Œuvres de Napoléon Bonaparte, Tome IV.
Schoenbrunn, 13 mai 1809.
Ordre du jour.
Soldats,
Un mois après que l'ennemi passa l'Inn, au même jour, à la même heure, nous sommes entrés dans Vienne.
Ses landwehrs, ses levées en masse, ses remparts créés par la rage impuissante des princes de la maison de Lorraine, n'ont point soutenu vos regards. Les princes de cette maison ont abandonné leur capitale, non comme des soldats d'honneur qui cèdent aux circonstances et aux revers de la guerre, mais comme des parjures que poursuivent leurs remords. En fuyant de Vienne, leurs adieux à ses habitans ont été le meurtre et l'incendie; comme Médée, ils ont de leurs propres mains égorgé leurs enfans.
Le peuple de Vienne, selon l'expression de la députation de ses faubourgs, délaissé, abandonné, veuf, sera l'objet de vos égards. J'en prends les habitans sous ma spéciale protection: quant aux hommes turbulens et méchans, j'en ferai une justice exemplaire.
Soldats! soyons bons pour les pauvres paysans, pour ce bon peuple qui a tant de droits à notre estime: ne conservons aucun orgueil de tous nos succès; voyons-y une preuve de cette justice divine qui punit l'ingrat et le parjure.
NAPOLÉON.
Schoenbrunn, 13 mai 1809.
Circulaire aux archevêques et évêques, et aux présidens des consistoires.
Monsieur l'évêque de ... la divine providence ayant voulu nous donner une nouvelle preuve de sa spéciale protection en permettant notre entrée dans la capitale de notre ennemi, le même jour où, un mois auparavant, il avait violé la paix, et manifester ainsi d'une manière éclatante, qu'elle punit l'ingrat et le parjure, il est dans notre intention que vous réunissiez nos peuples dans les églises pour chanter un Te Deum en actions de grâce et toutes autres prières que vous jugerez convenable d'ordonner. Cette lettre n'étant à autre fin, monsieur l'évêque de ... nous prions Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.
Vienne, 16 mai 1809.
Huitième bulletin de la grande armée.
Les habitans de Vienne se louent de l'archiduc Rainier. Il était gouverneur de Vienne, et lorsqu'il eut connaissance des mesures révolutionnaires ordonnées par l'empereur François II, il refusa de conserver le gouvernement. L'archiduc Maximilien fut envoyé à sa place. Ce jeune prince ayant toute l'inconséquence de son âge, déclara qu'il s'enterrerait sous les ruines de la capitale. Il fit appeler les hommes turbulens et sans aveu, qui sont toujours nombreux dans une grande ville, les arma de piques, et leur distribua toutes les armes qui étaient dans les arsenaux. Eu vain les habitans lui représentèrent qu'une grande ville, parvenue à un si haut degré de splendeur, au prix de tant de travaux et de trésors, ne devait pas être exposée aux désastres que la guerre entraîne avec elle. Ces représentations exaltèrent sa colère, et sa fureur était portée à un tel point, qu'il ne répondait qu'en ordonnant de jeter sur les faubourgs des bombes et des obus, qui ne devaient tuer que des Viennois, les Français trouvant un abri dans leurs tranchées, et leur sécurité dans l'habitude de la guerre.
Les Viennois éprouvaient des frayeurs mortelles, et la ville se croyait perdue, lorsque l'empereur Napoléon, pour épargner à la capitale les désastres d'une défense prolongée, en la rendant promptement inutile, fit passer le bras du Danube et occuper le Prater.
A huit heures, un officier vint annoncer à l'archiduc qu'un pont se construisait, qu'un grand nombre de Français avait passé la rivière à la nage, et qu'ils étaient déjà sur l'autre rive. Cette nouvelle fit pâlir ce prince furibond, et porta la crainte dans ses esprits. Il traversa le Prater en toute hâte; il renvoya au-delà des ponts chaque bataillon qu'il rencontrait, et il se sauva sans faire aucune disposition, et sans donner à personne le commandement qu'il abandonnait. C'était cependant le même homme qui, une heure auparavant, protestait de s'ensevelir sous les ruines de la capitale.
La catastrophe de la maison de Lorraine était prévue par les hommes sensés des opinions les plus opposées. Manfredini avait demandé une audience à l'empereur, pour lui représenter que cette guerre pèserait long-temps sur sa conscience, qu'elle entraînerait la ruine de sa maison, et que bientôt les Français seraient dans Vienne. Bah! bah! répondit l'empereur, ils sont tous en Espagne.
Thugut, profitant de l'ancienne confiance que l'empereur avait mise en lui, s'est aussi permis des représentations réitérées.
Le prince de Ligne disait hautement: Je croyais être assez vieux pour ne pas survivre à la monarchie autrichienne. Et lorsque le vieux comte Wallis vit l'empereur partir pour l'armée: «C'est Darius, dit-il, qui court au-devant d'Alexandre; il aura le même sort.»
Le comte Louis de Cobentzel, principal auteur de la guerre de 1805, étant à son lit de mort, et vingt-quatre heures avant de fermer les yeux, adressa à l'empereur une lettre fort pathétique. «V. M., écrivait-il, doit se trouver heureuse de l'état où l'a mise la paix de Presbourg; elle est au second rang parmi les puissances de l'Europe; c'est celui de ses ancêtres. Qu'elle renonce à une guerre qui n'a point été provoquée et qui entraînera la ruine de sa maison. Napoléon sera vainqueur et il aura le droit d'être inflexible, etc., etc.» Cette dernière action de Cobentzel a jeté de l'intérêt sur ses derniers momens.
Le prince de Zinzendorf, ministre de l'intérieur, plusieurs hommes d'état demeurés étrangers comme lui à la corruption et aux fatales illusions du moment, beaucoup d'autres personnages distingués, et ce qu'il y avait de plus considérable dans la bourgeoisie, partageaient tous, exprimaient tous la même opinion.
Mais l'orgueil humilié de l'empereur François II, la haine de l'archiduc Charles contre les Russes, le ressentiment qu'il éprouvait en voyant la Russie et la France intimement unies, l'or de l'Angleterre qui avait corrompu le ministre Sladion, la légèreté et l'inconséquence d'une soixantaine de femmelettes, l'hypocrisie et les faux rapports de l'ambassadeur Metternich, les intrigues des Razumowski, des Dalpozzo, des Schlegel, des Gentz et autres aventuriers que l'Angleterre entretient sur le continent pour y fomenter des discussions, ont produit cette guerre insensée et sacrilège.
Avant que les Français eussent été vainqueurs sur le champ de bataille, on disait qu'ils n'étaient pas nombreux, qu'il n'y en avait plus en Allemagne, que les corps n'étaient composés que de conscrits, que la cavalerie était à pied, la garde impériale en révolte, les Parisiens en insurrection contre l'empereur Napoléon. Après nos victoires, on a dit que l'armée française était innombrable, qu'elle n'avait jamais été composée d'hommes plus aguerris et plus braves, que le dévouement des soldats à Napoléon, triplait et quadruplait leurs moyens, que la cavalerie était superbe, nombreuse, redoutable, que l'artillerie, mieux attelée que celle d'aucune autre nation, marchait avec la rapidité de la foudre, etc., etc.
Princes faibles! cabinets corrompus! hommes ignorans, légers, inconséquens! voilà cependant les pièges que l'Angleterre vous tend depuis quinze années, et vous y tombez toujours; mais enfin la catastrophe que vous avez préparée s'est accomplie, la paix du continent est assurée pour jamais.
L'empereur a passé hier la revue de la division de grosse cavalerie du général Nansouty. Il à donné des éloges à la tenue de cette belle division qui, après une campagne aussi active, a présenté cinq mille chevaux en bataille. S. M. a nommé aux places vacantes, a accordé le titre de baron, avec des dotations en terres, au plus brave officier, et la décoration de la Légion-d'Honneur, avec une pension de douze cents francs, au plus brave cuirassier de chaque régiment.
On a trouvé à Vienne cinq cents pièces de canon, beaucoup d'affûts, beaucoup de fusils, de poudre et de munitions confectionnées, et une grande quantité de boulets et de fer coulé.
Il n'y a eu que dis maisons brûlées pendant le bombardement. Les Viennois ont remarqué que ce malheur est tombé sur les partisans les plus ardens de la guerre; aussi disaient-ils que le général Andréossi dirigeait les batteries. La nomination de ce général au gouvernement de Vienne, a été agréable à tous les habitans; il avait laissé dans la capitale des souvenirs agréables, et il jouit de l'estime universelle.
Quelques jours de repos ont fait beaucoup de bien à l'armée; et le temps est si beau que nous n'avons presque pas de malades. Le vin que l'on distribue aux troupes est abondant et de bonne qualité.
La monarchie autrichienne avait fait pour cette guerre des efforts prodigieux: on calcule que ses préparatifs lui ont coûté au-delà de trois cents millions en papier. La masse des billets en circulation excède quinze cents millions. La cour de Vienne a emporté les planches de cette espèce d'assignats, hypothéqués sur une partie des mines de la monarchie, c'est-à-dire, sur des propriétés presque chimériques, et qui ne sont pas disponibles. Pendant qu'on prodiguait ainsi un papier-monnaie que le public ne pouvait pas réaliser, et qui perdait chaque jour davantage, la cour faisait acheter par les banquiers de Vienne tout l'or qu'elle pouvait se procurer, et l'envoyait en pays étranger. Il y a à peine quelques mois que des caisses de ducats d'or, scellés du sceau impérial, ont été expédiées pour la Hollande, par le nord de l'Allemagne.
Vienne, 19 mai 1809.
Neuvième bulletin de la grande armée.
Pendant que l'armée prenait quelque repos dans Vienne, que ses corps se ralliaient, que l'empereur passait des revues, pour accorder des récompenses aux braves qui s'étaient distingués, et pour nommer aux emplois vacans, on préparait tout ce qui était nécessaire pour l'importante opération du passage du Danube.
Le prince Charles, après la bataille d'Eckmülh, jeté sur l'autre rive du Danube, n'eût d'autre refuge que les montagnes de la Bohème.
En suivant les débris de l'armée du prince Charles dans l'intérieur de la Bohème, l'empereur lui aurait enlevé son artillerie et ses bagages; mais cet avantage ne valait pas l'inconvénient de promener son armée, pendant quinze jours, dans des pays pauvres, montagneux et dévastés.
L'empereur n'adopta aucun plan qui pût retarder d'un jour son entrée à Vienne, se doutant bien que, dans l'état d'irritation qu'on avait excité, on songerait à défendre cette ville, qui a une excellente enceinte bastionnée, et à opposer quelque obstacle. D'un autre côté, son armée d'Italie attirait son attention, et l'idée que les Autrichiens occupaient ses belles provinces du Frioul et de la Piave, ne lui laissait point de repos.
Le maréchal duc d'Auerstaedt resta en position en avant de Ratisbonne, pendant le temps que mit le prince Charles à déboucher en Bohème, et immédiatement après, il se dirigea sur Passau et Lintz, sur la rive gauche du Danube, gagnant quatre marches sur ce prince. Le corps du prince de Ponte-Corvo fut dirigé dans le même système. D'abord il fit un mouvement sur Egra, ce qui obligea le prince Charles à y détacher le corps du général Bellegarde; mais par une contremarche, il se porta brusquement sur Lintz, où il arriva avant le général Bellegarde, qui, ayant appris cette contremarche, se dirigea aussi sur le Danube.
Ces manoeuvres habiles, faites jour par jour, selon les circonstances, ont dégagé l'Italie, livré sans défense les barrières de l'Inn, de la Salza, de la Traun et tous les magasins ennemis, soumis Vienne, désorganisé les milices et la landwerh, terminé la défaite des corps de l'archiduc Louis et du général Hiller, et achevé de perdre la réputation du général ennemi. Celui-ci, voyant la marche de l'empereur, devait penser à se porter sur Lintz, passer le pont, et s'y réunir aux corps de l'archiduc Louis et du général Hiller; mais l'armée française y était réunie plusieurs jours avant qu'il pût y arriver. Il aurait pu espérer de faire sa jonction à Krems; vains-calculs! il était encore en retard de quatre jours, et le général Hiller, en repassant le Danube, fut obligé de brûler le beau pont de Krems. Il espérait enfin se réunir devant Vienne; il était encore eu retard de plusieurs jours.
L'empereur a fait jeter un pont sur le Danube, vis-à-vis le village d'Ebersdorf, à deux lieues au-dessous de Vienne. Le fleuve divisé en cet endroit en plusieurs bras, a quatre cents toises de largeur. L'opération a commencé hier 18, à quatre heures après midi. La division Molitor a été jetée sur la rive gauche, et a culbuté les faibles détachemens qui voulaient lui disputer le terrain et couvrir le dernier bras du fleuve.
Les généraux Bertrand et Pernetti ont fait travailler aux deux ponts, l'un de plus de deux cent quarante, l'autre de plus de cent trente toises, communiquant entre eux par une île. On espère que les travaux seront finis demain.
Tous les renseignemens qu'on a recueillis portent à penser que l'empereur d'Autriche est à Znaïm.
Il n'y a encore aucune levée en Hongrie: sans armes, sans selles, sans argent, et fort peu attachée à la maison d'Autriche, cette nation paraît avoir refusé toute espèce de secours.
Le général Lauriston, aide-de-camp de S. M., à la tête de la brigade d'infanterie badoise et de la brigade de cavalerie légère du général Colbert, s'est porté de Neustadt sur Bruck et sur la Simeringberg, haute montagne qui sépare les eaux qui coulent dans la mer Noire et dans la Méditerranée. Dans ce passage difficile il a fait quelques centaines de prisonniers.
Le général Dupellin a marché sur Mariazell, où il a désarmé un millier de landwehr et fait quelques centaines de prisonniers.
Le maréchal duc de Dantzick s'est porté sur Inspruck; il a rencontré le 14, à Vorgel, le général Chasteller avec ses Tyroliens. Il l'a culbuté et lui a pris sept cents hommes et onze pièces d'artillerie.
Kufstein a été débloqué le 12. Le chambellan de S. M., Germain, qui s'était renfermé dans cette place, s'est bien montré.
Voici quelle est aujourd'hui la position de l'armée:
Les corps des maréchaux duc de Rivoli et de Montebello, et le corps des grenadiers du général Oudinot, sont à Vienne, ainsi que la garde impériale. Le corps du maréchal duc d'Auerstaedt est réparti entre Saint-Polten et Vienne. Le maréchal prince Ponte-Corvo est à Lintz, avec les Saxons et les Wurtembergeois, il a une réserve à Passau. Le maréchal duc de Dantzick est, avec les Bavarois, à Saltzbourg et à Inspruck.
Le colonel comte de Czernichew, aide-de-camp de l'empereur de Russie, qui avait été expédié pour Paris, est arrivé au moment où l'armée entrait à Vienne. Depuis ce moment, il fait le service, et suit S. M. Il a apporté des nouvelles de l'armée russe, qui n'aura pu sortir de ses cantonnemens que vers le l0 ou 12 mai.
Ebersdorf, 23 mai 1809.
Dixième bulletin de la grande armée.
Vis-à-vis Ebersdorf, le Danube est divisé en trois bras séparés par deux îles. De la rive droite à la première île il y a deux cent quarante toises; cette île a à-peu-près mille toises de tour. De cette île à la grande île, où est le principal courant, le canal est de cent vingt toises. La grande île, appelée In-der-Lobau, a sept mille toises de tour, et le canal qui la sépare du continent a soixante-dix toises. Les premiers villages que l'on rencontre ensuite sont Gross-Aspern, Esling et Enzersdorf. Le passage d'une rivière comme le Danube devant un ennemi connaissant parfaitement les localités, et ayant les habitans pour lui, est une des plus grandes opérations de guerre qu'il soit possible de concevoir.
Le pont de la rive droite à la première île et celui de la première île à celle de In-der-Lobau ont été faits dans la journée du 19, et dès le 18 la division Molitor avait été jetée par des bateaux à rames, dans la grande île.
