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Œuvres de Napoléon Bonaparte, Tome IV.

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Madrid, 13 décembre 1808.

Dix-neuvième bulletin de l'armée d'Espagne.

La place de Roses s'est rendue le 6; deux mille hommes ont été faits prisonniers. On a trouvé dans la place une artillerie considérable; six vaisseaux de ligne anglais qui étaient mouillés sur la rade, n'ont pu recevoir la garnison à leur bord. Le général Gouvion-Saint-Cyr se loue beaucoup du général de division Pino. Les troupes du royaume d'Italie se sont distinguées pendant le siège.

L'empereur a passé aujourd'hui en revue, au-delà du pont de Ségovie, toutes les troupes réunies du corps du maréchal duc de Dantzick.

La division du général Sébastiani s'est mise en marche pour Talavera de la Reyna.

La division polonaise du général Valence est fort belle.

La dissolution des troupes espagnoles continue de tous côtés; les nouvelles levées qu'on était occupé à faire, se dispersent de toutes parts et retournent dans leurs foyers.

Les détails que l'on recueille de la bouche des Espagnols, sur la junte centrale, tendent tous à la couvrir de ridicule. Cette assemblée était devenue l'objet du mépris de toute l'Espagne. Ses membres, au nombre de trente-six, s'étaient attribué eux-mêmes des titres, des cordons de toute espèce, et soixante mille livres de traitement. Florida-Blanca était un véritable mannequin. Il rougit à présent du déshonneur qu'il a répandu sur sa vieillesse. Ainsi que cela arrive toujours dans de pareilles assemblées, deux ou trois hommes dominaient tous les autres, et ces deux ou trois misérables étaient aux gages de l'Angleterre. L'opinion de la ville de Madrid est très-prononcée à l'égard de cette junte, qui est vouée au ridicule et au mépris, ainsi qu'à la haine de tous les habitans de la capitale.

La bourgeoisie, le clergé, la noblesse, convoqués par le corregidor, se sont assemblés deux fois.

L'esprit de la capitale est fort différent de ce qu'il était avant le départ des Français. Pendant le temps qui s'est écoulé depuis cette époque, cette ville a éprouvé tous les maux qui résultent de l'absence du gouvernement. Sa propre expérience lui a inspiré le dégoût des révolutions; elle a resserré les liens qui l'attachaient au roi. Pendant les scènes de désordre qui ont agité l'Espagne, les voeux et les regards des hommes sages se tournaient vers leur souverain.

Jamais on n'a vu dans ce pays un aussi beau mois de décembre; on se croirait au commencement du printemps. L'empereur profite de ce temps magnifique pour rester à la campagne à une lieue de Madrid.




Paris, le 14 décembre 1808.

Note extraite du Moniteur.

Plusieurs de nos journaux ont imprimé que S. M. l'impératrice, dans sa réponse à la députation du corps législatif, avait dit qu'elle était bien aise de voir que le premier sentiment de l'empereur avait été pour le corps législatif qui représente la nation.

S. M. l'impératrice n'a point dit cela; elle connaît trop bien nos constitutions; elle sait trop bien que le premier représentant de la nation, c'est l'empereur; car tout pouvoir vient de Dieu et de la nation.

Dans l'ordre de nos constitutions, après l'empereur, est le sénat; après le sénat, est le conseil d'état; après le conseil d'état, est le corps législatif; après le corps législatif, viennent chaque tribunal et fonctionnaire public dans l'ordre de ses attributions; car, s'il y avait dans nos constitutions un corps représentant la nation, ce corps serait souverain; les autres corps ne seraient rien, et ses volontés seraient tout.

La convention, même le corps législatif, ont été représentans. Telles étaient nos constitutions alors. Aussi le président disputa-t-il le fauteuil au roi, se fondant sur le principe que le président de l'assemblée de la nation, était avant les autorités de la nation. Nos malheurs sont venus en partie de cette exagération d'idées. Ce serait une prétention chimérique et même criminelle, que de vouloir représenter la nation avant l'empereur.

Le corps législatif, improprement appelé de ce nom, devrait être appelé conseil législatif, puisqu'il n'a pas la faculté de faire des lois, n'en ayant pas la proposition. Le conseil législatif est donc la réunion des mandataires des collèges électoraux. Ou les appelle députés des départemens, parce qu'ils sont nommés par les départemens.

Dans l'ordre de notre hiérarchie constitutionnelle, le premier représentant de la nation, c'est l'empereur, et ses ministres, organes de ses décisions; la seconde autorité représentante, est le sénat; la troisième, le conseil d'état qui a de véritables attributions législatives; le conseil législatif a le quatrième rang.

Tout rentrerait dans le désordre, si d'autres idées constitutionnelles venaient pervertir les idées de nos constitutions monarchiques.




Madrid, 15 décembre 1808.

Réponse de l'empereur à une députation de la ville de Madrid.

J'agrée les sentimens de la ville de Madrid. Je regrette le mal qu'elle a essuyé, et je tiens à bonheur particulier d'avoir pu, dans ces circonstances, le sauver et lui épargner de plus grands maux.

Je me suis empressé de prendre des mesures qui tranquillisent toutes les classes des citoyens, sachant combien l'incertitude est pénible pour tous les peuples et pour tous les hommes.

J'ai conservé les ordres religieux en restreignant le nombre des moines. Il n'est pas un homme sensé qui ne jugeât qu'ils étaient trop nombreux. Ceux qui sont appelés par une vocation qui vient de Dieu, resteront dans leur couvens. Quant à ceux dont la vocation était peu solide et déterminée par des considérations mondaines, j'ai assuré leur existence dans l'ordre des ecclésiastiques séculiers. Du surplus des biens des couvens, j'ai pourvu aux besoins des curés, de cette classe la plus intéressante et la plus utile parmi le clergé.

J'ai aboli ce tribunal contre lequel le siècle et l'Europe réclamaient. Les prêtres doivent guider les consciences, mais ne doivent exercer aucune juridiction extérieure et corporelle sur les citoyens.

J'ai satisfait à ce que je devais à moi et à ma nation; la part de la vengeance est faite; elle est tombée sur dix des principaux coupables; le pardon est entier et absolu pour tous les autres.

J'ai supprimé des droits usurpés par les seigneurs, dans le temps des guerres civiles, où les rois ont trop souvent été obligés d'abandonner leurs droits, pour acheter leur tranquillité et le repos des peuples.

J'ai supprimé les droits féodaux, et chacun pourra établir des hôtelleries, des fours, des moulins, des madragues, des pêcheries et donner un libre essor à son industrie, en observant les lois et les réglemens de la police. L'égoïsme, la richesse et la prospérité d'un petit nombre d'hommes nuisaient plus à votre agriculture que les chaleurs de la canicule.

Comme il n'y a qu'un Dieu, il ne doit y avoir dans un état qu'une justice. Toutes les justices particulières avaient été usurpées et étaient contraires aux droits de la nation. Je les ai détruites.

J'ai aussi fait connaître à chacun ce qu'il pouvait avoir à craindre, ce qu'il pouvait espérer.

Les armées anglaises, je les chasserai de la Péninsule.

Sarragosse, Valence, Séville seront soumises ou par la persuasion, ou parla force de mes armes.

Il n'est aucun obstacle capable de retarder long-temps l'exécution de mes volontés.

Mais ce qui est au-dessus de mon pouvoir,, c'est de constituer les Espagnols en nation sous les ordres du roi, s'ils continuent à être imbus des principes de scission et de haine envers la France, que les partisans des Anglais et les ennemis du continent ont répandus au sein de l'Espagne. Je ne puis établir une nation, un roi et l'indépendance des Espagnols, si ce roi n'est pas sûr de leur affection et de leur fidélité.

Les Bourbons ne peuvent plus régner en Europe. Les divisions dans la famille royale avaient été tramées par les Anglais. Ce n'était pas le roi Charles et le favori, que le duc de l'Infantado, instrument de l'Angleterre, comme le prouvent les papiers récemment trouvés dans sa maison, voulait renverser du trône, c'était la prépondérance de l'Angleterre qu'on voulait établir en Espagne; projet insensé, dont le résultat aurait été une guerre de terre sans fin, et qui aurait fait couler des flots de sang. Aucune puissance ne peut exister sur le continent, influencée par l'Angleterre. S'il en est qui le désirent, leur désir est insensé et produira tôt ou tard leur ruine.

Il me serait facile, et je serais obligé de gouverner l'Espagne en y établissant autant de vice-rois qu'il y a de provinces. Cependant, je ne me refuse point de céder mes droits de conquête au roi, et à l'établir dans Madrid, lorsque les trente mille citoyens que renferme cette capitale, ecclésiastiques, nobles, négocians, hommes de loi, auront manifesté leurs sentimens et leur fidélité, donné l'exemple aux provinces, éclairé le peuple et fait connaître à la nation, que son existence et son bonheur dépendent d'un roi et d'une constitution libérale, favorable au peuple et contraire seulement à l'égoïsme et aux passions orgueilleuses des grands.

Si tels sont les sentimens des habitans de la ville de Madrid, que ces trente mille citoyens se rassemblent dans les églises, qu'ils prêtent, devant le Saint-Sacrement, un serment qui sorte non-seulement de la bouche, mais du coeur, et qui soit sans restriction jésuitique; qu'ils jurent appui, amour et fidélité au roi; que les prêtres au confessionnal et dans la chaire, les négocians dans leur correspondance, les hommes de loi dans leurs écrits et leurs discours, inculquent ces sentimens au peuple; alors je me dessaisirai du droit, de conquête, je placerai le roi sur le trône, et je me ferai une douce tâche de me conduire envers les Espagnols en ami fidèle. La génération pourra varier dans ses opinions; trop de passions ont été mises en jeu; mais vos neveux me béniront comme votre régénérateur; ils placeront au nombre des jours mémorables, ceux où j'ai paru parmi vous; et, de ces jours, datera la prospérité de l'Espagne.

Voilà, M. le corregidor, ma pensée tout entière. Consultez vos concitoyens et voyez le parti que vous avez à prendre; mais quel qu'il soit, prenez-le franchement et ne me montrez que des dispositions vraies.




Valderad, 28 décembre 1808.

Vingt-unième bulletin de l'armée d'Espagne.

Les Anglais sont entrés en Espagne le 29 octobre.

Ils ont vu dans les mois de novembre et de décembre, détruire l'armée de Galice à Espinosa, celle d'Estramadure à Burgos, celle d'Aragon et de Valence à Tudela, celle de réserve à Somo-Sierra; enfin, ils ont vu prendre Madrid, sans faire aucun mouvement et sans secourir aucune des armées espagnoles, pour lesquelles une division de troupes anglaises eût été cependant un secours considérable.

Dans les premiers jours du mois de décembre, on apprit que les colonnes de l'armée anglaise étaient en retraite, et se dirigeaient vers la Corogne, où elles devaient se rembarquer. De nouvelles informations firent ensuite connaître qu'elles s'étaient arrêtées, et que le 16 elles étaient parties de Salamanque, pour entrer en campagne. Dès le 15, la cavalerie légère avait paru à Valladolid. Toute l'armée anglaise passa le Duero, et arriva le 23 devant le duc de Dalmatie à Saldagua.

Aussitôt que l'empereur fut instruit à Madrid de cette résolution inespérée des Anglais, il marcha pour leur couper la retraite et se porter sur leurs derrières; mais quelque diligence que fissent les troupes françaises, le passage de la montagne de Guadarama, qui était couverte de neige, les pluies continuelles et le débordement des torrens, retardèrent leur marche de deux jours.

Le 22, l'empereur était parti de Madrid; son quartier-général était le 23 à Villa-Castin, le 25 à Tordesillas, et le 27 a Médina del Rio-Secco.

Le 21, à la pointe du jour, l'ennemi s'était mis en marche pour déborder la gauche du duc de Dalmatie; mais dans la matinée ayant appris le mouvement qui se faisait de Madrid, il se mit sur-le-champ en retraite, abandonnant ceux de ses partisans du pays dont il avait réveillé les passions, les restes de l'armée de Galice, qui avaient conçu de nouvelles espérances, une partie de ses hôpitaux et de ses bagages, et un grand nombre de traînards. Cette armée a été dans un péril imminent; douze heures de différence, elle était perdue pour l'Angleterre.

Elle a commis beaucoup de ravages, résultat inévitable des marches forcées de troupes en retraite; elle a enlevé les couvertures, les mules, les mulets et beaucoup d'autres effets; elle a pillé un grand nombre d'églises et de couvens. L'abbaye de Sahagun, qui contenait soixante religieux et qui avait toujours été respectée par l'armée française, a été ravagée par les Anglais; partout les moines et les prêtres ont fui à leur approche. Ces désordres ont exaspéré le pays contre les Anglais: la différence de la langue, des moeurs et de la religion, n'a pas peu contribué à cette disposition des esprits; ils reprochent aux Espagnols de n'avoir plus d'armée à joindre à la leur, et d'avoir trompé le gouvernement anglais; les Espagnols leur répondent, que l'Espagne a eu des armées nombreuses, mais que les Anglais les ont laissé détruire sans faire aucun effort pour les secourir.

Dans les quinze jours qui viennent de s'écouler, on n'a pas tiré un coup de fusil; la cavalerie légère a seulement donné quelques coups de sabre.

Le général Durosnel, avec quatre cents chevau-légers de la garde, donna, à la nuit tombante, dans une colonne d'infanterie anglaise, en marche, sabra un grand nombre d'hommes, et jeta le désordre dans la colonne.

Le général Lefebvre-Desnouettes, colonel des chasseurs de la garde, détaché depuis deux jours du quartier-général, avec trois escadrons de son régiment, ayant pris beaucoup de bagages, de femmes, de traînards, et trouvant le pont de l'Ezla coupé, crut la ville de Bénavente évacuée; emporté par cette ardeur qu'on a si souvent reprochée au soldat français, il passa la rivière à la nage pour se porter sur Bénavente, où il trouva toute la cavalerie de l'arrière-garde anglaise; alors s'engagea un long combat de quatre cents hommes contre deux mille. Il fallut enfin céder au nombre; ces braves repassèrent la rivière; une balle tua le cheval du général Lefebvre-Desnouettes, qui avait été blessé d'un coup de pistolet, et qui resté à pied, fut fait prisonnier. Dix de ses chasseurs, qui étaient aussi démontés, ont également été pris, cinq se sont noyés, vingt ont été blessés. Cette échauffourée a dû convaincre les Anglais de ce qu'ils auraient à redouter de pareilles gens dans une affaire générale. Le général Lefebvre a sans doute fait une faute, mais cette faute est d'un Français: il doit être à la fois blâmé et récompensé.

Le nombre des prisonniers qu'on a faits à l'ennemi jusqu'à cette heure, et qui sont la plupart des hommes isolés et des traînards, s'élève à trois cents.

Le 28, le quartier-général de l'empereur était à Valderas;

Celui du duc de Dalmatie, à Mancilla;

Celui du duc d'Elchingen, à Villafer.

En partant de Madrid, l'empereur avait nommé le roi Joseph, son lieutenant-général commandant la garnison de la capitale; les corps des ducs de Dantzick et de Bellune, et les divisions de cavalerie Lasalle, Milhaud, et Latour-Maubourg, avaient été laissés pour la protection du centre.

Le temps est extrêmement mauvais. A un froid vif, ont succédé des pluies abondantes. Nous souffrons, mais les Anglais doivent bien souffrir davantage.




Benavente, le 31 décembre 1808.

Vingt-deuxième bulletin de l'armée d'Espagne.

Dans la journée du 30, la cavalerie, commandée par le duc d'Istrie, a passé l'Ezla. Le 30 au soir, elle a traversé Benavente et a poursuivi l'ennemi jusqu'à Puente de la Velana.

Le même jour, le quartier-général a été établi à Benavente.

