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Œuvres de Napoléon Bonaparte, Tome IV.

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Potsdam, le 26 octobre 1806.

Dix-huitième bulletin de la grande armée.

L'empereur a passé à Potsdam la revue de la garde à pied, composée de dix bataillons et de soixante pièces d'artillerie, servie par l'artillerie à cheval. Ces troupes, qui ont éprouvé tant de fatigues, avaient la même tenue qu'à la parade de Paris.

A la bataille de Jéna, le général de division Victor a reçu un biscaïen qui lui a fait une contusion: il a été obligé de garder le lit pendant quelques jours. Le général de brigade Gardanne, aide-de-camp de l'empereur, a eu un cheval tué et a été légèrement blessé. Quelques officiers supérieurs ont eu des blessures, d'autres des chevaux tués, et tous ont rivalisé de courage et de zèle.

L'empereur a été voir le tombeau du grand Frédéric. Les restes de ce grand homme sont renfermés dans un cercueil de bois recouvert en cuivre, placé dans un caveau sans ornemens, sans trophées, sans aucune distinction qui rappellent les grandes actions qu'il a faites.

L'empereur a fait présent à l'Hôtel-des-Invalides de Paris, de l'épée de Frédéric, de son cordon de l'Aigle-Noir, de sa ceinture de général, ainsi que des drapeaux que portait sa garde dans la guerre de sept ans. Les vieux invalides de l'armée de Hanovre accueilleront avec un respect religieux tout ce qui a appartenu à un des premiers capitaines dont l'histoire conservera le souvenir.

Lord Morpelh, envoyé d'Angleterre auprès du cabinet prussien, ne se trouvait, pendant la journée de Jéna, qu'à six lieues du champ de bataille. Il a entendu le canon; un courrier vint bientôt lui annoncer que la bataille était perdue, et en un moment il fut entouré de fuyards qui le poussaient de tous côtés. Il courait en criant: Il ne faut pas que je sois pris! Il offrit jusqu'à soixante guinées pour obtenir un cheval; il en obtint un et se sauva.

La citadelle de Spandau, située à trois lieues de Berlin, et à quatre lieues de Potsdam, forte par sa situation au milieu des eaux, et renfermant douze cents hommes de garnison, et une grande quantité de munitions de guerre et de bouche, a été cernée le 24 dans la nuit. Le général Bertrand, aide-de-camp de l'empereur, avait déjà reconnu la place. Les pièces étaient disposées pour jeter des obus et intimider la garnison. Le maréchal Lannes a fait signer par le commandant la capitulation de cette place.

On a trouvé à Berlin des magasins considérables d'effets de campement et d'habillement; ou en dresse les inventaires.

Une colonne, commandée par le duc de Weimar, est poursuivie par le maréchal Soult. Elle s'est présentée le 23 devant Magdebourg. Nos troupes étaient là depuis le 20. Il est probable que nette colonne, forte de quinze mille hommes, sera coupée et prise. Magdebourg est le premier point de rendez-vous des troupes prussiennes. Beaucoup de corps s'y rendent. Les Français le bloquent.

Une lettre de Helmstadt, récemment interceptée, contient des détails curieux.

MM. le prince d'Hatzfeld, Basching, président de la police, le président de Kercheisen; Formey, conseiller intime; Polzig, conseiller de la municipalité; MM. Ruek, Siegr et Hermensdorf, conseillers députés de la ville de Berlin, ont remis ce matin à l'empereur, à Potsdam, les clefs de cette capitale. Ils étaient accompagnés de MM. Grote, conseiller des finances; le baron de Vichnitz et le baron d'Eckarlstein. Ils ont dit que les bruits qu'on avait répandus sur l'esprit de cette ville étaient faux; que les bourgeois et la masse du peuple avaient vu la guerre avec peine; qu'une poignée de femmes et de jeunes officiers avaient fait seuls ce tapage; qu'il n'y avait pas un seul homme sensé qui n'eût vu ce qu'on avait à craindre, et qui pût deviner ce qu'on avait à espérer. Comme tous les Prussiens, ils accusent le voyage de l'empereur Alexandre des malheurs de la Prusse. Le changement qui s'est dès-lors opéré dans l'esprit de la reine, qui, de femme timide et modeste, s'occupant de son intérieur, est devenue turbulente et guerrière, a été une révolution subite. Elle a voulu tout à coup avoir un régiment, aller au conseil; elle a si bien mené la monarchie, qu'en peu de jours elle l'a conduite au bord du précipice.

Le quartier-général est à Charlottembourg.




Charlottembourg, le 27 octobre 1806.

Dix-neuvième bulletin de la grande armée.

L'empereur, parti de Potsdam aujourd'hui à midi, a été visiter la forteresse de Spandau. Il a donné des ordres au général de division Chasseloup, commandant le génie de l'armée, sur les améliorations à faire aux fortifications de cette place. C'est un ouvrage superbe; les magasins sont magnifiques. On a trouvé à Spandau des farines, des grains, de l'avoine pour nourrir l'armée pendant deux mois, des munitions de guerre pour doubler l'approvisionnement de l'artillerie. Cette forteresse, située sur la Sprée, à deux lieues de Berlin, est une acquisition inestimable. Dans nos mains, elle soutiendra deux mois de tranchée ouverte. Si les Prussiens ne l'ont pas défendue, c'est que le commandant n'avait pas reçu d'ordre, et que les Français y sont arrivés en même temps que la nouvelle de la bataille perdue. Les batteries n'étaient pas faites et la place était désarmée.

Pour donner une idée de l'extrême confusion qui règne dans cette monarchie, il suffît de dire que la reine, à son retour de ses ridicules et tristes voyages d'Erfurt et de Weimar, a passé la nuit à Berlin, sans voir personne; qu'on a été long-temps sans avoir de nouvelles du roi; que personne n'a pourvu à la sûreté de la capitale, et que les bourgeois ont été obligés de se réunir pour former un gouvernement provisoire.

L'indignation est à son comble contre les auteurs de la guerre. Le manifeste, que l'on appelle à Berlin un indécent libelle où aucun grief n'est articulé, a soulevé la nation contre son auteur, misérable scribe nommé Gentz, un de ces hommes sans honneur qui se vendent pour de l'argent.

Tout le monde avoue que la reine est l'auteur des maux que souffre la nation prussienne. On entend dire partout: Elle était si bonne, si douce il y a un an! mais depuis cette fatale entrevue avec l'empereur Alexandre, combien elle est changée!

Il n'y a eu aucun ordre donné dans les palais, de manière qu'on a trouvé à Potsdam l'épée du grand Frédéric, la ceinture dégénérai qu'il portait à la guerre de sept ans, et son cordon de l'Aigle-Noir. L'empereur s'est saisi de ces trophées avec empressement, et a dit: «J'aime mieux cela que vingt millions.» Puis, pensant un moment à qui il confierait ce précieux dépôt: «Je les enverrai, dit-il, à mes vieux soldats de la guerre d'Hanovre, j'en ferai présent au gouverneur des Invalides: cela restera à l'Hôtel.»

On a trouvé dans l'appartement qu'occupait la reine, à Potsdam, le portrait de l'empereur de Russie, dont ce prince lui avait fait présent; on a trouvé à Charlottembourg sa correspondance avec le roi, pendant trois ans, et des mémoires rédigés par des écrivains anglais, pour prouver qu'on ne devait tenir aucun compte des traités conclus avec l'empereur Napoléon, mais se tourner tout à fait du côté de la Russie. Ces pièces surtout sont des pièces historiques; elles démontreraient, si cela avait besoin d'une démonstration, combien sont malheureux les princes qui laissent prendre aux femmes l'influence sur les affaires politiques. Les notes, les rapports, les papiers d'état étaient musqués, et se trouvaient mêlés avec les chiffons et d'autres objets de la toilette de la reine. Cette princesse avait exalté les têtes de toutes les femmes de Berlin; mais aujourd'hui elles ont bien changé: les premiers fuyards ont été mal reçus; on leur a rappelé, avec ironie, le jour où ils aiguisaient leurs sabres sur les places de Berlin, voulant tout tuer et tout pour fendre.

Le général Savary, envoyé avec un détachement de cavalerie à la recherche de l'ennemi, mande que le prince de Hohenlohe, obligé de quitter Magdebourg, se trouvait, le 25, entre Rattenau et Ruppin, se retirant sur Stettin.

Le maréchal Lannes était déjà à Zehdenick; il est probable que les débris de ce corps ne parviendront pas à se sauver sans être de nouveau entamés.

Le corps bavarois doit être entré ce matin à Dresde, on n'en a pas encore de nouvelles.

Le prince Louis-Ferdinand, qui a été tué dans la première affaire de la campagne, est appelé publiquement, à Berlin, le petit duc d'Orléans. Ce jeune homme abusait de la bonté du roi au point de l'insulter. C'est lui qui, à la tête d'une troupe de jeunes officiers, se porta, pendant une nuit, à la maison de M. de Haugwitz, lorsque ce ministre revint de Paris, et cassa ses fenêtres.

On ne sait si l'on doit le plus s'étonner de tant d'audace ou de tant de faiblesse.

Une grande partie de ce qui a été dirigé de Berlin sur Magdebourg et sur l'Oder a été intercepté par la cavalerie légère. On a déjà arrêté plus de soixante bateaux chargée d'effets d'habillement, de farine d'artillerie. Il y a des régimens d'hussards qui ont plus de 500,000 francs. On a rendu compte qu'ils achetaient de l'or pour de l'argent à cinquante pour cent de perte.

Le château de Charlottembourg, où loge l'empereur, est situé à une lieue de Berlin, sur la Sprée.




Charlottembourg, le 27 octobre 1806.

Vingtième bulletin de la grande armée.

Si les événemens militaires n'ont plus l'intérêt de l'incertitude, ils ont toujours l'intérêt des combinaisons, des marches et des manoeuvres. L'infatigable grand-duc de Berg se trouvait à Zehdenick le 26, à trois heures après-midi, avec la brigade de cavalerie légère du général Lasalle, et les divisions de dragons des généraux Beaumont et Grouchy étaient en marche pour arriver sur ce point.

La brigade du général Lasalle contint l'ennemi, qui lui montra près de six mille hommes de cavalerie. C'était toute la cavalerie de l'armée prussienne, qui, ayant abandonné Magdebourg, formait l'avant garde du corps du prince de Hohenlohe, qui se dirigeait sur Stettin. A quatre heures après midi, les deux divisions de dragons étant arrivées, la brigade du général Lasalle chargea l'ennemi avec cette singulière intrépidité qui a caractérisé les hussards et les chasseurs français dans cette campagne, La ligne de l'ennemi, quoique triple, fut rompue, l'ennemi poursuivi dans le village de Zehdenick et culbuté dans les défilés. Le régiment des dragons de la reine voulut se reformer; mais les dragons de la division Grouchy se présentèrent, chargèrent l'ennemi, et en firent un horrible carnage. De ces six mille hommes de cavalerie, partie a été culbutée dans les marais; trois cents hommes sont restés sur le champ de bataille; sept cents ont été pris avec leurs chevaux, le colonel du régiment de la reine et un grand nombre d'officiers sont de ce nombre. L'étendard de ce régiment a été pris. Le corps du maréchal Lannes est en pleine marche pour soutenir la cavalerie. Les cuirassiers se portent en colonne sur la droite, et un autre corps d'armée se porte sur Gransée. Nous arriverons à Stettin avant cette armée, qui, attaquée dans sa marche en flanc, est déjà débordée par sa tête. Démoralisée comme elle l'est, on a lieu d'espérer que rien n'échappera, et que toute la partie de l'armée prussienne qui a inutilement perdu deux jours à Magdebourg pour se rallier, n'arrivera pas sur l'Oder.

Ce combat de cavalerie de Zehdenick a son intérêt comme fait militaire. De part et d'autre, il n'y avait pas d'infanterie; mais la cavalerie prussienne est si loin de la nôtre, que les événemens de la campagne ont prouvé qu'elle ne pouvait tenir vis à vis de forces moindres de la moitié.

Un adjoint de l'état-major, arrêté par un parti ennemi du côté de la Thuringe, lorsqu'il portait des ordres au maréchal Mortier, a été conduit à Custrin, et y a vu le roi. Il rapporte qu'au-delà de l'Oder, il n'est arrivé que très-peu de fuyards, soit à Stettin, soit à Custrin; il n'a presque point vu de troupes d'infanterie.




Berlin, le 28 octobre 1806.

Vingt-unième bulletin de la grande armée.

L'empereur a fait, hier 27, une entrée solennelle à Berlin. Il était environné du prince de Neufchâtel, des maréchaux Davoust et Augereau, de son grand-maréchal du palais, de son grand-écuyer et de ses aides-de-camp. Le maréchal Lefebvre ouvrait la marche, à la tête de la garde impériale à pied; les cuirassiers de la division Nansouty étaient en bataille sur le chemin. L'empereur marchait entre les grenadiers et les chasseurs à cheval de sa garde. Il est descendu au palais à trois heures après-midi; il a été reçu par le grand-maréchal du palais, Duroc. Un foule immense était accourue sur son passage. L'avenue de Charlottembourg à Berlin est très-belle; l'entrée par cette porte est magnifique. La journée était superbe. Tout le corps de la ville, présenté par le général Hullin, commandant de la place, est venu à la porte offrir les clefs de la ville à l'empereur; ce corps s'est rendu ensuite chez S.M. Le général prince d'Hatzfeld était à la tête.

L'empereur a ordonné que les deux mille bourgeois les plus riches se réunissent a l'hôtel-de-ville, pour nommer soixante d'entr'eux, qui formeront le corps municipal. Les vingt cantons fourniront une garde de soixante hommes chacun; ce qui fera douze cents des plus riches bourgeois pour garder la ville et en faire la police. L'empereur a dit au prince d'Hatzfeld: «Ne vous présentez pas devant moi, je n'ai pas besoin de vos services. Retirez-vous dans vos terres.» Il a reçu le chancelier et les ministres du roi de Prusse.

Le 28, à neuf heures du matin, les ministres de Bavière, d'Espagne, de Portugal et de la Porte, qui étaient à Berlin, ont été admis à l'audience de l'empereur. Il a dit au ministre de la Porte d'envoyer un courrier à Constantinople, pour porter des nouvelles de ce qui se passait, et annoncer que les Russes n'entreraient pas aujourd'hui en Moldavie, et qu'ils ne tenteraient rien contre l'empire ottoman. Ensuite il a reçu tout le clergé protestant et calviniste. Il y a à Berlin plus de dix ou douze mille Français réfugiés par suite de l'édit de Nantes. S. M. a causé avec les principaux d'entr'eux. Il leur a dit qu'ils avaient de justes droits à sa protection, et que leurs privilèges et leur culte seraient maintenus. Il leur a recommandé de s'occuper de leurs affaires, de rester tranquilles, et de porter obéissance et respect à César.

Les cours de justice lui ont été présentées par le chancelier. Il s'est entretenu avec les membres de la division des cours d'appel et de première instance; il s'est informé de la manière dont se rendait la justice.

M. le comte de Néale s'étant présenté dans les salons de l'empereur, S.M. lui a dit: «Eh! bien, Monsieur, vos femmes ont voulu la guerre, en voici le résultat; vous deviez mieux contenir votre famille.» Des lettres de sa fille avaient été interceptées: «Napoléon, disaient ces lettres, ne veut pas la guerre, il faut la lui faire.» --«Non, dit S.M. à M. de Néale, je ne veux pas la guerre, non pas que je me méfie de ma puissance, comme vous le pensez, mais parce que le sang de mes peuples m'est précieux, et que mon premier devoir est de ne le répandre que pour sa sûreté et son honneur. Mais ce bon peuple de Berlin est victime de la guerre, tandis que ceux qui l'ont attirée se sont sauvés. Je rendrai cette noblesse de cour si petite, qu'elle sera obligée de mendier son pain.»

En faisant connaître ses intentions au corps municipal, «j'entends, dit l'empereur, qu'on ne casse les fenêtres de personne. Mon frère le roi de Prusse a cessé d'être roi le jour où il n'a pas fait pendre le prince Louis-Ferdinand, lorsqu'il a été assez osé pour aller casser les fenêtres de ses ministres.»

Aujourd'hui 28, l'empereur est monté à cheval pour passer en revue le corps du maréchal Davoust; demain S.M. passera en revue le corps du maréchal Augereau.

