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Œuvres de Napoléon Bonaparte, Tome IV.

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Paris, le 4 février 1808.

Lettre de S. M. l'empereur et roi, à madame mère.

Madame.

J'ai lu avec attention les procès-verbaux du chapitre-général des soeurs de la Charité. J'ai fort à coeur de voir s'augmenter et s'accroître le nombre des maisons et des individus de ces différentes institutions, ayant pour but le soulagement et le soin des malades de mon empire.

J'ai fait connaître à mon ministre des cultes ma volonté, que les réglemens de ces différentes institutions fussent révisés et arrêtés définitivement par mon conseil, dans l'année. Je désire que les chefs des différentes maisons sentent la nécessité de réunir des institutions séparées autant que cela sera possible; elles acquerront plus de considération, trouveront plus de facilités pour leur administration, et auront droit à ma protection spéciale. Toutes les maisons que les députés ont demandées, tous les secours de premier établissement et secours annuels que vous-avez jugé convenable de demander pour elles, seront accordés. Je suis même disposé à leur faire de nouvelles et de plus grandes faveurs, toutes les fois que les différens chefs des maisons seconderont de tous leurs efforts et de tout leur zèle le voeu de mon coeur pour le soulagement des pauvres, et en se dévouant avec cette charité que notre sainte religion peut seule inspirer au service des hôpitaux et des malheureux. Je ne puis, madame, que vous témoigner ma satisfaction du zèle que vous montrez et des nouveaux soins que vous vous donnez. Ils ne peuvent rien ajouter aux sentimens de vénération et à l'amour filial que je vous porte. Votre affectionné fils.

NAPOLÉON.




Paris, le 15 février 1808.

Message de S. M. au Sénat-conservateur.

Sénateurs,

Nous avons jugé convenable de nommer notre beau-frère le prince Borghèse à la dignité de gouverneur-général, érigée par le sénatus-consulte organique du 2 du présent mois. Nos peuples des départemens au-delà des Alpes reconnaîtront dans la création de cette dignité, et dans le choix que nous avons fait pour la remplir, notre désir d'être plus immédiatement instruit de tout ce qui peut les intéresser, et le sentiment qui rend toujours présentes à notre pensée les parties même les plus éloignées de notre empire.

NAPOLÉON.




Paris, le 27 février 1807.

Réponse de S. M. à une députation de la deuxième classe de l'Institut.

Messieurs les députés de la seconde classe de l'Institut, si la langue française est devenue une langue universelle, c'est aux hommes de génie qui ont siégé, ou qui siégent parmi vous, que nous en sommes redevables.

J'attache du prix au succès de vos travaux; ils tendent à éclairer mes peuples et sont nécessaires à la gloire de ma couronne.

J'ai entendu avec satisfaction le compte que vous venez de me rendre.

Vous pouvez compter sur ma protection.




Paris, le 5 mars 1808.

Réponse de S. M. à une députation de la quatrième classe de l'Institut.

Messieurs les président et députés de la quatrième classe de l'Institut, Athènes et Rome sont encore célèbres par leurs succès dans les arts; l'Italie dont les peuples me sont chers à tant de titres, s'est distinguée la première parmi les nations modernes. J'ai à coeur de voir les artistes français effacer la gloire d'Athènes et de l'Italie. C'est à vous de réaliser de si belles espérances. Vous pouvez compter sur ma protection.




Baïonne, le 16 avril 1808.

Lettre de S. M. l'empereur au prince des Asturies.

Mon frère, j'ai reçu la lettre de votre altesse royale. Elle doit avoir acquis la preuve, dans les papiers qu'elle a eus du roi son père, de l'intérêt que je lui ai toujours porté. Elle me permettra, dans la circonstance actuelle, de lui parler avec franchise et loyauté. En arrivant à Madrid, j'espérais porter mon illustre ami à quelques réformes nécessaires dans ses états, et à donner quelque satisfaction à l'opinion publique. Le renvoi du prince de la Paix me paraissait nécessaire pour son bonheur, et celui de ses sujets. Les affaires du Nord ont retardé mon voyage. Les événemens d'Aranjuez ont eu lieu. Je ne suis point juge de ce qui s'est passé, et de la conduite du prince de la Paix; mais ce que je sais bien, c'est qu'il est dangereux pour les rois d'accoutumer les peuples à répandre du sang et à se faire justice eux-mêmes. Je prie Dieu que V. A. R. n'en fasse pas elle-même un jour l'expérience. Il n'est pas de l'intérêt de l'Espagne de faire du mal à un prince qui a épousé une princesse du sang royal et qui a si longtemps régi le royaume. Il n'a plus d'amis: V. A. R. n'en aura plus, si jamais elle est malheureuse. Les peuples se vengent volontiers des hommages qu'ils nous rendent. Comment d'ailleurs pourrait-on faire le procès au prince de la Paix, sans le faire à la reine et au roi votre père? Ce procès alimentera les haines et les passions factieuses: le résultat en sera funeste pour votre couronne. V. A. R. n'y a de droits que ceux que lui a transmis sa mère. Si le procès la déshonore, V.A.R. déchire par là ses droits. Qu'elle ferme l'oreille à des conseils faibles et perfides. Elle n'a pas le droit de juger le prince de la Paix. Ses crimes, si on lui en reproche, se perdent dans les droits du trône. J'ai souvent manifesté le désir que le prince de la Paix fût éloigné des affaires; l'amitié du roi Charles m'a porté souvent à me taire et à détourner les yeux des faiblesses de son attachement. Misérables hommes que nous sommes! faiblesse et erreur, c'est notre devise. Mais tout cela peut se concilier: que le prince de la Paix soit exilé d'Espagne, et je lui offre un refuge en France. Quant à l'abdication de Charles IV, elle a eu lieu dans un moment où mes armées couvraient les Espagnes: et aux yeux de l'Europe et de la postérité, je paraîtrais n'avoir envoyé tant de troupes que pour précipiter du trône mon allié et mon ami. Comme souverain voisin, il m'est permis de vouloir en connaître les motifs avant de reconnaître cette abdication. Je le dis à V.A.R., aux Espagnols, au monde entier: si l'abdication du roi Charles est de pur mouvement, s'il n'y a pas été forcé par l'insurrection et l'émeute d'Aranjuez, je ne fais aucune difficulté de l'admettre, et je reconnais V.A.R. comme roi d'Espagne. Je désire donc causer avec elle sur cet objet. La circonspection que je porte depuis un mois dans ces affaires, doit être garant de l'appui qu'elle trouvera en moi, si, à son tour, des factions, de quelque nature qu'elles soient, venaient à l'inquiéter sur son trône. Quand le roi Charles me fit part de l'événement du mois d'octobre dernier, j'en fus douloureusement affecté; et je pense avoir contribué par les insinuations que j'ai faites, à la bonne issue de l'affaire de l'Escurial. V.A.R. avait bien des torts; je n'en veux pour preuve que la lettre qu'elle m'a écrite, et que j'ai constamment voulu ignorer. Roi à son tour, elle saura combien les droits du trône sont sacrés. Toute démarche près d'un souverain étranger de la part d'un prince héréditaire, est criminelle. V. A. R. doit se défier des écarts, des émotions populaires. On pourra commettre quelques meurtres sur mes soldats isolés, mais la ruine de l'Espagne en serait le résultat. J'ai déjà vu avec peine qu'à Madrid on avait répandu des lettres du capitaine-général de la Catalogne et fait tout ce qui pouvait donner du mouvement aux têtes. V. A. R. connaît ma pensée toute entière. Elle voit que je flotte entre diverses idées qui ont besoin d'être fixées. Elle peut être certaine que dans tous les cas je me comporterai avec elle, comme envers le roi son père. Qu'elle croie à mon désir de tout concilier et de trouver des occasions de lui donner des preuves de mon affection et de ma parfaite estime. Sur ce, etc., etc.

NAPOLÉON.




Baïonne, le 25 mai 1808.

Proclamation.

Napoléon, empereur des Français, roi d'Italie, protecteur de la confédération du Rhin, etc., etc., etc.

A tous ceux qui les présentes verront, salut.

Espagnols!

Après une longue agonie, votre nation périssait; j'ai vu vos maux, je vais y porter remède; votre grandeur, votre puissance fait partie de la mienne.

Vos princes m'ont cédé tous leurs droits à la couronne des Espagnes. Je ne veux point régner sur vos provinces, mais je veux acquérir des titres éternels à l'amour et à la reconnaissance de votre postérité.

Votre monarchie est vieille: ma mission est de la rajeunir. J'améliorerai toutes vos institutions, et je vous ferai jouir, si vous me secondez, des bienfaits d'une réforme, sans froissemens, sans désordre, sans convulsions.

Espagnols, j'ai fait convoquer une assemblée générale des députations des provinces et des villes. Je veux m'assurer par moi-même de vos désirs et de vos besoins.

Je déposerai alors tous mes droits et je placerai votre glorieuse couronne sur la tête d'un autre moi-même, en vous garantissant une constitution qui concilie la sainte et salutaire autorité du souverain avec les libertés et les priviléges du peuple.

Espagnols, souvenez-vous de ce qu'ont été vos pères: voyez ce que vous êtes devenus. La faute n'en est pas à vous, mais à la mauvaise administration qui vous a régis. Soyez pleins d'espérance et de confiance dans les circonstances actuelles; car je veux que vos derniers neveux conservent mon souvenir et disent; Il est le régénérateur de notre patrie.

NAPOLÉON.




Baïonne, le 6 juin 1808.

Proclamation.

Napoléon, par la grâce de Dieu, empereur des Français, roi d'Italie, protecteur de la confédération du Rhin, à tous ceux qui ces présentes verront, salut.

La junte d'état, le conseil de Castille, la ville de Madrid, etc., nous ayant, par des adresses, fait connaître que le bien de l'Espagne voulait que l'on mît promptement un terme à l'interrègne, nous avons résolu de proclamer, comme nous proclamons par la présente, notre bien-aimé frère Joseph Napoléon, actuellement roi de Naples et de Sicile, roi des Espagnes et des Indes.

Nous garantissons au roi des Espagnes l'indépendance et l'intégrité de ses états, soit d'Europe, soit d'Afrique, soit d'Asie, soit d'Amérique.

Enjoignons au lieutenant-général du royaume, aux ministres, et au conseil de Castille, de faire expédier et publier la présente proclamation dans les formes accoutumées, afin que personne n'en puisse prétendre cause d'ignorance.

NAPOLÉON.




Notes contenues dans le Moniteur.

22 Il est vrai que quarante mille hommes de la dernière conscription se rendent en Allemagne pour renforcer les cadres de la grande armée, et remplacer le double de vieilles troupes qui en sont retirées pour l'Espagne; ainsi la grande armée sera plutôt diminuée qu'augmentée par l'effet de cette mesure, qui n'indique donc aucun projet hostile.

23 Jamais le royaume de Naples n'a été plus tranquille. Depuis cent ans, il n'y a jamais eu moins d'assassinats et de brigandages, les galériens que des frégates anglaises y ont débarqués, ont été pris par les gardes du pays et livrés à la justice. La présence de l'armée anglaise en Sicile ne s'y fait point sentir; elle est retranchée dans Syracuse et Messine; l'expérience prouvera si elle saura défendre la Sicile.

24 Bruits d'agiotage; le comte de Metternich est à Paris, et, qui mieux est, y est très-bien vu. Le général Andréossi est à Vienne. Les troupes françaises sont dans leurs cantonnemens, et à plus de cent lieues de l'Autriche proprement dite.

25 Il est plaisant de mettre en doute si la France et ses alliés peuvent à la fois faire la guerre à l'Autriche et à l'Espagne, lorsque, sans alliés, elle a vaincu quatre coalitions dix fois plus redoutables; n'importe, les Anglais verraient avec plaisir l'Autriche faire la guerre dans le même esprit qu'ils ont excité la coalition de la Prusse, quoiqu'ils prévissent bien ce qui arriverait à la Prusse; mais ils vivent au jour le jour; une guerre qui ne durerait que six mois, serait toujours autant de gagné pour eux; ils ne songent pas au résultat qui ne pourrait qu'empirer leur position.

Note 22: (retour) Les gazettes anglaises annonçaient une concentration de troupes françaises sur le Rhin.
Note 23: (retour) Elles parlaient de troubles dans l'Italie.
Note 24: (retour) Elles donnaient comme certaines la nouvelle du rappel de l'ambassadeur d'Autriche de Paris.
Note 25: (retour) Elles parlaient de la détermination qu'avait prise Napoléon de faire marcher de front la guerre d'Espagne avec celle qu'il méditait contre l'Autriche.

26 L'Angleterre connaît l'étroite union qui existe entre la France et la Russie; elle sait que ces deux grandes puissances sont résolues à réunir leurs forces, et à reconnaître pour ennemi tout ami de l'Angleterre; elle sait que la paix ne sera pas troublée en Allemagne, et elle ne conserve aucun espoir raisonnable de succès définitifs, en fomentant des troubles et des désordres en Espagne; elle sait que c'est du sang et des victimes inutiles; mais cet encens lui est agréable; les déchiremens du continent sont ses délices; elle sait bien aussi qu'avant que l'année soit révolue, il n'y aura pas un seul village d'Espagne insurgé, pas un Anglais sur cette terre: mais qu'importe à l'Angleterre? elle ne connaît ni honte ni remords; ses armées se rembarqueront et abandonneront ses dupes; elle traitera les insurgés d'Espagne comme elle a traité le roi de Suède. Elle a mis les armes à la main à ce souverain, l'a flatté d'un secours puissant: vingt ou trente mille hommes devaient le secourir contre le Danemarck et contre la Russie; mais les promesses sont faciles. Le général Moore et cinq mille hommes sont arrivés et sont restés deux mois mouillés sur la côte de Suède, pendant que la Finlande était conquise, et que les Suédois étaient chassés de la Norwège. Il y a peu de semaines, nous cherchions comment l'Angleterre pourrait se tirer avec honneur de cette lutte folle du Nord; si elle débarque une armée, disions-nous, cette armée sera prise pendant l'hiver; nous ne pouvions nous attendre, quelque mauvaise opinion que nous eussions de la bonne foi britannique, que cette perfide puissance abandonnerait la Suède à son malheureux sort, et sortirait de là en donnant de nouvelles preuves de ce que les alliés de l'Angleterre ont à attendre d'elle; trahison et abandon. Les insurgés espagnols seront trahis et abandonnés de même lorsque l'aigle française couvrira de ses ailes toutes les Espagnes.

Note 26: (retour) Le journaliste regardait comme un devoir du gouvernement anglais de fournir à ses alliés des subsides et des munitions.

L'ineptie, le défaut de courage d'esprit ont fait essuyer quelques échecs à nos armes; ils seront promptement réparés, et alors les Anglais se précipiteront sur leurs vaisseaux; ils abandonneront leurs alliés, et, comme à Quiberon, tireront sur les malheureux qu'ils auront laissés sur le rivage.

Quant à l'Autriche, la paix sera maintenue sur le continent, parce que l'Angleterre y est sans influence. Le mépris et la haine qu'elle inspire sont communs à toutes les grandes puissances; toutes ont été ses victimes; M. Adair a été chassé de Vienne, le jour où M. de Staremberg est revenu de Londres.

