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Œuvres de Napoléon Bonaparte, Tome IV.

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Finckenstein, le 30 mai 1807.

Soixante-seizième bulletin de la grande armée.

Une belle corvette anglaise doublée en cuivre, de vingt-quatre canons, montée par cent vingt Anglais, et chargée de poudre et de boulets, s'est présentée pour entrer dans la ville de Dantzick. Arrivée à la hauteur de nos ouvrages, elle a été assaillie par une vive fusillade des deux rives, et obligée d'amener. Un piquet du régiment de Paris a sauté le premier à bord. Un aide-de-camp du général Kalkreuth, qui revenait du quartier-général russe, plusieurs officiers anglais ont été pris à bord.

Cette corvette s'appelle le Sans-Peur.

Indépendamment de cent vingt Anglais, il y avait soixante Russes sur ce bâtiment.

La perte de l'ennemi au combat de Weischelmunde du 15, a été plus forte qu'on ne l'avait d'abord pensé, une colonne russe qui avait longé la mer, ayant été passée au fil de la baïonnette. Compte fait, on a enterré treize cents cadavres russes.

Le 16, une division de sept mille Russes, commandée par le général Turkow, s'est portée de Broc sur le Bug, sur Pultusk, pour s'opposer à de nouveaux travaux qui avaient été ordonnés pour rendre plus respectable la tête de pont.

Ces ouvrages étaient défendus par six bataillons bavarois, commandés par le prince royal de Bavière.

L'ennemi a tenté quatre attaques. Dans toutes, il a été culbuté par les Bavarois, et mitraillé par les batteries des différens ouvrages.

Le maréchal Masséna évalue la perte de l'ennemi à trois cents morts et au double de blessés.

Ce qui rend l'affaire plus belle, c'est que les Bavarois étaient moins de quatre mille hommes.

Le prince royal se loue particulièrement du baron de Wreden, officier-général au service de Bavière, d'un mérite distingué. La perte des Bavarois a été de quinze hommes tués et de cent cinquante blessés.

Il y a autant de déraison dans l'attaque faite contre les ouvrages du général Lemarrois, dans la journée du 13, et dans l'attaque du 16 sur Pultusk, qu'il y en avait il y a six semaines, dans la construction de ce grand nombre de radeaux auxquels l'ennemi faisait travailler sur le Bug.

Le résultat a été que ces radeaux, qui avaient coûté six semaines de travail, ont été brûlés en deux heures, quand on l'a voulu, et que ces attaques successives contre des ouvrages bien retranchés et soutenus de bonnes batteries, leur ont valu des pertes considérables sans espoir de profit.

Il paraîtrait que ces opérations ont pour but d'attirer l'attention de l'armée française sur sa droite, mais les positions de l'armée française sont raisonnées sur toutes les bases et dans toutes les hypothèses, défensives comme offensives.

Pendant ce temps, l'intéressant siège de Dantzick continue à marcher. L'ennemi éprouvera un notable dommage en perdant cette place importante et les vingt mille hommes qui y sont renfermés.

Une mine a joué sur le Blockhausen et l'a fait sauter. On a débouché, sur le chemin couvert, par quatre amorces, et on exécute la descente du fossé.

L'empereur a passé aujourd'hui l'inspection du cinquième régiment provisoire. Les huit premiers ont subi leur incorporation.

On se loue beaucoup dans ces régimens des nouveaux conscrits génois, qui montrent de la bonne volonté et de l'ardeur.




Finckenstein, le 28 mai 1807.

Soixante-dix-septième bulletin de la grande armée.

Dantzick a capitulé. Cette belle place est en notre pouvoir. Huit cents pièces d'artillerie, des magasins de toute espèce, plus de cinq cents mille quintaux de grains, des caves considérables, de grands approvisionnemens de draps et d'épiceries, des ressources de toute espèce pour l'armée, et enfin une place forte du premier ordre appuyant notre gauche, comme Thorn appuie notre centre et Prag notre droite; tels sont les avantages obtenus pendant l'hiver et qui ont signalé les loisirs de la grande armée: c'est le premier, le plus beau fruit de la victoire d'Eylau. La rigueur de la saison, la neige qui a couvert nos tranchées, la gelée qui y a ajouté de nouvelles difficultés, n'ont pas été des obstacles pour nos travaux. Le maréchal Lefebvre a tout bravé; il a animé d'un même esprit les Saxons, les Polonais, les Badois, et les à fait marcher à son but. Les difficultés que l'artillerie a eues à vaincre étaient considérables. Cent bouches à feu, cinq à six cent milliers de poudre, une immense quantité de boulets ont été tirés de Stettin et des places de la Silésie. Il a fallu vaincre bien des difficultés de transport, mais la Vistule a offert un moyen facile et prompt. Les marins de la garde ont fait passer les bateaux sous le fort de Graudentz avec leur habileté et leur résolution ordinaires. Le général Chasseloup, le général Kirgener, le colonel Lacoste, et en général tous les officiers du génie ont servi de la manière la plus distinguée. Les sapeurs ont montré une rare intrépidité. Tout le corps d'artillerie commandé par le général Lariboissière a soutenu sa réputation. Le deuxième régiment d'infanterie légère, le douzième et les troupes de Paris, le général Schramm et le général Puthod se sont fait remarquer.

Un journal détaillé de ce siége sera rédigé avec soin. Il consacrera un grand nombre de faits de bravoure dignes d'être offerts comme exemples, et faits pour exciter l'enthousiasme et l'admiration.

Le 17, la mine fit sauter un blockhaus de la place d'armes du chemin couvert.

Le 19, la descente et le passage du fossé furent exécutés à sept heures du soir.

Le 21, le maréchal Lefebvre ayant tout préparé pour l'assaut, on y montait lorsque le colonel Lacoste, qui avait été envoyé le matin dans la place pour affaires de service, fit connaître que le général Kalkreuth demandait à capituler aux mêmes conditions qu'il avait autrefois accordées à la garnison de Mayence. On y consentit.

Le Hakelsberg aurait été enlevé d'assaut sans une grande perte, mais le corps de place était encore entier; un large fossé rempli d'eau courante offrait assez de difficultés pour que les assiégés prolongeassent leur défense pendant une quinzaine de jours. Dans cette situation, il a paru convenable de leur accorder une capitulation honorable.

Le 27, la garnison a défilé, le général Kalkreuth à sa tête.

Cette forte garnison, qui d'abord était de seize mille hommes, est réduite à neuf mille, et sur ce nombre, quatre mille ont déserté. Il y a même des officiers parmi les déserteurs. «Nous ne voulons pas, disent-ils, aller en Sibérie.» Plusieurs milliers de chevaux nous ont été remis; mais ils sont en fort mauvais état.

On dresse en ce moment les inventaires des magasins. Le général Rapp est nommé gouverneur de Dantzick.

Le lieutenant-général russe Kamenski, après avoir été battu le 15, s'était acculé sous les fortifications de Weischelmunde; il y est demeuré sans rien oser entreprendre, et il a été spectateur de la reddition de la place. Lorsqu'il a vu que l'on établissait des batteries à boulets rouges pour brûler ses vaisseaux, il est monté à bord et s'est retiré. Il est retourné à Pilau.

Le fort de Weischelmunde tenait encore. Le maréchal Lefebvre l'a fait sommer le 29, et pendant que l'on réglait la capitulation, la garnison est sortie du fort et s'est rendue. Le commandant, abandonné, s'est sauvé par mer, ainsi nous sommes maîtres de la ville et du port de Dantzick. Ces événemens sont d'un heureux présage pour la campagne. L'empereur de Russie et le roi de Prusse étaient à Heiligenberg. Ils ont pu conjecturer de la reddition de la place, par la cessation du feu. Le canon s'entendait jusque-là.

L'empereur, pour témoigner sa satisfaction à l'armée assiégeante, a accordé une gratification à chaque soldat.

Le siége de Graudentz commence sous le commandement du général Victor. Le général Lazowski commande le génie, et le général Danthouard l'artillerie. Graudentz est fort par sa grande quantité de mines.

La cavalerie de l'armée est belle. Les divisions de cavalerie légère, deux divisions de cuirassiers et une de dragons ont été passées en revue à Elbing, le 26, par le grand-duc de Berg. Le même jour, S.M. s'est rendue à Bischoffverder et à Strasburg, où elle a passé en revue la division de cuirassiers d'Hautpoult et la division de dragons du général Grouchy. Elle a été satisfaite de leur tenue et du bon état des chevaux.

L'ambassadeur de la Porte, Seid-Mohammed-Emen-Vahid, a été présenté le 28 à deux heures après-midi, par M. le prince de Bénévent, à l'empereur, auquel il a remis ses lettres de créance. Il est resté une heure dans le cabinet de S.M.; il est logé au château, et occupe l'appartement du grand-duc de Berg, absent pour la revue. On assure que l'empereur lui a dit que lui et l'empereur Sélim étaient désormais inséparables, comme la main droite et la main gauche. Toutes les bonnes nouvelles des succès d'Ismaïl et de Valachie venaient d'arriver. Les Russes ont été obligés de lever le siége d'Ismaïl et d'évacuer la Valachie.




De notre camp impérial de Finckenstein, le 28 mai 1807.

Lettre de S.M. aux archevêques et évêques de France.

«Monsieur l'évêque de .... après la mémorable victoire d'Eylau, qui a terminé la dernière campagne, l'ennemi, chassé à plus de quarante lieues de la Vistule, n'a pu porter aucun secours à la ville de Dantzick. Malgré la rigueur de la saison, nous en avons fait sur-le-champ commencer le siége. Après quarante jours de tranchée, cette importante place est tombée au pouvoir de nos armes. Tout ce que nos ennemis ont pu entreprendre pour la secourir, a été déjoué. La victoire a constamment suivi nos drapeaux. Des magasins immenses de subsistances et d'artillerie, une des villes les plus riches et les plus commerçantes du monde se trouvent par-là en notre pouvoir dès le début de la campagne. Nous ne pouvons attribuer des succès si prompts et si éclatans qu'à cette protection spéciale, dont la divine Providence nous a donné tant de preuves. Notre volonté est donc qu'au reçu de la présente, vous ayez à vous concerter avec qui de droit, et à réunir nos peuples pour adresser de solennelles actions de grâces au Dieu des armées, afin qu'il daigne continuer à favoriser nos armes et à veiller sur le bonheur de notre patrie. Que nos peuples prient aussi pour que ce cabinet persécuteur de notre sainte religion, tout autant qu'ennemi éternel de notre nation, cesse d'avoir de l'influence dans les cabinets du continent, afin qu'une paix solide et glorieuse, digne de nous et de notre grand peuple, console l'humanité, et nous mette à même de donner un plein essor à tous les projets que nous méditons pour le bien de la religion et de nos peuples. Cette lettre n'étant pas à autre fin, nous prions Dieu qu'il vous ait, monsieur l'évêque, en sa sainte garde.»

NAPOLÉON.




De notre camp impérial de Finckenstein, le 28 mai 1807.

Message de S.M. l'empereur et roi au sénat.

«Sénateurs, par nos décrets du 30 mars de l'année 1806, nous avons institué des duchés pour récompenser les grands services civils et militaires qui nous ont été ou qui nous seront rendus, et pour donner de nouveaux appuis à notre trône, et environner notre couronne d'un nouvel éclat.

«C'est à nous à songer à assurer l'état et la fortune des familles qui se dévouent entièrement à notre service, et qui sacrifient constamment leurs intérêts aux nôtres. Les honneurs permanens, la fortune légitime, honorable et glorieuse que nous voulons donner à ceux qui nous rendent des services éminens, soit dans la carrière civile, soit dans la carrière militaire, contrasteront avec la fortune illégitime, cachée, honteuse de ceux qui, dans l'exercice de leurs fonctions, ne chercheraient que leur intérêt, au lieu d'avoir en vue celui de nos peuples et le bien de notre service. Sans doute, la conscience d'avoir fait son devoir, et les biens attachés à notre estime, suffisent pour retenir un bon Français dans la ligne de l'honneur; mais l'ordre de notre société est ainsi constitué, qu'à des distinctions apparentes, à une grande fortune sont attachés une considération et un éclat dont nous voulons que soient environnés ceux de nos sujets grands par leurs talens, par leurs services, et par leur caractère, ce premier don de l'homme.

Celui qui nous a le plus secondé dans cette première journée de notre règne, et qui, après avoir rendu des services dans toutes les circonstances de sa carrière militaire, vient d'attacher son nom à un siége mémorable où il a déployé des talens et un brillant courage, nous a paru mériter une éclatante distinction. Nous avons voulu aussi consacrer une époque si honorable pour nos armes, et par les lettres-patentes dont nous chargeons notre cousin l'archi-chancelier de vous donner communication, nous avons créé notre cousin le maréchal et sénateur Lefebvre, duc de Dantzick. Que ce titre porté par ses descendans, leur retrace les vertus de leur père, et qu'eux-mêmes ils s'en reconnaissent indignes, s'ils préféraient jamais un lâche repos et l'oisiveté de la grande ville aux périls et à la noble poussière des camps, si jamais leurs premiers sentimens cessaient d'être pour la patrie et pour nous! Qu'aucun d'eux ne termine sa carrière sans avoir versé son sang pour la gloire et l'honneur de notre belle France; que dans le nom qu'ils portent, ils ne voient jamais un privilège, mais des devoirs envers nos peuples et envers nous. A ces conditions, notre protection et celle de nos successeurs les distinguera dans tous les temps.

«Sénateurs, nous éprouvons un sentiment de satisfaction en pensant que les premières lettres-patentes qui, en conséquence de notre sénatus-consulte du 14 août 1806, doivent être inscrites sur vos registres, consacrent les services de votre préteur.»

NAPOLÉON.




De notre camp impérial de Finckenstein, le 28 mai 1807.

Lettres-patentes de S.M. l'empereur et roi.

NAPOLÉON, par la grâce de Dieu et par les constitutions de la république, empereur des Français, à tous présens et à venir, salut:

Voulant donner à notre cousin le maréchal et sénateur Lefebvre, un témoignage de notre bienveillance pour l'attachement et fidélité qu'il a toujours montrés, et reconnaître les services éminens qu'il nous a rendus le premier jour de nôtre règne, qu'il n'a cessé de nous rendre depuis, et auquel il vient d'ajouter encore un nouvel éclat par la prise de la ville de Dantzick; désirant de plus, consacrer par un titre spécial le souvenir de cette circonstance mémorable et glorieuse, nous avons résolu de lui conférer et nous lui conférons, par les présentes, le titre de duc de Dantzick, avec une dotation en domaines situés dans l'intérieur de nos états.

Nous entendons que ledit duché de Dantzick soit possédé par notre cousin le maréchal et sénateur Lefebvre, et transmis héréditairement à ses enfans mâles, légitimes et naturels, par ordre de primogéniture, pour en jouir en toute propriété aux charges et conditions, et avec les droits, titres, honneurs et prérogatives attachés aux duchés par les constitutions de l'empire, nous réservant, si sa descendance masculine légitime et naturelle venait à s'éteindre, ce que Dieu ne veuille, de transmettre ledit duché à notre choix et ainsi qu'il sera jugé convenable par nous ou nos successeurs, pour le bien de nos peuples et l'intérêt de notre couronne.

Nous ordonnons que les présentes lettres-patentes soient communiquées au sénat, pour être transcrites sur ses registres.

Ordonnons pareillement qu'aussitôt que la dotation définitive du duché de Dantzick aura été revêtue de notre approbation, l'état détaillé des biens dont elle se trouvera composée, soit, en exécution des ordres donnés à cet effet par notre ministre de la justice, inscrit au greffe de la cour d'appel dans le ressort de laquelle l'habitation principale du duché sera située, et que la même inscription ait lieu au bureau des hypothèques des arrondissemens respectifs, afin que la condition desdits biens, résultant des dispositions du sénatus-consulte du 14 août 1806, soit généralement reconnue, et que personne ne puisse en prétendre cause d'ignorance.

NAPOLÉON.




Heilsberg, le 12 juin 1807.

Soixante-dix-huitième bulletin de la grande armée.