Le grand-duc de Berg, et les maréchaux Lannes et prince de Ponte-Corvo sont à la poursuite du prince de Hohenlohe. Après le brillant combat de cavalerie de Zehdenick, le grand-duc de Berg s'est porté à Templin; il y a trouvé les vivres et le dîner préparés pour les généraux et les troupes prussienne.

À Gransée, le prince de Hohenlohe a changé de route, et s'est dirigé sur Furstemberg. Il est probable qu'il sera coupé de l'Oder, et qu'il sera enveloppé et pris.

Le duc de Weimar est dans une position semblable vis-à-vis du maréchal Soult. Ce duc a montré l'intention de passer l'Elbe à Tanger-Munde, pour gagner l'Oder. Le 25, le maréchal Soult l'a prévenu. S'il est joint, pas un homme n'échappera; s'il parvient à passer, il tombe dans les mains du grand-duc de Berg et des maréchaux Lannes et prince de Ponte-Corvo. Une partie de nos troupes borde l'Oder. Le roi de Prusse a passé la Vistule.

M. le comte de Zastrow a été présenté à l'empereur le 27, à Charlottembourg, et lui a remis une lettre du roi de Prusse. Au moment même l'empereur reçoit un aide-de-camp du prince Eugène, qui lui annonce une victoire remportée sur les Russes en Albanie.

Voici la proclamation que l'empereur a faite à ses soldats:

Proclamation de l'empereur à l'armée.

Soldats! vous avez justifié mon attente, et répondu dignement à la confiance du peuple français. Tous avez supporté les privations et les fatigues avec autant de courage que vous avez montré d'intrépidité et de sang-froid au milieu des combats. Vous êtes les dignes défenseurs de l'honneur de ma couronne et de la gloire du grand peuple; tant que vous serez animés de cet esprit, rien ne pourra vous résister. Je ne sais désormais à quelle arme je dois donner la préférence.... vous êtes tous de bons soldats. Voici les résultats de nos travaux.

Une des premières puissances militaires de l'Europe, qui osa naguère nous proposer une honteuse capitulation, est anéantie. Les forêts, les défilés de la Franconie, la Saale, l'Elbe, que nos pères n'eussent pas traversés en sept ans, nous les avons traversés en sept jours, et livré dans l'intervalle quatre combats et une grande bataille, Nous avons précédé à Potsdam, à Berlin, la renommée de nos victoires. Nous avons fait soixante mille prisonniers, pris soixante-cinq drapeaux, parmi lesquels ceux des gardes du roi de Prusse; six cents pièces de canon, trois forteresses, plus de vingt généraux. Cependant, près de la moitié de vous regrettent de n'avoir pas encore tiré un coup de fusil. Toutes les provinces de la monarchie prussienne, jusqu'à l'Oder, sont en notre pouvoir.

Soldats! les Russes se vantent de venir à nous. Nous marcherons à leur rencontre, nous leur épargnerons la moitié du chemin, ils retrouveront Austerlitz au milieu de la Prusse. Une nation qui a aussitôt oublié la générosité dont nous avons usé envers elle après cette bataille, où son empereur, sa cour, les débris de son armée n'ont dû leur salut qu'à la capitulation que nous leur avons accordée, est une nation qui ne saurait lutter avec succès contre nous.

Cependant, tandis que nous marchons au-devant des Russes, de nouvelles armées, formées dans l'intérieur de l'empire, tiennent prendre notre place pour garder nos conquêtes. Mon peuple tout entier s'est levé, indigné de la honteuse capitulation que les ministres prussiens, dans leur délire, nous ont proposée. Nos routes et nos villes frontières sont remplies de conscrits qui brûlent de marcher sur vos traces. Nous ne serons plus désormais les jouets d'une paix traîtresse, et nous ne poserons plus les armes que nous n'ayons obligé les Anglais, ces éternels ennemis de notre nation, à renoncer au projet de troubler le continent, et à la tyrannie des mers.

Soldats! je ne puis mieux vous exprimer les sentimens que j'ai pour vous, qu'en vous disant que je vous porta dans mon coeur l'amour que vous me montrez tous les jours.

NAPOLÉON.




Berlin, le 29 octobre 1806.

Vingt-deuxième bulletin de la grande armée.

Les événemens se succèdent avec rapidité. Le grand-duc de Berg est arrivé le 27 à Hasleben avec une division de dragons. Il avait envoyé à Boitzenhourg le général Milhaud, avec le treizième régiment de chasseurs et la brigade de cavalerie légère du général Lasalle, sur Prentzlow. Instruit que l'ennemi était en force à Boitzenbourg, il s'est porté à Wigneensdorf. A peine arrivé là, il s'aperçut qu'une brigade de cavalerie ennemie s'était portée sur la gauche, dans l'intention de couper le général Milhaud. Les voir, les charger, jeter le corps des gendarmes du roi dans le lac, fut l'affaire d'un moment. Ce régiment se voyant perdu, demanda à capituler. Cinq cents hommes mirent pied à terre et remirent leurs chevaux. Les officiers se retirent chez eux sur parole. Quatre étendards de la garde, tous d'or, furent le trophée du petit combat de Wigneensdorf, qui n'était que le prélude de la belle affaire de Prentzlow.

Ces célèbres gendarmes, qui ont trouvé tant de commisération après la défaite, sont les mêmes qui, pendant trois mois, ont révolté la ville de Berlin par toutes sortes de provocations. Ils allaient sous les fenêtres de M. Laforêt, ministre de France, aiguiser leurs sabres: les gens de bon sens haussaient les épaules; mais la jeunesse sans expérience, et les femmes passionnées, à l'exemple de la reine, voyaient dans cette fanfaronnade, un pronostic sûr des grandes destinées qui attendaient l'armée prussienne.

Le prince de Hohenlohe, avec les débris de la bataille de Jéna, cherchait à gagner Stettin. Il avait été obligé de changer de route, parce que le grand-duc de Berg était à Templin avant lui. Il voulut déboucher de Boitzenbourg sur Hasleben, il fut trompé dans son mouvement. Le grand-duc de Berg jugea que l'ennemi cherchait à gagner Prentzlow; cette conjecture était fondée. Le prince marcha toute la nuit avec les divisions de dragons des généraux Beaumont et Grouchy, éclairées par la cavalerie légère du général Lasalle. Les premiers postes de nos hussards arrivèrent à Prentzlow avec l'ennemi, mais ils furent obligés de se retirer le 28 au matin devant les forces supérieures que déploya le prince de Hohenlohe. A neuf heures du matin, le grand-duc de Berg arriva à Prentow, et à dix heures, il vit l'armée ennemie en pleine marche. Sans perdre de temps en vains mouvemens, le prince ordonna, au général Lasalle de charger dans les faubourgs de Prentzlow, et le fit soutenir par les généraux Grouchy et Beaumont, et leurs six pièces d'artillerie légère. Il fît traverser à Golmitz la petite rivière qui passe à Prentzlow, par trois régimens de dragons, attaquer le flanc de l'ennemi, et chargea son autre brigade de dragons de tourner la ville. Nos braves canonnières à cheval placèrent si bien leurs pièces, et tirèrent avec tant d'assurance, qu'ils mirent de l'incertitude dans les mouvemens de l'ennemi. Dans le moment, le général Grouchy reçut ordre de charger: ses braves dragons s'en acquittèrent avec intrépidité. Cavalerie, infanterie, artillerie, tout fut culbuté dans les faubourgs de Prentzlow. On pouvait entrer pêle-mêle avec l'ennemi dans la ville; mais le prince préféra les faire sommer par le général Belliard. Les portes de la ville étaient déjà brisées; Sans espérance, le prince de Hohenlohe, un des principaux boute-feux de cette guerre impie, capitula, et défila devant l'armée française avec seize mille hommes d'infanterie, presque tous gardes ou grenadiers; six régimens de cavalerie, quarante-cinq drapeaux et soixante-quatre pièces d'artillerie attelées. Tout ce qui avait échappé des gardes du roi de Prusse à la bataille de Jéna, est tombé en notre pouvoir. Nous avons tous les drapeaux des gardes à pied et à cheval du roi. Le prince de Hohenlohe, commandant en chef, après la blessure du duc de Brunswick, un prince de Mecklembourg-Schwerin et plusieurs généraux sont nos prisonniers.

«Mais il n'y a rien de fait, tant qu'il reste à faire, écrivit l'empereur au grand-duc de Berg. Vous avez débordé une colonne de huit mille hommes, commandée par le général Blucher; que j'apprenne bientôt qu'elle a éprouvé le même sort.»

Une autre de dix mille hommes a passé l'Elbe; elle est commandée par le duc de Weimar. Tout porte à croire que lui et toute sa colonne vont être enveloppés.

Le prince Auguste-Ferdinand, frère du prince Louis, tué à Saalfeld, et fils du prince Ferdinand, frère du Grand-Frédéric, a été pris par nos dragons les armes à la main.

Ainsi, cette grande et belle armée prussienne a disparu comme un brouillard d'automne au lever du soleil. Généraux en chef, généraux commandant les corps d'armée, princes, infanterie, cavalerie, artillerie, il n'en reste plus rien. Nos postes étant entrés à Francfort sur l'Oder, le roi de Prusse s'est porté plus loin. Il ne lui reste pas quinze mille hommes; et pour un tel résultat, il n'y a presque aucune perte de notre côté.

Le général Clarke, gouverneur du pays d'Erfurth, a fait capituler un bataillon saxon qui errait sans direction.

L'empereur a passé, le 28, la revue du corps du maréchal Davoust, sous les murs de Berlin. Il a nommé à toutes les places vacantes, il a récompensé les braves. Il a ensuite réuni les officiers et sous-officiers en cercle, et leur a dit: «Officiers et sous-officiers du troisième corps d'armée, vous vous êtes couverts de gloire à la bataille de Jéna; j'en conserverai un éternel souvenir. Les braves qui sont morts, sont morts avec gloire. Nous devons désirer de mourir dans des circonstances si glorieuses.» En passant la revue des douzième, soixante-unième et quatre-vingt-cinquième régimens de ligne qui ont le plus perdu à cette bataille, parce qu'ils ont dû soutenir les plus grands efforts, l'empereur a été attendri de savoir morts, ou grièvement blessés, beaucoup de ses vieux soldats dont il connaissait le dévouement et la bravoure depuis quatorze ans. Le douzième régiment surtout a montré une intrépidité digne des plus grands éloges.

Aujourd'hui à midi, l'empereur a passé la revue du septième corps, que commande le maréchal Augereau. Ce corps a très-peu souffert. La moitié des soldats n'a pas eu occasion de tirer un coup de fusil, mais tous avaient la même volonté et la même intrépidité. La vue de ce corps était magnifique. «Votre corps seul, a dit l'empereur, est plus fort que tout ce qui reste au roi de Prusse, et vous ne composez pas le dixième de mon armée.»

Tous les dragons à pied que l'empereur avait fait venir à la grande armée sont montés, et il y a au grand dépôt de Spandau quatre mille chevaux sellés et bridés dont on ne sait que faire, parce qu'il n'y a pas de cavaliers qui en aient besoin. On attend avec impatience l'arrivée des dépôts.

Le prince Auguste a été présenté à l'empereur, au palais de Berlin, après la revue du septième corps d'année. Ce prince a été renvoyé chez son père, le prince Ferdinand, pour se reposer et se faire panser de ses blessures.

Hier, avant d'aller à la revue du corps du maréchal Davoust, l'empereur avait rendu visite à la veuve du prince Henri, et au prince et à la princesse Ferdinand, qui se sont toujours fait remarquer par la manière distinguée avec laquelle ils n'ont cessé d'accueillir les Français.

Dans le palais qu'habite l'empereur à Berlin, se trouve la soeur du roi de Prusse, princesse électorale de Hesse-Cassel. Cette princesse est en couche. L'empereur a ordonné à son grand-maréchal du palais de veiller à ce qu'elle ne fût pas incommodée du bruit et des mouvemens du quartier-général.

Le dernier bulletin rapporte la manière dont l'empereur a reçu le prince d'Hatzfeld à son audience. Quelques instans après ce prince fut arrêté. Il aurait été traduit devant une commission militaire et inévitablement condamné à mort: des lettres de ce prince au prince Hohenlohe, interceptées aux avant-postes, avaient appris que, quoiqu'il se dit chargé du gouvernement civil de la ville, il instruisait l'ennemi des mouvemens des Français. Sa femme, fille du ministre Schulenbourg, est venue se jeter aux pieds de l'empereur; elle croyait que son mari était arrêté à cause de la haine que le ministre Schulenbourg portait à la France. L'empereur la dissuada bientôt, et lui fit connaître qu'on avait intercepté des papiers dont il résultait que son mari faisait un double rôle, et que les lois de la guerre étaient impitoyables sur un pareil délit. La princesse attribuait à l'imposture de ses ennemis cette accusation, qu'elle appelait une calomnie. «Vous connaissez l'écriture de votre mari, dit l'empereur, je vais vous faire juge.» Il fit apporter la lettre interceptée, et la lui remit. Cette femme, grosse de plus de huit mois, s'évanouissait à chaque mot qui lui découvrait jusqu'à quel point était compromis son mari, dont elle reconnaissait l'écriture. L'empereur fut touché de sa douleur, de sa confusion, des angoisses qui la déchiraient. «Eh! bien, lui dit-il, vous tenez cette lettre, jetez-la au feu; cette pièce anéantie, je ne pourrai plus faire condamner votre mari.» (Cette scène touchante se passait près de la cheminée). Madame d'Hatzfeld ne se le fit pas dire deux fois. Immédiatement après, le prince de Neufchâtel reçut ordre de lui rendre son mari. La commission militaire était déjà réunie. La lettre seule de M. d'Hatzfeld le condamnait; trois heures plus tard il était fusillé.




Berlin, le 30 octobre 1806.

Vingt-troisième bulletin de la grande armée.

Le duc de Weimar est parvenu à passer l'Elbe à Havelberg. Le général Soult s'est porté le 9 à Rathnau, et le 30 à Wertenhausen.

Le 29, la colonne du duc de Weimar était à Rhinsberg, et le maréchal prince de Ponte-Corvo à Furstemberg. Il n'y a pas de doute que ces quatorze mille hommes ne soient tombés ou ne tombent, dans ce moment, au pouvoir de l'armée française. D'un autre côté, le général Blucher, avec sept mille hommes, quittait Rhinsberg, le 29 au matin, pour se porter sur Stettin, le maréchal Lannes et le grand-duc de Berg avaient trois journées de marche d'avance sur lui. Cette colonne est tombée en notre pouvoir, ou y tombera sous quarante-huit heures.

Nous avons rendu compte, dans le dernier bulletin, qu'à l'affaire de Prentzlow, le grand-duc de Berg avait fait mettre bas les armes au prince de Hohenlohe et à ses dix-sept mille hommes. Le 29, une colonne ennemie de six mille hommes a capitulé dans les mains du général Milhaud à Passewalk. Cela nous donne encore deux mille chevaux sellés et bridés, avec les sabres. Voilà plus de six mille chevaux que l'empereur a ainsi à Spandau, après avoir monté toute sa cavalerie.

Le maréchal Soult, arrivé à Rathnau, a rencontré cinq escadrons de cavalerie saxonne qui ont demandé à capituler. Il leur a fait signer une capitulation. C'est encore cinq cents chevaux pour l'armée.

Le maréchal Davoust a passé l'Oder à Francfort. Les alliés bavarois et wurtembergeois, sous les ordres du prince Jérôme, sont en marche de Dresde sur Francfort.

Le roi de Prusse a quitté l'Oder, et a passé la Vistule; il est à Graudentz. Les places de la Silésie sont sans garnison et sans approvisionnemens. Il est probable que la place de Stettin ne tardera pas à tomber en notre pouvoir. Le roi de Prusse est sans armée, sans artillerie, sans fusils. C'est beaucoup que d'évaluer à douze ou quinze mille hommes ce qu'il aura pu réunir sur la Vistule. Rien n'est curieux comme les mouvemens actuels. C'est une espèce de chasse où la cavalerie légère, qui va aux aguets des corps d'armée, est sans cesse détournée par des colonnes ennemies qui sont coupées.

Jusqu'à cette heure, nous avons cent cinquante drapeaux, parmi lesquels sont ceux brodés des mains de la belle reine, beauté aussi funeste aux peuples de Prusse, que le fut Hélène aux Troyens.

