de cela il y a un ou deux jours; et ce n'est un déshonneur ni pour eux ni pour moi; mais cette démarche aura mécontenté les hautes autorités, qui me regardent comme un chef de charbonniers. On a arrêté un de mes domestiques pour une querelle dans la rue avec un officier (on a pris sur un autre des couteaux et des pistolets); mais comme l'officier n'était pas en uniforme, et qu'il était d'ailleurs dans son tort, mon domestique, sur ma vigoureuse protestation, a été relâché. Je n'étais pas présent à la bagarre, qui arriva de nuit près de mes écuries. Mon homme (qui est un Italien), d'un caractère brave et peu endurant, aurait tiré une cruelle vengeance, si je ne l'en eusse pas empêché. Voici ce qu'il avait fait: il avait tiré son stiletto, et, sans les passans, il aurait fricassé le capitaine, qui, à ce qu'il paraît, fit triste figure dans la querelle, qu'il avait cependant provoquée. L'officier s'était adressé à moi, et je lui avais offert toute sorte de satisfaction, soit par le renvoi de l'homme, soit autrement, puisque l'homme avait tiré son couteau. Il me répondit que des reproches seraient suffisans. Je fis des reproches au domestique; et cependant, après cela, le misérable chien alla se plaindre au gouvernement,--après avoir dit qu'il était complètement satisfait. Cela me mit en colère, et j'adressai une remontrance qui eut quelque effet. Le capitaine a été réprimandé, le domestique relâché, et l'affaire en est restée là.»

Parmi les victimes de «la noire sentence» et de la proscription par laquelle les maîtres de l'Italie, comme il appert des lettres précédentes, se vengeaient maintenant de leur dernière alarme sur tous ceux qui y avaient contribué, même dans le plus faible degré, les deux Gamba se trouvèrent nécessairement compris comme chefs présumés des carbonari de la Romagne. Vers le milieu de juillet, Mme Guiccioli, dans un profond désespoir, écrivit à Lord Byron pour l'informer que son père, dans le palais duquel elle résidait alors, venait de recevoir l'ordre de quitter Ravenne dans les vingt-quatre heures, et que c'était l'intention de son frère de partir le lendemain matin. Mais le jeune comte n'avait pas même été laissé tranquille si long-tems, et avait été conduit par des soldats jusqu'à la frontière; et la comtesse elle-même, peu de jours après, vit qu'elle devait aussi se joindre aux exilés. La perspective d'être de nouveau séparée de Byron, semble avoir rendu l'exil presque aussi terrible que la mort aux yeux de cette noble dame. «Cela seul», dit-elle dans une lettre à son amant, «manquait pour combler la mesure de mon désespoir. Venez à mon aide, mon amour, car je suis dans la plus terrible situation, et sans vous je ne puis me résoudre à rien. *** vient de me quitter; il était envoyé par *** pour me dire qu'il faut que je parte de Ravenne avant mardi prochain, parce que mon mari a eu recours à la cour de Rome pour me forcer de retourner avec lui ou d'entrer dans un couvent; et la réponse est attendue sous peu de jours. Je ne dois parler de cela à personne; il faut que je m'échappe de nuit; car, si mon projet est découvert, on y mettra obstacle, et mon passeport (que la bonté du ciel m'a permis je ne sais comment d'obtenir), me sera retiré. Byron! je suis au désespoir!--S'il faut vous laisser ici sans savoir quand je vous reverrai; si c'est votre volonté que je souffre si cruellement, je suis résolue à rester. On peut me mettre dans un couvent; je mourrai,--mais,--mais vous ne pouvez me secourir, et je ne puis rien vous reprocher. Je ne sais ce qu'on me dit: car mon agitation m'anéantit;--et pourquoi? ce n'est point parce que je crains mon danger présent, mais seulement, j'en prends le ciel à témoin, seulement parce qu'il faut vous quitter.»

Vers la fin de juillet, celle qui écrivait cette lettre si tendre et si vraie se trouva forcée de quitter Ravenne,--séjour de sa jeunesse, et maintenant de ses affections,--sans savoir où elle irait, et où elle retrouverait son amant. Après avoir langui quelque tems à Bologne, dans la faible espérance que la cour de Rome pourrait encore, par la médiation de quelques amis, être engagée à rapporter l'arrêt prononcé contre son père et son frère; cette espérance une fois évanouie, elle rejoignit enfin ses parens à Florence.

On a déjà vu, par les lettres de Lord Byron, qu'il était lui-même devenu l'objet des plus vifs soupçons pour le gouvernement, et que c'était même surtout dans le désir de se débarrasser de lui qu'on avait pris toutes ces mesures contre la famille Gamba:--attendu qu'on craignait que la constante bienfaisance qu'il exerçait envers les pauvres de Ravenne ne lui donnât une dangereuse popularité parmi des hommes non accoutumés à l'exercice de la charité sur une si large échelle. «Une des principales causes, dit Mme Guiccioli, de l'exil de mes parens fut l'idée que Lord Byron partagerait l'exil de ses amis. Déjà le gouvernement voyait d'un mauvais oeil le séjour de Lord Byron à Ravenne; on connaissait ses opinions; on craignait son influence, et on s'exagérait même l'étendue de ses moyens d'action. On s'imaginait qu'il avait donné l'argent pour l'achat des armes, etc., et qu'il avait fourni à tous les besoins pécuniaires de la société. La vérité est que lorsqu'il était invité à exercer sa bienfaisance, il ne s'enquérait point des opinions politiques ou religieuses de ceux qui réclamaient son aide: tous les hommes malheureux et indigens avaient un droit égal à sa bienveillance. Les anti-libéraux cependant s'étaient fermement persuadés qu'il était le principal soutien du libéralisme en Romagne, et désiraient qu'il s'en allât; mais n'osant pas exiger directement son départ, ils espéraient pouvoir indirectement le forcer à cette mesure135

Note 135: (retour) Una delle principali ragioni per cui si erano esigliati i miei parenti, era la speranza che Lord Byron pure lascerebbe la Romagna quando i suoi amici fossero partiti. Già da qualche tempo la permanenza di Lord Byron in Ravenna era mal gradita dal governo, conoscendo si le sue opinioni, e temendosi la sua influenza, ed esaggerandosi anche i suoi mezzi per esercitarla. Si credeva che egli somministrasse danaro per provvedere armi, che provvedesse ai bisogni della società. La verità era che nello spargere le sue beneficenze egli non s'informava delle opinioni politiche e religiose di quello che aveva bisogno del suo soccorso; ogni misero ed ogni infelice aveva un eguale diritto alla sua generosità. Ma in ogni modo gli anti-liberali lo credevano il principale sostegno del liberalismo della Romagna, e desideravano la sua partenza; ma non osando provocarla in nessun modo diretto, speravano di ottenerla indirettamente.

Après avoir donné les détails de son propre départ, la comtesse continue: «Lord Byron cependant resta à Ravenne, ville déchirée par l'esprit de parti, ville où il avait certainement, à cause de ses opinions, bon nombre d'ennemis fanatiques et perfides; et mon imagination me le peignait toujours au milieu de mille dangers. On peut donc concevoir ce que fut pour moi ce voyage, et ce que je souffris si loin de Lord Byron. Ses lettres m'auraient consolé; mais il y avait deux jours d'intervalle entre l'instant où il me les écrivait et celui où je les recevais. Cette idée empoisonnait toute la consolation qu'elles auraient pu me donner, et par conséquent mon coeur était déchiré par les craintes les plus cruelles. Cependant il était nécessaire, pour son propre honneur, qu'il restât encore quelque tems à Ravenne, afin que l'on ne pût pas dire qu'il avait été banni aussi. D'ailleurs il avait conçu une grande affection pour la ville même, et il désirait, avant d'en partir, épuiser tous les moyens de procurer le rappel de mes parens136

Note 136: (retour) Lord Byron restava frattanto a Ravenna, in un paese sconvolto dai partiti, e dove aveva certamente dei nemici di opinioni fanatiche perfidi, e la mia imaginazione me lo dipingeva circondato sempre da mille pericoli. Si può dunque pensare cosa dovesse essere cruel viaggio per me, e cosa io dovessi soffrire nella sua lontananza. Le sue lettere avrebbero potuto essermi di conforto; ma quando io le riceveva, era già trascorso lo spazio di due giorni dal momento in cui furono scritte, e questo pensiero distruggeva tutto il bene che esse potevano farmi, e la mia anima era lacerata dai più crudeli timori. Frattanto era necessario per la di lui convenienza che egli restasse ancora qualche tempo in Ravenna affinchè non avesse a dirsi che egli pure ne era esigliato; ed oltre ciò egli si era sommamente affezionato à quel soggiorno, e voleva innanzi di partire vedere esauriti tutti i tentativi e tutte le speranze del ritorno dei miei parenti.

LETTRE CCCCXL.

A M. HOPPNER.

Ravenne, 23 juillet 1821.



«Ce pays-ci étant en proie à la proscription, et tous mes amis étant exilés ou arrêtés,--la famille entière des Gamba obligée pour le moment d'aller à Florence,--le père et le fils pour motifs politiques,--(et la Guiccioli, parce qu'elle est menacée du couvent en l'absence de son père),--j'ai résolu de me retirer en Suisse, et les Gamba aussi. Ma vie court, dit-on, de très grands dangers ici; mais ç'a été la même chose depuis douze mois, et ce n'est donc pas là la principale considération.

»J'ai écrit par le même courrier à M. Hentsch jeune, banquier à Genève, pour avoir, s'il est possible une maison pour moi, et une autre pour la famille Gamba (pour le père, le fils et la fille), toutes deux meublées, et avec une écurie de huit chevaux (au moins dans la mienne) au bord du lac de Genève, sur le côté du Jura. J'emmènerai Allegra avec moi. Pourriez-vous nous aider, Hentsch ou moi, dans nos recherches? Les Gamba sont à Florence; mais ils m'ont autorisé à traiter en leur nom. Vous savez ou ne savez pas que ce sont de grands patriotes,--et tous deux braves gens, surtout le fils; je puis le dire, car je les ai dernièrement vus dans une très-difficile situation,--non pas sous le rapport pécuniaire, mais sous le rapport personnel,--et ils se sont conduits en héros, sans céder ni se rétracter.

»Vous n'avez pas idée de l'état d'oppression dans lequel est ce pays-ci; on a arrêté environ un millier de personnes de haute ou basse condition dans la Romagne,--banni les uns, emprisonné les autres, sans jugement, sans procédure, et même sans accusation!!!... Tout le monde dit qu'on aurait fait la même chose à mon égard si l'on avait osé: toutefois, mon motif pour rester est que toutes les personnes de ma connaissance, au nombre de cent à-peu-près, ont été exilées.

»Voudrez-vous faire ce que vous pourrez pour trouver une couple de maisons meublées et pour en conférer avec Hentsch à notre place? Peu nous importe la société:--nous ne voulons qu'un asile temporaire et tranquille, et notre liberté individuelle.

»Croyez-moi, etc.

»P. S. Pouvez-vous me donner une idée des dépenses nécessaires en Suisse, par comparaison à l'Italie? je ne me rappelle plus cela. Je parle seulement des dépenses pour une vie honnête, chevaux, etc., et non des dépenses de luxe, et pour un grand train de maison. Ne décidez rien toutefois avant que je n'aie reçu votre réponse, car c'est alors seulement que je pourrai savoir que penser sur ces points de transmigration, etc., etc.»


LETTRE CCCCXLI.

A M. MURRAY.

Ravenne, 30 juillet 1821.



«Je vous envoie ci-joint la meilleure histoire sur le doge Faliero; elle est tirée d'un vieux manuscrit, et je ne l'ai que depuis quelques jours. Faites-la traduire et adjoignez-la en forme de note à la prochaine édition. Vous serez peut-être content de voir que la manière dont j'ai conçu le caractère du doge est conforme à la vérité; je regrette néanmoins de n'avoir pas eu cet extrait auparavant. Vous verrez que Faliero dit lui-même ce que je lui fais dire sur l'évêque de Trévise. Vous verrez aussi que «il parla très-peu et ne laissa échapper que des paroles de colère et de dédain» après qu'il eut été arrêté, ce qu'il fait aussi dans la pièce, excepté quand il éclate à la fin du cinquième acte. Mais son discours aux conspirateurs est meilleur dans le manuscrit que dans la pièce; je regrette de ne pas l'avoir connu à tems. N'oubliez pas cette note, avec la traduction.

»Dans une ancienne note de Don Juan, j'ai cité, en parlant de Voltaire, sa phrase fameuse: «Zaïre, tu pleures,» c'est une erreur; c'est: «Zaïre, vous pleurez.» Songez à corriger la citation.