Des négociations de paix avaient eu lieu pendant tout l'hiver. On avait proposé à la France un congrès général, auquel toutes les puissances belligérantes auraient été admises, la Turquie seule exceptée. L'empereur avait été justement révolté d'une telle proposition. Après quelques mois de pourparlers, il fut convenu que toutes les puissances belligérantes; sans exception, enverraient des plénipotentiaires au congrès, gui se tiendrait à Copenhague. L'empereur avait fait connaître que la Turquie étant admise à faire cause commune dans les négociations avec la France, il n'y avait pas d'inconvénient à ce que l'Angleterre fît cause commune avec la Russie. Les ennemis demandèrent alors sur quelles bases le congrès aurait à négocier. Ils n'en proposaient aucune, et voulaient cependant que l'empereur en proposât. L'empereur ne fit point de difficulté de déclarer que, selon lui, la base des négociations devait être égalité et réciprocité entre les deux masses belligérantes, et que les deux masses belligérantes entreraient en commun dans un système de compensations.

La modération, la clarté, la promptitude de cette réponse, ne laissèrent aucun doute aux ennemis de la paix sur les dispositions pacifiques de l'empereur; ils en craignirent les effets, et au moment même où l'on répondait qu'il n'y avait plus d'obstacles à l'ouverture du congrès, l'armée russe sortit de ses cantonnemens et vint attaquer l'armée française. Le sang a de nouveau été répandu, mais du moins la France en est innocente. Il n'est aucune ouverture pacifique que l'empereur n'ait écoutée, il n'est aucune proposition à laquelle il ait différé de répondre; il n'est aucun piége tendu par les fauteurs de la guerre que sa volonté n'ait écarté. Ils ont inconsidérément fait courir l'armée russe aux armes, quand ils ont vu leurs démarches déjouées, et ces coupables entreprises, que désavouait la justice, ont été confondues. De nouveaux échecs ont été attirés sur les armées de la Russie, de nouveaux trophées ont couronné celles de la France. Rien ne prouve davantage que la passion et des intérêts étrangers à ceux de la Russie et de la Prusse dirigent le cabinet de ces deux puissances, et conduisent leurs braves armées à de nouveaux malheurs, en les forçant à de nouveaux combats, que la circonstance où l'armée russe reprend les hostilités: c'est quinze jours après que Dantzick s'est rendu, c'est lorsque ses opérations sont sans objets, c'est lorsqu'il ne s'agit plus de faire lever le siége de ce boulevard, dont l'importance aurait justifié toutes les tentatives, et pour la conservation duquel aucun militaire n'aurait été blâmé d'avoir tenté le sort de trois batailles. Ces considérations sont étrangères aux passions qui ont préparé les événemens qui viennent de se passer; empêcher les négociations de s'ouvrir, éloigner deux princes prêts à se rapprocher et à s'entendre, tel est le but qu'on s'est proposé. Quel sera le résultat d'une telle démarche? où est la probabilité du succès? Toutes ces questions sont indifférentes à ceux qui soufflent la guerre. Que leur importent les malheurs des armées russes et prussiennes? S'ils peuvent prolonger encore les calamités qui pèsent sur l'Europe, leur but est rempli.

Si l'empereur n'avait eu en vue d'autre intérêt que celui de sa gloire, s'il n'avait fait d'autres calculs que ceux qui étaient relatifs à l'avantage de ses opérations militaires, il aurait ouvert la campagne immédiatement après la prise de Dantzick; et cependant quoiqu'il n'existât ni trêve, ni armistice, il ne s'est occupé que de l'espérance de voir arriver à bien les négociations commencées.

Combat de Spanden.

Le 5 juin, l'armée russe se mit en mouvement; ses divisions de droite attaquèrent la tête de pont de Spanden, que le général Frère défendait avec le vingt-septième régiment d'infanterie légère. Douze régimens russes et prussiens firent de nouveaux efforts; sept fois ils les renouvelèrent, et sept fois ils furent repoussés. Cependant le prince de Ponte-Corvo avait réuni son corps d'armée; mais avant qu'il pût déboucher, une seule charge du dix-septième de dragons, faite immédiatement après le septième assaut donné à la tête de pont, avait forcé l'ennemi à abandonner le champ de bataille et à battre en retraite. Ainsi, pendant tout un jour, deux divisions ont attaqué sans succès un régiment qui, à la vérité, était retranché.

Le prince de Ponte-Corvo visitant en personne les retranchemens, dans l'intervalle des attaques, pour s'assurer de l'état des batteries, a reçu une blessure légère, qui le tiendra pendant une quinzaine de jours éloigné de son commandement. Notre perte dans cette affaire a été peu considérable; l'ennemi a perdu douze cents hommes, et a eu beaucoup de blessés.

Combat de Lomitten.

Deux divisions russes du centre attaquaient au même moment la tête de pont de Lomitten. La brigade du général Ferrey, du corps du maréchal Soult, défendait cette position. Le quarante-sixième, le cinquante-septième et le vingt-quatrième d'infanterie légère repoussèrent l'ennemi pendant toute la journée. Les abattis et les ouvrages restèrent couverts de Russes; leur général fut tué. La perte de l'ennemi fut de onze cents hommes tués, cent prisonniers et un grand nombre de blessés. Nous avons eu deux cents hommes tués ou blessés.

Pendant ce temps, le général en chef russe, avec le grand-duc Constantin, la garde impériale russe et trois divisions, attaqua à la fois les positions du maréchal Ney sur Altkirken, Amt, Guttstadt et Volfsdorff; il fut partout repoussé, mais lorsque le maréchal Ney s'aperçut que les forces qui lui étaient opposées étaient de plus de quarante mille hommes, il suivit ses instructions, et porta son corps à Ackendorff.

Combat de Deppen.

Le lendemain 6, l'ennemi attaqua le sixième corps dans sa position de Deppen sur la Passarge; il y fut culbuté. Les manoeuvres du maréchal Ney, l'intrépidité qu'il a montrée et qu'il a communiquée à toutes ses troupes, les talens déployés dans cette circonstance par le général de division Marchand et par les autres officiers-généraux, sont dignes des plus grands éloges. L'ennemi, de son propre aveu, a eu, dans cette journée, deux mille hommes tués et plus de trois mille blessés; notre perte a été de cent soixante hommes tués, deux cents blessés et deux cent cinquante faits prisonniers. Ceux-ci ont été, pour la plupart, enlevés par les cosaques qui, le matin de l'attaque, s'étaient portés sur les dernières de l'armée. Le général Roger ayant été blessé, est tombé de cheval, et a été fait prisonnier dans une charge. Le général de brigade Dutaillis a eu le bras emporté par un boulet.

L'empereur arriva le 8 à Deppen au camp du maréchal Ney; il donna sur-le-champ les ordres nécessaires. Le quatrième corps se porta sur Volfsdorff, où, ayant rencontré une division russe de Kamenski, qui rejoignait le corps d'armée, il l'attaqua, lui mit hors de combat quatre ou cinq cents hommes, lui fit cent-cinquante prisonniers et vint prendre position le soir à Altirken. Le 9, l'empereur se porta sur Guttstadt avec les corps des maréchaux Ney, Davoust et Lannes, avec sa garde et la cavalerie de réserve. Une partie de l'arrière-garde ennemie, formant dix mille hommes de cavalerie et quinze mille hommes d'infanterie, prit position à Glottau, et voulut disputer le passage. Le grand-duc de Berg, après des manoeuvres fort habiles, la débusqua successivement de toutes ses positions. Les brigades de cavalerie légère des généraux Pajol, Bruyer et Durosnel et la division de grosse cavalerie du général Nansouty triomphèrent de tous les efforts de l'ennemi.

Le soir, à huit heures, nous entrâmes de vive force à Guttstadt; un millier de prisonniers, la prise de toutes les positions en avant de Guttstadt, et la déroute de l'infanterie ennemie furent les suites de cette journée. Les régimens de cavalerie de la garde russe ont surtout été très-maltraités.

Le 10, l'armée se dirigea sur Heilsberg; elle enleva les divers camps de l'ennemi. Un quart de lieue au-delà de ces camps, l'arrière-garde se montra en position, elle avait quinze à dix-huit mille hommes de cavalerie et plusieurs lignes d'infanterie. Les cuirassiers de la division Espagne, la division de dragons Latour-Maubourg et les brigades de cavalerie légère, entreprirent différentes charges et gagnèrent du terrain. A deux heures le corps du maréchal Soult se trouva formé; deux divisions marchèrent sur la droite, tandis que la division Legrand marchait sur la gauche pour s'emparer de la pointe d'un bois dont l'occupation était nécessaire, afin d'appuyer la gauche de la cavalerie. Toute l'armée russe se trouvait alors à Heilsberg; elle alimenta ses colonnes d'infanterie et de cavalerie, et fit de nombreux efforts pour se maintenir dans ses positions en avant de cette ville. Plusieurs divisions russes furent mises en déroute, et à neuf heures du soir, on se trouva sous les retranchemens ennemis.

Les fusiliers de la garde, commandés par le général Savary, furent mis en mouvement pour soutenir la division St.-Hilaire, et firent des prodiges. La division Verdier, du corps d'infanterie de réserve du maréchal Lannes, s'engagea, la nuit étant déjà tombée, et déborda l'ennemi, afin de lui couper le chemin de Lansberg; elle y réussit parfaitement. L'ardeur des troupes était telle, que plusieurs compagnies d'infanterie furent insulter les ouvrages retranchés des Russes. Quelques braves trouvèrent la mort dans les fossés des redoutes et au pied des palissades.

L'empereur passa la journée du 11 sur le champ de bataille; il y plaça les corps d'armée et les divisions pour donner une bataille qui fût décisive, et telle qu'elle pût mettre fin à la guerre. Toute l'armée russe était réunie; elle avait à Heilsberg tous ses magasins; elle occupait une superbe position que la nature avait rendue très-forte, et que l'ennemi avait encore fortifiée par un travail de quatre mois.

A quatre heures après-midi, l'empereur ordonna au maréchal Davoust de faire un changement de front par son extrémité de droite, la gauche en avant; ce mouvement le porta sur la basse Alle, et intercepta complètement le chemin d'Eylau. Chaque corps d'armée avait ses postes assignés; ils étaient tous réunis, hormis le premier corps, qui continuait à manoeuvrer sur la basse Passarge. Ainsi les Russes, qui avaient les premiers recommencé les hostilités, se trouvaient comme bloqués dans leur camp retranché; on venait leur présenter la bataille dans la position qu'ils avaient eux-mêmes choisie.

On crut long-temps qu'ils attaqueraient dans la journée du 11.

Au moment où l'armée française faisait ses dispositions, ils se laissaient voir rangés en colonnes au milieu de leurs retranchemens, farcis de canons.

Mais soit que ces retranchemens ne leur parussent pas assez formidables, à l'aspect des préparatifs qu'ils voyaient faire devant eux, soit que cette impétuosité qu'avait montrée l'armée française dans la journée du 10 leur en imposât, ils commencèrent, à dix heures du soir, à passer sur la rive droite de l'Alle, en abandonnant tous les pays de la gauche, et laissant à la disposition du vainqueur leurs blessés, leurs magasins et ces retranchemens, fruit d'un travail si long et si pénible. Le 12, à la pointe du jour, tous les corps d'armée s'ébranlèrent, et prirent différentes directions.

Les maisons d'Heilsberg et celles des villages voisins sont remplies de blessés russes.

Le résultat de ces différentes journées, depuis le 5 jusqu'au 12, a été de priver l'armée russe d'environ trente mille combattans; elle a laissé dans nos mains trois ou quatre mille hommes, sept ou huit drapeaux et neuf pièces de canon. Au dire des paysans et des prisonniers, plusieurs des généraux russes les plus marquans ont été tués ou blessés.

Notre perte monte à six ou sept cents hommes tués, deux mille ou deux mille deux cents blessés, deux ou trois cents prisonniers. Le général de division Espagne a été blessé; le général Roussel, chef de l'état-major de la garde, qui se trouvait au milieu des fusiliers, a eu la tête emportée par un boulet de canon; c'était un officier très-distingué.

Le grand-duc de Berg a eu deux chevaux tués sous lui. M. de Ségur, un de ses aides-de-camp, a eu un bras emporté. M. Lameth, aide-de-camp du maréchal Soult, a été blessé. M. Lagrange, colonel du septième régiment de chasseurs à cheval, a été atteint par une balle.

Dans les rapports détaillés que rédigera l'état-major, on fera connaître les traits de bravoure par lesquels se sont signalés un grand nombre d'officiers et de soldats, et les noms de ceux qui ont été blessés dans la mémorable journée du 10 juin.

On a trouvé dans les magasins d'Heilsberg plusieurs milliers de quintaux de farine et beaucoup de denrées de diverses sortes. L'impuissance de l'armée russe, démontrée par la prise de Dantzick, vient de l'être encore par l'évacuation du camp de Heilsberg; elle l'est par sa retraite; elle le sera d'une manière plus éclatante encore si les Russes attendent l'armée française; mais dans de si grandes armées, qui exigent vingt-quatre heures pour mettre tous les corps en position, on ne peut avoir que des affaires partielles, lorsque l'une d'elles n'est pas disposée à finir bravement la querelle dans une affaire générale.

Il parait que l'empereur Alexandre avait quitté son armée quelques jours avant la reprise des hostilités. Plusieurs personnes prétendent que le parti anglais l'a éloigné, pour qu'il ne fût pas témoin des malheurs qu'entraîne la guerre et des désastres de son armée, prévus par ceux mêmes qui l'ont excité à rentrer en campagne. On a craint qu'un si déplorable spectacle ne lui rappelât les véritables intérêts de son pays, ne le fît revenir aux conseils des hommes sages et désintéressés, et ne le ramenât enfin, par les sentimens les plus propres à toucher un souverain, à repousser la funeste influence que la corruption anglaise exerce autour de lui.




De notre camp impérial de Friedland, le 15 juin 1807.

Lettre de S. M. l'empereur et roi à MM. les archevêques et évêques.

Monsieur l'évêque de...... La victoire éclatante qui vient d'être remportée par nos armes sur le champ de bataille de Friedland, qui a confondu les ennemis de notre peuple, et qui a mis en notre pouvoir la ville importante de Koenigsberg et les magasins considérables qu'elle contenait, doit être pour nos sujets un nouveau motif d'actions de grâce envers le dieu des armées. Cette victoire mémorable a signalé l'anniversaire de la bataille de Marengo, de ce jour, où tout couvert de poussière du champ de bataille, notre première pensée, notre premier soin fut pour le rétablissement de l'ordre et de la paix dans l'église de France. Notre intention est qu'au reçu de la présente vous vous concertiez avec qui de droit, et vous réunissiez nos sujets de votre diocèse dans vos églises cathédrales et paroissiales, pour y chanter un Te Deum, et adresser au ciel les autres prières que vous jugerez convenable d'ordonner dans de pareilles circonstances. Cette lettre n'étant à d'autre fin, monsieur l'évêque de......., je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

NAPOLÉON.




Wehlau, le 17 juin 1807.

Soixante-dix-neuvième bulletin de la grande armée.

Les combats de Spanden, de Lomitten, les journées de Guttstadt et de Heilsberg n'étaient que le prélude de plus grands événemens.

Le 12, à quatre heures du matin, l'armée française entra à Heilsberg. Le général Latour-Maubourg avec sa division de dragons et les brigades de cavalerie légère des généraux Durosnel et Wattier, poursuivirent l'ennemi sur la rive droite de l'Alle dans la direction de Bartenstein, pendant que les corps d'armée se mettaient en marche dans différentes directions pour déborder l'ennemi et lui couper sa retraite sur Koenigsberg, en arrivant avant lui sur ses magasins. La fortune a souri à ce projet.

Le 12, à cinq heures après-midi, l'empereur porta son quartier-général à Eylau. Ce n'étaient plus ces champs couverts de glaces et de neige, c'était le plus beau pays de la nature, coupé de beaux bois, de beaux lacs, et peuplé de jolis villages.

Le grand-duc de Berg se porta le 13 sur Koenigsberg avec sa cavalerie; le maréchal Davoust marcha derrière pour le soutenir; le maréchal Soult se porta sur Creutzbourg; le maréchal Lannes sur Damnau; les maréchaux Ney et Mortier sur Lampaseh.

Cependant le général Latour-Maubourg écrivait qu'il avait poursuivi l'arrière-garde ennemie; que les Russes abandonnaient beaucoup de blessés; qu'ils avaient évacué Bartenstein, et continuaient leur retraite sur Schippenbeil, par la rive droite de l'Alle. L'empereur se mit sur-le-champ en marche sur Friedland; il donna ordre au duc de Berg, aux maréchaux Soult et Davoust de manoeuvrer sur Koenigsberg, et avec les corps des maréchaux Ney, Lannes, Mortier, avec la garde impériale et le premier corps commandé par le général Victor, il marcha en personne sur Friedland.