Le 20, l'empereur passa dans cette île, et fit établir un pont sur le dernier bras, entre Gross-Aspern et Esling. Ce bras n'ayant que soixante-dix toises, le pont n'exigea que quinze pontons, et fut jeté en trois heures par le colonel d'artillerie Aubry.
Le colonel Sainte-Croix, aide-de-camp du maréchal duc de Rivoli, passa le premier dans un bateau sur la rive gauche.
La division de cavalerie légère du général Lasalle et les divisions Molitor et Boudet passèrent dans la nuit.
Le 21, l'empereur, accompagné du prince de Neufchâtel et des maréchaux ducs de Rivoli et de Montebello, reconnut la position de la rive gauche, et établit son champ de bataille, la droite au village d'Esling, et la gauche à celui de Gross-Aspern, qui furent sur le champ occupés.
Le 21, à quatre heures après midi, l'armée ennemie se montra et parut avoir le dessein de culbuter notre avant-garde et de la jeter dans le fleuve; vain projet! Le maréchal duc de Rivoli fut le premier attaqué à Gross-Aspern, par le corps du général Bellegarde. Il manoeuvra avec les divisions Molitor et Legrand, et pendant toute la soirée, fit tourner à la confusion de l'ennemi toutes les attaques qui furent entreprises. Le duc de Montebello défendit le village d'Esling, et le maréchal duc d'Istrie, avec la cavalerie légère et la division de cuirassiers Espagne couvrit la plaine et protégea Enzersdorf. L'affaire fut vive; l'ennemi déploya deux cents pièces de canon et à peu près quatre-vingt dix mille hommes composés des débris de tous les corps de l'armée autrichienne.
La division de cuirassiers Espagne fit plusieurs belles charges, enfonça deux carrés et s'empara de quatorze pièces de canon. Un boulet tua le général Espagne, combattant glorieusement à la tête des troupes, officier brave, distingué et recommandable sous tous les points de vue. Le général de brigade Foulers fut tué dans une charge.
Le général Nansouty, avec la seule brigade commandée par le général Saint-Germain, arriva sur le champ de bataille vers la fin du jour. Cette brigade se distingua par plusieurs belles charges. A huit heures du soir le combat cessa, et nous restâmes entièrement maîtres du champ de bataille.
Pendant la nuit, le corps du général Oudinot, la division Saint-Hilaire, deux brigades de cavalerie légère et le train d'artillerie passèrent les trois ponts.
Le 22, à quatre heures du matin, le duc de Rivoli fut le premier engagé. L'ennemi fit successivement plusieurs attaques pour reprendre le village. Enfin, ennuyé de rester sur la défensive, le duc de Rivoli attaqua à son tour et culbuta l'ennemi. Le général de division Legrand s'est fait remarquer par ce sang-froid et cette intrépidité qui le distinguent. Le général de division Boudet, placé au village d'Esling, était chargé de défendre ce poste important.
Voyant que l'ennemi occupait un grand espace, de la droite à la gauche, on conçut le projet de le percer par le centre. Le duc de Montebello se mit à la tête de l'attaque, ayant le général Oudinot à la gauche, la division Saint-Hilaire au centre et la division Boudet à la droite. Le centre de l'armée ennemie ne soutint pas les regards de nos troupes. Dans un moment tout fut culbuté. Le duc d'Istrie fit faire plusieurs belles charges, qui toutes eurent du succès. Trois colonnes d'infanterie ennemie furent chargées par les cuirassiers et sabrées. C'en était fait de l'armée autrichienne, lorsqu'à sept heures du matin, un aide-de-camp vint annoncer à l'empereur que la crue subite du Danube ayant mis à flot un grand nombre de gros arbres et de radeaux, coupés et jetés sur les rives, dans les événemens qui ont eu lieu lors de la prise de Vienne, les ponts qui communiquaient de la rive droite à la petite île, et de celle-ci à l'île de In-der-Lobau, venaient d'être rompus; cette crue périodique, qui n'a ordinairement lieu qu'à la mi-juin, par la fonte des neiges, a été accélérée par la chaleur prématurée qui se fait sentir depuis quelques jours. Tous les parcs de réserve qui défilaient se trouvèrent retenus sur la rive droite par la rupture des ponts, ainsi qu'une partie de notre grosse cavalerie, et le corps entier du maréchal duc d'Auerstaedt. Ce terrible contre-temps décida l'empereur à arrêter le mouvement en avant. Il ordonna au duc de Montebello de garder le champ de bataille qui avait été reconnu, et de prendre position, la gauche appuyée à un rideau qui couvrait le duc de Rivoli, et la droite à Esling.
Les cartouches à canon et d'infanterie, que portait notre parc de réserve, ne pouvaient plus passer. L'ennemi était dans la plus épouvantable déroute, lorsqu'il apprit que nos ponts étaient rompus. Le ralentissement de notre feu et le mouvement concentré que faisait notre armée, ne lui laissaient aucun doute sur cet événement imprévu. Tous ses canons et ses équipages d'artillerie, qui étaient en retraite, se représentèrent sur la ligne, et depuis neuf heures du matin jusqu'à sept heures du soir, il fit des efforts inouïs, secondé par le feu de deux cents pièces de canon, pour culbuter l'armée française. Ces efforts tournèrent à sa honte; il attaqua trois fois les villages d'Esling et de Gross-Aspern, et trois fois il les remplit de ses morts. Les fusiliers de la garde, commandés par le général Mouton, se couvrirent de gloire, et culbutèrent la réserve, composée de tous les grenadiers de l'armée autrichienne, les seules troupes fraîches qui restassent à l'ennemi. Le général Gros fit passer au fil de l'épée sept cents Hongrois qui s'étaient déjà logés dans le cimetière du village d'Ësling. Les tirailleurs sous les ordres du général Curial firent leurs premières armes dans cette journée, et montrèrent de la vigueur. Le général Dorsenne, colonel commandant la vieille garde, la plaça en troisième ligne, formant un mur d'airain, seul capable d'arrêter tous les efforts de l'armée autrichienne. L'ennemi tira quarante mille coups de canon, tandis que, privés de nos parcs de réserve, nous étions dans la nécessité de ménager nos munitions pour quelques circonstances imprévues.
Le soir, l'ennemi reprit les anciennes positions qu'il avait quittées pour l'attaque, et nous restâmes maîtres du champ de bataille. Sa perte est immense; les militaires dont le coup d'oeil est le plus exercé ont évalué à plus de douze mille les morts qu'il a laissés sur le champ de bataille. Selon le rapport des prisonniers, il a eu vingt-trois généraux et soixante officiers supérieurs tués ou blessés. Le feld-maréchal-lieutenant Weber, quinze cents hommes et quatre drapeaux sont restés en notre pouvoir. La perte de notre côté a été considérable; nous avons eu onze cents tués et trois mille blessés. Le duc de Montebello a eu la cuisse emportée par un boulet, le 22, sur les six heures du soir. L'amputation a été faite, et sa vie est hors de danger. Au premier moment on le crut mort. Transporté sur un brancard auprès de l'empereur, ses adieux furent touchans. Au milieu des sollicitudes de cette journée, l'empereur se livra à la tendre amitié qu'il porte depuis tant d'années à ce brave compagnon d'armes. Quelques larmes coulèrent de ses yeux, et se tournant vers ceux qui l'environnaient: «Il fallait, dit-il, que dans cette journée mon coeur fût frappé par un coup aussi sensible, pour que je pusse m'abandonner à d'autres soins qu'à ceux de mon armée.» Le duc de Montebello avait perdu connaissance; la présence de l'empereur le fit revenir; il se jeta à son cou en lui disant: «Dans une heure vous aurez perdu celui qui meurt avec la gloire et la conviction d'avoir été et d'être votre meilleur ami.»
Le général de division Saint-Hilaire a été blessé; c'est un des généraux les plus distingués de la France.
Le général Durosnel, aide-de-camp de l'empereur, a été enlevé par un boulet en portant un ordre.
Le soldat a montré un sang-froid et une intrépidité qui n'appartiennent qu'à des Français.
Les eaux du Danube croissant toujours, les ponts n'ont pu être rétablis pendant la nuit. L'empereur a fait repasser le 23, à l'armée le petit bras de la rive gauche, et a fait prendre position dans l'île de In-der-Lobau, en gardant les têtes de pont.
On travaille à rétablir les ponts; l'on n'entreprendra rien qu'ils ne soient à l'abri des accidens des eaux, et même de tout ce que l'on pourrait tenter contre eux: l'élévation du fleuve et la rapidité du courant obligent à des travaux considérables et à de grandes précautions.
Lorsque le 23, au matin, on fit connaître à l'armée que l'empereur avait ordonné qu'elle repassât dans la grande île, l'étonnement de ces braves fut extrême. Vainqueurs dans les deux journées, ils croyaient que le reste de l'armée allait les rejoindre; et quand on leur dit que les grandes eaux ayant rompu les ponts et augmentant sans cesse, rendaient le renouvellement des munitions et des vivres impossible, et que tout mouvement en avant serait insensé, on eut de la peine à les persuader.
C'est un malheur très-grand et tout à fait imprévu que des ponts formés des plus grands bateaux du Danube, amarrés par de doubles ancres et par des cinquenelles, aient été enlevés; mais c'est un grand bonheur que l'empereur ne l'ait pas appris deux heures plus tard; l'armée poursuivant l'ennemi aurait épuisé ses munitions, et se serait trouvée sans moyen de les renouveler.
Le 23, on a fait passer une grande quantité de vivres au camp d'In-der-Lobau.
La bataille d'Esling, dont il sera fait une relation plus détaillée qui fera connaître les braves qui se sont distingués, sera, aux yeux de la postérité, un nouveau monument de la gloire et de l'inébranlable fermeté de l'armée française.
Les maréchaux ducs de Montebello et de Rivoli ont montré dans cette journée tonte la force de leur caractère militaire.
L'empereur a donné le commandement du second corps au comte Oudinot, général éprouvé dans cent combats, où il a montré autant d'intrépidité que de savoir.
Ebersdorf, 24 mai 1809.
Onzième bulletin du la grande armée.
Le maréchal duc de Dantzick est maître du Tyrol. Il est entré à Inspruck le 19 de ce mois. Le pays entier s'est soumis.
Le 11, le duc de Dantzick avait enlevé la forte position de Strob-Pass, et pris à l'ennemi sept canons et six cents hommes.
Le 13, après avoir battu Chasteller dans la position de Voergel, l'avoir mis dans une déroute complète, et lui avoir pris toute son artillerie, il l'avait poursuivi jusqu'au-delà de Rattenberg. Ce misérable n'a dû son salut qu'à la vitesse de son cheval.
En même temps, le général Deroy, ayant débloqué la forteresse de Kufstein, faisait sa jonction avec les troupes que le duc de Dantzick commandait en personne. Ce maréchal se loue de la conduite du major Palm, du chef du bataillon léger bavarois, du lieutenant-colonel Habérman, du capitaine Laider, du capitaine Bernard du troisième régiment de chevau-légers de Bavière, de ses aides-de-camp Montmarie, Maingarnaud et Montelegier, et du chef d'escadron Fontange, officier d'état-major.
Chasteller était entré dans le Tyrol avec une poignée de mauvais sujets. Il a prêché la révolte, le pillage et l'assassinat. Il a vu égorger sous ses yeux plusieurs milliers de Bavarois et une centaine de soldats français. Il a encouragé les assassins par ses éloges, et excité la férocité de ces ours des montagnes. Parmi les Français qui ont péri dans ce massacre se trouvaient une soixantaine de Belges tous compatriotes de Chasteller. Ce misérable couvert des bienfaits de l'empereur, à qui il doit d'avoir recouvré des biens montant à plusieurs millions, était incapable d'éprouver le sentiment de la reconnaissance, et ces affections qui attachent même les barbares aux habitans du pays qui leur a donné naissance.
Les Tyroliens vouent à l'exécration les hommes dont les perfides insinuations les ont excités à la rébellion et ont appelé sur eux les malheurs qu'elle entraîne avec elle. Leur fureur contre Chasteller était telle, que lorsqu'il se sauva après la déroute de Voergel, ils l'arrêtèrent à Hall, le fustigèrent et le maltraitèrent au point qu'il fut obligé de passer deux jours dans son lit. Il osa ensuite reparaître pour demander à capituler; on lui répondit qu'on ne capitulait pas avec un brigand, et il s'enfuit à toute hâte dans les montagnes de la Carinthie.
La vallée de Zillerthal a été la première à se soumettre; elle a remis ses armes et donné des otages; le reste du pays a suivi cet exemple. Tous les chefs ont ordonné aux paysans de rentrer chez eux, et on les a vus quitter les montagnes de toutes parts, et revenir dans leurs villages. La ville d'Inspruck et tous les cercles ont envoyé des députations à S. M. le roi de Bavière, pour protester de leur fidélité et implorer sa clémence.
Le Voralberg, que les proclamations incendiaires et les intrigues de l'ennemi avaient aussi égaré, imitera le Tyrol; et cette partie de l'Allemagne sera arrachée aux désastres et aux crimes des insurrections populaires.
Combat de Urfar.
Le 17 de ce mois, à deux heures après midi, trois colonnes autrichiennes commandées par les généraux Grainville, Bucalowitz et Sommariva, et soutenues par une réserve aux ordres du général Jellachich, ont attaqué le général Vandamme, au village de Urfar, eu avant de la tête du pont de Lintz. Dans le même moment arrivait à Lintz le maréchal prince de Ponte-Corvo, avec la cavalerie et la première brigade d'infanterie saxonne. Le général Vandamme, à la tète des troupes wurtembergeoises, et avec quatre escadrons de hussards et de dragon saxons, repoussa vigoureusement les deux premières colonnes ennemies, les chassa de leurs positions, leur prit six pièces de canon et quatre cents hommes, et les mit dans une pleine déroute. La troisième colonne ennemie parut sur les hauteurs de Boslingberg, à sept heures du soir, et son infanterie couronna en un instant la Crète des montagnes voisines. L'infanterie saxonne attaqua l'ennemi avec impétuosité, le chassa de toutes ses positions, lui prit trois cents hommes et plusieurs caissons de munitions.
L'ennemi s'est retiré en désordre sur Freystadt et sur Haslach. Les hussards envoyés à sa poursuite ont ramené beaucoup de prisonniers. On a pris dans les bois cinq cents fusils et une quantité de voitures et de caissons chargés d'effets d'habillement. La perte de l'ennemi, indépendamment des prisonniers, est de deux mille hommes tués ou blessés; la nôtre ne va pas à quatre cents hommes hors de combat.
Le maréchal prince de Ponte-Corvo fait beaucoup d'éloges du général Vandamme. Il se loue de la conduite de M. de Leschwitz, général en chef des Saxons, qui conserve, à soixante-cinq ans, l'activité et l'ardeur d'un jeune homme; du général d'artillerie Mossel; du général Gérard, chef d'état-major, et du lieutenant-colonel aide-de-camp Hamelinaie.
Ebersdorf, 26 mai 1809.
Douzième bulletin de la grande armée.
On a employé toute la journée du 23, la nuit du 23 au 24, et toute la journée du 24 à réparer les ponts.
Le 25, à la pointe du jour, ils étaient en état. Les blessés, les caissons vides, et tous les objets qu'il était nécessaire de renouveler, ont passé sur la rive droite.
La crue du Danube devant encore durer jusqu'au 15 juin, on a pensé que pour pouvoir compter sur les ponts, il convenait de planter en avant des lignes de pilotis auxquels on amarrera la grande chaîne de fer qui est à l'arsenal, et qui fut prise par les Autrichiens sur les Turcs, qui la destinaient à un semblable usage.
On travaille à ces ouvrages avec la plus grande activité, et déjà un grand nombre de sonnettes battent des pilotis; par ce moyen, et avec les fortifications qu'on fait sur la rive gauche, nous sommes assurés de pouvoir manoeuvrer sur les deux rives à volonté.