Les armemens faits par l'Angleterre sous pavillon américain, qu'escortaient à Trieste des frégates anglaises, ont été repoussés et proscrits par un dernier édit de l'empereur François II. La bonne intelligence n'a pas cessé de régner entre l'Autriche et la France.

Les agens obscurs que l'Angleterre solde, et qui se cachent dans cette foule d'escrocs que poursuit la police de tous les gouvernemens de l'Europe, ont dit à Vienne que la France allait faire la guerre à l'Autriche; et à Paris, que l'Autriche levait de nouvelles armées pour attaquer la France. Les oisifs avides de nouvelles et d'émotions, ont pu, sur ces obscures rumeurs, supposer des marches, des contremarches, et bâtir des plans de campagne aussi frivoles qu'eux; mais les deux cabinets n'ont pas cessé d'être dans les relations les plus amicales. Dans l'entrevue que l'empereur Napoléon a eue avec l'empereur Francois II en Moravie, l'empereur François lui promit qu'il ne lui ferait plus la guerre. Ce prince a prouvé qu'il tenait sa parole. Il est curieux de voir que, tandis que le cabinet d'Autriche assure et déclare qu'il est bien avec la France, que la France publie les mêmes assurances; il est curieux, disons-nous, de voir que cette faction brouillonne, qui se nourrit d'agiotage, de calomnies, de libelles, continue à jeter l'inquiétude parmi les hommes paisibles.

Les affaires d'Espagne sont irrévocablement fixées; elles sont reconnues par les grandes puissances du continent. Si l'on a été déçu dans l'espoir de conduire ces peuples à un meilleur ordre de choses, sans troubles, sans désordres, sans guerre, c'est une victoire qu'a obtenue le génie du mal sur l'esprit du bien. Du reste et en définitif, cela ne sera funeste qu'à l'Angleterre et à ses partisans. Ces vérités sont évidentes, et il n'y a pas un homme de sens à Londres qui n'en soit pénétré.

Que penser de la politique et de la raison d'un cabinet qui; ayant, excité la Suède contre la Russie, espérait la soutenir avec une expédition de cinq mille hommes?

Tant qu'il s'agira de calomnier, de séduire, de suborner, l'Angleterre aura l'avantage dans ce genre de guerre; mais lorsqu'il verra l'aigle le suivre de l'oeil, le léopard sentira fuir sous ses pas la terre ferme, et ne trouvera de refuge que sur ses flottes et dans l'élément des tempêtes.

La paix est le voeu de l'univers; les événemens qui ont changé la face du monde depuis la rupture de la paix d'Amiens, c'est à la rupture de cette paix qu'il faut les attribuer; les événemens si défavorables à l'Angleterre qui se sont passés depuis la mort de Fox, c'est à sa mort et à la rupture des négociations qu'il faut les attribuer; les changemens survenus en Europe depuis la paix de Tilsitt, c'est au refus d'accepter la médiation de la Russie qu'il faut les attribuer: ce qui arrivera encore sur le continent, de contraire à la grandeur et à l'intérêt de l'Angleterre, si la paix n'a pas lieu, il faudra l'attribuer à cette obstination folle, à cette politique aveugle et furibonde qui, malgré l'union des grandes puissances, met toujours son avenir dans les rêves d'une division impossible, et du renouvellement de coalitions qui ne peuvent exister que contre elle. C'est bien ici le lieu d'appliquer cette maxime de Cicéron, que le parti le plus politique est celui qui est le plus conforme à la justice. La continuation de la paix d'Amiens eût laissé l'Europe dans le même état. La paix que voulait Fox eût empêché la ruine de la Prusse et l'occupation des villes du Nord. L'acceptation de la médiation offerte par la Russie eût empêché les affaires de la Baltique et d'Espagne. Et si la paix n'a pas lieu dans l'année, qui peut prédire les événemens contraires à l'intérêt de l'Angleterre qui se se seront passés d'ici à un an?




Saint-Cloud, le 4 septembre 1808.

Message de S. M. l'empereur et roi au sénat conservateur.

Sénateurs,

Mon ministre des relations extérieures mettra sous vos yeux les différens traités relatifs à l'Espagne, et les constitutions acceptées par la junte espagnole.

Mon ministre de la guerre vous fera connaître les besoins et la situation de mes armées dans les différentes parties du monde.

Je suis résolu à pousser les affaires d'Espagne avec la plus grande activité et à détruire les armées que l'Angleterre a débarquées dans ce pays.

La sécurité future de mes peuples, la prospérité du commerce, et la paix maritime sont également attachées à ces importantes opérations.

Mon alliance avec l'empereur de Russie ne laisse à l'Angleterre aucun espoir dans ses projets. Je crois à la paix du continent; mais je ne veux, ni ne dois dépendre des faux calculs et des erreurs des autres cours; et puisque mes voisins augmentent leurs armées, il est de mon devoir d'augmenter les miennes.

L'empire de Constantinople est en proie aux plus affreux bouleversemens; le sultan Sélim, le meilleur empereur qu'aient eu depuis long-temps les Ottomans, vient de mourir de la main de ses propres neveux; cette catastrophe m'a été sensible.

J'impose avec confiance de nouveaux sacrifices à mes peuples; ils sont nécessaires pour leur en épargner de plus considérables et pour nous conduire au grand résultat de la paix générale, qui doit seul être regardé comme le moment du repos.

Français, je n'ai dans mes projets qu'un but, le bonheur et la sécurité de vos enfans, et, si je vous connais bien, vous vous hâterez de répondre au nouvel appel qu'exige l'intérêt de la patrie. Vous m'avez dit si souvent que vous m'aimiez! Je reconnaîtrai la vérité de vos sentimens à l'empressement que vous mettrez à seconder des projets si intimement liés à vos plus chers intérêts, à l'honneur de l'empire et à ma gloire.




Paris, le 19 septembre 1808.

Allocution à l'avant-garde des troupes de la grande armée, réunie à la parade du 11 septembre 1808, dans la place du Carrousel.

Soldats!

Après avoir triomphé sur les bords du Danube et de la Vistule, vous avez traversé l'Allemagne à marches forcées; je vous fais aujourd'hui traverser la France sans vous donner un moment de repos.

Soldats, j'ai besoin de vous; la présence hideuse du léopard souille les continens d'Espagne et du Portugal. Qu'à votre aspect il fuie épouvanté: portons nos aigles triomphantes jusqu'aux colonnes d'Hercule: là aussi nous avons des outrages à venger.

Soldats, vous avez surpassé la renommée des armées modernes; mais avez-vous égalé la gloire des armées de Rome, qui, dans une même campagne, triomphèrent sur le Rhin et sur l'Euphrate, en Illyrie et sur le Tage?

Une longue paix, une prospérité durable seront le prix de vos travaux; un vrai Français ne peut, ne doit prendre aucun repos jusqu'à ce que les mers soient ouvertes et affranchies.

Soldats, tout ce que vous avez fait, tout ce que vous ferez encore pour le bonheur du peuple français et pour ma gloire, sera éternellement dans mon coeur.




Erfurth, le 12 octobre 1808.

Lettre de LL. MM. les empereurs de France et de Russie à S. M. le roi d'Angleterre.

Sire,

Les circonstances actuelles de l'Europe nous ont réunis à Erfurth. Notre première pensée est de céder au voeu et aux besoins de tous les peuples, et de chercher, par une prompte pacification avec Votre Majesté, le remède le plus efficace aux malheurs qui pèsent sur toutes les nations. Nous en faisons connaître notre sincère désir à Votre Majesté par cette présente lettre.

La guerre longue et sanglante qui a déchiré le continent est terminée, sans qu'elle puisse se renouveler. Beaucoup de changemens ont eu lieu en Europe: beaucoup d'états ont été bouleversés. La cause en est dans l'état d'agitation et de malheurs où la cessation du commerce maritime a placé les grands peuples. De plus grands changemens encore peuvent avoir lieu et tout contraires à la politique de la nation anglaise. La paix est donc à la fois dans l'intérêt des peuples du continent comme dans l'intérêt des peuples de la Grande-Bretagne.

Nous nous réunissons pour prier Votre Majesté d'écouter la voix de l'humanité, en faisant taire celle des passions, de chercher, avec l'intention d'y parvenir, à concilier tous les intérêts, et par là, garantir toutes les puissances qui existent, et assurer le bonheur de l'Europe et de cette génération à la tête de laquelle la Providence nous à placés.

NAPOLÉON, ALEXANDRE.




Erfurth, le 12 octobre 1808.

Lettre de S. M. l'empereur Napoléon aux rois de Bavière, de Saxe, de Westphalie, de Wurtemberg, au grand-duc de Bade et au Prince-Primat.

Monsieur mon frère, les assurances données par la cour de Vienne que les milices étaient renvoyées chez elles et ne seraient plus rassemblées, qu'aucun armement ne donnerait plus d'inquiétude pour les frontières de la confédération; la lettre que je reçois de l'empereur d'Autriche, les protestations réitérées que m'a faites M. le baron de Vincent, et plus que cela, le commencement d'exécution qui a eu déjà lieu en ce moment en Autriche, de différentes promesses qui ont été faites, me portent à écrire à V. M. que je crois que la tranquillité des états de la confédération n'est d'aucune manière menacée, et que V. M. est maîtresse de lever ses camps et de remettre ses troupes dans leurs quartiers de la manière qu'elle est accoutumée de le faire. Je pense qu'il est convenable que son ministre a Vienne reçoive pour instruction de tenir ce langage, que les camps seront reformés, et que les troupes de la confédération et du protecteur seront remises en situation hostile toutes les fois que l'Autriche ferait des armemens extraordinaires et inusités; que nous voulons enfin tranquillité et sûreté.

Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

NAPOLÉON.




Erfurt, le 14 octobre 1808.

Lettre de Sa Majesté l'empereur Napoléon à Sa Majesté l'empereur d'Autriche.

Monsieur mon frère, je remercie Votre Majesté impériale et royale de la lettre qu'elle a bien voulu m'écrire, et que M. le baron de Vincent m'a remise. Je n'ai jamais douté des intentions droites de Votre Majesté; mais je n'en ai pas moins craint un moment de voir les hostilités se renouveler entre nous. Il est à Vienne une faction qui affecte la peur pour précipiter votre cabinet dans des mesures violentes qui seraient l'origine de malheurs plus grands que ceux qui ont précédé. J'ai été le maître de démembrer la monarchie de Votre Majesté, ou du moins de la laisser moins puissante. Je ne l'ai pas voulu: ce qu'elle est, elle l'est de mon voeu. C'est la plus évidente preuve que nos comptes sont soldés et que je ne veux rien d'elle. Je suis toujours prêt à garantir l'intégrité de sa monarchie; je ne ferai jamais rien contre les principaux intérêts de ses états; mais Votre Majesté ne doit pas mettre en discussion ce que quinze ans de guerre ont terminé; elle doit défendre toute proclamation ou démarche provoquant la guerre. La dernière levée en masse aurait produit la guerre, si j'avais pu craindre que cette levée et ces préparatifs fussent combinés avec la Russie. Je viens de licencier les camps de la confédération. Cent mille hommes de mes troupes vont à Boulogne pour renouveler mes projets sur l'Angleterre; j'ai dû croire, lorsque j'ai eu le bonheur de voir Votre Majesté, et que j'ai conclu le traité de Presbourg, que nos affaires étaient terminées pour toujours, et que je pourrais me livrer à la guerre maritime sans être inquiété ni distrait. Que Votre Majesté se méfie de ceux qui, lui parlant des dangers de sa monarchie, troublent ainsi son bonheur, celui de sa famille et de ses peuples. Ceux-là seuls sont dangereux, ceux-là seuls appellent les dangers qu'ils feignent de craindre. Avec une conduite droite, franche et simple, Votre Majesté rendra ses peuples heureux, jouira elle-même du bonheur dont elle doit sentir le besoin après tant de troubles, et sera sûre d'avoir en moi un homme décidé à ne jamais rien faire contre ses principaux intérêts. Que ses démarches montrent de la confiance, elles en inspireront. La meilleure politique aujourd'hui, c'est la simplicité et la vérité. Qu'elle me confie ses inquiétudes, lorsqu'on parviendra à lui en donner, je les dissiperai sur-le-champ. Que Votre Majesté me permette un dernier mot: qu'elle écoute son opinion, son sentiment, il est bien supérieur à celui de ses conseils.

Je prie Votre Majesté de lire ma lettre dans un bon sens; et de n'y voir rien qui ne soit pour le bien et la tranquillité de l'Europe et de Votre Majesté.

NAPOLÉON




Paris, le 25 octobre 1808.

Discours de l'empereur à l'ouverture du corps législatif.

Messieurs les députés des départemens au corps législatif,

Les Codes qui fixent les principes de la propriété et de la liberté civile qui sont l'objet de vos travaux obtiennent l'opinion de l'Europe. Mes peuples en éprouvent déjà les plus salutaires effets.

Les dernières lois ont posé les bases de notre système de finances. C'est un monument de la puissance et de la grandeur de la France. Nous pourrons désormais subvenir aux dépenses que nécessiterait même une coalition générale de l'Europe, par nos seules recettes annuelles; nous ne serons jamais contraints d'avoir recours aux mesures désastreuses du papier-monnaie, des emprunts et des arriérés.

J'ai fait cette année plus de mille lieues dans l'intérieur de mon empire. Le système de travaux que j'ai arrêté pour l'amélioration du territoire se poursuit avec activité.

La vue de cette grande famille française, naguère déchirée par les opinions et les haines intestines, aujourd'hui prospère, tranquille et unie, a sensiblement ému mon âme. J'ai senti que pour être heureux, il me fallait d'abord l'assurance que la France fût heureuse.

Le traité de paix de Presbourg, celui de Tilsitt, l'attaque de Copenhague, l'attentat de l'Angleterre contre toutes les nations maritimes, les différentes révolutions de Constantinople, les affaires de Portugal et d'Espagne ont diversement influé sur les affaires du monde.

La Russie et le Danemarck se sont unis à moi contre l'Angleterre.

Les Etat-Unis d'Amérique ont préféré renoncer au commerce et à la mer, plutôt que d'en reconnaître l'esclavage.

Une partie de mon armée marche contre celles que l'Angleterre a formées ou débarquées dans les Espagnes. C'est un bienfait particulier de cette Providence, qui a constamment protégé nos armes, que les passions aient assez aveuglé les conseils anglais pour qu'ils renoncent à la protection des mers et présentent enfin leur armée sur le continent.

Je pars dans peu de jours pour me mettre moi-même à la tête de mon armée, et, avec l'aide de Dieu, couronner dans Madrid le roi d'Espagne et planter mes aigles sur les forts de Lisbonne.

Je ne puis que me louer des sentimens des princes de la confédération du Rhin.

La Suisse sent tous les jours davantage les bienfaits de l'acte de médiation.

Les peuples d'Italie ne me donnent que des sujets de contentement.

L'empereur de Russie et moi nous nous sommes vus à Erfurt. Notre première pensée a été une pensée de paix. Nous avons résolu de faire quelques sacrifices, pour faire jouir plus tôt s'il se peut les cent millions d'hommes que nous représentons, de tous les bienfaits du commerce maritime. Nous sommes d'accord et invariablement unis pour la paix comme pour la guerre.