Le 13, le neuvième de hussards entra à Friedland; mais il en fut chassé par trois mille hommes de cavalerie.

Le 14, l'ennemi déboucha sur le pont de Friedland. A trois heures du matin, des coups de canon se firent entendre. «C'est un jour de bonheur, dit l'empereur, c'est l'anniversaire de Marengo.»

Les maréchaux Lannes et Mortier furent les premiers engagés; ils étaient soutenus par la division de dragons du général Grouchy et par les cuirassiers du général Nansouty. Différens mouvemens, différentes actions eurent lieu. L'ennemi fut contenu, et ne put pas dépasser le village de Posthenem. Croyant qu'il n'avait devant lui qu'un corps de quinze mille hommes, l'ennemi continua son mouvement pour filer sur Koenigsberg. Dans cette occasion, les dragons et les cuirassiers français et saxons firent les plus belles charges, et prirent quatre pièces de canon à l'ennemi.

À cinq heures du soir, les différens corps d'armée étaient à leur place. A la droite, le maréchal Ney; au centre, le maréchal Lannes; à la gauche, le Maréchal Mortier; à la réserve, le corps du général Victor et la garde.

La cavalerie, sous les ordres du général Grouchy, soutenait la gauche. La division de dragons du général Latour-Maubourg était en réserve derrière la droite, la division de dragons du général Lahoussaye et les cuirassiers saxons étaient en réserve derrière le centre.

Cependant l'ennemi avait déployé toute son armée; il appuyait sa gauche à la ville de Friedland et sa droite se prolongeait à une lieue et demie.

L'empereur, après avoir reconnu la position, décida d'enlever sur-le-champ la ville de Friedland, en faisant brusquement un changement de front, la droite en avant, et fit commencer l'attaque par l'extrémité de sa droite.

A cinq heures et demie, le maréchal Ney se mit en mouvement, quelques salves d'une batterie de vingt pièces de canon furent le signal. Au même moment, la division du général Marchand avança, l'arme au bras, sur l'ennemi, prenant sa direction sur le clocher de la ville. La division du général Bisson la soutenait sur la gauche. Du moment où l'ennemi s'aperçut que le maréchal Ney avait quitté le bois où sa droite était en position, il le fit déborder par des régimens de cavalerie, précédés d'une nuée de cosaques. La division de dragons du général Latour-Maubourg se forma sur-le-champ au galop sur la droite, et repoussa la charge ennemie. Cependant le général Victor fit placer une batterie de trente pièces de canon en avant de son centre; le général Sennarmont, qui la commandait, se porta à plus de quatre cents pas en avant et fit éprouver une horrible perte à l'ennemi. Les différentes démonstrations que les Russes voulurent faire pour opérer une diversion furent inutiles. Le maréchal Ney, avec un sang-froid, et avec cette intrépidité qui lui est particulière, était en avant de ses échelons, dirigeant lui-même les plus petits détails, et donnait l'exemple à un corps d'armée, qui toujours s'est fait distinguer, même parmi les corps de la grande armée. Plusieurs colonnes d'infanterie ennemie, qui attaquaient la droite du maréchal Ney, furent chargées à la baïonnette et précipitées dans l'Alle. Plusieurs milliers d'hommes y trouvèrent la mort; quelques-uns échappèrent à la nage. La gauche du maréchal Ney arriva sur ces entrefaites au ravin qui entoure la ville de Friedland. L'ennemi, qui y avait embusqué la garde impériale russe à pied et à cheval, déboucha avec intrépidité, et fit une charge sur la gauche du maréchal Ney, qui fut un moment ébranlée; mais la division Dupont, qui formait la droite de la réserve, marcha sur la garde impériale, la culbuta et en fit un horrible carnage.

L'ennemi tira de ses réserves et de son centre d'autres corps pour défendre Friedland. Vains efforts! Friedland fut forcé et ses rues furent jonchées de morts.

Le centre, que commandait le maréchal Lannes, se trouva dans ce moment engagé. L'effort que l'ennemi avait fait sur l'extrémité de la droite de l'armée française ayant échoué, il voulut essayer un semblable effort sur le centre. Il y fut reçu comme on devait l'attendre des braves divisions Oudinot et Verdier, et du maréchal qui les commandait.

Des charges d'infanterie et de cavalerie ne purent pas retarder la marche de nos colonnes. Tous les efforts de la bravoure des Russes furent inutiles; ils ne purent rien entamer, et vinrent trouver la mort sur nos baïonnettes.

Le maréchal Mortier, qui pendant toute la journée fit grandes preuves de sang-froid et d'intrépidité, en maintenant la gauche, marcha alors en avant, et fut soutenu par les fusiliers de la garde, que commandait le général Savary. Cavalerie, infanterie, artillerie, tout le monde s'est distingué.

La garde impériale à pied et à cheval, et deux divisions de la réserve du premier corps n'ont pas été engagées. La victoire n'a pas hésité un seul instant. Le champ de bataille est un des plus horribles qu'on puisse voir. Ce n'est pas exagérer que de porter le nombre des morts, du côté des Russes, de quinze à dix-huit mille hommes. Du côté des Français la perte ne se monte pas à cinq cents morts, ni à plus de trois mille blessés. Nous avons pris quatre-vingt pièces de canon et une grande quantité de caissons. Plusieurs drapeaux sont restés en notre pouvoir. Les Russes ont eu vingt-cinq généraux tués, pris ou blessés. Leur cavalerie a fait des pertes immenses.

Les carabiniers et les cuirassiers, commandés par le général Nansouty, et les différentes divisions de dragons se sont fait remarquer. Le général Grouchy, qui commandait la cavalerie de l'aile gauche, a rendu des services importans.

Le général Drouet, chef de l'état-major du corps d'armée du maréchal Lannes; le général Cohorn, le colonel Regaud, du quinzième de ligne; le colonel Lajonquière, du soixantième de ligne; le colonel Lamotte, du quatrième de dragons, et le général de brigade Brun, ont été blessés. Le général de division Latour-Maubourg l'a été à la main. Le colonel d'artillerie de Forno, et le chef d'escadron Hutin, premier aide-de-camp du général Oudinot, ont été tués. Les aides-de-camp de l'empereur, Mouton et Lacoste, ont été légèrement blessés.

La nuit n'a point empêché de poursuivre l'ennemi; on l'a suivi jusqu'à onze heures du soir. Le reste de la nuit, les colonnes qui avaient été coupées ont essayé de passer l'Alle, à plusieurs gués. Partout, le lendemain et à plusieurs lieues, nous avons trouvé des caissons, des canons et des voitures perdus dans la rivière.

La bataille de Friedland est digne d'être mise à côté de celles de Marengo, d'Austerlitz et d'Iéna. L'ennemi était nombreux, avait une belle et forte cavalerie, et s'est battu avec courage.

Le lendemain 15, pendant que l'ennemi essayait de se rallier, et faisait sa retraite sur la rive droite de l'Alle, l'armée française continuait, sur la rive gauche, ses manoeuvres pour le couper de Koenigsberg.

Les têtes des colonnes sont arrivées ensemble à Wehlau, ville située au confluent de l'Alle et de la Prégel. L'empereur avait son quartier-général au village de Peterswalde.

Le 16, à la pointe du jour, l'ennemi ayant coupé tous les ponts, mit à profit cet obstacle pour continuer son mouvement rétrograde sur la Russie.

A huit heures du matin, l'empereur fit jeter un pont sur la Prégel, et l'armée s'y mit en position.

Presque tous les magasins que l'ennemi avait sur l'Alle ont été par lui jetés à l'eau ou brûlés. Par ce qui nous reste, on peut connaître les pertes immenses qu'il a faites. Partout dans les villages, les Russes avaient des magasins, et partout, en passant, ils les ont incendiés. Nous avons cependant trouvé à Wehlau plus de six mille quintaux de blé.

A la nouvelle de la victoire de Friedland, Koenigsberg a été abandonné. Le maréchal Soult est entré dans cette place, où nous avons trouvé des richesses immenses, plusieurs centaines de milliers de quintaux de blé, plus de vingt mille blessés russes et prussiens, tout ce que l'Angleterre a envoyé de munitions de guerre à la Russie, entr'autres cent soixante mille fusils encore embarqués. Ainsi la Providence a puni ceux qui, au lieu de négocier de bonne foi pour arriver à l'oeuvre salutaire de la paix, s'en sont fait un jeu, prenant pour faiblesse et pour impuissance la tranquillité du vainqueur.

L'armée occupe ici le plus beau pays possible. Les bords de la Prégel sont riches. Dans peu les magasins et les caves de Dantzick et Koenigsberg vont nous apporter de nouveaux moyens d'abondance et de santé.

Les noms des braves qui se sont distingués, les détails de ce que chaque corps a fait, passent les bornes d'un simple bulletin, et l'état-major s'occupe de réunir tous les faits.

Le prince de Neufchâtel a, dans la bataille de Friedland, donné des preuves particulières de son zèle et de ses talens. Plusieurs fois il s'est trouvé au fort de la mêlée, et y a fait des dispositions utiles.

L'ennemi avait recommencé les hostilités le 5: on peut évaluer la perte qu'il a éprouvée en dix jours, et par suite des opérations, à soixante mille hommes pris, blessés, tués ou hors de combat. Il a perdu une partie de son artillerie, presque toutes ses munitions, et tous ses magasins sur une ligne de plus de quarante lieues.




Tilsitt, le 19 juin 1807.

Quatre-vingtième bulletin de la grande armée.

Les armées françaises ont rarement obtenu de si grands succès avec moins de perte.

Pendant le temps que les armées françaises se signalaient sur le champ de bataille de Friedland, le grand-duc de Berg, arrivé devant Koenigsberg, prenait en flanc le corps d'armée du général Lestocq.

Le 13, le maréchal Soult trouva à Creutzbourg l'arrière-garde prussienne; la division de dragons Milhaud exécuta une belle charge, culbuta la cavalerie prussienne, et enleva plusieurs pièces de canon.

Le 14, l'ennemi fut obligé de s'enfermer dans la place de Koenigsberg. Vers le milieu de la journée, deux colonnes ennemies coupées se présentèrent pour entrer dans la place. Six pièces de canon et trois à quatre mille hommes qui composaient cette troupe furent pris; tous les faubourgs de Koenigsberg furent enlevés; on y fit un bon nombre de prisonniers: le général de brigade Buget a eu la main emportée par un boulet.

En résumé, les résultats de toutes ces affaires sont quatre à cinq mille prisonniers et quinze pièces de canon.

Le 15 et le 16, le corps d'armée du maréchal Soult fut contenu devant les retranchemens de Koenigsberg, mais la marche du gros de l'armée sur Wehlau obligea l'ennemi à évacuer Koenigsberg, et cette place tomba en notre pouvoir.

Ce qu'on a trouvé à Koenigsberg en subsistances, est immense. Deux cents gros bâtimens, venant de Russie, sont encore tous chargés dans le port. Il y a beaucoup plus de vins et d'eaux-de-vie qu'on était dans le cas de l'espérer.

Une brigade de la division Saint-Hilaire s'est portée devant Pilau pour en former le siège, et le général Rapp a fait partir de Dantzick une colonne chargée d'aller, par le Niérung, établir devant Pilau une batterie qui ferme le Haff. Des bâtimens montés par des marins de la garde nous rendent maîtres de cette petite mer.

Le 17, l'empereur porta son quartier-général à la métairie de Crucken, près Klein-Schirau; le 18, il le porta à Sgaisgirren; le 19, à deux heures après-midi, il entra dans Tilsitt.

Le grand-duc de Berg, à la tête de la plus grande partie de la cavalerie légère, des divisions de dragons et de cuirassiers, a mené battant l'ennemi ces trois jours derniers, et lui a fait beaucoup de mal. Le cinquième régiment de hussards s'est distingué; les cosaques ont été culbutés plusieurs fois et ont beaucoup souffert dans ces différentes charges. Nous avons eu peu de tués et de blessés. Au nombre de ces derniers se trouve le chef d'escadron Piéton, aide-de-camp du grand-duc de Berg.

Après le passage de la Prégel, vis-à-vis Wehlau, un tambour fut chargé par un cosaque, et se jeta ventre à terre; le cosaque prend sa lance pour en percer le tambour; mais celui-ci conserve toute sa présence d'esprit, tire à lui la lance, désarme le cosaque et le poursuit.

Un fait particulier, qui a excité le rire des soldats, a eu lieu pour la première fois vers Tilsitt; on a vu une nuée de Kalmoucks se battant à coup de flèches.

Nous en sommes fâchés pour ceux qui donnent l'avantage aux armes anciennes sur les modernes; mais rien n'est plus risible que le jeu de ces armes contre nos fusils.

Le maréchal Davoust, à la tête du troisième corps, a débouché par Labiau, est tombé sur l'arrière-garde ennemie, et lui a fait deux mille cinq cents prisonniers.

De son côté, le maréchal Ney est arrivé le 17 à Insterbourg, y a pris un millier de blessés et a enlevé à l'ennemi des magasins assez considérables.

Les bois, les villages sont pleins de Russes isolés, ou blessés ou malades.

Les pertes de l'armée russe sont énormes; elle n'a ramené avec elle qu'une soixantaine de pièces de canon.

La rapidité des marches empêche de connaître encore toutes les pièces qu'on a prises à la bataille de Friedland; on croit que le nombre passera cent vingt.

A la hauteur de Tilsitt, deux billets ont été remis au grand-duc de Berg, et par suite le prince russe, lieutenant-général Labanoff a passé le Niémen, et a conféré une heure avec le prince de Neufchâtel.

L'ennemi a brûlé en grande hâte le pont de Tilsitt sur le Niémen, et parait continuer sa retraite sur la Russie. Nous sommes sur les confins de cet empire.

Le Niémen, vis-à-vis Tilsitt, est un peu plus large que la Seine.

L'on voit, de la rive gauche, une nuée de cosaques qui forment l'arrière-garde ennemie sur la rive droite.

Déjà l'on ne commet aucune hostilité.

Ce qui restait au roi de Prusse est conquis. Cet infortuné prince n'a plus en son pouvoir que le pays situé entre le Niémen et Mémel.

La plus grande partie de son armée on plutôt de la division de ses troupes, déserte ne voulant pas aller en Russie.

L'empereur de Russie est resté trois semaines à Tilsitt avec le roi de Prusse.

A la nouvelle de la bataille de Friedland, l'un et l'autre sont partis en toute hâte.




Tilsitt, le 21 juin 1807.

Quatre-vingt-unième bulletin de la grande armée.

A la journée d'Heilsberg, le grand-duc de Berg passa sur la ligne de la troisième division de cuirassiers, au moment où le sixième régiment de cuirassiers venait de faire une charge. Le colonel d'Avenay, commandant ce régiment, son sabre dégouttant de sang, lui dit: «Prince, faites la revue de mon régiment, vous verrez qu'il n'est aucun soldat dont le sabre ne soit comme le mien.»

Les colonels Colbert, du septième de hussards, Léry, du cinquième, se sont fait également remarquer par la plus brillante intrépidité. Le colonel Borde-Soult, du vingt-deuxième de chasseurs, a été blessé. M. Gueheneuc, aide-de-camp du maréchal Lannes, a été blessé d'une balle au bras.

Les généraux aides-de-camp de l'empereur, Reille et Bertrand, ont rendu des services importans. Les officiers d'ordonnance de l'empereur Bongars, Montesquiou, Labiffe, ont mérité des éloges pour leur conduite.

Les aides-de-camp du prince de Neufchâtel Louis de Périgord, capitaine, et Piré, chef d'escadron, se sont fait remarquer.

Le colonel Curial, commandant les fusiliers de la garde, a été nommé général de brigade.

Le général de division Dupas, commandant une division sous les ordres du maréchal Mortier, a rendu d'importans Les fils des sénateurs Pérignon, Clément de Ris et Garran de Coulon, sont morts avec honneur sur le champ de bataille.

Le maréchal Ney s'étant porté sur Gumbinnen, a arrêté quelques parcs d'artillerie ennemie, beaucoup de convois de blessés, et fait un grand nombre de prisonniers.




Tilsitt, le 22 juin 1807.

Quatre-vingt-deuxième bulletin de la grande armée.

En conséquence de la proposition qui a été faite par le commandant de l'armée russe, un armistice a été conclu.

L'armée française occupe tout le thalweg du Niémen, de sorte qu'il ne reste plus au roi de Prusse que la petite ville et le territoire de Mémel.




