Chroniques de J. Froissart, tome 03/13 : $b 1342-1346 (Depuis la trêve entre Jeanne de Montfort et Charles de Blois jusqu'au siége de Calais)
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Title: Chroniques de J. Froissart, tome 03/13
1342-1346 (Depuis la trêve entre Jeanne de Montfort et Charles de Blois jusqu'au siége de Calais)
Author: Jean Froissart
Editor: Siméon Luce
Release date: December 12, 2023 [eBook #72385]
Language: French
Original publication: Paris: Vve J. Renouard, 1869
Credits: Clarity, Hans Pieterse and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica))
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CHRONIQUES
DE
J. FROISSART
PARIS.—TYPOGRAPHIE LAHURE
Rue de Fleurus, 9
CHRONIQUES
DE
J. FROISSART
PUBLIÉ POUR LA SOCIÉTÉ DE L’HISTOIRE DE FRANCE
PAR SIMÉON LUCE
TOME TROISIÈME
1342-1346
(DEPUIS LA TRÊVE ENTRE JEANNE DE MONTFORT ET CHARLES DE BLOIS JUSQU’AU SIÉGE DE CALAIS)
A PARIS
CHEZ MME VE JULES RENOUARD
H. LAURENS, SUCCESSEUR
LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ DE L’HISTOIRE DE FRANCE
RUE DE TOURNON, Nº 6
M DCCC LXXII
EXTRAIT DU RÈGLEMENT.
Art. 14.—Le Conseil désigne les ouvrages à publier, et choisit les personnes les plus capables d’en préparer et d’en suivre la publication.
Il nomme, pour chaque ouvrage à publier, un Commissaire responsable chargé d’en surveiller l’exécution.
Le nom de l’Éditeur sera placé en tête de chaque volume.
Aucun volume ne pourra paraître sous le nom de la Société sans l’autorisation du Conseil, et s’il n’est accompagné d’une déclaration du Commissaire responsable, portant que le travail lui a paru mériter d’être publié.
Le Commissaire responsable soussigné déclare que le tome III de l’édition des Chroniques de J. Froissart, préparé par M. Siméon Luce, lui a paru digne d’être publié par la Société de l’Histoire de France.
Fait à Paris, le 5 février 1872.
Signé L. DELISLE.
Certifié,
Le Secrétaire de la Société de l’Histoire de France,
J. DESNOYERS.
SOMMAIRE.
CHAPITRE LI.
1342. ROBERT D’ARTOIS EN BRETAGNE[1] (§§ 181 à 192).
Édouard III donne de grandes joutes à Londres en l’honneur de la comtesse de Salisbury[2] dont il est toujours épris. Douze comtes, huit cents chevaliers, cinq cents dames et pucelles assistent à ces joutes qui durent quinze jours.—Noms des principaux chevaliers, tant d’Angleterre que d’Allemagne, de Flandre, de Hainaut et de Brabant.—Toutes les dames et les damoiselles s’y montrent parées de leurs plus beaux atours, sauf la comtesse de Salisbury qui s’y rend dans le plus simple appareil, tant elle désire ne pas attirer sur elle les regards du roi d’Angleterre. Jean, fils aîné de Henri vicomte de Beaumont d’Angleterre, périt dans une de ces joutes de la main du comte de Hainaut. P. 1 à 3, 197 à 201.
Édouard III envoie l’évêque de Lincoln proposer une trêve de deux ans au roi David d’Écosse qui, après l’avoir d’abord refusée, finit par l’accepter du consentement du roi de France son allié[3]. P. 4 à 7, 201 à 207.
Sur les instances de Jeanne de Flandre, comtesse de Montfort, qui a profité de la trêve[4] conclue entre elle et Charles de Blois pour aller en Angleterre demander du secours[5], Édouard III donne à cette princesse son alliée une armée de mille hommes d’armes et de deux mille archers sous les ordres de Robert d’Artois, pour retourner en Bretagne. La flotte qui porte cette armée se compose de trente six vaisseaux grands et petits; en quittant l’île de Guernesey, elle se rencontre avec une flotte au service du roi de France que commandent Louis d’Espagne, Charles Grimaldi et Ayton Doria. La flotte française ne se compose que de trente deux vaisseaux espagnols montés par mille hommes d’armes et trois mille Génois; mais parmi ces trente deux vaisseaux il y a neuf galées, dont trois plus fortes que les autres et montées par les trois amiraux en personne. Louis d’Espagne, qui veut prendre sa revanche de l’échec de Quimperlé, attaque les Anglais avec beaucoup d’impétuosité; toutefois l’action n’avait pu s’engager que dans l’après-midi, et une tempête qui survient, jointe à l’obscurité de la nuit, met fin à cette lutte et sépare les combattants. Les amiraux français, qui craignent d’être jetés à la côte avec leurs gros vaisseaux, gagnent à toutes voiles la haute mer, tandis que Robert d’Artois, chef de la flotte anglaise, réussit à jeter l’ancre dans un petit port, à quelque distance de Vannes[6]. P. 7 à 11, 206 à 211.
Pendant que Louis d’Espagne est poussé par les vents contraires jusque sur les côtes de Navarre et revient à grand peine à la Rochelle, puis à Guérande, après avoir capturé sur sa route quatre navires de Bayonne, la comtesse de Montfort et Robert d’Artois mettent le siége devant Vannes. Une forte garnison tient cette ville pour Charles de Blois sous les ordres de Hervé de Léon, d’Olivier de Clisson, des seigneurs de Tournemine et de Lohéac. Les Anglais pillent et brûlent tout le pays situé entre Dinan[7], la Roche-Piriou[8], Gouelet-Forest, la Roche-Bernard[9] et Suscinio[10]. Gautier de Mauny lui-même, après s’être tenu quelque temps à Hennebont, laissant cette forteresse sous la garde de Guillaume de Cadoudal, accourt sous les murs de Vannes avec Ivon de Trésiguidy, cent hommes d’armes et deux cents archers, pour renforcer les assiégeants. La ville est prise après un jour d’assaut, et Gautier de Mauny y entre le premier. Hervé[11] de Léon, Olivier de Clisson, les seigneurs de Tournemine, de Lohéac et les autres chevaliers du parti français n’ont pas le temps de se retirer dans le château, mais ils parviennent à se sauver. P. 11 à 16, 211 à 217.
Après la prise de Vannes, la comtesse de Montfort, Gautier de Mauny et Ivon de Trésiguidy rentrent à Hennebont, tandis que les comtes de Salisbury, de Pembroke, de Suffolk vont assiéger Rennes. Quatre jours avant l’arrivée des Anglais devant Rennes Charles de Blois avait quitté cette ville, y laissant bonne garnison et s’était rendu avec sa femme à Nantes[12]. P. 11 à 17, 211 à 220.
Hervé de Léon et Olivier de Clisson font appel à Robert de Beaumanoir, maréchal de Bretagne, et à tous les partisans de Charles de Blois, pour reprendre Vannes à Robert d’Artois. Pierre Portebeuf, capitaine de Dinan, leur amène mille hommes; le capitaine d’Aurai, deux cents; Gérard de Mâlain, châtelain de la Roche-Piriou, deux cents; Renier de Mâlain, châtelain du Faouët, cent; le sire de Quintin, capitaine de Quimper-Corentin, cinq cents. Robert d’Artois est bientôt assiégé dans Vannes par des forces qui ne s’élèvent pas à moins de douze mille hommes; il est blessé à un assaut et n’a que le temps de se sauver par une poterne pour chercher un refuge à Hennebont. Édouard Spencer, fils de Hugh Spencer, est aussi blessé à cet assaut et ne survit que trois jours à sa blessure. Quant à Robert d’Artois, il repasse en Angleterre pour se guérir, mais les fatigues de la traversée empirent sa situation, et il meurt à Londres[13], où Édouard III lui fait faire de magnifiques obsèques. P. 17 à 20, 220 à 224.
CHAPITRE LII.
1342 ET 1343. ÉDOUARD III EN BRETAGNE[14] (§§ 192 à 202).
Le roi d’Angleterre jure de venger la mort de Robert d’Artois. De grands préparatifs sont faits dans les ports de Plymouth, de Wesmouth, de Darmouth et de Southampton. Édouard III prend bientôt la mer[15] avec deux mille hommes d’armes et six mille archers, et, après avoir côtoyé la Normandie, les îles de Guernesey et de Brehat, débarque en Bretagne, à quelque distance d’Hennebont où se tient la comtesse de Montfort; puis il va mettre le siége devant Vannes, que garde pour Charles de Blois une garnison de deux cents chevaliers et écuyers sous les ordres[16] d’Olivier de Clisson, de Hervé de Léon, de Geffroi de Malestroit, du vicomte de Rohan et du sire de la Roche Tesson. Après un assaut infructueux, le roi d’Angleterre laisse une partie de ses gens devant Vannes, puis il va rejoindre avec le gros de ses forces les chevaliers anglais qui assiégent Rennes. Là, il apprend que Charles de Blois, sa femme et ses enfants se sont refugiés à Nantes, c’est pourquoi il se dirige aussitôt de ce côté; arrivé sous les murs de cette ville, il y offre la bataille à Charles de Blois, qui la refuse. Force lui est de se borner à investir Nantes[17], et encore d’un côté seulement, car les Français ont réussi à garder leurs communications du côté de la ville qui regarde le Poitou, par où ils s’approvisionnent. De ce côté aussi, les assiégés reçoivent des renforts amenés par Louis d’Espagne, Charles Grimaldi et Ayton Doria, qui, avec leurs Espagnols, Génois, Bretons et Normands, écumeurs de mer, ont passé la saison à détrousser les marchands, aussi bien ceux du parti français que ceux du parti anglais. Édouard III laisse devant Nantes la moitié de ses forces, et avec l’autre moitié il va assiéger Dinan; ainsi, en une saison et à la fois, en personne ou par ses gens, il met le siége devant trois cités (Vannes, Rennes, Nantes) et une bonne ville (Dinan). A un terrible assaut qui se livre sous les murs de Vannes, Olivier de Clisson et Hervé de Léon[18] sont faits prisonniers du côté des Français, le baron de Stafford du côté des Anglais. Le roi d’Angleterre s’empare de Dinan et revient renforcer ceux de ses gens qui assiégent Vannes. Sur ces entrefaites, Louis d’Espagne, Charles Grimaldi et Ayton Doria surprennent la flotte anglaise, qui était à l’ancre dans un petit port près de Vannes et la maltraitent. Pour éviter le retour d’une surprise du même genre, Édouard III met ses navires à couvert, partie dans le havre de Brest, partie dans celui d’Hennebont. P. 20 à 29, 224 à 239.