»Je suis tellement occupé ici pour ces pauvres proscrits, qui sont dispersés en exil çà-et-là, et à essayer d'en faire rappeler quelques-uns, que j'ai à peine assez de tems ou de patience pour écrire une courte préface pour les deux pièces: toutefois je la ferai en recevant les prochaines épreuves.

»Tout à vous à jamais, etc.

»P. S. Veuillez joindre, à la première occasion, la lettre sur l'Hellespont comme note aux vers sur Léandre, etc., dans Childe Harold. N'oubliez pas cela au milieu de votre multitude d'occupations, que je songe à célébrer dans une ode dithyrambique à Albemarle-Street.

»Savez-vous que Shelley a composé une élégie sur Keats, et qu'il accuse la Quarterly d'avoir tué ce jeune poète.

Qui tua John Keats?

«Moi, dit la Quarterly,

Farouche comme un Tartare;

C'est un de mes exploits!»

Qui décocha la flèche?--

Le poète-prêtre Milman,

(Toujours prêt à tuer son homme),

Ou Southey ou Barrow.

»Vous savez bien que je n'approuvais pas la poésie de Keats, ni ses théories poétiques, ni son injurieux mépris pour Pope; mais puisqu'il est mort, omettez tout ce que je dis sur son compte dans mes écrits, soit manuscrits, soit déjà publiés. Son Hypérion est un beau monument et conservera son nom. Je ne porte pas envie à celui qui a écrit l'article;--vous autres écrivains des Revues, vous n'avez pas plus le droit de meurtre que les voleurs de grand chemin; mais, à la vérité, celui qui est mort pour un article de critique serait probablement mort pour toute autre cause non moins triviale. La même chose arriva presque à Kirke White, qui mourut ensuite de consomption.»


LETTRE CCCCXLII.

A M. MOORE.

Ravenne, 2 août 1821.



«Certainement j'avais répondu à votre dernière lettre, quoique en peu de mots, sur le point que vous rappelez, en disant tout simplement: «Au diable la controverse,» et en citant quelques vers de George Colman, applicables non à vous, mais aux disputeurs. Avez-vous reçu cette lettre? Il m'importe de savoir que nos lettres ne sont pas interceptées ou égarées.

»Votre drame de Berlin137 est un honneur inconnu depuis Elkanah Settle, dont l'Empereur de Maroc fut joué par les dames de la cour, ce qui fut, dit Johnson, «le dernier coup de la douleur» pour le pauvre Dryden, qui ne put le supporter, et devint ennemi de Settle sans pitié ni modération, à cause de cette faveur, et d'un frontispice que l'auteur avait osé mettre à sa pièce.

Note 137: (retour) On avait joué, peu de tems auparavant, à la cour de Berlin, un spectacle fondé sur le poème de Lalla Rookh; l'empereur de Russie remplit le rôle de Feramorz, et l'impératrice celui de Lalla Rookh. (Note de Moore.)

»N'était-ce pas un peu périlleux de montrer, comme vous l'avez fait, les Mémoires à ***? N'y a-t-il pas une ou deux facétieuses allusions qui doivent être réservées pour la postérité?

»Je connais bien Schlegel,--c'est-à-dire je l'ai rencontré à Coppet. N'est-il pas légèrement attaqué dans les Mémoires? Dans un article sur le quatrième chant de Childe-Harold, publié il y a trois ans dans le Blackwood's-Magazine, on cite quelques stances d'une élégie de Schlegel sur Rome, d'où l'on dit que j'ai pu tirer quelques idées. Je vous donne ma parole d'honneur que je n'avais jamais vu les vers avant cet article critique, qui donne, je crois, trois ou quatre stances envoyées, dit-on, par un correspondant,--peut-être par l'auteur même. Le fait se prouve facilement, car je ne comprends point l'allemand, et il n'y avait point, je crois, de traduction,--du moins c'était la première fois que j'entendais parler ou prenais lecture de la traduction et de l'original.

»Je me souviens d'avoir causé un peu avec Schlegel sur Alfiéri, dont il nie le mérite. Il était irrité aussi contre le jugement de la Revue d'Édimbourg sur Goëthe, jugement qui, en effet, était assez dur. Il vint aussi à parler des Français: «Je médite une terrible vengeance contre les Français;--je prouverai que Molière n'est pas poète138
..................... .....................................................

Note 138: (retour) Cette menace a été depuis mise à exécution,--le critique allemand a frappé d'horreur les littérateurs français en déclarant Molière un farceur. (Note de Moore.)

»Je ne vois pas pourquoi vous parleriez «du déclin des ans.» La dernière fois que je vous vis, vous aviez moins d'embonpoint et paraissiez encore plus jeune que quand nous nous quittâmes plusieurs années auparavant. Vous pouvez compter sur cette assertion comme sur un fait. Si cela n'était pas, je ne vous dirais rien; car je ne saurais faire de mauvais complimens à qui que ce soit sur sa personne;--comme le compliment est une vérité, je vous le fais. Si vous aviez mené ma vie, changé de climats et de relations,--si vous vous amaigrissiez par le jeûne et par les purgatifs,--outre l'épuisement causé par des passions rongeantes, et un mauvais tempérament en sus,--vous pourriez parler ainsi.--Mais vous! je ne sache personne qui ait si bonne mine pour son âge, ou qui mérite d'avoir mine ou santé meilleure sous tous les rapports. Vous êtes un....., et ce qui vaut peut-être mieux pour vos amis, un bon garçon. Ainsi donc, ne parlez pas de décadence, mais comptez sur quatre-vingts ans.

»Je suis à présent principalement occupé par ces malheureuses proscriptions et condamnations d'exil, qui ont eu lieu ici pour motifs politiques. Ç'a été un misérable spectacle que la désolation générale des familles. Je fais tout ce que je puis pour les exilés, grands ou petits, avec tout l'intérêt et tous les moyens que je puis employer. Il y a eu mille proscrits, le mois dernier, dans l'exarquat, ou, pour parler en style moderne, dans les légations. Hier un homme a eu les reins brisés en tirant un de mes chiens de dessous la roue d'un moulin. Le chien a été tué, et l'homme est dans le plus grand danger. Je n'étais pas présent;--cela est arrivé avant que je fusse levé, par la faute d'un enfant stupide qui a fait baigner le chien dans un endroit dangereux. Je dois, sans aucun doute, pourvoir aux besoins du pauvre diable tant qu'il vivra, et à ceux de sa famille, s'il meurt. J'aurais de grand coeur donné--plus qu'il ne m'en coûtera, pour qu'il n'eût pas été blessé. Donnez-moi, je vous prie, de vos nouvelles, et excusez ma hâte et la chaleur.

»Tout à vous, etc.

................................................ ........................................................................

»Vous aurez probablement vu toutes les attaques dont quelques gazettes d'Angleterre m'ont assailli il y a quelques mois. Je ne les ai vues que l'autre jour, grâce à la bonté de Murray. On m'appelle «plagiaire.» Je ne sais quels noms on ne me donne pas. Je crois maintenant que j'aurai été accusé de tout.

»Je ne vous ai pas donné de détails sur les petits événemens qui se sont passés ici; mais on a essayé de me faire passer pour le chef d'une conspiration, et on ne s'est arrêté que faute de preuves suffisantes pour informer contre un Anglais. Si c'eût été un natif du pays, le soupçon aurait suffi, comme pour des centaines d'autres.

»Pourquoi n'écrivez-vous pas sur Napoléon? je n'ai pas assez de verve ni d'estro139 pour le faire. Sa chute, dès le principe, m'a porté un coup terrible. Depuis cette époque, nous avons été les esclaves des sots. Excusez cette longue lettre. Ecco140 une traduction littérale d'une épigramme française.

Églé, belle et poète, a deux petits travers,

Elle fait son visage et ne fait pas ses vers141.

»Je vais monter à cheval, averti que je suis de ne pas aller dans un certain endroit de la forêt, à cause des ultra-politiques.

Note 139: (retour) Mot italien, du latin oestrum, qui signifie verve poétique. (Note du Trad.)
Note 141: (retour):

Egle, beauty and poet, has two little crimes,

She makes her own face, and does not make her rhymes.

»N'y a-t-il aucune chance pour votre retour en Angleterre, et pour notre journal? j'y aurais publié les deux pièces,--deux ou trois scènes par numéro.»

Vers cette époque, M. Shelley, qui avait alors fixé sa résidence à Pise, reçut une lettre de Lord Byron, qui le priait instamment de venir le voir; et, par conséquent, il partit sur-le-champ pour Ravenne. Les extraits suivans des lettres qu'il écrivit, durant le tems de son séjour auprès de son noble ami, seront lues avec ce double sentiment d'intérêt qu'on ne manque jamais d'éprouver en entendant un homme de génie exprimer ses opinions sur un autre homme de génie.

Ravenne, 7 août 1821.



»J'arrivai hier soir à dix heures, et me mis à causer avec Lord Byron jusqu'à cinq heures du matin; puis j'allai dormir, et maintenant je viens de m'éveiller à onze heures; après avoir dépêché mon déjeûner aussi vite que possible, je veux vous consacrer tout le tems qui me reste jusqu'à midi, heure où part le courrier.

»Lord Byron est très-bien, et il a été charmé de me voir. Il a, en vérité, complètement recouvré sa santé, et il mène une vie totalement contraire à celle qu'il menait à Venise. Il a une sorte de liaison permanente avec la comtesse Guiccioli, qui est maintenant à Florence, et qui, à en juger par ses lettres, semble une très-aimable femme. Elle attend dans cette ville qu'il y ait quelque chose de décidé sur leur émigration en Suisse, ou sur leur séjour en Italie; point qui n'est pas encore définitivement résolu. Elle a été forcée de s'échapper du territoire papal en grande hâte, vu que des mesures avaient déjà été prises pour la placer dans un couvent où elle aurait été impitoyablement confinée pour la vie. Les droits oppressifs d'un contrat de mariage, tels qu'ils existent dans la législation et l'opinion de l'Italie, quoique moins souvent exercés qu'en Angleterre, sont encore plus terribles qu'en ce dernier pays.

»Lord Byron s'était presque tué à Venise. Il avait été réduit à un tel état de débilité, qu'il était incapable de rien digérer, il était consumé par une fièvre hectique, et il serait bientôt mort sans cet attachement, qui le retira des excès où il s'était plongé plutôt par insouciance et orgueil que par goût. Pauvre garçon, il est maintenant tout-à-fait bien; et il s'est jeté dans la politique et la littérature. Il m'a donné beaucoup de détails intéressans sur la première; mais nous n'en parlerons pas dans une lettre. Fletcher est ici, et--comme si, à la manière d'une ombre, il croissait et décroissait avec le corps même de son maître,--il a aussi repris sa bonne mine, et du milieu de ses cheveux gris prématurés s'est élevée une nouvelle pousse de touffes blondes.

»Nous avons beaucoup causé de poésie et de sujets analogues hier soir, et comme d'ordinaire, nous n'avons pas été d'accord,--et je crois, moins que jamais. Byron affecte de se déclarer le patron d'un système de littérature propre à ne produire que la médiocrité, et quoique tous ses plus beaux poèmes et ses plus beaux passages n'aient été produits qu'au mépris de ce système, je reconnais dans le doge de Venise les pernicieux effets de cette nouvelle foi littéraire qui gênera et arrêtera dorénavant ses efforts, quelque grands qu'ils puissent être; à moins qu'il ne secoue le joug. Je n'ai lu que quelques passages de la pièce, ou plutôt il me les a lus, et m'a donné le plan de l'ensemble.»

Ravenne, 15 août 1821.



»Nous sortons à cheval le soir pour nous promener dans la forêt de pins qui sépare la ville de la mer. Je t'écris notre genre de vie, auquel je me suis accommodé sans beaucoup de difficulté:--Lord Byron se lève à deux heures,--et déjeûne--nous causons, lisons, etc. jusqu'à six,--puis nous montons à cheval à huit, et après dîner nous devisons jusqu'à quatre ou cinq heures du matin. Je me lève à midi, et je vous consacre aujourd'hui le tems qui reste libre entre mon lever et celui de Byron.

»Lord Byron a beaucoup gagné sous tous les rapports,--en génie, en caractère, en vues morales, en santé et en bonheur. Sa liaison avec la Guiccioli a été pour lui un avantage inappréciable. Il vit avec une grande splendeur, mais sans outrepasser son revenu, qui est aujourd'hui d'environ quatre mille livres sterling par an, et dont il consacre le quart à des oeuvres de charité. Il a eu de désastreuses passions, mais il semble les avoir subjuguées, et il devient ce qu'il devait être: un homme vertueux. L'intérêt qu'il a pris aux affaires politiques d'Italie, et les actions qu'il a faites en conséquence ne doivent point s'écrire dans une lettre, mais vous causeront du plaisir et de la surprise.