Les gendarmes de la garde ont traversé Berlin pour se rendre prisonniers à Spandau. Le peuple, qui les avait vus si arrogans il y a peu de semaines, les a vus dans toute leur humiliation.

L'empereur a fait aujourd'hui une grande parade, qui a duré depuis onze heures du matin, jusqu'à six heures du soir. Il a vu en détail toute sa garde à pied et à cheval, et les beaux régimens des carabiniers et des cuirassiers de la division Nansouty; il a fait différentes promotions, en se faisant rendre compte de tout dans le plus grand détail.

Le général Savary, avec deux régimens de cavalerie, a déjà atteint le corps du duc de Weimar, et sert de communication pour transmettre des renseignemens au grand-duc de Berg, au prince de Ponte-Corvo et au maréchal Soult.

On a pris possession des états du duc de Brunswick. On croit que ce duc s'est réfugié en Angleterre. Toutes ses troupes ont été désarmées. Si ce prince a mérité, à juste titre, l'animadversion du peuple français, il a aussi encouru celle du peuple et de l'armée prussienne; du peuple qui lui reproche d'être l'un des auteurs de la guerre; de l'armée; qui se plaint de ses manoeuvres et de sa conduite militaire. Les faux calculs des jeunes gendarmes sont pardonnables; mais la conduite de ce vieux prince, âgé de soixante-douze ans, est un excès de délire dont la catastrophe ne saurait exciter de regrets. Qu'aura donc de respectable la vieillesse, si, au défaut de son âge, elle joint la fanfaronnade et l'inconsidération de la jeunesse?




Berlin, le 31 octobre 1806.

Vingt-quatrième bulletin de la grande armée.

Stettin est en notre pouvoir. Pendant que la gauche du grand-duc de Berg, commandée par le général Milhaud, faisait mettre bas les armes, à une colonne de six mille hommes à Passewalk, la droite, commandée par le général Lasalle, sommait la ville de Stettin, et l'obligeait à capituler. Stettin est une place en bon état, bien armée et bien palissadée: cent-soixante pièces de canon, des magasins considérables, une garnison de six mille hommes de belles troupes, prisonnière, beaucoup de généraux, tel est le résultat de la capitulation de Stettin, qui ne peut s'expliquer que par l'extrême découragement qu'a produit sur l'Oder et dans tous les pays de la rive droite la disparition de la grande armée prussienne.

De toute cette belle armée de cent quatre-vingt mille hommes, rien n'a passé l'Oder. Tout a été pris, ou erre encore entre l'Elbe et l'Oder, et sera pris avant quatre jours. Le nombre des prisonniers montera à près de cent mille hommes. Il est inutile de faire sentir l'importance de la prise de la ville de Stettin, une des places les plus commerçantes de la Prusse, et qui assure à l'armée un bon pont sur l'Oder et une bonne ligne d'opérations.

Du moment que les colonnes du duc de Weimar et du général Blucher, qui sont débordées par la droite et la gauche, et poursuivies par la queue, seront rendues, l'armée prendra quelques jours de repos.

On n'entend point encore parler des Russes. Nous désirons fort qu'il en vienne une centaine de milliers. Mais le bruit de leur marche est une vraie fanfaronnade. Ils n'oseront pas venir à notre rencontre. La journée d'Austerlitz se représente à leurs yeux. Ce qui indigne les gens sensés, c'est d'entendre l'empereur Alexandre et son sénat dirigeant, dire que ce sont les alliés qui ont été battus. Toute l'Europe sait bien qu'il n'y a pas de familles en Russie qui ne portent le deuil.

Ce n'est point la perte des alliés qu'elle pleure: cent quatre-vingt-quinze pièces de bataille russes qui ont été prises, et qui sont à Strasbourg, ne sont pas les canons des alliés.

Les cinquante drapeaux russes qui sont suspendus a Notre-Dame de Paris, ne sont point les drapeaux des alliés. Les bandes de Russes qui sont morts dans nos hôpitaux, ou sont prisonniers dans nos villes, ne sont pas les soldats des alliés.

L'empereur Alexandre, qui commandait à Austerlitz et à Vischau, avec un si grand corps d'armée, et qui faisait tant de tapage, ne commandait pas les alliés.

Le prince qui a capitulé, et s'est soumis à évacuer l'Allemagne par journées d'étapes, n'était pas sans doute un prince allié. On ne peut que hausser les épaules à de pareilles forfanteries. Voilà le résultat de la faiblesse des princes et de la vénalité des ministres. Il était bien plus simple pour l'empereur Alexandre de ratifier le traité de paix qu'avait conclu son plénipotentiaire, et de donner le repos au continent. Plus la guerre durera, plus la chimère de la Russie s'effacera, et elle finira par être anéantie; autant la sage politique de Catherine était parvenue à faire de sa puissance un immense épouvantail, autant l'extravagance et la folie des ministres actuels la rendront ridicule en Europe.

Le roi de Hollande, avec l'avant-garde de l'armée du Nord, est arrivé, le 21, à Gottingue. Le maréchal Mortier, avec les deux divisions du huitième corps de la grande armée, commandées par les généraux Lagrange et Dupas, est arrivé le 26 à Fulde.

Le roi de Hollande a trouvé, à Munster, dans le comté de la Marck et autres états prussiens, des magasins et de l'artillerie.

On a ôté à Fulde et à Brunswick les armes du prince d'Orange et celles du duc. Ces deux princes ne régneront plus. Ce sont les principaux auteurs de cette nouvelle coalition.

Les Anglais n'ont pas voulu faire la paix; ils la feront; mais la France aura plus d'états et de côtes dans son système fédératif.




Berlin, le 2 novembre 1806.

Vingt-cinquième bulletin de la grande armée.

Le général de division Beaumont a présenté aujourd'hui à l'empereur cinquante nouveaux drapeaux et étendards pris sur l'ennemi; il a traversé toute la ville avec les dragons qu'il commande, et qui portaient ces trophées; le nombre des drapeaux, dont la prise a été la suite de la bataille de Jéna, s'élève en ce moment à deux cents.

Le général Davoust a fait cerner et sommer Custrin, et cette place s'est rendue. On y a fait quatre mille hommes prisonniers de guerre. Les officiers retournent chez eux sur parole, et les soldats sont conduits en France. Quatre-vingt-dix pièces de canon ont été trouvées sur les remparts; la place, en très-bon état, est située au milieu des marais; elle renferme des magasins considérables. C'est une des conquêtes les plus importantes de l'armée; elle a achevé de nous rendre maître de toutes les places sur l'Oder.

Le maréchal Ney va attaquer en règle Magdebourg, et il est probable que cette forteresse fera peu de résistance.

Le grand-duc de Berg avait son quartier général, le 31, à Friedland. Ses dispositions faites, il a ordonné l'attaque de la colonne du général prussien Bila que le général Beker a chargé dans la plaine en avant de la petite ville d'Anklam, avec la brigade de dragons du général Boussart. Tout a été enfoncé, cavalerie et infanterie, et le général Beker est entré dans la ville avec les ennemis, qu'il a forcés de capituler. Le résultat de cette capitulation a été quatre mille prisonniers de guerre: les officiers sont renvoyés sur parole, et les soldats sont conduits en France. Parmi ces prisonniers, se trouve le régiment de hussards de la garde du roi, qui, après la guerre de sept ans, avaient reçu de l'impératrice Catherine, en témoignage de leur bonne conduite, des pelisses de peau de tigre.

La caisse du corps du général Bila, et une partie des bagages avaient passé la Penne et se trouvaient dans la Poméranie suédoise. Le grand-duc de Berg les a fait réclamer.

Le 1er novembre au soir, le grand-duc avait son quartier-général à Demmin.

Le général Blucher et le duc de Weimar, voyant le chemin de Stettin fermé, se portaient sur leur gauche, comme pour retourner sur l'Elbe; mais le maréchal Soult avait prévu ce mouvement: et il y a peu de doute que ces deux corps ne tombent bientôt entre nos mains.

Le maréchal a réuni son corps d'armée à Stettin, où l'on trouve encore chaque jour des magasins et des pièces de canon.

Nos coureurs sont déjà entrés en Pologne.

Le prince Jérôme, avec les Bavarois et les Wurtembergeois, formant un corps d'armée, se porte en Silésie.

S.M. a nommé le général Clarke gouverneur général de Berlin et de la Prusse, et a déjà arrêté toutes les bases de l'organisation intérieure du pays.

Le roi de Hollande marche sur Hanovre, et le maréchal Mortier sur Cassel.




Berlin, le 3 novembre 1806.

Vingt-sixième bulletin de la grande armée.

On n'a pas encore reçu la nouvelle de la prise des colonnes du général Blucher et du duc de Weimar. Voici la situation de ces deux divisions ennemies et celle de nos troupes. Le général Blucher, avec sa colonne, s'était dirigé sur Stettin. Ayant appris que nous étions déjà dans cette ville, et que nous avions gagné deux marches sur lui, il se reploya, de Gransée, où nous arrivions en même temps que lui, sur Neustrelitz, où il arriva le 30 octobre, ne s'arrêtant point là, et se dirigeant sur Wharen, où on le suppose arrivé le 31, avec le projet de chercher à se retirer du côté de Rostock pour s'y embarquer.

Le 31, six heures après son départ, le général Savary, avec une colonne de six cents chevaux, est arrivé à Strelitz, où il a fait prisonnier le frère de la reine de Prusse, qui est général au service du roi.

Le 1er novembre, le grand-duc de Berg était à Demmin, filant pour arriver a Rostock, et couper la mer au général Blucher.

Le maréchal prince de Ponte-Corvo avait débordé le général Blucher. Ce maréchal se trouvait le 31, avec son corps d'armée, à Neubrandebourg, et se mettait en marche sur Wharen, ce qui a dû le mettre aux prises, dans la journée du 1er, avec le général Blucher.

La colonne commandée par le duc de Weimar était arrivée le 29 octobre à Neustrelitz; mais instruit que la route de Stettin était coupée, et ayant rencontré les avant-postes français, il fit une marche rétrograde, le 29, sur Wistock. Le 30, le maréchal Soult en avait connaissance par ses hussards, et se mettait en marche sur Wertenhausen. Il l'a immanquablement rencontré le 31 ou le 1er. Ces deux colonnes ont donc été prises hier, ou aujourd'hui au plus tard.

Voici leurs forces: le général Blucher a trente pièces de canon, sept bataillons d'infanterie et quinze cents hommes de cavalerie. Il est difficile d'évaluer la force de ce corps; ses équipages, ses caissons, ses munitions ont été pris. Il est dans la plus pitoyable situation.

Le duc de Weimar a douze bataillons et trente-cinq escadrons en bon état; mais il n'a pas une pièce d'artillerie.

Tels sont les faibles débris de toute l'armée prussienne: il n'en restera rien. Ces deux colonnes prises, la puissance de la Prusse est anéantie, et elle n'a presque plus de soldats. En évaluant à dix mille hommes ce qui s'est retiré avec le roi sur la Vistule, ce serait exagérer.

M. Schulenbourg s'est présenté à Strelitz pour demander un passeport pour Berlin. Il a dit au général Savary: «Il y a huit heures que j'ai vu passer les débris de la monarchie prussienne. Vous les aurez aujourd'hui ou demain. Quelle destinée inconcevable et inattendue! La foudre nous a frappés.» Il est vrai que depuis que l'empereur est entré en campagne, il n'a pas pris un moment de repos. Toujours en marches forcées, devinant constamment les mouvemens de l'ennemi. Les résultats en sont tels qu'il n'y en a aucun exemple dans l'histoire. De plus de cent cinquante mille hommes qui se sont présentés à la bataille de Jéna, pas un ne s'est échappé pour en porter la nouvelle au-delà de l'Oder. Certes, jamais agression ne fut plus injuste; jamais guerre ne fut plus intempestive. Puisse cet exemple servir de leçon aux princes faibles, que les intrigues, les cris et l'or de l'Angleterre excitent toujours à des entreprises insensées.

La division bavaroise, commandée par le général Wrede, est partie de Dresde le 31 octobre. Celle commandée par le général Deroi est partie le 1er novembre. La colonne wurtembergeoise est partie le 3. Toutes ces colonnes se rendent sur l'Oder; elles forment le corps d'armée du prince Jérôme.

Le général Durosnet a été envoyé à Odesberg avec un parti de cavalerie immédiatement après notre entrée à Berlin, pour intercepter tout ce qui se jetterait du canal dans l'Oder. Il a pris plus de quatre-vingts bateaux chargés de munitions de toute espèce qu'il a envoyés à Spandau.

On a trouvé à Custrin des magasins de vivres suffisans pour nourrir l'armée pendant deux mois.

Le général de brigade Macon, que l'empereur avait nommé commandant de Leipsick, est mort dans cette ville d'une fièvre putride. C'était un brave soldat et un parfait honnête homme. L'empereur en faisait cas, et a été très-affligé de sa mort.




Berlin, le 6 novembre 1806.

Vingt-septième bulletin de la grande armée.

On a trouvé à Stettin une grande quantité de marchandises anglaises, à l'entrepôt sur l'Oder; on y a trouvé cinq cents pièces de canon et des magasins considérables de vivres.

Le 1er novembre, le grand-duc de Berg était à Demmin: le 2 à Tetetow, ayant sa droite sur Rostock. Le général Savary était le 1er à Kratzebourg, et le 2, de bonne heure, à Wharen et à Jabel. Le prince de Ponte-Corvo attaqua, le soir du 1er à Jabel, l'arrière-garde de l'ennemi. Le combat fut assez soutenu; le corps ennemi fut plusieurs fois mis en déroute: il eût été entièrement enlevé si les difficultés de passer le pays de Mecklembourg ne l'eussent encore sauvé ce jour-là. Le prince de Ponte-Corvo, en chargeant avec la cavalerie, a fait une chute de cheval, qui n'a eu aucune suite. Le maréchal Soult est arrivé le 2 à Plauer.

Ainsi, l'ennemi a renoncé à se porter sur l'Oder. Il change tous les jours de projets. Voyant que la route de l'Oder lui était fermée, il a voulu se retirer sur la Poméranie suédoise. Voyant celle-ci également interceptée, il a voulu retourner sur l'Elbe; mais le maréchal Soult l'ayant prévenu, il paraît se diriger sur le point le plus prochain des côtes. Il doit avoir été à bout le 4 ou le 5 novembre. Cependant tous les jours un ou deux bataillons, et même des escadrons de cette colonne tombent en notre pouvoir. Elle n'a plus ni caissons, ni bagages.

Le maréchal Lannes est à Stettin; le maréchal Davoust à Francfort; le prince Jérôme en Silésie. Le duc de Weimar a quitté le commandement pour retourner chez lui, et l'a laissé à un général peu connu.

L'empereur a passé aujourd'hui la revue de la division de dragons du général Beaumont, sur la place du palais de Berlin. Il a fait différentes promotions.

Tous les hommes de cavalerie qui se trouvaient à pied, se sont rendus a Potsdam, où l'on a envoyé les chevaux de prise. Le général de division Bourcier a été chargé de la direction de ce grand dépôt. Deux mille dragons à pied qui suivaient l'armée, sont déjà montés.

On travaille avec activité à armer la forteresse de Spandau, et à rétablir les fortifications de Wittemberg, d'Erfurt, de Custrin et de Stettin.

Le maréchal Mortier, commandant le huitième corps de la grande armée, s'est mis en marche le 30 octobre sur Cassel: il y est arrivé le 31.




Berlin, 7 novembre 1806.

Vingt-huitième bulletin de la grande armée.

Sa majesté a passé aujourd'hui, sur la place du palais de Berlin, depuis onze heures du matin jusqu'à trois après-midi, la revue de la division de dragons du générai Klein. Elle a fait plusieurs promotions. Cette division a donné avec distinction à la bataille de Jéna et a enfoncé plusieurs carrés d'infanterie prussienne. L'empereur a vu ensuite défiler le grand parc de l'armée, l'équipage de pont et le parc du génie: le grand parc est commandé par le général d'artillerie Saint-Laurent; l'équipage de pont, par le colonel Boucher, et le parc de génie, par le général du génie Casals.

S.M. a témoigné au général Songis, inspecteur-général, sa satisfaction de l'activité qu'il mettait dans l'organisation des différentes parties du service de l'artillerie de cette grande armée.

