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Des postes en général, et particulièrement en France

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DES POSTES
EN GÉNÉRAL,
ET PARTICULIÈREMENT EN FRANCE.

PREMIÈRE PARTIE.
ORIGINE DES POSTES.

Il faut remonter à l’antiquité la plus reculée pour découvrir l’origine des postes. Que de recherches inutiles, d’expériences insuffisantes, de tentatives infructueuses ont dû être employées avant que d’en rendre l’usage général ? Il serait difficile d’indiquer, parmi ces premiers essais, celui auquel il faudrait accorder la priorité. De vaines conjectures ne peuvent ici tenir lieu de la vérité. Cependant, au milieu de tant d’incertitudes, nous remarquerons les moyens dont on s’est servi primitivement pour transmettre la pensée par le langage des signes, et quels sont ceux qui l’ont fait triompher des distances.

Les premières familles, en se dispersant, formèrent autant de sociétés indépendantes les unes des autres. Occupées du soin de leur propre conservation, elles se suffirent pendant long-tems, parce que leurs goûts simples rendaient leurs besoins extrêmement bornés. Partout où les mœurs patriarcales régnèrent dans toute leur plénitude, les hommes ne pensèrent pas à établir de communications avec les peuplades étrangères. Ce n’est donc point chez ces nations pacifiques que nous devons espérer de trouver les premières traces des postes, ou, pour mieux dire, des moyens qui y suppléèrent jusqu’à leur organisation régulière. Nous pensons que ceux, sans doute très-imparfaits, qui l’ont précédée, n’ont pu être imaginés que par les tribus dont le caractère belliqueux des sujets servait les projets d’usurpation des chefs.

On conçoit qu’il n’était pas besoin pour cela que la civilisation eût fait de grands progrès ; car, dès qu’on eût commencé à envahir, il fallut chercher à connaître tout ce qui pouvait assurer ou compromettre la puissance du vainqueur.

L’ambition rendit soupçonneux ; et, de la défiance, compagne inséparable de la tyrannie, naquit cette impatiente curiosité de tout savoir, soit pour prévenir des revers, former de nouveaux projets de conquêtes, comprimer des soulèvemens, déjouer les conspirations ; soit, enfin, pour consolider une domination à peine établie.

Les obstacles disparurent devant la volonté d’un maître. Bientôt la pensée se communiqua rapidement et fut transmise au loin par des interprètes fidèles. Un état continuel de contrainte dut exercer l’imagination active des peuples de l’Orient, chez lesquels les postes ont pris naissance. De là, ces ruses ingénieuses par lesquelles ils cherchaient à s’entendre sans être compris de ceux dont ils voulaient mettre la surveillance en défaut. Tout prenait pour eux un langage à volonté ; et, changeant sans cesse de signes, ils préparaient de loin, par d’heureuses tentatives, ces résultats dont on devait apprécier plus tard les avantages.

Sous le ciel si pur de l’Asie, les couleurs et les fleurs[1], variées à l’infini, ont été sans doute les premiers interprètes de la pensée. Attachant à chacune une idée, un sentiment, on formait, par la réunion de ces divers emblêmes, une correspondance oculaire où l’ame trouvait un langage énergique comme les passions, et multiplié comme elles. La langue épistolaire des Salams[2], dit Rousseau, transmettait, sans crainte des jaloux, les secrets de la galanterie orientale à travers les harems[3] les mieux gardés.

[1] Les femmes de l’Orient trouvent dans leurs jardins de quoi exprimer toutes leurs passions avec des roses, des soucis, des tulipes au cœur brûlé… En effet, les fleurs sont une des analogies avec les caractères ; les unes étant gaies, d’autres mélancoliques ; il y en a même qui en ont avec les traits du visage : les bluets avec les yeux ; les roses avec la bouche ; la rose de Gueldres avec le sein ; la digitale avec les doigts, etc… [Harmonies de la Nature.]

[2] Une multitude de choses les plus communes, comme une orange, du charbon, un ruban dont l’envoi forme un sens connu de tous les amans où cette langue est en usage.

[3] Les muets du grand seigneur s’entendent entr’eux, et entendent ce qu’on leur dit par signes, tout aussi bien qu’on pourrait l’exprimer par les discours. Chardin dit qu’aux Indes les facteurs se prenant la main, et modifiant, leurs attouchemens d’une manière que personne ne peut apercevoir, traitent ainsi publiquement, mais en secret, toutes leurs affaires, sans avoir proféré un seul mot.

Mais ces moyens, appliqués avec succès à certaines localités, ne pouvaient triompher des distances.