»Il n'est pas encore décidé à aller en Suisse, pays en vérité peu fait pour lui; le commérage et les cabales de ces coteries anglicanes le tourmenteraient comme auparavant, et pourraient le faire retomber dans le libertinage, où il s'est, dit-il, plongé non par goût mais par désespoir. La Guiccioli, et son frère (qui est l'ami et le confident de Lord Byron, et approuve complètement la liaison de sa soeur avec lui) désirent aller en Suisse, à ce que dit Lord Byron, seulement par amour de la nouveauté et pour le plaisir de voyager. Lord Byron préfère la Toscane ou Lucques, et il essaie de leur faire adopter ses idées. Il m'a fait écrire une longue lettre à la comtesse pour l'engager à rester. C'est une chose assez bizarre pour un étranger que d'écrire sur des sujets de la plus grande délicatesse à la maîtresse de son ami,--mais le destin semble vouloir que j'aie toujours une part active dans les affaires de tous ceux que j'approche. J'ai exprimé en doucereux italien les raisons les plus fortes que j'ai pu imaginer contre l'émigration en Suisse. Pour vous dire la vérité, je serais charmé de le voir, pour prix de ma peine, s'établir en Toscane. Ravenne est un misérable endroit, les habitans sont barbares et sauvages, et leur langage est le plus infernal patois que vous puissiez concevoir; Byron serait, sous tous les rapports, beaucoup mieux chez les Toscans.

»Il m'a lu un des chants encore inédits de Don Juan. C'est une oeuvre d'une étonnante beauté: elle le place non-seulement au-dessus, mais beaucoup au-dessus, de tous les poètes du siècle. Chaque mot a le cachet de l'immortalité. Ce chant est dans le même style que la fin du second (mais il est entièrement pur d'indécences, et soutenu avec une aisance et un talent incroyables); il n'y a pas un mot que le plus rigide défenseur de la dignité de la nature humaine voulût faire biffer. Voilà, jusqu'à un certain point, ce que j'ai long-tems réclamé,--une production tout-à-fait neuve, adaptée au siècle, et cependant extraordinairement belle. C'est peut-être vanité, mais je crois voir l'effet des vives exhortations que je fis à Byron pour l'engager à créer quelque chose d'entièrement neuf.........................................

»Je suis sûr que si je demandais je ne serais pas refusé; mais il y a en moi quelque chose qui m'empêche absolument de demander. Lord Byron et moi sommes très-bons amis, et si j'étais réduit à la pauvreté ou si j'étais un écrivain qui n'eût aucun droit à une position plus élevée que celle où je suis, ou si j'étais dans une position plus élevée que je ne mérite, nous paraîtrions toujours tels, et je lui demanderais librement toute espèce de faveur. Mais ce n'est pas là mon cas. Le démon de la défiance et de l'orgueil veille entre deux personnes telles que nous, et empoisonne la liberté de nos relations. C'est une taxe, et une taxe lourde, que nous devons payer par cela même que nous sommes hommes. Je ne crois pas que la faute soit de mon côté; non, très probablement, puisque je suis le plus faible. J'espère que dans l'autre monde les choses seront mieux arrangées. Ce qui se passe dans le coeur d'un autre, échappe rarement à l'observation de celui qui est l'anatomiste exact de son propre coeur ...................................................

»Lord Byron a ici de splendides appartemens dans le palais du mari de sa maîtresse, un des hommes les plus riches d'Italie. Mme Guiccioli est divorcée, avec une pension de douze mille écus par an, misérable traitement de la part d'un homme qui a cent-vingt mille livres sterling de rente. Il y a deux singes, cinq chats, huit chiens et dix chevaux; tous (excepté les chevaux) se promènent dans la maison comme s'ils en étaient maîtres. Le Vénitien Tita est ici, et me sert de valet,--c'est un beau garçon, avec une admirable barbe noire; il a déjà poignardé deux ou trois personnes, et il a l'air le plus doux que j'aie jamais vu.

Mercredi, Ravenne.



»Je vous ai dit que j'avais écrit d'après le désir de Lord Byron, à la Guiccioli pour la dissuader ainsi que sa famille, du voyage en Suisse. La réponse de cette dame est arrivée, et mes représentations semblent avoir fait comprendre combien la mesure était mauvaise. À la fin d'une lettre pleine de toutes les belles choses que la noble dame dit avoir entendues sur mon compte, se trouve cette demande que je transcris ici, «--Signore, la vostra bontà mi far ardita di chiedervi un favore; me la accorderete-voi? Non partite da Ravenna senza milord142.» Sans contredit me voilà de par toutes les lois de la chevalerie, captif sur parole à la requête d'une dame, et je ne recouvrerai ma liberté que lorsque Byron sera établi à Pise. Je répondrai à la comtesse que sa demande lui est accordée, et que si son amant hésite à quitter Ravenne après que j'aurai fait tous les arrangemens nécessaires pour le recevoir à Pise, je m'engage à me remettre dans la même situation qu'aujourd'hui pour le fatiguer d'importunités jusqu'à ce qu'il aille la rejoindre. Heureusement cela n'est pas nécessaire, et je n'ai pas besoin de vous avertir que cette chevaleresque soumission aux grandes lois de l'antique courtoisie, contre lesquelles je ne me révolte jamais et qui constituent ma religion, ne m'empêchera pas de retourner bientôt près de vous pour y rester long-tems...................................

Note 142: (retour) Monsieur, votre bonté me rend assez hardie pour vous demander une faveur; me l'accorderez-vous? Ne quittez pas Ravenne sans milord.

»Nous montons à cheval tous les soirs comme à l'ordinaire, et nous nous exerçons au tir du pistolet, et je ne suis pas fâché de vous dire que j'approche de l'adresse avec laquelle mon noble ami frappe au but. J'ai la plus grande peine à m'en aller, et Lord Byron, pour m'obliger à rester, a prétendu que sans moi ou la Guiccioli il retombera certainement dans ses anciennes habitudes. Je lui parle donc raison, et il m'écoute, aussi j'espère qu'il est trop bien instruit des terribles et dégradantes conséquences de son ancien genre de vie pour courir quelque danger dans le court intervalle de tentation qui lui sera laissé.»


LETTRE CCCCXLIII.

A M. MURRAY.

Ravenne, 10 août 1821.



»Votre conduite envers M. Moore est certainement belle, et je ne dirais pas cela si je pouvais m'en empêcher, car vous n'êtes point à présent dans mes bonnes grâces.

»À l'égard des additions, etc., il y a un journal que j'ai tenu en 1814, et que vous pouvez demander à M. Moore, plus un journal de mon voyage dans les Alpes, dans lequel se trouvent tous les germes de Manfred, et qu'il faut retirer d'entre les mains de Mrs. Leigh. J'ai encore tenu ici pendant quelques mois de l'hiver passé un petit Mémorandum quotidien, que je vous enverrai. Vous trouverez un facile accès dans tous mes papiers et toutes mes lettres, et ne négligez pas (en cas d'accident) de visiter cette masse, si confuse qu'elle soit, car dans ce chaos de papiers, vous trouverez quelques morceaux curieux, soit de moi soit d'autrui, à moins qu'ils n'aient été perdus ou détruits. Si les circonstances me faisaient jamais consentir (chose presque impossible) à la publication des Mémoires de mon vivant, vous feriez, je suppose, quelques avances à Moore, en proportion du plus ou moins de probabilité de succès. Mais vous êtes tous deux certains de me survivre.

»Il faudra aussi que vous ayez de Moore la correspondance entre moi et lady Byron, à qui j'ai offert le droit de voir tout ce qui la concerne dans ces papiers. Ceci est important. Moore a la lettre de milady et une copie de ma réponse. J'aimerais mieux avoir Moore pour éditeur que tout autre.

»Je vous ai envoyé la lettre de Valpy pour vous laisser décider par vous-même, et celle de Stockdale pour vous amuser. Je suis toujours loyal à votre égard, comme je le fus dans l'affaire de Galignani, et comme vous-même l'êtes avec moi,--par-ci par-là.

»Je vous rends la lettre de Moore, lettre fort honorable pour lui, pour vous et pour moi.

»Tout à vous pour jamais.


LETTRE CCCCXLIV.

A M. MURRAY.

Ravenne, 16 août 1821.



»Je regrette que Holmes ne puisse ou ne veuille pas venir; c'est agir un peu malhonnêtement, vu que je fus toujours très-poli et très-ponctuel à son égard; mais ce n'est qu'un *** de plus. On ne rencontre pas d'autres gens parmi les Anglais.

»J'attends les épreuves des manuscrits avec une raisonnable impatience.

»Ainsi vous avez publié, ou voulez publier, les nouveaux chants de Don Juan. N'êtes-vous pas effrayé de l'assassinat constitutionnel de Bridge-Street? Quand j'ai vu le nom de Murray, j'ai cru au premier instant que c'était vous, mais j'ai été consolé en voyant que votre homonyme est un procureur, car vous ne faites point partie de cette infâme race.

»Je suis dans un grand chagrin, vu la probabilité de la guerre, parce que mes hommes d'affaires ne sortent pas ma fortune des fonds publics. Si la banqueroute a lieu, c'est mon intention de me faire voleur de grand chemin; toutes les autres professions en Angleterre ont été amenées à un tel point de perversité par la conduite de ceux qui les exercent, que le vol ouvertement pratiqué est la seule ressource laissée à un homme qui à quelques principes; c'est même chose honnête, comparativement parlant, puisqu'on ne se déguise pas.

»Je vous ai écrit par le dernier courrier pour vous dire que vous avez très-bien agi à l'égard de Moore et des Mémoires.....................

»Mes amitiés à Gifford.

»Croyez-moi, etc.

»P. S. Je vous rends la lettre de Smith, que je vous prie de remercier de sa bienveillante opinion. Le buste de Thorwaldsen est-il arrivé?


LETTRE CCCCXLV.

A M. MURRAY.

Ravenne, 23 août 1821.



»Je vous envoie ci-inclus les deux actes corrigés. Quant aux accusations relatives au naufrage143, je crois vous avoir dit à vous et à Mr Hobhouse, il y a déjà quelques années, qu'il n'y avait pas une seule circonstance qui n'eût été prise dans les faits, non pas, il est vrai, dans l'histoire d'un naufrage particulier quelconque, mais dans les accidens réels de différens naufrages. Presque tout Don Juan est une peinture de la vie réelle, soit de la mienne, soit de celle de gens que j'ai connus. Par parenthèse, une grande partie de la description de l'ameublement, dans le troisième chant, est prise du Tully's Tripoli (je vous prie de noter cela), et le reste, de mes propres observations. Souvenez-vous que je n'ai jamais voulu cacher cela; et que si je ne l'ai pas publiquement déclaré, c'est uniquement parce que Don Juan a paru sans préface et sans nom d'auteur. Si vous pensez que cela en vaille la peine, mettez-le en note à la prochaine occasion. Je ris de pareilles accusations, tant je suis convaincu que jamais nul écrivain n'emprunta moins que moi, ou ne s'appropria davantage les matériaux empruntés. Beaucoup de plagiats apparens ne sont dus qu'à une coïncidence fortuite. Par exemple, Lady Morgan (dans un livre sur l'Italie, vraiment excellent, je vous assure) appelle Venise Rome de l'Océan. J'ai employé la même expression dans les Foscari, et pourtant vous savez que la pièce est écrite depuis plusieurs mois, et envoyée en Angleterre. Je n'ai reçu l'Italie que le 16 courant.

Note 143: (retour) On avait ridiculement accusé Byron de plagiat, parce qu'il n'avait pas puisé sa description dans sa seule imagination, mais dans les relations authentiques des divers naufrages. (Note du Trad.)

»Votre ami, ainsi que le public, ne sait pas que ma simplicité dramatique est à dessein toute grecque, et que je continuerai dans cette voie; nulle réforme n'a jamais réussi144 tout d'abord. J'admire les vieux dramaturges anglais; mais le système grec est sur un tout autre terrain, et n'a rien à démêler avec eux. Je veux créer un drame anglais régulier, peu m'importe qu'il soit propre ou non au théâtre, ce n'est point là mon but;--je ne veux créer qu'un théâtre pour l'esprit.

Note 144: (retour) «Nul homme, dit Pope, ne s'est jamais élevé à quelque degré de perfection dans l'art d'écrire sans lutter avec une obstination et une constance opiniâtres contre le courant de l'opinion publique.»

Que les ennemis de la nouvelle école méditent cette réflexion d'un auteur reconnu pour classique. (Notes du Trad.)

»Tout à vous.

»P. S. Je ne puis accepter vos offres......... .....................................................