Messieurs les députés des départemens au corps législatif, j'ai ordonné à mes ministres des finances et du trésor public de mettre sous vos yeux les comptes des recettes et des dépenses de cette année. Vous y verrez avec satisfaction que je n'ai besoin de hausser le tarif d'aucune imposition. Mes peuples n'éprouveront aucune nouvelle charge.

Les orateurs de mon conseil-d'état vous présenteront différens projets de lois, et entr'autres tous ceux relatifs au Code criminel.

Je compte constamment sur toute votre assistance.




Paris, le 27 octobre 1808.

Réponse de l'empereur à une députation du corps législatif, et annonce de son prochain départ pour l'Espagne.

Mon devoir et mes inclinations me portent à partager les dangers de mes soldats. Nous nous sommes mutuellement nécessaires. Mon retour dans ma capitale sera prompt. Je compte pour peu les fatigues, lorsqu'elles peuvent contribuer à assurer la gloire et la grandeur de la France. Je reconnais, dans la sollicitude que vous m'exprimez, l'amour que vous me portez; je vous en remercie.




Paris, le 27 octobre 1808.

Réponse de l'empereur à une députation de plusieurs départemens d'Italie.

J'agrée les sentimens que vous m'exprimez au nom de mes peuples du Musone, du Metauro et du Tronto. Je suis bien aise de les voir heureux dans leur nouvelle situation. J'ai été témoin des vices de votre ancienne administration. Les ecclésiastiques doivent se renfermer dans le gouvernement des affaires du Ciel. La théologie, qu'ils apprennent dans leur enfance, leur donne des règles sûres pour le gouvernement spirituel, mais ne leur en donne aucune pour le gouvernement des armées et pour l'administration.

Nos conciles ont voulu que les prêtres ne fussent pas mariés, pour que les soins de la famille ne les détournassent pas du soin des affaires spirituelles auxquelles ils doivent être exclusivement livrés.

La décadence de l'Italie date du moment où les prêtres ont voulu gouverner et les finances et la police et l'armée.

Après de grandes révolutions, j'ai relevé les autels en France et en Italie; je leur ai donné un nouvel éclat dans plusieurs parties de l'Allemagne et de la Pologne. J'en protégerai constamment les ministres.

Je n'ai qu'à me louer de mon clergé de France et d'Italie. Il sait que les trônes émanent de Dieu, et que le crime le plus grand à ses yeux, parce que c'est celui qui fait le plus de mal aux hommes, c'est d'ébranler le respect et l'amour que l'on doit aux souverains. Je fais un cas particulier de votre archevêque d'Urbin. Ce prélat, animé d'une véritable foi a repoussé avec indignation les conseils, comme il a bravé les menaces de ceux qui veulent confondre les affaires du Ciel, qui ne changent jamais, avec les affaires de la terre, qui se modifient selon les circonstances de la force et de la politique. Je saurai faire respecter en Italie comme en France les droits des nations et de ma couronne, et réprimer ceux qui voudraient se servir de l'influence spirituelle pour troubler mes peuples et leur prêcher le désordre et la rébellion. Ma couronne de fer est entière et indépendante comme ma couronne de France. Je ne veux aucun assujettissement qui en altère l'indépendance.

Les sentimens que vous m'exprimez, et qui animent mes peuples du Musone, du Metauro et du Tronto me sont connus. Assurez les que constamment ils peuvent compter sur les effets de ma protection, et que la première fois que je passerai les Alpes, j'irai jusqu'à eux.




Vittoria, le 9 novembre 1808.

Premier bulletin de l'armée d'Espagne.

Position de l'armée française au 25 octobre: le quartier-général à Vittoria.

Le maréchal duc de Conegliano, avec la gauche, bordant l'Aragon et l'Ebre: son quartier-général à Rafalla.

Le maréchal duc d'Elchingen: son quartier-général à Guardia.

Le maréchal duc d'Istrie: son quartier-général à Miranda, occupant le fort de Pancorba par une garnison.

Le général de division Merlin, occupant avec une division les hauteurs de Durango, et contenant l'ennemi, qui paraissait vouloir tomber sur les hauteurs de Mondragon.

Le maréchal duc de Dantzick étant arrivé avec la division Sébastiani et Leval, le roi jugea à propos de faire rentrer la division Merlin.

Cependant l'ennemi ayant pris de l'audace, et ayant occupé Lérin, Viana et plusieurs postes sur la rive gauche de l'Ebre, le roi ordonna au maréchal duc de Conegliano de marcher sur lui. Le général Watier, commandant la cavalerie, et les brigades des généraux Habert, Brun et Razout, marchèrent contre les postes ennemis; l'ennemi fut culbuté partout dans la journée du 27; douze cents hommes armés dans Lerin voulurent d'abord se défendre, mais le général de division Grandjean ayant fait ses dispositions pour les attaquer, les culbuta, fit prisonnier un colonel, deux lieutenans-colonels, quarante officiers et les douze cents soldats: ce sont les troupes qui faisaient partie du camp Saint-Roch. Dans le même temps le maréchal duc d'Elchingen marchait sur Logrono, passait l'Ebre, faisait à l'ennemi trois cents prisonniers, le poursuivait à plusieurs lieues de l'Ebre, et rétablissait le pont de Logrono. Par suite de cet événement, le général espagnol Pignatelli, qui commandait les insurgés, fut lapidé par eux.

Les troupes du traître la Romana, et les Espagnols prisonniers en Angleterre, que les Anglais avaient débarqués en Espagne, et les divisions de Galice, formant une force de trente mille hommes, de Bilbao, menaçaient le maréchal duc de Dantzick, qui, emporté par une noble impatience, marcha à eux dans la journée du 31, et les culbuta de toutes leurs positions, au pas de charge: les troupes de la confédération du Rhin se sont distinguées, principalement le corps de Bade.

Le maréchal duc de Dantzick poursuivit l'ennemi, l'épée dans les reins, toute la journée du premier novembre, jusqu'à Guenès, et entra dans Bilbao. Des magasins considérables ont été trouvés dans cette ville; plusieurs Anglais ont été faits prisonniers. La perte de l'ennemi a été considérable en tués et blessés; elle l'a été peu en prisonniers. Notre perte n'a été que d'une quinzaine de tués et d'une centaine de blessés. Tout honorable qu'est cette affaire, il serait à désirer qu'elle n'eût pas eu lieu. Le corps espagnol était dans une position à être enlevé.

Sur ces entrefaites, le corps du maréchal Victor étant arrivé, fut dirigé de Vittoria sur Orduna. Dans la journée du 7, l'ennemi renforcé de nouvelles troupes arrivées de Saint-Ander, avait couronné les hauteurs de Guenès. Le maréchal duc de Dantzick marcha à eux et perça leur centre. Les cinquante-huitième et trente-deuxième se sont distingués.

Si ces événemens se fussent passés en plaine, pas un ennemi n'eût échappé; mais les montagnes de Saint-Ander et de Bilbao sont presque inaccessibles. Le duc de Dantzick poursuivit toute la journée l'ennemi dans les gorges de Valmaseda.

Dans ces dernières affaires, l'ennemi a perdu en hommes tués, blessés et prisonniers, plus de trois mille cinq cents à quatre mille hommes.

Le duc de Dantzick se loue particulièrement du général de division Leval, du général de division Sébastiani, du général hollandais Chassey, du colonel Lacoste, du vingt-septième régiment d'infanterie légère, du colonel Bacon, du soixante-troisième d'infanterie de ligne, et des colonels des régimens de Bade et de Nassau, auxquels S. M. a accordé des récompenses.

L'armée est abondamment pourvue de vivres; le temps est très-beau.

Nos colonnes marchent en combinant leurs mouvemens.

On croit que le quartier-général part cette nuit de Vittoria.




Burgos, le 12 novembre 1808.

Deuxième bulletin de l'armée d'Espagne,

Le duc de Dantzick est entré dans Valmaseda en poursuivant l'ennemi.

Dans la journée du 8, le général Sébastiani découvrit sur une montagne très-élevée, à la droite de Valmaseda, l'arrière-garde des insurgés; il marcha sur-le-champ à eux, les culbuta, et fit une centaine de prisonniers.

Cependant, la ville de Burgos était occupée par l'armée d'Estramadure, formée en trois divisions: l'avant-garde composée des gardes wallonnes et espagnoles et du corps d'étudians des universités de Salamanque et de Léon, formant plusieurs bataillons; plusieurs régimens de ligne et des régimens de nouvelle formation, formés depuis l'insurrection de Badajoz, portaient cette armée à environ vingt mille hommes.

L'empereur ayant donné le commandement de la cavalerie de l'armée au maréchal duc d'Istrie, donna le commandement du deuxième corps au maréchal duc de Dalmatie. Le 10, à la pointe du jour, ce maréchal marcha à la tête de la division Mouton, pour reconnaître l'ennemi. Arrivé à Gamonal, il fut accueilli par une décharge de trente pièces de canon: ce fut le signal du pas de charge. L'infanterie de la division Mouton marcha soutenue par des salves d'artillerie. Les gardes wallonnes et espagnoles furent culbutées à la première attaque. Le duc d'Istrie, à la tête de sa cavalerie, déborda leurs ailes; l'ennemi fut mis en pleine déroute; trois mille hommes sont restés sur le champ de bataille, douze drapeaux et vingt-cinq pièces de canon ont été pris, trois mille prisonniers ont été faits; le reste est dispersé. Nos troupes sont entrées pêle-mêle avec l'ennemi dans la ville de Burgos, et la cavalerie le poursuit dans toutes les directions.

Cette armée d'Estramadure, qui venait de Madrid à marches forcées, qui s'était signalée pour premier exploit, par l'égorgement de son infortuné général, le comte de Torrès, toute armée de fusils anglais, et spécialement soldée par l'Angleterre, n'existe plus. Le colonel des gardes wallonnes et un grand nombre d'officiers supérieurs ont été faits prisonniers. Notre perte a été très-légère; elle consiste en douze ou quinze hommes tués et cinquante blessés au plus. Un seul capitaine a été tué d'un boulet.

Cette affaire, due aux dispositions du duc de Dalmatie et à l'intrépidité avec laquelle le duc d'Istrie a fait charger la cavalerie, fait le plus grand honneur à la division Mouton; il est vrai que cette division est composée de corps dont le seul nom est depuis long-temps un dire d'honneur.

Le château de Burgos a été occupé et trouvé en bon état. Il y a des magasins considérables de farines, de vin et de blé.

Le 11, l'empereur a passé la revue de la division Bonnet, et l'a dirigée immédiatement sur les débouchés des gorges de Saint-Ander.

Voici la position de l'armée aujourd'hui:

Le maréchal duc de Bellune poursuivant vivement les restes de l'armée de Galice, qui se retire par Villarcayo et Reynosa, point vers lequel le duc de Dalmatie est en marche. Il ne lui restera plus d'autres ressources que de se disséminer dans des montagnes, en abandonnant son artillerie, ses bagages et tout ce qui constitue une armée.

S. M. l'empereur est à Burgos avec sa garde; le général Milhaud, avec sa division de dragons, marche sur Palencia; le général Lasalle a pris possession de Lerma.

Ainsi, dans un moment, les armées de Galice et d'Estramadure ont été battues, dispersées et en partie détruites, et cependant tous les corps de l'armée ne sont pas arrivés. Les trois-quarts de la cavalerie sont en arrière, et près de la moitié de l'infanterie.

On a remarqué dans l'armée insurgée les contrastes les plus opposés. On a trouvé dans la poche des officiers morts, des contrôles de compagnies qui s'intitulaient compagnies de Brutus, compagnies del Populo; c'étaient les compagnies des étudians des écoles; d'autres dont les compagnies portaient des noms de saints; c'était l'insurrection des paysans. Anarchie et désordres, voilà ce que l'Angleterre sème en Espagne. Qu'en recueillera-t-elle? la haine de cette brave nation éclairée et réorganisée. Du reste, l'extravagance des meneurs des insurgés s'aperçoit partout. Il y a des drapeaux parmi ceux que nous avons pris, où l'aigle impérial se trouve déchiré par le lion d'Espagne; et qui se permet de pareilles allégories? Les troupes les plus mauvaises qui existent en Europe.

La cavalerie de l'armée d'Estramadure a été battue de l'oeil. Du moment que le dixième de chasseurs l'a aperçue, elle s'est mise en déroute, et on ne l'a plus revue.

L'empereur a passé la revue du corps du duc de Dalmatie, comme il partait de Burgos pour marcher sur les derrières de l'armée de Galice. S. M. a fait des promotions, donné des récompenses, et a été fort contente de la troupe. Elle a témoigné sa satisfaction aux vainqueurs de Médina del Riosecco et de Burgos, le maréchal duc d'Istrie, et les généraux Merle et Mouton.




An quartier-impérial de Burgos, le 12 novembre 1808.

Au président du corps législatif.

Monsieur le président du corps législatif, mes troupes ayant, au combat de Burgos, pris douze drapeaux de l'armée d'Estramadure, parmi lesquels se trouvent ceux des gardes wallonnes et espagnoles, j'ai voulu profiter de cette circonstance et donner une marque de ma considération aux députés des départemens au corps législatif, en leur envoyant ces drapeaux pris dans la même quinzaine où j'ai présidé à l'ouverture de leur session. Que les députés des départemens et les collèges électoraux dont ils font partie, y voient le désir que j'ai de leur donner une preuve de mon estime. Cette lettre n'étant à autre fin, je prie Dieu qu'il vous ait, monsieur le président du corps législatif, en sa sainte et digne garde.




Burgos, le 13 décembre 1808.

Troisième bulletin de l'armée d'Espagne.

L'armée de Galice, qui est en fuite de Bilbao, est poursuivie par le maréchal duc de Bellune, dans la direction d'Espinosa; par le maréchal duc de Dantzick, dans celle de Villarcayo, et tournée sur Reynosa, par le maréchal duc de Dalmatie. Des événemens importans doivent avoir lieu.

Le général Milhaud, avec sa division de cavalerie, est entré à Palencia, et a poussé des détachemens sur les débouchés de Reynosa, à la suite d'un parc d'artillerie de l'armée de Galice.

Les jeunes étudians de Salamanque, qui croyaient faire la conquête de la France, les paysans fanatiques qui rêvaient déjà le pillage de Baïonne et de Bordeaux, et se croyaient conduits par tous les saints apparus à des moines imposteurs, se trouvent déchus de leurs folles chimères. Leur désespoir et leur consternation sont au comble; ils se lamentent des malheurs auxquels ils sont en proie, des mensonges qu'on leur a fait accroire, et de la lutte sans objet dans laquelle ils sont engagés.

Toute la plaine de Castille est déjà couverte de notre cavalerie. L'élan et l'ardeur de nos troupes les portent à faire quatorze et quinze lieues par jour. Nos grand'gardes sont sur le Duero. Toute la côte de Bilbao et de Saint-Ander est nettoyée d'ennemis.

L'infortunée ville de Burgos, en proie à tous les maux d'une ville prise d'assaut, fait frémir d'horreur. Prêtres, moines, habitans, se sont sauvés à la première nouvelle du combat, menacés de voir les soldats de l'armée d'Estramadure se défendre dans les maisons, comme ils en avaient annoncé l'intention, pillés d'abord par eux, et ensuite par nos soldats entrant dans les maisons pour en chasser les ennemis et n'y trouvant plus d'habitans.