Parmi les signaux[4] primitifs employés à la transmission au loin d’avis importans, les feux et la fumée tenaient le premier rang. Les lieux élevés, où la vue, embrassant un horizon immense, ne trouvait point d’obstacles, étaient très-favorables à cette manière de correspondre. Des branches de bois résineux enflammées que des hommes, commis à ce soin et placés à des distances convenables, agitaient diversement dans l’air ; des feux, dont ils augmentaient ou diminuaient la clarté, et dont ils variaient la disposition ; des flambeaux et des fanaux entretenus sur des tours[5] très-élevées, dont la lueur vacillante était modifiée avec un art qu’on a si bien perfectionné de nos jours ; la fumée qui, s’élevant tantôt comme une vapeur légère, se changeait tout-à-coup en un nuage épais, pour se dissiper et reparaître sous un autre aspect ; tant d’autres moyens, diversifiés à l’infini, ne pouvaient avoir qu’une signification extrêmement bornée. La nécessité de multiplier les relations entraînait celle de multiplier les pensées, ou, pour mieux dire, les signes qui en sont l’expression.

[4] Dans l’antiquité, Hérodote, Homère, Eschyle, Pausanias, Jules Africain, Enée le Tacticien, etc. ; et, dans les tems modernes, Porta, Kircher, Robert, Hooke, Schot, Guyot, Amontons, Linguet, Chappe, etc., ont fait mention de moyens que nos télégraphes ont remplacés. L’usage des feux paraît commun même aux nations les plus sauvages. César dit que les Gaulois étaient très-experts dans l’art de les disposer. Les Grecs modernes l’ont renouvelé en établissant encore de nos jours, sur des lieux élevés, de ces sortes de signaux, pour s’avertir, en cas de besoin, des dispositions de leurs ennemis. D’autres moyens étaient également employés dans le but de correspondre. Du tems de nos discordes civiles, les moulins dont les ailes se plaçaient dans certaines directions, servaient à entretenir des relations très-actives. On profitait, dans d’autres circonstances, des avantages qu’offraient les localités pour parvenir à ce but. On conçoit jusqu’à quel point on pouvait multiplier ces ressources.

[5] On trouve par escrit, dit Bergier, que la tour du phare, que Ptolémée fit construire sur la mer d’Egypte, coûta 800 talens. Le Père F. Baugrand, dans son voyage en Syrie, rapporte que Sainte-Hélène avoit fait bâtir, sur le bord de la mer, des tours, que l’on voit encore, depuis Constantinople jusqu’à Jérusalem, par le moyen desquelles, avec un nombre et différentes dispositions de flambeaux ardens, elle faisoit savoir ou recevoit des nouvelles, en moins de vingt-quatre heures, de ce qui se passoit dans l’une ou l’autre de ces deux villes. Ces tours sont presque encore toutes entières : on les voit sur le bord de la mer.

La correspondance par le langage articulé remplaça cette poste oculaire. Mais une première expérience ne devait pas être sans fruit : on avait établi des lieux fixes pour les feux, et l’on construisit également des édifices très-élevés et disposés convenablement pour que la voix[6] d’individus forts et vigoureux, placés sur ces points apparens, pût se communiquer facilement de l’un à l’autre, en transmettant ainsi réciproquement, et avec une promptitude dont on ne peut se faire d’idée, les avis qu’ils recevaient.

[6] Les anciens Gaulois, dit Mezeray, envoyoient leurs commandemens par des cris, qui estant receus en un lieu, se portoient en l’autre, avec telle disposition et diligence, que ce qui fut sceu à Genève à soleil levant, fut sceu en Auvergne à soleil couchant.

On ne tarda pas à sentir les inconvéniens d’une correspondance orale, dont le moindre était de faire connaître les projets que les gouvernemens ont toujours soin de couvrir du mystère le plus impénétrable. Il fallait trouver les moyens de rendre l’agent lui-même étranger à la correspondance, afin de pouvoir s’entendre, à des distances illimitées, aussi secrétement qu’un ami peut le faire en parlant à l’oreille d’un ami.

C’est alors que s’introduisit l’usage d’envoyer des messagers pris parmi les personnages les plus importans de l’état : ils étaient chargés par les princes de porter les ordres aux gouverneurs des provinces, et de rendre compte, à leur retour, des opérations dont ils surveillaient en même tems l’exécution. L’histoire fournit de nombreux exemples à l’appui de cette assertion. Homère dit que Bellérophon porta des lettres de Prœtus à Jobatès. L’Ecriture Sainte nous apprend que David en envoya à Joab ; que Jézabel en fit parvenir à Acham ; et que Rapsacès vint près d’Ezéchias, de la part de Sennachérib, remplir un semblable message.