Le général Savary a tourné près de Wismar sur la Baltique, à la tête de cinq cents chevaux du premier de hussards et du septième de chasseurs, le général prussien Husdunne, et l'a fait prisonnier avec deux brigades de hussards et deux pièces de canon. Cette colonne appartient au corps que poursuivent le grand-duc de Berg, le prince de Ponte-Corvo et le maréchal Soult, lequel corps, coupé de l'Oder et de la Poméranie, paraît acculé du côté de Lubeck.

Le colonel Excelmans, commandant le premier régiment de chasseurs du maréchal Davoust, est entré à Posen, capitale de la Grande-Pologne. Il a été reçu avec un enthousiasme difficile à peindre; la ville était remplie de monde, les fenêtres parées comme en un jour de fête;: à peine la cavalerie pouvait-elle se faire jour pour traverser les rues.

Le général du génie Bertrand, aide-de-camp de l'empereur, s'est embarqué sur le lac de Stettin, pour faire la reconnaissance de toutes les passes.

On a formé à Dresde et à Wittemberg un équipage de siège pour Magdebourg: l'Elbe en est couvert. Il est à espérer que cette place ne tiendra pas long-temps. Le maréchal Ney est chargé de ce siège.




Berlin, le 9 novembre 1806.

Vingt-neuvième, bulletin de la grande armée.

La brigade de dragons du général Beker a paru aujourd'hui à la parade.

S.M. voulant récompenser la bonne conduite des régimens qui la composent, a fait différentes promotions.

Mille dragons, qui étaient venus à pied à l'armée, et qui ont été montés au dépôt de Potsdam, ont passé hier la revue du général Bessières; ils ont été munis de quelques objets d'équipement qui leur manquaient, et ils partent aujourd'hui pour rejoindre leurs corps respectifs, pourvus de bonnes selles et montés sur de bons chevaux, fruits de la victoire.

S.M. a ordonné qu'il serait frappé une contribution de cent cinquante millions sur les états prussiens et sur ceux des alliés de la Prusse.

Après la capitulation du prince Hohenlohe, le général Blucher, qui le suivait, changea de direction, et parvint à se réunir à la colonne du duc de Weimar, à laquelle s'était jointe celle du prince Frédéric-Guillaume Brunswick-Oels, fils du duc de Brunswick. Ces trois divisions se trouvèrent ainsi sous les ordres du général Blucher. Différentes petites colonnes se joignirent également à ce corps. Pendant plusieurs jours, ces troupes essayèrent de pénétrer par des chemins que les Français pouvaient avoir laissés libres; mais les marches combinées du grand-duc de Berg, du maréchal Soult et du prince de Ponte-Corvo avaient obstrué tous les passages. L'ennemi tenta d'abord de se porter sur Anklam, et ensuite sur Rostock: prévenu dans l'exécution de ce projet, il essaya de revenir sur l'Elbe; mais s'étant trouvé encore prévenu, il marche devant lui pour gagner Lubeck.

Le 4 novembre, il prit position à Crevismulen; le prince de Ponte-Corvo culbuta l'arrière-garde, mais il ne put entamer ce corps, parce qu'il n'avait que six cents hommes de cavalerie, et que celle de l'ennemi était beaucoup plus forte. Le général Vattier a fait, dans cette affaire, de très-belles charges, soutenues par les généraux Pactod et Maisons, avec le vingt-septième régiment d'infanterie légère et le huitième de ligne.

On remarque, dans les différentes circonstances de ce combat, qu'une compagnie d'éclaireurs du quatre-vingt-quatorzième régiment, commandée par le capitaine Razout, fut entourée par quelques escadrons ennemis: mais les voltigeurs français ne redoutent point le choc des cuirassiers prussiens; ils les reçurent de pied-ferme, et firent un feu si bien nourri, et si adroitement dirigé, que l'ennemi renonça à les enfoncer. On vit alors les voltigeurs à pied poursuivre la cavalerie à toute course: les Prussiens perdirent sept pièces de canon, et mille hommes.

Mais le 4 au soir, le grand-duc de Berg, qui s'était porté sur la droite, arriva avec sa cavalerie sur l'ennemi, dont le projet était encore incertain. Le maréchal Soult marcha par Ratzbourg; le prince de Ponte-Corvo marcha par Rebna. Il coucha du 5 au 6 à Schoenberg, d'où il partit à deux heures après minuit. Arrivé à Schlukup sur la Trave, il fit environner un corps de seize cents Suédois, qui avaient enfin jugé convenable d'opérer leur retraite du Lauenbourg, pour s'embarquer sur la Trave. Des coups de canon coulèrent les bâtimens préparés pour l'embarquement. Les Suédois, après avoir riposté, mirent bas les armes. Un convoi de trois cents voitures que le général Savary avait poursuivi de Wismar, fut enveloppé par la colonne du prince de Ponte-Corvo, et pris.—Cependant l'ennemi se fortifiait à Lubeck. Le maréchal Soult n'avait pas perdu de temps dans sa marche de Ratzbourg; de sorte qu'il arriva à la porte de Mullen lorsque le prince de Ponte-Corvo arrivait à celle de la Trave. Le grand-duc de Berg, avec sa cavalerie, était entre deux. L'ennemi avait arrangé à la hâte l'ancienne enceinte de Lubeck; il avait disposé des batteries sur les bastions; il ne doutait pas qu'il ne pût gagner là une journée; mais le voir, le reconnaître et l'attaquer fut l'affaire d'un instant. Le général Drouet, à la tête du vingt-septième régiment d'infanterie légère, et des quatre-vingt-quatorzième et quatre-vingt-quinzième régimens, aborda les batteries avec ce sang-froid et cette intrépidité qui appartiennent aux troupes françaises. Les portes sont aussitôt enfoncées, les bastions escaladés et l'ennemi mis en fuite; et le corps du prince de Ponte-Corvo entre par la porte de la Trave. Les chasseurs corses, les tirailleurs du Pô et le vingt-sixième d'infanterie légère, composant la division d'avant-garde du général Legrand, qui n'avaient point encore combattu dans cette campagne, et qui étaient impatiens de se mesurer avec l'ennemi, marchèrent avec la rapidité de l'éclair: redoutes, bastions, fossés, tout est franchi, et le corps du maréchal Soult entre par la porte de Mullen. C'est en vain que l'ennemi voulut se défendre dans les rues, dans les places, il fut poursuivi partout. Toutes les rues, toutes les places furent jonchées de cadavres. Les deux corps d'armée arrivant de deux côtés opposés, se réunirent au milieu de la ville. A peine le grand-duc de Berg put-il passer, qu'il se mit à la poursuite des fuyards: quatre mille prisonniers, soixante pièces de canon, plusieurs généraux, un grand nombre d'officiers tués ou pris, tel est le résultat de cette belle journée.

Le 7, avant le jour, tout le monde était à cheval, et le grand-duc de Berg cernait l'ennemi près de Schwartau avec la brigade Lasalle et la division de cuirassiers d'Hautpoult, Le général Blucher, le prince Frédéric-Guillaume de Brunswick-Oels, et tous les généraux se présentent alors aux vainqueurs, demandent à signer une capitulation, et défilent devant l'armée française.

Ces deux journées ont détruit le dernier corps qui restait de l'armée prussienne, et nous ont valu le reste de l'artillerie de cette armée, beaucoup de drapeaux et seize mille prisonniers, parmi lesquels se trouvent quatre mille hommes de cavalerie.

Ainsi ces généraux prussiens qui, dans le délire de leur vanité, s'étaient permis tant de sarcasmes contre les généraux autrichiens, ont renouvelé quatre fois la catastrophe d'Ulm, la première, par la capitulation d'Erfurt, la seconde, par celle du prince Hohenlohe; la troisième, par la reddition de Stettin, et la quatrième par la capitulation de Schwartau.

La ville de Lubeck a considérablement souffert: prise d'assaut, ses places et les rues ont été le théâtre du carnage. Elle ne doit s'en prendre qu'à ceux qui ont attiré la guerre dans ses murs. Le Mecklembourg a été également ravagé par les armées françaises et prussiennes. Un grand nombre de troupes se croisant en tout sens, et à marches forcées sur ce territoire, n'a pu trouver sa subsistance qu'aux dépens de cette contrée. Ce pays est intimement lié avec la Russie; son sort servira d'exemple aux princes d'Allemagne qui cherchent des relations éloignées avec une puissance à l'abri des malheurs qu'elle attire sur eux, et qui ne fait rien pour secourir ceux qui lui sont attachés par les liens les plus étroits du sang et par les rapports les plus intimes.

L'aide-de-camp du grand-duc de Berg, Dery, a fait capituler le corps qui escortait les bagages qui s'étaient retirés derrière la Penne. Les Suédois ont livré les fuyards et les caissons. Cette capitulation a produit quinze cents prisonniers, une grande quantité de bagages et de chariots. Il y a aujourd'hui des régimens de cavalerie, qui possèdent plusieurs centaines de milliers d'écus.

Le maréchal Ney, chargé du siège de Magdebourg, a fait bombarder cette place. Plusieurs maisons ayant été brûlées, les habitans ont manifesté leur mécontentement, et le commandant a demandé à capituler. Il y a, dans cette forteresse, beaucoup d'artillerie, des magasins considérables, seize mille hommes appartenant à plus de soixante-dix bataillons, et beaucoup de caisses des corps.

Pendant ces événemens importans, plusieurs corps de notre armée arrivent sur la Vistule.

La malle de Varsovie a apporté beaucoup de lettres de Russie qui ont été interceptées. On y voit que dans ce pays les fables des journaux anglais trouvent une grande croyance; ainsi, l'on est persuadé en Russie que le maréchal Masséna a été tué; que la ville de Naples s'est soulevée; qu'elle a été occupée par les Calabrais; que le roi s'est réfugié à Rome, et que les Anglais, avec cinq ou six mille hommes, sont maîtres de l'Italie. Il ne faudrait cependant qu'un peu de réflexion pour rejeter de pareils bruits. La France n'a-t-elle donc plus d'armée en Italie? Le roi de Naples est dans sa capitale; il a quatre-vingt mille Français; il est maître des deux Calabres; et à Pétersbourg on croit les Calabrais à Rome. Si quelques galériens armés et endoctrinés par cet infâme Sidney-Smith, la honte des braves militaires anglais, tuent des hommes isolés, égorgent des propriétaires riches et paisibles, la gendarmerie et l'échafaud en font justice.

La marine anglaise ne désavouera point le titre d'infamie donnée à Sidney-Smith. Les généraux Stuart et Fox, tous les officiers de terre s'indignent de voir le nom anglais associé à des brigands. Le brave général Stuart s'est même élevé publiquement contre ces menées aussi impuissantes qu'atroces, et qui tendent à faire du noble métier de la guerre, un échange d'assassinats et de brigandages. Mais quand Sidney-Smith a été choisi pour seconder les fureurs de la reine, on n'a vu en lui qu'un de ces instrumens que les gouvernemens emploient trop souvent, et qu'ils abandonnent au mépris qu'ils sont les premiers à avoir pour eux. Les Napolitains feront connaître un jour avec détail les lettres de Sidney-Smith, les missions qu'il a données, l'argent qu'il a répandu pour l'exécution des atrocités dont il est l'agent en chef.

On voit aussi dans les lettres de Pétersbourg, et même dans les dépêches officielles, qu'on croit qu'il n'y a plus de Français dans l'Italie supérieure: on doit savoir cependant que, indépendamment de l'armée de Naples, il y a encore en Italie cent mille hommes prêts à punir ceux qui voudraient y porter la guerre.

On attend aussi de Pétersbourg des succès de la division de Corfou; mais ou ne tardera pas à apprendre que cette division, à peine débarquée aux bouches de Cattaro, a été défaite par le général Marmont; qu'une partie a été prise, et l'autre rejetée dans ses vaisseaux. C'est une chose fort différente d'avoir affaire à des Français, ou à des Turcs que l'on tient dans la crainte et dans l'oppression, en fomentant avec art la discorde dans les provinces. Mais quoi qu'il en puisse être, les Russes ne seront point embarrassés pour détourner d'eux l'opprobre de ces résultats.

Un décret du sénat-dirigeant a déclaré qu'à Austerlitz, ce n'étaient point les Russes, mais leurs alliés, qui avaient été battus. S'il y a sur la Vistule une nouvelle bataille d'Austerlitz, ce sera encore d'autres qu'eux qui auront été vaincus, quoiqu'aujourd'hui, comme alors, leurs alliés n'aient point de troupes à joindre à leurs troupes, et que leur armée ne puisse être composée que de Russes. Les états de mouvemens et ceux des marches de l'armée russe seul tombés dans les mains de l'état-major français. Il n'y aurait rien de plus ridicule que les plans d'opérations des Russes, si leurs vaines espérances n'étaient plus ridicules encore.

Le général Lagrange a été déclaré gouverneur-général de Cassel et des états de Hesse.

Le maréchal Mortier s'est mis en marche pour le Hanovre et pour Hambourg, avec son corps d'armée.

Le roi de Hollande a fait bloquer Hamelin. Il faut que cette guerre soit la dernière, et que ses auteurs soient si sévèrement punis, que quiconque voudra désormais prendre les armes contre le peuple Français, sache bien, avant de s'engager dans une telle entreprise, quelles peuvent en être les conséquences.




Berlin, le 10 novembre 1806.

Trentième bulletin de la grande armée.

La place de Magdebourg s'est rendue le 8: le 9, les portes ont été occupées par les troupes françaises.

Seize mille hommes, près de huit cents pièces de canon, des magasins de toute espèce tombent en notre pouvoir.

Le prince Jérôme a fait bloquer la place de Glogau, capitale de la Haute-Silésie, par le général de brigade Lefebvre, à la tête de deux mille chevaux bavarois. La place a été bombardée le 8 par dix obusiers servis par de l'artillerie légère. Le prince fait l'éloge de la conduite de la cavalerie bavaroise. Le général Deroy, avec sa division, a investi Glogau le 9: on est entré en pourparler pour sa reddition.

Le maréchal Davoust est entré à Posen avec un corps d'armée le 10. Il est extrêmement content de l'esprit qui anime les Polonais. Les agens prussiens auraient été massacrés, si l'armée française ne les eût pris sous sa protection.

La tête de quatre colonnes russes, fortes chacune de quinze mille hommes, entrait dans les états prussiens par Georgenbourg, Olita, Grodno et Jalowka. Le 25 octobre, ces têtes de colonnes avaient fait deux marches, lorsqu'elles reçurent la nouvelle de la bataille du 14 et des événemens qui l'ont suivie; elles rétrogradèrent sur-le-champ. Tant de succès, des événemens d'une si haute importance, ne doivent pas ralentir en France les préparatifs militaires; on doit, au contraire, les poursuivre avec une nouvelle énergie, non pour satisfaire une ambition insatiable, mais pour mettre un terme à celle de nos ennemis. L'armée française ne quittera pas la Pologne et Berlin que la Porte ne soit rétablie dans toute son indépendance, et que la Valachie et la Moldavie ne soient déclarées appartenant en toute suzeraineté à la Porte.

L'armée française ne quittera point Berlin, que les possessions des colonies espagnoles, hollandaises et françaises ne soient rendues, et la paix générale faite.

On a intercepté une malle de Dantzick, dans laquelle on a trouvé beaucoup de lettres venant de Pétersbourg et de Vienne. Ou use à Vienne d'une ruse assez simple pour répandre de faux bruits. Avec chaque exemplaire des gazettes, dont le ton est fort réservé, on envoie, sous la même enveloppe, un bulletin à la main, qui contient les nouvelles les plus absurdes. On y lit que la France n'a plus d'armée en Italie; que toute cette contrée est en feu; que l'état de Venise est dans le plus grand mécontentement et a les armes à la main; que les Russes ont attaqué l'armée française en Dalmatie, et l'ont complètement battue.