Par l’ordre du roi de France son père, Jean, duc de Normandie, se met à la tête d’une armée de dix mille hommes d’armes et de trente mille gens de pied qui s’est rassemblée à Angers[19] et marche au secours de son cousin Charles de Blois. A l’approche des Français, les Anglais qui assiégeaient Nantes lèvent le siége de cette ville et vont rejoindre devant Vannes le roi d’Angleterre.—Pendant le séjour du duc de Normandie à Nantes, les Anglais livrent un assaut à la ville de Rennes, qui dure un jour entier; ils y perdent beaucoup de gens par suite de la vigoureuse résistance des assiégés qui ont à leur tête leur évêque, le baron d’Ancenis, le sire du Pont, Jean de Malestroit, Yvain Charruel et Bertrand du Guesclin, alors jeune écuyer.—Le duc de Normandie quitte Nantes pour marcher avec son armée au secours de Vannes assiégée par les Anglais: il établit son camp en face des assiégeants; ce que voyant, Édouard III, qui a besoin de toutes ses forces pour résister à un ennemi quatre fois supérieur en nombre, fait lever le siége de Rennes[20]. Les cardinaux de Palestrina et de Clermont[21] sont chargés par le pape Clément VI[22] de s’entremettre de la paix entre les deux partis, que la disette de vivres et la rigueur de la saison obligent à accepter cette médiation[23]. Une trêve est conclue entre les deux rois de France et d’Angleterre, qui doit durer jusqu’à la Saint Michel prochaine, et de là en trois ans[24]. Le duc de Normandie retourne en France, et Édouard III en Angleterre. P. 29 à 35, 239 à 247.
CHAPITRE LIII.
1343. EXÉCUTION D’OLIVIER DE CLISSON SUIVIE DE CELLE D’UN CERTAIN NOMBRE DE CHEVALIERS BRETONS.—1344. EXÉCUTION DES SEIGNEURS NORMANDS COMPLICES DE GODEFROI DE HARCOURT.—ÉDOUARD III FAIT DÉFIER LE ROI DE FRANCE[25] (§§ 202 à 204).
Olivier de Clisson, accusé de haute trahison, subit à Paris le dernier supplice[26]; environ dix chevaliers ou écuyers de Bretagne sont mis à mort quelque temps après l’exécution d’Olivier de Clisson, comme complices de ce dernier[27]. Enfin, plusieurs seigneurs de Normandie, accusés eux aussi de haute[28] trahison, Guillaume Bacon[29], le sire de la Roche Tesson[30], Richard de Percy[31], ont plus tard le même sort que les chevaliers bretons. P. 29 à 36, 239 à 250.
Édouard III fait reconstruire le château de Windsor[32], où l’on bâtit une chapelle de saint Georges, et fonde l’Ordre de la Jarretière[33]. Irrité de l’exécution d’Olivier de Clisson et des autres chevaliers bretons et normands, il met en liberté Hervé de Léon son prisonnier et le charge d’aller de sa part défier le roi de France. P. 36 à 41, 250 à 257.
CHAPITRE LIV.
1345. PREMIÈRE CAMPAGNE DU COMTE DE DERBY EN GUIENNE[34]. (§§ 205 à 223).
Édouard III rompt la trêve de Malestroit; il envoie le comte de Derby en Gascogne[35], Thomas d’Agworth[36] en Bretagne contre les Français, le comte de Salisbury en Irlande contre les Irlandais. Parti de Southampton avec des forces considérables, le comte de Derby débarque à Bayonne, puis se rend à Bordeaux dont les habitants l’accueillent avec enthousiasme. Pendant ce temps, le comte de l’Isle, qui se tient à Bergerac à la tête des forces françaises, se dispose à disputer aux Anglais le passage de la [Dordogne].—Derby, en quittant Bordeaux[37] pour marcher contre Bergerac, s’arrête un jour et une nuit à une petite forteresse qu’on appelle Montcuq[38]; et le lendemain de cette halte, ses coureurs s’avancent jusqu’aux barrières de Bergerac, qui n’est qu’à une lieue de Montcuq. Le matin de ce même jour, Gautier de Mauny, dînant à la table du comte de Derby, propose de livrer immédiatement l’assaut pour boire à souper des vins des seigneurs de France. A la suite d’un premier assaut, les Anglais emportent le premier pont ainsi que les barrières et se rendent maîtres des faubourgs de Bergerac. Un second assaut dirigé contre les remparts reste infructueux. Ce que voyant, Derby fait venir de Bordeaux un certain nombre de navires avec lesquels il attaque Bergerac par eau; il réussit à rompre sur une grande étendue les palissades qui défendent la ville de ce côté. Le comte de l’Isle, voyant que la place n’est plus tenable, fait déloger la garnison et se sauve en toute hâte à la Réole. Les habitants de Bergerac s’empressent de se rendre au comte de Derby et lui font féauté et hommage au nom du roi d’Angleterre[39].—Derby, après s’être rafraîchi deux jours à Bergerac, quitte cette ville pour aller attaquer Périgueux; chemin faisant, il soumet Langon[40] dont la garnison se retire sur Monsac[41], le Lac (les Lèches[42]), Maduran[43], Lamonzie[44], Pinac[45], Lalinde[46], Forsach (Laforce[47]), la Tour de Prudaire[48], Beaumont[49], Montagrier[50], Lisle[51], chef-lieu de la seigneurie du comte de ce nom, Bonneval[52]. Après des tentatives infructueuses contre Périgueux[53] et Pellegrue[54], Derby s’empare du château d’Auberoche[55] dont les habitants se rendent sans coup férir[56] ainsi que de la ville de Libourne[57] et rentre à Bordeaux. P. 41 à 62, 237 à 282.
Le comte de l’Isle, informé du retour de Derby à Bordeaux, met le siége devant Auberoche et fait venir de Toulouse quatre machines de guerre pour abattre les remparts du château. Les assiégés d’Auberoche chargent un de leurs valets de porter à Derby une dépêche qui l’informe de la détresse où ils se trouvent. Ce valet est arrêté par les assiégeants qui, après avoir pris connaissance de la dépêche dont il est porteur, le placent dans la fronde d’une de leurs machines de guerre et le lancent avec son message pendu au cou[58]. A la nouvelle du danger que court la garnison d’Auberoche, Derby quitte en toute hâte Bordeaux[59], rallie sur sa route les gens d’armes anglais, tant ceux qui se tiennent à Libourne sous Richard de Stafford que ceux qui occupent Bergerac sous le comte de Pembroke, et vient livrer bataille[60] aux Français à quelque distance d’Auberoche. Défaite des Français: les comtes de l’Isle[61], de Valentinois[62], de Périgord[63] et de Comminges[64], les vicomtes de Villemur[65] et de Caraman[66], les sénéchaux de Rouergue, du Querci[67] et de Toulouse[68], les seigneurs de la Barde et de Taride[69], les deux frères Philippe et Renaud de Dion sont faits prisonniers; Roger[70], oncle du comte de Périgord, le sire de Duras, Aymar de Poitiers[71], les vicomtes de Murendon[72], de Bruniquel, de Tallard et de Lautrec[73] sont tués.—Mécontentement du comte de Pembroke qui n’arrive à Auberoche qu’après la bataille.—Derby laisse à Auberoche une garnison sous les ordres d’un chevalier gascon nommé Alexandre de Caumont et retourne à Bordeaux. P. 62 à 73, 292 à 295.
CHAPITRE LV.
1345 ET 1346. BRUITS CALOMNIEUX CONTRE ÉDOUARD III.—SECONDE[74] CAMPAGNE DU COMTE DE DERBY EN GUIENNE[75] (§§ 223 à 235).
«Vous[76] avez entendu parler ci-dessus de l’amour d’Edouard III pour la comtesse de Salisbury. Toutefois, les Chroniques de Jean le Bel parlent de cet amour plus avant et moins convenablement que je ne dois faire, car, s’il plaît à Dieu, il ne saurait entrer dans ma pensée d’inculper le roi d’Angleterre et la comtesse de Salisbury d’aucun vilain reproche. Si les honnêtes gens se demandent pourquoi je parle ici de cet amour, qu’ils sachent que messire Jean le Bel raconte dans ses Chroniques que le roi anglais viola la comtesse de Salisbury. Or, je déclare que je connais beaucoup l’Angleterre, où j’ai longtemps séjourné, à la Cour principalement, et chez les grands seigneurs de ce pays; et pourtant je n’ai jamais entendu parler de ce viol, quoique j’aie interrogé là-dessus des personnes qui l’auraient bien su, si jamais il en avait rien été. D’ailleurs, je ne pourrais croire et il n’est pas croyable qu’un si haut et vaillant homme que le roi d’Angleterre est et a été, se soit laissé aller à déshonorer une des plus nobles dames de son royaume et un de ses chevaliers qui l’a servi si loyalement et toute sa vie: aussi d’ores en avant je me tairai de cet amour et reviendrai au comte de Derby et aux seigneurs d’Angleterre qui se tenaient à Bordeaux.»