Ce mode, convenable dans des tems ordinaires, devenait insuffisant et même impraticable, lorsque des circonstances impérieuses contrariaient l’ordre établi dans l’état. Les correspondances devaient être, en ce cas, non-seulement plus multipliées, mais recevoir encore un nouveau degré d’accélération. Les monarques, qui d’ailleurs ne pouvaient se priver des conseils de leurs favoris, sentirent la nécessité de les remplacer, dans ces fonctions, par des officiers, sous le nom de coureurs, dignes aussi de toute leur confiance. L’expérience qui avait fait rejeter l’usage de communiquer par la voix, conduisit à envoyer des messagers exercés aux plus rudes fatigues : ils fournirent d’abord la course entière ; et bientôt, établis de station en station, ils portaient à la plus voisine et en rapportaient les ordres, et par suite les missives, avec une rapidité telle, qu’elles parvenaient ainsi du point de départ au point de destination comme par enchantement.

Le nombre des coureurs fut très-étendu sous Salomon : ils habitaient son palais ; et le lieu qui leur était destiné sous ses successeurs, s’appelait salle des coureurs.

Les dispositions de plusieurs courriers, placés à des distances égales et à des points fixes, indique assez une amélioration due à l’expérience. En effet, s’il avait paru plus simple d’abord qu’un message fût rempli par le même individu, on remarqua que, quelque diligence qu’on y eût apportée, ce moyen entraînait non-seulement trop de tems, mais nécessitait encore l’expédition d’autant de courriers que les circonstances exigeaient qu’on renouvelât les ordres.

La promptitude avec laquelle on correspondait de cette manière n’était rien encore comparée à la vitesse du vol des oiseaux[7], qu’on devait employer dans le même but.

[7] Les plus gros, selon Buffon, parcourent plus de 700 toises par minute, et peuvent se transporter à 20 lieues dans une heure. On sait l’histoire du Faucon de Henri II, qui s’étant emporté après une canepetière à Fontainebleau, fut pris le lendemain à Malte, et reconnu à l’anneau qu’il portait.

Adanson a vu et tenu à la côte du Sénégal des hirondelles arrivées en moins de neuf jours d’Europe.

Un peuple observateur avait dû remarquer les habitudes de certains volatiles à revenir aux lieux qui les ont vus naître, et où ils laissent leurs petits ; celles des hirondelles et des pigeons, qui fourmillent dans l’orient, ne purent lui échapper. Parmi ces derniers on distingua le pigeon[8] connu depuis sous le nom de pigeon-messager. Il était plus fréquemment employé que l’hirondelle[9], dont les anciens peignaient le plumage, en donnant à chaque couleur une signification particulière. L’oiseau, lâché d’un lieu élevé, ne mettait à profit sa liberté que pour remplir son message, en regagnant avec une vîtesse incroyable l’endroit où, retrouvant ses petits, il était reçu par les personnes intéressées à veiller l’époque de son retour, qui s’effectuait toujours avec une grande régularité.

[8] Selon Villughby, Columba-Tabellaria, il ressemble beaucoup au pigeon turc, tant par son plumage que par ses yeux entourés d’une peau nue, et les narines couvertes d’une membrane épaisse. On s’est servi de ces pigeons pour porter les nouvelles au loin, ce qui leur a fait donner le nom de messager.

Ces pigeons, dit Valmont de Bomare, font leurs nids dans de vieilles tours ; ils sont très-timides, et volent avec une rapidité extraordinaire. Ils s’attachent aux lieux qui les ont vus naître. Ils est difficile de les dépayser en les laissant libres ; ils aiment à retourner dans les contrées où ils ont été nourris, élevés et bien traités.

Pietro della Valle rapporte qu’en Perse, le pigeon-messager fait, en un jour, plus de chemin qu’un homme de pied n’en peut faire en six.

[9] Cœcina Volaterranus, chevalier romain et intendant des chariots du Cirque, avait coutume de porter à Rome des hirondelles prises dans les maisons de ses amis où elles faisaient des nids, et quand les chevaux des personnes qui l’intéressaient avaient remporté le prix de la course, il peignait les hirondelles de la couleur du parti victorieux, et les laissait aller, sachant que chacune retournerait à son nid, et que, par ce moyen, ses amis seraient instruits de leur victoire.