Notre cavalerie légère est vis-à-vis de Presbourg, appuyée sur le lac de Neusiedel.
Le général Lauriston est en Styrie sur le Simmeringberg et sur Bruck.
Le maréchal duc de Dantzick est en grandes marches avec les Bavarois. Il ne tardera pas à rejoindre l'armée près de Vienne.
Les chasseurs à cheval de la garde sont arrivés hier; les dragons arrivent aujourd'hui; on attend dans peu de jours les grenadiers à cheval et soixante pièces d'artillerie de la garde.
Nous avons fait prisonniers lors de la capitulation de Vienne, sept feld-maréchaux-lieutenans, neuf généraux-majors, dix colonels, vingt majors et lieutenans-colonels, cent capitaines, cent cinquante lieutenans, deux cents sous-lieutenans, et trois mille sous-officiers et soldats, parmi lesquels ne sont pas compris les hommes qui étaient aux hôpitaux, et qui montaient à plusieurs milliers.
Ebersdorf, 27 mai 1809.
Proclamation à l'armée d'Italie.
Soldats de l'armée d'Italie,
Vous avez glorieusement atteint le but que je vous avais marqué; le Simering a été témoin de voire jonction avec la grande armée.
Soyez les bienvenus! Je suis content de vous!!! Surpris par un ennemi perfide avant que vos colonnes fussent réunies, vous avez dû rétrograder jusqu'à l'Adige; mais lorsque vous reçûtes l'ordre de marcher en avant, vous étiez sur le champ mémorable d'Arcole, et là, vous jurâtes sur les mânes de nos héros de triompher. Vous avez tenu parole à la bataille de la Piave, aux combats de Saint-Daniel, de Tarvis, de Gorice. Vous avez pris d'assaut les forts de Malborghetto, de Pradel et fait capituler la division ennemie retranchée dans Prévald et Laybach. Vous n'aviez pas encore passé la Drave, et déjà vingt-cinq mille prisonniers, soixante pièces de bataille, dix drapeaux avaient signalé votre valeur. Depuis, la Drave, la Save, la Muer n'ont pu retarder votre marche. La colonne autrichienne de Jellachich, qui la première entra dans Munich, qui donna le signai des massacres dans le Tyrol, environnée à Saint-Michel, est tombée dans vos baïonnettes. Vous avez fait une prompte justice de ces débris dérobés à la colère de la grande armée.
Soldats, cette armée autrichienne d'Italie, qui un moment souilla par sa présence mes provinces, qui avait la prétention de briser ma couronne de fer, battue, dispersée, anéantie, grâces à vous, sera un exemple de la vérité de cette devise: Dieu me la donne, gare à qui la touche.
NAPOLÉON.
Ebersdorf, 28 mai 1809.
Treizième bulletin de la grande armée.
Dans la nuit du 26 au 27, nos ponts sur le Danube ont été enlevés par les eaux et par des moulins qu'on a détachés. On n'avait pas encore eu le temps d'achever les pilotis et de placer la grande chaîne de fer. Aujourd'hui, l'un des ponts est rétabli, on espère que l'autre le sera demain.
L'empereur a passé la journée d'hier sur la rive gauche, pour visiter les fortifications que l'on élève dans l'île d'In-der-Lobau, et pour voir plusieurs régimens du corps du duc de Rivoli en position de cette espèce de tête de pont.
Le 27, à midi, le capitaine Bataille, aide-de-camp du prince vice-roi, a apporté l'agréable nouvelle de l'arrivée de l'armée d'Italie à Bruck. Le général Lauriston avait été envoyé au devant d'elle, et la jonction a eu lieu sur le Simmeringberg. Un chasseur du neuvième qui était en coureur en avant d'une reconnaissance de l'armée d'Italie, rencontra un chasseur d'un peloton du vingtième, envoyé par le général Lauriston, Après s'être observés pendant quelque temps, ils reconnurent qu'ils étaient Français et s'embrassèrent. Le chasseur du vingtième marcha sur Bruck, pour se rendre auprès du vice-roi, et celui du neuvième se dirigea vers le général Lauriston pour l'informer de l'approche de l'armée d'Italie. Il y avait plus de douze jours que les deux armées n'avaient pas de nouvelles l'une de l'autre. Le 26 au soir, le général Lauriston était à Bruck au quartier-général du vice-roi.
Le vice-roi a montré dans toute cette campagne un sang-froid et un coup d'oeil qui présagent un grand capitaine.
Dans la relation des faits qui ont illustré l'armée d'Italie pendant ces vingt derniers jours, Sa Majesté a remarqué avec plaisir la destruction du corps de Jellachich. C'est ce général qui fit aux Tyroliens cette insolente proclamation qui alluma leur fureur et aiguisa leurs poignards. Poursuivi par le duc de Dantzick, menacé d'être pris eu flanc par la brigade du général Dupellin, que le duc d'Auerstaedt avait fait déboucher par Mariazell, il est venu tomber comme dans un piége en avant de l'armée d'Italie. L'archiduc Jean qui, il y a si peu de temps, et dans l'excès de sa présomption, se dégradait par sa lettre au duc de Raguse, a évacué Gratz, hier, 27, ramenant à peine vingt ou vingt-cinq mille hommes de cette belle armée qui était entrée en Italie. L'arrogance, l'insulte, les provocations à la révolte, toutes ses actions portant le caractère de la rage, ont tourné à sa honte.
Les peuples de l'Italie se sont conduits comme auraient pu le faire les peuples de l'Alsace, de la Normandie ou du Dauphiné. Dans la retraite de nos soldais, ils les accompagnaient de leurs voeux et de leurs larmes; ils reconduisaient par des chemins détournés, et jusqu'à cinq marches de l'armée, les hommes égarés. Lorsque quelques prisonniers ou quelques blessés, français ou italiens, ramenés par l'ennemi, traversaient les villes et les villages, les habitans leur portaient des secours; ils cherchaient pendant la nuit les moyens de les travestir et de les faire sauver.
Les proclamations et les discours de l'archiduc Jean n'inspiraient que le mépris et le dédain, et l'on aurait peine à se peindre la joie des peuples de la Piave, du Tagliamento et du Frioul, lorsqu'ils virent l'armée de l'ennemi fuyant en désordre, et l'armée du souverain et de la patrie revenant triomphante.
Lorsqu'on a visité les papiers de l'intendant de l'armée autrichienne qui était à la fois le chef du gouvernement et de la police, et qui a été pris à Padoue avec quatre voitures, on y a découvert la preuve de l'amour des peuples d'Italie pour l'empereur. Tout le monde avait refusé des places, personne ne voulait servir l'Autriche: et parmi sept millions d'hommes qui composent la population du royaume, l'ennemi n'a trouvé que trois misérables qui n'aient pas repoussé la séduction.
Les régimens d'Italie qui s'étaient distingués en Pologne et qui avaient rivalisé d'intrépidité dans la campagne de Catalogne avec les plus vieilles bandes françaises, se sont couverts de gloire dans toutes les affaires. Les peuples d'Italie marchent à grands pas vers le dernier terme d'un heureux changement. Cette belle partie du continent, où s'attachent tant de grands et d'illustres souvenirs, que la cour de Rome, que, cette nuée de moines, que ses divisions avaient perdue, reparaît avec honneur sur la scène de l'Europe.
Tous les détails qui suivent, de l'armée autrichienne, constatent que dans les journées du 21 et du 22, sa perte a été énorme. L'élite de l'armée a péri. Selon les aimables de Vienne, les manoeuvres du général Danube ont sauvé l'armée autrichienne.
Le Tyrol et le Voralberg sont parfaitement soumis. La Carniole, la Styrie, la Carinthie, le pays de Salzbourg, la Haute et la Basse-Autriche sont pacifiés et désarmés.
Trieste, cette ville où les Français et les Italiens ont subi tant d'outrages, a été occupée. Les marchandises coloniales anglaises ont été confisquées. Une circonstance de la prise de Trieste a été très-agréable a l'empereur: c'est la délivrance de l'escadre russe; elle avait eu ordre d'appareiller pour Ancône; mais retenue par les vents contraires, elle était restée au pouvoir des Autrichiens.
La jonction de l'armée de Dalmatie est prochaine. Le duc de Raguse s'est mis en marche aussitôt qu'il a appris que l'armée d'Italie était sur l'Izonso. On espère qu'il arrivera à Laybach avant le 5 juin.
Le brigand Schill qui se donnait, et avec raison, le titre de général au service de l'Angleterre, après avoir prostitué le nom du roi de Prusse, comme les satellites de l'Angleterre prostituent celui de Ferdinand à Séville, a été poursuivi et jeté dans une île de l'Elbe. Le roi de Westphalie, indépendamment de quinze mille hommes de ses troupes, avait une division hollandaise et une division française; et le duc de Valmy a déjà réuni à Hanau deux divisions du corps d'observation, commandées par les généraux Rivaux et Despeaux, et composées des brigades Lameth, Clément, Taupin et Vaufreland.
La pacification de la Souabe rend disponible le corps d'observation du général Beaumont qui est réuni à Augsbourg, et où se trouvent plus de trois mille dragons.
La rage des princes de la maison de Lorraine contre la ville de Vienne peut se peindre par un seul trait. La capitale est nourrie par quarante moulins établis sur la rive gauche du fleuve. Ils les ont fait enlever et détruire.
Ebersdorf, 1er juin 1809.
Quatorzième bulletin de la grande armée.
Les ponts sur le Danube sont entièrement rétablis. On y a joint un pont volant, et l'on prépare tous les matériaux nécessaires pour jeter un autre pont de radeaux. Sept sonnettes battent des pilotis; mais le Danube ayant dans plusieurs endroits vingt-quatre et vingt-six pieds de profondeur, on emploie toujours beaucoup de temps pour faire tenir les ancres, lorsqu'on déplace les sonnettes. Cependant les travaux avancent et seront terminés sous peu.
Le général de brigade du génie Lazowski fait travailler, sur la rive gauche, à une tête de pont qui aura seize cents toises de développement, et qui sera couverte par un bon fossé plein d'eau courante.
Le quarante-quatrième équipage de la flottille de Boulogne, commandé par le capitaine de vaisseau Baste, est arrivé. Un grand nombre de bateaux en croisière battent toutes les îles, couvrent le pont et rendent beaucoup de services.
Le bataillon des ouvriers de la marine travaille à la construction de petites péniches armées, qui serviront a maîtriser parfaitement le fleuve.
Après la défaite du corps du général Jellachich, M. Mathieu, capitaine-adjoint à l'état-major de l'armée d'Italie, fut envoyé avec un dragon d'ordonnance sur la route de Salzbourg; ayant rencontré successivement une colonne de six cent cinquante hommes de troupes de ligne, et une colonne de deux mille landwehrs qui, l'une et l'autre étaient coupées et égarées, il les somma de se rendre, et elles mirent bas les armes.
Le général de division Lauriston est arrivé à Oedembourg, premier comitat de Hongrie, avec une forte avant-garde. Il paraît qu'il y a de la fermentation en Hongrie, que les esprits y sont très-divisés, et que la majorité n'est pas favorable à l'Autriche.
Le général de division Lasalle a son quartier-général vis-à-vis Presbourg, a poussé ses postes jusqu'à Altenbourg et jusqu'auprès de Raab.
Trois-divisions de l'armée d'Italie sont arrivées a Neustadt. Le vice-roi est depuis deux jours au quartier-général de l'empereur.
Le général Macdonald, commandant un des corps de l'armée d'Italie, est entré à Gratz. On a trouvé dans cette capitale de la Styrie d'immenses magasins de vivres et d'effets d'habillement et d'équipement de toute espèce.
Le duc de Dantzick est à Lintz.
Le prince de Ponte-Corvo marche sur Vienne. Le général de division Vandamme, avec les Wurtembergeois, est à Saint-Polten, Mauteru et Krems.
La tranquillité règne dans le Tyrol. Coupés par les mouvemens du duc de Dantzick et de l'armée d'Italie, tous les Autrichiens qui s'étaient imprudemment engagés dans cette pointe, ont été détruits, les uns par le duc de Dantzick, les autres, tels que le corps de Jellachich, par l'armée d'Italie. Ceux qui étaient en Souabe n'ont eu d'autre ressource que de tâcher de traverser en partisans l'Allemagne, en se portant sur le Haut-Palatinat. Ils formaient une petite colonne d'infanterie et de cavalerie qui s'était échappée de Lindau et qui avait été rencontrée par le colonel Reiset du corps d'observation du général Beaumont; elle a été coupée à Neumarck, et la colonne entière, officiers et soldats, a mis bas les armes.
Vienne est tranquille, le pain et le vin sont en abondance; mais la viande que cette capitale tirait du fond de la Hongrie, commence à devenir rare. Contre toutes les raisons politiques et tous les motifs d'humanité, les ennemis font l'impossible pour affamer leurs compatriotes et cette capitale qui renferme cependant leurs femmes et leurs enfans. Il y a loin de cette conduite à celle de notre Henri IV, nourrissant lui-même une ville qui était alors ennemie et qu'il assiégeait.
Le duc de Montebello est mort hier à cinq heures du matin. Quelque temps auparavant, l'empereur s'était entretenu pendant une heure avec lui. Sa Majesté avait envoyé chercher par le général Rapp, son aide-de-camp, M. le docteur Franck, l'un des médecins les plus célèbres de l'Europe; ses blessures étaient en bon état, mais une fièvre pernicieuse avait fait en peu d'heures les plus funestes progrès. Tous les secours de l'art étaient devenus inutiles. S. M. a ordonné que le corps du duc de Montebello soit embaumé et transporté en France pour y recevoir les honneurs qui sont dus à un rang élevé et à d'éminens services. Ainsi a fini l'un des militaires les plus distingués qu'ait eus la France. Dans les nombreuses batailles où il s'est trouvé, il avait reçu treize blessures. L'empereur a été extrêmement sensible à cette perte qui sera ressentie par tous les Français.
Ebersdorf, 2 juin 1809.
Quinzième bulletin de la grande armée.
L'armée de Dalmatie a obtenu les plus grands succès; elle a défait tout ce qui s'est présenté devant elle aux combats de Mont-Kitta, de Gradchatz, de la Liéca et d'Ottachatz. Le général en chef Sloissevich a été pris.
Le duc de Raguse est arrivé le 28 à Fiume, et a fait ainsi sa jonction avec l'armée d'Italie et avec la grande armée, dont l'armée de Dalmatie forme l'extrême droite. On fera connaître la relation du duc de Raguse sur ces différens événemens.
Le 28, une escadre anglaise de quatre vaisseaux, deux frégates et un brick, s'est présentée devant Trieste, avec l'intention de prendre l'escadre russe. Le général comte Cafarelli venait d'arriver dans ce port. Comme la ville était désarmée, les Russes ont débarqué quarante pièces de canon, dont vingt-quatre de 36 et seize de 24. On a mis ces pièces en batterie, et l'escadre russe s'est embossée. Tout était prêt pour bien recevoir l'ennemi qui, voyant son coup manqué, s'est éloigné.
Un millier d'Autrichiens ayant passé de Krems sur la rive droite du Danube, ont été culbutés par le corps, wurtembergeois qui leur a fait soixante prisonniers.
Ebersdorf, 4 juin 1809.
Seizième bulletin de la grande armée.
L'ennemi avait jeté sur la rive droite du Danube, vis-à-vis Presbourg, une division de neuf mille hommes, qui s'était retranchée dans le village d'Engerau. Le duc d'Auerstaedt l'a fait attaquer hier par les tirailleurs de Hesse-Darmstadt, soutenus par le douzième régiment d'infanterie de ligne. Le village a été emporté avec rapidité. Un major, huit officiers du régiment de Beaulieu, parmi lesquels se trouve le petit-fils de ce feld-maréchal, et quatre cents hommes ont été pris. Le reste du régiment a été tué, ou blessé, ou jeté dans l'eau; ce qui restait de la division a trouvé protection dans une île pour repasser le fleuve. Les tirailleurs de Hesse-Darmstadt se sont très-bien battus.