Il faut traiter ces affaires-là avec M. Douglas Kinnaird. C'est mon fondé de pouvoirs, et il est homme d'honneur. C'est à lui que vous pourrez exposer toutes vos raisons mercantiles, plutôt que de me les exposer à moi-même directement. Ainsi donc, la mauvaise saison,--le public indifférent,--le défaut de vente,--sa seigneurie écrit trop,--la popularité déclinant,--la déduction pour le commerce,--les pertes presque constantes,--les contre-façons,--les éditions en pays étranger,--les critiques sévères, etc., etc., etc., et autres phrases et doléances oratoires;--je laisse à Douglas, qui est un orateur, le soin d'y répondre.

»Vous pourrez exprimer plus librement toutes ces raisons à une tierce personne, tandis qu'entre vous et moi elles pourraient faire échanger quelques mots piquans qui n'orneraient pas nos archives.

»Je suis fâché pour la reine, et cela plus que vous ne l'êtes.»


LETTRE CCCCXLVI.

A M. MOORE.

Ravenne, 24 août 1821.



»Votre lettre du 5 ne m'est parvenue qu'hier, tandis que j'ai reçu des lettres datées de Londres du 8. La poste farfouille-t-elle dans nos lettres? Quelque arrangement que vous fassiez avec Murray,--si vous en êtes satisfait, je le serai aussi. Point de scrupule;--il est bien vrai que maintes fois j'ai dit par plaisanterie (car j'aime la pointe tout autant que le barbare lui-même,--c'est-à-dire Shakspeare.)--oui, j'ai dit que «comme un Spartiate, je vendrais ma vie aussi cher que possible.»--Mais ce ne fut jamais mon intention d'en tirer un profit pécuniaire pour mon propre compte, mais de transmettre ce legs à mon ami,--à vous--en cas de survivance. J'ai devancé l'époque, parce que nous nous sommes trouvés ensemble, et que je vous ai pressé de tirer de cette affaire tout le parti possible aujourd'hui même, pour raisons qui sont évidentes. Je ne me suis privé de rien par là, et je ne mérite pas les remercîmens que vous m'adressez................................. ....................................................

»À propos, quand vous écrirez à lady Morgan, remerciez-la pour les belles phrases qu'elle a faites dans son livre sur le compte des miens. Je ne sais pas son adresse. Son ouvrage sur l'Italie est courageux et excellent.--Je vous prie de lui faire part de cette opinion d'un homme qui connaît le pays. Je regrette qu'elle ne m'ait pas vu, j'aurais pu lui dire un ou deux faits qui auraient confirmé ses assertions.

»Je suis charmé que vous soyez content de Murray, qui semble apprécier les lords morts à une plus haute valeur que les lords vivans.............. ...............................................

»Tout à vous pour jamais, etc.

»P. S. Vous me dites quelques mots d'un procureur en route pour se rendre auprès de moi, pour traiter d'affaires. Je n'ai reçu aucun avis d'une telle apparition. Que peut vouloir l'individu? J'ai des procès et des affaires en train, mais je n'ai pas entendu dire qu'il fallût ajouter à toutes les dépenses faites en Angleterre les frais de voyage d'un homme de loi.

»Pauvre reine! mais peut-être est-ce pour le mieux, si l'on doit croire l'anecdote d'Hérodote...... ......................................................

»Rappelez-moi au souvenir de tous nos amis communs. À quoi vous occupez-vous? Ici, je n'ai été occupé que des tyrans et de leurs victimes. Il n'y eut jamais pareille oppression, même en Irlande.»


LETTRE CCCCXLVII.

A M. MURRAY.

Ravenne, 31 août 1821.



«J'ai reçu les chants de Don Juan, qui sont imprimés avec si peu de soin (surtout le cinquième), que la publication en serait honteuse pour moi, et peu honorable pour vous. Il faut réellement revoir les épreuves avec le manuscrit, les fautes sont si grossières;--il y a des mots ajoutés,--il y en a de changés,--d'où s'ensuivraient mille cacophonies et absurdités. Vous n'avez pas soigné ce poème, parce que quelques hommes de votre escouade ne l'approuvent pas; mais je vous dis qu'avant long-tems vous n'aurez rien de moitié aussi bon, comme poésie ou style. D'après quel motif avez-vous omis la note sur Bacon et Voltaire? et une des stances finales que je vous ai envoyées pour être ajoutées au chant? C'est, je présume, parce que la stance finissait par ces deux vers:

Et ne réunissez jamais deux ames vertueuses pour la vie,

En ce centaure moral, mari et femme.

»Or, il faut vous dire, une fois pour toutes, que je ne permettrai jamais à personne de prendre de telles libertés à l'égard de mes écrits à cause de mon absence. Je désire que les passages retranchés soient remis à leur place (excepté la stance sur Sémiramis);--mais reproduisez surtout la stance sur les mariages turcs. Je requiers d'ailleurs que le tout soit revu avec soin sur le manuscrit.

»Je ne vis jamais d'impression si détestable:--Gulleyaz au lieu de Gulbeyaz, etc. Savez-vous que Gulbeyaz est un nom réel, et que l'autre est un non sens? J'ai copié les chants avec soin, en sorte que les fautes sont inexcusables.

»Si vous ne vous souciez pas de votre propre réputation, ayez, je vous prie, quelques égards pour la mienne. J'ai relu le poème avec soin, et, je vous le répète, c'est de la poésie. Votre envieuse bande de prêtres-poètes peut dire ce qu'il lui plaît; le tems montrera que sur ce point je ne me suis pas trompé.

»Priez mon ami Hobhouse de corriger l'impression, surtout pour le dernier chant, d'après le manuscrit tel qu'il est..................................... ...............................................145

»Il ne faudrait pas s'étonner que le poème tombât (ce qui n'arrivera pas, vous verrez)--avec un pareil cortége de sottises. Replacez ce qui est omis, corrigez ces ignobles fautes d'impression, et laissez le poème aller droit son chemin; alors je ne crains plus rien. .......................

»Vous publierez les drames quand ils seront prêts. Je suis de si mauvaise humeur à cause de cette négligence dans l'impression de Don Juan, que je suis obligé de clore ma lettre.

»Tout à vous.

»P. S. Je présume que vous n'avez pas perdu la stance dont je vous parle? Je vous l'ai envoyée après les autres; cherchez dans mes lettres, et vous la trouverez.»

Note 145: (retour) Nous supprimons plusieurs fautes d'impression que Byron se remet encore à citer. (Note du Trad.)

LETTRE CCCCXLVIII146.

A M. MURRAY.

«La lettre ci-incluse est écrite avec mauvaise humeur, mais non sans motif. Toutefois, tenez-en peu de compte (je veux dire de la mauvaise humeur); mais je réclame instamment une attention sérieuse de votre part aux fautes de l'imprimeur, à qui pareille chose n'aurait jamais dû être permise. Vous oubliez que tous les sots de Londres (principaux acheteurs de vos publications) rejetteront sur moi la stupidité de votre imprimeur. Par exemple, dans les notes du cinquième chant, «le bord adriatique du Bosphore» au lieu d'asiatique. Tout cela peut vous sembler peu important, à vous, homme honoré d'amitiés ministérielles; mais c'est très-sérieux pour moi, qui suis à trois cents lieues, et n'ai pas l'occasion de prouver que je ne suis pas aussi sot que me fait votre imprimeur.

»Dieu vous bénisse et vous pardonne, car pour moi je ne le puis.»

Note 146: (retour) Écrite dans l'enveloppe de la lettre précédente. (Note de Moore.)

LETTRE CCCCXLIX.

A M. MOORE.

Ravenne, 3 septembre 1821.



«Par l'entremise de M. Mawman (payeur dans le corps dont vous et moi sommes de simples membres), j'expédiai hier, à votre adresse, sous une seule enveloppe, deux cahiers, contenant le Giaour-nal, et une ou deux choses. Tout cela n'est pas propre à réussir,--même auprès d'un public posthume;--mais des extraits le seraient peut-être. C'est une courte et fidèle chronique d'un mois environ;--quelques parties n'en sont pas fort discrètes, mais sont suffisamment sincères. M. Mawman dit qu'il vous remettra lui-même, ou vous fera remettre par un ami le susdit paquet dans vos champs élysées.

»Si vous avez reçu les nouveaux chants de Don Juan, songez qu'il y a de grossières fautes d'impression, particulièrement dans le cinquième chant.--Par exemple: précaire pour précoce, adriatique pour asiatique, etc.; plus, un luxe de mots et de syllabes additionnelles, qui changent le rhythme en une véritable cacophonie................................ ........................................................

»Je fais mes préparatifs de départs pour me rendre à Pise:--mais adressez vos lettres ici, jusqu'à nouvel ordre.

»Tout à vous à jamais, etc.»

Un des cahiers mentionnés ci-dessus comme confiés à M. Mawman pour m'être remis, contenait un fragment, d'environ cent pages, d'une histoire en prose, où Byron racontait les aventures d'un jeune gentilhomme andalous, et qu'il avait commencée à Venise, en 1817. Je n'extrairai que le passage suivant de cet intéressant fragment.

«Peu d'heures après, nous fûmes très-bons amis, et, au bout de quelques jours, elle partit pour l'Arragon avec mon fils, pour aller voir son père et sa mère. Je ne l'accompagnai pas immédiatement, parce que j'avais déjà été en Arragon; mais je devais rejoindre la famille dans son château moresque, au bout de quelques semaines.

»Durant le voyage, je reçus une lettre très-affectueuse de dona Josepha, qui m'instruisait de sa santé et de celle de mon fils. À son arrivée au château, elle m'en écrivit une autre encore plus affectueuse, où elle me pressait, en termes très-tendres et ridiculement exagérés, de la rejoindre immédiatement. Comme je me préparais à partir pour Séville, j'en reçus une troisième:--celle-ci était du père don Jose di Cardozo, qui me requérait, de la façon la plus polie, de dissoudre mon mariage. Je lui répondis avec une égale politesse, que je ne consentirais jamais à sa requête. Une quatrième lettre arriva;--elle était de Dona Josepha, qui m'informait que c'était d'après son désir, que la lettre de son père avait été écrite. Je lui écrivis courrier par courrier, pour savoir quelle était sa raison:--elle répondit, par exprès, que, comme la raison n'était pour rien là-dedans, il était inutile de donner une raison quelconque;--mais qu'elle était une femme excellente et offensée. Je lui demandai alors pourquoi elle m'avait écrit précédemment deux lettres si affectueuses, où elle me priait de venir en Arragon. Elle répondit que c'était parce qu'elle me croyait hors de mes sens;--qu'étant incapable de me soigner moi-même, je n'avais qu'à me mettre en route, et que, parvenu sans obstacle jusque chez don Jose di Cardozo, j'y trouverais la plus tendre des épouses,--et la camisole de force.

»Je n'avais, pour réplique à ce trait d'affection, qu'à réitérer la demande de quelques éclaircissemens. Je fus averti qu'on ne les donnerait qu'à l'inquisition. En même tems, nos différends domestiques étaient devenus un objet de discussion publique; et le monde, qui décide toujours avec justice, non-seulement en Arragon, mais en Andalousie, jugea que non-seulement j'étais digne de blâme, mais que dans toute l'Espagne il ne pourrait jamais exister personne de si blâmable. Mon cas fut présumé comprendre tous les crimes possibles, et même quelques-uns impossibles, et peu s'en fallut qu'un auto-da-fé ne fût annoncé comme le résultat de l'affaire. Mais qu'on ne dise pas que nous sommes abandonnés par nos amis dans l'adversité;--ce fut tout le contraire. Les miens se pressèrent autour de moi pour me condamner, m'admonester, me consoler par leur désapprobation.--Ils me dirent tout ce qui a été ou peut être dit sur le sujet. Ils secouèrent la tête, m'exhortèrent, me plaignirent, les larmes aux yeux, et puis--ils allèrent dîner.»


LETTRE CCCCL.

A M. MURRAY.

Ravenne, 4 septembre 1821.



»Par le courrier de samedi, je vous ai envoyé une lettre farouche et furibonde sur les bévues commises par l'imprimeur dans Don Juan. Je sollicite votre attention à cet égard, quoique ma colère se soit changée en tristesse.