Les Anglais ne se sont pas contentés de couper une arche du pont de l'Ezla, ils ont aussi fait sauter les piles avec des mines, dégât inutile, qui est très-nuisible au pays. Ils se sont livrés partout au plus affreux pillage. Les soldats, dans l'excès de leur perpétuelle intempérance, se sont portés à tous les désordres d'une ivresse brutale. Tout enfin, dans leur conduite, annonçait plutôt une armée ennemie qu'une armée qui venait secourir un peuple ami. Le mépris que les Anglais témoignaient pour les Espagnols, a rendu plus profonde encore l'impression causée par tant d'outrages. Cette expérience est un utile calmant pour les insurrections suscitées par les étrangers. On ne peut que regretter que les Anglais n'aient pas envoyé une armée en Andalousie. Celle qui a traversé Benavente, il y a dix jours, triomphait en espérance et couvrait déjà ses drapeaux de trophées; rien n'égalait la sécurité et l'audace qu'elle faisait paraître. A son retour, son attitude était bien changée; elle était harassée de fatigues et paraissait accablée de la honte de fuir sans avoir combattu. Pour prévenir les justes reproches des Espagnols, les Anglais répétaient sans cesse qu'on leur avait promis de joindre des forces nombreuses à leur armée; et les Espagnols repoussaient encore cette calomnieuse assertion par des raisons auxquelles il n'y avait rien à répondre.

Lorsqu'il y a dix jours les Anglais traversaient le pays, ils savaient bien que les armées espagnoles étaient détruites. Les commissaires qu'ils avaient entretenus aux armées de la gauche, du centre et de la droite, n'ignoraient pas que ce n'était point cinquante mille hommes, mais cent quatre-vingt mille, que les Espagnols avaient mis sous les armes; que ces cent quatre-vingt mille hommes s'étaient battus, tandis que pendant six semaines les Anglais avaient été spectateurs indifférens de leurs combats. Ces commissaires n'avaient pas laissé ignorer que les armées espagnoles avaient cessé d'exister. Les Anglais savaient donc que les Espagnol étaient sans armées, lorsqu'il y a dix jours ils se portèrent en avant, enivrés de la folle espérance de tromper la vigilance du général français, et donnant dans le piège qu'il-leur avait tendu pour les attirer en rase campagne. Ils avaient fait auparavant quelques marches pour retourner à leurs vaisseaux.

Vous deviez, ajoutaient les Espagnols, persister dans cette résolution prudente, ou bien il fallait être assez forts pour balancer les destins des Français. Il ne fallait pas surtout avancer d'abord avec tant de confiance pour reculer ensuite avec tant de précipitation; il ne fallait pas attirer chez nous le théâtre de la guerre, et nous exposer aux ravages de deux armées; après avoir appelé sur nos têtes tant de désastres, il ne faut pas en jeter la faute sur nous.

Nous n'avons pu résister aux armes françaises, vous ne pouvez pas leur résister davantage; cessez donc de nous accuser, de nous outrager: tous nos malheurs viennent de vous.

Les Anglais avaient répandu dans le pays qu'ils avaient battu cinq mille hommes de cavalerie française sur les bords de l'Ezla, et que le champ de bataille était couvert de morts. Les habitans de Benavente ont été fort surpris, lorsque visitant le champ de bataille, ils n'y ont trouvé que trois Anglais et deux Français. Ce combat de quatre cents hommes contre deux mille, fait beaucoup d'honneur aux Français. Les eaux de la rivière avaient augmenté pendant toute la journée du 29, de sorte qu'à la fin du jour le gué n'était plus praticable. C'est au milieu de la rivière, et dans le temps où il était prêt à se noyer, que le général Lefebvre-Desnouettes ayant été porté par le courant sur la rive occupée par les Anglais, a été fait prisonnier. La perte des ennemis en tués et en blessés dans cette affaire d'avant-postes, a été beaucoup plus considérable que celle des Français. La fuite des Anglais a été si précipitée, qu'ils ont laissé à l'hôpital leurs malades et leurs blessés, et qu'ils ont été obligés de brûler un superbe magasin de tentes et d'effets d'habillemens. Ils ont tué tous les chevaux blessés ou fatigués qui les embarrassaient. On ne saurait croire combien ce spectacle, si contraire à nos moeurs, de plusieurs centaines de chevaux tués à coups de pistolet, indigne les Espagnols; plusieurs y voient une sorte de sacrifice, un usage religieux, et cela leur fait naître des idées bizarres sur la religion anglicane.

Les Anglais se retirent eu toute hâte. Tous les Allemands à leur service désertent. Notre armée sera ce soir à Astorga et près des confins de la Galice.




Benavente, 1er janvier 1809.

Vingt troisième bulletin de l'armée d'Espagne.

Le duc de Dalmatie arriva le 30 à Mancilla où était la gauche des ennemis, occupée par les Espagnols du général la Romana. Le général Franceschi les culbuta d'une seule charge, leur tua beaucoup de monde, leur prit deux drapeaux, fit prisonniers un colonel, deux lieutenans-colonels, cinquante officiers et quinze cents soldats.

Le 31, le duc de Dalmatie entra à Léon; il y trouva deux mille malades. La Romana avait succédé dans le commandement à Blake, après la bataille d'Espinosa. Les restes de cette armée qui, devant Bilbao, était de plus de cinquante mille hommes, formaient à peine cinq mille hommes à Mancilla. Ces malheureux, sans vêtemens, accablés par la misère, remplissent les hôpitaux.

Les Anglais sont en horreur à ces troupes qu'ils méprisent, aux citoyens paisibles qu'ils maltraitent et dont ils dévorent la subsistance pour faire vivre leur armée. L'esprit des habitans du royaume de Léon est bien changé; ils demandent à grands cris et la paix et leur roi; ils maudissent les Anglais et leurs insinuations fallacieuses; ils leur reprochent d'avoir fait verser le sang espagnol pour nourrir le monopole anglais et perpétuer la guerre du continent. La perfidie de l'Angleterre et ses motifs sont maintenant à la portée de tout le monde et n'échappent pas même à la pénétration du dernier des habitans des campagnes. Ils savent ce qu'ils souffrent, et les auteurs de leurs maux étaient sous leurs yeux.

Cependant les Anglais fuient en toute hâte, poursuivis par le duc d'Istrie avec neuf mille hommes de cavalerie. Dans les magasins qu'ils ont brûlés à Bénavente, se trouvaient, indépendamment des tentes, quatre mille couvertures et une grande quantité de rhum. On a ramassé plus de deux cents chariots de bagages et de munitions de guerre abandonnés sur la route de Bénavente à Astorga. Les débris de la division la Romana se sont jetés sur cette dernière ville et ont encore augmenté la confusion.

Les événement de l'expédition de l'Angleterre en Espagne fourniront le sujet d'un beau discours d'ouverture du parlement. Il faudra annoncer à la nation anglaise qui son armée est restée trois mois dans l'inaction, tandis qu'elle pouvait secourir les Espagnols; que ses chefs, ou ceux dont elle exécutait les ordres, ont eu l'extrême ineptie de la porter en avant lorsque les armées espagnoles étaient détruites; qu'enfin elle a commencé l'année, fuyant l'épée dans les reins, poursuivie par l'ennemi qu'elle n'a pas osé combattre, et par les malédictions de ceux qu'elle avait excités, fit qu'elle aurait dû défendre: de telles entreprises et de semblables résultats ne peuvent appartenir qu'à un pays qui n'a pas de gouvernement. Fox, ou même Pitt, n'auraient pas commis de telles fautes. S'engager dans une lutte de terre contre la France qui a cent mille hommes de cavalerie, cinquante mille chevaux d'équipages et neuf cent mille hommes d'infanterie; c'est, pour l'Angleterre, pousser la folie jusqu'à ses derniers excès; c'est être avide de honte, c'est enfin diriger les affaires de la Grande-Bretagne comme pouvait le désirer le cabinet des Tuileries. Il fallait bien peu connaître l'Espagne pour attacher quelque importance à des mouvemens populaires, et pour espérer qu'en y soufflant le feu de la sédition, cet incendie aurait quelques résultats et quelque durée. Il ne faut que quelques prêtres fanatiques pour composer et répandre des libelles, pour porter un désordre momentané dans les esprits; mais il faut autre chose pour constituer une nation en armes. Lors de la révolution de France il fallut trois années et le régime de la convention pour préparer des succès militaires; et qui ne sait encore à quelles chances la France fut exposée? Cependant elle était excitée, soutenue par la volonté unanime de recouvrer les droits qui lui avaient été ravis dans des temps d'obscurité. En Espagne, c'étaient quelques hommes qui soulevaient le peuple pour conserver la possession exclusive de droits odieux au peuple. Ceux qui se battaient pour l'inquisition, les Franciscains et les droits féodaux, pouvaient être animés d'un zèle ardent pour leurs intérêts personnels, mais ne pouvaient inspirer à toute une nation une volonté ferme et des sentimens durables. Malgré les Anglais, les droits féodaux, les Franciscains et l'inquisition n'existent plus en Espagne.

Après la prise de Roses, le général Gouvion-Saint-Cyr s'est dirigé sur Barcelonne avec le septième coups; il a dispersé tout ce qui se trouvait aux environs de cette place, et il a fait sa jonction avec le général Duhesme. Cette réunion a porté son armée à quarante mille hommes.

Les ducs de Trévise et d'Abrantès ont enlevé tous les ouvrages avancés de Sarragosse. Le général du génie Lacoste prépare ses moyens pour s'emparer de cette ville sans perte.

Le roi d'Espagne s'est rendu à Aranjuez pour passer en revue le premier corps commandé par le duc de Bellune.




Astorga, 2 janvier 1809.

Vingt-quatrième bulletin de l'armée d'Espagne.

L'empereur est arrivé à Astorga le 1er janvier.

La route de Bénavente à Astorga est couverte de chevaux anglais morts, de voitures d'équipages, de caissons d'artillerie et de munitions de guerre. On a trouvé à Astorga des magasins de draps, de couvertures, et d'outils de pionniers. Dans la route d'Astorga à Villa-Franca, le général Colbert commandant l'avant-garde de cavalerie du duc d'Istrie, a fait deux mille prisonniers, pris des convois de fusils, et délivré une quarantaine d'hommes isolés qui étaient tombés entre les mains des Anglais.

Quant à l'armée de la Romana, elle est réduite presqu'à rien. Ce petit nombre de soldats, sans habits, sans souliers, sans solde, sans nourriture, ne peut plus être compté pour quelque chose.

L'empereur a chargé le duc de Dalmatie de la mission glorieuse de poursuivre les Anglais jusqu'au lieu de leur embarquement, et de les jeter dans la mer l'épée dans les reins.

Les Anglais sauront ce qu'il en coûte pour faire un mouvement inconsidéré devant l'armée française. La manière dont ils sont chassés du royaume de Léon et de la Galice, et la destruction d'une partie de leur armée leur apprendra sans doute à être plus circonspects dans leurs opérations sur le continent.

La neige a tombé à gros flocons pendant toute la journée du 1er janvier. Ce temps, très-mauvais pour l'armée française, est encore plus mauvais pour une armée qui bat en retraite.

En Catalogne, le général Gouvion-Saint-Cyr est entré à Barcelonne.

A Sarragosse, les ducs de Conegliano et de Trévise se sont emparés, avec peu de perte, du Monte-Torrero; ils ont fait un millier de prisonniers, et ont entièrement cerné la ville. Les mineurs ont commencé leurs travaux.

Dans l'Estramadure, la division du général Sébastiani ayant passé le Tage, le 24, au pont de l'Arzobispo, a attaqué les débris de l'armée d'Estramadure. Une seule charge du vingt-huitième régiment d'infanterie de ligne a suffi pour les mettre en déroute. Le duc de Dantzick avait en même temps fait passer le Tage à la division du général Valence sur le pont d'Almaraz. Quatre pièces de canon, douze caissons, et quatre ou cinq cents prisonniers ont été le fruit de cette journée. On s'est emparé de divers magasins, et notamment d'un immense magasin de tentes.

Tout ce qui reste de troupes espagnoles insurgées est sans solde depuis plusieurs mois.




Benavente, 5 janvier 1809.

Vingt-cinquième bulletin de l'armée d'Espagne.

La tête de la division Merle, faisant partie du corps du duc de Dalmatie, a gagné l'avant-garde dans la journée du 3 de ce mois.

A quatre heures après-midi, elle s'est trouvée en présence de l'arrière-garde anglaise qui était en position sur les hauteurs de Prieros, a une lieue devant Villa-Franca, et qui était composée de cinq mille hommes d'infanterie et six cents chevaux. Cette position était fort belle et difficile à aborder. Le général Merle fit ses dispositions. L'infanterie s'approcha, on battit la charge, et les Anglais furent mis dans une entière déroute. La difficulté du terrain ne permit pas à la cavalerie de charger, et l'on ne put faire que deux cents prisonniers. Nous avons eu une cinquantaine d'hommes tués ou blessés.

Le général de brigade Colbert, commandant la cavalerie de l'avant-garde, s'était avancé avec les tirailleurs de l'infanterie, pour voir si le terrain s'élargissait, et s'il pouvait former sa cavalerie. Son heure était arrivée; une balle le frappa au front, le renversa, et il ne vécut qu'un quart d'heure; revenu un moment à lui, il s'était fait placer sur son séant, et voyant alors la déroute complète des Anglais, il dit: Je suis bien jeune encore pour mourir, mais du moins ma mort est digne d'un soldat de la grande armée, puisqu'en mourant je vois fuir les derniers et les éternels ennemis de ma patrie. Le général Colbert était un officier d'un grand mérite.

Il y a deux routes d'Astorga à Villa-Franca. Les Anglais passaient par celle de droite, les Espagnols suivaient celle de gauche; ils marchaient sans ordre; ils ont été coupés et cernés par les chasseurs hanovriens. Un général de brigade et une division entière, officiers et soldats, ont mis bas les armes. On lui a pris ses équipages, dix drapeaux et six pièces de canon.

Depuis le 27, nous avons déjà fait à l'ennemi plus de dix mille prisonniers parmi lesquels sont quinze cents Anglais. Nous lui avons pris plus de quatre cents voitures de bagages et de munitions, quinze voitures de fusils, ses magasins et ses hôpitaux de Bénavente, Astorga et Bembibre. Dans ce dernier endroit, le magasin à poudre qu'il avait établi dans une église, a sauté.

Les Anglais se retirent en désordre, laissant ainsi leurs magasins, leurs blessés, leurs malades, et abandonnant leurs équipages sur les chemins. Ils éprouveront une plus grande perte encore; et s'ils parviennent à s'embarquer, il est probable que ce ne sera qu'après avoir perdu la moitié de leur armée.

Sa Majesté, informée que celle armée était réduite au-dessous de vingt mille hommes, a pris le parti de porter son quartier-général d'Astorga à Bénavente, où elle restera quelques jours, et d'où elle ira occuper une position centrale à Valladolid, laissant au duc de Dalmatie le soin de détruire l'armée anglaise.

On a trouvé dans les granges beaucoup d'Anglais qui avaient été pendus par les Espagnols. Sa Majesté a été indignée; elle a fait brûler les granges. Les paysans, quel que soit le ressentiment dont ils sont animés, n'ont pas le droit d'attenter à la vie des traînards de l'une ou de l'autre armée. Sa Majesté a ordonné de traiter les prisonniers anglais avec les égards dus à des soldats qui, dans toutes les circonstances, ont manifesté des idées libérales et des sentimens d'honneur. Informée que dans les lieux où les prisonniers sont rassemblés, et où se trouvent dix Espagnols contre un Anglais, les Espagnols maltraitent les Anglais et les dépouillent, elle a ordonné de séparer les uns des autres, et elle a prescrit, pour les Anglais, un traitement tout particulier.

L'arrière-garde anglaise, en acceptant le combat de Prieros, avait espéré donner le temps à la colonne de gauche, composée pour la plus grande partie d'Espagnols, de faire sa jonction à Villa-Francs. Elle comptait aussi gagner une nuit pour rendre plus complète l'évacuation de Villa-Franca.

Nous avons trouvé à l'hôpital de Villa-Franca trois cents Anglais malades ou blessés. Les Anglais avaient brûlé dans cette ville un grand magasin de farine et de blé; ils y avaient détruit beaucoup d'équipages d'artillerie, et tué cinq cents de leurs chevaux. On en a déjà compté seize cents laissés morts sur les routes.

Le nombre des prisonniers est assez considérable et s'accroît de moment en moment. On trouve dans toutes les caves de la ville des soldats anglais morts ivres.

Le quartier-général du duc de Dalmatie était, le 4 au soir, à dix lieues de Lugo.

Le 2, Sa Majesté a passé en revue, à Astorga, les divisions Laborde et Loison, qui formaient l'Armée de Portugal. Ces troupes voient fuir les Anglais et brûlent du désir de les joindre.