Le vice-roi a aujourd'hui son quartier-général à Oedembourg.
Les effets les plus précieux de la cour ont été transportés de Bude à Peterswalde, où l'impératrice s'est retirée.
Le duc de Raguse est arrivé à Laybach.
Le général Macdonald est maître de Gratz; il cerne la citadelle qui fait mine de résister.
A la bataille d'Esling, le général de brigade Foulers, blessé dans une charge, fut précipité de son cheval, et le général de division Durosnel, aide-de-camp de l'empereur, portant un ordre à la division de cuirassiers qui chargeait, avait aussi été renversé. Nous avons eu la satisfaction d'apprendre que ces deux généreux et cent cinquante soldats que nous croyions avoir perdus, ne sont que blessés, et étaient restés dans les blés, lorsque l'empereur ayant appris que les ponts du Danube venaient de se rompre, ordonna de se concentrer entre Esling et Gross-Aspern.
Le Danube baisse; cependant la continuation des chaleurs fait encore craindre une crue.
Vienne, 8 juin 1809.
Dix-septième bulletin de la grande armée.
Le colonel Gorgoli, aide-de-camp de l'empereur de Russie, est arrivé au quartier-impérial avec une lettre de ce souverain pour S. M. Il a annoncé que l'armée russe se dirigeant sur Olmutz avait passé la frontière le 24 mai.
L'empereur a passé avant-hier la revue de sa garde, infanterie, cavalerie et artillerie. Les habitans de Vienne ont admiré le nombre, la belle tenue et le bon état de ces troupes.
Le vice-roi s'est porté avec l'armée d'Italie à Oedembourg, en Hongrie. Il paraît que l'archiduc Jean cherche à rallier son armée sur Raab.
Le duc de Raguse est arrivé avec l'armée de Dalmatie, le 3 de ce mois, à Laybach.
Les chaleurs sont très-fortes, et les gens-pratiques du Danube annoncent qu'il y aura un débordement d'ici à peu de jours. On profite de ce temps pour achever, indépendamment des ponts de bateaux et de radeaux, de planter les pilotis.
Tous les renseignemens que l'on reçoit du côté de l'ennemi annoncent que les villes de Presbourg, Brunn et Znaïm sont remplies de blessés. Les Autrichiens évaluent eux-mêmes leur perte à dix-huit mille hommes.
Le prince Poniatowski, avec l'armée du grand-duché de Varsovie, poursuit ses succès. Après la prise de Sandomir, il s'est emparé de la forteresse de Zamosc, où il a fait éprouver à l'ennemi une perte de trois mille hommes et pris trente pièces de canon. Tous les Polonais qui sont à l'armée autrichienne désertent.
L'ennemi, après avoir échoué devant Thorn, a été vivement poursuivi par le général Dombrowski.
L'archiduc Ferdinand ne retirera que de la honte de son expédition. Il doit être arrivé dans la Silésie autrichienne, réduit au tiers de ses forces.
Le sénateur Wibiski s'est distingué par ses sentimens patriotiques et son activité.
M. le comte de Metternich «st arrivé à Vienne. Il va être échangé aux avant-postes avec la légation française, à qui les Autrichiens avaient, contre le droit des gens, refusé des passeports, et qu'ils avaient emmenée à Pest.
Vienne, 13 juin 1809.
Dix-huitième bulletin de la grande armée.
La division du général Chasteller, qui avait insurgé le Tyrol, a passé le 4 de ce mois aux environs de Clagenfurth, pour se jeter en Hongrie. Le général Rusca a marché à elle, et il y a eu un engagement assez vif, où l'ennemi a été battu, et où on lui a fait neuf cents prisonniers.
Le prince Eugène, avec un gros corps, manoeuvre au milieu de la Hongrie.
Depuis quelques jours le Danube a augmenté d'un pied.
Le général Gratien, avec une division hollandaise, ayant marché sur Stralsund, où s'était retranché le nommé Schill, a enlevé ses retranchemens d'assaut. Schill avait donné ordre de brûler la ville pour assurer sa retraite, mais sa bande n'en a pas eu le temps; elle a été en entier tuée ou prise; lui-même a été tué sur la grande place près du corps-de-garde, dans le moment où il se sauvait et cherchait à gagner le port pour s'embarquer.
L'archiduc Ferdinand a évacué précipitamment Varsovie le 2 juin. Ainsi tout le grand-duché est abandonné par l'armée ennemie, tandis que les troupes que commande le prince Poniatowski occupent les trois quarts de la Galicie.
Vienne, 16 juin 1809.
Dix-neuvième bulletin de la grande armée.
L'anniversaire de la bataille de Marengo a été célébré par la victoire de Raab, que la droite de l'armée commandée par le vice-roi, a remportée sur les corps réunis de l'archiduc Jean et de l'archiduc Palatin.
Depuis la bataille de la Piave, le vice-roi a poursuivi l'archiduc Jean, l'épée dans les reins.
L'armée autrichienne espérait se cantonner aux sources de la Raab, entre Saint-Gothard et Comorn.
Le 5 juin, le vice-roi partit de Neustadt et porta son quartier-général à Oedembourg, en Hongrie.
Le 7, il continua son mouvement, et arriva à Guns. Le général Lauriston, avec son corps d'observation, le rejoignit sur la gauche.
Le 8, le général Montbrun, avec sa division de cavalerie légère, força le passage de la Raabnilz, auprès de Sovenshaga, culbuta trois cents cavaliers de l'insurrection hongroise, et les rejeta sur Raab.
Le 9, le vice-roi se porta sur Sarvar.
La cavalerie du général Grouchy rencontra l'arrière-garde ennemie à Vasvar, et fit quelques prisonniers.
Le 10, le général Macdonald, venant de Gratz, arriva à Comorn.
Le 11, le général de division Grenier rencontra à Karako, une colonne de flanqueurs ennemis qui défendait le pont, et passa la rivière de vive force. Le général Debroc, avec le neuvième de hussards, a fait une belle charge sur un bataillon de quatre cents hommes, dont trois cents ont été faits prisonniers.
Le 12, l'armée déboucha par le pont de Merse sur Papa. Le vice-roi aperçut d'une hauteur toute l'armée ennemie en bataille. Le général de division Montbrun, général de cavalerie et officier d'une grande espérance, déboucha dans la plaine, attaqua et culbuta la cavalerie ennemie, après avoir fait plusieurs manoeuvres précises et vigoureuses. L'ennemi avait déjà commencé sa retraite. Le vice-roi passa la nuit à Papa.
Le 13, à cinq heures du matin, l'armée se mit en marche pour se porter sur Raab. Notre cavalerie et la cavalerie autrichienne se rencontrèrent un village de Szanak. L'ennemi fut culbuté et on lui fit quatre cents prisonniers.
L'archiduc Jean, ayant fait sa jonction avec l'archiduc Palatin, près de Raab, prit position sur de belles hauteurs, la droite appuyée à Raab, ville fortifiée, et la gauche couvrant le chemin de Comorn, autre place forte de la Hongrie.
Le 14 à onze heures du matin, le vice-roi range son armée en bataille, et avec trente-cinq mille hommes, en attaque cinquante mille. L'ardeur de nos troupes est encore augmentée par le souvenir de la victoire mémorable qui a consacré cette journée. Tous les soldats poussent des cris de joie à la vue de l'armée ennemie, qui était sur trois lignes et composée de vingt à vingt-cinq mille hommes, restes de cette superbe armée d'Italie, qui naguère se croyait déjà maîtresse de toute l'Italie; de dix mille hommes commandés par le général Haddick, et formés des réserves des places fortes de Hongrie; de cinq à six mille hommes composés des débris réunis du corps de Jellachich, et des autres colonnes du Tyrol, échappés aux mouvemens de l'armée, par les gorges de la Carinthie; enfin, de douze a quinze mille hommes de l'insurrection hongroise, cavalerie et infanterie.
Le vice-roi plaça son armée, la cavalerie du général Montbrun, la brigade du général Colbert et la cavalerie du général Grouchy sur la droite; le corps du général Grenier, formant deux échelons, dont la division du général Serras formait l'échelon de droite, en avant; une division italienne commandée par le général Baragucy-d'Hilliers, formant le second échelon, et la division du général Puthod, en réserve. Le général Lauriston, avec son corps d'observation, soutenu par le général Sahuc, formait l'extrême gauche, et observait la place de Raab.
A deux heures après midi, la canonnade s'engagea. A trois heures, le premier, le second et le troisième échelons, en vinrent aux mains. La fusillade devint vive, la première ligne de l'ennemi fut culbutée, mais la seconde ligne arrêta un instant l'impétuosité de notre premier échelon qui fut aussitôt renforcé et la culbuta. Alors la réserve de l'ennemi se présenta. Le vice-roi qui suivait tous les mouvemens de l'ennemi, marcha, de son côté, avec sa réserve: la belle position des Autrichiens fut enlevée, et à quatre heures la victoire était décidée.
L'ennemi, en pleine déroute, se serait difficilement rallié si un défilé ne s'était opposé aux mouvemens de notre cavalerie. Trois mille hommes faits prisonniers, six pièces de canon et quatre drapeaux, sont les trophées de cette journée. L'ennemi a laissé sur le champ de bataille trois mille morts, parmi lesquels on a trouvé un général major. Notre perte s'est élevée à neuf cents hommes tués ou blessés. Au nombre des premiers se trouve le colonel Thierry, du vingt-troisième régiment d'infanterie légère, et parmi les derniers, le général de brigade Valentin et le colonel Expert.
Le vice-roi fait une mention particulière des généraux Grenier, Montbrun, Serras et Danthouard. La division italienne Severoli a montré beaucoup de précision et de sang-froid. Plusieurs généraux ont eu leurs chevaux tués; quatre aides-de-camp du vice-roi ont été légèrement atteints. Ce prince a été constamment au milieu de la plus grande mêlée. L'artillerie commandée par le général Sabatier, a soutenu sa réputation.
Le champ de bataille de Raab avait été dès long-temps reconnu par l'ennemi, car il annonçait fort à l'avance qu'il tiendrait dans cette belle position. Le 15, il a été vivement poursuivi sur la route de Comorn et de Pest.
Les habitans du pays sont tranquilles, et ne prennent aucune part à la guerre. La proclamation de l'empereur a mis de l'agitation dans les esprits. On sait que la nation hongroise a toujours désiré son indépendance. La partie de l'insurrection qui se trouve à l'armée avait déjà été levée par la dernière diète; elle est sous les armes et elle obéît.
Vienne, 20 juin 1809.
Vingtième bulletin de la grande armée.
Lorsque la nouvelle de la victoire de Raab arriva à Bude, l'impératrice en partit à l'heure même, ainsi que tout ce qui tenait au gouvernement.
L'armée ennemie a été poursuivie pendant les journées du 15 et du 16; elle a passé le Danube sur le pont de Comorn. La ville de Raab a été investie. On espère être maître sous peu de jours de cette place importante. On a trouvé dans les faubourgs des magasins assez considérables.
On a pris le superbe camp retranché de Raab, qui pouvait contenir cent mille hommes. La colonne destinée à le défendre n'a pu s'y introduire; elle a été coupée.
Un courrier venant de Bude, a été intercepté. Les dépêches écrites en latin, dont il était porteur, font connaître l'effet qu'a produit la bataille de Raab.
L'ennemi inonde le pays de faux bruits; cela tient au système adopté pour remuer les dernières classes du peuple.
M. de Metternich est parti le 18 de Vienne. Il sera échangé entre Comorn et Bude, avec M. Dodun et les autres personnes de la légation française.
M. d'Epinay, officier d'ordonnance de S.M., est arrivé à Pétersbourg. Il a passé au quartier-général de l'armée russe. Le prince Serge-Galitzin est entré en Galicie le 3 de ce mois, sur trois colonnes; savoir, celle du général Levis par Drohyezim; celle du prince Gortszakoff par Therespold, et celle du prince Suwarow par Wlodzimirz.
Vienne, 22 juin 1809.
Vingt-unième bulletin de la grande armée.
Un aide-de-camp du prince Joseph Poniatowski est arrivé du quartier-général de l'armée du grand-duché. Le 10 de ce mois le prince Serge Galitzin devait être à Lublin et son avant-garde à Sandomir.
L'ennemi se complaît à répandre des bulletins éphémères, où il rapporte tous les jours une victoire: selon lui, il a pris vingt mille fusils et deux mille cuirasses à la bataille d'Esling. Il dit que le 21 et le 22 il était maître du champ de bataille. Il a même fait imprimer et répandre une gravure de celle bataille, où on le voit enjambant de l'une à l'autre rive, et ses batteries traversant les îles et le champ de bataille dans tous les sens. Il imagine aussi une bataille, qu'il appelle la bataille de Kitsée, dans laquelle un nombre immense de Français auraient été pris ou tués. Ces puérilités, colportées par de petites colonnes de landwehrs comme celle de Schill, sont une tactique employée pour inquiéter et soulever le pays.
Le général Maziani qui a été fait prisonnier à la bataille de Raab, est arrivé au quartier-général. Il dit que, depuis la bataille de la Piave, l'archiduc Jean avait perdu les deux tiers de son monde; qu'il a ensuite reçu des recrues qui ont à peu près rempli les cadres, mais qui ne savent pas faire usage de leurs fusils. Il porte à douze mille hommes la perte de l'archiduc Jean et du Palatin à la bataille de Raab. Selon le rapport des prisonniers hongrois, l'archiduc Palatin a été le premier dans cette journée à prendre la fuite.
Quelques personnes ont voulu mettre en opposition la force de l'armée autrichienne à Esling, estimée à quatre-vingt-dix mille hommes, avec les quatre-vingt mille hommes qui ont été faits prisonniers depuis l'ouverture de la campagne; elles ont montré peu de réflexion. L'armée autrichienne est entrée en campagne avec neuf corps d'armée de quarante mille hommes chacun, et il y avait dans l'intérieur des corps de recrues et de landwehrs; de sorte que l'Autriche avait réellement plus de quatre cent mille hommes sous les armes. Depuis la bataille d'Ebensberg jusqu'à la prise de Vienne, y compris l'Italie et la Pologne, on peut avoir fait cent mille prisonniers à l'ennemi, et il a perdu cent mille hommes tués, déserteurs ou égarés. Il devait donc lui rester encore deux cent mille hommes distribués comme il suit: l'archiduc Jean avait à la bataille de Raab cinquante mille hommes, la principale armée autrichienne avait, avant la bataille d'Esling quatre-vingt-dix mille hommes; il restait donc, vingt-cinq mille hommes à l'archiduc Ferdinand à Varsovie, et vingt-cinq mille hommes étaient disséminés dans le Tyrol, dans la Croatie et répandus en partisans sur les confins de la Bohème.
L'armée autrichienne à Esling était composée du premier corps commandé par le général Bellegarde, le seul qui n'eût pas donné et qui fût encore entier, et des débris du deuxième, du troisième, du quatrième, du cinquième et du sixième corps qui avaient été écrasés dans les batailles précédentes. Si ces corps n'avaient rien perdu et eussent été réunis tels qu'ils étaient au commencement de la campagne, ils auraient formé deux cent quarante mille hommes. L'ennemi n'avait pas plus de quatre-vingt-dix mille hommes, ainsi l'on voit combien sont énormes les pertes qu'il avait éprouvées.
Lorsque l'archiduc Jean est entré en campagne, son armée était composée des huitième et neuvième corps, formant quatre-vingt mille hommes. A Raab elle se trouvait de cinquante mille hommes. Sa perte aurait donc été de trente mille hommes. Mais dans ces cinquante mille hommes étaient compris quinze mille Hongrois de l'insurrection. Sa perte était donc réellement de quarante-cinq mille hommes.
L'archiduc Ferdinand était entré à Varsovie avec le septième corps formant quarante mille hommes. Il est réduit à vingt-cinq mille. Sa perte est donc de quinze mille hommes.
On voit comment ces différens calculs se vérifient.