Au camp de Tilsitt, le 22 juin 1807.

Proclamation de S. M. à la grande armée.

Soldats!

Le 5 juin nous avons été attaqués dans nos cantonnemens par l'armée russe. L'ennemi s'est mépris sur les causes de notre inactivité. Il s'est aperçu trop tard que notre repos était celui du lion: il se repent de l'avoir oublié.

Dans les journées de Guttstadt, de Heilsberg, dans celle, à jamais mémorable, de Friedland, dans dix jours de campagne enfin, nous avons pris cent vingt pièces de canon, sept drapeaux; tué, blessé, ou fait prisonniers soixante mille Russes; enlevé à l'armée ennemie tous ses magasins, ses hôpitaux, ses ambulances, la place de Koenigsberg, les trois cents bâtimens qui étaient dans ce port, chargés de toute espèce de munitions, cent soixante mille fusils que l'Angleterre envoyait pour armer nos ennemis.

Des bords de la Vistule, nous sommes arrivés sur ceux du Niémen avec la rapidité de l'aigle. Vous célébrâtes à Austerlitz l'anniversaire du couronnement; vous avez cette année célébré celui de la bataille de Marengo, qui mit fin à la guerre de la seconde coalition.

Français! vous avez été dignes de vous et de moi. Vous rentrerez en France couverts de tous vos lauriers, après avoir obtenu une paix glorieuse qui porte avec elle la garantie de sa durée. Il est temps que notre patrie vive en repos, à l'abri de la maligne influence de l'Angleterre. Mes bienfaits vous prouveront ma reconnaissance et toute l'étendue de l'amour que je vous porte.




Tilsitt, le 23 juin 1807

Quatre-vingt-troisième bulletin de la grande armée.

La place de Neiss a capitulé.

La garnison, forte de six mille hommes d'infanterie et de trois cents hommes de cavalerie, a défilé le 16 juin devant le prince Jérôme. On a trouvé dans la place trois cent milliers de poudre et trois cents bouches à feu.




Tilsitt, le 24 juin 1807

Quatre-vingt-quatrième bulletin de la grande armée.

Le grand-maréchal du palais Duroc s'est rendu le 23 au quartier-général des Russes, au-delà du Niémen, pour échanger les ratifications de l'armistice qui a été ratifié par l'empereur Alexandre.

Le 24, le prince Labanoff ayant fait demander une audience à l'empereur, y a été admis le même jour à deux heures après midi. Il est resté long-temps dans le cabinet de S. M.

Le générai Kalkreuth est attendu au quartier-général pour signer l'armistice du roi de Prusse.

Le 11 juin, à quatre heures du matin, les Russes attaquèrent en force Druczewo. Le général Claparède soutint le feu de l'ennemi. Le maréchal Masséna se porta sur la ligne, repoussa l'ennemi et déconcerta ses projets. Le dix-septième régiment d'infanterie légère a soutenu sa réputation. Le général Montbrun s'est fait remarquer. Un détachement du vingt-huitième d'infanterie légère et un piquet du vingt-cinquième de dragons ont mis en fuite les cosaques. Tout ce que l'ennemi a entrepris contre nos postes dans les journées du 12 et du 12, a tourné à sa confusion.

On a vu par l'armistice que la gauche de l'armée française est appuyée sur Currisch-Haff, à l'embouchure du Niémen; de là notre ligne se prolonge sur Grodno. La droite, commandée par le maréchal Massena, s'étend sur les confins de la Russie, entre les sources de la Narew et du Bug.

Le quartier-général va se concentrer à Koenigsberg, où l'on fait toujours de nouvelles découvertes en vivres, munitions et autres effets appartenant à l'ennemi.

Une position aussi formidable est le résultat des succès les plus brillans; et tandis que toute l'armée ennemie est en fuite et presque anéantie, plus de la moitié de l'armée française n'a pas tiré un coup de fusil.




Tilsitt; le 24 juin 1807.

Quatre-vingt-cinquième bulletin de la grande armée.

Demain les deux empereurs de France et de Russie doivent avoir une entrevue. On a à cet effet, élevé au milieu du Niémen, un pavillon où les deux monarques se rendront de chaque rive.

Peu de spectacles seront aussi intéressans. Les deux côtés du fleuve seront bordés par les deux armées, pendant que les deux chefs conféreront sur les moyens de rétablir l'ordre et de donner le repos à la génération présente.

Le grand-maréchal du palais Duroc est allé, hier à trois heures après midi, complimenter l'empereur Alexandre.

Le maréchal comte de Kalkreuth a été présenté aujourd'hui à l'empereur; il est resté une heure dans le cabinet de S.M.

L'empereur a passé ce matin la revue du corps du maréchal Lannes. Il a fait différentes promotions, a récompensé les braves, et a témoigné sa satisfaction aux cuirassiers saxons.




Tilsitt, le 25 juin 1807.

Quatre-vingt-sixième bulletin de la grande armée.

Le 25 juin, à une heure après midi, l'empereur accompagné du grand-duc de Berg, du prince de Neufchâtel, du maréchal du palais Duroc et du grand-écuyer Caulaincourt, s'est embarqué sur les bords du Niémen dans un bateau préparé à cet effet; il s'est rendu au milieu de la rivière, où le général Lariboissière, commandant de l'artillerie de la garde, avait fait placer un large radeau, et élever un pavillon. A côté, était un autre radeau et pavillon pour la suite de LL. MM. Au même moment, l'empereur Alexandre est parti de la rive droite, sur un bateau, avec le grand-duc Constantin, le général Benigsen, le général Ouwaroff, le prince Labanoff et son premier aide-de-camp, le comte de Liéven.

Les deux bateaux sont arrivés en même temps; les deux empereurs se sont embrassés en mettant le pied sur le radeau; ils sont entrés ensemble dans la salle qui avait été préparée, et y sont restés deux heures. La conférence finie, les personnes de la suite des deux empereurs ont été introduites. L'empereur Alexandre a dit des choses agréables aux militaires qui accompagnaient l'empereur, qui, de son côté, s'est entretenu long-temps avec le grand-duc Constantin et le général Benigsen.

La conférence finie, les deux empereurs sont montés chacun dans leur barque. On conjecture que la conférence a eut le résultat le plus satisfaisant. Immédiatement après, le prince Labanoff s'est rendu au quartier-général français. On est convenu que la moitié de la ville de Tilsitt serait neutralisée. On y a marqué le logement de l'empereur de Russie et de sa cour. La garde impériale russe passera le fleuve et sera cantonnée dans la partie de la ville qui lui est destinée.

Le grand nombre des personnes de l'une et l'autre armée, accourues sur l'une et l'autre rive pour être témoins de cette scène, rendaient ce spectacle d'autant plus intéressant, que les spectateurs étaient des braves des extrémités du monde.




Tilsitt, le 26 juin 1807.

Aujourd'hui à midi et demi, S.M. s'est rendue au pavillon de Niémen. L'empereur Alexandre et le roi de Prusse y sont arrivés au même moment. Ces trois souverains sont restés ensemble dans le salon du pavillon pendant une demi-heure.

A cinq heures et demie, l'empereur Alexandre est passé sur la rive gauche. L'empereur Napoléon l'a reçu à la descente du bateau. Ils sont montés à cheval l'un et l'autre; ils ont parcouru la grande rue de la ville, où se trouvait rangée la garde impériale française à pied et à cheval, et sont descendus au palais de l'empereur Napoléon. L'empereur Alexandre y a dîné avec l'empereur, le grand-duc Constantin et le grand-duc de Berg.




Tilsitt, le 27 juin 1807.

Le général de division Teulié, commandant la division italienne au siége de Colbert, qui avait été blessé à la cuisse d'un boulet, le 12 à l'attaque du fort Wolsberg, vient de mourir de ses blessures. C'était un officier également distingué par sa bravoure et ses talens militaires.

La ville de Kosel a capitulé.

Le 24 juin à deux heures du matin, S.A.I. le prince Jérôme a fait attaquer et enlever le camp retranché que les Prussiens occupaient sous Glatz, à portée de mitraille de cette place.

Le général Vandamme, à la tête de la division, wurtembergeoise, ayant avec lui un régiment provisoire de chasseurs français à cheval, a commencé l'attaque sur la rive gauche de la Neisse, tandis que le général Lefebvre avec les Bavarois attaquait sur la rive droite. En une demi-heure, toutes les redoutes ont été enlevées à la baïonnette, l'ennemi a fait sa retraite en désordre, abandonnant dans le camp douze cents hommes tués et blessés, cinq cents prisonniers et douze pièces de canon.

Les Bavarois et les Wurtembergeois se sont très-bien conduits. Les généraux Vandamme et Lefebvre ont dirigé les attaques avec une grande habileté.




Tilsitt, le 28 juin 1807.

Hier, à trois heures après midi, l'empereur s'est rendu chez l'empereur Alexandre. Ces deux princes sont restés ensemble jusqu'à six heures. Ils sont alors montés à cheval et sont allés voir manoeuvrer la garde impériale. L'empereur Alexandre a montré qu'il connaît très-bien toutes nos manoeuvres, et qu'il entend parfaitement tous les détails de la tactique militaire.

A huit heures, les deux souverains sont revenus au palais de l'empereur Napoléon, où ils ont dîné, comme la veille, avec le grand-duc Constantin et le grand-duc de Berg.

Après le dîner, l'empereur Napoléon a présenté LL. Exc. le ministre des relations extérieures et le ministre secrétaire d'état à l'empereur Alexandre, qui lui a aussi présenté S. Exc. M. de Budberg, ministre des affaires étrangères, et le prince Kourakin.

Les deux souverains sont ensuite rentrés dans le cabinet de l'empereur Napoléon, où ils sont restés seuls jusqu'à onze heures du soir.

Aujourd'hui 28, à midi, le roi de Prusse a passé le Niémen, et est venu occuper à Tilsitt le palais qui lui avait été préparé. Il a été reçu à la descente de son bateau, par le maréchal Bessières. Immédiatement après, le grand-duc de Berg est allé lui rendre visite.

A une heure, l'empereur Alexandre est venu faire une visite à l'empereur Napoléon, qui est allé au-devant de lui jusqu'à la porte de son palais.

A deux heures, S.M. le roi de Prusse est venu, chez l'empereur Napoléon, qui est allé le recevoir jusqu'au pied de l'escalier de son appartement.

A quatre heures, l'empereur Napoléon est allé voir l'empereur Alexandre. Ils sont montés à cheval à cinq heures, et se sont rendus sur le terrain où devait manoeuvrer le corps du maréchal Davoust.




Tilsitt, le 1er juillet 1807.

Le 29 et le 30 juin, les choses se sont passées entre les trois souverains comme les jours précédens. Le 29, à six heures du soir, ils sont allés voir manoeuvrer l'artillerie de la garde. Le lendemain, à la même heure, ils ont vu manoeuvrer les grenadiers à cheval. La plus grande amitié paraît régner entre ces princes.

A l'un de ces dîners qui ont toujours lieu chez l'empereur Napoléon, S.M. a porté la santé de l'impératrice de Russie et de l'impératrice-mère. Le lendemain, l'empereur Alexandre a porté la santé de l'impératrice des Français.

La première fois que le roi de Prusse a dîné chez l'empereur Napoléon, S. M. a porté la santé de la reine de Prusse.

Le 29, le prince Alexandre Kourakin, ambassadeur et ministre plénipotentiaire de l'empereur Alexandre, a été présenté à l'empereur Napoléon.

Le 30, la garde impériale a donné un dîner de corps à la garde impériale russe. Les choses se sont passées avec beaucoup d'ordre. Cette réunion a produit beaucoup de gaité dans la ville.

La place de Glatz a capitulé. Le fort de Silberberg est la seule place de la Silésie qui tienne encore.




Tilsitt, le 7 juillet 1807.

La reine de Prusse est arrivée ici hier à midi. A midi et demi l'empereur Napoléon est allé lui rendre visite.

Les trois souverains ont fait chaque jour, à six heures du soir, leurs promenades accoutumées. Ils ont ensuite dîné chez l'empereur Napoléon avec la reine de Prusse, le grand-duc Constantin, le prince Henri de Prusse, le grand-duc de Berg et le prince royal de Bavière.

On a distribué à l'ordre de la grande armée la notice suivante:




Au quartier-général impérial à Tilsitt, le 9 juillet 1807.

Notice pour l'armée.

La paix a été conclue entre l'empereur des Français et l'empereur de Russie, hier 8 juillet, à Tilsitt, et signée par le prince de Bénévent, ministre des relations extérieures de France, et par les princes Kourakin et Labanoff de Rostow, pour l'empereur de Russie, chacun de ces plénipotentiaires étant muni de pleins-pouvoirs de leurs souverains respectifs. Les ratifications ont été échangées aujourd'hui 9 juillet, ces deux souverains se trouvant encore à Tilsitt.




Tilsitt, le 9 juillet 1807.

L'échange des ratifications du traité de paix entre la France et la Russie a eu lieu aujourd'hui à neuf heures du matin. A onze heures, l'empereur Napoléon, portant le grand cordon de l'ordre de Saint-André, s'est rendu chez l'empereur Alexandre, qui l'a reçu à la tête de sa garde, et ayant la grande décoration de la légion-d'honneur.

L'empereur a demandé à voir le soldat de la garde russe qui s'était le plus distingué; il lui a été présenté. S. M., en témoignage de son estime pour la garde impériale russe, a donné à ce brave l'aigle d'or de la légion-d'honneur.

Les empereurs sont restés ensemble pendant trois heures, et sont ensuite montés à cheval; ils se sont rendus au bord du Niémen, où l'empereur Alexandre s'est embarqué. L'empereur Napoléon est demeuré sur le rivage jusqu'à ce que l'empereur Alexandre fût arrivé à l'autre bord. Les marques d'affection que ces princes se sont données en se séparant, ont excité la plus vive émotion parmi les nombreux spectateurs qui s'étaient rassemblés pour voir les plus grands souverains du monde, offrir dans les témoignages de leur union et de leur amitié un solide garant du repos de la terre.

L'empereur Napoléon a fait remettre le grand cordon de la légion-d'honneur au grand-duc Constantin, au prince Kourakine, au prince Labanoff et à M. de Budberg.

L'empereur Alexandre a donné le grand ordre de Saint-André au prince Jérôme Napoléon, roi de Westphalie, au grand-duc de Berg et de Clèves, au prince de Neufchâtel et au prince de Bénévent.

A trois heures de l'après midi, le roi de Prusse est venu voir l'empereur Napoléon. Ces deux souverains se sont entretenus pendant une demi-heure. Immédiatement après, l'empereur Napoléon a rendu au roi de Prusse sa visite; il est ensuite parti pour Koenigsberg.

Ainsi, les trois souverains ont séjourné pendant vingt jours à Tilsitt. Cette petite ville était le point de réunion des deux armées. Ces soldats qui naguères étaient ennemis, se donnaient des témoignages réciproques d'amitié qui n'ont pas été troublés par le plus léger désordre.

Hier, l'empereur Alexandre avait fait passer le Niémen à une dizaine de Baschirs qui ont donné à l'empereur Napoléon un concert à la manière de leur pays.

L'empereur, en témoignage de son estime pour le général Platow, hetman des cosaques, lui a fait présent de son portrait.

Les Russes ont remarqué que le 27 juin (style russe, 9 juillet du calendrier grégorien), jour de la ratification du traité de paix, est l'anniversaire de la bataille de Pultawa, qui fut si glorieuse et qui assura tant d'avantages à l'empire de Russie; ils en tirent un augure favorable pour la durée de la paix et de l'amitié qui viennent de s'établir entre ces deux grands empires.




Koenigsberg, le 12 juillet 1807.

Quatre-vingt-septième bulletin de la grande armée.

Les empereurs de France et de Russie, après avoir séjourné pendant vingt jours à Tilsitt, où les deux maisons impériales, situées dans la même rue, étaient à peu de distance l'une de l'autre, se sont séparés le 9, à trois heures après midi, en se donnant les plus grandes marques d'amitié. Le journal de ce qui s'est passé pendant leur séjour, sera d'un véritable intérêt pour les deux peuples.

Après avoir reçu, à trois heures et demie, la visite d'adieu du roi de Prusse, qui est retourné à Memel, l'empereur Napoléon est parti pour Koenigsberg, où il est arrivé le 10 à quatre heures du matin.

Il a fait hier la visite du port dans un canot qui était servi par les marins de la garde. S. M. passe aujourd'hui la revue du corps du maréchal Soult, et part demain, à deux heures du matin, pour Dresde.