Il faudrait que des hommes comme M. de Stein, qui, au défaut de troupes de ligne qui n'ont pu résister à nos aigles, méditent le sublime projet de lever des masses, fussent témoins des malheurs qu'elles entraînent, et du peu d'obstacle que cette ressource peut offrir à des troupes réglées.

On a trouvé dans Burgos et dans les environs pour trente millions de laines que S. M. l'empereur a fait séquestrer. Toutes celles qui appartiendraient à des moines et à des individus faisant partie des insurgés, seront confisquées et serviront de première indemnité aux Français, pour les pertes qu'ils ont éprouvées; car à Madrid même, les Français domiciliés depuis quarante ans, ont été dépouillés de leurs biens; les Espagnols fidèles à leur roi, ont été déclarés émigrés. Les biens de d'Aranza, le ministre le plus vertueux et le plus éclairé; de Massaredo, le marin le plus instruit; d'Offarill, le meilleur militaire de l'Espagne, ont été vendus à l'encan. Ceux de Campo d'Alange, respectable par ses vertus, par son nom et par sa fortune, propriétaire de soixante mille mérinos et de trois millions de revenus, sont devenus la proie de ces frénétiques.

Une autre mesure que l'empereur à ordonnée, c'est la confiscation de toutes les marchandises de fabrique anglaise, celle des denrées coloniales débarquées en Espagne depuis l'insurrection. Les marchands de Londres feront donc bien d'envoyer des marchandises à Lisbonne, à Porto et dans les ports d'Espagne. Plus ils en enverront et plus grande sera la contribution qu'ils nous paient.

La ville de Palencia, dirigée par un digne évêque, a accueilli nos troupes avec empressement. Cette ville ne se ressent pas des calamités de la guerre. Un saint évêque qui pratique les principes de l'évangile, animé par la charité chrétienne, des lèvres duquel il ne découle que du miel, est le plus grand bienfait que le Ciel accorde aux peuples. Un évêque passionné, haineux et furibond, qui ne prêche que la désobéissance et la rébellion, le désordre et la guerre, est un monstre que Dieu a donné aux peuples dans sa colère, pour les égarer dans la source même de la morale.

Dans les prisons de Burgos étaient renfermés plusieurs moines. Les paysans les ont lapidés. «Malheureux que vous êtes, leur disaient-ils, c'est vous qui nous avez entraînés dans ce comble d'infortunes. Nos malheureuses femmes, nos pauvres enfans, nous ne les reverrons peut-être plus. Misérables que vous êtes, le Dieu juste vous punira aux enfers de tous les maux que vous causez à nos familles et à notre patrie.»




Burgos, le 15 novembre 1808.

Quatrième bulletin de l'armée d'Espagne.

S. M. a passé hier la revue de la division Marchand, a nommé les officiers et sous-officiers les plus méritans à toutes les places vacantes, et a donné des récompenses aux soldats qui s'étaient distingués. S. M. a été extrêmement contente de ces troupes, qui arrivent presque sans s'arrêter des bords de la Vistule.

Le duc d'Elchingen est parti de Burgos. L'empereur a passé ce matin la revue de sa garde dans la plaine de Burgos. S. M. a vu ensuite la division Dessolles et a nommé à toutes les places vacantes dans cette division.

Les événemens se préparent et tout est en marche. Rien ne réussit à la guerre qu'en conséquence d'un plan bien combiné.

Parmi les prisonniers nous en avons trouvé qui portaient à la boutonnière un aigle renversé percé de deux flèches, avec celle inscription: au vainqueur de la France. A cette ridicule fanfaronnade, on reconnaît les compatriotes de Don Quichotte. Le fait est qu'il est impossible de trouver de plus mauvaises troupes, soit dans les montagnes soit dans la plaine. Ignorance crasse, folle présomption, cruauté contre le faible, souplesse et lâcheté avec le fort, voilà le spectacle que nous avons sous les yeux. Les moines et l'inquisition ont abruti cette nation.

Dix mille hommes de cavalerie légère et de dragons, avec vingt-quatre pièces d'artillerie légère, s'étaient mis en marche le 11 pour courir sur les derrières de la division anglaise que l'on disait être à Valladolid. Ces braves ont fait trente-quatre lieues en deux jours, mais notre espérance a été déçue. Nous sommes entrés à Palencia, à Valladolid; on a poussé six lieues plus loin; point d'Anglais, mais bien des promesses et des assurances.

Il paraît certain qu'une division de leur troupes a débarqué à la Corogne, et qu'une autre division est entrée à Badajoz au commencement du mois. Le jour où nous les trouverons sera un jour de fête pour l'armée française. Puissent-ils rougir de leur sang ce continent qu'ils dévastent par leurs intrigues, leur monopole et leur épouvantable égoïsme! Puissent-ils, au lieu de vingt mille, être quatre-vingt ou cent mille hommes, afin que les mères de famille anglaises apprennent ce que c'est que les maux de la guerre, et que le gouvernement britannique cesse de se jouer de la vie et du sang des peuples du continent. Les mensonges les plus grossiers, les moyens les plus vils sont mis en oeuvre par le machiavélisme anglais pour égarer la nation espagnole. Mais la masse est bonne: la Biscaye, la Navarre, la Vieille-Castille, la plus grande partie de l'Aragon même, sont animées d'un bon esprit. La généralité de la nation voit avec une profonde douleur l'abîme où on la jette, et ne tardera pas à maudire les auteurs de tant de maux.

Florida Blanca, qui est à la tête de l'insurrection espagnole, est le même qui a été ministre sous Charles III. Il a toujours été ennemi décidé de la France, et partisan zélé de l'Angleterre. Il faut espérer qu'à sa dernière heure, il reconnaîtra les erreurs de la politique de sa vie. C'est un vieillard qui réunit à l'anglomanie la plus aveugle, la dévotion la plus superstitieuse. Ses confidens et ses amis sont les moines les plus fanatiques et les plus ignares.

L'ordre est rétabli dans Burgos et dans les environs. A ce premier moment de terreur a succédé la confiance. Les paysans sont retournés dans leurs villages et à leur labour.




Burgos, le 16 novembre 1808.

Cinquième bulletin de l'armée d'Espagne.

Les destinées de l'armée d'Estramadure se sont terminées dans les plaines de Burgos. L'armée de Galice, battue aux combats de Durango, de Guénès, de Valmaseda, a péri ou a été dispersée à la bataille d'Espinosa. Cette armée était composée de l'infanterie de l'ancienne armée espagnole qui était en Portugal et en Galice, et qui a quitté Porto à la fin de juin; des milices de la Galice, des Asturies et de la Vieille-Castille;

De cinq mille prisonniers espagnols que les Anglais avaient habillés et armés à leurs frais et débarqués à Saint Ander;

Des volontaires de levées extraordinaires de la Galice, de la Vieille-Castille et des Asturies;

Des régimens d'artillerie, des garnisons de marine, et des matelots des départemens de la Corogne et du Ferrol;

Enfin des corps que le traître la Romana avait amenés du Nord et débarqués a Saint-Ander.

Dans sa folle présomption, cette armée manoeuvrait sur le flanc droit de l'armée française, et voulait couper la communication par la Biscaye. Pendant l'espace de dix jours, elle a été menée battant de gorge en gorge, de mamelon en mamelon. Enfin, le 10 novembre, arrivée à Espinosa, elle voulut couvrir sa retraite, ses parcs, ses hôpitaux et ses magasins.

Elle se rangea en bataille et se crut dans une position inattaquable.

Le maréchal duc de Bellune culbuta son arrière-garde, et se trouva à trois heures après midi devant son front de bataille. Le général Pacthod, avec les quatre-vingt-quatorzième et quatre-vingt-quinzième régimens de ligne, eut ordre d'enlever un mamelon situé en avant de la ligne de bataille qu'occupait la troupe du traître la Romana. La position était belle; les soldats qui la défendaient, les meilleurs du pays et soutenus par toute la ligne ennemie. Le général Pacthod gravit, l'arme au bras, ces montagnes escarpées, et fondit sur ces régimens qui avaient abusé de notre loyauté et faussé leurs sermens. Dans un clin d'oeil ils furent rompus et jetés dans les précipices. Le régiment de la Princesse a été détruit.

La ligne ennemie se porta alors en avant et combina des attaques pour reprendre le plateau. Toutes les colonnes qui avancèrent disparurent et trouvèrent la mort. La nuit obscure surprit les deux armées dans cette position.

Pendant ce temps, le maréchal duc de Dalmatie filait sur Reynosa, seule retraite de l'ennemi.

A la pointe du jour, le duc de Bellune fit déborder par le général de brigade Maison, à la tête du seizième régiment d'infanterie légère, la gauche de l'ennemi; de son côté le duc de Dantzick accourut au feu et déborda sa droite.

Le général Maison, avec les braves du seizième, gravit sur des montagnes escarpées à tout autre inaccessibles, et culbuta l'ennemi. Le duc de Bellune fit alors avancer le centre; et l'ennemi coupé et tourné, fuit à la débandade, jetant ses armes, ses drapeaux et abandonnant ses canons.

La division Sébastiani poursuivit les fuyards dans la direction de Villarcayo, attaqua, tua, prit ou dispersa une division et lui enleva ses canons.

Le duc de Dalmatie enleva à Reynosa tous les parcs, magasins, bagages, et fit quelques prisonniers.

Le colonel Tascher, envoyé à la poursuite de l'ennemi à la tête d'un régiment de chasseurs, a ramené un grand nombre de prisonniers.

Cependant l'ennemi qui nous menaçait avec tant d'ignorance et une si aveugle présomption, était non-seulement tourné par Reynosa, mais encore par Palencia, par la cavalerie qui déjà occupait les débouchés des montagnes dans la plaine à vingt lieues de ses derrières.

Soixante pièces de canon, vingt mille hommes tués ou pris, le reste dispersé; douze généraux espagnols tués; tous les secours en armes, habillemens, munitions, que les Anglais avaient débarqués, tombés en notre pouvoir, sont le résultat de cette affaire. La terreur est dans l'âme du soldat espagnol. Il jette sa veste rouge au chiffre du roi Georges, son fusil anglais, et cherche à se cacher dans des cavernes, dans des hameaux sous l'habit de paysan. Blake se sauve errant dans les montagnes des Asturies; la Romana, avec quelques milliers d'hommes, s'est jeté sur la marine de Saint-Ander.

Cependant notre perte est de peu de conséquence. Aux combats de Durango, de Guenès, de Valmaseda, d'Espinosa, nous n'avons perdu que quatre-vingts hommes tués et trois cents blessés, aucun homme de marque. On a brisé trente mille fusils et on en a pris en magasin à Reynosa.

S.M. a nommé le général de brigade Pacthod général de division, et a accordé dix décorations de la légion d'honneur aux quatre-vingt-quatorzième et quatre-vingt-quinzième régimens d'infanterie de ligne et au seizième d'infanterie légère.




Burgos, le 18 novembre 1808.

Sixième bulletin de l'armée d'Espagne.

Des quarante-cinq mille hommes qui composaient l'armée de Galice, partie a été tuée et prise, le reste a été éparpillé. Les débris en tombent de tous côtés dans nos postes. Le général de division Debelle a fait cinq cents prisonniers du côté de Vasconcellos.

Le colonel Tascher, commandant le premier régiment provisoire de chasseurs, a donné sur l'escorte du général espagnol Acebedo; l'escorte ayant fait résistance, tout a été tué.

Le général Bonnet est tombé avec sa division sur la tête d'une colonne de fuyards de deux mille hommes; partie a été prise et l'autre partie détruite.

Le maréchal duc d'Istrie, commandant la cavalerie de l'armée, est entré à Aranda, le 16 à midi. Nos partis de cavalerie vont sur la gauche jusqu'à Soria et Madrid, et sur la droite jusqu'à Léon et Zamora.

L'ennemi a évacué Aranda avec la plus grande précipitation. Il y a laissé quatre pièces de canon. On a trouvé dans cette ville un magasin considérable de biscuit, quarante mille quintaux de blé, et une grande quantité d'effets d'habillement.

A Reynosa on a trouvé beaucoup d'objets anglais, et des approvisionnemens de toute espèce.

Les habitans de Montana, de toute la plaine de la Castille jusqu'au Portugal, de la province de Soria, maudissent hautement les auteurs de cette guerre, et demandent à grands cris le repos et la paix.

Le maréchal duc de Dantzick fait une mention particulière du général de brigade Roguet. Il cite avec éloge le lieutenant de Coigny, aide-de-camp du général Sébastiani, qui a eu un cheval tué sous lui.

Le duc de Bellune fait une mention particulière du général de division Villatte.

Vingt mille balles de laine valant de quinze à vingt millions, saisis à Burgos, ont été dirigées sur Baïonne. La vente publique en sera faite à l'enchère au premier janvier. Tous les négocians de France pourront y concourir. Sur le produit de cette vente le droit de vingt pour cent est dû au roi. Le surplus servira soit à rendre aux propriétaires qui n'ont point pris part à l'insurrection, le prix des laines qui leur appartiennent, ce qui se réduit à peu de chose, servir d'indemnité aux négocians français qui ont été pillés ou ont essuyé des confiscations en Espagne.

S.M. a ordonné qu'une commission présidée par un maître des requêtes, et composée de deux membres de chacune des chambres de commerce des villes de Baïonne, Bordeaux, Toulouse et Marseille, un auditeur au conseil d'État faisant les fonctions de secrétaire-général, se réunirait à Baïonne, et que toutes les villes et corporations françaises et italiennes qui auraient des réclamations à faire à raison des pertes et confiscations qu'elles auraient essuyées en Espagne, s'adresseraient à cette commission pour en poursuivre la liquidation. S.M. a chargé le ministre de l'intérieur de faire un règlement sur la manière de procéder de cette commission.

L'intention de S.M. est également que les biens qui sont en France, dans le royaume d'Italie ou dans le royaume de Naples, appartenant à des Espagnols insurgés, soient séquestrés pour servir également aux indemnités.




Burgos, le 18 novembre 1808.

Lettre de S.M. l'empereur au grand-juge, ministre de la justice.

Monsieur le comte Régnier, nous avons résolu de faire placer dans la salle de notre conseil d'état les statues en marbre des sieur Tronchet et Portalis, rédacteurs du premier projet du code Napoléon, et dont nous avons été à même d'apprécier les grands talens dans les conférences qui ont eu lieu lors de la rédaction dudit code; notre intention est que nos ministres, conseillers d'état et magistrats de toutes les cours voient dans cette résolution le désir que nous avons d'illustrer leurs talens et de récompenser leurs services, la seule récompense du génie étant l'immortalité et la gloire. Nous avons fait connaître nos volontés à notre grand-maréchal du palais et à l'intendant de notre maison; mais nous vous chargeons spécialement de porter tous vos soins à ce que les statues soient promptement faites et ressemblantes. Nous désirons que vous fassiez connaître ces dispositions à nos différentes cours.

Cette lettre n'étant à autre fin, nous prions Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

NAPOLÉON.




Burgos, le 20 novembre 1808.