Sa Majesté a laissé en réserve à Astorga le corps du duc d'Elchingen, qui a son avant-garde sur les débouchés de la Galice, et qui est à portée d'appuyer, en cas d'événement, le corps du duc de Dalmatie.

On a reçu la confirmation de la nouvelle de l'arrivée du général Gouvion-Saint-Cyr avec le septième corps à Barcelonne. Il y est entré le 17; le 15, il avait rencontré a Linas les troupes commandées par les généraux Reding et Vivès et les avait mises dans une entière déroute. Il leur a pris six pièces de canon, trente caissons et trois mille hommes. Moyennant la jonction du septième corps avec les troupes du général Duhesme, nous avons une grosse armée à Barcelonne.

Lorsque Sa Majesté était à Tordesillas, elle avait son quartier-général dans les bâtimens extérieurs du couvent royal de Sainte-Claire. C'est dans ces bâtimens que s'était retirée et qu'est morte la mère de Charles-Quint, surnommée Jeanne la folle. Le couvent de Sainte-Claire a été construit sur un ancien palais des Maures, dont il reste un bain et deux salles d'une belle conservation. L'abbesse a été présentée à l'empereur; elle est âgée de soixante-quinze ans, et il y avait soixante-cinq ans qu'elle n'était sortie de sa clôture. Cette religieuse parut fort émue lorsqu'elle franchit le seuil; mais elle entretint l'empereur avec beaucoup de présence d'esprit, et elle obtint un grand nombre de grâces pour tout ce qui l'intéressait.




Valladolid, 7 janvier 1809.

Vingt-sixième bulletin de l'armée d'Espagne.

Le général Gouvion-Saint-Cyr, aussitôt après son entrée à Barcelonne, s'est porté sur Lobregat, a forcé l'ennemi dans son camp retranché, lui a pris vingt-cinq pièces de canon, et a marché sur Tarragone dont il s'est emparé. La prise de cette ville est d'une grande importance.

Les rapports du général Duhesme et du général Saint-Cyr contiennent le détail des événemens militaires qui ont eu lieu en Catalogne jusqu'au 21 décembre; ils font le plus grand honneur au général Gouvion-Saint-Cyr. Tout ce qui s'est passé à Barcelonne est un titre d'éloge pour le général Duhesme, qui a déployé autant de talent que de fermeté.

Les troupes du royaume d'Italie se sont couvertes de gloire: leur belle conduite a sensiblement touché le coeur de l'empereur; elles sont à la vérité composées pour la plupart des corps formés par Sa Majesté pendant la campagne de l'an 5. Les vélites italiens sont aussi sages que braves: ils n'ont donné lieu à aucune plainte, et ils ont montré le plus grand courage. Depuis les Romains, les peuples d'Italie n'avaient pas fait la guerre en Espagne; depuis les Romains, aucune époque n'a été si glorieuse pour les armes italiennes.

L'armée du royaume d'Italie est déjà de quatre-vingt mille soldats, et bons soldats; voilà les garans qu'a cette belle contrée de n'être plus le théâtre de la guerre.

Sa Majesté a porté son quartier-général de Benavente à Valladolid.

Elle a reçu aujourd'hui toutes les autorités de la ville. Dix des plus mauvais sujets de la dernière classe du peuple ont été passés par les armes. Ce sont les mêmes qui avaient massacré le général Cevallos, et qui, pendant si long temps, ont opprimé les gens de bien.

Sa Majesté a ordonné la suppression du couvent des Dominicains dans lequel un Français a été tué.

Elle a témoigné sa satisfaction au couvent de San-Benito dont les moines sont des hommes éclairés, qui, bien loin d'avoir prêché la guerre et le désordre, de s'être montrés avides de sang et de meurtre, ont employé tous leurs soins et consacré les efforts les plus courageux à calmer le peuple et à le ramener au bon ordre. Plusieurs Français leur doivent la vie. L'empereur a voulu voir ces religieux, et lorsqu'il a appris qu'ils étaient de l'ordre des Bénédictins, dont les membres se sont toujours illustrés dans les lettres et dans les sciences, soit en France, soit en Italie, il a daigné exprimer la satisfaction qu'il éprouvait de leur avoir cette obligation.

En général, le clergé de cette ville est bon; les moines vraiment dangereux sont ces dominicains fanatiques qui s'étaient emparés de l'inquisition, et qui, ayant baigné leurs mains dans le sang d'un Français, ont eu la lâcheté sacrilége, de jurer sur l'évangile que l'infortuné dont on leur demandait compte, n'était point mort et avait été conduit à l'hôpital, et qui ensuite ont avoué qu'après qu'il eut été privé de la vie on avait jeté son corps dans un puits, où on l'a en effet trouvé. Hommes hypocrites et barbares, qui prêchez l'intolérance, qui suscitez la discorde, qui excitez à verser le sang, vous n'êtes pas les ministres de l'évangile! Le temps où l'Europe voyait sans indignation célébrer par des illuminations, dans les grandes villes, le massacre des protestans, ne peut renaître. Les bienfaits de la tolérance sont les premiers droits des hommes; elle est la première maxime de l'évangile, puisqu'elle est le premier attribut de la charité. S'il fût une époque où quelques faux docteurs de la religion chrétienne prêchaient l'intolérance, alors ils n'avaient pas en vue les intérêts du ciel, mais ceux de leur influence temporelle; ils voulaient s'emparer de l'autorité chez des peuples ignorans. Lorsqu'un moine, un théologien, un évêque, un pontife prêche l'intolérance, il prêche sa condamnation; il se livre à la risée des nations.

Le duc de Dalmatie doit être ce soir à Lugo. De nombreuses colonnes de prisonniers sont en marche pour se rendre ici.

Le général de brigade Duvernay s'est porté avec cinq cents chevaux sur Toro. Il y a rencontré deux ou trois cents hommes restes des débris de l'insurrection; il les a chargés et en a tué ou pris le plus grand nombre. Le colonel des hussards hollandais a été blessé dans cette charge.




Valladolid, 9 janvier 1809.

Vingt-septième bulletin de l'armée d'Espagne.

Après le combat de Prieros contre l'arrière-garde anglaise, le duc de Dalmatie jugea nécessaire de déposter promptement l'ennemi du col de Piedra-Filla. Il fit une marche très-longue, et il en recueillit le fruit. Il prit quinze cents Anglais, cinq pièces de canon, beaucoup de caissons. Il obligea l'ennemi à détruire considérablement d'affûts, de voitures, de bagages et de munitions. Les précipices étaient remplis de ces débris; le désordre était tel, que les divisions Lorges et Lahoussaye ont trouvé parmi les équipages abandonnés, des voitures remplies d'or et d'argent: c'était une partie du trésor de l'armée anglaise: on évalue ce qui est tombé entre les mains des divisions à deux millions.

Le 4 au soir, l'avant-garde de l'armée française était à Castillo et à Nocedo.

Le lendemain 5, l'arrière-garde ennemie a été rencontrée à Puente de Ferrerya au moment où elle faisait une fougasse pour faire sauter le pont; une charge de cavalerie a rendu cette tentative inutile. Il en a été de même au pont de Crueril.

Le 5 au soir, les divisions Lorges et Lahoussaye étaient à Constantin, et l'ennemi à peu de distance de Lugo.

Le 6, le duc de Dalmatie s'est mis en marche pour arriver sur cette ville.

L'armée anglaise souffre considérablement; elle n'a presque plus de munitions et de bagages, et la moitié de sa cavalerie est à pied. Depuis le départ de Benavente jusqu'au 5 de ce mois, on a compté sur la route dix-huit cents chevaux anglais tués.

Les débris du corps de la Romana errent partout. Dans la journée du 1er janvier, le huitième régiment de dragons chargea un carré d'infanterie espagnole et le culbuta. Les régimens du roi, de Mayorca, d'Ibernia, de Barcelonne et de Naples ont été faits prisonniers.

Le général Maupetit ayant rencontré du côté de Zamora, avec sa division de dragons, une colonne de huit cents fuyards, l'a chargée et dispersée, et en a pris ou tué la plus grande partie.

Les paysans espagnols de la Galice et du royaume de Léon sont impitoyables pour les traînards anglais. Malgré les sévères défenses qui ont été faites, on trouve tous les jours beaucoup d'Anglais assassinés.

Le quartier-général du duc d'Elchingen est à Villa-Franca, sur les confins de la Galice et du royaume de Léon.

Le duc de Bellune est sur le Tage.

Toute la garde impériale se concentre à Valladolid.

Les villes de Valladolid, de Palencia, de Ségovie, d'Avila, d'Astorga, de Léon, etc., envoient de nombreuses députations au roi. La fuite de l'armée anglaise, la dispersion des restes des armées de la Romana et de l'Estramadure, et les maux que les troupes des différentes armées font peser sur le pays, rallient les provinces autour de l'autorité légitime.

La ville de Madrid s'est particulièrement distinguée. Les procès-verbaux constatant le serment prêté devant le saint-Sacrement par vingt-huit mille sept cents chefs de famille, ont été mis sous les yeux de l'empereur. Les citoyens de Madrid ont promis à Sa Majesté, que, si elle place sur le trône le roi son frère, ils le seconderont de tous leurs efforts et le défendront de tous leurs moyens.




Valladolid, 13 janvier 1809.

Vingt-huitième bulletin de l'armée d'Espagne.

La partie du trésor de l'ennemi qui est tombée entre les mains de nos troupes était d'un million huit cent mille francs. Les habitans assurent que les Anglais ont emporté huit à dix millions.

Le général anglais jugeant qu'il était impossible que l'infanterie et l'artillerie l'eussent suivi, et eussent gagné sur lui un certain nombre de marches, surtout dans des montagnes aussi difficiles que celles de la Galice, comprit qu'il ne devait avoir à sa poursuite que des voltigeurs et de la cavalerie. Il prit donc la position de Castro, sa droite appuyée à la rivière de Tamboya, qui passe à Lugo, et qui n'est pas guéable.

Le duc de Dalmatie arriva le 6 en présence de l'ennemi. Il employa les journées du 7 et du 8 à le reconnaître, et à réunir son infanterie et son artillerie, qui étaient encore en arrière. Il forma son plan d'attaque. La gauche seule de l'ennemi était attaquable; il manoeuvra sur cette gauche. Ses dispositions exigèrent quelques mouvemens dans la journée du 8, le duc de Dalmatie étant dans l'intention d'attaquer le lendemain 9. Mais l'ennemi s'en étant douté, fit sa retraite pendant la nuit, et le matin, notre avant-garde entra à Lugo. L'ennemi a abandonné trois cents malades anglais dans les hôpitaux de la ville, un parc de dix-huit pièces de canon et trois cents chariots de munitions. Nous lui avons fait sept cents prisonniers. La ville et les environs de Lugo sont encombrés de cadavres de chevaux anglais. Ainsi voilà plus de deux mille cinq cents chevaux que les Anglais ont tués dans leur retraite.

Il fait un temps affreux; la neige et la pluie tombent continuellement.

Les Anglais gagnent à toute force la Corogne où ils ont quatre cents bâtimens de transport pour leur embarquement. Ils ont déjà perdu leurs bagages, leurs munitions, une partie même du matériel de leur artillerie, et plus de trois mille hommes faits prisonniers.

Le 10, notre avant-garde était à Betancos, à peu de distance de la Corogne.

Le duc d'Elchingen est avec son corps d'armée sur Lugo.

En comptant les malades, les hommes égarés, ceux qui ont été tués par les paysans, et ceux qui ont été faits prisonniers par nos troupes, on peut calculer que les Anglais ont perdu le tiers de leur armée. Ils sont réduits à dix mille hommes et ne sont pas encore embarqués. Depuis Sahagun, ils ont fait une retraite de cent cinquante lieues par un mauvais temps, dans des chemins affreux, au milieu des montagnes et toujours l'épée dans les reins.

On a de la peine à concevoir la folie de leur plan de campagne. Il faut l'attribuer non au général qui commande, et qui est un homme habile et sage, mais à cet esprit de haine et de rage qui anime le ministère anglais. Jeter ainsi en avant trente mille hommes pour les exposer à être détruits, ou à n'avoir de ressource que dans la fuite, c'est une conception qui ne peut être inspirée que par l'esprit de passion, ou par la plus extravagante présomption. Le gouvernement anglais, comme le menteur du théâtre, est parvenu à se persuader lui-même; il s'est pris dans son propre piége.

La ville de Lugo a été pillée et saccagée par l'ennemi. On ne peut imputer ces désastres au général anglais; c'est une suite ordinaire et inévitable des marches forcées et des retraites précipitées. Les habitans du royaume de Léon et de la Galice ont les Anglais en horreur. Sous ce rapport, les événemens qui viennent de se passer équivalent à une grande victoire.

La ville de Zamora, dont les habitans avaient été exaltés par la présence des Anglais, a fermé ses portes au général de cavalerie Maupetit. Le général Darricau s'y est porté avec quatre bataillons. Il a escaladé la ville, l'a prise, et a fait passer les plus coupables par les armes.

De toutes les provinces de l'Espagne, la Galice est celle qui manifeste le meilleur esprit; elle reçoit les Français comme des libérateurs qui l'ont délivrée à la fois des étrangers et de l'anarchie. L'évêque de Lugo et le clergé de toute la province manifestent les plus sages dispositions.

La ville de Valladolid a prêté serment au roi Joseph, et a fait une adresse à S.M.I. et R.

Six hommes, chefs d'émeutes et des massacres contre les Français, ont été condamnés à mort. Cinq ont été exécutés. L clergé est venu demander la grâce du sixième qui est père de quatre enfans. S.M. a commué sa peine; elle a dit qu'elle voulait en cela témoigner sa satisfaction pour la bonne conduite que le clergé séculier de Valladolid a tenue en plusieurs occasions importantes.




Valladolid, 16 janvier 1809.

Vingt-neuvième bulletin de l'armée d'Espagne.

Le 10 janvier, le quartier-général du duc de Bellune était à Aranjuez.

Instruit que les débris de l'armée battue à Tudéla s'étaient réunis du côté de Cuença et avaient été joints par les nouvelles levées de Grenade, de Valence et de Murcie, le roi d'Espagne conçut la possibilité d'attirer l'ennemi. A cet effet, il fit replier tous les postes qui s'avançaient jusqu'aux montagnes de Cuença au-delà de Tarançon et de Huete. L'armée espagnole suivit ce mouvement. Le 12 elle prit position à Uclès. Le duc de Bellune se porta alors à Tarançon et à Fuente de Padronaro. Le 13 la division Villatte marcha droit à l'ennemi, tandis que le duc de Bellune, avec la division Ruffin, tournait par Alcazar. Aussitôt que le général Villatte découvrit les Espagnols, il marcha au pas de charge, et mit en déroute les douze ou treize mille hommes qu'avait l'ennemi et qui cherchèrent à se retirer par Carascosa sur Alcazar; mais déjà le duc de Bellune occupait la route d'Alcazar. Le neuvième régiment d'infanterie légère, le vingt-quatrième de ligne, et le quatre-vingt-seizième présentèrent à l'ennemi un mur de baïonnettes. Les Espagnols mirent bas les armes. Trois cents officiers, deux généraux, sept colonels, vingt lieutenant-colonels et douze mille hommes ont été faits prisonniers. On a pris trente drapeaux et toute l'artillerie. Le nommé Venegas, qui commandait ces troupes, a été tué.

Cette armée avec ses drapeaux et son artillerie, escortée par trois bataillons, fera demain 17 son entrée à Madrid.

Ce succès fait honneur au duc de Bellune et à la conduite des troupes. Le général Villatte a manoeuvré avec habileté. Le général Ruffin s'est distingué. Il en a été de même du général Latour-Maubourg. Ses dragons se sont comportés avec intrépidité. Le jeune Sopransi, chef d'escadron au premier de dragons, s'est précipité au milieu des ennemis, en déployant une singulière bravoure. Il a apporté six drapeaux au duc de Bellune.

Le général d'artillerie Sénarmont s'est conduit comme il l'a fait dans toutes les circonstances. Lorsque l'armée ennemie se vit coupée, elle changea de direction. Le général Sénarmont était alors engagé dans une gorge avec son artillerie, et c'est sur cette gorge que l'ennemi se dirigea pour y chercher un passage. L'artillerie avait peu d'escorte, mais les canonniers de la grande-armée n'en ont pas besoin. Le général Sénarmont plaça ses pièces en bataillon carré et tira à mitraille. La colonne ennemie changea encore de direction et se porta sur le point où elle est venue mettre bas les armes. Le duc de Bellune se loue de M. Château son premier aide-de-camp, et de M. l'adjudant commandant Aimé. Il donne des éloges au général Sémélé, aux colonels Jamin, Meunier, Mouton Duvernay, Lacoste, Pescheux et Combelle, tous officiers dont la bravoure et l'habileté ont été éprouvées dans cent combats.