Fabius Pictor raconte, dans ses annales, que lorsque les Liguriens assiégeaient un fort où était une garnison romaine, on lui apporta une hirondelle prise sur ses petits, afin que, lui attachant un fil à la patte et faisant à ce fil un certain nombre de nœuds, il pût donner à connaître, par ce moyen, aux assiégés, quel jour il leur enverrait des secours, pour que ce jour même ils puissent faire une sortie sur l’ennemi.

Les pigeons[10] servaient au même usage. On les expédiait par bandes, en leur attachant, au cou ou sous les ailes, la missive qu’ils devaient rendre à sa destination, ou un fil dont les nœuds et les contextures avaient une signification convenue entre ceux qui correspondaient ainsi.

[10] Au théâtre, à Rome, les maistres de famille avoient, dit Montaigne, des pigeons dans leur sein, auxquels ils attachoient des lettres quand ils vouloient mander quelque chose à leurs gents au logis ; ils estoient dressés à en rapporter les responses. D. Brutus en usa assiégé à Modène, et aultres, ailleurs.

Ces faits, renouvelés de nos jours, ont cessé de paraître merveilleux. Le prince d’Orange employa ces messagers volans, en 1774 et 1775, aux siéges d’Harlem et de Leyde ; et, pour reconnaître les services de ces oiseaux, le prince voulut qu’ils fussent nourris aux dépens de l’état, dans une volière faite exprès, et que, lorsqu’ils seraient morts, on les embaumât pour être gardés à l’hôtel de ville.

En 1803, on établit à Liége une poste aux pigeons : 22 de ces oiseaux revinrent de Paris dans cette ville, ayant fait 72 lieues en 4 heures, ce qui donne 18 lieues par heure. D’autres furent expédiés de Francfort à Liége avec le même succès. Un troisième essai fut fait en même tems à Coblentz, pour renvoyer à Liége un grand nombre de ces messagers ; deux d’entre eux y arrivèrent en deux heures et demie : ce trajet est de 30 lieues.

En juillet, 1824, on lança sur le pont neuf, à Paris, 32 pigeons envoyés de Maestricht. L’heure du départ avait été marquée sur une plume de leur aile. La même année un convoi de 100 pigeons avait été expédié de Liége à Lyon : 40 furent lâchés, de cette dernière ville, à 6 heures du matin. L’un d’eux était de retour à Liége, le même jour, à 11 heures aussi du matin : ainsi, en 5 heures de tems, il avait fait un trajet de 125 lieues. Le retour de ce pigeon devait faire gagner un pari de cent mille francs à son maître.

Une semblable expérience a eu lieu avec le même succès, en 1825, de Liége à Valenciennes, où le maire de cette dernière ville, après avoir contre-marqué les pigeons, leur fit donner la volée : ils étaient au nombre de 115.

Ce sont ordinairement des sociétés qui font élever des pigeons à cet exercice en leur plaçant des marques distinctives à l’aile, afin d’éviter toute méprise. On les transporte ordinairement, à dos d’homme, dans des hottes. C’est toujours par un acte de notoriété publique, que l’on constate leur départ des villes. Ces exemples, qu’il serait facile de multiplier, ne laissent pas de doute et sur l’instinct des pigeons et sur la rapidité de leur vol.

Lorsqu’anciennement on évaluait le terme moyen de la vitesse de leur vol à dix lieues par heure, c’est qu’on avait égard aux lieux qui opposaient plus ou moins d’obstacles. Un pays découvert et coupé par des rivières ne laissait aucune incertitude à l’oiseau pour le retour, tandis que des forêts, un sol inégal, multipliant les remarques qu’il était obligé de faire, l’embarrassaient lorsqu’il fallait parcourir la même route. Nous croyons expliquer par là les raisons du retard qu’éprouvent les pigeons expédiés par bandes. Il est rare qu’ils arrivent tous en même tems à leur destination, leur instinct ne les servant pas tous également. Quoi qu’il en soit, ce moyen ne peut rien offrir de régulier, tant à cause des fatigues auxquelles l’oiseau succombe quelquefois, que des dangers auxquels l’exposent, et la flèche du chasseur et les serres des animaux de proie.

Cet usage, qui s’est conservé en Asie[11], n’a pu ni s’y répandre, ni même s’y maintenir d’une manière utile à la correspondance régulière.

[11] Prokoke dit que les pigeons d’Alep servent de courriers pour Alexandrette et Bagdad : ce fait, qui n’est point une fable, cesse d’avoir lieu moins fréquemment, depuis que les voleurs kurdis se sont avisés de tuer les pigeons. On prend pour cette espèce de poste des couples qui ont des petits, et on les porte à cheval au lieu d’où l’on veut qu’ils reviennent, avec l’attention de leur laisser la vue libre. Lorsque les nouvelles arrivent, le correspondant attache un billet à la patte des pigeons, et il les lâche. L’oiseau, impatient de revoir ses petits, part comme l’éclair, et arrive en 10 heures d’Alexandrette et en deux jours de Bagdad : le retour est d’autant plus facile qu’il peut découvrir Alep à une très-grande distance.