»Hier je reçus M. ***,--un de vos amis, et je ne l'ai reçu que parce qu'il est un de vos amis; et c'est plus que je ne ferais pour les visiteurs anglais, excepté pour ceux que j'honore. Je fus aussi poli que j'ai pu l'être au milieu de l'emballage de toutes mes affaires, car je vais aller à Pise dans quelques semaines, et j'y ai envoyé et envoie encore mon mobilier. J'ai regretté que mes livres et mes papiers fussent déjà emballés, et que je ne pusse vous envoyer quelques écrits que je vous destinais; mais les paquets étaient scellés et ficelés, et il eût fallu un mois pour retrouver ce dont j'aurais eu besoin. J'ai remis sous enveloppe, à votre ami, la lettre italienne147 à laquelle je fais allusion dans ma défense de Gilchrist. Hobhouse la traduira pour vous, et elle vous fera rire et lui aussi, surtout à cause de l'orthographe. Les mericani, dont on m'appelle le capo ou chef, désignent les Américains, nom donné en Romagne à une partie des carbonari, c'est-à-dire, à la partie populaire, aux troupes des carbonari. C'était originairement une société de chasseurs, qui prirent le nom d'Américains; mais à présent elle comprend quelques milliers de personnes, etc. Mais je ne vous mettrai pas davantage dans le secret, parce que les directeurs de la poste pourraient en prendre connaissance. Je ne sais pourquoi l'on m'a cru le chef de ces gens-là; leurs chefs ressemblent au démon nommé Légion, ils sont plusieurs. Toutefois, c'est un poste plus honorable qu'avantageux; car, aujourd'hui que les Américains sont persécutés, il est convenable que je les aide; et ainsi ai-je fait, autant que mes moyens me l'ont permis. Il y aura quelque jour un nouveau soulèvement; car les sots qui gouvernent sont frappés d'aveuglement; ils semblent actuellement ne rien savoir, ils ont arrêté et banni plusieurs personnes de leur propre parti, et laissé échapper quelques-uns de ceux qui ne sont pas leurs amis.

Note 147: (retour) Une lettre anonyme qui le menaçait d'un assassinat. (Note de Moore.)

»Que penses-tu de la Grèce?

»Adressez vos lettres ici comme d'ordinaire, jusqu'à ce que vous receviez de mes nouvelles.

»J'ai chargé Mawman d'un Journal pour Moore; mais ce Journal ne vaudrait rien pour le public,--ou du moins en grande partie;--des extraits en peuvent réussir.

»Je relis les chants de Don Juan: ils sont excellens. Votre escouade a complètement tort, et vous le verrez bientôt. Je regrette de ne pas continuer ce poème, car j'avais mon plan tout fait pour plusieurs chants, pour différentes contrées et différens climats. Vous ne dites rien de la note que je vous ai envoyée, laquelle expliquera pourquoi j'ai cessé de continuer Don Juan (à la prière de Mme Guiccioli).

»Faites-moi savoir que Gifford est mieux. Nous avons, vous et moi, besoin de lui.»


LETTRE CCCCLI.

A M. MURRAY.

Ravenne, 12 septembre 1821.



«Par le courrier de mardi, je vous enverrai, en trois paquets, le drame de Caïn, en trois actes, dont je vous prie d'accuser réception aussitôt après l'arrivée. Dans le dernier discours d'Ève, au dernier acte (quand Ève maudit Caïn), ajoutez aux derniers vers les trois suivans:

Puisse l'herbe se flétrir sous tes pas! les bois

Te refuser un asile! le monde une demeure! la terre

Un tombeau! le soleil sa lumière! et le ciel son Dieu!

»Voilà pour vous, quand les trois vers seront réunis à ceux déjà envoyés, un aussi beau morceau d'imprécation que vous puissiez désirer en rencontrer dans le cours de vos affaires. Mais n'oubliez pas cette addition, qui est le trait du discours d'Ève.

»Faites-moi savoir, ce que Gifford pense (si la pièce arrive saine et sauve); car j'ai bonne opinion de ce drame, comme poésie; c'est dans mon gai style métaphysique, et dans le genre de Manfred.

»Vous devez au moins louer ma facilité et ma variété, quand vous considérerez ce que j'ai fait depuis quinze mois, la tête pleine, d'ailleurs, d'affaires mondaines. Mais nul doute que vous n'évitiez de dire du bien de la pièce, de crainte que je n'en réclame de vous un prix plus élevé; c'est juste: songez à votre affaire.

»Pourquoi ne publiez-vous pas ma traduction de Pulci,--la meilleure chose que j'aie jamais composée,--avec l'italien en regard? Je voudrais être sur vos talons: rien ne se fait tandis qu'un homme est absent; tout le monde court sus, parce qu'on le peut. Si jamais je retourne en Angleterre (ce que je ne ferai pas, toutefois), j'écrirai un poème en comparaison duquel les Poètes Anglais, etc., ne seront plus que du lait: votre monde littéraire d'aujourd'hui, tout composé de charlatans, a besoin de ce coup; mais je ne suis pas encore assez bilieux: attendez encore une saison ou deux, encore une ou deux provocations, et je serai monté au ton convenable, alors j'attaquerai toute la bande.

»Je ne puis supporter cette espèce de rebut que vous m'envoyez pour mes lectures; excepté les romans de Scott, et trois ou quatre autres ouvrages, je ne vis jamais pareille besogne. Campbell professe,--Moore fainéantise,--Southey bavarde,--Wordsworth écume,--Coleridge hébété,--*** niaise,--*** chicane, querelle et criaille,--*** réussira, s'il ne donne pas trop dans le jargon du jour, et qu'il n'imite pas Southey; il y a de la poésie en lui; mais il est envieux, et malheureux comme sont tous les envieux. Il est encore un des meilleurs écrivains du siècle. B*** C*** réussira mieux bientôt, j'ose le dire, s'il n'est pas abîmé par le thé vert, et par les éloges de Pentonville et de Paradise-row. Le malheur de ces hommes-là est qu'ils n'ont jamais vécu dans le grand monde ni dans la solitude; il n'y a point de milieu pour acquérir la connaissance du monde agité ou du monde tranquille. S'ils sont admis pour quelque tems dans le grand monde, c'est seulement comme spectateurs;--ils ne forment point partie de la machine. Or, Moore et moi, lui par des circonstances particulières, et moi par ma naissance, nous sommes entrés dans toutes les agitations et passions de ce monde. Tous deux avons appris par-là beaucoup de choses qu'autrement nous n'aurions jamais sues.

»Tout à vous.

»P. S. J'ai vu l'autre jour un de vos confrères, un des souverains alliés de Grub-Street, Mawman-le-Grand, par l'intermède de qui j'ai envoyé mon légitime hommage à votre impériale majesté. Le courrier de demain m'apportera peut-être une lettre de vous, mais vous-êtes le plus ingrat et le moins gracieux des correspondans. Pourtant vous êtes excusable, avec votre perpétuelle cour de politiques, de prêtres, d'écrivailleurs et de flâneurs. Quelque jour je vous donnerai un catalogue poétique de tous ces gens-là.»


LETTRE CCCCLIII.148

A M. MOORE.

Ravenne, 19 septembre 1821.



«Je suis dans le fort de la sueur, de la poussière, et de la colère d'un déménagement universel de toutes mes affaires, meubles, etc., pour Pise, où je vais passer l'hiver. La cause de ce départ est l'exil de tous mes amis carbonari, et, entre autres, de toute la famille de Mme Guiccioli, qui, comme vous savez, a divorcé la semaine dernière «à cause de P. P., clerc de cette paroisse», et qui est obligée de rejoindre son père et ses parens, actuellement en exil à Pise, afin d'éviter d'être enfermée dans un monastère, parce que l'arrêt de séparation, décrété par le pape, lui a imposé l'obligation de résider dans la casa paterna149, ou bien dans un couvent pour l'intérêt du décorum. Comme je ne pouvais dire avec Hamlet: «va-t-en parmi des nonnes», je me prépare à suivre la famille.

Note 148: (retour) la lettre 452e, d'ailleurs fort courte, a été supprimée.
Note 149: (retour) Maison paternelle.

»C'est une forte puissance que ce diable d'amour, qui empêche un homme d'accomplir ses projets de vertu ou de gloire. Je voulais il y a quelque tems aller en Grèce (où tout semble se réveiller) avec le frère de Mme Guiccioli, bon et brave jeune homme (je l'ai vu mettre à l'épreuve) et farouche sur l'article de la liberté. Mais les larmes d'une femme qui a laissé son mari pour moi, et la faiblesse de mon coeur, sont des obstacles à ces projets, et je peux difficilement m'y abandonner.

»Nous nous divisâmes sur le choix de notre résidence entre la Suisse et la Toscane, et je donnai mon vote pour Pise, comme étant plus près de la Méditerranée, que j'aime pour les rivages qu'elle baigne, et pour mes jeunes souvenirs de 1809. La Suisse est un maudit pays de brutes égoïstes et grossières, dans la région la plus romantique du monde. Je n'ai jamais pu en supporter les habitans, et encore moins les visiteurs anglais; c'est pour cette raison qu'après avoir écrit pour prendre quelques informations sur des maisons à louer, et avoir appris qu'il y avait une colonie d'Anglais sur toute la surface des cantons de Genève, etc., j'abandonnai sur-le-champ l'idée, et persuadai aux Gamba d'en faire autant..................................... ..........................
.......................

»Que faites-vous, et où êtes-vous? en Angleterre? Depuis la dernière lettre que je vous ai écrite, j'ai envoyé à Murray une autre tragédie,--intitulée Caïn,--en trois cahiers; elle est maintenant entre ses mains, ou chez l'imprimeur. C'est dans le style de Manfred, c'est métaphysique et plein de déclamations titaniques150.--Lucifer est un des personnages, et il emmène Caïn en voyage parmi les étoiles, puis dans «l'Hadès» où il lui montre les fantômes d'un monde antérieur. J'ai supposé l'idée de Cuvier, que le monde a été détruit trois ou quatre fois, et a été habité par les mammouths, les mégalosauriens, etc., mais non par l'homme avant la période mosaïque, comme on le voit, en effet, par l'étude des os fossiles; car ces os appartiennent tous à des espèces inconnues ou même connues, mais on ne trouve point d'ossemens humains. J'ai donc supposé que Caïn voit les préadamites151, êtres doués d'une intelligence supérieure à celle de l'homme, mais d'une forme totalement différente, et d'une plus grande force d'esprit et de corps. Vous pouvez croire que la petite conversation qui a lieu entre Caïn et Lucifer sur ce sujet, n'est pas entièrement conforme aux canons.

Note 150: (retour) Analogues à celles des Titans qui se révoltèrent contre le souverain des dieux. (Note du Trad.)
Note 151: (retour) Êtres qui ont existé avant Adam. (Note du Trad.)

»Il s'ensuit que Caïn, à son retour, tue Abel dans un accès de mauvaise humeur, et parce qu'il est mécontent de la politique qui l'a chassé, lui et toute sa famille, hors du paradis, et parce que (conformément au récit de la Genèse) le sacrifice d'Abel est le plus agréable à la divinité. J'espère que la rapsodie est arrivée;--elle est en trois actes, et porte le titre de Mystère, suivant l'ancien usage chrétien, et en honneur de ce qu'elle sera probablement pour le lecteur.

»Tout à vous, etc.»


LETTRE CCCCLV152.

A M. MURRAY.

Ravenne, 20 septembre 1821.



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Note 152: (retour) La lettre 454e, d'une quinzaine de lignes, a été supprimée.

«Les papiers dont je parle, en cas de survivance, sont des lettres, etc., que j'ai amassées depuis l'âge de seize ans, et qui sont dans les coffres de M. Hobhouse. Cette collection est au moins doublée par celles que j'ai à présent ici,--toutes reçues depuis mon dernier ostracisme. Je désirerais que l'éditeur eût accès dans cette dernière pacotille, non dans le but d'abuser des confidences, ou d'offenser les sentimens de mes correspondans vivans et la mémoire des morts; mais il y a des faits qui n'auraient ni l'un ni l'autre de ces inconvéniens, et que cependant je n'ai ni mentionnés ni expliqués: le tems seul (comme à l'égard de toutes affaires pareilles) permettra de les mentionner et de les expliquer, quoique quelques uns soient à ma gloire. La tâche, sans doute, exigera de la délicatesse; mais cette exigence sera satisfaite, si Moore et Hobhouse me survivent; et, je puis aussi le dire, si vous-même me survivez: et je vous assure que mon sincère désir est que vous soyez tous trois dans ce cas. Je ne suis pas sûr qu'une longue vie soit souhaitable pour un homme de mon caractère, atteint d'une mélancolie constitutionnelle153 que, sans doute, je dissimule en société, mais qui éclate dans la solitude et dans mes écrits malgré moi-même. Cette disposition a été renforcée, peut-être, par quelques événemens de ma vie passée (je ne veux pas parler de mon mariage, etc.,--au contraire, alors la persécution ranima mes esprits); mais je la nomme constitutionnelle, parce que je la crois telle. Vous savez, ou ne savez pas, que mon grand-père-maternel (habile et aimable homme, m'a-t-on dit) fut vivement soupçonné de suicide (on le trouva noyé dans l'Avon à Bath), et qu'un autre de mes proches parens de la même ligne s'empoisonna, et ne fut sauvé que par les contre-poisons. Dans le premier cas, il n'y avait pas de motif apparent, vu que mon grand-père était riche, considéré, doué de grands moyens intellectuels, à peine âgé de quarante ans, et pur de tout vice ruineux. Le suicide d'ailleurs ne fut qu'un soupçon fondé sur le genre de mort et sur le tempérament mélancolique de mon aïeul. Dans le second cas, il y eut un motif, mais il ne me convient pas d'en parler: cette mort arriva lorsque j'étais trop jeune pour en être instruit, et je n'en ai entendu parler que plusieurs années après. Je pense donc que je puis appeler constitutionnel cet abattement de mes esprits. On m'a toujours dit que je ressemblais plus à mon aïeul maternel qu'à personne de la famille de mon père,--c'est-à-dire dans le plus sombre côté de son caractère; car il était ce que vous appelez une bonne nature d'homme, ce que je ne suis pas.