Septième bulletin de l'armée d'Espagne.

Le 16, l'avant-garde du maréchal duc de Dalmatie est entrée à Saint-Ander, et y a trouvé une grande quantité de farine, de blé, de munitions de guerre et de poudre, un magasin de neuf mille fusils anglais, des dépôts assez considérables de coton et de marchandises de fabrique anglaise et coloniale.

Pendant que nos troupes entraient à Saint-Ander, il y avait à deux lieues au large un grand convoi anglais chargé de troupes, de munitions et d'habillemens; lorsqu'il a vu le drapeau français arboré et salué par la garnison, il a pris le large.

On a trouvé à Saint-Ander un dépôt considérable de laines qui est transporté en France.

Le 17, le colonel Tascher a rencontré à Cunillas les fuyards ennemis. Il y a eu quelques coups de sabre de donnés; on a fait une trentaine de prisonniers.

L'évêquè de Saint-Ander, animé plutôt de l'esprit du démon que de l'esprit de l'évangile, homme furibond et fanatique, marchant toujours un coutelas au côté, s'est sauvé à bord des frégates anglaises. Toutes les lettres interceptées font voir la terreur et l'effroi qui agitent cette partie de l'armée espagnole.

On a procédé au désarmement de la Montana, de Bilbao et de la partie de la Biscaye qui s'est insurgée. On marche également du côté de Soria pour désarmer cette province. Les provinces de Valladolid et de Palencia le sont déjà.

Le général Franceschi, commandant un corps de cavalerie légère, a rencontré à Sahagun, à six lieues de Léon, un grand convoi de bagages et de malades de l'armée de Galice, qu'il a enlevé.

A Mayorga, un escadron de cavalerie légère a rencontré trois cents hommes qu'ils a chargés; partie a été tuée, l'autre prise.

La cavalerie du général Lasalle a poussé des partis jusqu'à Somo-Sierra.

Des officiers des régimens espagnols de Zamora et de la Princesse, qui étaient dans le Nord, et qui s'étaient sauvés à Zamora, ont été faits prisonniers. «Vous avez prêté serment au roi, leur a-t-on dit. Ils l'ont avoué;--Vous avez faussé votre serment.--Nous avons obéi à notre général.--Vous faisiez partie de l'armée française, et vous avez reconnu les meilleurs procédés par la plus infâme trahison.--Ils répondirent encore qu'ils étaient sous les ordres de leur général, et qu'ils n'avaient fait qu'obéir.--On aurait pu vous désarmer, a-t-on ajouté, peut-être l'aurait-on dû; mais on a eu confiance en vos sermens. Il vaut mieux pour la gloire de l'empereur qu'il ait eu à vous combattre, que de s'être porté à un acte qui aurait pu être taxé de trop de méfiance. Vous n'êtes plus couverts par le droit des gens que vous avez violé. Vous devriez être passés par les armes; l'empereur veut vous pardonner une seconde fois.» Au reste, les régimens de Zamora et de la Princesse ont cruellement souffert; il en est peu resté aux drapeaux.




Burgos, le 23 novembre 1808.

Huitième bulletin de l'armée d'Espagne.

Le duc de Dalmatie poursuit ses succès avec la plus grande activité.

Un convoi chargé d'artillerie, de munitions et de fusils anglais, a été pris dans le port de Cunillas au moment où il allait appareiller: on en fait l'inventaire. On a déjà noté trente pièces de canon et une grande quantité de malles d'officiers.

Le général Sarrut, à la tête de sa brigade, pousse vivement l'ennemi; arrivé à Saint-Vicente, et cotoyant la mer, l'ennemi s'aperçut d'une hauteur qui couvrait le défilé de Saint-Vicente, que le général Sarrut n'avait que neuf cents hommes; il crut avoir le temps de tenir pour passer le défilé qui est un pont de quatre cents toises sur un bras de mer; mais il ignorait que ces neuf cents hommes étaient du deuxième d'infanterie légère; il ne tarda pas à l'apprendre. A peine le général Sarrut fut à portée, que ces braves chargèrent, et l'on vit neuf cents hommes rompre et mettre en désordre six mille hommes bien postés, sans éprouver de perte et sans presque coup férir. Cependant le colonel Tascher avait habilement placé cent cinquante hommes de son régiment de chasseurs en colonne serrée, par peloton, derrière celle avant-garde; et aussitôt qu'il vit l'ennemi ébranlé, il chargea, sans délibérer, dans le défilé, tua et jeta dans la mer et le marais, ou prit la plus grande partie de cette colonne. On avait déjà fait un millier de prisonniers lorsque le dernier compte a été rendu, et la colonne du général Sarrut avait déjà dépassé la province de la Montana et était entrée dans les Asturies. Les voltigeurs du trente-sixième régiment ont arrêté dans le port de Santillana un convoi anglais chargé de sucre, de café, de coton et d'autres denrées coloniales. Le nombre de bâtimens anglais, richement chargés, qui ont été pris sur cette côte, était déjà de 25.

Dans la plaine, le général de division Milhaud annonce que le 19, non loin de Léon, une reconnaissance a chargé dans le village de Valverde, un bataillon d'étudians, dont un grand nombre a été sabré et le reste dispersé.

Le septième corps de l'armée d'Espagne, que commande le général Gouvion-Saint-Cyr, commence aussi à faire parler de lui. Le 6 novembre, la place de Roses a été investie par les généraux Reille et Pino. Les hauteurs de Saint-Pedro ont été enlevées par les Italiens avec cette impétuosité qu'ils avaient au quinzième siècle, et dont les troupes du royaume d'Italie ont donné tant de preuves dans la dernière campagne d'Allemagne. Un grand nombre de miquelets et d'Anglais débarqués occupaient le port de Selva. Le général Fontana, à la tête de trois bataillons d'infanterie légère italienne et des grenadiers et voltigeurs du septième régiment français, se porta sur Selva, chargea les miquelets et les Anglais, les culbuta dans la mer, et s'empara de dix pièces de 24, dont quatre de bronze, que les Anglais n'eurent pas le temps d'embarquer.

Le 8, la garnison de Roses fit sortir trois colonnes protégées par l'artillerie des vaisseaux anglais. Le général Mazuchelli les reçut à bout portant et leur tua plus de six cents hommes.

Le 12, les ennemis voulurent encore faire une sortie; ils trouvèrent les mêmes braves, et le général Mazuchelli en couvrit ses tranchées. Depuis ce moment, la garnison a paru consternée et n'a plus voulu sortir.

Dans Barcelonne, le général Duhesme fait le plus grand éloge des vélites et des troupes d'Italie qui sont sous ses ordres.

On croit que le quartier-général part cette nuit de Burgos.




Aranda, le 25 novembre 1808.

Neuvième bulletin de l'armée d'Espagne.

Le système militaire des ennemis paraît avoir été le suivant:

Sur leur gauche était l'armée de Galice, composée de la moitié des troupes de ligne d'Espagne et de toutes les ressources de la Galice, des Asturies et du royaume de Léon.

Au centre, était l'armée d'Estramadure, que les corps anglais avaient promis d'appuyer, et qui était composée de toutes les ressources que pouvaient fournir l'Estramadure et les provinces voisines.

L'armée d'Andalousie, de Valence, de la Nouvelle-Castille et d'Aragon, que l'on porte à soixante-dix ou quatre-vingt mille hommes, occupait, le 20 novembre, Calehorra, Tudela et les bords de l'Aragon. Cette armée appuyait la droite de l'ennemi: elle était composée de toutes les troupes qui se trouvaient au camp de Saint-Roch, en Andalousie, à Valence, à Carthagène et à Madrid, de toutes les levées et de toutes les ressources de ces provinces. C'est contre cette armée que les corps de l'armée française manoeuvrent aujourd'hui, les autres ayant été dispersés et détruits dans les batailles d'Espinosa et de Burgos.

Le quartier-général a été transporté le 22 de Burgos à Lerma, et le 23, de Lerma à Aranda.

Le duc d'Elchingen s'est porté le 22 à Soria: cette ville, qui est l'ancienne Numance, est un chef-lieu de province: c'est un des pays de l'Espagne où les têtes avaient été le plus volcanisées, et c'est celui qui a fait le moins de résistance. La ville a été désarmée, et un comité composé de gens bien intentionnés a été chargé de l'administration de la province.

Le duc d'Elchingen occupait par sa cavalerie légère Medina-Celi, et battait la route de Sarragosse à Madrid; son avant-garde marchait sur Agréda.

Le 22, les ducs de Montebello et de Conegliano faisaient leur jonction au pont de Lodosa.

Le 24, le duc de Bellune portait son quartier-général à Venta-Gonnez.

Presque toutes les routes de communication de Madrid avec les provinces du Nord se trouvent interceptées; un grand nombre de courriers et de malles de poste aux lettres sont tombés entre les mains de nos coureurs. La confusion paraît extrême à Madrid, et il règne dans toute la nation un défaut de confiance et un désir du repos et de la paix que la puérile arrogance et la criminelle astuce des meneurs ne parviennent pas à détruire.

Il paraît difficile que l'armée qui forme la droite de l'ennemi et qui est sur l'Ebre, puisse se replier sur Madrid et sur le Midi de l'Espagne. Les événemens qui se préparent décideront probablement du sort de cette autre moitié de l'armée espagnole.

Le temps est humide; un brouillard épais règne depuis trois jours: cette saison est plus défavorable encore aux naturels du pays qu'aux hommes accoutumés aux climats du Nord.

Le général Gouvion-Saint-Cyr continue à faire pousser vivement le siège de Roses.




Aranda de Duero, le 26 novembre 1808.

Dixième bulletin de l'armée d'Espagne.

Il paraît que les forces espagnoles s'élèvent à cent quatre-vingt-dix mille hommes effectifs.

Quatre-vingt mille hommes effectifs faisant soixante mille hommes sous les armes, qui composaient les armées de Galice et d'Estramadure, et que commandaient Blake, la Romana et Galluzzo, ont été dispersés et mis hors de combat.

L'armée d'Andalousie, de Valence, de la Nouvelle-Castille et d'Aragon, que commandaient Castanos, Penas et Palafox, et qui paraissait être également de quatre-vingt mille hommes, c'est-à-dire soixante mille hommes sous les armes, aura sous peu de jours accompli ses destins. Le maréchal duc de Montebello a ordre de l'attaquer de front avec trente mille hommes, tandis que les ducs d'Elchingen et de Bellune sont déjà placés sur ses derrières.

Reste soixante mille hommes effectifs qui peuvent donner quarante mille hommes sous les armes, dont trente mille sont en Catalogne et dix mille hommes existent à Madrid, à Valence et dans les autres lieux de dépôts, ou sont en mouvement.

Avant de faire un pas au-delà du Duero, l'empereur a pris la résolution de faire anéantir les armées du centre et de gauche, et de faire subir le même sort à celle de droite du général Castanos.

Lorsque ce plan aura été exécuté, la marche sur Madrid ne sera plus qu'une promenade. Ce grand dessein doit, à l'heure qu'il est, être accompli.

Quant au corps de Catalogne, étant en partie composé des troupes de Valence, Murcie et Grenade, ces provinces menacées retireront leurs troupes, si toutefois l'état des communications le permet; dans tous les cas, le septième corps, après avoir terminé le siége de Roses, en rendra bon compte.

A Barcelonne, le général Duhesine, avec quinze mille hommes approvisionnés pour six mois, répond de cette importante place.

Nous n'avons pas parlé des forces anglaises. Il paraît qu'une division est en Galice, et qu'une autre s'est montrée à Badajoz vers la fin du mois passé. Si les Anglais ont de la cavalerie, nous devrions nous en apercevoir; car nos troupes légères sont presque parvenues aux frontières du Portugal. S'ils ont de l'infanterie, ils ne sont pas probablement dans l'intention de s'en servir en faveur de leurs alliés, car voilà trente jours que la campagne est ouverte; trois fortes armées ont été détruites, une immense artillerie a été enlevée; les provinces de Castille, de la Montana, d'Aragon, de Soria, etc., sont conquises; enfin le sort de l'Espagne et du Portugal est décidé, et l'on n'entend parler d'aucun mouvement des troupes anglaises.

Cependant la moitié de l'armée française n'est point encore arrivée; une partie du quatrième corps d'armée, le cinquième et le huitième corps entiers, six régimens de cavalerie légère, beaucoup de compagnies d'artillerie et de sapeurs, et un grand nombre d'hommes des régimens qui sont en Espagne, n'ont pas encore passé la Bidassoa.

A la vérité, et sans faire tort à la bravoure de nos soldats, on doit dire qu'il n'y a pas de plus mauvaises troupes que les troupes espagnoles; elles peuvent, comme les Arabes, tenir derrière des maisons, mais elle n'ont aucune discipline, aucune connaissance des manoeuvres, et il leur est impossible de résister sur un champ de bataille, Les montagnes même ne leur ont offert qu'une faible protection. Mais grâce à la puissance de l'inquisition, à l'influence des moines, à leur adresse à s'emparer de toutes les plumes et à faire parler toutes les langues, on croit encore dans une grande partie de l'Espagne que Blake a été vainqueur, que l'armée française a été détruite, que la garde impériale a été prise. Quel que soit le succès momentané de ces misérables ressources et de ces ridicules efforts, le règne de l'Inquisition est fini; ses tribunaux révolutionnaires ne tourmenteront plus aucune contrée de l'Europe; en Espagne comme à Rome l'inquisition sera abolie, et l'affreux spectacle des auto-da-fé ne se renouvellera pas; cette réforme s'opérera malgré le zèle religieux des Anglais, malgré l'alliance qu'ils ont contractée avec les moines imposteurs qui ont fait parler la Vierge d'el Pilar et les saints de Valladolid. L'Angleterre a pour alliés le monopole, l'inquisition et les franciscains; tout lui est bon pourvu qu'elle divise les peuples et qu'elle ensanglante le continent. Un brick anglais, le Ferrets, parti de Portsmouth le 11 de ce mois, a mouillé le 22 dans le port de Saint-Ander qu'il ne savait pas être occupé par les Français; il avait à bord des dépêches importantes et beaucoup de papiers anglais dont on s'est emparé.

On a trouvé à Saint-Ander une grande quantité de quinquina et de denrées coloniales qui ont été envoyées à Baïonne.

Le duc de Dalmatie est entré dans les Asturies; plusieurs villes et beaucoup de villages ont demandé à se soumettre pour sortir enfin de l'abîme creusé par les conseils des étrangers, et par les passions de la multitude.




Aranda de Duero, le 27 novembre 1808.

Onzième bulletin de l'armée d'Espagne.

S. M., dans la journée du 19, avait fait partir le maréchal duc de Montebello avec des instructions pour les mouvemens de la gauche dont elle lui donna le commandement.

Le duc de Montebello et le duc de Conegliano se concertèrent le 20, à Lodosa, pour l'exécution des ordres de S. M.

Le 21, la division du général Lagrange, avec la brigade de cavalerie légère du général Colbert et la brigade de dragons du général Dijon, partirent de Logrono par la droite de l'Ebre.

Au même moment, les quatre divisions composant le corps d'armée du duc de Conegliano, passèrent le fleuve à Lodosa, abandonnant tout le pays entre l'Ebre et Pampelune.