Vers la mi-mai[77] 1345, le comte de Derby quitte Bordeaux où il vient de passer ses quartiers d’hiver[78], et, après avoir fait à Bergerac sa jonction avec le comte de Pembroke, il marche contre la Réole. Derby reçoit sur sa route la soumission des habitants de Sainte-Bazeille[79]; il s’empare de la Roche Meilhan[80], et, après avoir mis pendant quinze jours le siége devant Monségur[81], reçoit à composition le capitaine de cette forteresse, se fait rendre Aiguillon[82], emporte d’assaut Castelsagrat[83], après quoi il met le siége devant la Réole. P. 73 à 80, 293 à 300.
La garnison qui défend pour le roi de France la ville et le château de la Réole a pour capitaine un chevalier provençal nommé Agout des Baux. Après quelques assauts, les habitants de la ville font leur soumission[84] à Derby au nom du roi d’Angleterre, malgré tous les efforts d’Agout des Baux, qui se retire alors dans le château avec ses compagnons. Les assiégeants font miner ce château.—Sur ces entrefaites, Gautier de Mauny est informé que son père est enterré à la Réole. Le Borgne de Mauny, père de Gautier, dans un tournoi qui s’était tenu à Cambrai, avait tué par mégarde un neveu de l’évêque[85] de cette ville, jeune chevalier de la famille de Mirepoix[86]; et un jour que le Borgne de Mauny, au retour d’un pélerinage à Saint-Jacques en Galice, était venu voir le comte de Valois qui assiégeait alors la Réole[87], il avait trouvé la mort dans une embuscade et par une vengeance des parents du jeune chevalier tué à Cambrai.—Agout des Baux rend le château de la Réole au comte de Derby, moyennant que lui et ses compagnons, originaires de Provence, de Savoie et du Dauphiné, pourront aller où bon leur semblera et conserveront leurs armes[88]. P. 80 à 91, 300 à 309.
Prise de Monpezat[89], de Castelmoron[90] et de Villefranche[91] en Agenais par Derby,—de Miramont[92], de Tonneins[93] et de Damazan[94] par les gens d’armes de Derby. P. 91 à 94, 309 à 312.
Le comte de Derby met le siége devant Angoulême[95] dont les habitants prennent l’engagement de se rendre, s’ils ne sont pas secourus dans un mois.—Tentatives infructueuses des Anglais contre Blaye[96], Mortagne[97] en Poitou, Mirabel[98] et Aulnay[99]. Reddition d’Angoulême et rentrée de Derby à Bordeaux. P. 94 à 96, 312 à 313.
CHAPITRE LVI.
1344. BANNISSEMENT DE GODEFROI DE HARCOURT.—1345. MORT DE JACQUES D’ARTEVELD ET DU COMTE DE HAINAUT.—1346. JEAN DE HAINAUT EMBRASSE LE PARTI DE PHILIPPE DE VALOIS[100] (§§ 236 à 240).
Godefroi de Harcourt, frère du comte de Harcourt et sire de Saint-Sauveur-le-Vicomte en Normandie, s’attire la haine de Philippe de Valois qui le bannit du royaume[101]. Godefroi de Harcourt se réfugie d’abord en Brabant[102] auprès du duc Jean son cousin; plus tard il passe en Angleterre[103] où il fait hommage à Édouard III qui l’accueille favorablement et lui assigne une pension. P. 96 et 97, 313 et 315.
Alliance étroite d’Édouard III et de Jacques d’Arteveld qui entreprend de déshériter, non-seulement Louis, comte de Flandre, mais encore Louis de Male, le jeune fils du dit comte, et de faire ériger le comté de Flandre en duché au profit du prince de Galles[104], fils aîné du roi d’Angleterre. Edouard III et son fils viennent à l’Écluse[105] avec une flotte nombreuse pour mettre à exécution ce projet. Les tisserands de Gand [excités sous main par Jean, duc de Brabant[106], qui veut marier sa fille à Louis de Male], font alors de l’opposition à Jacques d’Arteveld qui périt un jour dans une émeute de la main d’un tisserand nommé Thomas Denis[107]. Édouard III est transporté de fureur en apprenant la fin tragique de Jacques d’Arteveld; il quitte l’Écluse et regagne son royaume[108]. Les bonnes villes de Flandre envoient alors des députés à Londres pour se disculper et calmer le ressentiment du roi anglais. Ces députés déclarent que le désir des Flamands est de marier le jeune Louis de Male, héritier présomptif de leur comté, à l’une des filles du roi d’Angleterre; celui-ci se tient pour satisfait et rend aux bonnes villes de Flandre son amitié[109]. P. 97 à 105, 315 à 321.
Siége et prise d’Utrech par Guillaume, comte de Hainaut. Ce prince entreprend une expédition contre les Frisons; il est battu et tué à Staveren[110]. «A la suite de ce désastre, les Frisons ne furent plus inquiétés jusqu’en 1396.... En cette année, sur une marche qu’on dit le Vieux Cloître, Guillaume, comte d’Ostrevant, fils du duc Aubert, vengea grandement la mort de son grand oncle Guillaume de Hainaut; il alla plus avant en Frise que personne ne fût allé auparavant, ainsi qu’il vous sera raconté et déduit ci-après en l’histoire, si moi Froissart, auteur et compilateur de ces Chroniques, puis avoir le temps, l’espace et le loisir, et que je m’en puisse voir suffisamment informé[111].» Après la mort du comte de Hainaut, Jeanne sa veuve, fille aînée du duc Jean de Brabant, se retire dans la terre de Binche[112] qui forme son douaire; et Jean de Hainaut, qui vient de s’échapper à grand peine des mains des Frisons, gouverne le comté en attendant que Marguerite de Hainaut, sœur du comte défunt et femme de l’empereur Louis de Bavière, prenne possession[113] de l’héritage de son frère. P. 105 à 107, 321 à 324.
En considération de son gendre le comte Louis de Blois, neveu du roi de France, et sur les instances des seigneurs de Fagneulles, de Barbenchon, de Senzeilles et de Ligny, Jean de Hainaut renvoie son hommage au roi d’Angleterre[114] et prête serment de fidélité à Philippe de Valois[115]. Le roi de France lui assigne une pension[116] pour le dédommager de la perte de celle qu’il touchait sur la cassette d’Édouard III. P. 107 et 108, 324 et 325.
CHAPITRE LVII.
1346. EXPÉDITION DE JEAN, DUC DE NORMANDIE, EN GUIENNE.—SIÉGE D’AIGUILLON[117] (§§ 241 à 253).
A la nouvelle des succès du comte de Derby en Guyenne, Philippe de Valois se prépare à la résistance; il met Jean son fils, duc de Normandie, à la tête des forces chargées d’opérer au-delà de la Loire contre les Anglais. Les plus grands seigneurs de France, notamment les ducs de Bourgogne et de Bourbon, se rendent à l’appel de Philippe de Valois. Jean, duc de Normandie, traverse l’Orléanais, le Berry, l’Auvergne et arrive vers la fête de Noël 1345 à Toulouse[118], rendez-vous général des forces françaises dont l’effectif s’élève à six mille hommes d’armes et à quarante[119] mille gens d’armes à lances et à pavais «qu’on nomme aujourd’hui gros varlets[120].» Après la Noël, départ de Toulouse[121], prise de Miramont[122], de Villefranche[123] et siége [d’Agen[124]] par le duc de Normandie.—Le comte de Derby envoie à Aiguillon l’élite de ses chevaliers, Gautier de Mauny entre autres, fait mettre le château dans le meilleur état de défense et reprend Villefranche aux Français.—Pendant le siége [d’Agen] par les Français, le sénéchal de Beaucaire, le duc de Bourbon et une foule d’autres seigneurs partent un soir du camp et, après avoir chevauché toute la nuit, arrivent au lever du jour devant un lieu nommé Anthenis[125], nouvellement rendu aux Anglais, dont ils s’emparent, grâce à une feinte du sénéchal de Beaucaire, ainsi que de six ou huit cents têtes de gros bétail.—La nuit d’avant la Purification (2 février), Jean de Norwich, capitaine de la garnison anglaise [d’Agen], menacé par la disette de vivres et instruit des dispositions favorables des habitants pour les Français, demande et obtient du duc de Normandie une trêve d’un jour en l’honneur de la fête de la sainte Vierge; il profite de cette trêve pour traverser le camp des Français et se réfugier, lui et les siens, avec armes et bagages, dans la forteresse d’Aiguillon.—Le lendemain de la Purification (3 février[126] 1346), les habitants [d’Agen] ouvrent leurs portes et font leur soumission au fils du roi de France. Le duc de Normandie, poursuivant le cours de ses succès, emporte d’assaut le château de Damazan[127], Tonneins[128] sur la Garonne, Port-Sainte-Marie[129] et enfin met le siége devant la forteresse d’Aiguillon. P. 108 à 120, 325 à 339.