Le vice-roi a battu à Raab cinquante mille hommes avec trente mille Français.
A Esling quatre-vingt-dix mille hommes ont été battus et contenus par trente mille Français qui les auraient mis dans une complète déroute et détruits, sans l'événement des ponts qui a produit le défaut de munitions.
Les grands efforts de l'Autriche ont été le résultat du papier-monnaie, et de la résolution que le gouvernement autrichien a prise de jouer le tout pour le tout. Dans le péril d'une banqueroute qui aurait pu amener une révolution, il a préféré ajouter cinq cents millions à la masse de son papier-monnaie, et tenter un dernier effort pour le faire escompter par l'Allemagne, l'Italie et la Pologne. Il est fort probable que cette raison ait influé plus que toute autre, sur ses déterminations.
Pas un seul régiment français n'a été tiré d'Espagne, si ce n'est la garde impériale.
Le général comte Lauriston continue le siège de Raab avec la plus grande activité. La ville brûle déjà depuis vingt-quatre heures, et cette armée qui a remporté à Esling une si grande victoire, qu'elle s'est emparée de vingt mille fusils et de deux mille cuirasses; cette armée qui, à la bataille de Kitsée, a tué tant de monde et fait tant de prisonniers; cette armée qui, selon ses bulletins apocryphes, a obtenu de si grands avantages à la bataille de Raab, voit tranquillement assiéger et brûler ses principales places et inonder la Hongrie de partis, et fait sauver son impératrice, ses dicastères, tous les effets précieux de son gouvernement, jusqu'aux frontières de la Turquie et aux extrémités les plus reculées de l'Europe.
Un major autrichien a eu la fantaisie de passer le Danube sur deux bateaux à l'embouchure de la Marsch. Le général Gilly-Vieux s'est porté à sa rencontre avec quelques compagnies, l'a jeté dans l'eau et lui a fait quarante prisonniers.
Vienne, 24 juin 1809.
Vingt-deuxième bulletin de la grande armée.
La place de Raab a capitulé. Cette ville est une excellente position au centre de la Hongrie. Son enceinte est bastionnée, ses fossés sont pleins d'eau, et une inondation en couvre une hommes, la principale armée autrichienne avait, avant la bataille d'Esling quatre-vingt-dix mille hommes; il restait donc, vingt-cinq mille hommes à l'archiduc Ferdinand à Varsovie, et vingt-cinq mille hommes étaient disséminés dans le Tyrol, dans la Croatie et répandus en partisans sur les confins de la Bohème.
L'armée autrichienne à Esling était composée du premier corps commandé par le général Bellegarde, le seul qui n'eût pas donné et qui fût encore entier, et des débris du deuxième, du troisième, du quatrième, du cinquième et du sixième corps qui avaient été écrasés dans les batailles précédentes. Si ces corps n'avaient rien perdu et eussent été réunis tels qu'ils étaient au commencement de la campagne, ils auraient formé deux cent quarante mille hommes. L'ennemi n'avait pas plus de quatre-vingt-dix mille hommes, ainsi l'on voit combien sont énormes les pertes qu'il avait éprouvées.
Lorsque l'archiduc Jean est entré en campagne, son armée était composée des huitième et neuvième corps, formant quatre-vingt mille hommes. A Raab elle se trouvait de cinquante mille hommes. Sa perte aurait donc été de trente mille hommes. Mais dans ces cinquante mille hommes étaient compris quinze mille Hongrois de l'insurrection. Sa perte était donc réellement de quarante-cinq mille hommes.
L'archiduc Ferdinand était entré à Varsovie avec le septième corps formant quarante mille hommes. Il est réduit à vingt-cinq mille. Sa perte est donc de quinze mille hommes.
On voit comment ces différens calculs se vérifient.
Le vice-roi a battu à Raab cinquante mille hommes avec trente mille Français.
A Esling quatre-vingt-dix mille hommes ont été battus et contenus par trente mille Français qui les auraient mis dans une complète déroute et détruits, sans l'événement des ponts qui a produit le défaut de munitions.
Vienne, 28 juin 1809.
Vingt-troisième bulletin de la grande armée.
Le 25 de ce mois, S. M. a passé en revue un grand nombre de troupes sur les hauteurs de Schoenbrunn. On a remarqué une superbe ligne de huit mille hommes de cavalerie dont la garde faisait partie, et où ne se trouvait pas un régiment de cuirassiers. On a remarqué également une ligne de deux cents pièces de canon. La tenue et l'air martial des troupes excitaient l'admiration des spectateurs.
Samedi 24, à quatre heures après-midi, nos troupes sont entrées à Raab. Le 25, la garnison prisonnière de guerre est partie. Décompte fait, elle s'est trouvée monter à deux mille cinq cents hommes.
S. M. a donné au général de division Narbonne le commandement de cette place et de tous les comitats hongrois soumis aux armes françaises.
Le duc d'Auerstaedt est devant Presbourg. L'ennemi travaillait à des fortifications. On lui a intimé de cesser ses travaux s'il ne voulait pas attirer de grands malheurs sur les paisibles habitans. Il n'en a tenu compte: quatre cents bombes et obus l'ont forcé de renoncer à son projet, mais le feu a pris dans cette malheureuse ville, et plusieurs quartiers ont été brûlés.
Le duc de Raguse avec l'armée de Dalmatie a passé la Drave le 22, et marchait sur Dratz.
Le 24, le général Vandamme a fait embarquer à Molck trois cents Wurtembergeois commandés par le général Kechler, pour les jeter sur l'autre rive, et avoir des nouvelles. Le débarquement s'est fait. Ces troupes ont mis en déroute deux compagnies ennemies, et ont pris deux officiers et quatre-vingts hommes du régiment de Mitrowski.
Le prince de Ponte-Corvo et l'armée saxonne sont à Saint-Polien.
Le duc de Dantzick qui est à Lintz, a fait faire une reconnaissance sur la rive gauche par le général de Wrede. Tous les postes ennemis ont été repoussés. On a pris plusieurs officiers et une vingtaine d'hommes. L'objet de cette reconnaissance était aussi de se procurer des nouvelles.
La ville de Vienne est abondamment approvisionnée de viande; l'approvisionnement de pain est plus difficile à cause des embarras qu'on éprouve pour la mouture. Quant aux subsistances de l'armée, elles sont assurées pour six mois: elle a des vivres, du vin et des légumes en abondance. Le vin des caves des couvens a été mis en magasin pour fournir aux distributions à faire à l'armée. On a réuni ainsi plusieurs millions de bouteilles.
Le 10 avril, au moment même où le général autrichien prostituait son caractère et tendait un piège au roi de Bavière, en écrivant la lettre qui a été insérée dans tous les papiers publics, le général Chasteller insurgeait le Tyrol et surprenait sept cents conscrits français qui allaient à Augsbourg où étaient leurs régimens, et qui marchaient sur la foi de la paix. Obligés de se rendre et faits prisonniers, ils furent massacrés. Parmi eux se trouvaient quatre-vingt Belges nés dans la même ville que Chasteller. Dix-huit cents Bavarois, faits prisonniers à la même époque, furent aussi massacrés. Chasteller qui commandait fut témoin de ces horreurs. Non-seulement il ne s'y opposa point, mais on l'accusa d'avoir souri à ce massacre, espérant que les Tyroliens, ayant à redouter la vengeance d'un crime dont ils ne pouvaient espérer le pardon, seraient ainsi plus fortement engagés dans leur rébellion.
Lorsque S. M. eut connaissance de ces atrocités, elle se trouva dans une position difficile: si elle voulait recourir aux représailles, vingt généraux, mille officiers, quatre-vingt mille hommes faits prisonniers pendant le mois d'avril pouvaient satisfaire aux mânes des malheureux Français si lâchement égorgés. Mais des prisonniers n'appartiennent pas à la puissance pour laquelle ils ont combattu; ils sont tous la sauve-garde de l'honneur et de la générosité de la nation qui les a désarmés. S. M. considéra Chasteller comme étant sans aveu; car, malgré les proclamations furibondes et les discours violens des princes de la maison de Lorraine, il était impossible de croire qu'ils approuvaient de pareils attentats. S. M. fit en conséquence publier l'ordre du jour suivant:
Au quartier-général impérial à Ens, le 5 mai 1809.
Ordre du jour.
D'après les ordres de l'empereur, le nommé Chasteller, soi-disant général au service d'Autriche, moteur de l'insurrection du Tyrol, et prévenu d'être l'auteur des massacres commis sur les prisonniers bavarois et français par les insurgés, sera traduit à une commission militaire, aussitôt qu'il sera fait prisonnier, et passé par les armes s'il y a lieu, dans les vingt-quatre heures qui suivront la saisie.
BERTHIER.
A la bataille d'Esling, le général Durosnel, portant un ordre à un escadron avancé, fut fait prisonnier par vingt-cinq hulans. L'empereur d'Autriche, fier d'un triomphe si facile, fit publier un ordre du jour conçu en ces termes:
Copie d'une lettre de S. M. l'empereur d'Autriche au prince Charles.
Mon cher frère,
J'ai appris que l'empereur Napoléon a déclaré le marquis de Chasteller hors du droit des gens. Cette conduite injuste et contraire aux usages des nations, et dont on n'a aucun exemple dans les dernières époques de l'histoire, m'oblige d'user de représailles: en conséquence, j'ordonne que les généraux français Durosnel et Foulers soient gardés comme otages, pour subir le même sort et les mêmes traitemens que l'empereur Napoléon se permettrait de faire éprouver au général Chasteller. Il en coûte à mon coeur de donner un pareil ordre, mais je le dois à mes braves guerriers et à mes braves peuples, qu'un pareil sort peut atteindre au milieu des devoirs qu'ils remplissent avec tant de dévouement. Je vous charge de faire connaître cette lettre à l'armée, et de l'envoyer, par un parlementaire, au major-général de l'empereur Napoléon.
Signé FRANÇOIS.
Aussitôt que cet ordre du jour parvint à la connaissance de S. M., elle ordonna d'arrêter le prince de Colloredo, le prince Metternich, le comte de Pergen et le comte de Harddeck, et de les conduire en France, pour répondre des jours des généraux Durosnel et Foulers. Le major-général écrivit au chef d'état-major de l'armée autrichienne la lettre ci-jointe:
A monsieur le major-général de l'armée autrichienne.
Monsieur,
S. M. l'empereur a eu connaissance d'un ordre donné par l'empereur François, qui déclare que les généraux français Durosnel et Foulers, que les circonstances de la guerre ont mis en son pouvoir, doivent répondre de la peine que les lois de la justice infligeraient à M. Chasteller, qui s'est mis à la tête des insurgés du Tyrol, et a laissé égorger sept cents prisonniers français et dix-huit à dix-neuf cents Bavarois; crime inouï dans l'histoire des nations, qui eût pu exciter une terrible représaille contre quarante feld-maréchaux-lieutenans, trente-six généraux-majors, plus de soixante colonels ou majors, douze cents officiers et quatre-vingt mille soldats, qui sont nos prisonniers, si S. M. ne regardait les prisonniers comme placés sous sa foi ou son honneur, et d'ailleurs n'avait eu des preuves que les officiers autrichiens du Tyrol en ont été aussi indignés que nous.
Cependant, S. M. a ordonné que le prince de Colloredo, le prince Metternich, le comte Frédéric de Harddeck et le comte Pergen, seraient arrêtés et transférés en France, pour répondre de la sûreté des généraux Durosnel et Foulers, menacés par l'ordre du jour de votre souverain. Ces officiers pourront mourir, monsieur, mais ils ne mourront pas sans vengeance: cette vengeance ne tombera sur aucun prisonnier, mais sur les parens de ceux qui ordonneraient leur mort.
Quant à M. Chasteller, il n'est pas encore au pouvoir de l'armée; mais s'il est arrêté, vous pouvez compter que son procès sera instruit, et qu'il sera traduit à une commission militaire. Je prie votre excellence de croire aux sentimens de ma haute considération.
Le major-général
Signé BERTHIER.
La ville de Vienne et le corps des états de la Basse-Autriche sollicitèrent la clémence de S. M., et demandèrent à envoyer une députation à l'empereur François, pour faire sentir la déraison du procédé dont on usait à l'égard des généraux Durosnel et Foulers, pour représenter que Chasteller n'était pas condamné, qu'il n'était point arrêté, qu'il était seulement traduit devant les tribunaux; que les pères, les femmes, les enfans, les propriétés des généraux autrichiens étaient entre les mains des Français, et que l'armée française était décidée, si l'on attentait à un seul prisonnier, à faire un exemple dont la postérité conserverait long-temps le souvenir.
L'estime que S. M. accorde aux bons habitans de Vienne et aux corps des états, la détermina à accéder à cette demande. Elle autorisa MM. de Colloredo, de Metternich, de Pergen et de Harddeck à rester à Vienne, et la députation à partir pour le quartier-général de l'empereur d'Autriche.
Cette députation est de retour. L'empereur François a répondu à ses représentations qu'il ignorait le massacre des prisonniers français en Tyrol; qu'il compatissait aux maux de la capitale et des provinces; que ses ministres l'avaient trompé, etc., etc., etc. Les députés firent observer que tous les hommes sages voient avec peine l'existence de cette poignée de brouillons qui, par les démarches qu'ils conseillent, par les proclamations, les ordres du jour, etc., etc., etc., qu'ils font adopter, ne cherchent qu'à fomenter les passions et les haines, et à exaspérer un ennemi maître de la Croatie, de la Carniole, de la Carinthie, de la Styrie, de la Haute et de la Basse-Autriche, de la capitale de l'empire et d'une grande partie de la Hongrie; que les sentimens de l'empereur pour ses sujets devaient le porter à calmer le vainqueur, plutôt qu'à l'irriter, et à donner à la guerre le caractère qui lui est naturel chez les peuples civilisés, puisque ce vainqueur pouvait en appesantir les maux sur la moitié de la monarchie.
On dit que l'empereur d'Autriche a répondu que la plupart des écrits dont les députés voulaient parler, étaient controuvés; que ceux, dont on ne désavouait pas l'existence, étaient plus modérés; que les rédacteurs dont on se servait, étaient d'ailleurs des commis français, et que, lorsque ces écrits contenaient des choses inconvenantes, on ne s'en apercevait que quand le mal était fait. Si cette réponse qui court dans le public, est vraie, nous n'avons aucune observation à faire. On ne peut méconnaître l'influence de l'Angleterre; car ce petit nombre d'hommes, traîtres à leur patrie, est certainement à la solde de cette puissance.
Lorsque les députés ont passé à Bude, ils ont vu l'impératrice; c'était quelques jours avant qu'elle fût obligée de quitter cette ville. Ils l'ont trouvée changée, abattue et consternée des malheurs qui menaçaient sa maison. L'opinion de la monarchie est extrêmement défavorable à la famille de cette princesse. C'est cette famille qui a excité à la guerre. Les archiducs Palatin et Régnier sont les seuls princes autrichiens qui aient insisté pour le maintien de la paix. L'impératrice était loin de prévoir les événemens qui se sont passés. Elle a beaucoup pleuré; elle a montré un grand effroi du nuage épais qui couvre l'avenir; elle parlait de paix; elle demandait la paix; elle conjurait les députés de parler à l'empereur François en faveur de la paix. Ils ont rapporté que la conduite de l'archiduc Maximilien avait été désavouée, et que l'empereur d'Autriche l'avait envoyé au fond de la Hongrie.
Vienne, 3 juillet 1809.
Vingt-quatrième bulletin de la grande armée.
Le général Broussier avait laissé deux bataillons du quatre-vingt-quatrième régiment de ligne dans la ville de Gratz, et s'était porté sur Vilden, pour se joindre à l'armée de Dalmatie.