Quelque fausses et ridicules que soient ces nouvelles, elles arrivent de tant de côtés à la fois, qu'elles obscurcissent la vérité. Nous sommes autorisés à dire que l'empereur a deux cent mille hommes en Italie, dont quatre-vingt mille à Naples, et vingt-cinq mille en Dalmatie; que le royaume de Naples n'a jamais été troublé que par des brigandages et des assassinats; que le roi de Naples est maître de toute la Calabre; que si les Anglais veulent y débarquer avec des troupes régulières, ils trouveront a qui parler; que le maréchal Masséna n'a jamais eu que des succès, et que le roi est tranquille dans sa capitale, occupé des soins de son armée et de l'administration de son royaume; que le général Marmont, commandant l'armée française en Dalmatie, a complètement battu les Russes et les Monténégrins, entre lesquels la division règne; que les Monténégrins accusent les Russes de s'être mal battus, et que les Russes reprochent aux Monténégrins d'avoir fui; que de toutes les troupes de l'Europe, les moins propres à faire la guerre en Dalmatie sont certainement les troupes russes. Aussi y font-elles en général une fort mauvaise figure.

Cependant le corps diplomatique, endoctriné par ces fausses directions données à Vienne à l'opinion, égare les cabinets par ses rapsodies. De faux calculs s'établissent là-dessus; et comme tout ce qui est bâti sur le mensonge et sur l'erreur tombe promptement en ruine, des entreprises aussi mal calculées tournent à la confusion de leurs auteurs. Certainement dans la guerre actuelle, l'empereur n'a pas voulu affaiblir son armée d'Italie; il n'en a pas retiré un seul homme; il s'est contenté de faire venir huit escadrons de cuirassiers, parce que les troupes de cette arme sont inutiles en Italie. Ces escadrons ne sont pas encore arrivés à Inspruck. Depuis la dernière campagne, l'empereur a, au contraire, augmenté son armée d'Italie de quinze régimens qui étaient dans l'intérieur, et de neuf régimens du corps du général Marmont. Quarante mille conscrits, presque tous de la conscription de 1806, ont été dirigés sur l'Italie; et par les états de situation de cette armée au 1er novembre, vingt-cinq mille y étaient déjà arrivés. Quant au peuple des états vénitiens, l'empereur ne saurait être que très-satisfait de l'esprit qui l'anime. Aussi, S.M. s'occupe-t-elle des plus chers intérêts des Vénitiens; aussi a-t-elle ordonné des travaux pour réparer et améliorer leur port, et pour rendre la passe de Malmocco propre aux vaisseaux de tout rang.

Du reste, tous ces faiseurs de nouvelles en veulent beaucoup à nos maréchaux et à nos généraux; il ont tué le maréchal Masséna à Naples; ils ont tué en Allemagne le grand-duc de Berg, le maréchal Soult. Cela n'empêche heureusement personne de se porter très-bien.




Berlin. le 12 novembre 1806.

Trente-unième bulletin de la grande armée.

La garnison de Magdebourg a défilé le 11, à neuf heures du matin, devant le corps d'armée du maréchal Ney. Nous avons vingt généraux, huit cents officiers, vingt-deux mille prisonniers, parmi lesquels deux mille artilleurs, cinquante-quatre drapeaux, cinq étendards, huit cents pièces de canon, un million de poudre, un grand équipage de pont et un matériel immense d'artillerie.

Le colonel Gérard et l'adjudant-commandant Ricard ont présenté, ce matin, à l'empereur, au nom des premier et quatrième corps, soixante drapeaux qui ont été pris à Lubeck au corps du général prussien Blucher: il y avait vingt-deux étendards; quatre mille chevaux tout harnachés, pris dans cette journée, se rendent au dépôt de Potsdam.

Dans le vingt-neuvième bulletin, on a dit que le corps du général Blucher avait fourni seize mille prisonniers, parmi lesquels quatre mille de cavalerie. On s'est trompé, il y avait vingt-un mille prisonniers, parmi lesquels cinq mille hommes de cavalerie montés; de sorte que, par le résultat de ces deux capitulations, nous avons cent vingt drapeaux et étendards, et quarante-cinq mille prisonniers. Le nombre des prisonniers qui ont été faits dans la campagne passe cent quarante mille; le nombre des drapeaux pris passe deux cent cinquante; le nombre des pièces de campagne prises devant l'ennemi et sur le champ de bataille, passe huit cents; celui des pièces prises à Berlin et dans les places qui se sont rendues, passe quatre mille.

L'empereur a fait manoeuvrer hier sa garde à pied et à cheval, dans une plaine aux portes de Berlin. La journée a été superbe.

Le général Savary, avec sa colonne mobile, s'est rendu à Rostock, et y a pris quarante ou cinquante bâtimens suédois sur leur lest: il les a fait vendre sur-le-champ.




Berlin, le 16 novembre 1806.

Trente-deuxième bulletin de la grande armée.

Après la prise de Magdebourg et l'affaire de Lubeck, la campagne contre la Prusse se trouve entièrement finie.

Voici quelle était la situation de l'armée prussienne en entrant en campagne: Le corps du général Ruchel, dit de Westphalie, était composé de trente-trois bataillons d'infanterie, de quatre compagnies de chasseurs, de quarante-cinq escadrons de cavalerie, d'un bataillon d'artillerie et de sept batteries, indépendamment des pièces de régiment. Le corps du prince de Hohenlohe était composé de vingt-quatre bataillons prussiens et de vingt-cinq bataillons saxons, de quarante-cinq escadrons prussiens et de trente-six escadrons saxons, de deux bataillons d'artillerie, de huit batteries prussiennes et de huit batteries saxonnes. L'armée commandée par le roi en personne, était composée d'une avant-garde de dix bataillons et de quinze escadrons, commandée par le duc de Weimar, et de trois divisions; la première, commandée par le prince d'Orange, était composée de onze bataillons et de vingt escadrons; la seconde division, commandée par le général Wartensleben, était composée de onze bataillons et de quinze escadrons; la troisième division, commandée par le général Schmettau, était composée de dix bataillons et de quinze escadrons. Le corps de réserve de cette armée, que commandait le général Kalkreuth, était composé de deux divisions, chacune de dix bataillons des régimens de la garde ou d'élite, et de vingt escadrons. La réserve que commandait le prince Eugène de Wurtemberg, était composée de dix-huit bataillons et de vingt escadrons. Ainsi, le total général de l'armée prussienne était de cent soixante bataillons et de deux cent trente-six escadrons, servie par cinquante batteries, ce qui faisait, présens sous les armes, cent quinze mille hommes d'infanterie, trente mille de cavalerie, et huit cents pièces de canon, y compris les canons de bataillons; Toute cette armée se trouvait à la bataille du 14, hormis le corps du duc de Weimar, qui était encore sur Eisenach, et la réserve du prince de Wurtemberg; ce qui porte les forces prussiennes qui se trouvaient à la batailles à cent vingt-six mille hommes. De ces cent vingt-six mille hommes, pas un n'a échappé. Du corps du duc de Weimar, pas un homme n'a échappé. Du corps de réserve du duc de Wurtemberg, qui a été battu à Halle, pas un homme n'est échappé. Ainsi, ces cent quarante-cinq mille hommes ont tous été pris, blessés ou tués; tous les drapeaux, étendards, tous les canons, tous les bagages, tous les généraux ont été pris, et rien n'a passé l'Oder. Le roi, la reine, le général Kalkreuth, et à peine dix ou douze officiers, voilà tout ce qui s'est sauvé. Il reste aujourd'hui au roi de Prusse un régiment dans la place de Gros-Glogau qui est assiégée, un à Breslau, un à Brieg, deux à Varsovie, et quelques régimens à Koenigsberg, en tout à peu près quinze mille hommes d'infanterie et trois ou quatre mille hommes de cavalerie. Une partie de ces troupes est enfermée dans des places fortes. Le roi ne peut pas réunir à Koenigsberg, où il s'est réfugié dans ce moment, plus de huit mille hommes. Le souverain de Saxe a fait présent de son portrait au général Lemarrois, gouverneur de Wittemberg, qui, se trouvant à Torgau, a remis l'ordre dans une maison de correction, parmi six cents brigands qui s'étaient armés et menaçaient de piller la ville. Le lieutenant Lebrun a présenté hier à l'empereur quatre étendards de quatre escadrons prussiens que commandait le général Pelet, et que le général Drouet a fait capituler du côté de Lauembourg. Ils s'étaient échappés du corps du général Blucher. Le major Ameil, à la tête d'un escadron du seizième de chasseurs, envoyé par le maréchal Soult le long de l'Elbe, pour ramasser tout ce qui pourrait s'échapper du corps du général Blucher, a fait un millier de prisonniers, dont cinq cents hussards, et a pris une grande quantité de bagages.

Voici la position de l'armée française. La division des cuirassiers du général d'Hautpoult, les divisions de dragons des généraux Grouchy et Sahuc, la cavalerie légère du général Lasalle, faisant partie de la réserve de cavalerie que le grand-duc de Berg avait à Lubeck, arrivent à Berlin. La tête du corps du maréchal Ney, qui a fait capituler la place de Magdebourg, est entrée aujourd'hui à Berlin. Les corps du prince de Ponte-Corvo et du maréchal Soult sont en route pour venir à Berlin. Le corps du maréchal Soult y arrivera le 20; celui du prince de Ponte-Corvo, quelques jours après. Le maréchal Mortier est arrivé avec le huitième corps à Hambourg, pour fermer l'Elbe et le Weser. Le général Savary a été chargé du blocus de Hameln avec la division hollandaise. Le corps du maréchal Lannes est à Thorn. Le corps du maréchal Augereau est à Bromberg et vis-à-vis Graudentz. Le corps du maréchal Davoust est en marche de Posen sur Varsovie, où se rend le grand-duc de Berg avec l'autre partie de la réserve de cavalerie, composée des divisions de dragons des généraux Beaumont, Klein et Beker, de la division de cuirassiers du général Nansouty, et de la cavalerie légère du général Milhaud. Le prince Jérôme, avec le corps des alliés, assiège Gros-Glogau; son équipage de siège a été formé à Custrin. Une de ses divisions investit Breslau. Il prend possession de la Silésie. Nos troupes occupent le fort de Lenczyc, à mi-chemin de Posen à Varsovie; on y a trouvé des magasins et de l'artillerie. Les Polonais montrent la meilleure volonté, mais jusqu'à la Vistule ce pays est difficile; il y a beaucoup de sable. Pour la première fois, la Vistule voit l'aigle gauloise. L'empereur a désiré que le roi de Hollande retournât dans son royaume pour veiller lui-même à sa défense. Le roi de Hollande a fait prendre possession du Hanovre par le corps du général Mortier. Les aigles prussiennes et les armes électorales en ont été ôtées ensemble.




Berlin, le 1er novembre 1806.

Trente-troisième bulletin de la grande armée.

Une suspension d'armes a été signée hier à Charlottembourg. La saison se trouvant avancée, cette suspension d'armes assoit les quartiers de l'armée. Partie de la Pologne prussienne se trouve ainsi occupée par l'armée française, et partie est neutre.

(Suit la teneur de cette suspension).




Berlin, le 31 novembre 1806.

Message au sénat.

«Sénateurs, nous voulons, dans les circonstances où se trouvent les affaires générales de l'Europe, faire connaître, à vous et à la nation, les principes que nous avons adoptés comme règle général.

«Notre extrême modération, après chacune des trois premières guerres, a été la cause de celle qui leur a succédé. C'est ainsi que nous avons eu à lutter contre une quatrième coalition, neuf mois après que la troisième avait été dissoute, neuf mois après ces victoires éclatantes que nous avait accordées la providence, et qui devaient assurer un long repos au continent.

Mais un grand nombre de cabinets de l'Europe est plus tôt ou plus tard influencé par l'Angleterre; et sans une solide paix avec cette puissance, notre peuple ne saurait jouir des bienfaits qui sont le premier but de nos travaux, l'unique objet de notre vie. Aussi, malgré notre situation triomphante, nous n'avons été arrêtés, dans nos dernières négociations avec l'Angleterre, ni par l'arrogance de son langage, ni par les sacrifices qu'elle a voulu nous imposer. L'île de Malte, à laquelle s'attachait pour ainsi dire l'honneur de cette guerre, et qui, retenue par l'Angleterre au mépris des traités, en était la première cause, nous l'avions cédée; nous avions consenti à ce qu'à la possession de Ceylan et de l'empire du Myssoure, l'Angleterre joignît celle du cap de Bonne-Espérance.

Mais tous nos efforts ont dû échouer lorsque les conseils de nos ennemis ont cessé d'être animés de la noble ambition de concilier le bien du monde avec la prospérité présente de leur patrie, et la prospérité présente de leur patrie avec une prospérité durable; et aucune prospérité ne peut être durable pour l'Angleterre, lorsqu'elle sera fondée sur une politique exagérée et injuste qui dépouillerait soixante millions d'habitans, leurs voisins, riches et braves, de tout commerce et de toute navigation. Immédiatement après la mort du principal ministre de l'Angleterre, il nous fut facile de nous apercevoir que la continuation des négociations n'avait plus d'autre objet que de couvrir les trames de cette quatrième coalition, étouffée dès sa naissance.

Dans cette nouvelle position, nous avons pris pour principes invariables de notre conduite, de ne point évacuer ni Berlin, ni Varsovie, ni les provinces que la force des armes a fait tomber en nos mains, avant que la paix générale ne soit conclue; que les colonies espagnoles, hollandaises et françaises ne soient rendues; que les fondemens de la puissance ottomane ne soient raffermis, et l'indépendance absolue de ce vaste empire, premier intérêt de notre peuple, irrévocablement consacrée. Nous avons mis les îles britanniques en état de blocus, et nous avons ordonné contre elles des dispositions qui répugnaient à notre coeur. Il nous en a coûté de faire dépendre les intérêts des particuliers de la querelle des rois, et de revenir, après tant d'années de civilisation, aux principes qui caractérisent la barbarie des premiers âges des nations. Mais nous avons été contraints, pour le bien de nos alliés, à opposer à l'ennemi commun les mêmes armes dont il se servait contre nous. Ces déterminations, commandées par un juste sentiment de réciprocité, n'ont été inspirées ni par la passion, ni par la haine. Ce que nous avons offert après avoir dissipé les trois coalitions qui avaient tant contribué à la gloire de nos peuples, nous l'offrons encore aujourd'hui que nos armes ont obtenu de nouveaux triomphes. Nous sommes prêts à faire la paix avec l'Angleterre; nous sommes prêts à la faire avec la Russie, avec la Prusse; mais elle ne peut être conclue que sur des bases telles qu'elle ne permette à qui que ce soit, de s'arroger aucun droit de suprématie à notre égard, qu'elle rende les colonies a notre métropole, et qu'elle garantisse à notre commerce et à notre industrie la prospérité à laquelle ils doivent atteindre. Et si l'ensemble de ces dispositions éloigne de quelque temps encore le rétablissement de la paix générale, quelque court que soit ce retard, il paraîtra long à notre coeur. Mais nous sommes certains que nos peuples apprécieront la sagesse de nos motifs politiques, qu'ils jugeront avec nous qu'une paix partielle n'est qu'une trêve qui nous fait perdre tous nos avantages acquis pour donner lieu à une nouvelle guerre, et qu'enfin ce n'est que dans une paix générale que la France peut trouver le bonheur. Nous sommes dans un de ces instans importans pour la destinée des nations; et le peuple français se montrera digne de celle qui l'attend. Le sénatus-consulte que nous avons ordonné de vous proposer, et qui mettra à notre disposition, dans les premiers jours de l'année, la conscription de 1807, qui, dans les circonstances ordinaires, ne devrait être levée qu'au mois de septembre, sera exécuté avec empressement par les pères, comme par les enfans. Et dans quel plus beau moment pourrions-nous appeler aux armes les jeunes Français! ils auront à traverser, pour se rendre à leurs drapeaux, les capitales de nos ennemis et les champs de bataille illustrés par les victoires de leurs aînés!»




En notre camp Impérial de Berlin, le 21 novembre 1806.

Décret constitutif du blocus continental.