Le nombre des Russes tués à la bataille de Friedland s'élève à dix-sept mille cinq cents, celui des prisonniers est de quarante mille, dix-huit mille sont passés à Koenigsberg, sept mille sont restés malades dans les hôpitaux, le reste a été dirigé sur Thorn et Varsovie.

Les ordres ont été donnés pour qu'ils fussent renvoyés en Russie sans délai, sept mille sont déjà revenus à Koenigsberg, et vont être rendus.

Ceux qui sont en France seront formés en régimens provisoires. L'empereur a ordonné de les habiller et de les armer.

Les ratifications du traité de paix entre la France et la Russie avaient été échangées à Tilsitt le 9; celles du traité de paix entre la France et la Prusse l'ont été ici aujourd'hui.

Les plénipotentiaires chargés de ces négociations étaient, pour la France, M. le prince de Bénévent; pour la Russie, le prince Kourakin et le prince Labanoff; pour la Prusse, le feld-maréchal Kalkreuth et le comte de Glotz.

Après de tels événemens on ne peut s'empêcher de sourire quand on entend parler de la grande expédition anglaise et de la nouvelle frénésie qui s'est emparée du roi de Suède.

On doit remarquer d'ailleurs que l'armée d'observation de l'Elbe et de l'Oder était de soixante-dix mille hommes, indépendamment de la grande armée, et non compris les divisions espagnoles qui sont en ce moment sur l'Oder.

Ainsi, il aurait fallu que l'Angleterre mît en expédition toute son armée, ses milices, ses volontaires, ses fencibles, pour opérer une diversion sérieuse.

Quand on considère que, dans de telles circonstances, elle a envoyé six mille hommes se faire massacrer par les Arabes, et sept mille hommes dans les Indes espagnoles, on ne peut qu'avoir pitié de l'excessive avidité qui tourmente ce cabinet.

La paix de Tilsitt met fin aux opérations de la grande armée, mais toutes les côtes, tous les ports de la Prusse n'en resteront pas moins fermés aux Anglais. Il est probable que le blocus continental ne sera pas un vain mot.

La Porte a été comprise dans le traité. La révolution qui vient de s'opérer à Constantinople est une révolution anti-chrétienne qui n'a rien de commun avec la politique de l'Europe. L'adjudant-commandant Guilleminot est parti pour la Bessarabie, où il va informer le grand-visir de la paix, de la liberté qu'a la Porte d'y prendre part, et des conditions qui la concernent.




Koenigsberg, le 13 juillet 1807.

L'empereur a passé hier la revue du quatrième corps d'armée. Arrivé au vingt-sixième régiment d'infanterie légère, on lui présenta le capitaine de grenadiers Roussel. Ce brave soldat, fait prisonnier à l'affaire de Aoff, avait été remis aux Prussiens. Il se trouva dans un appartement où un insolent officier se livrait à toute espèce d'invectives contre l'empereur. Roussel supporta d'abord patiemment ces injures, mais enfin il se lève fièrement en disant: «Il n'y a que des lâches qui puissent tenir de pareils propos contre l'empereur Napoléon devant un de ses soldats. Si je suis contraint d'entendre de pareilles infamies, je suis à votre discrétion, donnez-moi la mort.» Plusieurs autres officiers prussiens qui étaient présens, ayant autant de jactance que peu de mérite et d'honneur, voulurent se porter contre ce brave militaire à des voies de fait. Roussel, seul contre sept ou huit personnes, aurait passé un mauvais quart-d'heure, si un officier russe, survenant à l'instant, ne se fût jeté devant lui le sabre à la main: c'est notre prisonnier, dit-il, et non le vôtre; il a raison, et vous outragez lâchement le premier capitaine de l'Europe. Avant de frapper ce brave homme, il vous faudra passer sur mon corps.

En général, autant les prisonniers français se louent des Russes, autant ils se plaignent des Prussiens, surtout du général Ruchel, officier aussi méchant et fanfaron qu'il est inepte et ignorant sur le champ de bataille. Des corps prussiens qui se trouvaient à la journée d'Iéna, le sien est celui qui s'est le moins bravement comporté.

En entrant à Koenigsberg, on a trouvé aux galères un caporal français qui y avait été jeté, parce qu'entendant les sectateurs de Ruchel parler mal de l'empereur, il s'était emporté et avait déclaré ne pas vouloir le souffrir en sa présence.

Le général Victor, qui fut fait prisonnier dans une chaise de poste par un guet-apens, a eu aussi à se plaindre du traitement qu'il a reçu du général Ruchel, qui était gouverneur de Koenigsberg. C'est cependant le même Ruchel qui, blessé grièvement à la bataille d'Iéna, fut accablé de bons traitemens par les Français; c'est lui qu'on laissa libre, et à qui, au lieu d'envoyer des gardes comme on devait le faire, on envoya des chirurgiens. Heureusement que le nombre des hommes auxquels il faut se repentir d'avoir fait du bien, n'est pas grand. Quoi qu'en disent les misanthropes, les ingrats et les pervers forment une exception dans l'espèce humaine.




Dresde, le 18 juillet 1817.

S. M. l'empereur est parti de Koenigsberg le 13 à six heures du soir; il est arrivé le 14 à midi à Marienwerder, où il s'est arrêté pendant une heure.

Il a passé à Posen le 14, à dix heures du soir; il s'y est reposé deux heures; il y a reçu les autorités du gouvernement polonais.

Il est arrivé à Glogau le 16 à midi, et le 17, à sept heures du matin, à Bautzen, première ville du royaume de Saxe, où il a été reçu par le roi.

Ces deux souverains se sont entretenus un moment dans la maison de l'évêché. Le roi est monté dans la voiture de l'empereur; ils sont arrivés ensemble à Dresde et sont descendus au palais.

Aujourd'hui à six heures du matin, l'empereur est monté à cheval pour parcourir les environs de Dresde.

Les sentimens que S.M. à trouvés en Saxe sont semblables à ceux qui lui ont été exprimés sur toute sa route en Pologne; un immense concours de peuple était partout sur son passage.




Paris, le 12 août 1807.

Réponse de l'empereur à une députation du royaume d'Italie.

«J'agrée les sentimens que vous m'exprimez au nom de mes peuples d'Italie. J'ai éprouvé une joie particulière dans le cours de la campagne dernière, de la conduite distinguée qu'ont tenue mes troupes italiennes. Pour la première fois, depuis bien des siècles, les Italiens se sont montrés avec honneur sur le grand théâtre du monde: j'espère qu'un si heureux commencement excitera l'émulation de la nation; que les femmes elles-mêmes renverront d'auprès d'elle cette jeunesse oisive qui languit dans leurs boudoirs, ou du moins ne les recevront que lorsqu'ils seront couverts d'honorables cicatrices. Du reste, j'espère avant l'hiver aller faire un tour dans mes Etats d'Italie, et je me fais un plaisir tout particulier de me trouver au milieu des habitans de ma bonne ville de Venise. Le vice-roi ne m'a pas laissé ignorer les bons sentiments qui les animent, et les preuves d'amour qu'ils m'ont données.»

BONAPARTE.




En notre palais impérial de Saint-Cloud, le 14 août 1807.

Message de Sa Majesté impériale et royale au sénat.

Sénateurs,

Conformément à l'article LVI de l'acte des constitutions de l'empire en date du 28 floréal an 12, nous avons nommé membres du sénat.

MM. Klein, général de division; Beaunont, général de division, et Béguinot, général de division.

Nous désirons que l'armée voie dans ce choix l'intention où nous sommes de distinguer constamment ses services.

MM. Fabre (de l'Aude), président du tribunat; et Curée; membre du tribunat.

Nous désirons que les membres du tribunat trouvent dans ces nominations un témoignage de notre satisfaction pour la manière dont ils ont concouru avec notre conseil d'Etat, à établir les grandes bases de la législation civile.

M. l'archevêque de Turin.

Nous saisissons avec plaisir cette occasion de témoigner notre satisfaction au clergé de notre empire, et particulièrement à celui de nos départements au-delà des Alpes.

M. Dupont, maire de Paris.

Notre bonne ville de Paris verra dans le choix d'un de ses maires, le désir que nous avons de lui donner constamment des preuves de notre affection.

BONAPARTE.




Autre message de S. M. impériale et royale au sénat.

Sénateurs,

Nous avons jugé convenable de nommer à la place de vice-grand-électeur le prince de Bénévent; c'est une marque éclatante de notre satisfaction, que nous avons voulu lui donner pour la manière distinguée dont il nous a constamment secondé dans la direction des affaires extérieures de l'empire.

Nous avons nommé vice-connétable notre cousin le prince de Neufchâtel: en l'élevant à cette haute dignité, nous avons voulu reconnaître son attachement à notre personne, et les services réels qu'il nous a rendus dans toutes les circonstances par son zèle et ses talents.

NAPOLÉON.




Paris, le 16 août 1807.

Discours de Sa Majesté l'empereur et roi à l'ouverture du corps législatif.

«Messieurs les députés des départements au corps législatif, messieurs les tribuns et les membres de mon conseil d'état,

Depuis votre dernière session, de nouvelles guerres, de nouveaux triomphes, de nouveaux traités de paix ont changé la face de l'Europe politique.

Si la maison de Brandebourg, qui, la première, se conjura contre notre indépendance, règne encore, elle le doit à la sincère amitié que m'a inspiré le puissant empereur du Nord.

Un prince français régnera sur l'Elbe: il saura concilier les intérêts de ses nouveaux sujets avec ses premiers et ses plus sacrés devoir.

La maison de Saxe a recouvré, après cinquante ans, l'indépendance qu'elle avait perdue.

Les peuples du duché de Varsovie, de la ville de Dantzick, ont recouvré leur patrie et leurs droits.

Toutes les nations se réjouissent d'un commun accord, de voir l'influence malfaisante que l'Angleterre exerçait sur le continent, détruite sans retour.

»La France est unie aux peuples de l'Allemagne par les lois de la confédération du Rhin, à ceux des Espagnes, de la Hollande, de la Suisse et des Italies, par les lois de notre système fédératif. Nos nouveaux rapports avec la Russie sont cimentés par l'estime réciproque de ces deux grandes nations.

»Dans tout ce que j'ai fait, j'ai eu uniquement en vue le bonheur de mes peuples, plus cher à mes yeux que ma propre gloire.

»Je désire la paix maritime. Aucun ressentiment n'influera jamais sur mes déterminations: je n'en saurais avoir contre une nation, jouet et victime des partis qui la déchirent, et trompée sur la situation de ses affaires, comme sur celle de ses voisins.

»Mais quelle que soit l'issue que les décrets de la Providence aient assignée à la guerre maritime, mes peuples me trouveront toujours le même, et je trouverai toujours mes peuples dignes de moi.

»Français, votre conduite dans ces derniers temps, où votre empereur était éloigné de plus de cinq cents lieues, a augmenté mon estime et l'opinion que j'avais conçue de votre caractère. Je me suis senti fier d'être le premier parmi vous.—Si, pendant ces dix mois d'absence et de périls, j'ai été présent à votre pensée, les marques d'amour que vous m'avez données ont excité constamment mes plus vives émotions. Toutes mes sollicitudes, tout ce qui pouvait avoir rapport même à la conservation de ma personne, ne me touchaient que par l'intérêt que vous y portiez et par l'importance dont elles pouvaient être pour vos futures destinée. Vous êtes un bon et grand peuple.

»J'ai médité différentes dispositions pour simplifier et perfectionner nos institutions.

»La nation a éprouvé les plus heureux effets de l'établissement de la légion d'honneur. J'ai créé différens titres impériaux pour donner un nouvel éclat aux principaux de mes sujets, pour honorer d'éclatans services par d'éclatantes récompenses, et aussi pour empêcher le retour de tout titre féodal, incompatible avec nos constitutions.

»Les comptes de mes ministres des finances et du trésor public vous feront connaître l'état prospère de nos finances. Mes peuples éprouveront une considérable décharge sur la contribution foncière.

»Mon ministre de l'intérieur vous fera connaître les travaux qui ont été commencés ou finis; mais ce qui reste à faire est bien plus important encore, car je veux que dans toutes les parties de mon empire, même dans le plus petit hameau, l'aisance des citoyens et la valeur des terres se trouvent augmentées par l'effet du système général d'amélioration que j'ai conçu.

»Messieurs les députés des départemens au corps législatif, votre assistance me sera nécessaire pour arriver à ce grand résultat, et j'ai le droit d'y compter constamment.»




Paris, le 19 août 1807.

Décret qui supprime le tribunat.

ART. 1er. A l'avenir, et à compter de la fin de la session qui va s'ouvrir, la discussion préalable des lois qui est faite par les sections du tribunat, le sera, pendant la durée de chaque session, par trois commissions du corps législatif, sous le titre, la première, de commission de législation civile et criminelle; la seconde, de commission d'administration intérieure; la troisième, de commission des finances.

2. Chacune de ces commissions délibérera séparément et sans assistans; elle sera composée de sept membres nommés par le corps législatif, au scrutin secret et à la majorité absolue des voix. Le président sera nommé par l'empereur, soit parmi les membres de la commission, soit parmi les autres membres du corps législatif.

3. La forme du scrutin sera dirigée de manière qu'il y ait, autant qu'il sera possible, quatre jurisconsultes dans la commission de législation.

4. En cas de discordance d'opinion entre la section du conseil d'état, qui aura rédigé le projet de loi, et la commission compétente du corps législatif, l'une et l'autre se réuniront en conférence, sous la présidence de l'archi-chancelier de l'empire, ou de l'archi-trésorier, suivant la nature des objets à examiner.

5. Si les conseillers d'état et les membres de la commission du corps législatif sont du même avis, le président de la commission sera entendu, après que l'orateur du conseil d'état aura exposé devant le corps législatif les motifs de la loi.

6. Lorsque la commission se décidera contre le projet de loi, tous les membres de la commission auront la faculté d'exposer devant le corps législatif les motifs de leur opinion.

7. Les membres de la commission qui auront discuté un projet de loi seront admis, comme les autres membres du corps législatif, à voter sur le projet.

8. Lorsque les circonstances donneront lieu à l'examen de quelque projet d'une importance particulière, il sera loisible à l'empereur d'appeler, dans l'intervalle de deux sessions, les membres du corps législatif nécessaires pour former les commissions, lesquelles procéderont, de suite, à la discussion préalable du projet: ces commissions se trouveront nommées pour la session prochaine.

9. Les membres du tribunal qui, aux termes de l'acte du sénat conservateur, en date du 17 fructidor an 10 devaient rester jusqu'en l'an 19, et dont pouvoirs avaient été, par l'article 89 de l'acte des constitutions de l'empire, du 28 floréal an 12, prorogés jusqu'en l'an 21, correspondant à l'année 1812 du calendrier grégorien, entreront au corps législatif, et feront partie de ce corps jusqu'à l'époque où leurs fonctions auraient dû cesser au tribunat.

10. A l'avenir, nul ne pourra être renommé membre du corps législatif, à moins qu'il n'ait quarante ans accomplis.




En notre palais royal de Milan, le 17 décembre 1807.

Décret qui déclare en état de blocus les îles britanniques.

Napoléon, empereur des Français, roi d'Italie, et protecteur de la confédération du Rhin.

Vu les dispositions arrêtées par le gouvernement britannique, en date du 11 novembre dernier, qui assujettissent les bâtimens des puissances neutres, amies et même alliées de l'Angleterre, non-seulement à une visite par les croiseurs anglais, mais encore à une station obligée en Angleterre et à une imposition arbitraire de tant pour cent sur leur chargement, qui doit être réglée par la législation anglaise;

Considérant que, par ces actes, le gouvernement anglais a dénationalisé les bâtimens de toutes les nations de l'Europe; qu'il n'est au pouvoir d'aucun gouvernement de transiger sur son indépendance et sur ses droits, tous les souverains de l'Europe étant solidaires de la souveraineté et de l'indépendance de leur pavillon; que si, par une faiblesse inexcusable, et qui serait une tache ineffaçable aux yeux de la postérité, ou laissait passer en principe et consacrer par l'usage une pareille tyrannie, les Anglais en prendraient acte pour l'établir en droit, comme ils ont profité de la tolérance des gouvernemens pour établir l'infâme principe que le pavillon ne couvre pas la marchandise, et pour donner à leur droit de blocus une extension arbitraire et attentatoire à la souveraineté de tous les états.