Les Français, au nombre de cinq[130] mille hommes d’armes, établissent leur camp le long de la Garonne et commencent le plus beau siége que l’on eût jamais vu; il dura depuis l’entrée [d’avril[131]] jusqu’à la fin du mois d’août[132]. Les Français parviennent, malgré deux sorties vigoureuses des assiégés, à faire un pont qui leur permet de passer la rivière et de serrer de plus près le château d’Aiguillon.—Le duc de Normandie, pour attaquer sans cesse l’ennemi avec des troupes fraîches, répartit son armée en quatre corps dont chacun doit tous les jours, à tour de rôle, prendre part à l’assaut: du matin à prime, c’est le tour des Espagnols, des Génois, des Provençaux, des Savoisiens et des Bourguignons; de prime à midi, entrent en lice les gens d’armes de Narbonne, de Montpellier, de Béziers, de Montréal[133], de Fougax[134], de Limoux, de Capestang et de Carcassonne; de midi à vêpres, reprennent les gens d’armes de Toulouse, du Rouergue, du Querci, de l’Agénois et du Bigorre; de vêpres à la nuit combattent les gens du Limousin, du Vélay, du Gévaudan, de l’Auvergne, du Poitou et de la Saintonge.—Les Français, dont tous les assauts sont repoussés par les assiégés, font venir de Toulouse huit machines de guerre, les plus puissantes qu’on peut trouver.—Gautier de Mauny, qui fait souvent des sorties pour chercher des vivres et ravitailler la garnison, rencontre dans une de ces sorties Charles de Montmorency, maréchal de l’host du duc de Normandie, et le met en déroute.—Les assiégeants s’emparent, à la suite d’un combat acharné, du pont-levis qui donne accès à la porte du château[135].—Deux maîtres ingénieurs du duc de Normandie établissent sur quatre gros navires quatre puissantes machines de guerre appelées chats; mais au moment où les navires qui portent ces machines s’approchent des murs du château, les assiégés se mettent à lancer, au moyen de quatre martinets, des pierres énormes qui brisent l’une de ces machines et forcent les assiégeants à renoncer à se servir des autres.—Malgré le découragement des siens, le duc de Normandie est décidé à continuer le siége. Alors les seigneurs français chargent les comtes de Blois, de Guines et le [sire] de Tancarville de se rendre en France pour renseigner le roi sur ce qui vient de se passer. Philippe de Valois approuve la résolution de son fils et lui enjoint de maintenir le siége jusqu’à ce que, par la famine ou de vive force, Aiguillon ait capitulé. P. 120 à 128, 340 à 351.
CHAPITRE LVIII.
1346, 12 JUILLET-13 AOÛT.—ÉDOUARD III EN NORMANDIE[136] (§§ 254 à 263).
Édouard III entreprend de passer la mer avec une nombreuse armée pour arrêter les progrès des Français et les forcer à lever le siége d’Aiguillon[137]. Après avoir nommé le comte de Kent[138], son cousin, gardien du royaume en son absence, il s’embarque vers la Saint-Jean[139] à Southampton[140] en compagnie du prince de Galles son fils aîné et de Godefroi de Harcourt. Noms des principaux chevaliers qui font partie de l’expédition. La flotte anglaise fait voile vers Bordeaux et la Gascogne, mais les vents contraires la repoussent sur les côtes d’Angleterre[141]. Godefroi de Harcourt profite adroitement de cette circonstance pour décider le roi d’Angleterre à débarquer en Cotentin.—Préparatifs de défense du roi de France[142].—Descente d’Édouard III à Saint-Vaast-de-la-Hougue[143]. P. 128 à 133, 351 à 360.
Prise, pillage et incendie de Barfleur[144], de Cherbourg[145], de Valognes[146], de Montebourg[147] et de Carentan[148]. P. 133 à 136, 360 à 364.
De Carentan, Édouard III se dirige vers Saint-Lô, mais avant d’y arriver, il fait halte trois jours sur le bord d’une rivière[149]. Prise, pillage et incendie de Saint-Lô, ville trois fois plus peuplée que Coutances, dont les habitants, au nombre de huit ou neuf mille, se livrent surtout à la fabrication des draps. De Saint-Lô, les Anglais se dirigent vers Caen[150]. P. 136 à 140, 364 à 370.
Caen est trois fois plus considérable que Saint-Lô et presque aussi important que Rouen[151]. Deux riches abbayes, Saint-Étienne[152] et la Trinité, sont aux deux extrémités de la ville dont le château[153] est un des plus beaux et des plus forts de toute la Normandie. Robert de Wargnies est capitaine de ce château, et il a sous ses ordres une garnison de trois cents Génois. La ville proprement dite est défendue par les bourgeois renforcés d’un certain nombre de gens d’armes, commandés par le comte d’Eu, connétable de France et le [sire[154]] de Tancarville. Au moment où Édouard III arrive devant Caen, sa flotte[155], qui n’a cessé de suivre tous les mouvements de l’armée de terre en côtoyant le rivage, vient jeter l’ancre à Ouistreham, havre situé à l’embouchure de la rivière d’Orne qui traverse Caen, à deux petites lieues de cette ville. P. 140 et 141, 370 à 372.
Le comte d’Eu et le [sire] de Tancarville sont d’avis d’évacuer une partie de la ville et de se retirer de l’autre côté de la Rivière[156], pour y attendre l’ennemi; mais l’impatience des bourgeois les force à marcher en avant et à offrir la bataille aux Anglais. L’action est à peine engagée que ces mêmes bourgeois, saisis de panique, se livrent à un sauve-qui-peut général[157]. Le comte d’Eu et le [sire] de Tancarville, impuissants à les retenir au combat, veulent défendre l’entrée du pont qui réunit deux parties de la ville séparées par la Rivière, mais ils sont bientôt obligés de se rendre avec vingt-cinq autres chevaliers à un seigneur anglais nommé Thomas de Holland. Édouard III, irrité de la perte de cinq cents[158] des siens qui viennent d’être tués à l’attaque de la ville, se dispose à mettre tout à feu et à sang pour les venger, lorsque Godefroi de Harcourt, dont il a fait le maréchal de son armée, réussit à l’en empêcher. Les Anglais occupent Caen pendant trois jours. Édouard III achète le comte d’Eu et le [sire] de Tancarville vingt mille nobles à Thomas de Holland, et charge le comte de Huntingdon[159], commandant de la flotte ancrée à Ouistreham, de conduire ces deux seigneurs en Angleterre, ainsi que soixante chevaliers et trois cents riches bourgeois faits aussi prisonniers à la prise de Caen. P. 141 à 147, 372 à 379.
Une fois maître de Caen, Édouard III poursuit sa marche victorieuse[160] dans la direction[161] d’Évreux et de Rouen[162]. Prise, pillage, incendie de Louviers, de Vernon, de Verneuil, de Pont de l’Arche et de tout le pays environnant par les Anglais. P. 148 et 149, 379 à 382.
CHAPITRE LIX.
1346, 14-25 AOÛT. ÉDOUARD III DANS L’ÎLE DE FRANCE, LA PICARDIE, LE VIMEU ET LE PONTHIEU; PRÉLIMINAIRES DE LA BATAILLE DE CRÉCY[163] (§§ 263 à 273).
Édouard III arrive à Poissy[164] dont le pont a été rompu par les Français. Incendie de Saint-Germain-en-Laye, de Montjoie[165], de Saint-Cloud, de Boulogne, de Bourg-la-Reine, par les Anglais.—Frayeur et murmures des Parisiens: Philippe de Valois se rend à Saint-Denis à la tête d’une puissante armée, tandis qu’Édouard III se tient à Poissy où il célèbre solennellement la fête de l’Assomption. P. 149 et 150, 382 à 384.
Rencontre entre l’avant-garde de l’armée anglaise commandée par Godefroi de Harcourt et des gens d’armes de la Commune d’Amiens[166] qui se rendent à Paris pour obéir au mandement de Philippe de Valois; les Amiénois sont mis en déroute. Départ de Poissy[167] et chevauchée des Anglais à travers le Beauvaisis: incendie de l’abbaye de Saint-Lucien[168] de Beauvais, malgré la défense expresse d’Édouard III; halte à Milly[169]; incendie des faubourgs de Beauvais après un assaut infructueux tenté contre cette ville défendue par son évêque[170]; halte à Grandvilliers[171]; prise et incendie de Dargies[172] et de Poix[173]; arrivée des Anglais à Airaines[174].—Sur ces entrefaites, Philippe de Valois, parti de Saint-Denis à la poursuite des Anglais, fait une halte à [Coppegueule[175]], à trois lieues d’Amiens, pour attendre ses gens d’armes qui de toutes parts accourent le rejoindre. P. 150 à 155, 384 à 388.
Pendant que le roi d’Angleterre se tient à Airaines, il envoie l’avant-garde de son armée, sous les ordres du comte de Warwick et de Godefroi de Harcourt, tenter le passage de la Somme à Longpré[176], à Pont-Remy[177], à Fontaine-sur-Somme[178], à Long-en-Ponthieu[179] et à Picquigny[180]. Repoussés sur tous ces points par les Français qu’ils trouvent partout en force pour garder les ponts et défendre le passage de la rivière, les coureurs anglais retournent à Airaines.—Ce même soir, le roi de France vient coucher à Amiens[181] à la tête d’une armée de plus de cent mille hommes. P. 155 et 156, 388 à 390.
Le lendemain, dès le matin, Édouard III part d’Airaines et chevauche à travers le Vimeu[182] en se dirigeant vers Abbeville. Incendie d’Aumale[183], de Senarpont[184], du château et de l’abbaye de Mareuil[185] par les Anglais; les flammes de ces incendies volent jusqu’à Abbeville[186]; engagement près d’Oisemont entre les Anglais et les gens d’armes de tout le pays de Vimeu ayant à leur tête le sire de Boubers, chevalier banneret. Défaite des Français. Le sire de Boubers est pris par Jean Chandos; et les seigneurs de Brimeux, de Sains, de Louville et de Sempy sont aussi faits prisonniers par les Anglais. Édouard III entre dans Oisemont et y passe la nuit dans le «grand hôpital[187].» Ce même jour, Godefroi de Harcourt est repoussé de Saint-Valery[188] par le comte de Saint-Pol et Jean de Ligny, capitaines de la garnison. Pendant ce temps, Philippe de Valois, qui désire acculer les Anglais entre son armée et la Somme, charge Godemar du Fay d’aller par la rive droite avec douze mille hommes garder les ponts et les passages de cette rivière depuis Abbeville jusqu’au Crotoy et notamment le passage de Blanquetaque[189] situé en aval d’Abbeville; lui-même prend le chemin d’Airaines d’où les Anglais sont partis le matin et où il arrive à midi. Le roi d’Angleterre, voyant que son armée ne peut passer la Somme ni à Saint-Valery ni à Abbeville, promet cent nobles à qui lui fera connaître un gué entre ces deux villes; c’est alors qu’un habitant de Mons en Vimeu, fait prisonnier par les Anglais, nommé Gobin Agache, pour recouvrer sa liberté et gagner la récompense promise, indique à Édouard III le gué de Blanquetaque. P. 156 à 160, 390 à 395.