Napoléon, empereur des Français et roi d'Italie, considérant:

1°. Que l'Angleterre n'admet point le droit des gens suivi universellement par tous les peuples policés;

2°. Qu'elle répute ennemi tout individu appartenant à l'état ennemi, et fait en conséquence prisonniers de guerre, non-seulement les équipages des vaisseaux armés en guerre, mais encore les équipages des vaisseaux de commerce et des navires marchands, et même les facteurs du commerce et les négocians qui voyagent pour les affaires de leur négoce;

3°. Qu'elle étend aux bâtimens et marchandises du commerce et aux propriétés des particuliers, le droit de conquête, qui ne peut s'appliquer qu'à ce qui appartient à l'état ennemi;

4°. Qu'elle étend aux villes et ports de commerce non fortifiés, aux havres et aux embouchures des rivières, le droit de blocus, qui, d'après la raison et l'usage de tous les peuples policés, n'est applicable qu'aux places fortes; qu'elle déclare bloquées des places devant lesquelles elle n'a pas même un seul bâtiment de guerre, quoiqu'une place ne soit bloquée que quand elle est tellement investie, qu'on ne puisse tenter de s'en approcher sans un danger imminent; qu'elle déclare même en état de blocus des lieux que toutes ses forces réunies seraient incapables de bloquer, des côtes entières et tout un empire;

5°. Que cet abus monstrueux du droit de blocus n'a d'autre but que d'empêcher les communications entre les peuples, et d'élever le commerce et l'industrie de l'Angleterre sur la ruine de l'industrie et du commerce du continent;

6°. Que tel étant le but évident de l'Angleterre, quiconque fait sur le continent le commerce des marchandises anglaises, favorise par-là ses desseins et s'en rend le complice;

7°. Que cette conduite de l'Angleterre, digne en tout des premiers âges de la barbarie, a profité à cette puissance au détriment de toutes les antres;

8°. Qu'il est de droit naturel d'opposer à l'ennemi les armes dont il se sert, et de le combattre de la même manière qu'il combat, lorsqu'il méconnaît toutes les idées de justice et tous les sentimens libéraux, résultat de la civilisation parmi les hommes; nous avons résolu d'appliquer à l'Angleterre les usages qu'elle a consacrés dans sa législation maritime. Les dispositions du présent décret seront constamment considérées comme principe fondamental de l'empire, jusqu'à ce que l'Angleterre ait reconnu que le droit de la guerre est un et le même sur terre que sur mer; qu'il ne peut s'étendre ni aux propriétés privées, quelles qu'elles soient, ni à la personne des individus étrangers à la profession des armes, et que le droit de blocus doit être restreint aux places fortes réellement investies par des forces suffisantes.

Nous avons en conséquence décrété et décrétons ce qui suit:

Art. 1er. Les Iles-Britanniques sont déclarées en état de blocus.

2. Tout commerce et toute correspondance avec les Iles-Britanniques sont interdits.

En conséquence, les lettres ou paquets adressés ou en Angleterre ou à un Anglais, ou écrits en langue anglaise, n'auront pas cours aux postes, et seront saisis.

3. Tout individu sujet de l'Angleterre, de quelque état et condition qu'il soit, qui sera trouvé dans les pays occupés par nos troupes ou par celles de nos alliés, sera fait prisonnier de guerre.

4. Tout magasin, toute marchandise, toute propriété, de quelque nature qu'elle puisse être, appartenant à un sujet de l'Angleterre, sera déclaré de bonne prise.

5. Le commerce des marchandises anglaises est défendu; et toute marchandise appartenant à l'Angleterre, ou provenant de ses fabriques et de ses colonies, est déclarée de bonne prise.

6. La moitié du produit de la confiscation des marchandises et propriétés déclarées de bonne prise par les articles précédens, sera employée à indemniser les négocians des pertes qu'ils ont éprouvées par la prise des bâtimens de commerce qui ont été enlevés par les croisières anglaises.

7. Aucun bâtiment venant directement de l'Angleterre ou des colonies anglaises, ou y ayant été depuis la publication du présent décret, ne sera reçu dans aucun port.

3. Tout bâtiment qui, au moyen d'une fausse déclaration, contreviendra à la disposition ci-dessus, sera saisi, et le navire et la cargaison seront confisqués comme s'ils étaient propriété anglaise.

9. Notre tribunal des prises de Paris est chargé du jugement définitif de toutes les contestations qui pourront survenir dans notre empire ou dans les pays occupés par l'armée française, relativement à l'exécution du présent décret. Notre tribunal des prises à Milan sera chargé du jugement définitif desdites contestations qui pourront survenir dans l'étendue de notre royaume d'Italie.

10. Communication du présent décret sera donnée, par notre ministre des relations extérieures, aux rois d'Espagne, de Naples, de Hollande et d'Étrurie, et à nos autres alliés dont les sujets sont victimes, comme les nôtres, de l'injustice et de la barbarie de la législation maritime anglaise.

11. Nos ministres des relations extérieures, de la guerre, de la marine, des finances, de la police, et nos directeurs-généraux des postes sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret.

NAPOLÉON.




Berlin, le 23 novembre 1806.

Trente-quatrième bulletin de la grande armée.

On n'a pas encore de nouvelles que la suspension d'armes, signée le 17, ait été ratifiée par le roi de Prusse, et que l'échange des ratifications ait eu lieu. En attendant, les hostilités continuent toujours, ne devant cesser qu'au moment de l'échange.

Le général Savary, auquel l'empereur avait confié le commandement du siège de Hameln, est arrivé le 19 à Ebersdorff, devant Hameln, a eu une conférence, le 20, avec le général Lecoq et les généraux prussiens enfermés dans cette place, et leur a fait signer une capitulation. Neuf mille prisonniers, parmi lesquels six généraux, des magasins pour nourrir dix mille hommes pendant six mois, des munitions de toute espèce, une compagnie d'artillerie à cheval, et trois cents hommes à cheval sont en notre pouvoir.

Les seules troupes qu'avait le général Savary étaient un régiment français d'infanterie légère, et deux régimens hollandais, que commandait le général hollandais Dumonceau.

Le général Savary est parti sur-le-champ pour Nienbourg, pour faire capituler cette place, dans laquelle on croit qu'il y a deux ou trois mille hommes de garnison.

Un bataillon prussien de huit cents hommes, tenant garnison à Czentoschau, à l'extrémité de la Pologne prussienne, a capitulé, le 18, devant cent cinquante chasseurs du deuxième régiment, réunis à trois cents Polonais confédérés qui se sont présentés devant cette place. La garnison est prisonnière de guerre; il y a des magasins considérables.

L'empereur a employé toute la journée à passer en revue l'infanterie du quatrième corps d'armée, commandé par le maréchal Soult. Il a fait des promotions et distribué des récompenses dans chaque corps.




Posen, le 38 novembre 1806.

Trente-cinquième bulletin de la grande-armée.

L'empereur est parti de Berlin le 25, à deux heures du matin, et est arrivé à Custrin le même jour, à dix heures du matin. Il est arrivé à Meseritz le 26, et à Posen le 27, à dix heures du soir. Le lendemain, S.M. a reçu les différens ordres des Polonais. Le maréchal du palais, Duroc, a été jusqu'à Osterode, où il a vu le roi de Prusse, qui lui a déclaré qu'une partie de ses états était occupée par les Russes, et qu'il était entièrement dans leur dépendance; qu'en conséquence il ne pouvait ratifier la suspension d'armes qu'avaient conclue ses plénipotentiaires, parce qu'il ne pourrait pas en exécuter les stipulations. S.M. se rendait à Koenigsberg.

Le grand-duc de Berg, avec une partie de sa réserve de cavalerie et les corps des maréchaux Davoust, Lannes et Augereau, est entré à Varsovie. Le général russe Benigsen, qui avait occupé la ville avant l'approche des Français, l'a évacuée, apprenant que l'armée française venait à lui et voulait tenter un engagement.

Le prince Jérôme, avec le corps des Bavarois, se trouve à Kalitsch. Tout le reste de l'armée est arrivé à Posen, ou en marche par différentes directions pour s'y rendre. Le maréchal Mortier marche sur Anklam, Rostock et la Poméranie suédoise, après avoir pris possession des villes Anséatiques. La reddition d'Hameln a été accompagnée d'événemens assez étranges. Outre la garnison destinée à la défense de cette place, quelques bataillons prussiens paraissent s'y être réfugiés après la bataille du 14. L'anarchie régnait dans cette nombreuse garnison. Les officiers étaient insubordonnés contre les généraux, et les soldats contre les officiers. A peine la capitulation était-elle signée, que le général Savary reçut une lettre du général Von Schoeler, à laquelle il répondit. Pendant ce temps la garnison était insurgée, et le premier acte de la sédition fut de courir aux magasins d'eaux-de-vie, de les enfoncer et d'en boire outre mesure. Bientôt animés par ces boissons spiritueuses, on se fusilla dans-les rues, soldats contre soldats, soldats contre officiers, soldats contre bourgeois; le désordre était extrême. Le général Von Schoeler envoya courrier sur courrier au général Savary, pour le prier de venir prendre possession de la place avant le moment fixé pour sa remise. Le général Savary accourut aussitôt, entra dans la ville à travers une grêle de balles, fit filer tous les soldats de la garnison par une porte, et les parqua dans une prairie. Il assembla ensuite les officiers, leur fit connaître que ce qui arrivait était un effet de la mauvaise discipline, leur fit signer leur cartel, et rétablit l'ordre dans la ville. On croit que dans le tumulte, il y a eu plusieurs bourgeois.




Posen, le 1er décembre 1806.

Trente-sixième bulletin de la grande armée.

Le quartier-général du grand-duc de Berg était le 27 à Lowiez. Le général Benigsen, commandant l'armée russe, espérant empêcher les Français d'entrer à Varsovie, avait envoyé une avant-garde border la rivière de Bsura. Les avant-postes se rencontrèrent dans la journée du 26; les Russes furent culbutés. Le général Beaumont passa la Bsura à Lowiez, rétablit le pont, tua ou blessa plusieurs hussards russes, fit prisonniers plusieurs cosaques, et les poursuivit jusqu'à Blonic. Le 27, quelques coups de sabre furent donnés entre les grand'-gardes de cavalerie; les Russes furent poursuivis; on leur fit quelques prisonniers. Le 28, à la nuit tombante, le grand-duc de Berg, avec sa cavalerie, entra à Varsovie. Le corps du maréchal Davoust y est entré le 29. Les Russes avaient repassé la Vistule en brûlant le pont. Il est difficile de peindre l'enthousiasme des Polonais. Notre entrée dans cette grande ville était un triomphe, et les sentimens que les Polonais de toutes les classes montrent depuis notre arrivée ne sauraient s'exprimer. L'amour de la patrie et le sentiment national sont non-seulement conservés eu entier dans le coeur du peuple, mais il a été retrempé par le malheur; sa première passion, son premier désir est de redevenir nation. Les plus riches sortent de leurs châteaux pour venir demander à grands cris le rétablissement de la nation, et offrir leurs enfans, leur fortune, leur influence. Ce spectacle est vraiment touchant. Déjà ils ont partout repris leur ancien costume, leurs anciennes habitudes. Le trône de Pologne se rétablira-t-il, et cette grande nation reprendra-t-elle son existence et son indépendance? Du fond du tombeau renaîtra-t-elle à la vie? Dieu seul, qui tient dans ses mains les combinaisons de tous les événemens, est l'arbitre de ce grand problème politique; mais certes il n'y eut jamais d'événement plus mémorable, plus digne d'intérêt, et, par une correspondance de sentimens qui fait l'éloge des Français, des traînards qui avaient commis quelque excès dans d'autres pays, ont été touchés du bon accueil du peuple, et n'ont eu besoin d'aucun effort pour se bien comporter. Nos soldats trouvent que les solitudes de la Pologne contrastent avec les campagnes riantes de leur patrie; mais ils ajoutent aussitôt: Ce sont de bonnes gens que les Polonais. Ce peuple se montre vraiment sous des couleurs intéressantes.




Au quartier impérial de Posen, le 2 décembre 1806.

Proclamation à la grande armée.

Soldats!

Il y a aujourd'hui un an, à cette heure même, que vous étiez sur le champ mémorable d'Austerlitz. Les bataillons russes, épouvantés, fuyaient en déroute, ou, enveloppés, rendaient les armes à leurs vainqueurs. Le lendemain ils firent entendre des paroles de paix; mais elles étaient trompeuses. A peine échappés par l'effet d'une générosité peut-être condamnable, aux désastres de la troisième coalition, ils en ont ourdi une quatrième. Mais l'allié, sur la tactique duquel ils fondaient leur principale espérance, n'est déjà plus. Ses places fortes, ses capitales, ses magasins, ses arsenaux, deux cent quatre-vingts drapeaux, sept cents pièces de bataille, cinq grandes places de guerre, sont en notre pouvoir. L'Oder, la Wartha, les déserts de la Pologne, les mauvais temps de la saison n'ont pu vous arrêter un moment. Vous avez tout bravé, tout surmonté; tout a fui à votre approche. C'est en vain que les Russes ont voulu défendre la capitale de cette ancienne et illustre Pologne; l'aigle française plane sur la Vistule. Le brave et infortuné Polonais, en vous voyant, croit revoir les légions de Sobieski, de retour de leur mémorable expédition.

Soldats, nous ne déposerons point les armes que la paix générale n'ait affermi et assuré la puissance de nos alliés, n'ait restitué à notre commerce sa liberté et ses colonies. Nous avons conquis sur l'Elbe et l'Oder, Pondichery, nos établissemens des Indes, le cap de Bonne-Espérance et les colonies espagnoles. Qui donnerait le droit de faire espérer aux Russes de balancer les destins? Qui leur donnerait le droit de renverser de si justes desseins? Eux et nous ne sommes-nous pas les soldats d'Austerlitz?»

NAPOLÉON.




De notre camp impérial de Posen, le 2 décembre 1806.

Ordre du jour.

Napoléon, empereur des Français et roi d'Italie,

Avons décrété et décrétons ce qui suit:

Art. 1er. Il sera établi sur l'emplacement de la Madelaine de notre bonne ville de Paris, aux frais du trésor et de notre couronne, un monument dédié à la grande armée, portant sur le frontispice: L'empereur Napoléon aux soldats de la grande armée.

2. Dans l'intérieur du monument seront inscrits, sur des tables de marbre, les noms de tous les hommes, par corps d'armée et par régiment, qui ont assisté aux batailles d'Ulm, d'Austerlitz et de Jena; et sur des tables d'or massif, les noms de tous ceux qui sont morts sur les champs de bataille. Sur des tables d'argent sera gravée la récapitulation, par département, des soldats que chaque département a fournis à la grande armée.

3. Autour de la salle seront sculptés des bas-reliefs où seront représentés les colonels de chacun des régimens de la grande armée avec leurs noms; ces bas-reliefs seront faits de manière que les colonels soient groupés autour de leurs généraux de division et de brigade par corps d'armée. Les statues en marbre des maréchaux qui ont commandé des corps ou qui ont fait partie de la grande armée, seront placées dans l'intérieur de la salle.

3. Les armures, statues, monumens de toutes espèces, enlevés par la grande armée dans ces deux campagnes; les drapeaux, étendards et tymbales conquis par la grande armée, avec les noms des régimens ennemis auxquels ils appartenaient, seront déposés dans l'intérieur du monument.

5. Tous les ans, aux anniversaires des batailles d'Austerlitz et de Jena, le monument sera illuminé, et il sera donné vu concert, précédé d'un discours sur les vertus nécessaires au soldat, et d'un éloge de ceux qui périrent sur le champ de bataille dans ces journées mémorables. Un mois avant, un concours sera ouvert pour recevoir la meilleure pièce de musique analogue aux circonstances. Une médaille d'or de cent cinquante doubles Napoléons, sera donnée aux auteurs de chacune de ces pièces qui auront remporté le prix. Dans les discours et odes, il est expressément défendu de faire aucune mention de l'empereur.

6. Notre ministre de l'intérieur ouvrira sans délai un concours d'architecture pour choisir le meilleur projet pour l'exécution de ce monument. Une des conditions du prospectus sera de conserver la partie du bâtiment de la Madelaine qui existe aujourd'hui, et que la dépense ne dépasse pas trois millions. Une commission de la classe des beaux-arts de notre institut sera chargée de faire un rapport à notre ministre de l'intérieur, avant le mois de mars 1807, sur les projets soumis au concours. Les travaux commenceront le 1er mai, et devront être achevés avant l'an 1809. Notre ministre de l'intérieur sera chargé de tous les détails relatifs à la construction du monument, et le directeur-général de nos musées, de tous les détails des bas-reliefs, statues et tableaux.

7. Il sera acheté cent mille francs de rente en inscriptions sur le grand-livre, pour servir à la dotation du monument et à son entretien annuel.

8. Une fois le monument construit, le grand-conseil de la légion d'honneur sera spécialement chargé de sa garde, de sa conservation, et de tout ce qui est relatif au concours annuel.