Note 153: (retour) Ce mot est pris ici comme en anglais, dans son sens physiologique et médical; il signifie ce qui est inhérent à la constitution physique, à l'organisation. Nous avons cru devoir faire cette remarque, parce que le sens politique, beaucoup plus généralement employé, aurait pu préoccuper l'esprit du lecteur. (Note du Trad.)

»Comptez, de plus, le journal ici tenu, que j'ai envoyé à Moore l'autre jour; mais comme c'est un vrai mémorandum quotidien, il ne faudrait en publier que des extraits. Je pense aussi qu'Augusta vous laisserait prendre une copie du journal de mon voyage en 1816.

»Je suis très-peiné que Gifford n'approuve pas mes nouveaux drames. Certes, ils sont aussi contraires que possible au drame anglais; mais j'ai idée que s'ils sont compris, ils trouveront à la fin faveur, je ne dis pas sur le théâtre, mais dans le cabinet du lecteur. C'est à dessein que l'intrigue est simple, l'exagération des sentimens évitée, et les discours resserrés dans les situations sévères. Ce que je cherche à montrer dans les Foscari, c'est la suppression des passions, plutôt que l'exagération du tems présent, car ce dernier genre ne me serait pas difficile, comme je crois l'avoir montré dans mes jeunes productions,--à la vérité, non dramatiques. Mais, je le répète, je suis peiné que Gifford n'aime pas mes drames; mais je n'y vois pas de remède, nos idées sur ce point étant si différentes. Comment va-t-il?--bien, j'espère! faites-le moi savoir. Son opinion me cause d'autant plus de regret, que c'est lui qui a toujours été mon grand patron, et que je ne connais aucune louange capable de compenser pour moi sa censure. Je ne songe pas aux Revues, attendu que je puis les travailler avec leurs armes.

»Tout à vous, etc.

»Adressez-moi vos lettres à Pise, où je vais maintenant. La raison de mon changement de résidence est que tous mes amis italiens d'ici ont été exilés, et sont réunis à Pise pour le moment, et je vais les rejoindre, comme il en a été convenu, pour y passer l'hiver avec eux.»


LETTRE CCCCLVI.

A M. MURRAY.

Ravenne, 24 septembre 1821.



«J'ai réfléchi à notre dernière correspondance, et je vous propose les articles suivans pour règles de notre conduite à venir.

»Premièrement, vous m'écrirez pour me parler de vous, de la santé, des affaires et des succès de tous nos amis; mais de moi,--peu ou point.

»Secondement, vous m'enverrez du soda-powder, de la poudre dentifrice, des brosses à dents, et tous autres articles anti-odontalgiques ou chimiques, comme auparavant, ad libitum, avec obligation de ma part à vous rembourser.

»Troisièmement, vous ne m'enverrez point de publications modernes, ou, comme on dit, d'ouvrages nouveaux, en anglais, excepté la prose et les vers de Walter-Scott, de Crabbe, de Moore, de Campbell, de Rogers, de Gifford, de Joanna Baillie, de l'Américain Irving, de Hogg et de Wilson (l'homme de l'île des Palmiers), ou un ouvrage d'imagination jugé d'un mérite transcendant. Les voyages, pourvu qu'ils ne soient ni en Grèce, ni en Espagne, ni en Asie-Mineure, ni en Italie, seront bien venus. Ayant voyagé dans les pays ci-dessus mentionnés, je sais que ce qu'on en dit ne peut rien ajouter à ce que je désire connaître sur eux.--Point d'autres ouvrages anglais, quels qu'ils soient.

»Quatrièmement, vous ne m'enverrez plus d'ouvrages périodiques;--plus de Revue d'Édimbourg, de Quarterly ou Monthly Review, ni de journaux anglais ou étrangers, de quelque nature que ce soit.

»Cinquièmement, vous ne me communiquerez plus d'opinions d'aucune espèce, favorables, défavorables ou indifférentes, de vous ou de vos amis ou autres, concernant mes ouvrages passés, présens ou futurs.

»Sixièmement, toutes les négociations d'intérêt entre vous et moi se traiteront par l'intermédiaire de l'honorable Douglas Kinnaird, mon ami et mon fondé de pouvoirs, ou de M. Hobhouse, comme alter ego, et mon représentant dans mon absence--et même moi présent.

»Quelques-unes de ces propositions peuvent au premier abord sembler étranges, mais elles sont fondées. La quantité des mauvais livres que j'ai reçus est incalculable, et je n'en ai tiré ni amusement ni instruction. Les Revues et les Magazines ne sont qu'une lecture éphémère et superficielle:--qui songe au grand article de l'année dernière dans une Revue quelconque? Puis, si on y parle de moi, cela ne tend qu'à accroître l'égotisme. Si les articles me sont favorables, je ne nie pas que l'éloge n'énorgueillisse; s'ils sont défavorables, que le blâme n'irrite. Dans ce dernier cas, je pourrais être amené à vous infliger une sorte de satire qui ne vaudrait rien pour vous ni pour vos amis: ils peuvent sourire aujourd'hui, et vous aussi; mais si je vous prenais tous entre les mains, il ne serait pas malaisé de vous hacher comme chair à pâté. Je l'ai fait à l'égard de gens aussi puissans, à l'âge de dix-neuf ans, et je ne sais pas ce qui, à trente-trois ans, m'empêcherait de faire de vos côtes autant de grils ardens pour vos coeurs, si telle était mon envie; mais je ne me sens pas en pareille disposition: que je n'entende donc plus vos provocations. S'il survient quelque attaque assez grossière pour mériter mon attention, je l'apprendrai par mes amis légaux. Quant au reste, je demande qu'on me le laisse ignorer. .................................................

»Toutes ces précautions seraient inutiles en Angleterre: le diffamateur ou le flatteur m'y atteindrait malgré moi; mais en Italie nous savons peu de chose sur le monde littéraire anglais, et y pensons encore moins, excepté ce qui nous parvient par quelque misérable extrait inséré dans quelque misérable gazette. Depuis deux ans (hors deux ou trois articles), je n'ai lu de journal anglais qu'autant que j'y ai été forcé par quelque accident; et, au total, je n'en sais pas plus sur l'Angleterre que vous sur l'Italie, et Dieu sait que c'est fort peu de chose, malgré tous vos voyages, etc. Les voyageurs anglais connaissent l'Italie comme vous connaissez l'île de Guernesey; et qu'est-ce que c'est que cela?

»S'il s'élève quelque attaque assez grossière ou personnelle pour que je doive la connaître, M. Douglas Kinnaird m'en instruira. Quant aux louanges, je désire n'en rien savoir.

»Vous direz: «À quoi tend tout ceci?» Je répondrai: «Cela tend à ne plus laisser surprendre et distraire mon esprit par toutes ces misérables irritations que causent l'éloge ou la censure;--à permettre à mon génie de suivre sa direction naturelle, tandis que ma sensibilité ressemblera au mort qui ne sait ni ne sent rien de tout ce qui se dit ou se fait pour ou contre lui.»

»Si vous pouvez observer ces conditions, vous vous épargnerez à vous et à d'autres quelques chagrins. Ne me laissez pas pousser à bout; car si jamais ma colère s'éveille, ce ne sera pas pour un petit éclat. Si vous ne pouvez observer ces conditions, nous cesserons de correspondre,--sans cesser d'être amis, car je serai toujours le vôtre à jamais et de coeur,
BYRON.


»P. S. J'ai pris ces résolutions non par colère contre vous ou vos gens, mais simplement pour avoir réfléchi que toute lecture sur mon propre compte, soit éloge, soit critique, m'a fait du mal. Quand j'étais en Suisse et en Grèce, j'étais hors de la portée de ces discours, et vous savez comme j'écrivais alors!--En Italie, je suis aussi hors de la portée de vos articles de journaux; mais dernièrement, moitié par ma faute, moitié par votre complaisance à m'envoyer les ouvrages les plus nouveaux et les publications périodiques, j'ai été écrasé d'une foule de Revues, qui m'ont déchiré de leur jargon, dans l'un et l'autre sens, et ont détourné mon attention de sujets plus grands. Vous m'avez aussi envoyé une pacotille de poésie de rebut, sans que je puisse savoir pourquoi, à moins que ce ne soit pour me provoquer à écrire le pendant des Poètes Anglais, etc. Or c'est ce que je veux éviter; car si jamais je le fais, ce sera une terrible production, et je désire être en paix aussi long-tems que les sots n'embarrasseront pas mon chemin de leurs absurdités.»


LETTRE CCCCLVIII154.

Note 154: (retour) La lettre 457e a été supprimée.

A M. MURRAY.

28 septembre 1821.



«J'ajoute une autre enveloppe pour vous prier de demander à Moore qu'il retire, si c'est possible, d'entre les mains de lady Cowper mes lettres à feue lady Melbourne. Elles sont très-nombreuses, et m'auraient dû être rendues depuis long-tems, vu que je suis prêt à donner celles de lady Melbourne en échange. Celles-ci sont confiées à la garde de M. Hobhouse avec mes autres papiers, et elles seront fidèlement rendues en cas de besoin. Je n'ai pas voulu m'adresser auparavant à lady Cowper, parce que je m'abstins de l'importuner à l'instant même de la mort de sa mère. Quelques années se sont écoulées, et il est nécessaire que j'aie mes épîtres. Elle sont essentielles comme confirmant cette partie des Mémoires qui a trait aux deux époques (1812 et 1814) où mon mariage avec la nièce de lady Melbourne fut projeté, et elles montreront quelles furent mes idées, quels furent mes sentimens réels sur ce point.

»Vous n'avez pas besoin de vous alarmer; les quatorze ans155 ne peuvent guère s'écouler sans que la mortalité frappe sur l'un de nous: c'est une longue portion de vie comme objet de spéculation..........

Note 155: (retour) Allusion à un passage d'une lettre de Murray, qui remarquait que si les Mémoires n'étaient pas publiés du vivant de sa seigneurie, la somme actuellement payée (2,100 liv.) pour prix d'achat, monterait, d'après un calcul très-probable des chances de vie, à près de 8,000 livres sterling. (Note de Moore.)

»Je veux aussi vous donner une ou deux idées à votre avantage, vu que vous avez eu réellement une très-belle conduite envers Moore dans cette affaire, et que vous êtes un brave homme dans votre genre. Si par vos manoeuvres vous pouvez reprendre quelques-unes de mes lettres à lady ***, vous pourrez en faire usage dans votre recueil (en supprimant, bien entendu, les noms et tous les détails qui pourraient blesser des personnes encore vivantes, ou celles qui survivent aux personnes compromises). J'y ai traité parfois des sujets autres que l'amour................................................ .......................................................

»Je vous dirai encore quelles personnes peuvent avoir de mes lettres en leurs mains: lord Powerscourt, quelques-unes à feu son frère; M. Long de--(j'ai oublié le nom du pays), mais père d'Édouard Long, qui se noya en allant à Lisbonne en 1809; miss Élisabeth Pigot de Southwell (elle est peut-être devenue mistress156 par le tems qui court, car elle n'avait qu'un an ou deux de plus que moi): ce ne sont pas des lettres d'amour, ainsi vous pouvez les obtenir sans difficulté. Il y en a peut-être quelques-unes à feu révérend J. C. Tattersall, dans les mains de son frère (à moitié frère) M. Wheatley, qui demeure, je crois, près de Cantorbéry. Il y en a aussi à Charles Gordon, aujourd'hui de Dulwich, et quelques-unes, en très-petit nombre, à Mrs. Chaworth; mais ces dernières sont probablement détruites ou imprenables.
............................................................ ........................................................................

»Je mentionne ces personnes et ces détails comme de simples possibilités. La plupart des lettres ont été probablement détruites; et, dans le fait, elles sont de peu d'importance, ayant été pour la plupart écrites dans ma première jeunesse, à l'école et au collége.