Le 22, à la pointe du jour, l'armée française se mit en marche. Elle se dirigea sur Calahora, où était la veille le quartier-général de Castanos; elle trouva cette ville évacuée. Elle marcha ensuite sur Alfaro; l'ennemi s'était également retiré.

Le 23, à la pointe du jour, le général de division Lefebvre, à la tête de la cavalerie et appuyé par la division du général Morlot, faisant l'avant-garde, rencontra l'ennemi. Il en donna sur-le-champ avis au duc de Montebello, qui trouva l'armée ennemie forte de sept divisions, formant quarante-cinq mille hommes présens sous les armes, la droite en avant de Tudela, et la gauche occupant une ligne d'une lieue et demie, disposition absolument vicieuse. Les Aragonais étaient à la droite, les troupes de Valence et de la nouvelle Castille étaient au centre, et les trois divisions d'Andalousie, que commandait plus spécialement le général Castanos, formaient la gauche. Quarante pièces de canon couvraient la ligne ennemie.

A neuf heures du matin, les colonnes de l'armée française commencèrent à se déployer avec cet ordre, cette régularité, ce sang-froid qui caractérisent de vieilles troupes. On choisissait les emplacement pour établir en batterie une soixantaine de canons; mais l'impétuosité des troupes et l'inquiétude de l'ennemi n'en donnèrent pas le temps; l'armée espagnole était déjà vaincue par l'ordre et par les mouvemens de l'armée française.

Le duc de Montebello fit enfoncer le centre par la division du général Maurice Mathieu.

Le général de division Lefebvre, avec sa cavalerie, passa aussitôt au trot par cette trouée, et enveloppa, par un quart de conversion à gauche, toute la droite de l'ennemi.

Le moment où la moitié de la ligne ennemie se trouva ainsi tournée et culbutée, fut celui où le général Lagrange attaqua la ville de Cascante, où était placée la ligne de Castanos, qui ne fit pas meilleure contenance que la droite, et abandonna le champ de bataille, en laissant son artillerie et un grand nombre de prisonniers. La cavalerie poursuivit les débris de l'armée ennemie jusqu'à Tarracone, dans la direction d'Agreda. Sept drapeaux, trente pièces de canon avec leurs attelages et leurs caissons, douze colonels, trois cents officiers et trois mille hommes ont été pris; quatre mille Espagnols sont restés sur le champ de bataille, ou ont été jetés dans l'Ebre. Notre perte a été légère; nous avons eu soixante hommes tués et quatre cents blessés; parmi ces derniers se trouve le général de division Lagrange, qui a été atteint d'une balle au bras.

Nos troupes ont trouvé à Tudela beaucoup de magasins.

Le maréchal duc de Conegliano s'est mis en marche sur Sarragosse.

Pendant qu'une partie des fuyards se retirait sur cette place, la gauche qui avait été coupée, fuyait en désordre sur Tarraçone et Agreda.

Le duc d'Elchingen, qui était le 22 à Soria, devait être le 23 à Agreda; pas un homme n'aurait échappé, mais ce corps d'armée se trouvant trop fatigué, séjourna le 23 et le 24 à Soria; il arriva le 24 à Agreda assez à temps pour s'emparer encore d'une grande quantité de magasins.

Un nommé Palafox, ancien garde-du-corps, homme sans talens et sans courage, espèce de mannequin d'un moine, véritable chef de parti, qui lui avait fait donner le titre de général, a été le premier à prendre la fuite. Au reste, ce n'est pas la première fois qu'il agit de la sorte; il a fait de même dans toutes les occasions.

Cette armée de quarante-cinq mille hommes a été ainsi battue et défaite, sans que nous en ayons eu plus de six mille engagés.

Le combat de Burgos avait frappé le centre de l'ennemi, la bataille d'Espinosa la droite, et la bataille de Tudela la gauche. La victoire a ainsi foudroyé et dispersé toute la ligne ennemie.




Aranda de Duero, 28 novembre 1808.

Douzième bulletin de l'armée d'Espagne.

A la bataille de Tudela, le général de division Lagrange, chargé de l'attaque de Cascante, fit marcher sa division par échelons, et se mit à la tête du premier échelon, composé du vingt-cinquième régiment d'infanterie légère, qui aborda l'ennemi avec une telle décision, que deux cents Espagnols furent percés dans la première charge par les baïonnettes. Les autres échelons ne purent donner. Cette singulière intrépidité avait jeté la consternation et le désordre dans les troupes de Castanos. C'est dans cette circonstance que le général Lagrange, qui était à la tête de son premier échelon, a reçu une balle qui l'a blessé assez dangereusement.

Le 26, le duc d'Elchingen s'est porté par Tarraçonne, sur Borja. Les ennemis avait mis le feu à un parc d'artillerie de soixante caissons qu'ils avaient à Tarraçonne.

Le général Maurice Mathieu est arrivé le 25 à Borja, poursuivant l'ennemi et ramassant à chaque instant de nouveaux prisonniers dont le nombre est déjà de cinq mille; ils appartiennent tous aux troupes de ligue; le soldat n'a pardonné à aucun paysan armé. Le nombre des pièces de canon prises est de trente-sept.

Le désordre et le délire se sont emparés des meneurs. Pour première mesure, ils ont fait un manifeste violent par lequel ils déclarent la guerre à la France; ils lui imputent tous les désordres de leur cour, l'abâtardissement de la race qui régnait, et la lâcheté des grands, qui, pendant tant d'années, se sont prosternés de la manière la plus abjecte aux pieds de l'idole qu'ils accablent de toute leur rage, aujourd'hui qu'elle est tombée.

On se ferait en Allemagne, en Italie, en France, une bien fausse idée des moines espagnols, si on les comparait aux moines qui ont existé dans ces contrées. On trouvait parmi les bénédictins, les bernardins, etc., etc., de France, d'Italie, une foule d'hommes remarquables dans les sciences et les lettres; ils se distinguaient et par leur éducation et par la classe honorable et utile d'où ils étaient sortis; les moines espagnols, au contraire, sont tirés de la lie du peuple, ils sont ignares et crapuleux; on ne saurait leur trouver de ressemblance qu'avec des artisans employés dans les boucheries; ils en ont l'ignorance, le ton et la tournure. Ce n'est que sur le bas peuple qu'ils exercent leur influence. Une maison bourgeoise se serait crue déshonorée en admettant un moine à sa table.

Quant aux malheureux paysans espagnols, on ne peut les comparer qu'aux fellahs d'Egypte; ils n'ont aucune propriété; tout appartient soit aux moines, soit à quelque maison puissante. La faculté de tenir une auberge est un droit féodal; et dans un pays aussi favorisé de la nature, on ne trouve ni postes, ni hôtelleries. Les impositions même ont été aliénées et appartiennent aux seigneurs. Les grands ont tellement dégénéré, qu'il sont sans énergie, sans mérite et même sans influence.

On trouve tous les jours à Valladolid et au-delà, des magasins d'armes considérables. Les Anglais ont bien exécuté cette partie de leurs engagemens; ils avaient promis des fusils, des poignards, des libelles, et ils en ont envoyé avec profusion. Leur esprit inventif s'est signalé, et ils ont poussé fort loin l'art de répandre des libelles, comme dans ces derniers temps ils s'étaient distingués par leurs fusées incendiaires. Tous les maux, tous les fléaux qui peuvent affliger les hommes, viennent de Londres.




Saint-Martin près Madrid, 2 décembre 1808.

Treizième bulletin de l'armée d'Espagne.

Le 29, le quartier-général de l'empereur a été porté au village de Bozeguillas; le 30, à la pointe du jour, le duc de Bellune s'est présenté au pied du Somo-Sierra; une division de treize mille hommes de l'armée de réserve espagnole, défendait le passage de cette montagne. L'ennemi se croyait inexpugnable dans cette position. Il avait retranché le col que les Espagnols appellent Puerto, et y avait placé seize pièces de canon. Le neuvième d'infanterie légère couronna la droite; le quatre-vingt-seizième marcha sur la chaussée, et le vingt-quatrième suivit à mi-côte les hauteurs de gauche. Le général Sennarmont avec six pièces d'artillerie avança par la chaussée.

La fusillade et la canonnade s'engagèrent. Une charge que fit le général Montbrun, à la tête des chevau-légers polonais, décida l'affaire; charge brillante s'il en fut, où ce régiment s'est couvert de gloire et a montré qu'il était digne de faire partie de la garde impériale. Canons, drapeaux, fusils, soldats, tout fut enlevé, coupé ou pris. Huit chevau-légers polonais ont été tués sur les pièces, et seize ont été blessés. Parmi ces derniers, le capitaine Dzievanoski à été si grièvement blessé qu'il est presque sans espérance. Le major Ségur, maréchal-des-logis de la maison de l'empereur, chargeant parmi les Polonais, a reçu plusieurs blessures dont une assez grave. Les seize pièces de canon, dix drapeaux, une trentaine de caissons, deux cents chariots de toute espèce de bagage, les caisses des régimens, sont les fruits de cette brillante affaire. Parmi les prisonniers qui sont très-nombreux, se trouvent tous les colonels et les lieutenans-colonels des corps de la division espagnole. Tous les soldats auraient été pris, s'ils n'avaient pas jeté leurs armes et ne s'étaient éparpillés dans les montagnes.

Le premier décembre, le quartier-général de l'empereur était à Saint-Augustin, et le 2, le duc d'Istrie, avec la cavalerie, est venu couronner les hauteurs de Madrid. L'infanterie ne pourra arriver que le 3. Les renseignemens qu'on a pris jusqu'à cette heure, portent à penser que la ville est livrée à toute espèce de désordre, et que les portes sont barricadées.

Le temps est très-beau.




Madrid, 5 décembre 1808.

Quatorzième bulletin de l'armée d'Espagne.

Le 3, à midi, S. M. arriva de sa personne sur les hauteurs qui couronnent Madrid, et où étaient placées les divisions de dragons des généraux Latour-Maubourg et Lahoussaye, et la garde impériale à cheval. L'anniversaire du couronnement, cette époque qui a signalé tant de jours à jamais heureux pour la France, réveilla dans tous les coeurs les plus doux souvenirs et inspira à toutes les troupes un enthousiasme qui se manifesta par mille acclamations. Le temps était superbe et semblable à celui dont on jouit eu France dans les belles journées du mois de mai.

Le maréchal duc d'Istrie envoya sommer la ville, où s'était formé une junte militaire, sous la présidence du général Castellar, qui avait sous ses ordres le général Morla, capitaine-général de l'Andalousie et inspecteur-général de l'artillerie. La ville renfermait un grand nombre de paysans armés qui s'y étaient rendus de tous côtés, six mille hommes de troupes de ligne et cent pièces de canon. Depuis huit jours on barricadait les rues et les portes de la ville; soixante mille hommes étaient en armes; des cris se faisaient entendre de toutes parts; les cloches de deux cents églises sonnaient à la fois et tout présentait l'image du désordre et du délire.

Un général de troupes de ligne parut aux avant-postes pour répondre à la sommation du duc d'Istrie; il était accompagné et surveillé par trente hommes du peuple dont le costume, les regards et le farouche langage, rappelaient les assassins de septembre. Lorsqu'on demandait au général espagnol s'il voulait exposer des femmes, des enfans, des vieillards aux horreurs d'un assaut, il manifestait à la dérobée la douleur dont il était pénétré; il faisait connaître par des signes qu'il gémissait sous l'oppression ainsi que tous les honnêtes gens de Madrid, et lorsqu'il élevait la voix, ses paroles étaient dictées par les misérables qui le surveillaient. On ne put avoir aucun doute de l'excès auquel était portée la tyrannie de la multitude, lorsqu'on le vit dresser procès-verbal de ses propres discours, et les faire attester par la signature des spadassins qui l'environnaient.

L'aide-de-camp du duc d'Istrie, qui avait été envoyé dans la ville, saisi par des hommes de la dernière classe du peuple, allait être massacré, lorsque les troupes de ligne indignées le prirent sous leur sauve-garde et le firent remettre à son général.

Un garçon boucher de l'Estramadure, qui commandait une des portes, osa demander que le duc d'Istrie vint lui-même dans la ville les yeux bandés; le général Montbrun repoussa cette audace avec indignation; il fut aussitôt entouré, et il n'échappa qu'en tirant son sabre. Il faillit être victime de l'imprudence avec laquelle il avait oublié qu'il n'avait point affaire avec des ennemis civilisés.

Peu de temps après des déserteurs des gardes wallonnes se rendirent au camp. Leurs dépositions donnèrent la conviction que les propriétaires, les honnêtes gens étaient sans influence, et l'on dut croire que toute conciliation était impossible.

La veille, le marquis de Perales, homme respectable qui avait paru jouir jusqu'alors de la confiance du peuple, fut accusé d'avoir fait mettre du sable dans les cartouches. Il fut aussitôt étranglé, et ses membres déchirés furent envoyés comme des trophées dans les quartiers de la ville. On arrêta que toutes les cartouches seraient refaites, et trois ou quatre mille moines furent conduits au Retiro et employés à ce travail. Il avait été ordonné que tous les palais, toutes les maisons seraient constamment ouvertes aux paysans des environs, qui devaient y trouver de la soupe et des alimens à discrétion.

L'infanterie française était encore à trois lieues de Madrid. L'empereur employa la soirée à reconnaître la ville et à arrêter un plan d'attaque qui se conciliait avec les ménagemens que méritent le grand nombre d'hommes honnêtes qui se trouvent toujours dans une grande capitale.

Prendre Madrid d'assaut pouvait être une opération militaire de peu de difficulté; mais amener cette grande ville se soumettre en employant tour à tour la force et la persuasion et en arrachant les propriétaires et les véritables hommes de bien à l'oppression sous laquelle ils gémissaient, c'est là ce qui était difficile. Tous les efforts de l'empereur dans ces deux journées n'eurent pas d'autre but; ils ont été couronnés du plus grand succès.

A sept heures, la division Lapisse, du corps du maréchal duc de Bellune, arriva. La lune donnait une clarté qui semblait prolonger celle du jour. L'empereur ordonna au général de brigade Maison de s'emparer des faubourgs, et chargea le général de division Lauriston de protéger cette occupation par le feu de quatre pièces d'artillerie de la garde. Les voltigeurs du seizième s'emparèrent des maisons et notamment d'un grand cimetière. Au premier feu l'ennemi montra autant de lâcheté qu'il avait montré d'arrogance pendant toute la journée. Le duc de Bellune employa toute la nuit à placer son artillerie dans les lieux désignés pour l'attaque.

A minuit, le prince de Neufchâtel envoya à Madrid un lieutenant-colonel d'artillerie espagnole qui avait été pris à Somo-Sierra et qui voyait avec effroi la folle obstination de ses concitoyens. Il se chargea de la lettre ci-jointe (nº 1).

Le 3, à neuf heures du matin, le même parlementaire revint au quartier-général avec la lettre ci-jointe (nº 2).

Mais déjà le général de brigade d'artillerie Sénarmont, officier d'un grand mérite, avait placé ses trente pièces d'artillerie et avait commencé un feu très-vif qui avait fait brèche aux murs du Retiro. Des voltigeurs de la division Villatte ayant passé la brèche, leur bataillon les suivit, et en moins d'une heure, quatre mille hommes qui défendaient le Retiro furent culbutés. Le palais du Retiro, les postes importans de l'observatoire, de la manufacture de porcelaine, de la grande caserne et de l'hôtel de Medina-Celi et tous les débouchés qui avaient été mis en défense furent emportés par nos troupes.