Tels sont sans doute les principaux essais qu’on a dû tenter pour s’entendre malgré les distances, se parler sans le secours de la voix, et transmettre la pensée sous des formes si diversifiées.

Tous les signes conventionnels, qu’on peut considérer comme autant de langues particulières, ont précédé, avec succès, pour correspondre, l’invention de l’écriture. La découverte de cet art a donné naissance aux lettres, aux épîtres, aux missives, aux dépêches enfin, qui, selon Cicéron, servaient à marquer à la personne à laquelle on les adressait, les choses qu’elle ignorait. D’après cette définition, on doit regarder comme lettres, les tablettes ou ais enduites de cire, sur lesquelles on écrivait, avec des stylets de fer, de cuivre ou d’os, dont l’un des bouts était pointu pour graver les caractères et l’autre plat pour les effacer. Ces tablettes, rassemblées et attachées ensemble pour former un livre[12], avaient beaucoup de ressemblance à un tronc d’arbre scié en plusieurs planches. Les lettres que les particuliers s’écrivaient étaient sur ces tablettes, qu’on enveloppait de lin, et qu’on cachetait ensuite d’une espèce de craie ou cire d’asie. On les remplaça par les feuilles de palmier, et, plus tard, par l’écorce la plus mince de certains arbres (tels que le frêne, le tilleul, le peuplier blanc et l’orme) appelée liber, en latin, d’ou vient le mot livre. On se servait, pour écrire dessus, de roseaux imbibés d’encre[13], comme on le pratique encore en Orient. Diverses compositions, entre autres la peau préparée et le papyrus, précédèrent l’invention du papier en usage aujourd’hui[14].

[12] Quand les anciens avaient des sujets un peu étendus à traiter, ils se servaient plus commodément de feuilles ou de peaux cousues les unes au bout des autres, qu’on nommait rouleaux ; coutume que les Juifs, les Grecs, les Romains, les Perses, et même les Indiens ont suivie, et qui a continué quelques siècles après Jésus-Christ. Ces livres en rouleaux étaient fixés sur un bâton qu’on nommait umbilicus, lequel servait de centre à la colonne ou cylindre. Le côté extérieur des feuilles s’appelait frons, les extrémités du bâton se nommaient cornes, et étaient ordinairement décorées de petits morceaux d’ivoire, d’argent, d’or et même de pierres précieuses. Dans l’origine, on se servait de différentes matières pour faire les livres. Les caractères furent d’abord tracés sur de la pierre, témoins les tables de la loi donnée par Moyse, qui sont le plus ancien livre que l’on connaisse.

La forme actuelle des livres a été inventée par Attale, roi de Pergame. On employait des préparations aromatiques pour les préserver de toute destruction.

Avant l’invention de l’imprimerie, les livres étaient d’un prix sans bornes. Cette découverte a eu lieu vers l’an 1440, à Mayence. On la doit à Jean Guttemberg, qui s’associa Faust et Schoëffer. Le premier livre imprimé est la cité de Dieu, de Saint-Augustin.

En 1471, Louis XI, désirant avoir dans sa bibliothèque une copie du livre du médecin Rasi, emprunta l’original de la faculté de médecine de Paris, et donna pour sûreté de ce manuscrit 12 marcs d’argent, 20 livres sterlings, l’obligation d’un bourgeois pour la somme de cent écus d’or.

On prétend que vingt mille personnes en France, vivaient de la vente des livres qu’elles copiaient.

Jean Faust, qui s’établit à Paris en 1470, dédia, à Louis XI, le premier livre qu’il y imprima.

[13] La première encre dont on s’est servi fut tiré d’un poisson nommé zibius ; le suc des mûres sauvages le remplaça ; ensuite, la suie ; puis, le cinabre, le vert de gris et enfin les compositions actuelles.

[14] Vers le commencement du VIII.e siècle on se servit du papier fait de coton, et ce ne fut que 600 ans après qu’on employa les chiffons pour sa fabrication.