Édouard III part le jeudi[190] à une heure du matin d’Oisemont et arrive vers le lever du soleil au gué de Blanquetaque; ayant trouvé la marée haute, il est obligé d’en attendre le reflux jusqu’après prime (six heures du matin). Godemar du Fay, qui se tient de l’autre côté, sur la rive droite de la Somme, à la tête de douze mille hommes, la plupart gens d’Abbeville, de Saint-Riquier[191], de Saint-Esprit-de-Rue[192], de Montreuil[193] et du Crotoy[194], après avoir disputé de toutes ses forces[195] le passage aux Anglais, voit les siens fuir dans toutes les directions; atteint lui-même d’une blessure[196], il se replie sur Saint-Riquier.—Ce même jour, le roi de France, parti le matin d’Airaines, arrive à Oisemont à l’heure de tierce (9 heures du matin) et après y avoir fait halte une heure seulement, il se remet à la poursuite des Anglais dans la direction de Blanquetaque, situé à environ cinq lieues d’Oisemont, lorsqu’il apprend, en passant à Mons, que le corps d’armée de Godemar du Fay a été taillé en pièces et qu’Édouard III vient de passer la Somme: ne pouvant plus dès lors traverser cette rivière que sur le pont d’Abbeville, il y va coucher le soir même. P. 160 à 163, 395 à 399, 403.
Édouard III, une fois parvenu sur la rive droite de la Somme, s’étend dans la direction de Noyelles[197], qu’il épargne en considération de la comtesse d’Aumale, [fille[198]] de Robert d’Artois; mais ses maréchaux chevauchent jusqu’au port du Crotoy[199] qu’ils pillent et brûlent et où ils trouvent quantité de navires chargés de vins du Poitou et d’autres vivres et denrées dont ils s’emparent pour l’approvisionnement de l’armée[200]. Le lendemain matin (vendredi 25 août), le roi d’Angleterre s’avance avec le gros de ses gens vers Crécy-en-Ponthieu[201], tandis que ses deux maréchaux chevauchent, l’un dans la direction de Rue pour couvrir la gauche, l’autre dans la direction d’Abbeville et de Saint-Riquier, pour couvrir la droite de l’armée; le roi anglais vient camper le soir assez près de Crécy. Arrivé là en plein Ponthieu, pays qui doit lui appartenir comme ayant été donné en mariage à sa mère, il prend la résolution d’attendre les Français le lendemain pour leur livrer bataille et fait occuper à ses troupes une position très-avantageuse choisie par ses maréchaux.—Pendant ce temps, le roi de France, arrivé à Abbeville le jeudi soir, passe la journée du vendredi à concentrer ses troupes; informé le soir par ses maréchaux du changement survenu dans l’attitude des Anglais, il réunit à souper les princes et hauts seigneurs de sa suite, heureux de leur annoncer une bataille pour le lendemain.—Le vendredi soir, le roi d’Angleterre donne aussi à souper aux comtes et barons de son armée. P. 163 à 168, 399 à 405.
CHAPITRE LX.
BATAILLE DE CRÉCY[202] (§§ 274 à 287).
Le samedi matin 26 août, Édouard III et le prince de Galles son fils entendent la messe, se confessent et reçoivent la communion. Par l’ordre du roi anglais, on établit un grand parc près d’un bois[203] derrière l’armée; tous les hommes d’armes mettent pied à terre ainsi que les archers, et l’on enferme tous les chevaux et les chariots dans le dit parc qui n’a qu’une entrée. Édouard III divise son armée en trois batailles dont deux sont commandées par lui et son fils; il les passe en revue, enjoignant à chacun sous les peines les plus sévères de rester à son rang et de ne jamais l’abandonner sans son ordre exprès, quoi qu’il arrive[204]; puis, après avoir fait bien boire et bien manger tous ses gens, il les invite à se reposer assis par terre, leurs bassinets et leurs arcs devant eux, afin d’être plus frais et plus dispos en attendant l’attaque des Français. P. 168 à 170, 405 à 410.
Ce samedi au matin, le roi de France entend la messe [au prieuré] de Saint-Pierre d’Abbeville; il ne met son armée en mouvement qu’après soleil levant, et il ralentit sa marche pour donner le temps de le rejoindre à ses gens dont les uns sont logés à Abbeville, les autres à Saint-Riquier. Parvenu à environ deux lieues d’Abbeville[205], il charge quatre chevaliers, Le Moine de Bazeilles, les seigneurs de Noyers, de Beaujeu et d’Aubigny, de prendre les devants et d’aller en reconnaissance pour se rendre compte de la position des Anglais. Ces chevaliers rapportent que les ennemis ont pris les meilleures dispositions et montrent beaucoup d’assurance; c’est pourquoi, ils conseillent au roi de France, qui n’a pas encore été rejoint par tous ses gens et dont les troupes, épuisées par une longue marche, ont besoin de repos, d’attendre le lendemain pour livrer bataille. Le roi de France approuve fort ce conseil et donne l’ordre à ses maréchaux de le faire mettre sur-le-champ à exécution; mais les chevaliers qui marchent en première ligne se font un point d’honneur de ne pas reculer et de ne pas se laisser devancer par ceux qui les suivent: ils refusent d’obéir aux maréchaux. D’un autre côté, il est malaisé de rétrograder, toutes les routes entre Abbeville et Crécy étant encombrées de plus de vingt mille bons hommes des Communes qui, à trois lieues de distance des ennemis, brandissent déjà leurs épées en criant: «Mort, mort à ces perfides Anglais! Il n’en retournera pas un en Angleterre.» P. 171 à 174, 410 à 415.
«Aucun homme, eût-il assisté à la bataille, ne pourrait exactement concevoir ce qui s’y passa, notamment en ce qui concerne les Français, tant il y eut de confusion et de désordre de leur côté. Ce que j’en sais, je l’ai appris en grande partie par les Anglais qui se rendirent bien compte de la situation de leurs adversaires et aussi par les gens de monseigneur Jean de Hainaut, qui se tint toute cette journée aux côtés du roi de France[206].»
A l’approche des Français, les Anglais se lèvent en bon ordre et se forment en trois batailles; celle du prince de Galles s’avance la première, précédée des archers disposés en forme de herce; la seconde bataille, sous les ordres des comtes de Northampton et d’Arundel, se tient sur les ailes, prête à appuyer la première, si besoin est; enfin la bataille du roi d’Angleterre est encore plus en arrière[207], et Édouard III lui-même prend position sur la motte d’un moulin[208] à vent d’où l’on domine tous les alentours. P. 174 et 175, 415 et 416.
Première et troisième rédactions[209]. A la vue des Anglais rangés en bataille, Philippe de Valois perd tout son sang-froid, tant est violente la haine qu’ils lui inspirent; il ne peut se retenir de les combattre, et dit à ses maréchaux: «Faites avancer nos Génois et commencer la bataille, au nom de Dieu et de monseigneur Saint-Denis!» Les Génois, au nombre de quinze mille[210], qui marchent depuis le matin avec leurs arbalètes sur le dos, déclarent qu’ils ont besoin d’un instant de repos avant d’engager le combat. Ce qu’apprenant le comte d’Alençon, transporté de fureur, s’écrie: «Regardez, on se doit bien charger vraiment de telle ribaudaille! Ils ne sont bons qu’à manger. Qu’on les tue tous[211]: ils nous portent plus d’obstacle que de secours.» Sur ces entrefaites, survient une pluie d’orage accompagnée d’éclairs et de tonnerre à laquelle succède un soleil éclatant dont les rayons éblouissent les yeux des Français qui les reçoivent en face, tandis qu’ils ne frappent les Anglais que de dos. P. 175 à 177, 418 à 419.
Seconde rédaction[212]. Les Génois et le maître des arbalétriers qui les commande chevauchent jusqu’à ce qu’ils soient arrivés en face des Anglais. Alors ils s’arrêtent, prennent leurs arbalètes et s’apprêtent à commencer la bataille. Vers l’heure de vêpres, éclate un orage avec éclairs, tonnerre et pluie abondante poussée par un très-grand vent: les Français reçoivent cette pluie en plein visage, tandis que les Anglais l’ont par derrière. Les Génois s’avancent au combat en poussant des cris et des hurlements; les Anglais ne s’en émeuvent pas et font détonner certains canons[213] qu’ils tiennent en réserve, pour frapper les Génois de stupeur. Quand l’orage est passé, le maître des arbalétriers donne l’ordre aux Génois de tirer de leurs arbalètes pour rompre les rangs des ennemis; ces Génois sont bien vite battus par les archers[214] anglais: ils cherchent à fuir, mais ils se trouvent pris entre ceux qui les poursuivent et les batailles des grands seigneurs français qui s’avancent dans le plus grand désordre. Poussés par les fuyards ou atteints par les flèches anglaises, les chevaux des Français refusent d’aller plus avant, se cabrent ou tombent les uns sur les autres; la confusion est ainsi portée à son comble. Les fantassins anglais en profitent et, se glissant dans la mêlée, tuent ces seigneurs sans défense à coups de dagues, de haches ou avec de courtes massues. La bataille, commencée dans l’après-midi, dure dans ces conditions jusqu’à la tombée de la nuit. Le roi de France, de sa personne, ni aucun de sa bannière ne peut parvenir jusqu’à l’endroit même où l’on se bat; il en est ainsi des gens des Communes de France: seul le sire de Noyers, ancien et preux chevalier qui porte l’oriflamme, la souveraine bannière du roi, réussit à pénétrer jusqu’au milieu de la mêlée et y trouve la mort[215]. P. 416 à 418.