D'un autre côté, vingt pièces de canon de la garde jetaient des obus et attiraient l'attention de l'ennemi sur une fausse attaque.

On se serait peint difficilement le désordre qui régnait dans Madrid, si un grand nombre de prisonniers arrivant successivement n'avaient rendu compte des scènes épouvantables et de tout genre dont cette capitale offrait le spectacle. On avait coupé les rues, crénelé les maisons; des barricades de balles de coton et de laine avaient été fermées; les fenêtres étaient matelassées; ceux des habitans qui désespéraient du succès d'une aveugle résistance, fuyaient dans les campagnes; d'autres qui avaient conservé quelque raison, et qui aimaient mieux se montrer au sein de leurs propriétés devant un ennemi généreux, que de les abandonner au pillage de leurs propres concitoyens, demandaient qu'on ne s'exposât point à un assaut. Ceux qui étaient étrangers à la ville ou qui n'avaient rien à perdre, voulaient qu'on se défendît à toute outrance, accusaient les troupes de ligne de trahison et les obligeaient à continuer le feu.

L'ennemi avait plus de cent pièces de canon en batterie; un nombre plus considérable de pièces de 2 et de 3 avaient été déterrées, tirées des caves et ficelées sur des charrettes; équipage grotesque qui seul aurait prouvé le délire d'un peuple abandonné à lui-même. Mais tous moyens de défense étaient devenus inutiles: étant maître du Retiro, on l'est de Madrid. L'empereur mit tous ses soins à empêcher qu'on entrât de maison en maison. C'en était fait de la ville si beaucoup de troupes avaient été employées. On ne laissa avancer que quelques compagnies de voltigeurs que l'empereur se refusa toujours à faire soutenir.

A onze heures, le prince de Neufchâtel écrivit la lettre ci-jointe nº 3; S.M. ordonna aussitôt que le feu cessât sur tous les points.

A cinq heures, le maréchal Morla, l'un des membres de la junte militaire, et don Bernardo Yriarte, envoyé de la ville, se rendirent dans la tente de S.A.S. le major-général. Ils firent connaître que tous les hommes bien pensans ne doutaient pas que la ville ne fût sans ressources, et que la continuation de la défense était un véritable délire; mais que les dernières classes du peuple et la foule des hommes étrangers à Madrid voulaient se défendre et croyaient le pouvoir. Ils demandaient la journée du 4 pour faire entendre raison au peuple. Le prince major-général les présenta à S.M. l'empereur et roi, qui leur dit: «Vous employez en vain le nom du peuple; si vous ne pouvez parvenir à le calmer, c'est parce que vous-mêmes vous l'avez excité, vous l'avez égaré par des mensonges. Rassemblez les curés, les chefs des couvens, les alcades, les principaux propriétaires, et que d'ici à six heures du matin la ville se rende, ou elle aura cessé d'exister. Je ne veux ni ne dois retirer mes troupes. Vous avez massacré les malheureux prisonniers français qui étaient tombés entre vos mains. Vous avez, il y a peu de jours, laissé traîner et mettre à mort dans les rues deux domestiques de l'ambassadeur de Russie parce qu'ils étaient nés Français. L'inhabileté et la lâcheté d'un général avaient mis en vos mains des troupes qui avaient capitulé sur le champ de bataille, et la capitulation a été violée. Vous, monsieur Morla, quelle lettre avez-vous écrite à ce général? Il vous convenait bien de parler de pillage, vous qui étant entré en Roussillon avez enlevé toutes les femmes et les avez partagées comme un butin entre vos soldats. Quel droit aviez-vous, d'ailleurs, de tenir un pareil langage? La capitulation vous l'interdisait. Voyez quelle a été la conduite des Anglais, qui sont bien loin de se piquer d'être rigides observateurs du droit des nations; ils se sont plaints de la convention du Portugal, mais ils l'ont exécutée. Violer les traités militaires, c'est renoncer à toute civilisation, c'est se mettre sur la même ligne que les Bédouins du désert. Comment donc osez-vous demander une capitulation, vous qui avez violé celle de Baylen? Voilà comme l'injustice et la mauvaise foi tournent toujours au préjudice de ceux qui s'en s'en sont rendus coupables. J'avais une flotte à Cadix; elle était l'alliée de l'Espagne, et vous avez dirigé contre elle les mortiers de la ville où vous commandiez. J'avais une armée espagnole dans mes rangs: j'ai mieux aimé la voir passer sur les vaisseaux anglais, et être obligé de la précipiter du haut des rochers d'Espinosa, que de la désarmer; j'ai préféré avoir sept mille ennemis de plus à combattre, que de manquer à la bonne foi et à l'honneur. Retournez à Madrid. Je vous donne jusqu'à demain à six heures du matin. Revenez alors, si vous n'avez à me parler du peuple que pour m'apprendre qu'il s'est soumis. Sinon vous et vos troupes, vous serez tous passés par les armes.»

Le 4 à six heures du matin, le général Morla et le général don Fernando de la Vera, gouverneur de la ville, se présentèrent à la tente du prince major-général. Les discours de l'empereur, répétés au milieu des notables, la certitude qu'il commandait en personne; les pertes éprouvées pendant la journée précédente avaient porté le repentir et la douleur dans tous les esprits; pendant la nuit, les plus mutins s'étaient soustraits au danger par la fuite, et une partie des troupes s'était débandée.

A dix heures, le général Belliard prit le commandement de Madrid, tous les postes furent remis aux Français, et un pardon général fut proclamé.

A dater de ce moment, les hommes, les femmes, les enfans se répandirent dans les rues avec sécurité. Jusqu'à onze heures du soir les boutiques furent ouvertes. Tous les citoyens se mirent à détruire les barricades et à repaver les rues; les moines rentrèrent dans leurs couvens, et en peu d'heures Madrid présenta le contraste le plus extraordinaire; contraste inexplicable pour qui ne connaît pas les moeurs des grandes villes. Tant d'hommes qui ne pouvaient se dissimuler à eux-mêmes ce qu'ils auraient fait dans pareille circonstance, s'étonnent de la générosité des Français. Cinquante mille armes ont été rendues, et cent pièces de canon sont remises au Retiro. Au reste les angoisses dans lesquelles les habitans de cette malheureuse ville ont vécu depuis quatre mois, ne peuvent se dépeindre. La junte était sans puissance; les hommes les plus ignorans et les plus forcenés exerçaient le pouvoir, et le peuple, à chaque instant, massacrait ou menaçait de la potence ses magistrats et ses généraux. Le général de brigade Maison a été blessé. Le général Bruyère, qui s'était avancé imprudemment dans le moment où l'on avait cessé le feu, a été tué. Douze soldats ont été tués, cinquante ont été blessés. Cette perte faible pour un événement aussi mémorable, est due au peu de troupes qu'on a engagées; on la doit aussi, il faut le dire, à l'extrême lâcheté de tout ce qui avait les armes à la main.

L'artillerie a, à son ordinaire, rendu les plus grands services.

Dix mille fuyards échappés de Burgos et de Somo-Sierra, et la deuxième division de l'armée de réserve se trouvaient, le 3, à trois lieues de Madrid; mais chargés par un piquet de dragons, ils se sont sauvés en abandonnant quarante pièces de canon et soixante caissons.

Un trait mérite d'être cité:

Un vieux général retiré du service et âgé de quatre-vingts ans, était dans sa maison à Madrid, près de la rue d'Alcala. Un officier français s'y loge avec sa troupe. Ce respectable vieillard paraît devant cet officier, tenant une jeune fille par la main et dit: Je suis un vieux soldat, voilà ma fille: je lui donne neuf cent mille livres de dot; sauvez lui l'honneur et soyez son époux. Le jeune officier prend le vieillard, sa famille et sa maison sous sa protection. Qu'ils sont coupables ceux qui exposent tant de citoyens paisibles, tant d'infortunés habitans d'une grande capitale à tant de malheurs!

Le duc de Dantzick est arrivé le 3 à Ségovie. Le duc d'Istrie, avec quatre mille hommes de cavalerie, s'est mis à la poursuite de la division Pennas, qui s'étant échappée de la bataille de Tudela, s'était dirigée sur Guadalaxara.

Florida Blanca et la junte s'étaient enfuis d'Aranjuez et s'étaient sauvés à Tolède; ils ne se sont pas crus en sûreté dans cette ville, et se sont réfugiés auprès des Anglais.

La conduite des Anglais est honteuse. Dès le 20, ils étaient à l'Escurial au nombre de six mille, ils y ont passé quelques jours. Ils ne prétendaient pas moins que franchir les Pyrénées et venir sur la Garonne. Leurs troupes sont superbes et bien disciplinées. La confiance qu'elles avaient inspirée aux Espagnols est inconcevable; les uns espéraient que cette division irait à Somo-Sierra, les autres qu'elle viendrait défendre la capitale d'un allié si cher; mais tous connaissaient mal les Anglais. A peine eut-on avis que l'empereur était à Somo-Sierra, que les troupes anglaises battirent en retraite sur l'Escurial. De là, combinant leur marche avec la division de Salamanque, elles se dirigèrent sur la mer. Des armes, de la poudre, des habits, ils nous en ont donné, disait un Espagnol; mais leurs soldats ne sont venus que pour nous exciter, nous égarer et nous abandonner au milieu de la crise.—Mais, répondit un officier français, ignorez-vous donc les faits les plus récens de notre histoire? Qu'ont-ils donc fait pour le stathouder, pour la Sardaigne, pour l'Autriche? Qu'ont-ils fait plus récemment encore pour la Suède? Ils fomentent partout la guerre, ils distribuent des armes comme du poison, mais ils ne versent leur sang que pour leurs intérêts directs et personnels. N'attendez pas autre chose de leur égoïsme.—Cependant, répliqua l'Espagnol, leur cause était la nôtre. Quarante mille Anglais ajoutés à nos forces à Tudela et à Espinosa pouvaient balancer les destins et sauver le Portugal. Mais à présent que notre armée de Blake à la gauche, que celle du centre, que celle d'Aragon à la droite sont détruites, que les Espagnes sont presque conquises, et que la raison va achever de les soumettre, que deviendra le Portugal? Ce n'est pas à Lisbonne que les Anglais devaient le défendre, c'est à Espinosa, à Burgos, à Tudela, à Somo-Sierra et devant Madrid.




Devant Madrid, le 3 décembre 1808.

Nº 1. A Monsieur le commandant de la ville de Madrid.

Les circonstances de la guerre ayant conduit l'armée française aux portes de Madrid, et toutes les dispositions étant faites pour s'emparer de la ville de vive force, je crois convenable et conforme à l'usage de toutes les nations de vous sommer, monsieur le général, de ne pas exposer une ville aussi importante à toutes les horreurs d'un assaut, et rendre tant d'habitans paisibles victimes des maux de la guerre. Voulant ne rien épargner pour vous éclairer sur votre véritable situation, je vous envoie la présente sommation par l'un de vos officiers fait prisonnier et qui a été à portée de voir les moyens qu'a l'armée pour réduire la ville.

Recevez, monsieur le général, etc.

ALEXANDRE.




No. 2. A S.A.S. le prince de Neufchâtel.

Monseigneur,

Avant de répondre catégoriquement à V.A., je ne puis me dispenser de consulter les autorités constituées de cette ville et de connaître les dispositions du peuple en lui donnant avis des circonstances présentes.

A ces fins, je supplie V.A. de m'accorder cette journée de suspension pour m'acquitter de ces obligations, vous promettant que demain, de bonne heure, ou même cette nuit, j'enverrai ma réponse à V.A. par un officier-général.

Je prie V.A. d'agréer, etc.

F. marquis de CASTELAR.




Au camp impérial devant Madrid, le 4 décembre 1808, à onze heures du matin.

Nº 3. Au général commandant Madrid.

Monsieur le général Castelar, défendre Madrid est contraire aux principes de la guerre et inhumain pour les habitans. S.M. m'autorise à vous envoyer une seconde sommation. Une artillerie immense est en batterie; des mineurs sont prêts à faire sauter vos principaux édifices; des colonnes sont à l'entrée des débouchés de la ville, dont quelques compagnies de voltigeurs se sont rendues maîtresses. Mais l'empereur, toujours généreux dans le cours de ses victoires, suspend l'attaque jusqu'à deux heures. La ville de Madrid doit espérer protection et sûreté pour ses habitans paisibles, pour le culte, pour ses ministres, enfin l'oubli du passé. Arborez un pavillon blanc avant deux heures et envoyez des commissaires pour traiter de la reddition de la ville.

Recevez, monsieur le général, etc.

Le major-général,

ALEXANDRE.




Madrid, 7 décembre 1808.

Quinzième bulletin de l'armée d'Espagne.

Sa Majesté a nommé le général d'artillerie Sénarmont général de division. Le major Ségur a été nommé adjudant-commandant. On avait désespéré de la vie de cet officier; mais il est aujourd'hui hors de danger.

Le comte Krazinski, colonel des chevau-légers polonais, quoique malade, a toujours voulu charger à la tête de son corps.

Les sieurs Balecki et Wolygurski, maréchaux-des-logis, et Surzieski, soldat des chevau-légers polonais qui ont pris des drapeaux à l'ennemi, ont été nommés membres de la légion-d'honneur.

Sa Majesté a de plus accordé aux chevau-légers polonais huit décorations pour les officiers, et un pareil nombre pour les soldats.

Le duc de l'Infantado a été une des premières causes des malheurs que son pays a éprouvés; il fut le principal instrument de l'Angleterre dans ses funestes projets contre l'Espagne; c'est lui qu'elle employa pour diviser le père et le fils, pour renverser du trône le roi Charles, dont l'attachement pour la France était connu; pour susciter des orages populaires contre le premier ministre de ce souverain; pour élever à la puissance suprême ce jeune prince, qui, dans son mariage avec une princesse de l'ancienne maison de Naples, avait puisé cette haine contre les Français dont cette maison ne s'est jamais départie. Ce fut le duc de l'Infantado qui joua le premier rôle dans la conspiration de l'Escurial, et c'est à lui que fut alors confié le pouvoir de généralissime des armées d'Espagne. On le vit ensuite prêter serment à Baïonne entre les mains du roi Joseph comme colonel des gardes espagnoles. De retour à Madrid, on le vit jeter le masque et se montrer ouvertement l'homme des Anglais. C'est chez lui que logeaient les ministres de l'Angleterre; c'est dans sa société que vivaient les agens accrédités ou secrets de cette puissance. Après avoir excité ses concitoyens à une résistance insensée, on l'a vu, aussi lâche que traître, s'enfuir de Madrid à Guadalaxara, sous le prétexte d'aller chercher du secours, se soustraire par cette ruse aux périls dans lesquels il avait entraîné ses concitoyens, et ne montrer quelque sollicitude que pour l'agent anglais, qu'il emmena dans sa propre voiture et auquel il servit d'escorte. Que lui vaudra cette conduite? Il perdra ses titres, il perdra ses biens, qu'on évalue à deux millions de rentes, et il ira chercher à Londres les mépris, les dédains et l'oubli dont l'Angleterre a toujours payé les hommes qui ont sacrifié leur honneur et leur patrie à l'injustice de sa cause.