Si les tribus d’Israël communiquaient entr’elles par le moyen des messagers, comme nous l’apprend l’Ecriture ; si d’autres nations de l’Asie entretenaient des relations en suivant le même usage, nous serions tenté de croire que l’origine des postes, telles que nous les concevons, remonte très-haut. Des traces de cet utile établissement semblent se découvrir plus positivement sous le règne d’Assuérus[15], roi des Mèdes, qui fit expédier des courriers pour porter l’édit[16] de proscription des Juifs aux gouverneurs et aux magistrats des cent vingt-sept provinces qui s’étendaient depuis l’Inde jusqu’à l’Ethiopie. Deux mois après l’expédition des premiers courriers, de nouveaux reçurent l’ordre de faire une extrême diligence pour prévenir, par de nouvelles dispositions dont ils étaient chargés, l’effet des mesures qu’Aman avait prises précédemment. Les courriers eurent de plus commission expresse, de la part du roi, d’aller trouver les Juifs dans toutes les villes et de leur ordonner de se rassembler. Les lettres dont ils étaient porteurs, envoyées au nom d’Assuérus, étaient scellées de son sceau.

[15] Nom que les Hébreux donnaient à Artaxerxès, grand-oncle de Cyrus.

[16] Il fut traduit dans toutes les langues que parlaient les peuples répandus dans tout l’empire. Lysimaque le traduisit à Jérusalem, et Doristhée en Egypte.

Le même moyen fut employé par Esther et Mardochée, pour inviter les juifs, répandus sur ce vaste état, à célébrer le jour solennel de leur délivrance.

Ainsi, nous voyons des courriers expédiés, à diverses reprises, sur tous les points d’un grand empire, sans pouvoir connaître s’il existait un service régulier de poste, et quel pouvait être son mode d’organisation. L’incertitude qui nous reste, malgré ces exemples, ne peut encore nous en faire attribuer l’établissement à Assuérus. Le témoignage d’Hérodote, de Xénophon et de tous les historiens, ne permet plus de douter que Cyrus n’en soit le véritable fondateur.

Ce fut, dit Bergier, en l’expédition que Cyrus entreprit à l’encontre des Schytes, qu’il établit les postes de son royaume, environ 500 ans avant la naissance de J.-C. ; afin que les messagers, comme ravis par l’air, pussent porter sa volonté aux gouverneurs de ses provinces, en cas d’affaires précipitées, et qui ne pussent souffrir de délais.

Ce prince, dont les expéditions ont été si mémorables et si multipliées, reconnut bientôt que les moyens de correspondre, employés avant lui, devenaient insuffisans par la nécessité dans laquelle il se trouvait d’entretenir de fréquentes relations avec les satrapes ou gouverneurs de ses nombreuses provinces.

Des signaux, des ordres transmis par la voix, des courriers sans cesse en mouvement, établis de station en station, ne remplissant qu’imparfaitement ce but, avaient préparé néanmoins l’heureuse révolution qu’il devait opérer dans l’art de correspondre.

En perfectionnant les chars[17], auxquels les Phrygiens étaient parvenus à atteler deux chevaux, et Erectonius[18] quatre, Cyrus avait pu apprécier, de nouveau, l’agilité et la force de ces animaux ; mais ce n’était que dans les courses dont les peuples anciens se montraient si admirateurs. Ce prince chercha bientôt à déterminer l’espace qu’ils pourraient parcourir, en galopant sans fatigue, pendant un certain laps de tems. Il expédia, à cet effet, des courriers de sa capitale aux confins de son empire, avec ordre de lui rendre au retour un compte exact de leur course. La comparaison de ces divers rapports paraît l’avoir conduit à une connaissance positive de la rapidité de la marche du cheval, qui fut jugée égale à celle du vol de l’oiseau ; et, disent aulcuns que cette vîtesse d’aller vient à la mesure du vol des grues[19].

[17] Les Gaulois étaient également renommés pour la conduite des chars et l’art avec lequel ils dressaient les chevaux, qu’ils arrêtaient tout à coup dans les descentes les plus rudes et les pentes les plus difficiles.

[18] Il était fils de Vulcain, et se servait d’un char à cause de la difformité de ses jambes qu’il y tenait cachées.

[19] Montaigne.

Nous n’examinons pas s’il peut exister quelque parité entre ces deux vîtesses[20], et jusqu’à quel point on a porté la rigueur de ce calcul ; pour que la durée de chaque course, lorsqu’elle était d’une certaine étendue, fût toujours, non-seulement égale, mais toujours parcourue avec la même promptitude, il fallait connaître, par des expériences répétées et par une longue suite d’observations, tout ce que la nature opposerait de difficultés ou offrirait d’avantages, afin de fixer les distances à parcourir par les chevaux, en raison du sol et de l’état des routes. C’est en quoi la sagacité de Cyrus est remarquable ; car il s’agissait moins ici de se rendre en diligence d’un point à un autre, lorsque quelques circonstances impérieuses l’exigeraient, que d’assurer en tout tems la régularité et la célérité du service par les soins et les ménagemens qu’on prendrait des chevaux, en évitant de les fatiguer par des marches trop prolongées.