Le 26 juin, le général Giulay se présenta devant Gratz, avec dix mille hommes, composés, il est vrai, de Croates et de régimens des frontières. Le quatre-vingt-quatrième se cantonna dans un des faubourgs de la ville, repoussa les attaques de l'ennemi, les culbuta partout, lui prit cinq cents hommes, deux drapeaux, et se maintint dans sa position pendant quatorze heures, donnant le temps au général Broussier de le secourir. Ce combat d'un contre dix, a couvert de gloire le quatre-vingt-quatrième et son colonel, Gambin. Les drapeaux ont été présentés à S. M. à la parade. Nous avons à regretter vingt tués et quatre-vingt-douze blessés de ces braves gens.
Le duc d'Auerstaedt a fait attaquer le 30, une des îles du Danube, peu éloignée de la rive droite, vis-à-vis Presbourg, où l'ennemi avait quelques troupes.
Le général Gudin a dirigé cette opération avec habileté: elle a été exécutée par le colonel Decouz et par le vingt-unième régiment d'infanterie de ligne, que commande cet officier. A deux heures du matin, ce régiment, partie à la nage, partie dans des nacelles, a passé le très-petit bras du Danube, s'est emparé de l'île, a culbuté les quinze cents hommes qui s'y trouvaient, a fait deux cent cinquante prisonniers, parmi lesquels le colonel du régiment de Saint-Julien et plusieurs officiers, et a pris trois pièces de canon que l'ennemi avait débarquées pour la défense de l'île.
Enfin, il n'existe plus de Danube pour l'armée française: le général comte Bertrand a fait exécuter des travaux qui excitent l'étonnement et inspirent l'admiration.
Sur une largeur de quatre cents toises, et sur un fleuve le plus rapide du monde, il a, en quinze jours, construit un pont formé de soixante arches, où trois voitures peuvent passer de front; un second pont de pilotis a été construit, mais pour l'infanterie seulement, et de la largeur de huit pieds. Après ces deux ponts, vient un pont de bateaux. Nous pouvons donc passer le Danube en trois colonnes. Ces trois ponts sont assurés contre toute insulte, même contre l'effet des brûlots et machines incendiaires, par des estacades sur pilotis, construites entre les îles, dans différentes directions, et dont les plus éloignées sont à deux cent cinquante toises des ponts. Quand on voit ces immenses travaux, on croit qu'on a employé plusieurs années à les exécuter; ils sont cependant l'ouvrage de quinze à vingt jours: ces beaux travaux sont défendus par des têtes de pont ayant chacune seize cents toises de développement, formées de redoutes palissadées, fraisées et entourées de fosses pleins d'eau. L'île de Lobau est une place forte: il y a des manutentions de vivres, cent pièces de gros calibre et vingt mortiers ou obusiers de siège en batterie. Vis-à-vis Esling, sur le dernier bras du Danube, est un pont que le duc de Rivoli a fait jeter hier. Il est couvert par une tête de pont qui avait été construite lors du premier passage.
Le général Legrand, avec sa division, occupe les bois en avant de la tête du pont. L'armée ennemie est en bataille, couverte par des redoutes, la gauche à Euzendorf, la droite à Gros-Aspern: quelques légères fusillades d'avant-postes ont eu lieu.
A présent que le passage du Danube est assuré, que nos ponts sont à l'abri de toute tentative, le sort de la monarchie autrichienne sera décidé dans une seule affaire.
Les eaux du Danube étaient le premier juillet de quatre pieds au-dessous des plus basses et de-treize pieds au-dessous des plus hautes.
La rapidité de ce fleuve dans cette partie est, lors des grandes eaux, de sept à douze pieds, et lors de la hauteur moyenne, de quatre pieds six pouces par seconde, et plus forte que sur aucun autre point. En Hongrie, elle diminue beaucoup, et à l'endroit où Trajan fit jeter un pont, elle est presque insensible. Le Danube est là d'une largeur de quatre cent cinquante toises; ici il n'est que de quatre cents. Le pont de Trajan était un pont de pierres fait en plusieurs années. Le pont de César, sur le Rhin, fut jeté, il est vrai, en huit jours, mais aucune voiture chargée n'y pouvait passer.
Les ouvrages sur le Danube sont les plus beaux ouvrages de campagne qui aient jamais été construits.
Le prince Gagarin, aide-de-camp de l'empereur de Russie, est arrivé avant-hier à quatre heures du matin à Schoenbrunn, au moment où l'empereur montait à cheval. Il était parti de Pétersbourg le 8 juin. Il a apporté des nouvelles de la marche de l'armée russe en Gallicie.
Sa Majesté a quitté Schoenbrunn. Elle campe depuis deux jours. Ses tentes sont fort belles et faites à la manière des tentes égyptiennes.
Wolfersdorf, 8 juillet 1809.
Vingt-cinquième bulletin de la grande armée.
Les travaux du général comte Bertrand et du corps qu'il commande, avaient, dès les premiers jours du mois, dompté entièrement le Danube. S. M. résolut, sur-le-champ, de réunir son armée dans l'île de Lobau, de déboucher sur l'armée autrichienne et de lui livrer une bataille générale. Ce n'était pas que la position de l'armée française ne fût très-belle à Vienne; maîtresse de toute la rive droite du Danube, ayant en son pouvoir l'Autriche et une forte partie de la Hongrie, elle se trouvait dans la plus grande abondance. Si l'on éprouvait quelques difficultés pour l'approvisionnement de la population de Vienne, cela tenait à la mauvaise organisation de l'administration, à quelques embarras que chaque jour aurait fait cesser, et aux difficultés qui naissent naturellement de circonstances telles que celles où l'on se trouvait, et dans un pays où le commerce des grains est un privilége exclusif du gouvernement. Mais comment rester ainsi séparé de l'armée ennemie par un canal de trois ou quatre cents toises, lorsque les moyens de passage avaient été préparés et assurés? C'eût été accréditer les impostures que l'ennemi a débitées et répandues avec tant de profusion dans son pays et dans les pays voisins. C'était laisser du doute sur les événemens d'Esling; c'était enfin autoriser à supposer qu'il y avait une égalité de consistance entre deux armées si différentes, dont l'une était animée et en quelque sorte renforcée par des succès et des victoires multipliées, et l'autre était découragée par les revers les plus mémorables.
Tous les renseignemens que l'on avait sur l'armée autrichienne portaient qu'elle était considérable, qu'elle avait été recrutée par de nombreuses réserves, par les levées de Moravie et de Hongrie, par toutes les landwehrs des provinces; qu'elle avait remonté sa cavalerie par des réquisitions dans tous les cercles, et triplé ses attelages d'artillerie en faisant d'immenses levées de charrettes et de chevaux en Moravie, en Bohême et en Hongrie. Pour ajouter de nouvelles chances en leur faveur, les généraux autrichiens avaient établi des ouvrages de campagne dont la droite était appuyée à Gros-Aspern et la gauche à Enzersdorf.
Les villages d'Aspern, d'Esling et d'Enzersdorf, et les intervalles qui les séparaient, étaient couverts de redoutes palissadées, fraisées et armées de plus de cent cinquante pièces de canon de position, tirées des places de la Bohême et de la Moravie. On ne concevait pas comment il était possible qu'avec son expérience de la guerre, l'empereur voulût attaquer des ouvrages si puissamment défendus, soutenus par une armée qu'on évaluait à deux cent mille hommes, tant de troupes de ligne que des milices et de l'insurrection, et qui étaient appuyés par une artillerie de huit ou neuf cents pièces de campagne. Il paraissait plus simple de jeter de nouveaux ponts sur le Danube, quelques lieues plus bas, et de rendre ainsi inutile le champ de bataille préparé par l'ennemi. Mais dans ce dernier cas, on ne voyait pas comment écarter les inconvéniens qui avaient déjà failli être funestes à l'armée, et parvenir en deux ou trois jours à mettre ces nouveaux ponts à l'abri des machines de l'ennemi.
D'un autre côté, l'empereur était tranquille. On voyait élever ouvrages sur ouvrages dans l'île de Lobau, et établir sur le même point, plusieurs ponts sur pilotis et plusieurs rangs d'estacades.
Cette situation de l'armée française, placée entre ces deux grandes difficultés, n'avait pas échappé à l'ennemi. Il convenait que son armée trop nombreuse et pas assez maniable, s'exposerait à une perte certaine, si elle prenait l'offensive; mais en même temps, il croyait qu'il était impossible de le déposter de la position centrale où il couvrait la Bohême, la Moravie et une partie de la Hongrie. Il est vrai que cette position ne couvrait pas Vienne et que les Français étaient en possession de cette capitale; mais cette position était, jusqu'à un certain point, disputée, puisque les Autrichiens se maintenaient maîtres du Danube, et empêchaient les arrivages des choses les plus nécessaires à la subsistance d'une si grande cité.
Telles étaient les raisons d'espérance et de crainte, et la matière des conversations des deux armées, lorsque le premier juillet, à quatre heures du matin, l'empereur porta son quartier-général à l'île Lobau, qui avait déjà été nommée, par les ingénieurs, île Napoléon; une petite île à laquelle on avait donné le nom du duc de Montebello et qui battait Enzersdorf, avait été armée de dix mortiers et de vingt pièces de dix-huit. Une autre île, nommée île Espagne, avait été armée de six pièces de position de douze et de quatre mortiers. Entre ces deux îles, on avait établi une batterie égale en force à celle de l'île Montebello et battant également Enzersdorf. Ces soixante-deux pièces de position avaient le même but et devaient, en deux heures de temps, raser la petite ville d'Enzersdorf, en chasser l'ennemi, et en détruire les ouvrages. Sur la droite, l'île Alexandre, armée de quatre mortiers, de dix pièces de douze et de douze pièces de six de position, avaient pour but de battre la plaine et de protéger le ploiement et le déploiement de nos ponts.
Le 2, un aide-de-camp du duc de Rivoli passa avec cinq cents voltigeurs, dans l'île du Moulin, et s'en empara. On arma cette île; on la joignit au continent par un petit pont qui allait à la rive gauche. En avant, on construisit une petite flèche que l'on appela redoute Petit. Le soir, les redoutes d'Esling, en parurent jalouses: ne doutant pas que ce ne fût une première batterie que l'on voulait faire agir contre elles, elles tirèrent avec la plus grande activité. C'était précisément l'intention que l'on avait eue en s'emparant de cette île; on voulait y attirer l'attention de l'ennemi pour la détourner du véritable but de l'opération.
Passage du bras du Danube à l'île Lobau.
Le 4, à dix heures du soir, le général Oudinot fit embarquer, sur le grand bras du Danube, quinze cents voltigeurs, commandés par le général Conroux. Le colonel Baste, avec dix chaloupes canonnières, les convoya et les débarqua au-delà du petit bras de l'île Lobau dans le Danube. Les batteries de l'ennemi furent bientôt écrasées, et il fut chassé des bois jusqu'au village de Muhllenten.
À onze heures du soir les batteries dirigées contre Enzersdorf reçurent l'ordre de commencer leur feu. Les obus brûlèrent cette infortunée petite ville, et en moins d'une demi-heure les batteries ennemies furent éteintes.
Le chef de bataillon Dessales, directeur des équipages des ponts, et un ingénieur de marine avaient préparé, dans le bras de l'île Alexandre, un pont de quatre-vingts toises d'une seule pièce et cinq gros bacs.
Le colonel Sainte-Croix, aide-de-camp du duc de Rivoli, se jeta dans des barques avec deux mille cinq cents hommes et débarqua sur la rive gauche.
Le pont d'une seule pièce, le premier de cette espèce qui, jusqu'à ce jour, ait été construit, fut placé en moins de cinq minutes, et l'infanterie y passa au pas accéléré.
Le capitaine Buzelle jeta un pont de bateaux en une heure et demie.
Le capitaine Payerimoffe jeta un pont de radeaux en deux heures.
Ainsi, à deux heures après minuit, l'armée avait quatre ponts, et avait débouché, la gauche à quinze cents toises au-dessous d'Enzersdorf, protégée par les batteries, et la droite sur Vittau. Le corps du duc de Rivoli forma la gauche; celui du comte Oudinot le centre, et celui du duc d'Auerstaedt la droite. Les corps du prince de Ponte-Corvo, du vice-roi et du duc de Raguse, la garde et les cuirassiers formaient la seconde ligne et les réserves. Une profonde obscurité, un violent orage et une pluie qui tombait par torrens, rendait cette nuit aussi affreuse qu'elle était propice à l'armée française et qu'elle devait lui être glorieuse.
Le 5, aux premiers rayons du soleil, tout le monde reconnut quel avait été le projet de l'empereur, qui se trouvait alors avec son armée en bataille sur l'extrémité de la gauche de l'ennemi, ayant tourné ses camps retranchés, ayant rendu tous ses ouvrages inutiles, et obligeant ainsi les Autrichiens à sortir de leurs positions et à venir lui livrer bataille, dans le terrain qui lui convenait. Ce grand problème était résolu, et sans passer le Danube ailleurs, sans recevoir aucune protection des ouvrages qu'on avait construits, on forçait l'ennemi à se battre à trois quarts de lieue de ses redoutes. On présagea dès-lors les plus grands et les plus heureux résultats.
A huit heures du matin, les batteries qui tiraient sur Enzersdorf avaient produit un tel effet que l'ennemi s'était borné à laisser occuper cette ville par quatre bataillons. Le duc de Rivoli fit marcher contre elle son premier aide-de-camp Sainte-Croix, qui n'éprouva pas une grande résistance, s'en empara et fit prisonnier tout ce qui s'y trouvait.
Le comte Oudinot cerna le château de Sachsengand que l'ennemi avait fortifié, fit capituler les neuf cents hommes qui le défendaient, et prit douze pièces de canon. L'empereur fit alors déployer toute l'armée dans l'immense plaine d'Enzersdorf.
Bataille d'Enzersdorf.
Cependant, l'ennemi, confondu dans ses projets, revint peu a peu de sa surprise, et tenta de ressaisir quelques avantages dans ce nouveau champ de bataille. A cet effet, il détacha plusieurs colonnes d'infanterie, un bon nombre de pièces d'artillerie, et sa cavalerie tant de ligue qu'insurgée, pour essayer de déborder la droite de l'armée française. En conséquence, il vint occuper le village de Rutzendorf. L'empereur ordonna au général Oudinot de faire enlever ce village, à la droite duquel il fit passer le duc d'Auerstaedt, pour se diriger sur le quartier-général du prince Charles, en marchant toujours de la droite a la gauche.
Depuis midi jusqu'à neuf heures du soir, on manoeuvra dans cette immense plaine; on occupa tous les villages, et à mesure qu'on arrivait à la hauteur des camps retranchés de l'ennemi, ils tombaient d'eux-mêmes et comme par enchantement. Le duc de Rivoli les faisait occuper sans résistance. C'est ainsi que nous nous sommes emparés des ouvrages d'Esling et de Gros-Aspern, et que le travail de quarante jours n'a été d'aucune utilité à l'ennemi. Il fit quelque résistance au village de Raschdorf, que le prince de Ponte-Corvo fit attaquer et enlever par les Saxons. L'ennemi fut partout mené battant et écrasé par la supériorité de notre feu. Cet immense champ de bataille resta couvert de ses débris.
Bataille de Wagram.
Vivement effrayé des progrès de l'armée française et des grands résultats qu'elle obtenait presque sans effort, l'ennemi fit marcher presque toutes ses troupes, et à six heures du soir, il occupa la position suivante: sa droite, de Stadelau à Gerardorf; son centre, de Gerardorf à Wagram, et sa gauche, de Wagram à Neusiedel. L'armée française avait sa gauche à Gros-Aspern, son centre à Raschdorf, et sa droite à Gluzendorf. Dans cette position, la journée paraissait presque finie, et il fallait s'attendre à avoir le lendemain une grande bataille; mais on l'évitait et on, coupait la position de l'ennemi en l'empêchant de concevoir aucun système, si dans la nuit on s'emparait du village de Wagram. Alors sa ligne, déjà immense, prise à la hâte et par les chances du combat, laissait errer les différens corps de l'armée sans ordre et sans direction, et on en aurait eu bon marché sans engagement sérieux. L'attaque de Wagram eut lieu, nos troupes emportèrent ce village; mais une colonne de Saxons et une colonne de Français se prirent dans l'obscurité pour des troupes ennemies, et cette opération fut manquée.