Le vaillant et gentil Jean, roi de Bohême, comte de Luxembourg, [sire de Ammeries et de Rainmes[216], rebaptisé au dire de quelques-uns sous le prénom de Charles[217]], demande à ses gens ce qui se passe, car il est complétement aveugle. A la nouvelle de la déroute des Génois, il invite les chevaliers de sa suite à le conduire si avant dans la mêlée qu’il puisse frapper un coup d’épée. Le Moine de Bazeilles[218] et les autres chevaliers, soit de Bohême, soit du Luxembourg, qui composent l’escorte de ce vaillant prince, s’empressent de se rendre à son désir, et, pour être plus sûrs de n’être pas séparés les uns des autres ni du roi leur seigneur, ils attachent ensemble leurs chevaux par les freins. Le roi de Bohême s’avance ainsi jusqu’au plus fort du combat où il accomplit des prodiges de valeur et se fait tuer avec tous les siens[219], sauf deux écuyers, Lambert d’Oupeye[220] et Pierre d’Auvilliers, qui parviennent je ne sais comment à se sauver. Le fils du roi de Bohême, Charles, élu depuis peu roi d’Allemagne[221], loin de s’associer à l’héroïsme de son père, reprend le chemin d’Amiens, dès qu’il voit que la victoire penche du côté des Anglais. P. 177 à 179, 420 à 422.
Philippe de Valois est au désespoir et frémit de colère en voyant une aussi puissante armée que la sienne taillée en pièces par une poignée d’Anglais. Jean de Hainaut console le roi de France et l’engage à quitter le champ de bataille: la nuit est proche et l’obscurité sera telle bientôt qu’en s’avançant le roi courrait grand risque de se jeter au milieu des ennemis. Cependant, Philippe, qui a la rage et le désespoir au cœur, chevauche un peu en avant comme pour rejoindre les comtes d’Alençon et de Flandre qui sont descendus d’un tertre qu’ils occupaient et soutiennent sans reculer tout l’effort du prince de Galles et de sa bataille.—Le matin de cette journée, le roi de France avait donné à Jean de Hainaut un magnifique coursier noir que monte un chevalier de Hainaut nommé Thierri de Senzeilles, porte-bannière du sire de Beaumont: cheval et cavalier sont réduits au milieu des hasards du combat à se frayer de vive force un passage à travers les rangs de l’armée anglaise qu’ils parviennent à fendre sans que la hampe de la bannière se détache un seul instant des buhos[222] où elle est fixée. Thierri de Senzeilles, se trouvant ainsi séparé de son maître et ne pouvant revenir sur ses pas, chevauche à toute bride dans la direction de Doullens et d’Arras; il arrive le dimanche à Cambrai où il apporte la bannière de son seigneur. Jean de Hainaut et Charles de Montmorency, qui se tiennent au frein du cheval du roi de France, entraînent celui-ci, comme malgré lui, loin du champ de bataille; mais un chevalier de Hainaut, appelé Henri de Houffalize[223], sire de Wargnies-le-Petit[224], attaché au chapeau et au frein du seigneur de Montmorency, ne veut pas, à l’exemple de son maître, quitter le champ de bataille: éperonnant son cheval, il s’élance en pleine mêlée et se bat jusqu’à ce qu’il ait trouvé la mort. P. 179 à 181, 422 à 423.
Cette bataille, livrée le samedi 26 août entre Labroye[225] et Crécy, est encore plus sanglante que chevaleresque. D’ailleurs, la plupart des grands faits d’armes de la journée sont restés inconnus, car elle s’engage fort tard dans l’après-midi. Cette circonstance porte surtout préjudice aux Français, dont beaucoup, se trouvant séparés de leurs seigneurs à la tombée de la nuit et errant à l’aventure dans l’obscurité, vont se jeter au milieu de leurs ennemis. Les Anglais les tuent sans merci, le mot d’ordre ayant été donné le matin de ne prendre personne à quartier à cause de l’immense multitude des Français. Ceux-ci, toutefois, aidés de leurs auxiliaires allemands et savoisiens, ayant réussi à rompre les archers de la bataille du prince de Galles, entreprennent une lutte corps à corps avec les gens d’armes anglais et déploient un courage héroïque. Sur ces entrefaites, la seconde bataille des Anglais, sous les ordres des comtes de Northampton, d’Arundel et de l’évêque de Durham, vient renforcer la première que commande le prince de Galles en personne; Renaud de Cobham et Jean Chandos font des prodiges de valeur. Néanmoins, la lutte est assez acharnée pendant un moment pour que les comtes de Warwick, de Hereford et Renaud de Cobham, auxquels a été confiée la garde du prince, envoient un chevalier demander du secours au roi d’Angleterre, qui, de la motte d’un moulin à vent, suit toutes les péripéties de la bataille. «Mon fils est-il mort ou blessé mortellement?» demande Édouard III au messager nommé Thomas de Norwich.—«Non, monseigneur,» répond celui-ci.—«Retournez alors, reprend le roi, dire à ceux qui vous ont envoyé de ne me point requérir tant que mon fils sera en vie; qu’ils laissent donc l’enfant gagner ses éperons: cette journée est sienne, et je veux qu’il en ait l’honneur.» P. 181 à 183, 423 à 425.
Le comte de Harcourt, frère, et le comte d’Aumale[226], neveu de Godefroi de Harcourt, sont tués; averti du danger qu’ils courent, Godefroi arrive trop tard pour leur sauver la vie. Le comte Charles d’Alençon, frère de Philippe de Valois, le comte Louis de Blois, neveu du roi de France, le duc de Lorraine, les comtes de Flandre, d’Auxerre, de Saint-Pol[227] et le grand prieur de France trouvent aussi la mort en combattant les Anglais. P. 424, 183 et 184.
Première rédaction. Philippe de Valois quitte le champ de bataille à la tombée du jour; escorté de cinq chevaliers seulement, Jean de Hainaut, les seigneurs de Montmorency, de Beaujeu, d’Aubigny et de Montsaut, il arrive au milieu de la nuit devant le château de Labroye dont le châtelain[228], s’entendant appeler, demande qui frappe à sa porte à une heure aussi avancée: «Ouvrez, ouvrez, châtelain, répond Philippe, c’est l’infortuné roi de France.» Le roi reste à Labroye jusqu’à minuit, y prend quelques rafraîchissements et se fait donner des guides pour le conduire; il entre à Amiens au point du jour et s’y arrête pour savoir ce que sont devenus ses gens. P. 184 et 185.
Il y eut beaucoup de morts du côté des Français, et si les Anglais les avaient poursuivis, comme ils firent à Poitiers, il en serait resté encore davantage sur le champ de bataille y compris le roi de France lui-même; mais les vainqueurs se contentèrent de défendre leurs positions et de repousser les attaques. Le roi de France fut redevable de son salut à cette circonstance, car il resta fort tard sur le théâtre de l’action; et lorsqu’il s’en éloigna, il n’avait pas à ses côtés plus de soixante hommes. Il avait eu déjà un cheval tué sous lui lorsque Jean de Hainaut, saisissant par la bride le coursier sur lequel Philippe était remonté, entraîna le roi pour ainsi dire de force loin du champ de bataille. Les archers anglais contribuèrent surtout au succès de cette journée, car ce furent eux qui mirent les Génois en déroute, et la déroute des Génois causa celle des chevaliers français, en quelque sorte écrasés, eux et leurs chevaux, sous cette masse de fuyards[229]. Ajoutez à cela que les gens d’armes et archers anglais étaient suivis de pillards et de ribauds, du pays de Galles et de Cornouaille, armés de grands coutelas, qui, profitant du désordre des ennemis, se jetaient à l’improviste sur les seigneurs français, comtes, barons et chevaliers, et les tuaient sans faire de quartier à personne: ce dont Édouard se montra très-irrité. P. 186 et 187.
Seconde rédaction. La défaite des Français à Crécy eut quatre causes principales: 1º par un orgueil déplacé, ils marchèrent au combat sans obéir à aucun plan, sans observer aucune discipline et contre la volonté même du roi qui fit de vains efforts, ainsi que Jean de Hainaut, pour parvenir sur le lieu du combat; 2º une bonne partie des combattants, du côté des Français, n’avaient ni bu ni mangé de la journée, outre que, marchant depuis le matin, ils étaient accablés de fatigue; 3º ils combattirent, ayant le soleil dans les yeux[230], ce qui les incommodait beaucoup; 4º enfin, l’action s’engagea trop tard, la nuit arriva tout de suite; les gens d’armes français qui s’avançaient, n’y voyant plus assez pour reconnaître la bannière de leurs seigneurs, ne se reconnaissant même plus les uns les autres, allaient se jeter au milieu des ennemis. Du côté des Anglais, au contraire, aucun homme d’armes ne bougea de la place qui lui avait été assignée et n’empêcha les archers de lancer leurs traits.—Le roi de France, qui se tient à une certaine distance de la bataille avec Jean de Hainaut et les chevaliers de son escorte, apprend vers soleil couchant que son armée vient d’être taillée en pièces par les Anglais. A cette nouvelle, il est transporté de colère et, frappant son cheval des éperons, il s’élance vers les ennemis. Les grands seigneurs qui composent son escorte, Jean de Hainaut, Charles de Montmorency, les seigneurs de Saint-Dizier et de Saint-Venant, le supplient de ne pas exposer inutilement au danger en sa personne la noble Couronne de France. Philippe de Valois se rend à leurs conseils et prend le chemin de Labroye où il passe la nuit ainsi que les chevaliers de sa suite. Charles de Bohême, dès lors roi d’Allemagne, fils du roi Jean de Bohême, et le comte Guillaume de Namur, qui vient d’avoir un cheval tué sous lui, quittent aussi le champ de bataille où Guillaume laisse mort un de ses chevaliers nommé Louis de Jupeleu. Cette bataille se livre un samedi, le lendemain de la Saint-Barthélemy, au mois d’août, l’an 1346. Le roi d’Angleterre donne l’ordre de ne pas poursuivre les Français, de laisser les morts à l’endroit où ils sont tombés et de ne pas les dépouiller afin qu’on les puisse mieux reconnaître le lendemain matin; il enjoint à ses gens de reposer tout armés, à ses maréchaux de faire garder son camp par des sentinelles; puis il invite à souper tous les comtes, barons et chevaliers de son armée. P. 426 à 428.