En Galice les Anglais continuent d'être poursuivis l'épée dans les reins. Après avoir été chassés de Lugo, les trois quarts ont pris la direction de la Corogne, et un quart celle de Vigo où les Anglais ont des transports. Le duc de Dalmatie s'est porté sur la Corogne et le duc d'Elchingen sur Vigo.

Des députations du conseil d'état d'Espagne, du conseil des Indes, du conseil des finances, du conseil de la guerre, du conseil de marine, du conseil des ordres, de la junte de commerce et des monnaies, du tribunal des alcades de casa y corte, de la municipalité de Madrid, du clergé séculier et régulier, du corps de la noblesse, des corporations majeures et mineures et des habitans des paroisses et des quartiers, parties de Madrid le 11, ont été présentées le 16 à S. M. I. et R. à Valladolid.




Valladolid, 21 janvier 1809.

Trentième bulletin de l'armée d'Espagne.

Le duc de Dalmatie partit le 12 de Betanzos. Arrivé sur le Meso, il trouva le pont de Burgo coupé. L'ennemi fut délogé du village de Burgo. Pendant ce temps, le général Franceschi remonta la rivière qu'il passa sur le pont de Cela. Il intercepta la grande route de la Corogne à Santyago et prit six officiers et soixante soldats. Le même jour un poste de trente marins qui étaient à Meso sur le golfe, et qui y faisait de l'eau, fut pris. Du village de Perillo on put observer la flotte anglaise en rade de la Corogne.

Le 13, l'ennemi fit sauter deux magasins à poudre situés sur les hauteurs de Sainte Marguerite, à une demi-lieue de la Corogne. La détonation fut terrible et se fit sentir à plus de trois lieues dans les terres.

Le 14, le pont de Burgo fut raccommodé et l'artillerie française put y passer. L'ennemi était en position sur deux lignes, à une demi-lieue en avant de la Corogne. On le voyait s'occuper à embarquer en toute hâte ses malades et ses blessés, les espions et les déserteurs en portent le nombre à trois ou quatre mille hommes. Les Anglais s'occupaient en même temps à détruire les batteries de la côte, et à dévaster le pays voisin de la mer. Le commandant du fort de Saint-Philippe se doutant du sort qu'ils réservaient à la place, refusa de les y recevoir.

Le 14 au soir, on vit arriver un nouveau convoi de cent soixante voiles, parmi lesquelles on comptait quatre vaisseaux de ligne.

Le 15 au matin, les divisions Merle et Mermet occupèrent les hauteurs de Vallaboa où se trouvait l'avant-garde ennemie, qui fut attaquée et culbutée. Notre droite fut appuyée au point d'intersection de la route de la Corogne à Lugo, et de la Corogne à Santyago. La gauche était placée en arrière du village d'Elvina. L'ennemi occupait en face de très-belles hauteurs.

Le reste de la journée du 15 fut employé à placer une batterie de douze pièces de canon, et ce ne fut que le 16, à trois heures après midi que le duc de Dalmatie donna l'ordre de l'attaque.

Les Anglais furent abordés franchement par la première brigade de la division Mermet qui les culbuta et les délogea du village d'Elvina. Le deuxième régiment d'infanterie légère se couvrit de gloire. Le général Jardon à la tête des voltigeurs fit paraître un notable courage. L'ennemi culbuté de ses positions, se retira dans les jardins qui sont autour de la Corogne. La nuit devenant très-obscure, on fut obligé de suspendre l'attaque. L'ennemi en a profité pour s'embarquer en toute hâte. Nous n'avons eu d'engagés pendant le combat, qu'environ six mille hommes, et tout était disposé pour partir de la position que nos troupes occupaient le soir, et profiter du lendemain pour une affaire générale. La perte de l'ennemi est immense; deux batteries de notre artillerie l'ont foudroyé pendant la durée du combat. On a compté sur le champ de bataille plus de huit cents cadavres anglais, parmi lesquels on a trouvé le corps du général Hamilton, et ceux de deux autres officiers généraux dont on ignore les noms. Nous avons pris vingt officiers, trois cents soldats et quatre pièces de canon. Les Anglais ont laissé plus de quinze cents chevaux qu'ils avaient tués. Notre perte s'élève à cent hommes; nous en avons eu cent cinquante blesses. Le colonel du quarante-cinquième s'est distingué. Un porte-aigle du trente-unième d'infanterie légère a tue de sa propre main un officier anglais qui, dans la mêlée, s'était attaché a lui pour tâcher de lui enlever son aigle. Le général d'artillerie Bourgeat et le colonel Fontenay se sont très-bien montrés.

Le 17 à la pointe du jour, on a vu le convoi anglais mettre à la voile: le 18 tout avait disparu. Le duc de Dalmatie avait fait canonner les bâtiments des hauteurs du fort Sandiego. Plusieurs transports ont échoué, et tous les hommes qu'ils portaient ont été pris.

On a trouvé dans l'établissement de la Payoza trois mille fusils anglais. On s'est aussi emparé des magasins de l'ennemi et d'une quantité considérable de munitions et d'effets appartenant à l'armée. On a ramassé dans les faubourgs beaucoup de blessés. L'opinion des habitans du pays et des déserteurs est que le nombre des blessés dans le combat excède deux mille cinq cents.

Ainsi s'est terminée l'expédition anglaise envoyée en Espagne. Après avoir fomenté la guerre dans ce malheureux pays, les Anglais l'ont abandonné. Ils avaient débarqué trente-huit mille hommes et six mille chevaux; nous leur avons pris de compte fait six mille cinq cents hommes, non compris les malades. Ils ont rembarqué très-peu de bagages, très-peu de munitions et très-peu de chevaux: on en a compté cinq mille tués et abandonnés. Les hommes qui ont trouvé un asile sur leurs vaisseaux sont harassés et découragés. Dans une autre saison, il n'en aurait pas échappé un seul. La facilité de couper les ponts, la rapidité des torrens qui, pendant l'hiver, deviennent de profondes rivières, le peu de durée des journées et la longueur des nuits, sont très-favorables à une armée en retraite.

Des trente-huit mille hommes que les Anglais avaient débarqués, on peut assurer qu'à peine vingt-quatre mille hommes retourneront en Angleterre.

L'armée de la Romana, qui, à la fin de décembre, au moyen des renforts qu'elle avait reçus de la Galice, était forte de seize mille hommes, est réduite à moins de cinq mille hommes, qui errent entre Vigo et Santyago, et sont vivement poursuivis. Le royaume de Léon, la province de Zamora et toute la Galice que les Anglais avaient voulu couvrir, sont conquis et soumis.

Le général de division Lapisse a envoyé en Portugal des patrouilles qui y ont été très-bien reçues.

Le général Maupetit est entré à Salamanque. Il y a encore trouvé quelques malades anglais.




Trente-unième bulletin de l'année d'Espagne.

Les régimens anglais portant les numéros 42, 50 et 52 ont été entièrement détruits au combat du 16 près la Corogne. Il ne s'est pas embarqué soixante hommes de chacun de ces corps. Le général en chef Moore a été tué en voulant charger à la tête de cette brigade, pour rétablir les affaires. Efforts impuissans! cette troupe a été dispersée et son général frappé au milieu d'elle. Le général Baird avait déjà été blessé; il traversa la Corogne pour gagner son vaisseau, et ne se fit panser qu'à bord. Le bruit court qu'il est mort le 19.

Après la bataille du 16, la nuit fut terrible à la Corogne. Les Anglais y entrèrent consternés et pêle-mêle. L'armée anglaise avait débarqué plus de quatre-vingts pièces de Canon; elle n'en a pas rembarqué douze. Le reste a été pris ou perdu, et décompte fait, nous nous trouvons en possession de soixante pièces de canon anglaises.

Indépendamment du trésor de deux millions que l'armée a pris aux Anglais, il paraît qu'un trésor plus considérable a été jeté dans les précipices qui bordent la route d'Astorga à la Corogne. Les paysans et les soldats ont ramassé parmi les rochers une grande quantité d'argent.

Dans les engagemens qui ont eu lieu pendant la retraite, et avant le combat de la Corogne, deux généraux anglais avaient été tués, et trois avaient été blessés. On nomme parmi ces derniers le général Crawford. Les Anglais ont perdu tout ce qui constitue une armée: généraux, artillerie, chevaux, bagages, munitions, magasins.

Dès le 17, à la pointe du jour, nous étions maîtres des hauteurs qui dominent la rade de la Corogne, et nos batteries jouaient contre le convoi anglais. Il en est résulté que plusieurs bàtimens n'ont pu sortir, et ont été pris lors de la capitulation de la Corogne. On a trouvé aussi cinq cents chevaux anglais encore vivans, seize mille fusils, et beaucoup d'artillerie de siège abandonnée par l'ennemi. Un grand nombre de magasins sont pleins de munitions confectionnées que les Anglais voulaient emmener, mais qu'ils ont été forcés de laisser. Un magasin à poudre situé dans la presqu'île, contenant deux cents milliers de poudre, nous est également resté. Les Anglais surpris par l'événement du combat du 16, n'ont pas même eu le temps de détruire leurs magasins. Il y nvait trois cents malades anglais dans les hôpitaux. Nous avons trouvé dans le port sept bâtimens anglais; trois étaient chargés de chevaux et quatre de troupes, lis n'avaient pu appareiller.

La place de la Corogne a une enceinte qui la met à l'abri d'un coup de main. Il n'a donc été possible d'y entrer que le 20 par une capitulation. On a trouvé à la Corogne plus de deux cents pièces de canon espagnoles. Le consul français Fourcroy, le général Quesnel et son état-major; M. Bougars, officier d'ordonnance, M. Taboureau, auditeur, et trois cent cinquante Français, soldats ou marins qui avaient été pris ou en Portugal ou sur le bâtiment l'Atlas, ont été délivrés. Ils se louent beaucoup des officiers de la marine espagnole.

Les Anglais n'auront rapporté de leur expédition que la haine des Espagnols, la honte et le déshonneur. L'élite de leur armée, composée d'Écossais, a été blessée, tuée ou prise.

Le général Franceschi est entré à Santyago de Compostelle, où il a trouvé quelques magasins et une garde anglaise qu'il a fait prisonnière. Il a sur-le-champ marché sur Vigo. La Romana paraissait se diriger sur ce port avec deux mille cinq cents hommes, les seuls qu'il ait pu rallier. La division Mermet marchait sur le Ferrol.

L'air était infecté à la Corogne par douze cents cadavres de chevaux que les Anglais avaient égorgés dans les rues. Le premier soin du duc de Dalmatie a été de pourvoir au rétablissement de la salubrité si importante pour le soldat et pour les habitans.

Le général Alzedo, gouverneur de la Corogne, paraît n'avoir pris parti pour les insurgés, que contraint par la force. Il a prêté avec enthousiasme le serment de fidélité au roi Joseph Napoléon. Le peuple manifeste la joie qu'il éprouve d'être délivré des Anglais.




Trente-deuxième bulletin de l'armée d'Espagne.

Le duc de Dalmatie arrivé devant le Ferrol, fit investir la place. Des négociations furent entamées. Les autorités civiles et les officiers de terre et de mer paraissaient disposés à se rendre; mais le peuple, fomenté par les espions qu'avaient laissés les Anglais, se souleva.

Le 24, le duc de Dalmatie reçut deux parlementaires. L'un avait été envoyé par l'amiral Melgarejo, commandant l'escadre espagnole; l'autre, qui passa par les montagnes, avait été envoyé par les commandans des troupes de terre. Ces deux parlementaires étaient partis à l'insu du peuple. Ils firent connaître que toutes les autorités étaient sous le joug d'une populace effrénée, soudoyée et soulevée par les agens de l'Angleterre, et que huit mille hommes de la ville et des environs étaient armés.

Le duc de Dalmatie dut se résoudre à faire ouvrir la tranchée; mais du 24 au 25, différens mouvemens se manifestèrent dans la ville. Le dix-septième régiment d'infanterie légère s'étant porté à Mugardos, le trente-unième d'infanterie légère étant aux forts de la Palma et de Saint-Martin et à Lugrana, et bloquant le fort Saint-Philippe, le peuple commença à craindre les suites d'un assaut et à écouter les hommes sensés. Dans la journée du 26, trois parlementaires munis de pouvoirs et porteurs d'une lettre arrivèrent au quartier-général et signèrent la reddition de la place.

Le 27, à sept heures du matin, la ville a été occupée par la division Mermet et par une brigade de dragons.

Le même jour à midi, la garnison a été désarmée: le désarmement a déjà produit cinq mille fusils. Les personnes étrangères au Ferrol ont été renvoyées dans leurs villages. Les hommes connus pour s'être souillés de sang pendant l'insurrection, ont été arrêtés.

L'amiral Obregon, que le peuple avait arrêté pendant l'insurrection, a été mis à la tête de l'arsenal.

On a trouvé dans le port, trois vaisseaux de cent douze canons; deux de quatre-vingts; un de soixante-quatorze; deux de soixante-quatre; trois frégates et un certain nombre de corvettes, de bricks et autres bâtimens désarmés; plus de quinze cents pièces de canon de tous calibres, et des munitions de toute espèce.

Il est probable que sans la retraite précipitée des Anglais, et sans l'événement du 16, ils auraient occupé le Ferrol, et se seraient emparés de cette belle escadre. Les officiers de terre et de mer ont prêté serment au roi Joseph avec le plus grand enthousiasme. Ce qu'ils racontent de ce qu'ils ont eu à souffrir de la dernière classe du peuple et des boute-feux de l'Angleterre est difficile à concevoir.

L'ordre règne dans la Galice, et l'autorité du roi est rétablie dans cette province, l'une des plus considérables de la monarchie espagnole.

Le général Laborde a trouvé à la Corogne, sur le bord de la mer, sept pièces de canon que les Anglais avaient enterrées dans la journée du 16, ne pouvant les emmener. La Romana, abandonné par les Anglais et par ses troupes, s'est enfui avec cinq cents hommes du côté du Portugal, pour se jeter en Andalousie.

Il ne restait à Lisbonne que quatre à cinq mille Anglais. Tous les hôpitaux, tous les magasins étaient embarqués, et la garnison se disposait à abandonner ce peuple, aussi indigné de la perfidie des Anglais que révolté par la différence de moeurs et de religion, par la brutale et continuelle intempérance des troupes anglaises, par cet entêtement et par cet orgueil si mal fondés qui rendent cette nation odieuse à tous les peuples du continent.




Trente-troisième bulletin de l'armée d'Espagne.

Le duc de Dalmatie est arrivé le 10 février à Tuy. Toute la province est soumise.

Il réunissait tous les moyens pour passer le lendemain le Minho, qui est extrêmement large dans cet endroit. It a dû arriver du 15 au 20 à Oporto, et du 20 au 28 à Lisbonne.

Les Anglais s'embarquaient à Lisbonne pour abandonner le Portugal; l'indignation des Portugais était au comble, et il y avait journellement des engagemens notables et sanglans entre les Portugais et les Anglais.

En Galice, le duc d'Elchingen achevait l'organisation de la province. L'amiral Messaredra était arrivé au Ferrol, et l'activité commençait à renaître dans cet arsenal important. La tranquillité est rétablie dans toutes les provinces sous les ordres du duc d'Istrie, et situées entre les Pyrénées, la mer, le Portugal, et la chaîne de montagnes qui couvrent Madrid. La sécurité succède aux jours d'alarmes et de désordres.

De nombreuses députations se rendent de toutes parts auprès du roi à Madrid. La réorganisation et l'esprit public font des progrès rapides sous la nouvelle administration.

Le duc de Bellune marche sur Badajoz; il désarme et pacifie toute la basse Estramadure.

Sarragosse s'est rendue. Les calamités qui ont pesé sur cette ville infortunée, sont un effrayant exemple pour les peuples. L'ordre rétabli dans Sarragosse, s'étend à tout l'Aragon, et les deux corps d'armée qui se trouvaient autour de cette ville, deviennent disponibles.