Nous avons décrété et décrétons ce qui suit:

Art. 1er. Tout bâtiment, de quelque nation qu'il soit, qui aura souffert la visite d'un vaisseau anglais, ou se sera soumis à un voyage en Angleterre, ou aura payé une imposition quelconque au gouvernement anglais, est par cela seul déclaré dénationalisé, a perdu la garantie de son pavillon et est devenu propriété anglaise.

2. Soit que lesdits bâtimens ainsi dénationalisés par les mesures arbitraires du gouvernement anglais, entrent dans nos ports ou dans ceux de nos alliés, soit qu'ils tombent au pouvoir de nos vaisseaux de guerre ou de nos corsaires, ils sont déclarés de bonne et valable prise.

3. Les îles britanniques sont déclarées en état de blocus sur mer comme sur terre. Tout bâtiment de quelque nation qu'il soit, quel que soit son chargement, expédié des ports d'Angleterre ou des colonies anglaises, ou des pays occupés par les troupes anglaises, ou allant en Angleterre, ou dans les colonies anglaises, ou dans des pays occupés par les troupes anglaises, est de bonne prise, comme contrevenant au présent décret; il sera capturé par nos vaisseaux de guerre ou par nos corsaires, et adjugé au capteur.

4. Ces mesures, qui ne sont qu'une juste réciprocité pour le système barbare adopté par le gouvernement anglais, qui assimile sa législation à celle d'Alger, cesseront d'avoir leur effet pour toutes les nations qui sauraient obliger le gouvernement anglais à respecter leur pavillon. Elles continueront d'être en vigueur pendant tout le temps que ce gouvernement ne reviendra pas aux principes du droit des gens, qui règle les relations des états civilisés dans l'état de guerre. Les dispositions du présent décret seront abrogées et nulles par le fait, dès que le gouvernement anglais sera revenu aux principes du droit des gens, qui sont aussi ceux de la justice et de l'honneur.

5. Tous nos ministres sont chargés de l'exécution du présent décret, qui sera inséré au bulletin des lois.

NAPOLÉON.




En notre palais royal de Milan, la 20 décembre 1807.

Lettres-patentes.

Napoléon, par la grâce de Dieu et par les constitutions, empereur des Français, roi d'Italie, protecteur de la confédération du Rhin, à tous ceux qui les présentes verront; salut:

Voulant donner une preuve particulière de notre satisfaction à notre bonne ville de Venise, nous avons conféré et conférons, par ces présentes lettres-patentes, à notre bien-aimé fils le prince Eugène Napoléon, notre héritier présomptif à la couronne d'Italie, le titre de prince de Venise.

Nous mandons et ordonnons que les présentes lettres-patentes soient enregistrées à la consulte d'état, transcrites sur le grand livre qu'ouvrira à cet effet notre chancelier garde-des-sceaux, et insérées au bulletin des lois, afin que personne ne puisse en prétexter cause d'ignorance.

NAPOLÉON.




En notre palais royal de Milan, le 20 décembre 1807.

Lettres-patentes.

Napoléon, par la grâce de Dieu et les constitutions, empereur des Français, roi d'Italie, protecteur de la confédération du Rhin, à tous ceux qui les présentes verront; salut:

Voulant donner une preuve particulière de notre satisfaction à notre bonne ville de Bologne, nous avons conféré et conférons par les présentes, le titre de princesse de Bologne à notre bien-aimée petite-fille la princesse Joséphine.

Nous mandons et ordonnons que les présentes lettres-patentes soient enregistrées à la consulte-d'état, transcrites sur les registres du sénat à la première session, inscrites sur le grand livre qu'ouvrira à cet effet notre chancelier garde-des-sceaux, et insérées au bulletin des lois, afin que personne ne puisse en prétexter cause d'ignorance.

NAPOLÉON.




En notre palais royal de Milan, le 20 décembre 1807.

Lettres-patentes.

Napoléon, par la grâce de Dieu et les constitutions, empereur des Français, roi d'Italie, protecteur de la confédération du Rhin, à tous ceux qui les présentes verront; salut:

Voulant reconnaître les services que le sieur Melzi, chancelier garde-des-sceaux de notre royaume d'Italie, nous a rendus dans toutes les circonstances, dans l'administration publique, où il a déployé, pour le bien de nos peuples et de notre couronne, les plus hauts talens et la plus sévère intégrité;

Nous souvenant qu'il fut le premier Italien qui nous porta, sur le champ de bataille de Lodi, les clefs et les voeux de notre bonne ville de Milan, nous avons résolu de lui conférer le titre de duc de Lodi, pour être possédé par lui ou par ses héritiers masculins, soit naturels, soit adoptifs, par ordre de primogéniture; entendant que le cas d'adoption ayant lieu par le titulaire et ses descendans, elle sera soumise à notre approbation ou à celle de nos successeurs.

Nous mandons et ordonnons que l'état des biens que nous avons annexés au duché de Lodi, soit envoyé par notre grand-juge aux cours d'appel du lieu où ils sont situés, pour être inscrit au greffe, afin que personne n'en puisse prétexter cause d'ignorance; notre intention étant que ces biens soient exceptés des dispositions du Code Napoléon, et possédés toujours et en entier par les titulaires du duché, comme en faisant partie intégrante.

Les présentes lettres-patentes seront enregistrées à la consulte-d'état, imprimées au bulletin des lois, et transcrites sur les registres du sénat, à sa première session, et sur le grand livre qu'ouvrira à cet effet notre chancelier garde-des-sceaux.

NAPOLÉON.




Milan, le 21 décembre 1807.

Discours de l'empereur et roi au corps législatif italien, après la lecture des lettres-patentes gui précèdent.

«Messieurs les possidenti, dotti et commercianti,

«Je vous vois avec plaisir environner mon trône.

«De retour, après trois ans d'absence, je me plais à remarquer les progrès qu'ont faits mes peuples; mais que de choses il reste encore à faire pour effacer les fautes de nos pères, et vous rendre dignes des destins que je vous prépare!

«Les divisions intestines de nos ancêtres, leur misérable égoïsme de ville, préparèrent la perte de tous nos droits. La patrie fut déshéritée de son rang et de sa dignité, elle qui, dans des siècles plus éloignés, avait porté si loin l'honneur de ses armes et l'éclat de ses vertus. Cet éclat, ces vertus, je fais consister ma gloire à les reconquérir.

«Citoyens d'Italie, j'ai beaucoup fait pour vous; je ferai, plus encore. Mais de vôtre côté, unis de coeur comme vous l'êtes d'intérêt avec mes peuples de France, considérez-les comme des frères aînés. Voyez constamment la source de notre prospérité, la garantie de nos institutions, celle de notre indépendance, dans l'union de cette couronne de fer avec ma couronne impériale.»




LIVRE SIXIÈME.




EMPIRE.

1808.




Paris, le 6 janvier 1808.

Notes extraites du Moniteur.

5Nous sommes autorisés à déclarer qu'il n'a été pris, pendant les conférences de Tilsitt, aucun engagement secret dont l'Angleterre puisse se plaindre, et qui la concerne en aucune manière. Pourquoi le cabinet de Londres, s'il est instruit d'engagemens secrets, contraires aux intérêts de l'Angleterre, ne les fait-il pas connaître? Son manifeste deviendrait inutile, et la seule communication de ces articles secrets justifierait sa conduite aux yeux de l'Europe, et redoublerait la bonne volonté et l'énergie de tout citoyen anglais. Mais c'est l'usage de ce gouvernement de partir d'une assertion fausse pour autoriser ses injustices, et pour chercher à justifier les vexations qu'il fait éprouver sans distinction à tous les peuples du monde. Lorsqu'il jugea convenable de ne point exécuter l'article du traité d'Amiens qui exigeait l'évacuation de Malte, il fit dire au roi dans un message au parlement: que tous les ports français étaient remplis de vaisseaux prêts à effectuer une descente en Angleterre, et l'Europe entière sait s'il y avait alors le moindre armement dans les ports de France. Lorsqu'il voulut ravir quelques millions de piastres, que quatre frégates espagnoles rapportaient du continent de l'Amérique, il fit un mensonge non moins grossier, pour justifier l'agression la plus honteuse. Lorsqu'enfin, il veut excuser l'inexcusable expédition de Copenhague, il a recours à des suppositions d'une fausseté évidente pour toute l'Europe.

Note 5: (retour) Cette note est une réponse aux plaintes que faisait le gouvernement anglais sur des engagement secrets auxquels aurait souscrit la Russie lors du traité de Tilsitt.

Mais si les dénégations formelles de la Russie et de la France, si l'expérience si souvent renouvelée de l'infidélité des assertions de l'Angleterre, si le défi qu'on lui fait de donner connaissance de quelque article secret du traité de Tilsitt qui serait contraire à ses intérêts, ne suffisent point pour convaincre tout homme impartial, un très-petit nombre de réflexions prouvera que l'Angleterre ne croit pas à ces engagemens secrets pris par la Russie contre elle.

En effet, si le cabinet de Londres croyait qu'il existait de tels engagemens contre la France et la Russie, pourquoi, dans le moment même où il avait fait cette découverte, qui le portait à attaquer Copenhague, ne faisait-il pas attaquer l'escadre russe dans la Méditerranée, et lui permettait-il de franchir librement le détroit de Gibraltar? Pourquoi trois vaisseaux russes, qui venaient de la mer du Nord, traversaient-ils l'escadre anglaise qui bloquait Copenhague? Pourquoi, s'il était vrai que des conditions secrètes eussent été stipulées à Tilsitt, au désavantage de l'Angleterre, le cabinet de Londres recourait-il à la médiation de la Russie pour concilier ses différens avec le Danemarck? Que ses ministres soient au moins d'accord avec eux-mêmes, et qu'ils ne disent pas quelques pages plus bas ces propres mots: «Et cependant jusqu'à la publication de la déclaration russe (c'est-à-dire jusqu'en novembre), S.M. n'avait aucune raison de soupçonner que, quelle que pût être l'opinion de l'empereur de Russie sur les événemens de Copenhague, elle pût empêcher S.M.I. de se charger, à la demande de la Grande-Bretagne, de ce même rôle de médiateur.» Ainsi les Anglais ont eu recours à la médiation de la Russie pour s'arranger avec le Danemarck plus de trois mois après le traité de Tilsitt; et ils prétendent, comme on le verra encore plus bas, n'avoir fait l'expédition de Danemarck, que pour s'opposer à l'exécution des ces arrangemens de Tilsitt, et pour déjouer un des objets de ces arrangemens. Ils se sont emparés des vaisseaux danois, à cause des arrangemens que l'empereur de Russie avait faits à Tilsitt; ils ont laissé passer librement les vaisseaux de l'empereur de Russie; ils étaient en paix avec la Russie, puisqu'ils avaient recours à sa médiation; il n'est donc pas vrai qu'ils crussent alors que la Russie avait pris des arrangemens contre eux; il n'est donc pas vrai qu'ils croient aujourd'hui que ces arrangemens ont existé. Que cette malheureuse nation est déchue! par quels misérables conseils ses affaires sont-elles dirigées! Ses ministres, en arrêtant un manifeste de quelques pages, n'ont pas même assez de bon sens et de réflexion pour éviter des contradictions aussi grossières.

6La bonne foi du cabinet de Londres paraît ici dans tout son jour: il espérait que l'empereur de Russie, après avoir pris des engagemens contraires à l'Angleterre, y manquerait presque aussitôt. Le gouvernement anglais en juge sans doute d'après ses propres sentimens. Il révèle son secret à toute la terre. Les traités qu'il signe ne sont que des actes éventuels; les obligations qu'il contracte ne sont que des engagemens simulés, qu'il tient ou qu'il viole au gré de ses caprices ou de ses intérêts. Nous le répétons, l'empereur de Russie n'a rien signé à Tilsitt qui fût contraire aux intérêts de l'Angleterre; mais s'il l'eût fait, son caractère, sa loyauté, n'autorisaient pas l'Angleterre à penser qu'il aurait aussitôt violé ses engagemens. Nous ne relèverons pas le ton de tout ce paragraphe où on représente la Russie cédant à un moment d'alarme et d'abattement; les Russes y répondront mieux que nous. Nous remarquerons seulement la différence qui existe entre la déclaration de la Russie et la réponse de l'Angleterre. On trouve dans la première le noble langage d'un prince qui respecte le rang suprême et la dignité des nations; qui, s'il dit des faits honteux pour un état, ne les dit que parce qu'il y est forcé pour exposer ses motifs de plainte. Nous voyons au contraire, dans la réponse de l'Angleterre, la grossière insolence d'un club oligarque qui ne respecte rien, qui cherche à humilier par ses expressions, et qui, au défaut de bonnes raisons, a recours à des imputations calomnieuses, et à des sarcasmes outrageans.

Note 6: (retour) L'Angleterre paraissait croire que l'empereur de Russie ne tarderait pas à revenir à son système.

7Deux grandes nations égales en force, en courage, versaient des flots du plus pur de leur sang pour le seul intérêt des oppresseurs des mers: ces calamités ont touché les deux souverains; ils ont voulu les faire cesser, et l'empereur de Russie, lors même qu'il était animé par un si puissant motif, a désiré faire sentir à l'Angleterre les effets de son ancienne affection: il a demandé que la France acceptât sa médiation, condition que la générosité de l'empereur de Russie a rendu moins pénible à l'empereur des Français. Elle pouvait l'être cependant, puisque la médiation qu'il s'agissait d'accepter était celle d'un prince si nouvellement réconcilié avec la France; et cette médiation ainsi proposée, ainsi accueillie, l'Angleterre, au lieu de l'accepter avec empressement, a répondu à tant de générosité avec une défiance insultante; elle a demandé qu'avant tout, on lui communiquât les articles secrets du traité de Tilsitt qui la concernaient; on lui a répondu qu'il n'existait pas d'articles secrets qui la concernassent, et il aurait fallu sans doute, que l'empereur de Russie en forgeât exprès pour dissiper un odieux soupçon: lui qui, dans les négociations, a eu toujours à coeur de laisser la porte ouverte aux arrangemens entre la France et l'Angleterre. Il n'avait pas lieu de s'attendre à être si mal récompensé de soins si généreux. En vérité, il est difficile de porter plus loin l'oubli de toutes les convenances, de tout sentiment et de toute raison.

Note 7: (retour) Dans le paragraphe qui a motivé cette note, l'Angleterre exigeait de la Russie communication des prétendus articles secrets qui la concernaient.

8Les ministres de Londres manquent de mémoire d'une manière bien étrange. S'ils voulaient persuader à l'Europe qu'ils n'avaient aucune liaison avec la Russie lorsque la guerre a éclaté entre la France et la Prusse, il fallait effacer de tous les souvenirs, retirer de tous les documens publics, les pièces qu'ils firent imprimer sur les événements de 1805. Ces pièces publiées par l'Angleterre, ont appris que le cabinet de Londres, pour éloigner l'orage qui se préparait à Boulogne, fit alors un traité avec la Russie et l'Autriche. Ce fut contre opinion du prince Charles et de tous les hommes éclairés, qu'une armée autrichienne se précipita sur l'Iller. La faction que le gouvernement anglais avait alors à Vienne, n'examina pas s'il convenait aux puissances de la coalition d'attendre que les troupes russes fussent réunies aux troupes autrichiennes: ce retard de trois mois effrayait l'Angleterre; les longues nuits de l'automne la menaçaient d'un trop grand péril, et Cobentzel envoya la note qui décidait la guerre, au moment même où l'armée de Boulogne était embarquée; et Mack finissait ses destins à Ulm, tandis que les Russes étaient encore en Pologne. Lorsqu'on peut répondre à l'Angleterre par des faits aussi publics, comment nierait-elle que c'est pour elle, et pour elle seule, que l'Autriche et la Russie ont fait la guerre? L'Autriche ne tarda point à conclure sa paix; la Russie resta en guerre avec la France. Depuis, un plénipotentiaire russe signa un traité de paix à Paris; la Russie ne le ratifia point, par la seule raison qu'ayant fait la guerre avec vous, c'était avec vous qu'elle voulait faire la paix. Ainsi, après avoir fait la guerre pour l'Angleterre, c'est encore pour elle que la Russie n'a pas fait la paix; c'est encore pour elle que la Russie a continué la guerre. Ce n'est point pour la Prusse, parce que la Russie ne devait rien à cette puissance; elle ne devait rien à cette puissance, parce que la Prusse, après avoir signé à Berlin un traité de coopération, l'avait presque aussitôt fait désavouer à Vienne, s'était séparée de ses alliés, et avait conclu avec la France ses arrangemens particuliers. La possession du Hanovre, désirée par la Prusse, l'avait été non-seulement sans l'intention de la Russie, mais contre ses intérêts et sa volonté. C'est encore une vérité historique, que la Prusse a armé sur le bruit du traité de paix signé à Paris par M. Doubril, et d'après l'assurance qui lui fut donnée par le marquis de Lucchesini, que, par un article secret de ce traité, la Pologne avait été cédée au grand-duc Constantin. Cet inconcevable cabinet de Berlin, après avoir trompé tout le monde, avait enfin été pris dans ses propres filets. Il est donc vrai que lorsque la Prusse arma en 1806, ce fut tout à la fois contre la France et contre la Russie; il n'est pas moins vrai que la bataille d'Iéna avait déjà détruit l'armée prussienne, que les Français étaient déjà à Berlin et sur l'Oder, lorsqu'il n'y avait point encore de traité entre la Prusse et la Russie. La Russie dut marcher sur la Vistule, à cause de l'état de guerre où elle se trouvait avec la France depuis 1805, et pour se défendre elle-même. Cette confusion des événemens les plus récens, cette ignorance des affaires de nos jours, sont dignes de l'administration actuelle de l'Angleterre. Toute cette conduite enfin décèle l'égoïsme et le machiavélisme de ce cabinet.