Le soir, Édouard III, qui n’a pas mis son bassinet de la journée, descend de la hauteur où il s’est tenu pendant la bataille, vient vers son fils, lui donne l’accolade et l’embrasse, en disant: «Beau fils, Dieu vous garde! Vous êtes mon fils, car vous vous êtes bravement conduit en ce jour: vous êtes digne de tenir terre.» A ces mots, le prince s’incline tout bas et humblement devant le roi son père qu’il comble des marques de son respect. Les Anglais passent la nuit en actions de grâces et sans se livrer à aucuns divertissements, selon l’ordre exprès du roi. P. 187 et 188, 428 et 429.
Le dimanche, au matin, le brouillard est si épais qu’on voit à peine un arpent devant soi. Cinq cents hommes d’armes et deux mille archers anglais vont en reconnaissance pour voir s’il reste encore dans les environs quelque troupe d’ennemis à disperser; ils rencontrent les milices bourgeoises des communautés de Rouen, de Beauvais, d’Amiens, parties le matin d’Abbeville et de Saint-Riquier, sans rien savoir du désastre de la veille. Les Anglais tombent à l’improviste sur ces bonnes gens et en font un grand carnage; l’archevêque de Rouen[231] et le grand prieur de France périssent dans la mêlée. P. 188 et 189, 428 à 430.
Édouard III charge deux chevaliers, Renaud de Cobham et Richard de Stafford, d’aller sur le champ de bataille faire le recensement des morts. Ces deux seigneurs se font accompagner de deux hérauts qui reconnaissent les armes et de deux clercs[232] qui écrivent les noms; une journée tout entière est employée à ce travail. On trouve gisants sur le champ de bataille, du côté des Français, onze princes dont un prélat[233], quatre-vingt chevaliers bannerets, douze cents chevaliers d’un écu ou de deux et quinze ou seize mille[234], tant écuyers que bourgeois, bidauds et Génois; du côté des Anglais, trois chevaliers seulement et vingt archers. Le duc de Lorraine, les comtes d’Alençon, de Blois, de Flandre, de Salm, de Harcourt, d’Auxerre, de Sancerre, d’Aumale[235] et le grand prieur de France sont retrouvés parmi les morts. Le roi d’Angleterre passe toute cette journée du dimanche sur le champ de bataille. Le lundi au matin, des hérauts viennent demander de la part du roi de France et obtiennent du roi anglais une trêve de trois jours pour enterrer les morts. Ces hérauts se nomment Valois, Alençon, Harcourt, Dampierre et Beaujeu. Édouard III fait déposer les restes des princes, et notamment ceux du roi de Bohême[236] son cousin germain, et ceux du comte de Harcourt, frère de Godefroi, [au prieuré] de Maintenay[237] situé à quelque distance de Crécy. Ce même dimanche, le comte de Savoie et son frère viennent rejoindre le roi de France à la tête de mille lances; ils auraient pu prendre part à la bataille si l’on avait suivi le sage conseil du Moine de Bazeilles; ils sont au désespoir d’être arrivés trop tard. Toutefois, pour ne pas perdre leur voyage, et se rendre utiles au roi de France qui leur a payé leurs gages, ils passent au-dessus de l’armée victorieuse et vont se jeter dans Montreuil pour y tenir garnison contre les Anglais. P. 190 et 191, 431 et 432.
Le lundi au matin, le roi d’Angleterre chevauche vers Montreuil-sur-Mer et envoie ses maréchaux courir dans la direction de Hesdin[238]. Les Anglais brûlent Waben[239], mais tous leurs efforts échouent devant le château de Beaurain[240]; ils sont aussi repoussés devant Montreuil-sur-Mer, dont ils ne peuvent qu’incendier les faubourgs. Édouard III couche le lundi soir sur le bord de la rivière de Hesdin (la Canche) du côté de Blangy[241]. Le lendemain, il se dirige vers Boulogne, met le feu sur sa route à Saint-Josse[242], à Étaples[243] le Delue, à Neufchâtel[244] et passant entre la forêt de Hardelot[245] et les bois de Boulogne, arrive au gros bourg de Wissant[246] où il fait reposer ses gens tout un jour; il reprend sa marche le jeudi et vient mettre le siége devant la forte ville de Calais. P. 191 et 432.
Le roi de France, logé à l’abbaye du Gard[247] près d’Amiens, apprend le dimanche au soir la mort du comte d’Alençon son frère, du comte de Blois son neveu, du roi de Bohême son beau-frère et de tant d’autres princes et seigneurs; dans sa colère, il veut faire pendre Godemar du Fay, qu’il rend responsable du désastre de Crécy, pour avoir laissé passer les Anglais à Blanquetaque, mais Jean de Hainaut prend la défense de Godemar et parvient à le sauver. Philippe, après avoir fait rendre à ses proches les derniers devoirs, quitte Amiens et retourne à Paris. P. 192 et 193.
CHRONIQUES
DE J. FROISSART.
LIVRE PREMIER.
[1] § 181. Vous avés bien entendu en l’ystore chà
par devant comment li rois d’Engleterre avoit grans
guerres en pluiseurs marces et pays et par tout ses
gens et ses garnisons à grans coustages, c’est à
5savoir en Pikardie, en Normendie, en Gascongne,
en Saintonge, en Poito, en Bretagne, en Escoce. Si
avés bien entendu ossi comment il avoit si ardamment
enamé par amours la belle et noble dame
ma dame Aelis, contesse de Sallebrin, qu’il ne s’en
10pooit astenir, car amours l’en amonnestoit nuit et
jour telement et li representoit le biauté et le frice
arroi de li, si qu’il ne s’en savoit consillier. Et n’i
savoit que penser, comment que li contes de Salbrin
fust li plus privés de son conseil et li uns de chiaus
15d’Engleterre qui plus loyaument l’avoit servi. Si
avint que, pour l’amour de la ditte dame et pour le
[2] grant desirier que il avoit de li veoir, il avoit fait
criier unes grandes festes de joustes à le moiienné
del mois d’aoust à estre en le bonne cité de Londres.
Et l’avoit fait criier et à savoir par deça le mer
5en Flandres, en Haynau, en Braibant et en France,
et donnoit à tous chevaliers et escuiers, de quel pays
qu’il fuissent, sauf alant et sauf revenant. Et avoit
mandet par tout son royaume, si acertes comme il
pooit, que tout signeur, baron, chevalier et escuier,
10dames et damoiselles y venissent, si chier qu’il
avoient l’amour de lui sans nulle escusance. Et commanda
especialment au dit conte de Sallebrin qu’il
ne laissast nullement que ma dame sa femme y fust
et [qu’elle[248]] amenast toutes les dames et damoiselles
15que elle pooit avoir entour li. Li contes li ottria
moult volentiers, car il n’i pensa nulle villonnie; et
la bonne dame ne l’osa escondire, mès elle y vint
moult à envis, car elle pensoit bien pour quoi c’estoit,
et si ne l’osoit descouvrir à son mari, car elle
20se sentoit bien si avisée et si attemprée que pour
oster le roy de ceste oppinion. Et devés savoir que
là fu la contesse de Montfort, car jà estoit arrivée et
venue en Engleterre, et avoit fait sa complainte au
roy moult destroitement. Et li rois li avoit couvent
25de renforcier son confort, et le faisoit sejourner
dalès ma dame la royne sa femme, pour attendre le
feste et le parlement qui seroit à Londres.
§ 182. Ceste feste fu grande et noble, ossi noble
que on n’avoit mies en devant veu plus noble en
[3] Engleterre. Et y furent li contes Guillaumes de Haynau
et messires Jehans de Haynau ses oncles et grant
fuison de baronnie et chevalerie de Haynau. Et eut
à le ditte feste douze contes, huit cens chevaliers,
5cinq cens dames et pucelles, toutes de hault linage;
et fu bien dansée et bien joustée par l’espasse de
quinze jours, sauf tant que uns moult gentilz nobles
et jones bacelers y fu tués à jouster, qui eut grant
plainte: che fu messires Jehans, ainnés filz à monsigneur
10Henri, visconte de Byaumont d’Engleterre,
biau chevalier, jone et hardi, et portoit d’asur [semet
de fleurs de lis d’or[249],] à un lyon d’or rampant à un
baston de geules parmi l’escut. Toutes les dames et
les damoiselles furent de si rice atour que estre
15pooient, cescune selonch son estat, excepté ma dame
Aelis, la contesse de Salebrin. Celle y vint et fu le
plus simplement atournée que elle peut, par tant
que elle ne voloit que li rois s’abandonnast trop de
li regarder, car elle n’avoit pensée ne volenté de
20obeir au roy en nul villain cas qui peuist tourner à
le deshonneur de lui ne de son mari. Or vous nommerai
les contes d’Engleterre qui furent à ceste feste:
premierement messires Henris au Tors Col, conte
de Lancastre, messires Henris ses filz contes Derbi,
25messires Robers d’Artois contes de Richemont, li
contes de Norenton et de Clocestre, li contes de
Warvich, li contes de Sallebrin, li contes de Pennebruch,
li contes de Herfort, li contes d’Arondiel,
li contes de Cornuaille, li contes de Kenfort, li contes
30de Sufforch, le baron de Stanfort et moult d’autres
[4] barons et chevaliers que je ne puis mies tous
nommer.