»Peel (le frère cadet du secrétaire-d'état) entretint avec moi une correspondance, ainsi que Porter, fils de l'évêque de Clogher; lord Clare en eut une très-volumineuse; William Harness, ami de Milman; Charles Drummond, fils du banquier; William Bankes, le voyageur, votre ami; R. G. Dallas, Esq.; Hodgson, Henri Drury en eurent aussi, et Hobhouse, comme vous en êtes déjà instruit.

»J'ai mis dans cette longue liste:

Les amis froids, infidèles et morts.

parce que je sais que, comme les curieux gourmets, vous êtes amateur des choses de ce genre.

»En outre, il y a par-ci par-là des lettres à des littérateurs et autres, lettres de compliment, etc., qui ne valent pas mieux que le reste. Il y a aussi une centaine de notes italiennes, griffonnées avec un noble mépris de la grammaire et du dictionnaire, en étrusque anglicanisé; car je parle l'italien couramment, mais je l'écris avec une négligence et une incorrection extrêmes.»


LETTRE CCCCLIX.

A M. MOORE.

29 septembre 1821.



«Je vous envoie deux pièces un peu dures, l'une en prose, l'autre en vers; elles vous montreront, l'une, l'état du pays, l'autre, celui de mon esprit, à l'époque où elles ont été écrites. Elles n'ont pas été envoyées à leur adresse, mais vous verrez par le style, qu'elles étaient sincères comme je le suis en me signant,

»Tout à vous pour toujours et de coeur.»
B.


De ces deux pièces, incluses dans la lettre précédente, l'une était une lettre destinée à lady Byron, relativement à l'argent que Byron avait dans les fonds publics: j'en donnerai les extraits suivans.

Ravenne, Ier mars 1821.



«J'ai reçu, par la lettre de ma soeur, votre communication sur la sécurité de l'Angleterre, etc. Il est vrai que telle est l'opinion sur ce point, mais telle n'est pas la mienne. M. *** mettra des obstacles à toutes les tentatives de ce genre, jusqu'à ce qu'il ait accompli ses propres desseins, c'est-à-dire, qu'il m'ait fait prêter ma fortune à quelque client de son choix.

»À cette distance,--après une si longue absence, et avec mon ignorance extrême dans les affaires d'intérêt,--avec mon caractère et mon indolence, je n'ai ni les moyens ni l'intention de résister.....

»Avec l'opinion que j'ai sur les fonds publics, et le désir d'assurer après moi une fortune honorable à ma soeur et à ses enfans, je dois me jeter sur les expédiens.

»Ce que je vous ai dit s'accomplit:--la guerre napolitaine est déclarée. Vos fonds tomberont, et je serai par conséquent ruiné, ce qui n'est rien,--mais mes parens le seront aussi. Vous et votre enfant vous êtes pourvus. Vivez et prospérez,--c'est ce que je vous souhaite à toutes deux. Vivez et prospérez,--vous en avez le moyen. Je ne songe qu'à mes vrais parens, à ceux dont le sang est le mien,--et qui seront peut-être victimes de cette maudite filouterie.

»Vous ne songez pas aux conséquences de cette guerre; c'est une guerre de l'humanité contre les monarques; elle se répandra comme une étincelle sur l'herbe sèche des prairies désertes. Ce que c'est pour vous et vos Anglais, vous n'en savez rien, car vous dormez. Ce que c'est pour nous ici, je le sais; car nous avons l'incendie par-devant, par-derrière, et jusqu'au milieu de nous.

»Jugez combien je déteste l'Angleterre et tout ce qu'elle renferme, puisque je ne retourne pas dans votre pays à une époque où non-seulement mes intérêts pécuniaires, mais peut-être ma sécurité personnelle, exigeraient mon retour. Je ne puis en dire d'avantage, car on ouvre toutes les lettres. En peu de tems se décidera ce qui doit s'accomplir ici, et alors vous en serez instruite sans être troublée par moi ou ma correspondance. Quoi qu'il arrive, un individu est peu de chose, pourvu que le succès de la grande cause soit avancé.

»Je n'ai rien de plus à vous dire sur les affaires, ou sur tout autre sujet.»

La seconde pièce ci-dessus mentionnée consistait en quelques vers, que Byron composa en décembre 1820, en lisant l'article suivant dans un journal. «Lady Byron est cette année dame patronnesse du bal de charité que l'on donne annuellement à l'Hôtel-de-Ville, à Hinckly, dans le Leicester-Shire, et sir G. Crewe, baronnet, est le principal commissaire.» Ces vers respirent une vive indignation,--chaque stance finit par ces mots: bal de charité, et la pensée qui domine percera dans les huit premiers vers.

Qu'importent les angoisses d'un époux ou d'un père,

Que pour lui les ennuis de l'exil soient pesans ou légers;

Cependant, la sainte s'entoure de gloires pharisiennes,

Et se fait la patronne d'un bal de charité.


Qu'importe--qu'un coeur, fautif, il est vrai, mais sensible,

Soit poussé à des excès qui font trembler;--

La souffrance du pécheur est chose juste et belle,

La sainte réserve sa charité pour le bal.


LETTRE CCCCLX.

A M. MOORE.

Ier octobre 1821.



«Je vous ai envoyé dernièrement de la prose et des vers, en grande quantité, à Paris et à Londres. Je présume que Mrs. Moore, ou la personne quelconque qui vous représente à Paris, vous fera passer mes paquets à Londres.

»Je vais me mettre en route pour Pise, si une légère fièvre intermittente commençante ne m'en empêche pas. Je crains qu'elle ne soit pas assez forte pour donner beaucoup de chances à Murray............ .................
................................... .................................................................

»J'ai un grand pressentiment que (sauf le chapitre des accidens) vous devez me survivre. La différence de huit ans, ou à-peu-près, entre nos âges, n'est rien. Je ne sens pas (ni, en vérité, je ne me soucie de le sentir)--que le principe de vie tende chez moi à la longévité. Mon père et ma mère moururent jeunes, l'un à trente-cinq ou trente-six ans, l'autre à quarante-cinq; et le docteur Rush, ou quelque autre dit que personne ne vit long-tems, si au moins un de ses parens n'est parvenu à une grande vieillesse.

»Certes, j'aimerais à voir partir mon éternelle belle-mère, non pas tant pour son héritage, qu'à cause de mon antipathie naturelle. Mais la satisfaction de ce désir naturel est au-dessus de ce qu'on doit attendre de la Providence, qui veille sur les vieilles femmes. Je vous fatigue de toutes ces phrases sur les chances de vie, parce que j'ai été mis sur la voie par un calcul d'assurances que Murray m'a envoyé. Je pense réellement que vous devez avoir davantage si je disparais au bout d'un tems raisonnable.

«Je m'étonne que mon Caïn soit parvenu sans malencontre en Angleterre. J'ai écrit depuis environ soixante stances d'un poème, en octaves (dans le genre de Pulci, dont les sots en Angleterre attribuèrent l'invention à Whistlecraft,--et qui est aussi vieux que les montagnes en Italie), intitulé: La Vision du Jugement, par Quevedo-Redivivus, avec cette épigraphe:

Un Daniel ici pour le jugement,--oui--un Daniel;

Je te rends grâce, Juif, de m'avoir rappelé ce mot.

«J'ai intention d'y placer l'apothéose de Georges sous un point de vue whig, sans oublier le poète lauréat pour sa préface et ses autres démérites.

»Je viens d'arriver au passage où saint Pierre, apprenant que le royal défunt s'est opposé à l'émancipation catholique, se lève, et interrompt la harangue de Satan pour déclarer qu'il changera de place avec Cerbère plutôt que de laisser entrer Georges dans le ciel, tant qu'il en aura les clefs.

»Il faut que je monte à cheval, quoique avec un peu de fièvre et de frisson. C'est la saison fiévreuse; mais les fièvres me font plutôt du bien que du mal. On se sent bien après l'accès.

»Les dieux soient avec vous!--Adressez vos lettres à Pise.

»Toujours tout à vous.»

»P. S. Depuis mon retour de la promenade, je me sens mieux, quoique je sois demeuré trop tard pour cette saison de malaria157, sous le maigre croissant d'une jeune lune, et que je sois descendu de cheval pour me promener dans une avenue avec une signora pendant une heure. Je pensais à vous et à ces vers:

Quand sur le soir tu rôdes

À la lueur des étoiles, tu aimes158.

Note 157: (retour) Mauvais air.
Note 158: (retour)

When at eve thou rovest

By the star, thou lovest.

Mais je ne fus point du tout romantique, comme j'eusse été autrefois; et pourtant c'était une femme nouvelle (c'est-à-dire, nouvelle pour moi), et à qui j'aurais du faire l'amour. Mais je ne lui dis que des lieux communs. Je sens, comme votre pauvre ami Curran le disait avant sa mort, «une montagne de plomb sur mon coeur»; c'est un mal que je crois constitutionnel, et qui ne se guérira que par le même remède.»


LETTRE CCCCLXI.

A M. MOORE.

6 octobre 1821.



«Je vous ai envoyé par le courrier de ce jour mon cauchemar, destiné à contrebalancer le rêve où Southey célèbre par une impudente anticipation l'apothéose de Georges III. J'aimerais que vous jetassiez un regard sur la pièce, parce que je pense qu'il y a deux ou trois passages qui pourront plaire à «nos pauvres montagnards.»

»Ma fièvre ne me rend visite que tous les deux ou trois jours, mais nous ne sommes pas encore sur le pied de l'intimité. J'ai, en général, une fièvre intermittente tous les deux ans, quand le climat y est favorable, comme ici; mais je n'en éprouve aucun mal. Ce que je trouve pire, et dont je ne puis me délivrer, est l'affaissement progressif de mes esprits sans cause suffisante. Je vais à cheval;--je ne commets point d'excès dans le boire ou le manger,--et ma santé générale va comme à l'ordinaire, sauf ces légers accès fébriles, qui me font plutôt du bien que du mal. Cet abattement doit tenir à ma constitution; car je ne sache rien qui puisse m'abattre plus que de coutume.

»Comment vous arrangez-vous? Je crois que vous m'avez dit à Venise que vos esprits ne se soutenaient pas sans un peu de vin. Je peux boire, et supporter une bonne quantité de vin (comme vous l'avez vu en Angleterre); mais par-là je ne m'égaie pas,--mais je deviens farouche, soupçonneux, et même querelleur. Le laudanum a un effet semblable; mais je puis même en prendre beaucoup sans en éprouver le moindre effet. Ce qui relève le plus mes esprits (cela semble absurde, mais cela est vrai), c'est une dose de sels,--je veux dire dans l'après-midi, après leur effet. Mais on ne peut en prendre comme du Champagne.

»Excusez cette lettre de vieille femme; mais ma mélancolie ne dépend pas de ma santé; car elle subsiste au même degré, que je sois bien ou mal, ici ou là.»


LETTRE CCCCLXII.

A M. MURRAY.

Ravenne, 9 octobre 1821.



»Vous aurez la bonté de donner ou d'envoyer à M. Moore le poème ci-inclus. Je lui en ai envoyé un double à Paris; mais il a probablement quitté cette ville.

»N'oubliez pas de m'envoyer mon premier acte de Werner, si Hobhouse peut le trouver parmi mes papiers;--envoyez-le par la poste à Pise.............. ......................................................

»Une autre question!--l'Épître de saint Paul, que j'ai traduite de l'arménien, pour quelle raison l'avez-vous retenue en portefeuille, quoique vous ayez publié le morceau qui a donné naissance au Vampire? Est-ce que vous craignez d'imprimer quelque chose en opposition avec le jargon de la Quarterly sur le manichéisme? Envoyez-moi une épreuve de cette épître. Je suis meilleur chrétien que tous les prêtres de votre bande, sans être payé pour cela.

»Envoyez-moi les Mystères du Paganisme, de Sainte-Croix (le livre est peut-être rare, mais il faut le trouver, parce que Mitford y renvoie fréquemment).

»Plus, une Bible ordinaire, d'une bonne et lisible impression (reliée en cuir de Russie). J'en ai une; mais comme c'est le dernier présent de ma soeur (que probablement je ne reverrai jamais), je ne puis m'en servir qu'avec grand soin, et rarement, parce que je veux la conserver en bon état. N'oubliez pas cela, car je suis un grand liseur et admirateur des livres saints, et je les avais lus et relus avant l'âge de huit ans,--je ne parle que de l'Ancien-Testament, car le Nouveau me fit l'impression d'une tâche, et l'Ancien d'un plaisir. Je parle comme un enfant, d'après mes souvenirs d'Aberdeen, en 1796.

»Tous les romans de Scott, ou les vers du même. Item, de Crabbe, Moore, et des élus; mais plus de votre maudit rebut,--à moins qu'il ne s'élève quelque auteur d'un mérite réel, ce qui pourrait bien être, car il en est tems.»