[20] On a vu des chevaux faire 60 lieues en 12 heures et d’une seule traite. En 1754, on dit que milord Poscool fit la gageure de se rendre de Fontainebleau à Paris en 2 heures : il y a 14 lieues de distance. Le roi ordonna à la maréchaussée de lever sur la route les obstacles qui pourraient opposer au courrier le moindre inconvénient. Milord Poscool ne se servit point de jockey ; il partit de Fontainebleau à 7 heures du matin, et arriva à Paris à 8 heures 48 minutes.

Le fameux Filho-da-puta, cheval de course anglais, égale presqu’en vîtesse celle de Childers, le plus rapide des coursiers connus. Ce dernier parcourut une fois, en 7 minutes, l’espace de New-Market [4320 toises]. Il n’y a pas long-tems qu’en Russie deux chevaux anglais ont remporté le prix de la course sur deux chevaux cosaques. L’espace à parcourir sur la route de Moscou était de 70 werstes. L’étalon anglais arriva le 1.er au but, et ne mit, pour y parvenir, que 2 heures 8 minutes 4 secondes.

Les chevaux de course anglais embrassent, à chaque élan, une étendue de terrain de près de 20 pieds.

Les chevaux de course français franchissent communément 4000 mètres en 4 minutes 13 secondes. Ils parcourent la circonférence du Champ-de-Mars en 2 minutes 30 secondes, et deux fois le même espace en 5 minutes 32 secondes, deux cinquièmes. La double circonférence est à peu près d’une lieue de poste ; la circonférence intérieure de 1026 toises ; ce qui donne, dans les proportions ci-dessus 41 pieds par seconde, ou par minute 2462 pieds 5 pouces. On remarque que les jumens ont toujours la supériorité dans les courses, les jockeys qui montent les chevaux ont 300 francs par course. Il en coûte 500 francs pour faire dresser les chevaux qu’on y destine.

On ne peut donc méconnaître, dans cette expérience mémorable faite par Cyrus, l’idée primitive et fondamentale des postes. Il a donc tout l’avantage de cette invention qu’on fait remonter à son expédition contre les Scythes.

Ce prince ne s’arrêta pas à cet essai, et il perfectionna l’institution des postes, en faisant construire sur les grands chemins, à des distances égales, des bâtimens sous la dénomination de stations, pour les courriers et les chevaux qui y étaient entretenus en nombre suffisant, et soignés par des individus qui n’avaient que cet unique emploi. De la mer Grecque ou Egée, dit Bergier, jusqu’à la ville de Suze, capitale du royaume, des Perses, il y avoit pour cent onze gistes ou mansions de distances ; de l’une desquelles à l’autre, il y avoit une journée de chemin.

Ces édifices étaient tellement vastes, commodes et magnifiques, que le prince ne logeait presque jamais ailleurs lorsqu’il voyageait avec sa suite. Les courriers transportaient de l’un à l’autre, le jour, la nuit et à toute heure, les dépêches qui intéressaient le service public. Leur exactitude et leur discrétion[21] étaient si grandes, qu’on n’eut jamais à se repentir de la confiance que de pareilles missions commandent.

[21] Il faut dire aussi, que, de leur côté, les peuples anciens conservaient un respect religieux pour la correspondance. L’histoire rapporte que les Athéniens on donnèrent un exemple en laissant parvenir les lettres que Philippe écrivait à Olympie. Après une grande fermentation dans sa patrie et une guerre civile, Pompée eut la générosité et la magnanimité de livrer au feu toutes les lettres qui auraient pu entretenir le souvenir d’événemens si funestes. Quand on voit les nations modernes les imiter si scrupuleusement, on ne sait ce qui surprend le plus, ou de la discrétion des courriers, ou de la confiance de ceux qui les rendent dépositaires de leurs secrets, en n’opposant à la curiosité que d’aussi faibles obstacles. Cette réserve d’un côté, et cet abandon de l’autre, ne nous étonnent plus. L’habitude a pu seule nous familiariser avec une semblable merveille. Mais l’inviolabilité des lettres, à laquelle les postes doivent leur prospérité, est la base inébranlable sur laquelle elles reposent. Fondées sur le mystère, maintenues par le respect pour la pensée, elles ne sont point au nombre de ces institutions éphémères, dont la durée est si fragile : leur existence n’a de bornes que celles de la société.