Sarragosse a été le véritable siège de l'insurrection de l'Espagne. C'est dans cette ville qu'existait le parti qui voulait appeler un prince de la maison d'Autriche à régner sur le Tage. Les hommes de ce parti avaient hérité de cette opinion qui fut celle de leurs ancêtres à l'époque de le guerre de la succession, et qui vient d'être étouffée sans retour.

La bataille de Tudela avait été gagnée le 23 novembre, et dès le 27, l'armée française campait à peu de distance de Sarragosse.

La population de cette ville était armée. Celle des campagnes de l'Aragon s'y était jointe, et Sarragosse contenait cinquante mille hommes, formés par régimens de mille hommes, et par compagnies de cent hommes. Tous les grades de généraux, d'officiers et de sous-officiers, étaient remplis par des moines. Un corps de troupes de dix mille hommes échappés de la bataille de Tudela, s'était renfermé dans la ville, dont les subsistances étaient assurées par d'immenses, magasins, et qui était défendue par deux cents pièces de canon. L'image de notre dame del Pilar, faisait, au gré des moines, des miracles qui animaient l'ardeur de cette nombreuse population, ou qui soutenaient sa confiance. En plaine ces cinquante mille hommes n'auraient pas tenu contre trois régimens; mais enfermés dans leur ville, excités par tous les chefs de partis, pouvaient-ils échapper aux maux que l'ignorance et le fanatisme attiraient sur tant d'infortunés?

Tout ce qu'il était possible de faire pour les éclairer, les ramener à la raison, a été entrepris. Immédiatement après la bataille de Tudela, on jugea que l'opinion où on était à Sarragosse, que Madrid ferait de la résistance, que les armées de Somo-Sierra, du Guadarama, de l'Estramadure, de Léon et de la Catalogne, obtiendraient quelques succès, servirait de prétexte aux chefs des insurgés pour entretenir le fanatisme des habitans. On résolut de ne pas investir la ville, et de la laisser communiquer avec toute l'Espagne, afin qu'elle apprît la déroute des armées espagnoles, et qu'elle connût les détails de l'entrée de l'armée française à Madrid. Mais ces nouvelles ne parvinrent qu'aux meneurs, et demeurèrent inconnues à la masse de la population. Non-seulement on lui cachait la vérité, mais on l'encourageait par des mensonges. Tantôt les Français avaient perdu quarante mille hommes à Madrid, la Romana était entré en France; enfin l'armée anglaise arrivait en grande hâte, et les aigles françaises devaient fuir à l'aspect du terrible léopard.

Ce temps sacrifié à des vues politiques et à l'espoir de voir se calmer des têtes exaltées par le fanatisme et par l'erreur, n'était pas perdu pour l'armée française. Le général du génie Lacoste, aide-de-camp de l'empereur et officier du plus grand mérite, réunissait à Alagon, les outils, les équipages de mines et les matériaux nécessaires à la guerre souterraine que S. M. avait ordonnée.

Le général de division Dedon, commandant l'artillerie, rassemblait une grande quantité de mortiers, de bombes, d'obus et des bouches à feu de tous calibre. On tirait tous ces objets de Pampelune, éloignée de sept marches de Sarragosse.

Cependant on remarqua que l'ennemi mettait le temps à profit pour fortifier le Monte-Torrero et d'autres positions importantes. Le 21 décembre, la division Suchet le chassa des hauteurs de Saint-Lambert, et de deux ouvrages de campagne qui étaient à portée de la place. La division du général Gazan culbuta l'ennemi des hauteurs de Saint-Grégorio, et fit enlever par le vingt-unième d'infanterie légère et le centième de ligne, les redoutes adossées aux faubourgs, qui défendaient les routes de Suéva et de Barcelonne. I1 s'empara également d'une grande manufacture située près de Galliego, où s'étaient retranchés cinq cents Suisses. Le même jour, le duc de Conegliano s'empara des ouvrages et de la position du Monte-Torrero, enleva tous les canons, fit beaucoup de prisonniers et un grand mal à l'ennemi.

Le duc de Conegliano étant tombé malade, le duc d'Abrantès vint dans le commencement de janvier, prendre le commandement du troisième corps.

Il signala son arrivée par la prise du couvent de Saint-Joseph, et poursuivit ses succès le 16 janvier, en enlevant la tête du pont de la Huerba, où ses troupes se logèrent. Le chef de bataillon Athal, du quatorzième de ligne, se distingua à l'attaque du couvent Saint-Joseph, et le lieutenant Victor de Buffon, monta des premiers à l'assaut.

L'investissement de Sarragosse n'était cependant pas encore terminé. On persistait toujours dans les mêmes ménagemens, et on laissait à dessein les communications libres, afin que les insurgés pussent apprendre la déroute des Anglais et leur honteuse fuite au-delà des Espagnes. Ce fut le 16 janvier, que les Anglais furent jetés dans la mer à la Corogne, et ce fut le 26, que les opérations commencèrent à devenir sérieuses devant Sarragosse.

Le duc de Montebello y arriva le 20 pour prendre le commandement supérieur du siège. Lorsqu'il eut acquis la certitude que toutes les nouvelles que l'on faisait parvenir dans la ville, ne produisaient aucun effet, et que quelques moines, qui s'étaient emparés des esprits, réussissaient, ou à empêcher qu'elles vinssent à la connaissance du peuple, ou à les travestir de manière à perpétuer le délire des assiégés, il prit le parti de renoncer à tous les ménagements.

Quinze mille paysans s'étaient réunis sur la gauche de l'Ebre à Perdiguera. Le duc de Trévise les attaqua avec trois régimens, et malgré la belle position qu'ils occupaient, le soixante-quatrième régiment les culbuta et les mit en déroute. Le dixième de hussards se trouva dans la plaine pour les recevoir, et un grand nombre resta sar le champ de bataille. Neuf pièces de canon et plusieurs drapeaux furent les trophées de cette rencontre.

En même temps, le duc de Montebello avait envoyé l'adjudant-commandant Gasquet sur Zuer, pour y dissiper un rassemblement. Cet officier, avec trois bataillons, attaqua quatre mille insurgés, les culbuta et leur prit quatre pièces de canon avec leurs caissons attelés.

Le général Vattier avait en même temps été détaché avec trois cents hommes d'infanterie et deux cents chevaux sur la route de Valence. Il rencontra cinq mille insurgés à Alcanitz, les força dans la ville même à jeter leurs fusils dans leur fuite; leur tua six cents hommes, et prit des magasins de subsistances, de munitions et d'armes; parmi ces derniers se trouvèrent mille fusils anglais. L'adjudant-commandant Carrion de Nizas, à la tête d'une colon de d'infanterie, s'est conduit d'une manière brillante; le colonel Burthe, du quatrième de hussards, et le chef de bataillon Camus, du vingt-huitième d'infanterie légère, se sont distingués.

Ces opérations se faisaient entre le 20 et le 26 janvier.

Le 26, on commença à attaquer sérieusement la ville, et l'on démasqua les batteries. Le 27 à midi, la brèche se trouva praticable sur plusieurs points de l'enceinte. Les troupes se logèrent dans le couvent de San-Ingracia. La division Grandjean occupa une trentaine de maisons dans la ville. Le colonel Chlopiscki et les soldats de la Vistule, se distinguèrent. Dans le même moment, le général de division Merlot, dans une attaque sur la gauche, s'empara de tout le front de défense de l'ennemi.

Le capitaine Guetteman, à la tête des travailleurs et de trente-six grenadiers du quarante-quatrième, est monté à la brèche avec une hardiesse rare. M. Bobieski, officier des voltigeurs de la Vistule, jeune homme âgé de dix-sept ans, et déjà couvert de sept blessures, s'est présenté le premier à la brèche. Le chef de bataillon Lejeune, aide-de-camp du prince de Neufchâtel, s'est conduit avec distinction, et a reçu deux blessures légères. Le chef de bataillon Haxo a aussi été légèrement blessé et s'est également distingué.

Le 30, les couvens de Sainte-Monique et des Grands-Augustins furent enlevés. Soixante maisons furent prises à la sape. Les sapeurs du quatorzième régiment de ligue se distinguèrent.

Le premier février, le général Lacoste fut atteint d'une balle, et mourut sur le champ d'honneur. C'était un officier aussi brave qu'instruit. Sa perte a été sensible à toute l'armée, et plus particulièrement encore à l'empereur. Le colonel Rogniat lui succéda dans le commandement de l'arme du génie et dans la direction du siège.

L'ennemi défendait chaque maison. Trois attaques de mines étaient conduites de front, et tous les jours trois ou quatre mines faisaient sauter plusieurs maisons, et permettaient aux troupes de se loger dans plusieurs autres.

C'est ainsi qu'on arriva jusqu'au Corso (grande rue de Sarragosse), qu'on se logea sur les quais, et que l'on s'empara de la maison des écoles et de celle de l'université. L'ennemi tentait d'opposer mineurs à mineurs; mais peu habiles dans ce genre d'opérations, ses mineurs étaient sur-le-champ découverts et étouffés.

Cette manière de conduire le siège rendait sa marche lente, mais certaine et moins coûteuse pour l'armée. Pendant que trois compagnies de mineurs, et huit compagnies de sapeurs sont seules occupées à cette guerre souterraine, dont les résultats sont si terribles, le feu est presque constamment entretenu dans la ville par les mortiers qui lancent, des bombes remplies de cloches à feu.

Il n'y avait que dix jours que l'attaque avait commencé, et déjà on présageait la prochaine reddition de la ville. On s'était emparé de plus du tiers des maisons et on s'y était logé. L'église où se trouvait l'image de Notre-Dame del Pifar, qui par tant de miracles avait promis de la défendre, était écrasée par les bombes, et n'était plus habitable.

Le duc de Montebello jugea alors nécessaire de s'emparer du faubourg de la rive gauche, pour occuper tout le diamètre de la ville, et croiser son feu. Le général de division Gazan enleva la caserne des Suisses, par une attaque prompte et brillante. Le 17, une batterie de cinquante pièces de canon qu'on avait établie, joua dès le matin. A trois heures après midi, un bataillon du vingt-huitième attaqua un énorme couvent dont les murs en briques avaient trois à quatre pieds d'épaisseur, et s'en empara. Sept mille ennemis défendaient le faubourg. Le général Gazan se porta rapidement sur le pont par où les insurgés avaient leur retraite dans la ville. Il en tua un grand nombre, et fit quatre mille prisonniers, au nombre desquels se trouvaient deux généraux, douze colonels, dix-neuf lieutenans-colonels et deux cent trente officiers. Il prit six drapeaux et trente pièces de canon. Presque toutes les troupes de ligne de la place occupaient ce point important qui était menacé depuis le 10.

Au même instant, le duc d'Abrantès traversait le Corso par plusieurs canonnières, et faisait sauter, au moyen de deux fourneaux de mine, le vaste bâtiment des écoles.

Après ces événemens la terreur se mit dans la ville. La junte, pour obtenir quelques délais, et donner le temps à la frayeur des habitans de se dissiper, demanda à parlementer; mais sa mauvaise foi était connue et cette ruse lui fut inutile. Trente autres maisons furent enlevées à la sape ou par des mines.

Enfin le 21, toute la ville fut occupée par nos troupes. Quinze mille hommes d'infanterie et deux mille de cavalerie ont posé les armes a la porte de Portillo, et ont remis quarante drapeaux et cent cinquante pièces de canon. Les insurgés ont perdu vingt mille hommes pendant le siège. On en a trouvé treize mille dans les hôpitaux. Il en mourait cinq cents par jour.

Le duc de Montebello n'a pas voulu accorder de capitulation à la ville de Sarragosse; il a seulement fait connaître les dispositions suivantes:

La garnison posera les armes le 21, à midi, à là porte de Portillo; après quoi elle sera prisonnière de guerre. Les hommes des troupes de ligne qui voudraient prêter serment au roi Joseph et entrer à son service, pourront y être admis. Dans le cas où leur admission ne serait pas accordée par le ministre de la guerre du roi d'Espagne, ils seront prisonniers de guerre et conduits en France. La religion sera respectée. Les troupes françaises occuperont, le 21 à midi, le château. Toute l'artillerie et toutes les munitions de toute espèce, leur seront remises. Toutes les armes seront déposées aux portes de chaque maison, et recueillies par les alcades de chaque quartier.

Les magasins en blé, riz et légumes qu'on a trouvés dans la place, sont très-considérables.

Le duc de Montebello a nommé le général Laval, gouverneur de Sarragosse.

Une députation du clergé et des principaux habitans est partie pour se rendre à Madrid.

Palafox est dangereusement malade. Cet homme était l'objet du mépris de toute l'armée ennemie, qui l'accusait de présomption et de lâcheté.

On ne l'a jamais vu dans les postes où il y avait quelques dangers.

Le comte de Fuentes, grand d'Espagne, que les insurgés avaient arrêté dans ses terres, il y a sept mois, a été trouvé dans un cachot de huit pieds carrés, et délivré. On ne peut se faire une idée des maux qu'il a soufferts.




GUERRE D'AUTRICHE




Donswerth, 17 avril 1809.

Proclamation à l'armée.

Soldats!

Le territoire de la confédération a été violé. Le général autrichien veut que nous fuyions à l'aspect de ses armes, et que nous lui abandonnions nos alliés; j'arrive avec la rapidité de l'éclair.

Soldats, j'étais entouré de vous lorsque le souverain d'Autriche vint à mon bivouac de Moravie; vous l'avez entendu implorer ma clémence et me jurer une amitié éternelle. Vainqueurs dans trois guerres, l'Autriche a dû tout à notre générosité; trois fois elle a été parjure!!! Nos succès passés sont un sûr garant de la victoire qui nous attend.

Marchons donc, et qu'à votre aspect l'ennemi reconnaisse son vainqueur.

NAPOLÉON.




Ratisbonne, 24 avril 1809.

Premier bulletin de la grande armée.

L'armée autrichienne a passé l'Inn le 9 avril; par là les hostilités ont commencé, et l'Autriche a déclaré une guerre implacable à la France, à ses alliés et à la confédération du Rhin.

Voici quelle était la position des corps français et alliés.

Le corps du duc d'Auerstaedt à Ratisbonne.

Le corps du duc de Rivoli à Ulm.

Le corps du général Oudinot à Augsbourg.

Le quartier-général à Strasbourg.

Les trois divisions bavaroises, sous les ordres du duc de Dantzick: placées, la première, commandée parle prince royal, à Munich; la deuxième, commandée par le général Deroi, à Landshut; et la troisième, commandée par le général de Wrede, a Straubing.

La division wurtembergeoise à Heidenheim.

Les troupes saxonnes campées sous les murs de Dresde.

Le corps du duché de Varsovie, commandé par le prince Poniatowski, sous Varsovie.

Le 10, les troupes autrichiennes investirent Passau, où s'enferma un bataillon bavarois; elles investirent en même temps Kufftein, où s'enferma également un bataillon bavarois. Ce mouvement eut lieu sans tirer un coup de fusil.

Les Autrichiens publièrent dans le Tyrol la proclamation ci-jointe. La cour de Bavière quitta Munich pour se rendre à Dillingen.

La division bavaroise qui était à Landshut se porta à Altorff, sur la rive gauche de l'Iser.

La division commandée par le général de Wrede se porta sur Neustadt.

Le duc de Rivoli partit d'Ulm et se porta sur Augsbourg.

Du 10 au 16, l'armée ennemie s'avança de l'Inn sur l'Iser. Des partis de cavalerie se rencontrèrent, et il y eut plusieurs charges, dans lesquelles les Bavarois eurent l'avantage. Le 16, à Pfaffenhoffen, les deuxième et troisième régimens de chevau-légers bavarois culbutèrent les hussards Stipschitz et les dragons de Rosemberg.

Au même moment, l'ennemi se présenta en force pour déboucher par Landshut. Le pont était rompu, et la division bavaroise, commandée par le général Deroy, opposait une vive résistance à ce mouvement; mais menacée par des colonnes qui avaient passé l'Iser à Moorburg et à Freysing, cette division se retira en bon ordre sur celle du général de Wrede, et l'armée bavaroise se centralisa sur Neustadt.

Départ de l'empereur de Paris, le 13.