9. Notre ministre de l'intérieur et l'intendant des biens de notre couronne, sont chargés de l'exécution du présent décret.

NAPOLÉON.




Posen, le 2 décembre 1806.

Trente-Septième bulletin de la grande armée.

Le fort de Czentoschau a capitulé. Six cents hommes qui en formaient la garnison, trente bouches à feu, des magasins sont tombés en notre pouvoir. Il y a un trésor formé de beaucoup d'objets précieux, que la dévotion des Polonais avait offerts à une image de la vierge, qui est regardée comme la patronne de la Pologne. Ce trésor avait été mis sous le séquestre, mais l'empereur a ordonné qu'il fût rendu. La partie de l'armée qui est à Varsovie continue à être satisfaite de l'esprit qui anime cette grande capitale. La ville de Posen a donné aujourd'hui un bal à l'empereur. S.M. y a passé une heure. Il y a eu aujourd'hui un Te Deum pour l'anniversaire du couronnement de l'empereur.




Posen, le 5 décembre 1806.

Trente-huitième bulletin de la grande armée.

Le prince Jérôme, commandant l'armée des alliés, après avoir resserré le blocus de Glogau et fait construire des batteries autour de cette place, se porta avec les divisions bavaroises, Wrede et Deroi, du côté de Kalistch à la rencontre des Russes, et laissa le général Vandamme et le corps wurtembergeois continuer le siége de Glogau. Des mortiers et plusieurs pièces de canon arrivèrent le 29 novembre. Ils furent sur-le-champ mis en batterie, et après quelques heures de bombardement, la place s'est rendue, et la capitulation a été signée.

Les troupes alliées du roi de Wurtemberg se sont bien montrées. Deux mille cinq cents hommes, des magasins assez considérables de biscuits, de blé, de poudre, près de deux cents pièces de canon sont les résultats de cette conquête importante, surtout par la bonté de ses fortifications et par sa situation. C'est la capitale de la basse Silésie. Les Russes ayant refusé la bataille devant Varsovie, ont repassé la Vistule. Le grand-duc de Berg l'a passée après eux; il s'est emparé du faubourg de Praga. Il les poursuit sur le Bug. L'empereur a donné en conséquence l'ordre au prince Jérôme, de marcher par sa droite sur Breslaw, et de cerner cette place, qui ne tardera pas de tomber en notre pouvoir. Les sept places de la Silésie seront successivement attaquées et bloquées. Vu le moral des troupes qui s'y trouvent, aucune ne fait présumer une longue résistance. Le petit fort de Culmbach, nommé Plassembourg, avait été bloqué par un bataillon bavarois: muni de vivres pour plusieurs mois, il n'y avait pas de raison pour qu'il se rendît. L'empereur a fait préparer à Cronach et à Forcheim des pièces d'artillerie pour battre ce fort et l'obliger à se rendre. Le 24 novembre, vingt-deux pièces étaient en batterie, ce qui a décidé le commandant à livrer la place. M. de Beker, colonel du sixième régiment d'infanterie de ligne Bavarois, et commandant le blocus, a montré de l'activité et du savoir-faire dans cette circonstance. L'anniversaire de la bataille d'Austerlitz et du couronnement de l'empereur, a été célébré à Varsovie avec le plus grand enthousiasme.




Posen, le 7 décembre 1806.

Trente-neuvième bulletin de la grande armée.

Le général Savary, après avoir pris possession d'Hameln, s'est porté sur Nienbourg. Le gouverneur faisait des difficultés pour capituler. Le général Savary entra dans la place, et après quelques pourparlers, il conclut la capitulation. Un courrier vient d'arriver, apportant la nouvelle à l'empereur que les Russes ont déclaré la guerre à la Porte; que Choczin et Bender sont cernés par leurs troupes, qu'ils ont passé à l'improviste le Dniester, et poussé jusqu'à Jassy. C'est le général Michelson qui commande l'armée russe en Valachie. L'armée russe, commandée par le général Benigsen, a évacué la Vistule, et paraît décidée à s'enfoncer dans les terres. Le maréchal Davoust a passé la Vistule, et a établi son quartier-général en avant de Praga; ses avant-postes sont sur le Bug. Le grand-duc de Berg est toujours à Varsovie. L'empereur a toujours son quartier-général à Posen.




Posen, le 9 décembre 1806.

Quarantième bulletin de la grande armée.

Le maréchal Ney a passé la Vistule, et est entré le 6 à Thorn. Il se loue particulièrement du colonel Savary, qui, à la tête du quatorzième régiment d'infanterie, et des grenadiers et voltigeurs du quatre-vingt-seizième et du sixième d'infanterie légère, passa le premier la Vistule. Il eut à Thorn un engagement avec les Prussiens, qu'il força, après un léger combat, d'évacuer la ville. Il leur tua quelques hommes et leur fit vingt prisonniers.

Cette affaire offre un trait remarquable. La rivière large de quatre cents toises, charriait des glaçons. Le bateau qui portait notre avant-garde, retenu par les glaces, ne pouvait avancer; de l'autre rive, des bateliers polonais s'élancèrent au milieu d'une grêle de balles pour le dégager. Les bateliers prussiens voulurent s'y opposer: une lutte à coups de poing s'engagea entre eux. Les bateliers polonais jetèrent les prussiens à l'eau, et guidèrent nos bateaux jusqu'à la rive droite. L'empereur a demandé le nom de ces braves gens pour les récompenser.

L'empereur a reçu aujourd'hui la députation de Varsovie, composée de MM. Gutakouski, grand-chambellan de Lithuanie, chevalier des ordres de Pologne; Gorzenski, lieutenant-général, chevalier des ordres de Pologne; Lubienski, chevalier des ordres de Pologne; Alexandre Potocki; Rzetkowki, chevalier de l'ordre de Saint-Stanislas; Luszewki.




Posen, le 14 décembre 1806.

Quarante-unième bulletin de la grande armée.

Le général de brigade Belair, du corps du maréchal Ney, partit de Thorn le 9 de ce mois, et se porta sur Galup. Le sixième, bataillon d'infanterie légère et le chef d'escadron Schoeni, avec soixante hommes du troisième de hussards, rencontrèrent un parti de quatre cents chevaux ennemis. Ces deux avant-postes en vinrent aux mains. Les Prussiens perdirent un officier et cinq dragons faits prisonniers, et eurent trente hommes tués, dont les chevaux restèrent en notre pouvoir. Le maréchal Ney se loue beaucoup du chef d'escadron Schoeni. Nos avant-postes de ce côté arrivent jusqu'à Strasbourg.

Le 11, à six heures du matin, la canonnade se fît entendre du côté du Bug. Le maréchal Davoust avait fait passer cette rivière au général de brigade Gauthier, à l'embouchure de la Wrka, vis-à-vis le village d'Okunin.

Le vingt-cinquième de ligne et le quatre-vingt-neuvième étant passés, s'étaient déjà couverts par une tête de pont, et s'étaient portés une demi-lieue en avant, au village de Pomikuwo, lorsqu'une division russe se présenta pour enlever ce village; elle ne fit que des efforts inutiles, fut repoussée, et perdit beaucoup de monde. Nous avons eu vingt hommes tué ou blessés.

Le pont de Thorn, qui est sur pilotis, est rétabli; on relève les fortifications de cette place. Le pont de Varsovie, au faubourg de Praga, est terminé; c'est un pont de bateaux. On fait au faubourg de Praga un camp retranché; le général du génie Chasseloup dirige en chef ces travaux.

Le 10, le maréchal Augereau a passé la Vistule entre Zakroczym et Utrata. Ses détachemens travaillent sur la rive droite à se couvrir par des retranchemens. Les Russes paraissent avoir des forces à Pultusk.

Le maréchal Bessières débouche de Thorn avec le second corps de la réserve de cavalerie, composé de la division de cavalerie légère du général Tilly, des dragons des généraux Grouchy et Sahuc, et des cuirassiers du général d'Hautpoult.

MM. de Lucchesini et de Zastrow, plénipotentiaires du roi de Prusse, ont passé le 10 à Thorn pour se rendre à Koenigsberg auprès de leur maître.

Un bataillon prussien de Klock a déserté tout entier du village de Brok. Il s'est dirigé par différens chemins sur nos postes. Il est composé en partie de Prussiens et de Polonais. Tous sont indignés du traitement qu'ils reçoivent des Russes. «Notre prince nous a vendus aux Russes, disent-ils; nous ne voulons point aller avec eux.»

L'ennemi a brûlé les beaux faubourgs de Breslaw, beaucoup de femmes et d'enfans ont péri dans cet incendie. Le prince Jérôme a donné des secours à ces malheureux habitans. L'humanité l'a emporté sur les lois de la guerre qui ordonnent de repousser dans une place assiégée les bouches inutiles que l'ennemi veut en éloigner. Le bombardement était commencé.

Le général Gouvion est nommé gouverneur de Varsovie.




Posen, le 15 décembre 1806.

Quarante-deuxième bulletin de la grande armée.

Le pont sur la Narew, à son embouchure dans le Bug, est terminé. La tête de pont est finie et armée de canons.

Le pont sur la Vistule, entre Zakroczym et Utrata, auprès de l'embouchure du Bug, est également terminé. La tête de pont, armée d'un grand nombre de batteries, est un ouvrage très-redoutable.

Les armées russes viennent sur la direction de Grodno et sur celle de Bielk, en longeant la Narew et le Bug. Le quartier-général d'une de leurs divisions, était le 10 à Pultusk sur la Narew.

Le général Dulauloi est nommé gouverneur de Thorn.

Le huitième corps de la grande armée, que commande le maréchal Mortier, s'avance; il a sa droite à Stettin, sa gauche à Rostock, et son quartier-général à Anklain. Les grenadiers de la réserve du général Oudinot arrivent à Custrin.

La division des cuirassiers, nouvellement formée sous le commandement du général Espagne, arrive à Berlin. La division italienne du général Lecchi se réunit à Magdebourg.

Le corps du grand-duc de Bade est à Stettin; sous quinze jours il pourra entrer en ligne. Le prince héréditaire a constamment suivi le quartier-général, et s'est trouvé à toutes les affaires.

Le division polonaise de Zayonschek, qui a été organisée à Haguenau, et qui est forte de six mille hommes, est à Leipsick, pour y former son habillement.

S.M. a ordonné de lever dans les états prussiens au-delà de l'Elbe, un régiment qui se réunira à Munster. Le prince de Hohenzollern-Sigmaringen est nommé colonel de ce corps.

Une division de l'armée de réserve du général Kellermann est partie de Mayence. La tête de cette division est déjà arrivée à Magdebourg.

La paix avec l'électeur de Saxe et le duc de Saxe-Weimar a été signée à Posen.

Tous les princes de Saxe ont été admis dans la confédération du Rhin.

S.M. a désapprouvé la levée des contributions frappées sur les Etats de Saxe-Gotha et Saxe-Meinungen, et a ordonné de restituer ce qui a été perçu. Ces princes n'ayant point été en guerre avec la France, et n'ayant point fourni de contingent à la Prusse, ne devaient point être sujets à des contributions de guerre.

L'armée a pris possession du pays de Mecklembourg. C'est une suite du traité signé à Schwerin le 25 octobre 1805. Par ce traité, le prince de Mecklembourg avait accordé passage sur son territoire aux troupes russes commandées par le général Tolstoy.

La saison étonne les habitans de la Pologne. Il ne gèle point. Le soleil parait tous les jours, et il fait encore un temps d'automne.

L'empereur part cette nuit pour Varsovie.




Kutno, le 17 décembre 1806.

Quarante-troisième bulletin de la grande armée.

L'empereur est arrivé à Kutno à une heure après midi, ayant voyagé toute la nuit dans des calèches du pays, le dégel ne permettant pas de se servir de voitures ordinaires. La calèche dans laquelle se trouvait le grand-maréchal du palais, Duroc, a versé. Cet officier a été grièvement blessé à l'épaule, sans cependant aucune espèce de danger. Cela l'obligera à garder le lit huit à dix jours.

Les têtes de pont de Prag, de Zakroczym, de la Narew et de Thorn, acquièrent tous les jours un nouveau degré de force.

L'empereur sera demain à Varsovie.

La Vistule étant extrêmement large, les ponts ont partout trois à quatre cents toises; ce qui est un travail très-considérable.




Varsovie, le 21 décembre 1806.

Quarante-quatrième bulletin de la grande armée.

L'empereur a visité hier les travaux de Prag. Huit belles redoutes palissadées et fraisées, ferment une enceinte de quinze mille toises, et trois fronts bastionnés de six cents toises de développement, forment le réduit d'un camp retranché.

La Vistule est une des plus grandes rivières qui existent.

Le Bug, qui est comparativement beaucoup plus petit, est cependant beaucoup plus fort que la Seine. Le pont sur ce dernier fleuve est entièrement terminé. Le général Gauthier, avec les vingt-cinquième et quatre-vingt-cinquième régimens d'infanterie, occupe la tête du pont, que le général Chasseloup a fait fortifier avec intelligence; de manière que cette tête de pont, qui n'a cependant que quatre cents toises de développement, se trouvant appuyée à des marais et à la rivière, entoure un camp retranché qui peut renfermer, sur la rive droite, toute une armée à l'abri de toute attaque de l'ennemi. Une brigade de cavalerie légère de la réserve a tous les jours de petites escarmouches avec la cavalerie russe.

Le 18, le maréchal Davoust sentit la nécessité, pour rendre son camp sur la rive droite meilleur, de s'emparer d'une petite île située à l'embouchure de la Wrka. L'ennemi reconnut l'importance de ce poste. Une vive fusillade d'avant-garde s'engagea, mais la victoire et l'île, restèrent aux Français. Notre perte a été de peu d'hommes blessés. L'officier de génie Clouet, jeune homme de la plus grande espérance, a eu une balle dans la poitrine. Le 19, un régiment de cosaques, soutenu par des hussards russes, essaya d'enlever la grand'garde de la brigade de cavalerie légère placée en avant de la tête du pont du Bug; mais la grand'garde s'était placée de manière à être à l'abri d'une surprise. Le 1er d'hussards sonna à cheval. Le colonel se précipita à la tête d'un escadron, et le treizième s'avança pour le soutenir. L'ennemi fut culbuté. Nous avons eu dans cette petite affaire trois ou quatre hommes blessés, mais le colonel des cosaques a été tué. Une trentaine d'hommes et vingt-cinq chevaux sont restés en notre pouvoir. Il n'y a rien de si lâche et de si misérable que les cosaques; c'est la honte de la nature humaine. Ils passent le Bug et violent chaque jour la neutralité de l'Autriche, pour piller une maison en Galicie, ou pour se faire donner un verre d'eau-de-vie, dont ils sont très-friands; mais notre cavalerie légère est familiarisée, depuis la dernière campagne, avec la manière de combattre ces misérables, qui peuvent arrêter par leur nombre et le tintamarre qu'ils font en chargeant, des troupes qui n'ont pas l'habitude de les voir, mais, quand on les connaît, deux mille de ces malheureux ne sont pas capables de charger un escadron qui les attend de pied ferme.

Le maréchal Augereau a passé la Vistule à Utrata. Le général Lapisse est entré à Plousk, et en a chassé l'ennemi.

Le maréchal Soult a passé la Vistule à Vizogrod.

Le maréchal Bessières est arrivé le 18 à Kikol avec le second corps de réserve de cavalerie. La tête est arrivée à Siepez, Différentes rencontres de cavalerie avaient eu lieu avec des hussards prussiens, dont bon nombre a été pris. La rive droite de la Vistule se trouve entièrement nettoyée.

Le maréchal Ney, avec son corps d'armée, appuie le maréchal Bessières. Il était arrivé le 18 à Rypin. Il avait lui-même sa droite appuyée par le maréchal prince de Ponte-Corvo.

Tout se trouve donc en mouvement. Si l'ennemi persiste à rester dans sa position, il y aura une bataille dans peu de jours. Avec l'aide de Dieu, l'issue n'en peut être incertaine. L'armée russe est commandée par le maréchal Kamenskoy, vieillard de soixante-quinze ans. Il a sous lui les généraux Benigsen et Buxhowden.

