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Anagramméana, poëme en huit chants

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PRÉFACE.

Le 18e siècle a vu renaître les Calembourgs, les Charades, les Rebus ; le 19e a produit l'Almanach des gourmands, et autres inventions aussi utiles que précieuses ; moi, j'ai imaginé, puisque les ANA sont à la mode, de faire ANAGRAMMÉANA.

Personne n'a peut-être jamais eu d'idée plus heureuse que celle que ma muse m'a inspirée. Cette nouvelle manière de considérer les Anagrammes est vraiment curieuse, puisqu'elle doit faire les délices non seulement de mes contemporains ; mais celles même de la postérité la plus reculée où mon nom parviendra sans obstacles. Elle est encore plus heureuse cette idée, puisqu'en me couvrant de gloire, elle ne m'attirera l'envie ni la haine de personne ; chacun satisfait du plaisir qu'il goûtera à la lecture de mon poëme, en remerciera l'auteur, fera des vœux pour sa conservation, et pour que les loisirs que lui laisseront ses pénibles travaux, lui permettent continuer une entreprise aussi ingénieuse qui, si elle a ses roses, ne laisse pas que d'avoir ses épines.

En effet, s'il est aisé de faire un ouvrage sans plan, sans intrigue, presque sans épisodes, il est pénible d'assembler toutes ces Anagrammes, de vaincre la difficulté de la rime, et de donner à chaque distique un sens fini dans des vers d'une seule mesure et d'une si petite dimension ; à faire le mélange des rimes sans presque se répéter, et à donner à ces répétions, lorsqu'elles ont lieu, un air tout neuf.

Il est des rimes si rares qu'il a fallu bien des recherches pour les employer ; ç'aurait été le cas de recourir au Dictionnaire de Richelet ; mais où en serait la possibilité? Non seulement il faudrait y chercher la rime ; mais il faudrait encore faire les Anagrammes de tous les mots ; on sent que cela est impraticable.

Ce n'est pas pour faire valoir mon travail que j'en montre ici les difficultés ; ce n'est pas non plus pour me jetter aux pieds de mes lecteurs, on ne doit pas se montrer en suppliant pour donner du plaisir. Je veux seulement démontrer à des gens frivoles qui croient que tout est facile, que rien en effet n'est plus aisé que ce genre ; mais qu'il s'agissait de le trouver. On conviendra sans peine que parmi les découvertes dont ce siècle s'honore, celle ci n'est pas la moins utile, puisqu'elle tend à dérider le front de ces gens austères qui semblent avoir fait vœu de ne jamais rire ; et je dis que l'homme qui rit est plus disposé à la bienveillance, que celui qui garde un sérieux glacé.[1]

[1] Ce qu'on croira difficilement c'est qu'un ouvrier, un simple ouvrier soit l'auteur d'une découverte aussi précieuse. Je ne suis pas comme M. Grimod de la Reynière le fils d'un fermier général administrateur des postes, dont les richesses étaient considérables ; je n'ai donc pas pu inventer l'Almanach des gourmands ; les mets que j'offre à mes lecteurs, pour être plus simples n'en sont pas moins savoureux ; tout dépend de l'habitude du palais.

On sera peut-être étonné de l'art employé dans ce poëme : il est tel qu'on peut en commencer la lecture par le dernier chant comme par le premier ; je dis même qu'on peut le prendre au point où l'on veut sans que l'intérêt en souffre ; on peut commencer par le dernier vers et finir par le premier ; on y trouvera le même plaisir, et ce n'est pas une petite chose que de s'amuser et de s'instruire sans fatiguer son esprit.

J'espère que cet ouvrage occupera un rang distingué dans les bibliothèques où il pourra trouver place auprès du Biévriana, des Bigarrures du Sr Des accords, etc., etc. et qu'un jour il sera payé au poids de l'or par les bibliomanes qui le feront magnifiquement relier en maroquin et dorer comme un calice ; je me transporte en idée dans ces tems reculés, et je jouis par anticipation des hommages qui me seront rendus par la postérité.

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