Note 8: (retour) L'Angleterre se défend d'avoir eu, plus que la Russie, un intérêt immédiat à la guerre de Prusse.

9Ainsi l'empereur de Russie n'est pas fondé à se plaindre de ce que, pendant qu'il était aux prises avec l'armée française, le cabinet de Londres employait les forces britanniques pour le seul profit de l'Angleterre. Si l'escadre anglaise qui a forcé les Dardanelles, avait voulu se combiner avec l'escadre russe, si elle avait pris à bord les dix mille hommes qui ont été envoyés en Ègypte, si elle les avait réunis aux douze mille Russes de Corfou, l'attaque de Constantinople eût été une diversion efficace pour la Russie. La conduite de l'Angleterre fut dans un sens tout opposé: après avoir subi à Constantinople une honte ineffaçable, elle fit son expédition d'Egypte, qui n'affaiblissait pas le grand-visir d'un seul homme, et qui n'avait rien de commun avec la querelle dans laquelle elle avait engagé la Russie.

Note 9: (retour) La déclaration anglaise cherche à repousser le reproche qu'on lui adressait de n'avoir rien tenté en faveur de ses alliés.

Ainsi l'empereur de Russie ne doit s'en prendre qu'à lui, puisqu'il n'a pas voulu attendre les secours que l'Angleterre était disposée à lui accorder. Mais ces secours, il fallait les faire marcher lorsque Dantzick était encore dans la possession de Kalkreuth. Si aux douze mille hommes qui ont mis bas les armes et capitulé dans les rues de Buénos-Ayres, l'Angleterre avait joint les quinze mille hommes qui depuis ont incendié Copenhague, ces forces n'auraient pas sans doute fait triompher les armes britanniques; la France était en mesure; elle estimait assez l'Angleterre pour avoir compté sur de plus grands efforts; mais la Russie n'avait pas à se plaindre. Il importait bien peu au cabinet de Londres que deux nations du continent s'entr'égorgeassent sur la Vistule; les trésors de Monte-Vidéo et de Buénos-Ayres excitaient sa cupidité, et Dantzick n'a point été secouru.

S. M., disent les ministres, faisait les plus grands efforts pour remplir l'attente de son allié. Et qu'ont produit ces grands efforts? L'arrivée de six mille Hanovriens à l'île de Rugen, au mois de juillet, c'est-à-dire, un mois après que la querelle était terminée. N'était-il pas évident qu'une si misérable expédition avait été conçue dans le seul but d'occuper le Hanovre, si l'armée russe avait été victorieuse? n'est-il pas évident qu'elle n'arrivait à Rugen que pour le compte de l'Angleterre? n'est-it pas évident que si l'armée française avait été victorieuse, un secours de six mille hommes n'aurait été d'aucun effet? n'est-il pas évident qu'au mois de juillet, l'armée française devait être victorieuse ou battue? n'est-il pas évident que les vingt mille Espagnols, que les quarante mille Français venus de l'armée d'Italie, et dont une partie s'était trouvée disponible par la sûreté que donnait à la France les expéditions d'Egypte et de Buénos-Ayres, réunis aux vingt-quatre mille Hollandais qui étaient à Hambourg, formaient au mois de juillet une armée plus que suffisante pour anéantir tous les efforts de l'Angleterre?

Ce n'est donc pas au mois de juillet qu'il fallait envoyer des secours. C'était en avril. Mais alors la légion hanovrienne n'était point formée, et avant qu'on pût faire marcher ce ramas de déserteurs étrangers, les ministres n'avaient à leur disposition que des troupes nationales, et nous dirons pourquoi ils n'aiment pas à en disposer. Les quinze mille hommes de Buénos-Ayres, réunis à quinze mille hommes des milices de la Grande-Bretagne, pouvaient fournir au mois d'avril une armée de trente mille Anglais; mais ce n'était point là ce qui convenait au cabinet de Londres: le sang des peuples du continent doit seul couler pour la défense de l'Angleterre. Qu'on lise attentivement les débats du parlement, on y trouvera le développement de cette politique; et c'est de cette politique que la Russie se plaint justement. Elle avait le droit de voir débarquer quarante mille Anglais au mois d'avril, ou à Dantzick ou même à Stralsund. L'Angleterre l'a-t-elle fait? Non; l'a-t elle pu faire? Si elle répond négativement, elle est donc une nation bien faible et bien misérable; elle a donc bien peu de titres pour être si exigeante envers ses alliés. Mais ce qui manquait aux ministres, c'était la volonté; il ne leur faut que des opérations de pirates; ils calculent les résultats de la guerre à tant pour cent; ils ne songent qu'à gagner de l'argent, et les champs de la Pologne n'offraient que des dangers et de la gloire; et si l'Angleterre avait enfin pris part à quelques combats, du sang anglais aurait été versé; le peuple de la Grande-Bretagne, en apprenant quels sacrifices exige la guerre, aurait désiré la paix; le deuil des pères, des mères pleurant leurs enfans morts au champ d'honneur, aurait peut-être fait naître enfin, dans le coeur des ministres, ces mêmes sentimens qu'une longue guerre a inspirés aux Français, aux Russes, aux Autrichiens. Le cabinet britannique n'aurait pu se défendre à son tour d'avoir horreur de la guerre perpétuelle, ou bien les hommes de sang qui le composent seraient devenus l'exécration du peuple. Il n'en est pas de la guerre de terre comme de la guerre de mer: la plus forte escadre n'exige pas quinze mille hommes parfaitement approvisionnés et n'ayant à souffrir aucune privation; le plus grand combat naval n'équivaut pas une escarmouche de terre, il coûte peu de sang et de larmes. La France, l'Autriche, la Russie emploient à la guerre des armées de quatre cent mille hommes, qui sont exposés à tous les genres de dangers et qui se battent tous les jours. Le désir de la paix naît au sein même de la victoire; et pour des souverains pères de leurs sujets, il se place bientôt parmi leurs sentimens les plus chers. De tous les gouvernemens, l'oligarchie est le plus dur; lui même cependant est aussi ramené vers la paix, quand la guerre coûte tant de victimes. Le système qui a conduit l'Angleterre à ne point secourir ses alliés, est la suite de son égoïsme, et l'effet de sa maxime barbare d'une guerre perpétuelle. Le peuple anglais ne se révolte point à cette idée, parce qu'on a soin d'éloigner de lui les sacrifices de la guerre. C'est ainsi que, pendant quatre coalitions, nous avons vu l'Angleterre rire a l'aspect des malheurs du continent, alimenter son commerce de sang humain, et se faire un jeu des scènes de carnage auxquelles elle ne prenait point de part. Elle rentrera dans l'estime de l'Europe, elle sera digne d'avoir des alliés quand elle se présentera en front de bandière avec quatre-vingt mille hommes; alors, quel que soit l'événement, elle ne voudra pas une guerre perpétuelle; son peuple ne se soumettra point aux caprices d'une ambition désordonnée, ses alliés ne seront pas ses victimes. C'est en se battant que les Russes, les Autrichiens, les Français ont appris à s'estimer; c'est en se battant qu'ils ont appris à faire céder les passions haineuses ou cruelles au désir de la paix. L'Angleterre a acquis sa supériorité sur les mers par la trahison à Toulon et dans la Vendée: elle n'a exposé aux convulsions qu'elle a suscitées, que quelques vaisseaux et quelques milliers d'hommes; elle n'a éprouvé ni le besoin de la paix, ni les pertes sanglantes de la guerre. Mais il est naturel que le continent veuille la paix, et que les puissances continentales aient en horreur la république d'Angleterre.

10 Il est vrai que la cour de l'amirauté n'a condamné qu'un seul bâtiment russe; mais ce raisonnement n'en est pas moins faux: plus de cent bàtimens russes ont été détournés de leur navigation, assujettis à d'odieuses visites et retenus en Angleterre. Depuis le manifeste du cabinet de Londres, plus de douze de ces vaisseaux arrêtés pendant que les Russes se battaient pour la cause de l'Angleterre, ont déjà été condamnés. Ce n'est donc point à la cour de l'amirauté qu'il fallait s'adresser pour vérifier les sujets de plaintes de la Russie: ce sont les registres des croiseurs, ce sont ceux des capitaines de ports qu'il faut consulter. C'est une étrange manière de chercher à persuader qu'on n'a point de torts, que de chercher les preuves de ces torts où elles ne sont pas.

Note 10: (retour) Réfutation des griefs de la Russie, qui se plaignait des vexations que son commerce avait éprouvées de la part des Anglais.

11 Le sophisme et l'hypocrisie ajoutent encore au sentiment de dégoût qu'on éprouve en lisant de telles absurdités. Quelque horrible que soit le principe de la guerre perpétuelle, il serait moins honteux de l'avouer: il y a une sorte de grandeur à proclamer hautement la scélératesse; l'Angleterre dit qu'elle n'a pas refusé la médiation offerte par l'empereur de Russie, et le même jour où parut sa note en réponse à cette offre, ses troupes entrèrent à Copenhague, déclarant ainsi la guerre, non-seulement à la Russie, mais à l'Autriche, mais à tout le continent. Sa réponse au cabinet de Saint-Pétersbourg a été lue à la lueur de l'incendie de Copenhague. Que disait cette réponse? Que l'Angleterre voulait connaître les bases de la négociation; ressource misérable lorsqu'il s'agit de si grands intérêts. Lord Yarmouth, Lord Lauderdale connaissent ces bases: qu'on leur demande s'ils pensent que la France voulait la paix? La base la plus désirable se trouvait énoncée dans les notes de la Russie, puisqu'elle offrait sa médiation pour une paix juste et honorable. L'Angleterre demandait une garantie, et l'empereur de Russie offrait la sienne. Etait-il sur la terre une garantie plus puissante et plus auguste? Quant à la communication des articles secrets vous concernant, qu'aviez-vous donc à demander, puisqu'ils n'existaient pas? et que vouliez-vous réellement? refuser la médiation? Vous l'avez refusée, et la main qui a signé ce refus dégouttait du sang des Danois, le plus cher et le plus ancien des alliés de la Russie.

Note 11: (retour) L'Angleterre cherche à colorer son refus d'accepter la médiation de la Russie pour traiter avec la France.

12 La Prusse avait perdu tous ses états; Memel était au moment d'échapper au pouvoir du roi. Le cabinet de Londres était une des causes de cette situation malheureuse, en insinuant à la Prusse que la France voulait remettre le Hanovre au roi d'Angleterre. Est-ce avec le secours des Anglais que le roi de Prusse est sorti d'une position désespérée? C'est l'empereur de Russie qui a combattu pour lui et qui lui a fait restituer sa couronne. Voilà une étrange manière d'abandonner ses alliés. Les anciens alliés de l'Angleterre seraient bien heureux s'ils n'avaient à se plaindre que d'un abandon de cette espèce. Sans doute la France a proposé deux fois à la Prusse une paix séparée, mais il était bien entendu, lorsqu'elle n'avait pas pour elle la généreuse intervention de la Russie, que le territoire prussien n'aurait été évacué que quand les Anglais auraient eux-mêmes fait la paix.

Note 12: (retour) Elle prétexte l'abandon des intérêts de la Prusse.

13 Ce paragraphe ne contient que des assertions fausses. Aucune nouvelle contribution n'a été mise sur les états prussiens, mais celles qui avaient été imposées pendant la guerre doivent être acquittées. Tous les pays entre le Niémen et la Vistule, formant une population de plus d'un million, ont été évacués. Le reste ne l'est pas: il n'a pas dû l'être, parce que le traité n'a pas fixé le temps; parce que les arrangemens préalables avec le roi de Prusse ne sont pas terminés; parce que l'expédition de Copenhague est venue jeter de nouvelles incertitudes dans les affaires du Nord de l'Europe; parce que le ministre de Prusse, qui, selon l'ancienne politique de son cabinet, a si bien instruit le cabinet britannique par de fausses confidences, est encore à Londres; parce que les vaisseaux anglais ont été reçus à Memel; parce qu'enfin dans la circonstance extraordinaire où les injustices de la Grande-Bretagne ont placé l'Europe, la Russie et la France ont à s'entendre.

Note 13: (retour) Elle allègue la conduite de la France à l'égard de la Prusse.

Quant à la mort d'individus sujets de S. M. prussienne, et à la remise de forteresses prussiennes qui n'avaient pu être réduites pendant la guerre, ces assertions sont tout à fait inintelligibles. La France a, au contraire, rendu deux forteresses de plus à la Prusse, Cassel et Gratz. Les Français font la guerre loyalement, et assurément ils ne tuent point les sujets paisibles des pays conquis; ils ne prennent pas les propriétés des particuliers, ils les protègent. Peuples du continent, lisez le code maritime de l'Angleterre, et vous verrez quel serait son code terrestre si elle était puissante sur terre comme sur mer. Elle ne s'empare pas seulement des vaisseaux des princes avec lesquels elle est en guerre, mais aussi des vaisseaux marchands qui transportent des propriétés privées. Il n'y a aucune différence, aux yeux de l'équité, entre les magasins de marchandises appartenant à des particuliers dans les provinces conquises, et les marchandises qui appartiennent à des négocians et qui naviguent sur bâtimens marchands; il n'y a point de différence, sous le rapport de l'équité, entre les vaisseaux marchands et les convois de marchandises transportées par terre de Hambourg à Berlin, ou de Trieste en Allemagne. Et a-t-on jamais vu les armées françaises arrêter des convois? n'a-t-on pas vu lord Keith vouloir s'emparer à Gênes des vaisseaux qui étaient dans le port, et des denrées qui se trouvaient chez les marchands de cette ville? il ne faisait là qu'une application à la terre des principes du code maritime de l'Angleterre. Les Autrichiens et le prince Hohenzollern qui les commandait, furent indignés de ces vexations; ils s'y opposèrent, et la journée de Marengo amenant, quelques jours après, les Français dans Gênes, y ramena aussi la sécurité sur les propriétés privées. D'où viennent donc des procédés si différens? Les uns sont le résultat de la politique atrabilaire, injuste de l'Angleterre, les autres sont le fruit de la politique libérale et de la civilisation de la France. Si, à son tour, elle dominait sur les mers, on ne la verrait attaquer que les vaisseaux armés; on la verrait protéger même les propriétés appartenant aux sujets des états avec lesquels elle serait en guerre. Si l'on veut comparer l'esprit de libéralité et la civilisation des deux nations, il faut prendre pour termes de cette comparaison le code des Français pendant la guerre de terre, et son application aux individus et aux propriétés, et le code maritime des Anglais, et son application aux individus et aux propriétés qui se trouvent sur les mers.

Mais quel est le motif qui a porté les ministres de Londres à faire mention de la Prusse dans ce manifeste? est-ce l'intérêt de la Prusse? Mais si l'intérêt de la Prusse les avait touchés, ils auraient accepté la médiation de l'empereur de Russie. Pourquoi publier aujourd'hui ce paragraphe indiscret qui laisse voir clairement que l'esprit qui a fait faire tant de faux pas au cabinet de Berlin s'agite encore? est-ce pour être utile à la Prusse, et lui concilier l'intérêt de la France dont elle a tant besoin dans ces circonstances?