On se prépara alors à la bataille de Wagram. Il parait que les dispositions du général français et du général autrichien furent inverses. L'empereur passa toute la nuit à rassembler ses forces sur son centre où il était de sa personne à une portée de canon de Wagram. A cet effet, le duc de Rivoli se porta sur la gauche d'Aderklau en laissant sur Aspern une seule division qui eut ordre de se replier en cas d'événement sur l'île de Lobau. Le duc d'Auerstaedt recevait l'ordre de dépasser le village de Grosshoffen pour s'approcher du centre. Le général autrichien, au contraire, affaiblissait son centre pour garnir et augmenter ses extrémités auxquelles il donnait une nouvelle étendue.
Le 6, à la pointe du jour, le prince de Ponte-Corvo occupa la gauche, ayant en seconde ligne le duc de Rivoli. Le vice-roi le liait au centre, où le corps du comte Oudinot, celui du duc de Raguse, ceux de la garde impériale, et les divisions de cuirassiers formaient sept ou huit lignes.
Le duc d'Auerstaedt marcha de la droite pour arriver au centre. L'ennemi, au contraire, mettait le corps de Bellegarde en marche sur Stadelau. Les corps de Kollowrath, de Lichtenstein et de Hiller liaient cette droite à la position de Wagram où était le prince de Hohenzollern, et à l'extrémité de la gauche à Neusiedel, où débouchait le corps de Rosemberg pour déborder également le duc d'Auerstaedt. Le corps de Rosemberg et celui du duc d'Auerstaedt faisant un mouvement inverse, se rencontrèrent aux premiers rayons du soleil, et donnèrent le signal de la bataille. L'empereur se porta aussitôt sur ce point, fit renforcer le duc d'Auerstaedt par la division de cuirassiers du duc de Padoue, et fit prendre le corps de Rosemberg en flanc par une batterie de douze pièces de la division du général comte de Nansouty. En moins de trois quarts d'heure le beau corps du duc d'Auerstaedt eut fait raison du corps de Rosemberg, le culbuta et le rejeta au-delà de Neusiedel après lui avoir fait beaucoup de mal.
Pendant ce temps, la canonnade s'engageait sur toute la ligne et la disposition de l'ennemi se développait de moment en moment. Toute sa gauche se garnissait d'artillerie. On eût dit que le général autrichien ne se battait pas pour la victoire, mais qu'il n'avait en vue que le moyen d'en profiter. Cette disposition de l'ennemi paraissait si insensée, que l'on craignait quelque piège, et que l'empereur différa quelque temps avant d'ordonner les faciles dispositions qu'il avait à faire pour annuler celles de l'ennemi et les lui rendre funestes. Il ordonna au duc de Rivoli de faire une attaque sur un village qu'occupait l'ennemi, et qui pressait un peu l'extrémité du centre de l'armée. Il ordonna au duc d'Auerstaedt de tourner la position de Neusiedel et de pousser de là sur Wagram au moment où déboucherait le duc de Rivoli.
Sur ces entrefaites, on vint prévenir que l'ennemi attaquait avec fureur le village qu'avait enlevé le duc de Rivoli, que notre gauche était débordée de trois mille toises, qu'une vive canonnade se faisait déjà entendre à Gros-Aspern, et que l'intervalle de Gros-Aspern à Wagram paraissait couvert d'une immense ligne d'artillerie. Il n'y eut plus à douter; l'ennemi commettait une énorme faute; il ne s'agissait que d'en profiter. L'empereur ordonna sur-le-champ au général Macdonald de disposer les divisions Broussier et Lamarque en colonnes d'attaque; il les fit soutenir par la division du général Nansouty, par la garde à cheval, et par une batterie de soixante pièces de la garde et de quarante pièces de différens corps. Le général comte de Lauriston, à la tête de cette batterie de cent pièces d'artillerie, marcha au trot à l'ennemi, s'avança sans tirer jusqu'à demi-portée de canon, et là commença un feu prodigieux qui éteignit celui de l'ennemi, et porta la mort dans ses rangs. Le général Macdonald marcha alors au pas de charge; le général de division Reille, avec la brigade de fusiliers et de tirailleurs de la garde, soutenait le général Macdonald. La garde avait fait un changement de front pour rendre cette attaque infaillible. Dans un clin d'oeil, le centre de l'ennemi perdit une lieue de terrain; sa droite, épouvantée, sentit le danger de la position où elle s'était placée, et rétrograda en grande hâte. Le duc de Rivoli l'attaqua alors en tète. Pendant que la déroute du centre portait la consternation et forçait les mouvemens de la droite de l'ennemi, sa gauche était attaquée et débordée par le duc d'Auerstaedt, qui avait enlevé Neusiedel, et qui, étant monté sur le plateau, marchait sur Wagram. La division Broussier et la division Gudin se sont couvertes de gloire.
Il n'était alors que dix heures du matin, et les hommes les moins clairvoyans voyaient que la journée était décidée et que la victoire était à nous.
A midi, le comte Oudinot marcha sur Wagram pour aider à l'attaque du duc d'Auerstaedt. Il y réussit et enleva cette importante position. Dès dix heures, l'ennemi ne se battait plus que pour sa retraite; dès midi, elle était prononcée et se faisait en désordre, et beaucoup avant la nuit, l'ennemi était hors de vue. Notre gauche était placée à Jetessée et Ebersdorf, notre centre sur Obersdorf, et la cavalerie de notre droite avait des postes jusqu'à Shoukirchen.
Le 7, à la pointe du jour, l'armée était en mouvement et marchait sur Kornenbourg et Wolkersdorf, et avait des postes sur Nicolsbourg. L'ennemi, coupé de la Hongrie et de la Moravie, se trouvait acculé du côté de la Bohême.
Tel est le récit de la bataille de Wagram, bataille décisive et à jamais célèbre, où trois à quatre cent mille hommes, douze à quinze cents pièces de canon se battaient pour de grands intérêts, sur un champ de bataille étudié, médité, fortifié par l'ennemi depuis plusieurs mois. Dix drapeaux, quarante pièces de canon, vingt mille prisonniers, dont trois ou quatre cents officiers et bon nombre de généraux, de colonels et de majors, sont les trophées de cette victoire. Les champs de bataille sont couverts de morts, parmi lesquels on trouve les corps de plusieurs généraux, et entre autres d'un nommé Normann, Français, traître à sa patrie, qui avait prostitué ses talens contre elle.
Tous les blessés de l'ennemi sont tombés en notre pouvoir. Ceux qu'il avait évacués au commencement de l'action, ont été trouvés dans les villages environnans. On peut calculer que le résultat de cette bataille sera de réduire l'armée autrichienne à moins de soixante mille hommes.
Notre perte a été considérable: on l'évalue à quinze cents hommes tués et à trois ou quatre mille blessés. Le duc d'Istrie, au moment où il disposait l'attaque de la cavalerie, a eu son cheval emporté d'un coup de canon; le boulet est tombé sur sa selle, et lui a fait une légère contusion à la cuisse.
Le général de division Lasalle a été tué d'une balle. C'était un officier du plus grand mérite et l'un de nos meilleurs généraux de cavalerie légère.
Le général bavarois de Wrede, et les généraux Seras, Grenier, Vignolle, Sahuc, Frère et Defrance ont été blessés.
Le colonel prince Aldobrandini a été frappé au bras par une balle. Les majors de la garde Daumesnil et Corbineau et le colonel Sainte-Croix, ont aussi été blessés. L'adjudant-commandant Duprat a été tué. Le colonel du neuvième d'infanterie de ligne est resté sur le champ de bataille. Ce régiment s'est couvert de gloire.
L'état-major fait dresser l'état de nos pertes.
Une circonstance particulière de cette grande bataille, c'est que les colonnes les plus rapprochées de Vienne n'en étaient pas à douze cents toises. La nombreuse population de cette capitale couvrait les tours, les clochers, les toits, les monticules pour être témoin de ce grand spectacle.
L'empereur d'Autriche avait quitté Wolkersdorf le 6, à cinq heures du matin, et était monté sur un belvédère d'où il voyait le champ de bataille, et où il est resté jusqu'à midi. Il est alors parti en toute hâte.
Le quartier-général français est arrivé à Wolkersdorf, dans la matinée du 7.
Wolkersdorf, 9 juillet 1809.
Vingt-sixième bulletin de la grande armée.
La retraite de l'ennemi est une déroute. On a ramassé une partie de ses équipages; ses blessés sont tombés en notre pouvoir; on compte déjà au-delà de douze mille hommes; tous les villages en sont remplis. Dans cinq de ses hôpitaux seulement on en a trouvé plus de six mille.
Le duc de Rivoli, poursuivant l'ennemi par Stokerau, est déjà arrivé à Hollabrunn.
Le duc de Raguse l'avait d'abord suivi sur la route de Brunn, qu'il a quittée à Wolfersdorf pour prendre celle de Znaïm. Aujourd'hui, à neuf heures du matin, il a rencontré à Laa une arrière-garde qu'il a culbutée, et à laquelle il a fait neuf cents prisonniers. Il sera demain à Znaïm.
Le duc d'Auerstaedt est arrivé aujourd'hui à Nicolsbourg.
L'empereur d'Autriche, le prince Antoine, une suite d'environ deux cents calèches, carrosses et autres voitures, ont couché, le 6, à Erensbrunn; le 7, à Hollabrunn, et le 8 à Znaïm, d'où ils sont partis le 9 au matin: selon les rapports des gens du pays qui les conduisaient, leur abattement était extrême.
L'un des princes de Rohan a été trouvé blessé sur le champ de bataille. Le feld-maréchal lieutenant Wussakowicz est parmi les prisonniers.
L'artillerie de la garde s'est couverte de gloire; le major d'Aboville qui la commandait, a été blessé. L'empereur l'a fait général de brigade. Le chef d'escadron d'artillerie Grenier a eu un bras emporté. Ces intrépides canonniers ont montré toute la puissance de cette arme terrible.
Les chasseurs à cheval de la garde ont chargé, le jour de là bataille de Wagram, trois carrés d'infanterie qu'ils ont enfoncés; ils ont pris quatre pièces de canon. Les chevau-légers polonais de la garde ont chargé un régiment de lanciers. Ils ont fait prisonnier le prince d'Awersperg et pris deux pièces de canon.
Les hussards saxons d'Albert ont chargé les cuirassiers d'Albert, et leur ont pris un drapeau. C'était une chose fort singulière de voir deux régimens appartenant au même colonel combattre l'un contre l'autre.
Il paraît que l'ennemi abandonne la Moravie et la Hongrie et se retire en Bohême.
Les routes sont couvertes de gens de la landwehr et de la levée en masse, qui retournent chez eux.
Les pertes que la désertion ajoute à celles que l'ennemi a éprouvées, en tués, blessés et prisonniers, concourent a l'anéantissement de cette armée.
Les nombreuses lettres interceptées font un tableau frappant du mécontentement de l'armée ennemie et du désordre qui y règne.
A présent que la monarchie autrichienne est sans espérance, ce serait mal connaître le caractère de ceux qui l'ont gouvernée, que de ne pas s'attendre qu'ils s'humilieront, comme ils le firent après la bataille d'Austerlitz. A cette époque ils étaient, comme aujourd'hui, sans espoir, et ils épuisèrent les protestations et les sermens.
Pendant la journée du 6, l'ennemi a jeté sur la rive droite du Danube quelques centaines d'hommes des postes d'observation. Ils se sont rembarques après avoir perdu quelques hommes tués ou faits prisonniers.
La chaleur a été excessive ces jours-ci; le thermomètre a été presque constamment à vingt-six degrés.
Le vin est en très-grande abondance. Il y a tel village où on eu a trouvé jusqu'à trois millions de pintes. Il n'a heureusement aucune qualité malfaisante.
Vingt villages, les plus considérables de la belle plaine de Vienne, et tels qu'on en voit aux environs d'une grande capitale, ont été brûlés pendant la bataille. La juste haine de la nation se prononce contre les hommes criminels qui ont attiré tous ces malheurs sur elle.
Le général de brigade Laroche est entré, le 28 juin, avec un corps de cavalerie, à Nuremberg et s'est dirigé sur Bayreuth; il a rencontré l'ennemi à Besentheim, l'a fait charger par le premier régiment provisoire de dragons, a sabré tout ce qui s'est trouvé devant lui, et a pris deux pièces de canon.
Znaïm, 13 juillet 1809.
Vingt-septième bulletin de la grande armée.
Le 10, le duc de Rivoli a battu devant Hollabrunn l'arrière-garde ennemie.
Le même jour à midi, le duc de Raguse, arrivé sur les hauteurs de Znaïm, vit les bagages et l'artillerie de l'ennemi qui filaient sur la Bohême. Le général Bellegarde lui écrivit que le prince Jean de Lichtenstein se rendait auprès de l'empereur avec une mission de son maître, pour traiter de la paix, et demanda en conséquence une suspension d'armes. Le duc de Raguse répondit qu'il n'était pas en son pouvoir d'accéder à cette demande, mais qu'il allait en rendre compte à l'empereur. En attendant il attaqua l'ennemi, lui enleva une belle position, lui fit des prisonniers et prit deux drapeaux.
Le même jour au matin, le duc d'Auerstaedt avait passé la Taya vis-à-vis Nicolsbourg, et le général Grouchy avait battu l'arriére-garde du prince de Rosemberg et lui avait fait quatre cent cinquante prisonniers du régiment du prince Charles.
Le 11 a midi, l'empereur arriva vis-à-vis Znaïm. Le combat était engagé. Le duc de Raguse avait débordé la ville, et le duc de Rivoli s'était emparé du pont et avait occupé la fabrique de tabac. On avait pris à l'ennemi, dans les différens engagemens de celle journée, trois mille hommes, deux drapeaux et trois pièces de canon. Le général de brigade Bruyères, officier d'une grande espérance, a été blessé. Le général de brigade Guiton a fait une belle charge avec le dixième de cuirassiers. L'empereur instruit que le prince Jean de Lichtenstein, envoyé auprès de lui, était entré dans nos avant-postes, fît cesser le feu. Un armistice fut signé à minuit chez le prince de Neufchâtel. Le prince de Lichtenstein a été présenté à l'empereur dans sa tente à deux heures du matin.
Znaïm, en Moravie, 13 juillet 1809.
Circulaire aux évéques.
M. l'évêque de......, les victoires d'Enzersdorf et de Wagram, où le Dieu des armées a si visiblement protégé les armées françaises, doivent exciter la plus vive reconnaissance dans le coeur de nos peuples. Notre intention est donc qu'au reçu de la présente vous vous concertiez avec qui de droit pour réunir nos peuples dans les églises, et adresser au ciel des actions de grâces et des prières conformes aus sentimens qui nous animent.
Notre Seigneur Jésus-Christ, quoique issu du sang de David, ne voulut aucun règne temporel. Il voulut au contraire qu'on obéît à César dans le règlement des affaires de la terre; il ne fut animé que du grand objet de la rédemption, et du salut des âmes. Héritier du pouvoir de César, nous sommes résolus à maintenir l'indépendance de notre trône et de nos droits. Nous persévérons dans le grand oeuvre du rétablissement de la religion. Nous environnerons ses ministres de la considération que nous seul pouvons leur donner. Nous écouterons leur voix dans tout ce qui a rapport au spirituel et au règlement des consciences.