LETTRE CCCCLXIII.

A M. MURRAY.

20 octobre 1821.



«Si les fautes sont dans le manuscrit, tenez-moi pour un âne; elles n'y sont pas, et je me soumets de grand coeur à telle pénalité qu'il vous plaira si elles y sont. D'ailleurs l'omission de la stance (oui, d'une des dernières stances) était-elle aussi dans le manuscrit?

»Quant «à l'honneur», je ne crois à l'honneur de personne en matière de commerce. Je vais vous dire pourquoi: l'état de commerce est «l'état de nature» de Hobbes,--«un état de guerre.» Tous les hommes sont de même. Si je vais trouver un ami, et que je lui dise: «mon ami, prêtez-moi cinq cents livres», il me les prête, ou dit qu'il ne le peut ou ne le veut. Mais si je vais trouver le susdit, et que je lui dise: «un tel, j'ai une maison, ou un cheval, ou un carrosse, ou des manuscrits, ou des livres, ou des tableaux, etc., etc., etc., dont la valeur est de mille livres,--vous les aurez pour cinq cents.» Que dit l'homme? Hé bien! il examine les objets, et avec des hum! des ah! des humph! il fait ce qu'il peut pour obtenir le meilleur marché possible, parce que c'est un marché.--C'est dans le sang et dans les os de l'espèce humaine; et le même homme qui prêterait à un ami mille livres sans intérêt, ne lui achètera un cheval à moitié prix, qu'autant qu'il n'aura pas pu le payer moins cher. C'est ainsi que va le monde; on ne peut le nier; par conséquent je veux avoir autant que je puis, et vous, donner aussi peu que possible; et finissons-en. Tous les hommes sont essentiellement coquins, et je ne suis fâché que d'une chose, c'est que, n'étant pas chien, je ne puisse les mordre.

»Je suis en train de remplir pour vous un autre livre de petites anecdotes, à moi connues, ou bien authentiques, sur Shéridan, Curran, etc., et tous les autres hommes célèbres avec qui je me souviens d'avoir été en relation, car j'en ai connu la plupart plus ou moins. Je ferai tout mon possible pour que mes précoces obsèques préviennent vos pertes.

»Tout à vous, etc.»


LETTRE CCCCLXIV.

A M. ROGERS.

Ravenne, 21 octobre 1821.



«Je serai (avec la volonté des dieux) à Bologne samedi prochain. C'est une réponse curieuse à votre lettre: mais j'ai pris une maison à Pise pour tout l'hiver; toutes mes affaires, meubles, chevaux, carrosses, etc., y sont déjà transportés, et je me prépare à les suivre.

»La cause de ce déménagement est, pour le dire en une phrase, l'exil ou la proscription des personnes avec qui j'avais contracté ici des amitiés et des liaisons, et qui sont aujourd'hui toutes retirées en Toscane à cause de nos dernières affaires politiques; partout où elles iront, je les accompagnerai. Si je suis resté ici jusqu'à présent, c'était seulement pour terminer quelques arrangemens concernant ma fille, et pour donner le tems à mon bagage de me précéder. Il ne me reste ici que quelques mauvaises chaises, des tables, et un matelas pour la semaine prochaine.

»Si vous voulez pousser avec moi jusqu'à Pise, je pourrai vous loger aussi long-tems qu'il vous plaira. On m'écrit que la maison, le Palazzo-Lanfranchi, est spacieuse; elle est sur l'Arno, et j'ai quatre voitures et autant de chevaux de selle (aussi bons qu'ils peuvent l'être dans ces contrées), avec toutes autres commodités, à votre disposition, ainsi que le maître même de la maison. Si vous faites cela, nous pourrons au moins traverser les Apennins ensemble, ou, si vous venez par une autre route, nous nous rencontrerons, j'espère, à Bologne. J'adresse cette lettre poste restante (suivant votre désir). Vous me trouverez probablement à l'albergo di San-Marco159. Si vous arrivez le premier, attendez que je vienne, ce qui sera (sauf accident) samedi ou dimanche au plus tard.

Note 159: (retour): Auberge, hôtel de Saint-Marc.

»Je présume que vous voyagez seul. Moore est à Londres incognito, suivant les derniers avis que j'ai reçus de ces lointains climats. .........................................................

»Laissez-moi deux lignes de vous à l'hôtel ou auberge.

»Tout à vous pour la vie, etc.»
B.


160Au mois d'août, Mme Guiccioli avait rejoint son père à Pise, et elle présidait alors aux préparatifs que l'on faisait dans la casa Lanfranchi,--un des plus anciens et des plus spacieux palais de cette ville,--pour la réception de son noble amant. «Il était parti de Ravenne, dit-elle, avec un grand regret, et avec le pressentiment que son départ serait pour nous la cause de mille maux. Dans toutes les lettres qu'il m'écrivait alors, il m'exprimait le déplaisir qu'il éprouvait à quitter Ravenne.--Si votre père est rappelé d'exil (m'écrivait-il), je retourne à l'instant même à Ravenne; et s'il est rappelé avant mon départ, je ne pars pas.» Dans cette espérance, il différa de plusieurs mois de partir; mais enfin, ne pouvant plus espérer que nous revinssions prochainement, il m'écrivait:--«Je pars fort à contre-coeur, prévoyant des malheurs très-grands pour vous tous, et surtout pour vous: je n'en dis pas davantage; mais vous verrez.--Et dans une autre lettre:--Je laisse Ravenne de si mauvais gré, et dans une telle persuasion que mon départ ne peut que nous conduire de malheurs en malheurs de plus en plus grands, que je n'ai pas le courage d'écrire un mot de plus sur ce sujet.--Il m'écrivait alors en italien, et je transcris ses propres paroles;--mais comme ses pressentimens se sont depuis vérifiés161!!!

Note 160: (retour)Footnote 160: La lettre 465 a été supprimée.
Note 161: (retour) Egli era partito con molto riverescimento da Ravenna, et col pressentimento che la sua partenza da Ravenna ci sarebbe cagione di molti mali. In ogni lettera che egli mi scriveva allora, egli mi esprimeva il suo dispiacere di lasciare Ravenna.--«Se papa è richiamato (mi scriveva egli), io torno in quel istante a Ravenna, e se è richiamato prima della mia partenza, io non parto.--» In questa speranza egli differi varii mesi a partire. Ma, finalmente, non potendo più sperare il nostro ritorno prossimo, egli mi scriveva:--Io parto molto mal volentieri prevedendo dei mali assai grandi per voi altri e massime per voi; altro non dico--lo vedrete.»--E in un altra lettera: «Io lascio Ravenna così mal volentieri, e cosi persuaso che la mia partenza non può che condurre da un male ad un altro più grande, che non ho cuore di scrivere altro in questo punto.» Egli mi scriveva allora sempre in italiano e trascrivo le sue precise parole,--ma come quei suoi pressentimenti si verificarono poi in appresso!»

Après avoir décrit le genre de vie de Byron durant son séjour à Ravenne, la noble dame procède ainsi:

«Telle fut la vie simple qu'il mena jusqu'au jour fatal de son départ pour la Grèce; et les déviations peu nombreuses qu'il se permit peuvent être uniquement attribuées au plus ou moins grand nombre d'occasions qu'il eut de faire le bien, et aux actions généreuses qu'il faisait continuellement. Plusieurs familles, surtout à Ravenne, lui durent le peu de jours prospères dont elles aient jamais joui. Son arrivée dans cette ville fut regardée comme un bienfait public de la fortune, et son départ comme une calamité publique; et c'est là cette vie qu'on a essayé de diffamer comme celle d'un libertin. Mais le monde doit enfin apprendre comment, avec un coeur si bon et si généreux, Lord Byron, capable, à la vérité, des passions les plus fortes, mais en même tems des plus sublimes et des plus pures, comment, dis-je, payant tribut dans ses actes à toutes les vertus, il a pu fournir matière d'accusation à la malice et à la calomnie. Les circonstances, et probablement aussi des inclinations excentriques (qui néanmoins avaient leur origine dans un sentiment vertueux, dans une horreur excessive pour l'hypocrisie et l'affectation) contribuèrent peut-être à obscurcir l'éclat du caractère exalté de Byron dans l'opinion du grand nombre. Mais vous saurez bien analyser ces contradictions d'une manière digne de votre noble ami et de vous-même, et vous montrerez que la bonté de son coeur n'était pas inférieure à la grandeur de son génie162

À Bologne, suivant le rendez-vous convenu entre eux, Lord Byron et M. Rogers se rencontrèrent, et celui-ci a même consigné cette entrevue dans son poème sur l'Italie163.

Sur la route de Bologne, Byron avait rencontré son ancien et tendre ami lord Clare; et dans ses Pensées détachées, il décrit ainsi cette courte entrevue.

Note 162: (retour)Moore regrette beaucoup d'avoir égaré le texte original de cet extrait. (Note du Trad.)
Note 163: (retour) Moore donne les vers de Rogers relatifs à cette entrevue, la traduction en eût été peu intéressante pour nos lecteurs. (Note du Trad.)

Pise, 5 novembre 1821.



«Il y a d'étranges coïncidences quelquefois dans les petits événemens de ce monde, Sancho,» dit Sterne dans une lettre (si je ne me trompe), et j'ai souvent vérifié cette remarque.

»Page 128, article 91 de ce recueil, j'ai parlé de mon ami lord Clare dans les termes que mes sentimens m'inspiraient. Une semaine ou deux après, je le rencontrai sur la route entre Imola et Bologne, pour la première fois depuis sept ou huit ans. Il était hors d'Angleterre en 1814, et revint à l'époque même de mon départ en 1816.

»Cette rencontre anéantit pour un instant toutes les années d'intervalle entre le moment actuel et les jours de Harrow-on-the-hill. Ce fut pour moi un sentiment nouveau et inexplicable, comme sorti de la tombe. Clare aussi fut très-ému,--beaucoup plus en apparence que je ne fus moi-même; car je sentis son coeur battre jusque dans le bout de ses doigts, à moins cependant que ce ne fût mon propre pouls qui me causât cette impression.

Il me dit que je trouverais un mot de lui à Bologne, ce que je trouvai en effet. Nous fûmes obligés de nous séparer pour gagner chacun le but de notre voyage, lui Rome, et moi Pise, mais avec la promesse de nous revoir au printems. Nous ne fûmes ensemble que cinq minutes, et sur la grand'route; mais je me rappelle à peine, dans toute mon existence, une heure équivalente à ces minutes. Il avait appris que je venais à Bologne, et y avait laissé une lettre pour moi, parce que les personnes avec qui il voyageait ne pouvaient attendre plus long-tems.

»De tous ceux que j'ai jamais connus, il a sous tous les rapports le moins dévié des excellentes qualités et des tendres affections qui m'attachèrent si fortement à lui à l'école. J'aurais à peine cru possible que la société (ou le monde, comme on dit) pût laisser un être si peu souillé du levain des mauvaises passions.

»Je ne parle pas que d'après mon expérience personnelle, mais d'après tout ce que j'ai entendu dire de lui par les autres, en son absence et loin de lui.»

Après être resté un jour à Bologne, Lord Byron traversa les Apennins avec M. Rogers, et je trouve la note suivante concernant la visite que les deux poètes firent ensemble à la galerie de Florence.

«J'ai de nouveau visité la galerie de Florence, etc. Mes premières impressions se sont confirmées; mais il y avait là trop de visiteurs pour permettre à personne de rien sentir réellement. Comme nous étions (environ trente ou quarante) tous entassés dans le cabinet des pierres précieuses et des colifichets, dans un coin d'une des galeries, je dis à Rogers que «nous étions comme dans un corps-de-garde.» Je le laissai rendre ses devoirs à quelques unes de ses connaissances, et me mis à rôder tout seul--les quatre minutes que je pus saisir pour mieux sentir les ouvrages qui m'entouraient. Je ne prétends pas appliquer ceci à un examen fait en tête-à-tête avec Rogers, qui a un goût excellent et un profond sentiment des arts (deux qualités qu'il possède à un plus haut degré que moi; car, pour le goût surtout, j'en ai peu); mais à la foule des admirateurs ébaubis qui nous coudoyaient et des bavards qui circulaient autour de nous.

»J'entendis un hardi Breton dire à une femme à qui il donnait le bras, en regardant la Vénus du Titien «Bien; c'est réellement très-beau,»--observation qui, comme celle de l'hôte «sur la certitude de la mort,» était (comme l'observa la femme de l'hôte) «extrêmement vraie.»

»Dans le palais Pitti, je n'ai pas omis la prescription de Goldsmith pour un connaisseur, c'est à savoir «que les peintures auraient été meilleures si le peintre avait pris plus de peine, et qu'il faut louer les oeuvres de Pietro Perugino.»

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