La France a évacué beaucoup de pays, et l'Angleterre n'en a pas évacué un seul, et la base préalable de toutes ses négociations est l'uti possidetis. Lorsque les Français traitent avec leurs ennemis, ou ils changent les gouvernemens coupables de s'être unis à l'Angleterre contre les intérêts du continent, ou, s'ils évacuent les pays conquis, ce n'est qu'en conséquence d'une paix solide dont toutes les stipulations sont observées: et de même qu'en ne les voit pas attaquer leurs alliés sans déclaration de guerre, surprendre leurs capitales par trahison, de même on ne les voit pas abandonner une place avant que les négociations aient décidé de son sort. Les Anglais attaquent pour dépouiller, et se retirent après le pillage et l'incendie. Cette guerre leur convient, car c'est celle des pirates. Puisqu'ils étaient entrés à Copenhague, il fallait qu'ils y demeurassent jusqu'à la paix. Ils ont joint à la honte d'une entreprise atroce, le déshonneur d'une fuite honteuse.

Mais s'il était vrai que les Français fussent exigeans envers leurs ennemis, il faut le dire, comment ne le seraient-ils point? Ils ont huit cent mille hommes sur pied, et ils sont prêts à tous les sacrifices pour doubler encore leurs forces si cela était nécessaire: non que les armes soient leur métier naturel, et que tant de bras arrachés à la culture d'un sol si fertile, ne soient pas pour eux un sensible sacrifice. Possesseurs d'un beau pays, ils voudraient se livrer aux conquêtes du commerce et de l'industrie; mais votre tyrannie les en empêche. C'est un géant que vous avez excité et que vous irritez sans cesse. Depuis quinze ans vos injustices n'ont fait qu'ajouter à son énergie et à sa puissance que votre persévérance dans la tyrannie doit accroître encore. Non-seulement il ne posera pas les armes, mais il augmentera ses forces jusqu'à ce qu'il ait conquis la liberté des mers qui est son premier droit et le patrimoine de toutes les nations. Si les suites affligeantes de la guerre se prolongent, si le séjour des troupes françaises est à charge aux pays qu'elles occupent, c'est à vous qu'il faut s'en prendre: tous les maux qui ont tourmenté l'Europe sont venus de vous seuls. Les lieux communs diplomatiques ne résolvent pas de si grandes questions. Quand vous voudrez la paix, la France sera prête à la faire; vous ne pouvez l'ignorer, vous ne l'ignorez point. On peut citer à ce sujet une anecdote qui est généralement connue. Lorsque la garde impériale partit pour Jéna, et que l'on sut que peu de jours après l'empereur devait partir pour l'armée, lord Lauderdale demanda à M. de Champagny si, dans le cas où l'Angleterre ferait la paix, l'empereur Napoléon consentirait à s'arrêter et à contremander la marche de ses troupes contre la Prusse: l'empereur fit répondre affirmativement. D'un seul mot vous auriez sauvé la Prusse. En prévenant la chute de cette puissance, vous mainteniez sur l'Elbe cette barrière si nécessaire à vos intérêts les plus chers, et dont le rétablissement est désormais impossible.

14L'empereur de Russie a du être offensé de la communication que fit M. Canning à M. Ryder, et dans laquelle le ministre anglais se disait certain que la Russie garantirait le Danemarck du juste ressentiment de la France, si, après avoir laissé violer son indépendance et ravir sa flotte, le Danemarck se constituait province anglaise. Ce mensonge ne fit qu'irriter le prince royal: il ne pouvait en imposer à personne. L'Angleterre voulait que la Russie garantît le Danemarck du ressentiment de la France, tandis qu'elle déclarait qu'elle ne faisait violence au Danemarck que pour se garantir des engagemens secrets contractés à Tilsitt par l'empereur de Russie. On ne sait, en vérité, ce qui est ici le plus frappant, ou la déraison ou l'immoralité du cabinet de Londres.

Note 14: (retour) Elle oppose à son refus d'accepter la médiation de la Russie, celui fait par cette puissance de lui servir de médiatrice envers le Danemarck.

15Si l'empereur de Russie a montrée à l'Angleterre les premiers symptômes d'une paix renaissante depuis la paix de Tilsitt, il n'est donc pas vrai qu'il ait conclu à Tilsitt des arrangemens secrets qui l'avaient mis en inimitié avec l'Angleterre. Si ces démonstrations ont eu lieu au moment où l'on venait d'apprendre à Pétersbourg la nouvelle de l'investissement de Copenhague, ce n'est pas que l'empereur de Russie n'en éprouvât aucun ressentiment; c'est qu'il concevait quelqu'espoir d'adoucir la férocité de l'Angleterre par de bons procédés; c'est qu'il a désiré intervenir pour sauver son malheureux allié; c'est qu'ignorant les causes de l'expédition de Copenhague, sachant qu'il n'y avait donné lieu, ni directement, ni indirectement, il a pu croire pendant quelque temps que l'Angleterre avait eu des motifs pour se porter à une démarche si importante. Mais il fut éclairé par les communications du prince royal, par les propres communications de l'Angleterre, par le manifeste du général anglais qui expliquait les odieuses prétentions de son gouvernement; et alors il demanda que l'attaque de Copenhague cessât. L'Angleterre lui répondit en brûlant Copenhague et en enlevant la flotte.

Note 15: (retour) Elle insinue que les premiers symptômes de bienveillance envers elle n'ont eu lieu a Saint-Pétersbourg qu'au moment où la nouvelle du siège de Copenhague venait d'y arriver.

Après cette opération la plus funeste pour l'Angleterre de toutes les entreprises qu'elle ait jamais formées, elle n'avait que deux partis à prendre: ou continuer à occuper Copenhague, et elle ne l'osait pas; ou évacuer Copenhague, et elle sentit que le Sund lui serait à jamais fermé. Elle eut alors la lâcheté de recourir à la médiation de la Russie; elle mit à nu son caractère; elle crut qu'elle imposerait à l'empereur Alexandre; mais elle ne put rien obtenir d'une démarche que cette opinion rendait offensante: la Russie lui répondit par le silence du mépris et en armant Cronstadt et ses côtes. Cette démarche de l'Angleterre prouve donc une seule chose; c'est qu'elle ne pensait pas que la Russie eût arrêté à Tilsitt des articles secrets contraires à ses intérêts. Cette vérité démontrée dans ces notes de tant de manières, fait crouler tout l'échafaudage du manifeste anglais.

16Comment l'Angleterre peut-elle ne pas convenir de l'inviolabilité de la Baltique? Si cette mer n'est point une mer fermée, pourquoi les vaisseaux anglais paient-ils à Elseneur?

17L'Europe va juger si ces conditions, sont en effet telles que la guerre la plus heureuse de la part du Danemarck pourrait à peine les lui faire obtenir. L'Angleterre demandait:

Note 16: (retour) Elle nie avoir jamais acquiescé à la reconnaissance de inviolabilité de la mer Baltique.
Note 17: (retour) Elle se targue des conditions avantageuses qu'elle offrait au Danemarck.

1º Que la marine danoise restât en dépôt jusqu'à la paix;

2º Que le juste ressentiment de l'outrage fait à Copenhague, fît place à des sentimens d'amitié pour l'Angleterre;

3.° Que les armées danoises prissent parti contre la France et fissent la guerre pour l'Angleterre.

Il faut ajouter à tous les avantages que présentaient de si belles conditions accordées par l'Angleterre, la perte des possessions danoises en Allemagne, dont la France se serait emparée, et sur le territoire desquelles elle aurait battu les Anglais, si elle leur avait permis d'y descendre.

On chercherait vainement la trace de quelques calculs, de quelque apparence de raison dans de tels raisonnemens. Le fait est que la précipitation et l'ignorance président aux conseils britanniques, et qu'on ne peut trouver dans ce que ce gouvernement dit, fait ou veut, ni but, ni vue, ni motif.

18Ainsi la Russie n'a point d'intérêt à faire la guerre à l'Angleterre, car les intérêts du commerce et de la navigation ne regardent pas les Busses: ils n'ont point d'intérêt à l'indépendance de la Baltique, car un arrêt du conseil britannique a déchu la mer Baltique de son indépendance; car une autre décision du même conseil peut décider qu'ils n'ont point d'intérêt à la navigation de la Newa. Le but que se proposent toutes les puissances en rétablissant la liberté des mers, et en rendant la paix à l'Europe, est un but étranger à la Russie. La Russie a retiré depuis cent ans un si grand avantage de ses liaisons avec l'Angleterre, qu'elle n'a plus rien à désirer. Ce grand avantage consiste dans un traité de commerce qui a entravé, ruiné l'industrie et le commerce en Russie; mais puisque ce traité a contribué éminemment à la prospérité de l'Angleterre, qu'importe qu'il équivaille pour la Russie au fléau d'une gelée perpétuelle?

Note 18: (retour) La Russie, suivant elle, se trouve engagée dans une guerre contraire à ses Intérêts.

19S. M. britannique éprouve ici un étrange embarras, et son conseil n'est pas fertile en expédiens. La France, l'Autriche, la Russie demandent que la flotte danoise soit rendue; que des réparations soient faites au prince royal; que le peuple anglais, imitant ce que fit le peuple romain en pareille circonstance, mette à la disposition du prince royal, celui qui a conseillé au roi d'Angleterre l'expédition de Copenhague; que les maisons incendiées à Copenhague soient reconstruites aux frais de l'Angleterre; et qu'enfin S. M. britannique montre qu'elle désavoue l'outrage fait à tous les souverains. Il y a loin de là aux propositions que fait l'Angleterre.

Note 19: (retour) Elle allègue les efforts qu'elle a faits pour terminer la guerre avec le Danemarck.

20Quand on veut soutenir une cause étrangère a toute justice, à toute vérité; il faut du moins le faire avec talent, et ce talent ne se manifeste point par l'aveu fort remarquable que contient ce paragraphe. «La dernière négociation entre la France et l'Angleterre, a été rompue pour des points qui touchaient immédiatement, non les intérêts de S. M. britannique, mais ceux de son allié impérial.» Peuples de l'Europe, vous l'entendez! Ce n'est pas la France qui s'est opposée à la paix, ce ne sont pas des intérêts importans pour l'Angleterre qui ont empêché la paix, c'est la Russie seule qui alors y mettait obstacle. Eh bien! lorsque cet obstacle n'existe plus, pourquoi l'Angleterre se refuse-t-elle à la paix? pourquoi, au lieu de négocier, demande-t-elle sur quelles bases veut traiter la France? pourquoi continue-t-elle à violer tous les pavillons? pourquoi maintient-elle le monde entier dans cet état d'irritation et de violence qui opprime tous les peuples, qui est à charge à tous les souverains? Tout Anglais doit rougir d'être gouverné par de tels hommes.

Note 20: (retour) Elle repousse l'idée de la conclusion d'un traité avec la France, et s'excuse sur la forme offensante que la Russie aurait donnée à cette proposition.

Nous ne relevons point la phrase qui termine ce paragraphe. Le langage insultant de souverain à souverain n'avilit que celui qui se le permet. L'empereur de Russie méprisera l'insulte de l'Angleterre; mais la nation russe ne manquera pas de s'en ressouvenir. On ne voit pas ce que le manifeste aurait perdu à la suppression de cette phrase et de beaucoup d'autres. La plus haute estime réunit la France et la Russie; leur union fait le désespoir de l'Angleterre, et lui sera funeste. Si l'Angleterre avait voulu qu'elle n'eût pas lieu, il ne fallait pas faire l'expédition de Copenhague; il fallait ouvrir des négociations pour arriver à cette paix, d'autant plus facile à conclure, que, selon les ministres anglais, elle n'a été rompue que pour des points qui touchaient immédiatement aux intérêts de S. M. impériale.

21Ce qui a maintenu la puissance maritime de l'Angleterre, ce ne sont ni des principes, ni des maximes tyranniques; c'est la politique, l'énergie, le bon sens, la bonne conduite de vos pères; c'est la division qu'ils ont souvent eu l'adresse de semer sur le continent. Ce qui contribuera essentiellement à sa ruine, c'est l'inconsidération, la précipitation, la violence et la folle arrogance de leurs successeurs. L'empereur de Russie désire la paix maritime; l'Autriche, la France, l'Espagne partagent les mêmes sentimens.

Note 21: (retour) Elle s'étaie des principes de droit maritime auxquels elle attribue sa prospérité.

Vous avez dit que la négociation avec la France n'avait été rompue que pour des points qui touchaient les intérêts de la Russie; pourquoi donc aujourd'hui, nous le répétons encore, continuez-vous la guerre? Pourquoi? c'est que vous ne voulez pas la paix.

C'est parce que vous ne voulez pas la paix que vous élevez des questions inutiles. La France, l'Autriche, l'Espagne, la Hollande, Naples, disent comme l'empereur de Russie, qu'ils proclament de nouveau les principes de la neutralité armée. Ces puissances ont sans doute le droit de déclarer les principes qui doivent être la règle de leur politique; elles ont le droit de dire à quelles conditions il leur convient d'être neutres ou ennemies. Vous proclamez de nouveau les principes de vos lois maritimes; eh bien! cette opposition de principes ne sera point un obstacle au rétablissement de la paix; ils ne sont de part et d'autre d'aucun effet en temps de paix; ils ne trouvent leur application que quand vous êtes en guerre avec une puissance maritime; mais alors chaque gouvernement a le droit et le pouvoir de considérer comme une hostilité la première violation de son pavillon. Les circonstances où vous vous trouvez, décideront la conduite que vous tiendrez alors; si c'est avec la France que vous êtes en guerre, vous ne la jugerez pas une puissance assez faible pour qu'il vous soit indifférent de vous attirer d'autres ennemis, et vous userez de ménagemens avec le reste de l'Europe. Vous n'en êtes venus à insulter tous les pavillons, qu'après avoir eu l'adresse d'armer tout le continent contre la France. Vos principes maritimes ont alors changé, et ils ont été plus violens, plus injustes à mesure que vos liaisons continentales se resserraient, ou que vos alliés soutenaient plus péniblement la lutte dans laquelle vous les aviez engagés. C'est ainsi que quand la Russie était obligée de réunir tous ses moyens contre les Français en Pologne, vous avez violé son pavillon; vous lui avez refusé pour son traité de commerce, des concessions que vous vous êtes montrés disposés à lui accorder, lorsqu'elle n'a plus eu d'ennemis à combattre. Les puissances du continent, en proclamant de nouveau les principes de la neutralité armée, ne font autre chose que d'énoncer les maximes qu'elles se proposent d'adopter dans la prochaine guerre maritime. Vous ne pouvez les empêcher de diriger leur politique comme elles l'entendent; elles usent en cela d'un droit qui appartient à tous les gouvernemens, et à l'usurpation duquel elles n'auraient à opposer que l'ultima ratio regum. De votre côté, vous proclamez les principes de vos lois maritimes, c'est-à-dire, les principes dont vous voulez vous servir à la prochaine guerre. Le continent n'a aucun intérêt à exiger de vous à cet égard ni des déclarations, ni des renonciations; les déclarations seraient inutiles dès le moment où vous croiriez pouvoir les oublier impunément; des renonciations sont sans objet, car on ne renonce point à des droits qu'on n'a pas. Si l'on juge de ce que vous ferez par ce que vous avez fait jusqu'à ce jour, on en conclura que vous n'exigerez des puissances du continent, ni déclaration, ni renonciation; et comme elles n'en exigeront pas de vous, il n'y a donc aucune question à discuter, aucune difficulté à résoudre; il n'y a donc rien ici qui puisse retarder d'un jour les bienfaits de la paix. Si cependant vous éleviez l'étrange et nouvelle prétention d'imposer à la France et autres puissances du continent, par un acte de votre seule volonté, l'obligation de souscrire à vos lois maritimes, ce serait la même chose que si vous exigiez que la législature et la souveraineté de la Russie, de la France, de l'Espagne, fussent transportées à Londres: belle prérogative pour votre parlement. Ce serait la même chose que si vous proclamiez la guerre perpétuelle, ou du moins que si vous mettiez pour terme à la guerre, le moment où vos armes se seraient emparées de Pétersbourg, de Paris, de Vienne et de Madrid. Mais si tel n'est point le fond de votre pensée, il n'y a donc plus aucun obstacle à la paix. Car, selon vos propres expressions, les négociations n'ont été rompues que pour des points qui touchaient immédiatement, non les intérêts de S. M. britannique, mais ceux de son allié impérial; car l'allié impérial de S. M. britannique vous a fait connaître que la paix est désormais le principal but de ses voeux, le principal objet de son intérêt.

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