Ançois que ceste grande et noble feste fust departie,
li rois Edowars eut et rechut pluiseurs lettres
5qui venoient de pluiseurs seigneurs et de divers pays
de Gascongne, de Bayone, de Bretagne, de Flandres
de par d’Artevelle son grant ami; et des marces
d’Escoce, dou signeur de Ros et dou signeur de
Persi et de monsigneur Edowart de Bailluel, capitaine
10de Bervich, qui li segnefioient que li Escoçois tenoient
assés foiblement les triewes qui acordées avoient esté
l’anée passée entre yaulz et les Englès et faisoient
une grande assamblée et semonse, mais il ne savoient
pour ù c’estoit à traire de certain. Ossi li saudoiier
15qu’il tenoit en Poito, en Saintonge, en le Rocelle
et en Bourdelois si escrisoient que li François
s’apparilloient durement de guerriier, car les triewes
devoient fallir entre France et Engleterre, qui avoient
esté données à Arras apriès le departement dou
20siège de Tournay. Ensi eut li rois mestier d’avoir
bon avis et conseil, car moult de guerres li apparoient
de tous lès. Si en respondi as dis messages
bien et à point, et voloit briefment, toutes aultres
coses mises jus, secourir et conforter la contesse de
25Montfort.
Si pria à son chier cousin monsigneur Robert
d’Artois qu’il presist à se volenté des gens d’armes
et des arciers, et se partesist d’Engleterre et se mesist
en mer pour retourner en Bretagne avoech la ditte
30contesse de Montfort. Messires Robers li acorda
liement, et se apparilla au plus tost qu’il peut, et fist
se carge de gens d’armes et d’arciers; et s’en vinrent
[5] assambler en le ville de Hantonne sus mer. Et furent
là un grant temps, ançois qu’il euissent vent à leur
volenté. Si se partirent environ Paskes, et entrèrent
en leurs vaissiaus et montèrent en mer. Avoech
5monsigneur Robert d’Artois estoient des barons
d’Engleterre li contes de Sallebrin, li contes de Sufforch,
li contes de Pennebruc, li contes de Kenfort,
le baron de Stanfort, le signeur Despensier, le signeur
de Boursier et pluiseur aultre. Or lairons un
10petit à parler d’yaus, et parlerons dou roy englès qui
fist un grant mandement parmi son royaume pour
estre à Paskes en le cité de Evruich ou pays de
Northombreland, sus l’intention que pour aler en
Escoce et tout destruire le pays, je vous dirai pour
15quel raison.
§ 183. En ce temps que li parlement estoient à
Londres des barons et signeurs d’Engleterre dessus
dis sus l’estat que vous avés oy, consillièrent li
prince au roy en bonne foy, consideret les grosses
20besongnes qu’il avoit à faire, qu’il envoiast l’evesque
de Lincolle à son serourge le roy d’Escoce pour
acorder une triewe ferme et estable, se il pooit, à
durer deux ans ou trois. Li rois à ce conseil s’acorda
moult à envis. Et li sambla grans blasmes de requerre
25son adversaire de triewes, selonch ce que on
li avoit fait de nouviel. Li signeur d’Engleterre li
disent, sauve sa grasce, que non estoit, selonch che
qu’il avoit tout gasté le royaume d’Escoce, et selonch
che qu’il avoit à faire en tant de fors [et divers[250]] pays.
[6] Et disent que on tenoit à grant sens d’un signeur,
quant il a pluiseurs guerres en un temps, et il en poet
l’une atriewer, l’autre apaisier et le tierce guerroiier.
Tant li moustrèrent de raisons qu’il s’i acorda et pria
5au prelat dessus dit qu’il y volsist aler. Li evesques
ne li volt mies escondire, ains se mist au chemin et
en ala celle part, mais il perdi sa voie et revint en arrière
sans riens faire. Si raporta au roy d’Engleterre
que li rois David d’Escoce n’avoit point de conseil
10de donner triewes ne souffrance, ne de faire pais ne
acord, sans le gret et le consent dou roy Phelippe de
France. De ce raport eut li rois englès plus grant
despit que devant; si dist tout hault que ce seroit
amendet temprement, et qu’i[l] atourroit telement le
15royaume d’Escoce que jamais ne seroit recouvret. Si
manda par tout son royaume que cescuns fust à
Evruich à le feste de Paskes, apparilliés d’aler là où
il les vorroit mener, excepté chiaus qui s’en devoient
aler en Bretagne avoecques monsigneur Robert d’Artois
20et la contesse de Montfort.
§ 184. Li jours de le Paske et li termes vint. Li
rois Edowars tint une grant court à Evruic. Tout li
prince et li signeur et li chevalier d’Engleterre, qui
pour le temps y estoient, y furent et ossi grant fuison
25de le communauté dou pays. Et furent là par l’espasse
de trois sepmainnes sans chevaucier plus
avant, car bonnes gens s’ensonniièrent entre le roy
englès et le roy d’Escoce, par quoi il n’i ot adonc
point de guerre. Et fu une triewe prise, jurée et
30acordée à tenir deux ans, et le fisent li Escot contremer
deu roy de France. Par ensi se deffist ceste
[7] grosse chevaucie, et departi li rois englès ses gens et
leur donna congiet de raler en leurs hostelz. Et il
meismes s’en revint à Windesore et envoia adonc
monsigneur Thumas de Hollandes et monsigneur
5Jehan de Hartecelle à Bayone à tout deux cens armeures
de fer et quatre cens arciers, pour garder les
frontières contre les François.
Or vous parlerons de l’armée monsigneur Robert
d’Artois [et de sa compaignie[251]], et comment il arrivèrent
10en Bretagne. En ce temps escheirent les Paskes
si hault que, environ closes Paskes, on eut l’entrée
dou mois de may. De quoi, en le moiiené de ce mois,
la triewe de monsigneur Charles de Blois et de la contesse
de Montfort devoit fallir. Si estoit bien messires
15Charles de Blois enfourmés dou pourcach que la contesse
de Montfort avoit fait en Engleterre et de l’ayde
et confort que li rois li devoit faire. Dont messires
Loeis d’Espagne, messires Charles Grimaus, messires
Othon Doriie estoient establi sus le mer à l’encontre
20de Grenesie, à trois mille Geneuois et mille hommes
d’armes en trente deus gros vaissiaulz espagnolz tous
armés et tous fretés, et waucroient sus le mer attendans
leur revenue. D’autre part, messires Gautiers
de Mauni et li signeur de Bretagne et d’Engleterre,
25qui dedens Hembon se tenoient, estoient durement
esmervilliet de leur contesse de ce que elle demoroit
tant, et si n’en ooient nulles certainnes nouvelles.
Nompourquant moult bien supposoient que elle ne
sejournoit mies trop bien à se grant aise, et ne se
30doubtoient de aultre cose que elle n’euist aucun dur
[8] encontre sus mer de ses ennemis; se n’en savoient
que penser.
§ 185. Ensi que messires Robers d’Artois, li
contes de Pennebruc, li contes de Salebrin et li
5aultre signeur et chevalier d’Engleterre et leurs gens,
avoech la contesse de Montfort, nagoient par mer au
lès devers Bretagne et avoient vent à souhet, au departement
de l’isle de Grenesie, à l’eure de relevée,
il perchurent le grosse navie des Geneuois dont
10messires Loeis d’Espagne estoit chiés. Dont disent
leur maronnier: «Signeur, armés vous et ordenés,
car veci Geneuois et Espagnolz qui viennent et qui
vous approcent.» Lors sonnèrent li Englès leurs
trompètes et misent leurs pennons et leurs estramières
15armoiies de leurs armes et de Saint Jorge.
Et s’ordonnèrent bien et sagement et s’encloirent de
leurs arciers; et puis nagièrent à plain voile, ensi
que li tamps l’aportoit. Et pooient estre environ quarante
six vaissiaus, que grans que petis. Mais [nuls[252]]
20si grans ne si fors de trop n’en y avoit que messires
Loeis d’Espagne en avoit neuf; et entre ces neuf
avoit trois galées qui se remoustroient dessus tous les
aultres. Et en cescune de ces trois galées qui se remoustroient
dessus tous les aultres estoient li troi
25corps des signeurs, messires Loeis, messires Charles
et messires Othes.
Si s’approcièrent li vaissiel, et commencièrent Geneuois
à traire de leurs arbalestres à grant randon,
et li arcier d’Engleterre ossi sus eulz. Là eut grant
[9] tret des uns as aultres, et qui longement dura, et
maint homme navret et bleciet. Et quant li signeur,
li baron, li chevalier et li escuier s’approcièrent, et
qu’il peurent des lances et des espées venir ensamble,
5adonc y eut dure bataille et crueuse, et trop bien s’i
portèrent et esprouvèrent li un et li aultre. Là estoit
messires Robers d’Artois qui y fu très bons chevaliers,
et la contesse de Montfort meismement armée, qui
bien valoit un homme, car elle avoit coer de lyon, et
10tenoit un glave moult roide et bien trençant, et trop
bien s’en combatoit et de grant corage.
Là estoit messires Loeis d’Espagne en une galée,
comme bons chevaliers, qui moult vaillamment et
de grant volenté requeroit ses ennemis et se combatoit
15as Englès, car moult les desiroit à desconfire,
pour li contrevengier dou damage qu’il avoit eu et
receu ceste propre anée, assés priès de là, ou camp de
Camperli. Et y fist li dis messires Loeis grant fuison
de belles apertises d’armes. Et jettoient li Espagnol
20et li Geneuois, qui estoient en ces gros vaissiaus, d’amont
gros barriaus [de fer[253]], et archigaies dont il
travilloient moult les Englès. Là eurent li baron et
li chevalier d’Engleterre moult à faire et un dur rencontre,
et trouvèrent l’armée des Espagnols et des
25Geneuois moult forte et gens de grant volenté.
Si commença ceste bataille moult tart et environ
vespres, et les departi li nuis, car il fist moult obscur
sus le vesprée; et se couvri li airs moult espès, si
ques à painnes pooient il recognoistre l’un l’autre.
30Si se retraisent cescuns et se misent à l’ancre, et
[10] entendirent [à] appareillier les bleciés et les navrés et
remettre à point; mais point ne se desarmèrent, car
il cuidièrent de rechief avoir le bataille.