L'empereur apprit par le télégraphe, dans la soirée du 12, le passage de l'Inn par l'armée autrichienne, et partit de Paris un instant après. Il arriva le 16, à trois heures du matin, à Louisbourg, et dans la soirée du même jour à Dillingen, où il vit le roi de Bavière; passa une demi-heure avec ce prince et lui promit de le ramener en quinze jours dans sa capitale et de venger l'affront fait à sa maison, en le faisant plus grand que ne furent jamais aucun de ses ancêtres. Le 17, à sept heures du matin, S. M. arriva à Donswerth, où était établi le quartier-général, et donna sur-le-champ les ordres nécessaires.

Le 18, le quartier-général fut transporté à Ingolstadt.

Combat de Pfaffenhoffen, le 19.

Le 19, le général Oudinot, parti d'Augsbourg, arriva à la pointe du jour à Pfaffenhoffen, y rencontra trois à quatre mille Autrichiens qu'il attaqua et dispersa, et fit trois cents prisonniers.

Le duc de Rivoli, avec son corps d'armée, arriva le lendemain à Pfaffenhoffen.

Le même jour, le duc d'Auerstaedt quitta Ratisbonne pour se porter sur Neustadt et se rapprocher d'Ingolstadt. Il parut évident alors que le projet de l'empereur était de manoeuvrer sur l'ennemi qui avait débouché de Landshut, et de l'attaquer dans le moment même où, croyant avoir l'initiative, il marchait sut Ratisbonne.

Bataille de Tann, le 19.

Le 19, à la pointe du jour, le duc d'Auerstaedt se mit en marche sur deux colonnes. Les divisions Morand et Gudin formaient sa droite; les divisions Saint-Hilaire et Friant formaient sa gauche. La division Saint-Hilaire, arrivée au village de Peissing, y rencontra l'ennemi plus fort en nombre, mais bien inférieur en bravoure; et là s'ouvrit la campagne par un combat glorieux pour nos armées. Le général Saint-Hilaire, soutenu par le général Friant, culbuta tout ce qui était devant lui, enleva les positions de l'ennemi, lui tua une grande quantité de monde et lui fit six à sept cents prisonniers.

Le soixante-douzième se distingua dans cette journée, et le cinquante-septième soutint son ancienne réputation. Il y a seize ans ce régiment avait été surnommé en Italie le terrible, et il a bien justifié ce surnom dans cette affaire, où seul il a abordé et successivement défait six régimens autrichiens.

Sur la gauche, à deux heures après-midi, le général Morand rencontra également une division autrichienne qu'il attaqua en tête, tandis que le duc de Dantzick, avec un corps bavarois, parti d'Abensberg, vint la prendre en queue. Cette division fut bientôt débusquée de toutes ses positions, et laissa quelques centaines de morts et de prisonniers. Le régiment entier des dragons de Levenher fut détruit par les chevau-légers bavarois, et son colonel fut tué.

A la chute du jour, le corps du duc de Dantzick fit sa jonction avec celui du duc d'Auerstaedt.

Dans toutes ces affaires les généraux Saint-Hilaire et Friant se sont particulièrement distingués.

Ces malheureuses troupes autrichiennes qu'on avait amenées de Vienne au bruit des chansons et des fifres, en leur faisant croire qu'il n'y avait plus d'armée française en Allemagne, et qu'elles n'auraient affaire qu'aux Bavarois et aux Wurtembergeois, montrèrent tout le ressentiment qu'elles concevaient contre leurs chefs, des erreurs où ils les avaient entretenues, et leur terreur ne fut que plus grande à la vue de ces vieilles bandes qu'elles étaient accoutumées à considérer comme leurs maîtres.

Dans tous ces combats, notre perte fut peu considérable en comparaison de celle de l'ennemi, qui surtout perdit beaucoup d'officiers et de généraux, obligés de se mettre en avant pour donner de l'élan à leurs troupes. Le prince de Liechtenstein, le général de Lusignan et plusieurs autres furent blessés. La perte des Autrichiens en colonels et officiers de moindre grade, est extrêmement considérable.

Bataille d'Abensberg, le 20.

L'empereur résolut de battre et de détruire le corps de l'archiduc Louis et celui du général Hiller, forts ensemble de soixante mille hommes. Le 20, Sa Majesté se porta à Abensberg; il donna ordre au duc d'Auerstaedt de tenir en respect les corps de Hohenzollern, Rosemberg et de Liechtenstein, pendant qu'avec les deux divisions Morand et Gudin, les Bavarois et les Wurtembergeois, il attaquait de front l'armée de l'archiduc Louis et du général Hiller, et qu'il faisait couper les communications de l'ennemi par le duc de Rivoli, en le faisant passer à Freysing, et de là sur les derrières de l'armée autrichienne.

Les divisions Morand et Gudin formèrent la gauche et manoeuvrèrent sous les ordres du duc de Montebello. L'empereur se décida à combattre ce jour-là à la tête des Bavarois et des Wurtembergeois. Il fit réunir en cercle les officiers de ces deux armées et leur parla long-temps. Le prince royal de Bavière traduisait en allemand ce qu'il disait en français. L'empereur leur fit sentir la marque de confiance qu'il leur donnait. Il dit aux officiers bavarois que les Autrichiens avaient toujours été leurs ennemis; que c'était à leur indépendance qu'ils en voulaient; que depuis plus de deux cents ans les drapeaux bavarois étaient déployés contre la maison d'Autriche; mais que cette fois il les rendrait si puissans, qu'ils suffiraient seuls désormais pour lui résister.

Il parla aux Wurtembergeois des victoires qu'ils avaient remportées sur la maison d'Autriche, lorsqu'ils servaient dans l'armée prussienne, et des derniers avantages qu'ils avaient obtenus dans la campagne de Silésie. Il leur dit à tous que le moment de vaincre était venu pour porter la guerre sur le territoire autrichien. Ces discours, qui furent répétés aux compagnies par les capitaines, et les différentes dispositions que fit l'empereur, produisirent l'effet qu'on pouvait en attendre.

L'empereur donna alors le signal du combat et mesura les manoeuvres sur le caractère particulier de ces troupes. Le général de Wrede, officier bavarois d'un grand mérite, placé au devant du pont de Siegenburg, attaqua une division autrichienne qui lui était opposée. Le général Vandamme, qui commandait les Wurtembergeois, la déborda sur son flanc droit. Le duc de Dantzick, avec la division du prince royal et celle du général Deroy, marcha sur le village de Rennhause pour arriver sur la grande route d'Abensberg à Landshut. Le duc de Montebello, avec ses deux divisions françaises, força l'extrême gauche, culbuta tout ce qui était devant lui, et se porta sur Rohr et Rothemburg. Sur tous les points, la canonnade était engagée avec succès. L'ennemi, déconcerté par ces dispositions, ne combattit qu'une heure et battit en retraite. Huit drapeaux, douze pièces de canon, dix-huit mille prisonniers furent le résultat de cette affaire, qui ne nous a coûté-que peu de monde.

Bataille d'Eckmülh, le 22.

Tandis que la bataille d'Abensberg et le combat de Landshut avaient des résultats si importans, le prince Charles se réunissait avec le corps de Bohême, commandé par le général Kollowrath, et obtenait à Ratisbonne un faible succès.

Mille hommes du soixante-cinquième, qui avaient été laissés pour garder le pont de Ratisbonne, ne reçurent point l'ordre de se retirer. Cernés par l'armée autrichienne, ces braves ayant épuisé leurs cartouches, furent obligés de se rendre. Cet événement fut sensible à l'empereur; il jura que dans les vingt-quatre heures le sang autrichien coulerait dans Ratisbonne, pour venger cet affront fait à ses armes.

Dans le même temps, les ducs d'Auerstaedt et de Dantzick tenaient en échec les corps de Rosemberg, de Hohenzollern et de Liechtenstein. Il n'y avait pas de temps à perdre. Le 22 au matin, l'empereur se mit en marche de Landshut avec les deux divisions du duc de Montebello, le corps du duc de Rivoli, les divisions de cuirassiers Nansouty et Saint-Sulpice et la division wurtembergeoise. A deux heures après-midi, il arriva vis-à-vis Eckmülh, où les quatre corps de l'armée autrichienne, formant cent dix mille hommes, étaient en position sous le commandement de l'archiduc Charles. Le duc de Montebello déborda l'ennemi par la gauche avec la division Gudin. Au premier signal, les ducs d'Auerstaedt et de Dantzick, et la division de cavalerie légère du général Montbrun, débouchèrent. On vit alors un des plus beaux spectacles qu'aient offerts la guerre. Cent dix mille ennemis attaqués sur tous les points, tournés par leur gauche, et successivement dépostés de toutes leurs positions. Le détail des événemens militaires serait trop long; il suffit de dire que, mis en pleine déroute, l'ennemi a perdu la plus grande partie de ses canons et un grand nombre de prisonniers; que le dixième d'infanterie légère, de la division Saint-Hilaire, se couvrit de gloire en débouchant sur l'ennemi, et que les Autrichiens, débusqués du bois qui couvre Ratisbonne, furent jetés dans la plaine et coupés par la cavalerie. Le sénateur général de division Demont eut un cheval tué sous lui. La cavalerie autrichienne, forte et nombreuse, se présenta pour protéger la retraite de son infanterie; la division Saint-Sulpice sur la droite, la division Nansouty sur la gauche, l'abordèrent; la ligne de hussards et de cuirassiers ennemis fut mise en déroute. Plus de trois cents cuirassiers autrichiens furent faits prisonniers. La nuit commençait; nos cuirassiers continuèrent leur marche sur Ratisbonne. La division Nansouty rencontra une colonne ennemie qui se sauvait, la chargea et la fit prisonnière; elle était composée de trois bataillons hongrois de quinze cents hommes.

La division Saint-Sulpice chargea un autre carré dans lequel faillit être pris le prince Charles, qui ne dut son salut qu'à la vitesse de son cheval. Cette colonne fut également enfoncée et prise. L'obscurité obligea enfin à s'arrêter. Dans cette bataille d'Eckmülh, il n'y eut que la moitié à peu près des troupes françaises engagée. Poussée l'épée dans les reins, l'armée ennemie continua de défiler toute la nuit par morceaux et dans la plus épouvantable déroute. Tous ses blessés, la plus grande partie de son artillerie, quinze drapeaux et vingt mille prisonniers sont tombés eu notre pouvoir. Les cuirassiers se sont, comme à l'ordinaire, couverts de gloire.

Combat et prise de Ratisbonne, le 23.

Le 20, à la pointe du jour, on s'avança sur Ratisbonne; l'avant-garde formée par la division Gudin et par les cuirassiers des divisions Nansouty et Saint-Sulpice; on ne tarda pas à apercevoir la cavalerie ennemie gui prétendait couvrir la ville. Trois charges successives s'engagèrent: toutes furent à notre avantage. Sabrés et mis en pièces, huit mille hommes de cavalerie ennemie repassèrent précipitamment le Danube. Sur ces entrefaites, nos tirailleurs tâtèrent la ville. Par une inconcevable disposition, le général autrichien y avait placé six régiments sacrifiés sans raison. La ville est enveloppée d'une mauvaise enceinte, d'un mauvais fossé et d'une mauvaise contrescarpe. L'artillerie arriva; on mit en batterie des pièces de 12. On reconnut une issue par laquelle, au moyen d'une échelle, on pouvait descendre dans le fossé, et remonter ensuite par une brèche faite à la muraille.

Le duc de Montebello fit passer par cette ouverture un bataillon qui gagna une poterne et l'ouvrit; on s'introduisit alors dans la ville. Tout ce qui fit résistance fut sabré; le nombre des prisonniers passa huit mille. Par suite de ses mauvaises dispositions, l'ennemi n'eut pas le temps de couper le pont, et les Français passèrent avec lui sur la rive gauche. Cette malheureuse ville, qu'il a eu la barbarie de défendre, a beaucoup souffert; le feu y a été une partie de la nuit; mais par les soins du général Morand et de sa division, on parvint à le dominer et à l'éteindre.

Ainsi, à la bataille d'Abensberg, l'empereur battit séparément les deux corps de l'archiduc Louis et du général Hiller. Au combat de Landshut, il s'empara du centre des communications de l'ennemi et du dépôt général de ses magasins et de son artillerie. Enfin, à la bataille d'Eckmülh, les quatre corps d'Hohenzollern, de Rosemberg, de Kollowrath et de Lichtenstein furent défaits et mis en déroute. Le corps du général Bellegarde, arrivé le lendemain de cette bataille, ne put qu'être témoin de la prise de Ratisbonne, et se sauva en Bohême.

Cette première notice des opérations militaires qui ont ouvert la campagne d'une manière si brillante, sera suivie d'une relation plus détaillée de tous les faits d'armes qui ont illustré les armées française et alliées.

Dans tous ces combats, notre perte peut se monter à douze cents tués et à quatre mille blessés. Le général de division Cervoni, chef d'état-major du général Montebello, fut frappé d'un boulet de canon et tomba mort sur le champ de bataille d'Eckmülh. C'était un officier de mérite et qui s'était distingué dans nos premières campagnes. Au combat de Peissing, le général Hervo, chef de l'état-major du duc d'Auerstaedt, a été également tué. Le duc d'Auerstaedt regrette vivement cet officier, dont il estimait la bravoure, l'intelligence et l'activité. Le général de brigade Clément, commandant une brigade de cuirassiers de la division Saint-Sulpice, a eu un bras emporté. C'est un officier de courage et d'un mérite distingué. Le général Schramm a été blessé. Le colonel du quatorzième de chasseurs a été tué dans une charge. En général, notre perte en officiers est peu considérable. Les mille hommes du soixante-cinquième qui ont été faits prisonniers, ont été pour la plupart repris. Il est impossible de montrer plus de bravoure et de bonne volonté qu'en ont montré les troupes.

A la bataille d'Eckmülh, le corps du duc de Rivoli n'ayant pu encore joindre, ce maréchal est resté constamment auprès de l'empereur, il a porté des ordres et fait exécuter différentes manoeuvres.

A l'assaut de Ratisbonne, le duc de Montebello, qui avait désigné le lieu du passage, a fait porter les échelles par ses aides-de-camp.

Le prince de Neufchâtel, afin d'encourager les troupes et donner en même temps une preuve de confiance aux alliés, a marché plusieurs fois à l'avant-garde avec les régiments bavarois.

Le duc d'Auerstaedt a donné dans ces différentes affaires de nouvelles preuves de l'intrépidité qui le caractérise.

Le duc de Rovigo, avec autant de dévouement que d'intrépidité, a traversé plusieurs fois les légions ennemies, pour aller faire connaître aux différentes colonnes l'intention de l'empereur.

Des deux cent vingt mille hommes qui composaient l'armée autrichienne, tous ont été engagés hormis les vingt mille hommes que commande le général Bellegarde et qui n'ont pas donné. De l'armée française, au contraire, près de la moitié n'a pas tiré un coup de fusil. L'ennemi, étonné, par des mouvemens rapides, et hors de ses calculs, s'est trouvé en un moment déchu de sa folle espérance, et transporté du délire de la présomption dans un abattement approchant du désespoir.




Proclamation du général Jellachich aux habitons du Tyrol.

Tyroliens,

Si vous êtes encore ce que vous avez été il n'y a pas longtemps; si vous vous rappelez le bonheur, la prospérité, la liberté véritable dont vous avez joui sous le sceptre bienfaisant de l'Autriche; si la voix du général que vous avez reconnu comme un des vôtres, lorsqu'on 1799 il vous a sauvés d'un danger imminent par la victoire de Feldkirch, qui, dans l'année suivante, a rendu inattaquable votre frontière depuis Arbberg jusqu'à la vallée de Karabendel; si tout cela n'est pas effacé de votre mémoire, écoutez ce que je viens vous dire; écoutez et soyez-en pénétrés.

Votre seigneur légitime (je devrais dire votre père) vous recherche: placez-vous sous son égide! Son coeur saigne de vous voir sous une domination étrangère; vous, ses fidèles, redevenez les enfans de l'Autriche, ne méconnaissez pas ce titre précieux!

Des armées autrichiennes plus nombreuses que jamais, plus animées et plus patriotiques, vont entrer dans votre pays; considérez-les comme vos frères, comme les enfans d'un même père; réunissez-vous à elles, suivant l'exemple de tous les peuples qui rendent hommage au trône autrichien. Enfin, comportez-vous en tout comme vous l'avez fait tout récemment à l'admiration de toute l'Europe.