Au milieu des soins des camps, des alarmes et des sollicitudes de la guerre, nous avons été bien aise de vous donner connaissance de ces sentimens afin de faire tomber dans le mépris ces oeuvres de l'ignorance et de la faiblesse, de la méchanceté ou de la démence, par lesquelles on voudrait semer le trouble et le désordre dans nos provinces. On ne nous détournera pas du grand but vers lequel nous tendons, et que nous avons déjà en partie heureusement atteint, le rétablissement des autels de notre religion, en nous portant à croire que ses principes sont incompatibles, comme l'ont prétendu les Grecs, les Anglais, les protestans et les calvinistes, avec l'indépendance des trônes et des nations. Dieu nous a assez éclairé pour que nous soyons loin de partager de pareilles erreurs: notre coeur et ceux de nos sujets n'éprouvent point de semblables craintes. Nous savons que ceux qui voudraient faire dépendre de l'intérêt d'un temporel périssable, l'intérêt éternel des consciences et des affaires spirituelles, sont hors de la charité, de l'esprit et de la religion de celui qui a dit: Mon empire n'est pas dans ce monde. Cette lettre n'étant à d'autres fins, je prie Dieu, monsieur l'évêque, qu'il vous ait en sa sainte garde.
NAPOLÉON.
Vienne, 14 juillet 1809.
Vingt-huitième bulletin de la grande armée.
Le Danube a crû de six pieds. Les ponts de bateaux qu'on avait établis devant Vienne depuis la bataille de Wagram, ont été rompus par les effets de la crue. Mais nos ponts d'Ebersdorf, solides et permanens, n'en ont pas souffert. Ces ponts et les ouvrages de l'île de Lobau sont le sujet de l'admiration des militaires autrichiens. Ils avouent que de tels travaux à la guerre sont sans exemple depuis les Romains.
L'archiduc Charles ayant envoyé le général-major Weisseuvof complimenter l'empereur, et depuis, le baron Wimpffen et le prince Jean de Lichtenstein ayant fait la même politesse en son nom, S. M., a jugé à propos de lui envoyer le duc de Frioul, grand-maréchal du palais, qui l'a trouvée Budweis et a passé une partie de la journée d'hier à son quartier-général.
L'empereur est parti hier à neuf heures du matin de son camp de Znaïm, et est arrivé au palais de Schoenbrunn à trois heures après-midi. S. M. a visité les environs du village de Spilz qui forme la tête du pont de Vienne. Elle a ordonné au général comte Bertrand différens ouvrages qui doivent avoir été tracés et commencés aujourd'hui.
Le pont sur pilotis de Vienne sera rétabli dans le plus court délai.
S. M. a nommé maréchaux de l'empire le général Oudinot, le duc de Raguse et le général Macdonald; le nombre des maréchaux était de onze. Cette nomination le porte à quatorze: il reste encore deux places vacantes. Les places de colonel-général des Suisses et de colonel-général des chasseurs sont aussi vacantes.
Le colonel-général des chasseurs est, d'après nos constitutions, grand-officier de l'empire.
S. M. a témoigné sa satisfaction de la manière dont la chirurgie a servi, et particulièrement des services du chirurgien en chef Heurteloup.
Le 7, S. M. traversant le champ de bataille a fait enlever un grand nombre de blessés et y a laissé le duc de Frioul, grand-maréchal du palais, qui y a passé toute la journée.
Le nombre des blessés autrichiens tombés en notre pouvoir s'élève de douze à treize mille.
Les Autrichiens ont eu dix-neuf généraux tués ou blessés. On a remarqué comme un fait singulier que les officiers français, soit de l'ancienne France, soit des nouvelles provinces, qui se trouvaient au service d'Autriche, ont pour la plupart péri.
On a intercepté plusieurs courriers, et l'on a trouvé dans les lettres dont ils étaient porteurs, une correspondance suivie de Gentz avec le comte Stadion. L'influence de ce misérable dans les grandes décisions du cabinet autrichien est ainsi matériellement prouvée. Voilà les instrumens dont l'Angleterre se servait comme d'une nouvelle boîte de Pandore pour souffler les tempêtes et répandre les poisons sur le continent.
Le corps du duc de Rivoli forme ses camps dans le cercle de Znaïm. Celui du duc d'Auerstaedt dans le cercle de Brunn; celui du maréchal duc de Raguse dans le cercle de Korn-Neubourg; celui du maréchal Oudinot, en avant de Vienne à Spitz; celui du vice-roi, sur Presbourg et Gratz. La garde impériale rentre dans les environs de Schoenbrunn.
La récolte est très-belle et partout d'une grande abondance. L'armée est cantonnée dans de superbes pays, riches en denrées de toutes espèces, et surtout en vins.
Vienne, 22 juillet 1809.
Vingt-neuvième bulletin de la grande armée.
Les généraux Durosnel et Foulers sont arrivés au quartier-général. Les conjectures qu'on avait formées au sujet du général Durosnel se sont toutes trouvées fausses. Il n'a pas été blessé; il n'a pas eu de cheval tué sous lui; mais en revenant de porter au duc de Montebello, dans la journée du 22 mai, l'ordre de concentrer son mouvement à cause de la rupture des ponts, il traversa un ravin où il trouva vingt-cinq hussards qu'il croyait former un de nos postes. Il ne s'aperçut qu'ils étaient ennemis qu'au moment où ils lui sautèrent au collet. Comme on avait été long-temps sans avoir de ses nouvelles, et d'après quelques autres indices, on l'avait cru mort.
Le général de division Reynier a pris le commandement des Saxons, et a occupé Presbourg.
Le maréchal Macdonald s'est mis en marche pour aller prendre possession de la citadelle de Gratz, où il doit être entré aujourd'hui.
Le maréchal duc de Raguse a campé ses troupes sur les hauteurs de Krems.
S. M. assiste tous les matins aux parades de la garde, qui sont fort belles. Les vélites et les grenadiers à pied de la garde italienne se font remarquer par une excellente tenue.
Le prince Jean de Lichtenstein revenant de Bude, a été présenté le 18 à S. M. Il apportait une lettre de l'empereur d'Autriche.
Le comte de Bubna, général-major aide-de-camp de l'empereur d'Autriche, a dîné plusieurs fois chez M. le comte Champagny.
Sur les rives du Danube on a rassemblé et réparé les bateaux du commerce qui avaient été dispersés par les événemens de la guerre, et on les charge partout de bois, de légumes, de blés et de farines. On en voit arriver chaque jour.
Toute l'armée est campée.
Vienne, 30 juillet 1809.
Trentième bulletin de la grande armée.
Le neuvième corps, que commandait le prince de Ponte-Corvo, a été dissous le 8. Les Saxons qui en faisaient partie sont sous les ordres du général Reynier. Le prince de Ponte-Corvo est allé prendre les eaux. Dans la bataille de Wagram, le village de Wagram a été enlevé le 6, entre dix et onze heures du matin, et la gloire en appartient tout entière au maréchal Oudinot et à son corps.
D'après tous les renseignemens qui ont été pris, la maison d'Autriche se préparait à la guerre depuis près de quatre ans, c'est'à-dire, depuis la guerre de Presbourg. Son état militaire lui a coûté pendant trois années trois cents millions de francs chaque année. Aussi son papier-monnaie, qui ne se montait qu'à un milliard de francs, lors de la paix de Presbourg, passe-il aujourd'hui deux milliards.
La maison d'Autriche est entrée en campagne avec soixante-deux régimens de ligne, dix-huit régimens de frontières, quatre corps francs ou légions, ayant ensemble un présent sous les armes de trois cent dix mille hommes; cent cinquante bataillons de landwehr, commandés par d'anciens officiers et exercés pendant dix mois, formant cent cinquante mille hommes; quarante mille hommes de l'insurrection hongroise, et soixante mille hommes de cavalerie, d'artillerie et de sapeurs; ce qui a porté ses forces réelles de cinq à six cents mille hommes. Aussi la maison d'Autriche se croyait-elle sûre de la victoire. Elle espérait balancer les destins de la France, lors même que toutes nos forces auraient été réunies, et elle ne doutait pas qu'elle s'avançât sur le Rhin, sachant que la majeure partie de nos troupes et nos plus beaux régimens étaient en Espagne. Cependant ses armées sont aujourd'hui réduites à moins du quart, tandis que l'armée française est doublée de ce qu'elle était à Ratisbonne.
Ces efforts, la maison d'Autriche n'a pu les faire qu'une fois. C'est un miracle attaché au papier-monnaie. Le numéraire est si rare, que l'on ne croit pas qu'il y ait dans les états de cette monarchie, soixante millions de francs en espèces. C'est ce qui soutient le papier-monnaie, puisque près de deux milliards, qui, moyennant la réduction au tiers, ne valent que six à sept cents millions, ne sont que le signe nécessaire à la circulation.
On a trouvé dans la citadelle de Gratz vingt-deux pièces de canon.
La forteresse de Sachsenbourg, située aux débouchés du Tyrol, a été remise au-général Rusca.
Le duc de Dantzick est entré en Tyrol avec vingt-cinq mille hommes. Il a occupé le 28 Lovers, et il a partout désarmé les habitans. Il doit en ce moment être à Inspruck.
Le général Thielmann est entré à Dresde.
Le duc d'Abrantès est à Bayreuth. Il a établi ses postes sur les frontières de la Bohême.
Schoenbrunn, 7 septembre 1809.
Lettre de S. M. l'empereur et roi au ministre de la guerre.
Monsieur le comte de Hunebourg, notre ministre de la guerre, des rapports qui sont sous nos yeux, contiennent les assertions suivantes: le gouverneur commandant la place de Flessingue n'aurait pas exécuté l'ordre que nous lui avions donné de couper les digues et d'inonder l'île de Walcheren, aussitôt qu'une force supérieure ennemie y aurait débarqué; il aurait rendu la place que nous lui avions confiée, l'ennemi n'ayant pas exécuté le passage du fossé, le revêtement du rempart étant sans brèche praticable et intact dès-lors, sans avoir soutenu d'assaut, et même lorsque les tranchées des ennemis n'étaient qu'à cent cinquante toises de la place, et lorsqu'il avait encore quatre mille hommes sous les armes; enfin, la place se serait rendue par l'effet d'un premier bombardement. Si telle était la vérité, le gouverneur serait coupable, et il resterait à savoir si c'est à la trahison ou à la lâcheté que nous devrions attribuer sa conduite.
Nous vous écrivons la présente lettre close, pour qu'aussitôt après l'avoir reçue, vous ayez à réunir un conseil d'enquête, qui sera composé du comte Aboville, sénateur; du comte Rampon, sénateur; du vice-amiral Thévenard, et du comte Sougis, premier inspecteur-général de l'artillerie. Toutes les pièces qui se trouveront dans votre ministère, dans ceux de la marine, de l'intérieur, de la police, ou de tout autre département, sur la reddition de la place de Flessingue, tant sous le rapport de la défense, que de tout autre objet qui pourrait intéresser notre service, seront adressées au conseil, pour nous être mises sous les yeux, avec le résultat de ladite enquête.
Cette lettre n'étant à autre fin, nous prions Dieu, monsieur le comte de Hunebourg, qu'il'vous ait en sa sainte garde.
Signé NAPOLÉON.
Paris, 3 décembre 1809.
Discours de S. M. l'empereur, à l'ouverture du corps législatif.
Messieurs les députés des départemens au corps législatif, depuis votre dernière session, j'ai soumis l'Aragon et la Castille, et chassé de Madrid le gouvernement fallacieux formé par l'Angleterre.
Je marchais sur Cadix et Lisbonne, lorsque j'ai dû revenir sur mes pas, et planter mes aigles sur les remparts de Vienne. Trois mois ont vu naître et terminer cette quatrième guerre punique. Accoutumé au dévouement et au courage de mes armées, je ne puis cependant, dans cette circonstance, ne pas reconnaître les preuves particulières d'amour que m'ont données mes soldats d'Allemagne.
Le génie de la France a conduit l'armée anglaise; elle a terminé ses destins dans les marais pestilentiels de Walcheren. Dans cette importante circonstance, je suis resté éloigné de quatre cents lieues, certain de la nouvelle gloire qu'allaient acquérir mes peuples et du grand caractère qu'ils allaient déployer. Mes espérances n'ont pas été trompées. Je dois des remercîmens en particulier, aux citoyens des départemens du Pas-de-Calais et du Nord ... Français! tout ce qui voudra s'opposer à vous, sera vaincu et soumis. Votre grandeur s'accroîtra de toute la haine de vos ennemis. Vous avez devant vous de longues années de gloire et de prospérité à parcourir. Vous avez la force et l'énergie de l'Hercule des anciens.
J'ai réuni la Toscane à l'empire. Ces peuples en sont dignes par la douceur de leur caractère, par l'attachement que nous ont toujours montré leurs ancêtres, et par les services qu'ils ont rendus à la civilisation européenne.
L'histoire m'a indiqué la conduite que je devais tenir envers Rome. Les papes, devenus souverains d'une partie de l'Italie, se sont constamment montrés les ennemis de toute puissance prépondérante dans la Péninsule. Ils ont employé leur influence spirituelle pour lui nuire. Il m'a donc été démontré que l'influence spirituelle exercée dans mes états par un souverain étranger, était contraire à l'indépendance de la France, à la dignité et à la sûreté de mon trône. Cependant, comme je reconnais la nécessité de l'influence spirituelle des descendans du premier des pasteurs, je n'ai pu concilier ces grands intérêts qu'en annulant la donation des empereurs français, mes prédécesseurs, et en réunissant les états romains à la France.
Par le traité de Vienne, tous les rois et souverains, mes alliés, qui m'ont donné tant de témoignages de la constance de leur amitié, ont acquis et acquerront un nouvel accroissement de territoire.
Les provinces Illyriennes portent sur la Save les frontières de mon grand empire. Contigu avec l'empire de Constantinople, je me trouverai en situation naturelle de surveiller les premiers intérêts de mon commerce dans la Méditerranée, l'Adriatique et le Levant. Je protégerai la Porte, si la Porte s'arrache à la funeste influence de l'Angleterre: je saurai la punir si elle se laisse dominer par des conseils astucieux et perfides.
J'ai voulu donner une nouvelle preuve de mon estime à la nation suisse, en joignant à mes titres celui de son médiateur, et mettre un terme à toutes les inquiétudes que l'on cherche à répandre parmi cette brave nation.
La Hollande, placée entre l'Angleterre et la France, en est également froissée. Cependant, elle est le débouché des principales artères de mon empire. Des changemens deviendront nécessaires; là sûreté de mes frontiéres et l'intérêt bien entendu des deux pays l'exigent impérieusement.
La Suède a perdu, par son alliance avec l'Angleterre, après une guerre désastreuse, la plus belle et la plus importante de ses provinces. Heureuse cette nation, si le prince sage qui la gouverne aujourd'hui eût pu monter sur le trône quelques années plus tôt! Cet exemple prouve de nouveau aux rois que l'alliance de l'Angleterre est le présage le plus certain de leur ruine.
Mon allié et ami, l'empereur de Russie, a réuni à son vaste empire, la Finlande, la Moldavie, la Valachie, et un district de la Gallicie. Je ne suis jaloux de rien de ce qui peut arriver de bien à cet empire. Mes sentimens pour son illustre souverain sont d'accord avec ma politique.
Lorsque je me montrerai au-delà des Pyrénées, le léopard épouvanté cherchera l'Océan, pour éviter la honte, la défaite et la mort. Le triomphe de mes armes sera le triomphe du génie du bien sur celui du mal, de la modération, de l'ordre, de la morale, sur la guerre civile, l'anarchie et les passions malfaisantes. Mon amitié et ma protection rendront, je l'espère, la tranquillité et le bonheur aux peuples des Espagnes.
Messieurs les députés des départemens au corps législatif, j'ai chargé mon ministre de l'intérieur de vous faire connaître l'historique de la législation, de l'administration et des finances, dans l'année qui vient de s'écouler. Vous y verrez que toutes les pensées que j'ai conçues pour l'amélioration de mes peuples, se sont suivies avec la plus grande activité; que dans Paris, comme dans les parties les plus éloignées de mon empire, là guerre n'a apporté aucun retard dans les travaux. Les membres de mon conseil d'état vous présenteront différens projets de lois, spécialement la loi sur les finances; vous y verrez leur état prospère. Je ne demande à mes peuples aucun nouveau sacrifice, quoique les circonstances m'aient obligé à doubler mon état militaire.