Aussitôt que le rapport du chef d'escadron comte Lubienski fut connu, le duc d'Istrie se mit en marche avec seize escadrons de cavalerie pour observer l'ennemi. Le duc de Bellune suivit avec l'infanterie. Le duc d'Istrie, arrivé à Guadalaxara, y trouva l'arrière-garde ennemie qui filait sur l'Andalousie, la culbuta et lui fit cinq cents prisonniers. Le général de division Ruffin et la brigade de dragons Bordesoult informés que des ennemis se dirigeaient sur Aranjuez, se sont portés sur ce point; l'ennemi en a été chassé, et ces troupes se sont mises aussitôt à la poursuite de tout ce qui fuit vers l'Andalousie.

Le général de division Lahoussaye est entré le 5 à l'Escurial. Cinq à six cents paysans voulaient défendre le couvent, ils en ont été chassés de vive force.

Chaque jour les restes de la stupeur dans laquelle étaient tombés les habitans de Madrid, se dissipent. Ceux qui avaient caché leurs meubles et leurs effets précieux les rapportent dans leurs maisons. Les boutiques se garnissent comme à l'ordinaire; les barricades et tous autres apprêts de défense ont disparu. L'occupation de Madrid s'est faite sans désordre, et la tranquillité règne dans toutes les parties de cette grande ville. Un fusilier de la garde ayant été trouvé saisi de plusieurs montres, et ayant été convaincu de les avoir volées, a été fusillé sur la principale place de Madrid.

On a trouvé dans cette ville deux cents milliers de poudre, dix mille boulets, deux millions de plomb, cent pièces de canon de campagne et cent vingt mille fusils, la plupart anglais. Le désarmement continue sans aucune difficulté; tous les habitans s'y prêtent avec la meilleure volonté; ils reviennent avec empressement et de bonne foi à l'autorité royale qui les soustrait à la malfaisance de l'Angleterre, à la violence des factions et aux désordres des mouvemens populaires.

Le roi d'Espagne a créé un régiment qui porte le nom de royal-étranger, et dans lequel sont admis les déserteurs et les Allemands qui étaient au service d'Espagne. Il a aussi formé un régiment suisse de Réding le jeune: cet officier s'étant comporté parfaitement et en véritable patriote suisse; bien différent en cela du général Réding; l'un a bien mérité de ses compatriotes, et obtiendra partout l'estime; l'autre, généralement méprisé, ira dans les tavernes de Londres jouir d'une centaine de livres sterling mal acquises et payées avec dédain; il sera émigré du continent. Les régimens royal-étranger et Réding le jeune ont déjà plusieurs milliers d'hommes.

Le cinquième et le huitième corps de l'armée d'Espagne et trois divisions de cavalerie ne font que passer la Bidassoa; ils sont encore bien loin d'être en ligne, et cependant beaucoup de victoires ont déjà été obtenues, et la plus grande partie de la besogne est faite.




Au camp impérial de Madrid, 7 décembre 1808.

Proclamation.

Espagnols,

Vous avez été égarés par des hommes perfides; ils vous ont engagés dans une lutte insensée, et vous ont fait courir aux armes. Est-il quelqu'un parmi vous qui, réfléchissant un moment sur tout ce qui s'est passé, ne soit aussitôt convaincu que vous avez été le jouet des perpétuels ennemis du continent qui se réjouissaient en voyant répandre le sang espagnol et le sang français? Quel pouvait être le résultat du succès même de quelques campagnes? Une guerre de terre sans fin et une longue incertitude sur le sort de vos propriétés et de votre existence. Dans peu de mois vous avez été livrés à toutes les angoisses des factions populaires. La défaite de vos armées a été l'affaire de quelques marches. Je suis entré dans Madrid: les droits de la guerre m'autorisaient à donner un grand exemple, et à laver dans le sang des outrages faits à moi et à ma nation: je n'ai écouté que la clémence. Quelques hommes, auteurs de tous vos maux, seront seuls frappés. Je chasserai bientôt de la Péninsule cette armée anglaise qui a été envoyée en Espagne non pour vous secourir, mais pour vous inspirer une fausse confiance et vous égarer.

Je vous avais dit dans ma proclamation du 2 juin que je voulais être votre régénérateur. Aux droits qui m'ont été cédés par les princes de la dernière dynastie, vous avez voulu que j'ajoutasse le droit de conquête. Cela ne changera rien à mes dispositions. Je veux même louer ce qu'il peut y avoir eu de généreux dans vos efforts, je veux reconnaître que l'on vous a caché vos vrais intérêts, qu'on vous a dissimulé le véritable état des choses. Espagnols, votre destinée est entre vos mains. Rejetez les poisons que les Anglais ont répandus parmi vous; que votre roi soit certain de votre amour et de votre confiance, et vous serez plus puissans, plus heureux que vous n'avez jamais été. Tout ce qui s'opposait à votre prospérité et à votre grandeur, je l'ai détruit; les entraves qui pesaient sur le peuple, je les ai brisées; une constitution libérale vous donne, au lieu d'une monarchie absolue, une monarchie tempérée et constitutionnelle. Il dépend de vous que cette constitution soit encore votre loi.

Mais si tous mes efforts sont inutiles, et si vous ne répondez pas à ma confiance, il ne me restera qu'à vous traiter en provinces conquises, et à placer mon frère sur un autre trône. Je mettrai alors la couronne d'Espagne sur ma tête et je saurai la faire respecter des méchans, car Dieu m'a donné la force et la volonté nécessaires pour surmonter tous les obstacles.

NAPOLÉON.




Au camp impérial de Madrid, 7 décembre 1808.

Circulaire aux archevêques, aux évêques et aux président des consistoires.

M. l'évêque de......,

Les victoires remportées par nos armes aux champs d'Espinosa, de Burgos, de Tudela et de Somo-Sierra, l'entrée de nos troupes dans la ville de Madrid, et le bonheur particulier que nous avons eu de sauver cette ville intacte des mains des brigands insurgés qui en tenaient tous les honnêtes habitans sous l'oppression, nous portent à vous écrire cette lettre. Nous désirons qu'aussitôt après sa réception, vous vous concertiez avec qui de droit, afin d'appeler nos peuples dans les églises, et de faire chanter un Te Deum et telles autres prières que vous vous voudrez désigner, pour rendre grâce à Dieu d'avoir protégé nos armes et d'avoir confondu les ennemis de notre nation et de la tranquillité du continent, qui, réveillant sans cesse l'esprit de faction, cherchent à consolider leur monopole par les désordres publics et par le malheur des peuples.

Sur ce, M. l'évêque d...., nous prions Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

NAPOLÉON.




Madrid, le 8 décembre 1808.

Seizième bulletin de l'armée d'Espagne.

Le duc de Montebello se loue beaucoup de la conduite du général de brigade Pouzet à la bataille de Tudela; du général de division Lefebvre, du général de brigade d'artillerie Couin, de son aide-de-camp Gueheneuc. Il fait une mention particulière des trois régimens de la Vistule. Le général de brigade Augereau, qui a chargé à la tête de la division Morlot, s'est fait remarquer. Messieurs Viry et Labédoyère ont pris une pièce de canon au milieu de la ligne ennemie. Le second a été légèrement blessé au bras.

S. M. a nommé le colonel Pépin général de brigade, et le major polonais Kliki, colonel. Le colonel polonais Kasinowski, qui a été blessé, a été nommé membre de la légion-d'honneur.

Le général de division Ruffin, ayant passé le Tage à Aranjuez, s'est porté sur Orcanna et a coupé le chemin aux débris de l'armée d'Andalousie qui voulaient se retirer en Andalousie et qui se sont jetés sur Cuença.

Les divisions de cavalerie des généraux Lasalle et Milhaud se sont dirigées sur le Portugal par Talavera de la Reina.

Le duc de Dantzick arrive aujourd'hui à Madrid avec son corps d'armée.

Le maréchal Ney, avec son corps d'armée, est arrivé à Guadalaxara venant de Sarragosse.

S. M. voulant épargner aux honnêtes habitans de cette ville les horreurs d'un assaut, n'a pas voulu qu'on attaquât Sarragosse jusqu'au moment où la nouvelle des événemens de Madrid et de la dispersion des armées espagnoles y serait connue. Cependant si cette ville s'obstinait dans sa résistance, les mines et les bombes en feraient raison.

Le huitième corps est entré en Espagne. Le général Delaborde va porter son quartier-général à Vittoria.

La division polonaise du générai Valence arrive aujourd'hui à Buitrago.

Les Anglais sont en retraite de tous côtés. La division Lasalle a cependant rencontré seize hommes qu'elle a sabrés; c'était des traîneurs ou des hommes qui s'étaient égarés.

Le maréchal Mortier arrivera le 16 en Catalogne, pour tourner l'armée ennemie et faire sa jonction avec les généraux Duhesnie et Saint-Cyr.

Le 23 novembre, la brèche du château de la Trinité de la ville de Roses était au moment de se trouver praticable. Le même jour, les Anglais ont débarqué quatre cents hommes au pied du château. Un bataillon italien a marché sur eux, leur a tué dix hommes, en a blessé davantage et a jeté le reste dans la mer.

On a remarqué une trentaine de barques qui sortaient du port de Roses, ce qui porte à penser que les habitans commencent à évacuer la ville.

Le 24, l'avant-garde ennemie, campée sur la Fluvia, forte de cinq à six mille hommes, et commandée par le général Alvarès, est venue en plusieurs colonnes attaquer les points de Navata, Puntos, Armodas et Garrigas, occupés par la division du général Souham. Le premier régiment d'infanterie légère et le quatrième bataillon de la troisième légère ont soutenu seuls l'effort de l'ennemi et l'ont ensuite repoussé.

L'ennemi a été rejeté au-delà de la Fluvia, avec une perte considérable en tués et blessés. On a fait des prisonniers, parmi lesquels se trouvent le colonel Lebrun, commandant en second de l'expédition, et colonel du régiment de Tarragone, le major et un capitaine du même régiment.




Madrid, le 10 décembre 1808.

Dix-septième bulletin de l'armée d'Espagne.

S. M. a passé hier, au Prado, la revue du corps du maréchal duc de Dantzick, arrivé avant-hier à Madrid; elle a témoigné sa satisfaction à ces braves troupes.

Elle a passé aujourd'hui la revue des troupes de la confédération du Rhin, formant la division commandée par le général Leval. Les régimens de Nassau et de Bade se sont bien comportés. Le régiment de Hesse-Darmstadt n'a pas soutenu la réputation des troupes de ce pays et n'a pas répondu à l'opinion qu'elles avaient donnée d'elles dans les campagnes de Pologne. Le colonel et le major paraissent être des hommes médiocres.

Le duc d'Istrie est parti le 6 de Guadalaxara; il a fait battre toute la route de Sarragosse et de Valence, a fait cinq cents prisonniers et a pris beaucoup de bagages. Au Bastan, un bataillon de cinq cents hommes, cerné par la cavalerie, a été écharpé.

L'armée ennemie, battue à Tudela, à Catalayud, abandonnée par ses généraux, par une partie de ses officiers et par un grand nombre de soldats, était réduite à six mille hommes.

Le 8, à minuit, le duc d'Istrie fit attaquer par le général Montbrun à Santa-Cruz un corps qui protégeait la fuite de l'armée ennemie. Ce corps fut poursuivi l'épée dans les reins, et on lui fit mille prisonniers. Il voulut se jeter dans l'Andalousie par Madridego. Il paraît qu'il a été forcé de se disperser dans les montagnes de Cuença.




Madrid, 12 décembre 1808.

Dix-huitième bulletin de l'armée d'Espagne.

La junte centrale d'Espagne avait peu de pouvoir. La plupart des provinces lui répondaient à peine; toutes lui avaient arraché l'administration des finances. Elle était influencée par la dernière classe du peuple; elle était gouvernée par la minorité; Florida-Blanca était sans aucun crédit. La junte était soumise à la volonté de deux hommes, l'un nommé Lorenzo-Calvo, marchand épicier de Sarragosse, qui avait gagné en peu de mois le titre d'excellence; c'était un de ces hommes violens qui paraissent dans les révolutions; sa probité était plus que suspecte; l'autre était un nommé Tilly, condamné autrefois aux galères comme voleur, frère cadet du nommé Gusman, qui a joué un rôle sous Robespierre dans le temps de la terreur, et bien digne d'avoir eu pour frère ce misérable. Aussitôt que quelque membre de la junte voulait s'opposer à des mesures violentes, ces deux hommes criaient à la trahison: un rassemblement se formait sous les fenêtres d'Aranjuez, et tout le monde signait. L'extravagance et la méchanceté de ces meneurs se manifestaient de toutes les manières. Aussitôt qu'ils apprirent que l'empereur était à Burgos et que bientôt il serait à Madrid, ils poussèrent le délire jusqu'à faire contre la France une déclaration de guerre remplie d'injures et de traits de folie.

Ce que les honnêtes gens ont à en souffrir de la dernière classe du peuple se concevrait à peine, si chaque nation ne trouvait dans ses annales le souvenir de crises semblables.

Récemment encore trois respectables habitans de Tolède ont été égorgés.

Lorsque le 11, le général de division Lasalle, poursuivant l'ennemi, est arrivé à Talavera de la Reyna, où les Anglais étaient passés en triomphe dix jours auparavant, en annonçant qu'ils allaient secourir la capitale, un spectacle affreux s'est offert aux yeux des Français: un cadavre revêtu de l'uniforme de général espagnol, était suspendu a une potence et percé de mille coups de fusil: c'était le général Bénito San Juan, que ses soldats, dans le désordre de leur terreur panique, et pour donner un prétexte à leur lâcheté, avaient aussi indignement sacrifié.

Ils n'ont repris haleine à Talavera, que pour torturer leur infortuné général, qui pendant tout un jour, a été le but de leur barbarie et de leur adresse atroce.

Talavera de la Reyna est une ville considérable, située sur la belle vallée du Tage et dans un pays très-fertile.

Les évêques de Léon et d'Astorga, et un grand nombre d'ecclésiastiques, se sont distingués par leur bonne conduite et par l'exemple des vertus apostoliques.

Le pardon général accordé par l'empereur et les dispositions qui marquent l'établissement de la nouvelle dynastie par l'anéantissement des maisons des principaux coupables, ont produit un grand effet. La destruction de droits odieux au peuple et contraires à la prospérité de l'état, et la mesure qui ne laisse plus à la classe nombreuse des moines aucune incertitude sur son sort, ont un bon résultat.

L'animadversion générale se dirige contre les Anglais. Les paysans disent dans leur langage, qu'à l'approche des Français, les Anglais sont allés monter sur leurs chevaux de bois.

S. M. a passé hier la revue de plusieurs corps de cavalerie. Elle a nommé commandant de la Légion d'Honneur, le colonel des lanciers polonais Konopka. Le corps que cet officier commande s'est couvert de gloire dans toutes les occasions.

S. M. a témoigné sa satisfaction à la brigade Dijon, pour sa bonne conduite à la bataille de Tudela.

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