Le général Michelson est décidèrent entré en Moldavie. Des rapports assurent qu'il est entré le 29 novembre à Yassi. On assuré même qu'un de ses généraux a pris d'assaut Bender, et a tout passé au fil de l'épée. Voilà donc une guerre déclarée à la Porte sans prétexte ni raison; mais on avait jugé à Saint-Pétersbourg que le moment où la France et la Prusse, les deux puissances les plus intéressées à maintenir l'indépendance de la Turquie, étaient aux mains, devenait le moment favorable pour assujettir cette puissance. Les événemens d'un mois ont déconcerté ces calculs, et la Porte leur devra sa conservation.

Le grand-duc de Berg est malade de la fièvre. Il va mieux. Le temps est doux comme à Paris au mois d'octobre, et humide, ce qui rend les chemins difficiles. On est parvenu à se procurer une assez grande quantité de vin pour soutenir la force du soldat.

Le palais des rois de Pologne est beau et bien meublé. Il y a à Varsovie un grand nombre de beaux palais et de belles maisons. Nos hôpitaux y sont bien établis, ce qui n'est pas un petit avantage dans ce pays. L'ennemi paraît avoir beaucoup de malades; il a aussi beaucoup de déserteurs. On ne parle pas des Prussiens, car même des colonnes entières ont déserté pour ne pas être, sous les Russes, obligés de dévorer de continuels affronts.




Haluski, le 27 décembre 1806.

Quarante-cinquième bulletin de la grande armée.

Le général russe Benigsen commandait une armée que l'on évaluait à soixante mille hommes. Il avait d'abord le projet de couvrir Varsovie, mais la renommée des événemens qui s'étaient passés en Prusse lui porta conseil, et il prit le parti de se retirer sur la frontière russe. Sans presque aucun engagement, les armées françaises entrèrent dans Varsovie, passèrent la Vistule et occupèrent Prag. Sur ces entrefaites, le feld-maréchal Kaminski arriva à l'armée russe au moment même où la jonction du corps de Benigsen avec celai de Buxhowden, s'opérait. Il s'indignait de la marche rétrograde des Russes. Il crut qu'elle compromettait l'honneur des armes de sa nation, et il marcha en avant. La Prusse faisait instances sur instances, se plaignant qu'on l'abandonnait après lui avoir promis de la soutenir, et disant que le chemin de Berlin n'était ni par Grodno, ni par Olita, ni par Brezsc; que ses sujets se désaffectionnaient; que l'habitude de voir le trône de Berlin occupé par des Français était dangereuse pour elle et favorable à l'ennemi. Non-seulement le mouvement rétrograde des Russes cessa, mais ils se reportèrent en avant. Le 5 décembre, le général Benigsen rétablit son quartier-général à Pultusk. Les ordres étaient d'empêcher les Français de passer la Narew, de reprendre Prag, et d'occuper la Vistule jusqu'au moment où l'on pourrait effectuer des opérations offensives d'une plus grande importance.

La réunion, des généraux Kaminski, Buxhowden et Benigsen, fut célébrée au château de Sierock par des réjouissances et des illuminations, qui furent aperçues du haut des tours de Varsovie.

Cependant, au moment même où l'ennemi s'encourageait par des fêtes, la Narew se passait; huit cents Français jetés de l'autre côté de cette rivière, à l'embouchure de la Wrka, s'y retranchèrent cette même nuit; et lorsque l'ennemi se présenta le matin pour, les rejeter dans la rivière, il n'était plus temps; ils se trouvaient à l'abri de tout événement.

Instruit de ce changement survenu dans les opérations de l'ennemi, l'empereur partit de Posen le 16. Au même moment, il avait mis en mouvement son armée. Tout ce qui revenait des discours des Russes faisait comprendre qu'ils voulaient reprendre l'offensive.

Le maréchal Ney était depuis plusieurs jours maître de Thorn. Il réunit son corps d'armée à Gallup. Le maréchal Bessières, avec le deuxième corps de la cavalerie de la réserve, composé des divisions de dragons des généraux Sahuc et Grouchy, et de la division des cuirassiers d'Hautpoult, partit de Thorn pour se porter sur Biezan. Le maréchal prince de Ponte-Corvo partit avec son corps d'armée pour le soutenir. Le maréchal Soult passait la Vistule vis à vis de Plock, le maréchal Augereau la passait vis à vis de Zakroczym, où l'on travaillait à force à établir un pont. Celui de la Narew se poussait aussi vivement.

Le 22, le pont de la Narew fut terminé. Toute la réserve de cavalerie passa sur-le-champ la Vistule à Prag, pour se rendre sur la Narew. Le maréchal Davoust y réunit tout son corps. Le 23, à une heure du matin, l'empereur partit de Varsovie, et passa la Narew à neuf heures. Après avoir reconnu l'Wrka et les retranchemens considérables qu'avait élevés l'ennemi, il fit jeter un pont au confluent de la Narew et de l'Wrka. Ce pont fut jeté en deux heures par les soins du général d'artillerie.

Combat de nuit de Czarnowo.

La division Morand passa sur-le-champ pour aller s'emparer des retranchemens de l'ennemi près du village de Czarnowo. Le général de brigade Marulaz la soutenait avec sa cavalerie légère. La division de dragons du général Beaumont passa immédiatement après. La canonnade s'engagea à Czarnowo. Le maréchal Davoust fît passer le général Petit avec le douzième de ligne pour enlever les redoutes du pont. La nuit vint, on dut achever toutes les opérations au clair de la lune; et a deux heures du matin, l'objet que se proposait l'empereur fut rempli. Toutes les batteries du village de Czarnowo furent enlevées; celles du pont furent prises; quinze mille Hommes qui les défendaient furent mis en déroute, malgré leur vive résistance.

Quelques prisonniers et six pièces de canon restèrent en notre pouvoir. Plusieurs généraux ennemis furent blesses. De notre côté, le général de brigade Boussard a été légèrement blessé. Nous avons eu peu de morts, mais près de deux cents blessés. Dans le même temps, à l'autre extrémité de la ligne d'opérations, le maréchal Ney culbutait les restes de l'armée prussienne, et les jetait dans les bois de Lauterburg, en leur faisant éprouver une perte notable. Le maréchal Bessières avait une brillante affaire de cavalerie, cernait trois escadrons de hussards qu'il faisait prisonniers, et enlevait plusieurs pièces de canon.

Combat de Nasielsk.

Le 24, la réserve de cavalerie et le corps du maréchal Davoust se dirigèrent sur Nasielsk. L'empereur donna le commandement de l'avant-garde au général Rapp. Arrivé à une lieue de Nasielsk, on rencontra l'avant-garde ennemie.

Le générai Lemarrois partit avec deux régimens de dragons, pour tourner un grand bois et cerner celle avant-garde. Ce mouvement, fut exécuté avec promptitude. Mais l'avant-garde ennemie, voyant l'armée française ne faire aucun mouvement pour avancer, soupçonna quelque projet et ne tint pas. Cependant il se fît quelques charges, dans l'une desquelles fut pris le major Ourvarow, aide-de-camp de l'empereur de Russie. Immédiatement après, un détachement arriva sur la petite ville de Nasielsk. La canonnade devint vive. La position de l'ennemi était bonne; il était retranché par des marais et des bois. Le maréchal Kaminski commandait lui-même. Il croyait pouvoir passer la nuit dans cette position, en attendant que d'autres colonnes vinssent le joindre. Vain calcul; il en fut chassé, et mené tambour battant pendant plusieurs lieues. Quelques généraux russes furent blessés, plusieurs colonels faits prisonniers, et plusieurs pièces de canon prises. Le colonel Beker, du huitième régiment de dragons, brave officier, a été blesse mortellement.

Passage de Wrka

Au même moment, le général Nansouty, avec la division Klein et une brigade de cavalerie légère, culbutait, en avant de Kursomb, les cosaques et la cavalerie ennemie, qui avait passé l'Wrka sur ce point, et traversait là cette rivière. Le septième corps d'armée, que commande le maréchal Augereau, effectuait son passage de l'Wrka à Kursomb, et culbutait les quinze mille hommes qui la défendaient. Le passage du pont fut brillant. Le quatorzième de ligne l'exécuta en colonnes serrées, pendant que le seizième d'infanterie légère établissait une vive fusillade sur la rive droite. A peine le quatorzième eut-il débouché du pont, qu'il essuya une charge de cavalerie, qu'il soutint avec l'intrépidité ordinaire à l'infanterie française; mais un malheureux lancier pénétra jusqu'à la tête du régiment, et vint percer d'un coup de lance le colonel qui tomba raide mort. C'était un brave soldat; il était digne de commander un si brave corps. Le feu à bout portant qu'exécuta son régiment, et qui mit la cavalerie ennemie dans le plus grand désordre, fut le premier des honneurs rendus à sa mémoire.

Le 25, le troisième corps, que commande le maréchal Davoust, se porta à Tykoczyn, où s'était retiré l'ennemi. Le cinquième corps commandé par le maréchal Lannes, se dirigeait sur Pultusk, avec la division de dragons Beker.

L'empereur se porta, avec la plus grande partie de la cavalerie de réserve, à Ciechanow.

Passage de la Sonna.

Le général Gardanne, que l'empereur avait envoyé avec trente hommes de sa garde pour reconnaître les mouvemens de l'ennemi, rapporta qu'il passait la rivière de Sonna à Lopackzin, et se dirigeait sur Tykoczyn.

Le grand-duc de Berg, qui était resté malade a Varsovie, n'avait pu résister à l'impatience de prendre part aux événemens qui se préparaient. Il partit de Varsovie et vint rejoindre l'empereur. Il prit deux escadrons des chasseurs de la garde pour observer les mouvemens de la colonne ennemie. Les brigades de cavalerie légère de la réserve, et les divisions Klein et Nansouty, pressèrent le pas pour le joindre. Arrivé au pont de Lopackzin, il trouva un régiment de hussards russes, qui le gardait. Ce régiment fut aussitôt chargé par les chasseurs de la garde, et culbuté dans la rivière, sans autre perte de la part des chasseurs, qu'un maréchal-des-logis blessé.

Cependant la moitié de cette colonne n'avait pas encore passé; elle passait plus haut. Le grand-duc de Berg la fît charger par le colonel Dalhmann, à la tête des chasseurs de la garde, qui lui prit trois pièces de canon, après avoir mis plusieurs escadron en déroute.

Tandis que la colonne que l'ennemi avait si imprudemment jetée sur la droite, cherchait à gagner la Narew, pour arriver à Tykoczyn, point de rendez-vous, Tykoczyn était occupé par le maréchal Davoust, qui y prit deux cents voitures de bagages et une grande quantité de traînards qu'on ramassa de tous côtés.

Toutes les colonnes russes sont coupées, errantes à l'aventure, dans un désordre difficile à imaginer. Le général russe a fait la faute de cantonner son armée, ayant sur ses flancs l'armée française, séparée, il est vrai, par la Narew, mais ayant un pont sur cette rivière. Si la saison était belle, on pourrait prédire que l'armée russe ne se retirerait pas et serait perdue sans bataille; mais dans une saison où il fait nuit à quatre heures, et où il ne fait jour qu'a huit, l'ennemi qu'on poursuit a toutes les chances pour se sauver, surtout dans un pays difficile et coupé de bois. D'ailleurs, les chemins sont couverts de quatre pieds de boue, et le dégel continue. L'artillerie ne peut faire plus de deux lieues dans un jour. Il est donc à prévoir que l'ennemi se retirera de la position fâcheuse où il se trouve, mais il perdra toute son artillerie, toutes ses voitures, tous ses bagages.

Voici quelle était, le 25 au soir, la position de l'armée française.

La gauche, composée des corps du maréchal prince de Ponte-Corvo et des maréchaux Ney et Bessières, marchant de Biézon sur la route de Grodno;

Le maréchal Soult arrivant a Ciechanow;

Le maréchal Augereau marchant sur Golymin;

Le maréchal Davoust entre Golymin et Pultusk;

Le maréchal Lannes à Pultusk.

Dans ces deux jours nous avons fait quinze à seize cents prisonniers, pris vingt-cinq à trente pièces de canon, trois drapeaux et un étendard.

Le temps est extraordinaire ici; il fait plus chaud qu'au mois d'octobre à Paris, mais il pleut, et dans un pays où il n'y a pas de chaussées, on est constamment dans la boue.




Golymin, le 28 décembre 1806.

Quarante-sixième bulletin de la grande armée.

Le maréchal Ney, chargé de manoeuvrer pour détacher le lieutenant-général prussien Lestocq de l'Wrka, déborder et menacer ses communications, et pour le couper des Russes, a dirigé ses mouvemens avec son habileté et son intrépidité ordinaires. Le 23, la division Marchand se rendit à Gurzno, Le 24, l'ennemi a été poursuivi jusqu'à Kunsbroch. Le 25, l'arrière garde de l'ennemi a été entamée. Le 26, l'ennemi s'étant concentré à Soldan et Mlawa, le maréchal Ney résolut de marcher à lui et de l'attaquer. Les Prussiens occupaient Soldan avec six mille hommes d'infanterie et un millier d'hommes de cavalerie; ils comptaient, protégés par les marais et les obstacles qui environnent cette ville, être à l'abri de toute attaque. Tous ces obstacles ont été surmontés par les soixante-neuvième et soixante-seizième. L'ennemi s'est défendu dans toutes les rues, et a été repoussé partout à coups de baïonnette. Le gênerai Lestocq, voyant le petit nombre de troupes qui l'avaient attaqué, voulut reprendre la ville. Il fit quatre attaques successives pendant la nuit, dont aucune ne réussit. Il se retira à Niedenbourg: six pièces de canon, quelques drapeaux, un assez bon nombre de prisonniers, ont été le résultât du combat de Soldan. Le maréchal Ney se loue du général Wonderveid, qui a été blessé. Il fait une mention particulière du colonel Brun, du soixante-neuvième, qui s'est fait remarquer par sa bonne conduite. Le même jour, le cinquante-neuvième a passé sur Lauterburg.

Pendant le combat de Soldan, le général Marchand, avec sa division, repoussait l'ennemi de Mlawa, où il eut un très-brillant combat.

Le maréchal Bessières, avec le second corps de la réserve de cavalerie, avait occupé Biézun dès le 19. L'ennemi reconnaissant l'importance de cette position, et sentant que la gauche de l'armée française voulait séparer les Prussiens des Russes, tenta de reprendre ce poste; ce qui donna lieu au combat de Biézun. Le 23, à huit heures, il déboucha par plusieurs routes. Le maréchal Bessières avait placé les deux seules compagnies d'infanterie qu'il avait, près du pont. Voyant l'ennemi venir en très-grande force, il donna ordre au général Grouchy de déboucher avec sa division. L'ennemi était déjà maître du village de Karmidjeu, et y avait jeté un bataillon d'infanterie.

Chargée par la division Grouchy, la ligne ennemie fut rompue. Cavalerie et infanterie prussienne, fortes de six mille hommes, ont été enfoncées et jetées dans les marais; cinq cents prisonniers, cinq pièces de canon, deux étendards, sont le résultat de cette charge. Le maréchal Bessières se loue beaucoup du général Grouchy, du général Rouget, et de son chef d'état-major le général Roussel. Le chef d'escadron Renié, du sixième régiment de dragons, s'est distingué. M. Launay, capitaine de la compagnie d'élite du même régiment, a été tué.

M. Bourreau, aide-de-camp du maréchal Bessières, a été blessé. Notre perte est, du reste, peu considérable. Nous avons eu huit hommes tués et une vingtaine de blessés. Les deux étendards ont été pris par le dragon Plet, du sixième régiment de dragons, et par le fourrier Jeuffroy, du troisième régiment.

S.M. désirant que le prince Jérôme eût occasion de s'instruire l'a fait appeler de Silésie. Ce prince a pris part à tous les combats qui ont eu lieu, et s'est trouvé souvent aux avant-postes.

S.M. a été satisfaite de la conduite de l'artillerie, pour l'intelligence et l'intrépidité qu'elle a montrées devant l'ennemi, soit dans la construction des ponts, soit pour faire marcher l'artillerie au milieu des mauvais chemins.

Le général Marulaz, commandant la cavalerie légère du troisième corps, le colonel Excelmans, du premier de chasseurs, et le général Petit, ont fait preuve d'intelligence et de bravoure.

S.M. a recommandé que dans les relations officielles des différentes affaires, on fît connaître un grand nombre de traits qui méritent de passer à la postérité; car c'est pour elle, et pour vivre éternellement dans sa mémoire, que le soldat français affronte tous les dangers et toutes les fatigues.

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