Tyroliens, Dieu est avec nous. Nous ne cherchons pas de nouvelles conquêtes, mais nous voulons ramener dans le sein de notre père impérial et gracieux des frères qui ont été détachés de lui. Rien ne nous résiste, rien ne peut nous vaincre dès que nous nous unissons pour notre bonheur et pour la conservation de notre existence. Croyez-moi, Tyroliens, Dieu est avec nous!




Mulhdorf, 27 avril 1809.

Deuxième bulletin de la grande armée.

Le 22, le lendemain du combat de Landshut, l'empereur partit de cette ville pour Ratisbonne et livra la bataille d'Eckmülh. En même temps il envoya le maréchal duc d'Istrie, avec la division bavaroise aux ordres du général de Wrede, et la division Molitor, pour se porter sur l'Inn et poursuivre les deux corps d'armée autrichiens battus à la bataille d'Abensberg et au combat de Landshut.

Le maréchal duc d'Istrie, arrivé successivement à Wilsbiburg et à Neumark, y trouva un équipage de pont attelé, plus de quatre cents voitures, des caissons et des équipages, et fit dans sa marche quinze à dix-huit cents prisonniers.

Les corps autrichiens trouvèrent au-delà de Neumark un corps de réserve qui arrivait sur l'Inn; ils s'y rallièrent, et le 25 livrèrent à Neumark un combat où les Bavarois, malgré leur extrême infériorité, conservèrent leurs positions.

Le 24, l'empereur avait dirigé le corps du maréchal duc de Rivoli, de Ratisbonne sur Straubing, et de là sur Passau, où il arriva le 26. Le duc de Rivoli fit passer l'Inn au bataillon du Pô, qui fit trois cents prisonniers, débloqua la citadelle et occupa Scharding.

Le 25, le maréchal duc de Montebello avait eu ordre de marcher avec son corps, de Ratisbonne sur Mulhdorf; le 27, il passa l'Inn et se porta sur la Salza.

Aujourd'hui 27, l'empereur a son quartier-général à Mulhdorf.

La division autrichienne, commandée par le général Jellachich, qui occupait Munich, est poursuivie par le corps du duc de Dantzick.

Le roi de Bavière s'est montré de sa personne à Munich; il est retourné ensuite à Augsbourg, où il restera encore quelques jours, attendant, pour établir fixement sa résidence à Munich, que la Bavière soit entièrement purgée des partis ennemis.

Cependant, du côté de Ratisbonne, le duc d'Auerstaedt s'est mis à la poursuite du prince Charles, qui, coupé de ses communications avec l'Inn et Vienne, n'a eu d'autre ressource que de se retirer dans les montagnes de Bohême par Waldmunchen et Cham.

Quant à l'empereur d'Autriche, il parait qu'il était devant Passau, s'étant chargé d'assiéger cette place avec trois bataillons de landwerh.

Toute la Bavière et le Palatinat sont délivrés de la présence des armées ennemies.

A Ratisbonne, l'empereur a passé la revue de plusieurs corps, ci s'est fait présenter le plus brave soldat, auquel il a donné des distinctions et des pensions, et le plus brave officier, auquel il a donné des baronnies et des terres. Il a spécialement témoigné sa satisfaction aux divisions Saint-Hilaire et Friant.

Jusqu'à cette heure, l'empereur a fait la guerre presque sans équipages et sans garde, et l'on a remarqué qu'en l'absence de sa garde, il avait toujours autour de lui des troupes alliées bavaroises et wurtembergeoises, voulant par là leur donner une preuve particulière de confiance. Hier sont arrivés à Landshut une partie des chasseurs et grenadiers à cheval de la garde, le régiment de fusiliers et un bataillon de chasseurs à pied.

D'ici à huit jours, toute la garde sera arrivée.

On a fait courir le bruit que l'empereur avait eu la jambe cassée; le fuit est qu'une balle morte a effleuré le talon de la botte de S. M., mais n'a pas même altéré la peau. Jamais S. M., au milieu des plus grandes fatigues, ne s'est mieux portée.

On remarque comme un fuit singulier qu'un des premiers officiers autrichiens faits prisonniers dans cette guerre, se trouve être l'aide-de-camp du prince Charles, envoyé à M. Otto pour lui remettre la fameuse lettre portant que l'armée française eût à s'éloigner.

Les habitans de Ratisbonne s'étant très-bien comportés, et ayant montré l'esprit patriotique et confédéré que nous étions en droit d'attendre d'eux, S. M. a ordonné que les dégâts qui avaient été faits seraient réparés à ses frais, et particulièrement la restauration des maisons incendiées, dont la dépense s'élèvera à plusieurs millions.

Tous les souverains et tous les pays de la confédération montrent l'esprit le plus patriotique. Lorsque le ministre d'Autriche à Dresde remit la déclaration de sa cour au roi de Saxe, ce prince ne put retenir son indignation. «Vous voulez la guerre, dit le roi, et contre qui? Vous attaquez et vous invectivez celui qui, il y a trois ans, maître de votre sort, vous a restitué vos états. Les propositions que l'on me fait m'affligent; mes engagemens sont connus de toute l'Europe; aucun prince de la confédération ne s'en détachera.»

Le grand duc de Wurtzbourg, frère de l'empereur d'Autriche, a montré les mêmes sentimens, et a déclaré que si les Autrichiens avançaient sur ses états, il se retirerait, s'il le fallait, au-delà du Rhin; tout l'esprit de vertige et les injures de la cour de Vienne sont généralement appréciés. Les régimens des petits princes, toutes les troupes alliées, demandent à l'envi à marcher à l'ennemi.

Une chose notable, et que la postérité remarquera comme une nouvelle preuve de l'insigne mauvaise foi de la maison d'Autriche, c'est que le même jour qu'elle faisait écrire au roi de Bavière la lettre, elle faisait publier dans le Tyrol la proclamation du général Jellachich: le même jour on proposait au roi d'être neutre et on insurgeait ses sujets. Comment concilier cette contradiction, ou plutôt, comment justifier cette infamie?




Ratisbonne, 24 avril 1809.

Ordre du jour.

Soldats!

Vous avez justifié mon attente: vous avez suppléé au nombre par votre courage; vous avez glorieusement marqué la différence qui existe entre les soldats de César et les armées de Xerxès.

En peu de jours nous avons triomphé dans les trois batailles de Tann, d'Abensberg et d'Eckmühl, et dans les combats de Peissing, Landshut et de Ratisbonne. Cent pièces de canon, quarante drapeaux, cinquante mille prisonniers, trois équipages attelés, trois mille voitures attelées portant les bagages, toutes les caisses des régimens, voilà le résultat de la rapidité de vos marches et de votre courage.

L'ennemi enivré par un cabinet parjure, paraissait ne plus conserver aucun souvenir de vous; son réveil a été prompt; vous lui avez paru plus terribles que jamais. Naguère il a traversé l'Inn et envahi le territoire de nos alliés; naguère il se promettait de porter la guerre au sein de notre patrie. Aujourd'hui, défait, épouvanté, il fuit en désordre; déjà mon avant-garde a passé l'Inn; avant un mois nous serons à Vienne.




Burghausen, 30 avril 1809.

Troisième bulletin de la grande armée.

L'empereur est arrivé le 27, à six heures du soir, à Mulhdorf. S. M. a envoyé la division du général de Wrede à Lauffen, sur l'Alza, pour tâcher d'atteindre le corps que l'ennemi avait dans le Tyrol, et qui battait en retraite à marches forcées. Le général de Wrede arriva le 28 à Lauffen, rencontra l'arrière-garde ennemie, prit ses bagages, et lui fit bon nombre de prisonniers; mais l'ennemi eut le temps de passer la rivière et brûla le pont.

Le 27, le duc de Dantzick arriva à Wanesburk et le 28 à Altenmarck.

Le 29, le général de Wrede avec sa division, continua sa marche sur Salzbourg: à trois lieues de cette ville, sur la route de Lauffen, il trouva des avant-postes de l'armée ennemie. Les Bavarois les poursuivirent l'épée dans les reins, et entrèrent pêle-mêle avec eux dans Salzbourg. Le général de Wrede assure que la division du général Jellachich est entièrement dispersée. Ainsi, ce général a porté la peine de l'infâme proclamation par laquelle il a mis le poignard aux mains des Tyroliens.

Les Bavarois ont fait cinq cents prisonniers. On a trouvé à Salzbourg des magasins assez considérables.

Le 28, à la pointe du jour, le duc d'Istrie arriva à Burghausen, et posta une avant-garde sur la rive droite de l'Inn. Le même jour, le duc de Montebello arriva à Burghausen. Le comte Bertrand disposa tout pour raccommoder le pont que l'ennemi avait brûlé. La crue de la rivière occasionnée par la fonte des neiges, mit quelque retard au rétablissement du pont. Toute la journée du 29 fut employée à ce travail. Dans la journée du 30, le pont a été rétabli et toute l'armée a passé.

Le 28, un détachement de cinquante chasseurs, sous le commandement du chef d'escadron Margaron, est arrivé à Dittemaning, où il a rencontré un bataillon de la fameuse landwerh qui à son approche se jeta dans un bois. Le chef d'escadron Margaron l'envoya sommer; après s'être long-temps consultés, mille hommes de ces redoutables milices postés dans un bois fourré et inaccessible à la cavalerie, se sont rendus à cinquante chasseurs. L'empereur voulut les voir; ils faisaient pitié: ils étaient commandés par de vieux officiers d'artillerie, mal armés et plus mal équipés encore.

Le génie arrogant et farouche de l'Autrichien s'était entièrement découvert dans le moment de fausse prospérité dont leur entrée à Munich les avait éblouis. Ils feignirent de caresser les Bavarois; mais les griffes du tigre reparurent bientôt. Le bailli de Mulhdorf, nommé Stark, qui avait mérité une distinction du roi de Bavière, pour les services qu'il avait rendus à ses troupes dans la dernière guerre, a été arrêté et conduit à Vienne pour y être jugé. A Burghausen la femme du bailli, comte d'Armansperd, est venue supplier l'empereur de lui faire rendre son mari que les Autrichiens ont emmené à Lintz, et de là à Vienne, sans qu'on en ait entendu parler depuis. La raison de ce mauvais traitement est qu'en 1805, il lui fut fait des réquisitions auxquelles il n'obtempéra point. Voilà le crime dont les Autrichiens lui ont gardé un si long ressentiment et dont ils ont tiré cette injuste vengeance.

Les Bavarois feront sans doute un récit de toutes les vexations et des violences que les Autrichiens ont exercées envers eux, pour en transmettre la mémoire à leurs enfans, quoiqu'il soit probable que c'est pour la dernière fois que les Autrichiens ont insulté aux alliés de la France. Des intrigues ont été ourdies par eux, en Tyrol et en Westphalie pour exciter les sujets à la révolte contre leurs princes.

Levant des armées nombreuses divisées en corps comme l'armée française, marchant au pas accéléré pour singer l'armée française, faisant des bulletins, des proclamations, des ordres du jour, en singeant même encore l'armée française, ils ne représentent pas mal l'âne qui, couvert de la peau du lion, cherche à l'imiter; mais le bout de l'oreille se laisse apercevoir, et le naturel l'emporte toujours.

L'empereur d'Autriche a quitté Vienne et a signé en partant une proclamation, rédigée par Gentz dans le style de l'esprit des plus sots libelles. Il s'est porté à Scharding, position qu'il a choisie, précisément pour n'être nulle part, ni dans sa capitale pour gouverner ses états, ni au camp où il n'eût été qu'un inutile embarras. Il est difficile de voir un prince plus débile et plus faux. Lorsqu'il a appris la suite de la bataille d'Eckmülh, il a quitté les bords de l'Inn et est rentré dans le sein de ses états.

La ville de Scharding que le duc de Rivoli a occupée, a beaucoup souffert. Les Autrichiens en se retirant ont mis le feu à leurs magasins et ont brûlé la moitié de la ville qui leur appartenait. Sans doute qu'ils avaient le pressentiment, et qu'ils ont adopté l'adage que ce qui leur appartenait, ne leur appartiendra plus.




Braunau, 1er mai 1809.

Quatrième bulletin de la grande armée.

Au passage du pont de Landshut, le général de brigade Lacour a montré du courage et du sang-froid. Le comte Lauriston a placé l'artillerie avec intelligence, et a contribué au succès de cette brillante affaire.

L'évêque et les principales autorités de Salzbourg sont venus à Burghausen implorer la clémence de l'empereur pour leur pays. S. M. leur a donné l'assurance qu'ils ne retourneraient plus sous la domination de la maison d'Autriche. Ils ont promis de prendre des mesures pour faire rentrer les quatre bataillons de milices que le cercle avait fournis, et dont une partie avait déjà été prise et dispersée.

Le quartier-général part pour se rendre aujourd'hui premier mai, à Ried.

On a trouvé à Braunau des magasins de deux cent mille rations de biscuit et de six mille sacs d'avoine. On espère en trouver de plus considérables à Ried. Le cercle de Ried a fourni trois bataillons de milices; mais la plus grande partie est déjà rentrée.

L'empereur d'Autriche a été pendant trois jours à Braunau. C'est à Scharding qu'il a appris la défaite de son armée. Les habitans lui imputent d'être le principal auteur de la guerre.

Les fameux volontaires de Vienne, battus à Landshut, ont repassé ici, jetant leurs armes et portant à toutes jambes l'alarme à Vienne.

Le 21 avril, on a publié dans cette capitale un décret du souverain qui déclare que les ports sont rouverts aux Anglais, les relations avec cet ancien allié rétablies, et les hostilités commencées avec l'ennemi commun.

Le général Oudinot a pris entre Altain et Ried un bataillon de mille hommes: ce bataillon était sans cavalerie et sans artillerie; à l'approche de nos troupes, il se mit en devoir de commencer la fusillade; mais cerné de tous côtés par la cavalerie, il posa les armes.

S. M. a passé en revue à Burghausen plusieurs brigades de cavalerie légère, entre autres celle de Hesse-Darmstadt, à laquelle elle a témoigné sa satisfaction. Le général Marulaz, sous les ordres duquel est cette troupe, en fait une mention, particulière. S. M. lui a accordé plusieurs décorations de la légion d'honneur.




Enns, 4 mai 1809.

Cinquième bulletin de la grande armée.

Le premier mai, le général Oudinot, après avoir fait onze cents prisonniers, a poussé au-delà de Ried où il en a encore fait quatre cents, de sorte que dans cette journée il a pris quinze cents hommes sans tirer un coup de fusil.

La ville de Braunau était une place forte d'assez d'importance, puisqu'elle rendait maître d'un pont sur la rivière qui forme la frontière de l'Autriche. Par un esprit de vertige digne de ce débile cabinet, il a détruit une forteresse située dans une position frontière où elle pouvait lui être d'une grande utilité, pour en construire une à Comorn, au milieu de la Hongrie. La postérité aura peine à croire à cet excès d'inconséquence et de folie.

L'empereur est arrivé à Ried, le 2 mai à une heure du matin, et à Lambach le même jour à une heure après midi.

On a trouvé à Ried une manutention de huit fours organisés et des magasins contenant vingt mille quintaux de farine.

Le pont de Lambach sur la Braun avait été coupé par l'ennemi; il a été rétabli dans la journée.

Le même jour, le duc d'Istrie, commandant la cavalerie, et le duc de Montebello, avec le corps du général Oudinot, sont entrés à Wels. On a trouvé dans cette ville une manutention, douze ou quinze mille quintaux de farine et des magasins de vin et d'eau-de-vie.

Le duc de Dantzick, arrivé le 30 avril à Salzbourg, a fait marcher sur-le-champ une brigade sur Kufstein et une autre sur Rastadt, dans la direction des chemins d'Italie. Son avant-garde poursuivant le général Jellachich, l'a forcé dans la position de Colling.

Le premier mai, le quartier-général du maréchal duc de Rivoli était à Sharding. L'adjudant commandant Tringualye, commandant l'avant-garde de la division Saint-Cyr, a rencontré à Riedau, sur la route de Neumarck, l'avant-garde de l'ennemi; les chevau-légers wurtembergeois, les dragons badois et trois compagnies de voltigeurs du quatrième régiment de ligne français, aussitôt qu'ils aperçurent l'ennemi, l'attaquèrent et le poursuivirent jusqu'à Neumarck. Ils lui ont tué cinquante hommes et fait cinq cents prisonniers.

Les dragons badois ont bravement chargé un demi-bataillon du régiment de Jordis et lui ont fait mettre bas les armes; le lieutenant-colonel d'Emmerade, qui les commandait, a en son cheval percé de coups de baïonnette. Le major Sainte-Croix a pris de sa propre main un drapeau à l'ennemi. Notre perte est de trois hommes tués et de cinquante blessés.

Le duc de Rivoli continua sa marche le 2, et arriva le 3 à Lintz. L'archiduc Louis et le général Hiller, avec les débris de leurs corps renforcés d'une réserve de grenadiers et de tout ce qu'avait pu leur fournir le pays, était en avant de la Traun avec trente-cinq mille-hommes; mais menacés d'être tournés par le duc de Montebello, ils se portèrent sur Ebersberg pour y passer la rivière.

Le 3, le duc d'Istrie et le général Oudinot se dirigèrent sur Ebersberg et firent leur jonction avec le duc de Rivoli. Ils rencontrèrent en avant d'Ebersberg l'arrière-garde des Autrichiens. Les intrépides bataillons des tirailleurs du Pô et des tirailleurs corses poursuivirent l'ennemi qui passait le pont, culbutèrent dans la rivière les canons, les chariots, huit à neuf cents hommes, et prirent dans la ville trois à quatre mille hommes que l'ennemi y avait laissés pour sa défense. Le général Claparède. dont ces bataillons faisaient l'avant-garde, les suivait; il déboucha à Ebersberg et trouva trente mille Autrichiens occupant une superbe position. Le maréchal duc d'Istrie passait le pont avec sa cavalerie pour soutenir la division, et le duc de Rivoli ordonnait d'appuyer son avant-garde par le corps d'armée. Ces restes du corps du prince Louis et du général Hitler étaient perdus sans ressource. Dans cet extrême danger l'ennemi mit le feu à la ville, qui est construite en bois. Le feu s'étendit en un instant partout; le pont fut bientôt encombré, et l'incendie gagna même jusqu'aux premières travées qu'on fut obligé de couper pour le conserver. Cavalerie, infanterie, rien ne put déboucher, et la division Claparède, seule, et n'ayant que quatre pièces de canon, lutta pendant trois heures contre trente mille ennemis. Cette action d'Ebersberg est un des plus beaux faits d'armes dont l'histoire puisse conserver le souvenir.

L'ennemi voyant que la division Claparède était sans communications, avança trois fois sur elle, et fut toujours arrêté et reçu par les baïonnettes. Enfin, après un travail de trois heures, on parvint à détourner les flammes et à ouvrir un passage. Le général de division Legrand, avec le vingt-cinquième d'infanterie légère et le dix-huitième de ligne, se porta sur le château que l'ennemi avait fait occuper par huit cents hommes. Les sapeurs enfoncèrent les portes, et l'incendie ayant gagné le château, tout ce qu'il renfermait y périt. Le général Legrand marcha ensuite au secours de la division Claparède. Le général Durosnel qui venait par la rive droite avec un millier de chevaux, se joignit à lui, et l'ennemi fut obligé de se mettre en retraite en toute hâte. Au premier bruit de ces événemens, l'empereur avait marché lui-même par la rive droite avec les divisions Nansouty et Molitor.

L'ennemi, qui se retirait avec la plus grande rapidité, arriva la nuit à Enns, brûla le pont, et continua sa fuite sur la route de Vienne. Sa perte consiste en douze mille hommes, dont sept mille cinq cents prisonniers, quatre pièces de canon et deux drapeaux.

La division Claparède, qui fait partie des grenadiers d'Oudinot, s'est couverte de gloire; elle eu trois cents hommes tués et six cents blessés. L'impétuosité des bataillons des tirailleurs du Pô et des tirailleurs corses a fixé l'attention de toute l'armée. Le pont, la ville, et la position d'Ebersberg, serons des monumens durables de leur courage. Le voyageur s'arrêtera et dira: C'est ici, c'est de cette superbe position, de ce pont d'une si longue étendue, de ce château si fort par sa situation, qu'une armée de trente-cinq mille Autrichiens a été chassée par sept mille Français.

Le général de brigade Cohorne, officier d'une singulière intrépidité, a eu un cheval tué sous lui.

Les colonels en second Cardenau et Leudy ont été tués.

Une compagnie du bataillon corse poursuivant l'ennemi dans les bois, a fait à elle seule sept cents prisonniers.

Pendant l'affaire d'Ebersberg, le duc de Montebello arrivait à Steyer où il a fait rétablir le pont que l'ennemi avait coupé.

L'empereur couche aujourd'hui à Enns dans le château dit prince d'Awersperg; la journée de demain sera employée à rétablir le pont.

Les députés des états de la Haute-Autriche ont été présentés à S. M. à son bivouac d'Ebersberg.

Les citoyens de toutes les classes et de toutes les provinces reconnaissent que l'empereur François II est l'agresseur: ils s'attendent à de grands changemens, et conviennent que la maison d'Autriche a mérité tous ses malheurs. Ils accusent même ouvertement de leurs maux, le caractère faible, opiniâtre et perfide de leur souverain; ils manifestent tous la plus grande reconnaissance pour la générosité dont l'empereur Napoléon usa pendant la dernière guerre envers la capitale et les pays qu'il avait conquis; ils s'indignent avec toute l'Europe, du ressentiment et de la haine que l'empereur François II n'a cessé de nourrir contre une nation qui avait été si grande et si magnanime envers lui; ainsi, dans l'opinion même des sujets de notre ennemi, la victoire est du côté du bon droit.




Saint-Polten, 9 mai 1809.

Sixième bulletin de la grande armée.

Le maréchal prince de Ponte-Corvo qui commande le neuvième corps, composé en grande partie de l'armée saxonne, et qui a longé toute la Bohême, portant partout l'inquiétude, a fait marcher le général saxon Guts Schmitt sur Egra. Ce général a été bien reçu par les habitans, auxquels il a ordonné de faire désarmer la landwerh. Le 6, le quartier-général du prince de Ponte-Corvo était à Retz, entre la Bohême et Ratisbonne.

Le nommé Schill, espèce de brigand qui s'est couvert de crimes dans la dernière campagne de Prusse, et qui avait obtenu le grade de colonel, a déserté de Berlin avec tout son régiment, et s'est porté à Wittemberg, frontière de la Saxe. Il a cerné cette ville. Le général Lestocq l'a fait mettre à l'ordre comme déserteur. Ce ridicule mouvement était concerté avec le parti qui voulait mettre tout a feu et à sang en Allemagne.

S. M. a ordonné la formation d'un corps d'observation de l'Elbe, qui sera commandé par le maréchal duc de Valmy, et composé de soixante mille hommes. L'avant-garde est déjà en mouvement pour se porter d'abord sur Hanau.

Le maréchal duc de Montebello a passé l'Enns à Steyer le 4, et est arrivé le 5 à Amstetten, où il a rencontré l'avant-garde ennemie. Le général de brigade Colbert a fait faire par le vingtième régiment de chasseurs à cheval une charge sur un régiment de houlans dont cinq cents ont été pris. Le jeune Lauriston, âgé de dix-huit ans, et sorti depuis six mois des pages, a arrêté le commandant des houlans, et après un combat singulier, l'a terrassé et l'a fait prisonnier. S. M. lui a accordé la décoration de la légion d'honneur.

Le 6, le duc de Montebello est arrivé à Molk, le maréchal duc de Rivoli à Amstetten, et le maréchal duc d'Auerstaedt à Lintz.

Les débris du corps de l'archiduc Louis et du général Hiller ont quitté Saint-Polten le 7; les deux tiers ont passé le Danube à Crems; on les a poursuivis jusqu'à Mautern où l'on a trouvé le pont coupé; l'autre tiers a pris la direction de Vienne.

Le 8, le quartier-général de l'empereur était à Saint-Polten.

Le quartier-général du duc de Montebello est aujourd'hui à Sigarhiztzkirchen.

Le maréchal duc de Dantzick marche de Salzbourg sur Inspruck, pour prendre à revers les détachemens que l'ennemi a encore dans le Tyrol, et qui inquiètent les frontières de la Bavière.

On a trouvé dans les caves de l'abbaye de Molck plusieurs millions de bouteilles de vin qui sont très-utiles à l'armée. Ce n'est qu'après avoir passé Molck qu'on entre dans les pays de vignobles.

Il résulte des états qui ont été dressés, que sur la ligne de l'armée depuis le passage de l'Inn, on a trouvé dans les différentes manutentions de l'ennemi, quarante mille quintaux de farine, quatre cent mille rations de biscuit et plusieurs centaines de milliers de rations de pain. L'Autriche avait formé ces magasins pour marcher en avant; ils nous ont beaucoup servi.




Vienne, 13 mai 1809.

Septième bulletin de la grande armée.

Le 10, à neuf heures du matin, l'empereur a paru aux portes de Vienne, avec le corps du maréchal duc de Montebello; c'était à la même heure, le même jour et un mois juste après que l'armée autrichienne avait passé l'Inn, et que l'empereur François II s'était rendu coupable d'un parjure, signal de sa ruine.

Le 5 mai, l'archiduc Maximilien, frère de l'impératrice, jeune prince âgé de vingt-six ans, présomptueux, sans expérience, d'un caractère ardent, avait pris le commandement de Vienne.

Le bruit était général dans le pays que tous les retranchemens qui environnaient la capitale, étaient armés, qu'on avait construit des redoutes, qu'on travaillait à des camps retranchés, et que la ville était résolue à se défendre. L'empereur avait peine à croire qu'une capitale si généreusement traitée par l'armée française en 1805, et que des habitans dont le bon esprit et la sagesse sont reconnus, eussent été fanatisés au point de se déterminer à une aussi folle entreprise. Il éprouva donc une douce satisfaction, lorqu'en approchant des immenses faubourgs de Vienne, il vit une population nombreuse, des femmes, des enfans, des vieillards, se précipiter au devant de l'armée française, et accueillir nos soldats comme des amis.

Le général Conroux traversa les faubourgs, et le général Barreau se rendit sur l'esplanade qui les sépare de la cité. Au moment où il débouchait, il fut reçu par une fusillade et par des coups de canon, et légèrement blessé.

Sur trois cent mille habitans qui composent la population de la ville de Vienne, la cité proprement dite, qui a une enceinte avec des bastions et une contrescarpe, contient à peine quatre-vingt mille habitans et treize cents maisons. Les huit quartiers de la ville qui ont conservé le nom de faubourgs, et qui sont séparés de la ville par une vaste esplanade et couverts du côté de la campagne, par des retranchements, renferment plus de cinq mille maisons et sont habités par plus de deux cent vingt mille ames, qui tirent leur subsistance de la cité, où sont les marchés et les magasins.

L'archiduc Maximilien avait fait ouvrir des registres pour recueillir les noms des habitans qui voudraient se défendre. Trente individus seulement se firent inscrire; tous les autres refusèrent avec indignation. Déjoué dans ses espérances par le bons sens des Viennois, il fit venir dix bataillons, de landwehr et dix bataillons de troupes de ligne, composant une force de quinze a seize mille hommes, et se renferma dans la place.

Le duc de Montebello lui envoya un aide-de-camp porteur d'une sommation; mais des bouchers et quelques centaines de gens sans aveu, qui étaient les satellites de l'archiduc Maximilien, s'élancèrent sur le parlementaire, et l'un d'eux le blessa. L'archiduc ordonna que le misérable qui avait commis une action aussi infâme, fût promené en triomphe dans toute la ville, monté sur le cheval de l'officier français et environné par la landwehr.

Après cette violation inouie du droit des gens, on vit l'affreux spectacle d'une partie d'une ville qui tirait contre l'autre, et d'une cité dont les armes étaient dirigées contre ses propres concitoyens.

Le général Andréossi, nommé gouverneur de la ville, organisa dans chaque faubourg, des municipalités, un comité central des subsistances, et une garde nationale, composée des négocians, des fabricans et de tous les bons citoyens, armés pour contenir les prolétaires et les mauvais sujets.

Le général gouverneur fit venir à Schoenbrunn une députation des huit faubourgs: l'empereur la chargea de se rendre dans la cité pour porter une lettre écrite par le prince de Neufchâtel, major-général, à l'archiduc Maximilien. Il recommanda aux députés de représenter à l'archiduc, que, s'il continuait à faire tirer sur les faubourgs, et si un seul de ses habitans y perdait la vie par ses armes, cet acte de frénésie, cet attentat envers les peuples, briserait à jamais les liens qui attachent les sujets à leurs souverains.

La députation entra dans la cité, le 11 à dix heures du matin, et l'on ne s'aperçut de son arrivée que par le redoublement du feu des remparts. Quinze habitans des faubourgs ont péri et deux Français seulement ont été tués.

La patience de l'empereur se lassa: il se porta avec le duc de Rivoli sur le bras du Danube qui sépare la promenade du Prater des faubourgs, et ordonna que deux compagnies de voltigeurs occupassent un petit pavillon sur la rive gauche, pour protéger la construction d'un pont. Le bataillon de grenadiers qui défendait le passage, fut chassé par ces voltigeurs et par la mitraille de quinze pièces d'artillerie. A huit heures du soir, ce pavillon était occupé, et les matériaux du pont réunis. Le capitaine Pourtalès, aide-de-camp du prince de Neufchâtel, et le sieur Susaldi, aide-de-camp du général Boudet, s'étaient jetés des premiers à la nage, pour aller chercher les bateaux qui étaient sur la rive opposée.

A neuf heures du soir, une batterie de vingt obusiers, construite par les généraux Bertrand et Navelet, à cent toises de la place, commença le bombardement: dix-huit cents obus furent lancés en moins de quatre heures, et bientôt toute la ville parut en flammes. Il faut avoir vu Vienne, ses maisons à huit et neuf étages, ses rues resserrées, cette population si nombreuse dans une aussi étroite enceinte, pour se faire une idée du désordre, de la rumeur et des désastres que devait occasionner une telle opération.

L'archiduc Maximilien avait fait marcher, à une heure du matin, deux bataillons en colonne serrée, pour tâcher de reprendre le pavillon qui protégeait la construction du pont. Les deux compagnies de voltigeurs qui occupaient ce pavillon qu'elles avaient crénelé, reçurent l'ennemi à bout portant: leur feu et celui des quinze pièces d'artillerie qui étaient sur la rive droite, couchèrent par terre une partie de la colonne; le reste se sauva dans le plus grand désordre.

L'archiduc perdit la tête au milieu du bombardement, et au moment surtout où il apprit que nous avions passé un bras du Danube, et que nous marchions pour lui couper la retraite. Aussi faible, aussi pusillanime qu'il avait été arrogant et inconsidéré, il s'enfuit le premier et repassa les ponts. Le respectable général O'Reilly n'apprit que par la fuite de l'archiduc, qu'il se trouvait investi du commandement.

Le 12, à la pointe du jour, ce général fit prévenir les avant-postes qu'on allait cesser le feu, et qu'une députation allait être envoyée à l'empereur.

Cette députation fut présentée à S. M. dans le parc de Schoenbrunn. Elle était composée de messieurs le comte de Dietricshtein, maréchal provisoire des états; le prélat de Klosternenbourg; le prélat des Écossais; le comte Perges; le comte Veterain; le baron de Bartenstein; M. de Mayenberg; le baron de Hafen, référendaire de la Basse-Autriche; tous membres des états; l'archevêque de Vienne; le baron de Lederer, capitaine de la ville; M. Wohlleben, bourguemestre; M. Meher, vice-bourguemestre; Egger, Pinck, Staif, conseillers du magistrat.

S. M. assura les députés de sa protection; elle exprima la peine que lui avait fait éprouver la conduite inhumaine de leur gouverneur, qui n'avait pas craint de livrer sa capitale à tous les malheurs de la guerre, qui, portant lui-même atteinte à ses droits, au lieu d'être le père et le roi de ses sujets, s'en était montré l'ennemi et en avait été le tyran. S. M. fit connaître que Vienne serait traitée avec les mêmes ménagemens et les mêmes égards dont on avait usé en 1805. La députation répondit à cette assurance par les témoignages de la plus vive reconnaissance.

A neuf heures du matin, le duc de Rivoli, avec les divisions Saint-Cyr et Boudet, s'est emparé de Léopoldstadt.

Pendant ce temps, le lieutenant-général O'Reilly envoyait le lieutenant-général de Vaux, et M. Bellonte, colonel, pour traiter de la capitulation de la place. La capitulation a été signée dans la soirée, et le 13, à six heures du matin, les grenadiers du corps d'Oudinot ont pris possession de la ville.

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