Il paraît, néanmoins, que, dès le commencement, on cachetait les lettres en les fermant avec différens nœuds. Cette coutume avait lieu du tems de la guerre de Troie. Isaïe dit aux Juifs que ses prophéties seront à leur égard comme des lettres cachetées. Ces exemples prouveraient, s’il en était besoin, que, dès qu’on écrivit des missives, on reconnut l’avantage de pouvoir en laisser ignorer le contenu aux agens intermédiaires, chargés de les transmettre par les moyens usités dans tous les tems.

On juge par les soins que Cyrus mit à consolider cette institution politique, de l’importance qu’il y attachait. Ses conquêtes, en étendant les bornes de sa puissance, exigeaient qu’il s’occupât de donner toute la perfection désirable à cet établissement naissant.

Parmi ses successeurs, Xerxès fut un de ceux qui profitèrent le plus de cette découverte. On dit, qu’après avoir été défait par Thémistocle, il se sauva au moyen des relais, qu’il avait fait préparer au cas que la fortune lui devînt contraire.

Les révolutions que les empires de l’Asie éprouvèrent, firent disparaître les traces de cette utile institution. Nous ne les retrouvons que chez les Romains, auxquels rien de ce qui était grand ne pouvait échapper. Ils jugèrent que le seul moyen de faire revivre les postes, était de tracer des routes, de les paver et de les entretenir avec soin ; de construire des chaussées et d’élever des ponts. Imitateurs des Grecs, qui, les premiers, ouvrirent des grands chemins, et des Carthaginois[22], qui, les premiers, imaginèrent de les paver : ils les surpassèrent bientôt dans ces travaux importons.

[22] Isidore, dit Bergier, nous apprend que les Carthaginois ont esté les premiers qui se sont advisez de munir, affermir, et consolider les chemins de pierres et cailloux alliez avec sable, et comme maçonnez sur la superficie de la terre, ce que nous appelons paver, et que c’est à leur imitation que les Romains se sont mis à paver les grands chemins quasi partout le monde.

La première route dont il soit fait mention, est la voie Appiène, regardée comme le plus bel ouvrage en ce genre : deux chariots pouvaient y rouler de front. La voie Auréliène fut la seconde. La voie Flaminiène la troisième. Puis, l’on vit successivement les voies Domitiène, Emiliène, Trajane, etc.

Soit[23] que l’on porte les yeux à la magnificence qui les continuoit (les chemins), du port qui les finissoit, aux bastiments des postes et des gistes qui les accompagnoient, aux colonnes inscrites qui les mesuroient, à la façon qui les affermissoit contre les siècles, et les rendoit durables contre les efforts du charroy de quinze à seize cents ans ; soit que l’on regarde l’utilité publique en la conduite des armées et des armes, au charroy des marchandises, à la facilité d’envoyer des nouvelles en peu de tems de la ville de Rome jusques aux confins de l’empire, et d’en recevoir avec même commodité par le moyen des postes établies sur iceux ; à la police excellente qui régloit ces postes, à la dignité des auteurs des grands chemins, et des commissaires établis pour leur entretenement et réparation ; aux sommes d’argent sans nombre, et à la multitude des hommes qui ont esté employez aux ouvrages d’iceux ; certes, on trouvera que l’esprit humain ne conçut et la main n’acheva jamais une plus grande œuvre ; de laquelle entreprise le seul empire romain estoit capable ; et à laquelle il a fait paraître l’extrémité de sa puissance.

[23] Bergier, auteur cité.

On s’accorde généralement[24] à dire que c’est sous Auguste que les Romains ont connu les postes. L’exemple qu’on cite, du tems de la république, du consul Gracchus qui, étant en Grèce, pour se rendre d’Amphise à Pella, parcourut près de 40 lieues en un jour, n’est qu’un fait isolé qui ne peut prouver l’établissement de ce service dans une contrée où, au rapport de Socrate l’historien, on ne s’occupa pendant long-tems que des courses en char, seulement pour les jeux publics.

[24] Suétone.

Il est des époques tellement remarquables dans l’histoire, qu’il ne peut rester d’incertitude, lorsqu’il est question de leur attribuer quelques institutions qui tendent encore à les illustrer. Les postes étaient dignes d’être comptées au nombre de celles qu’on doit au grand siècle d’Auguste.

Les principales villes de l’empire communiquaient déjà avec la capitale par des chemins pavés. Les routes commençaient à s’étendre dans les provinces conquises. Auguste perfectionna ces entreprises. Il fit aussi percer des grands chemins dans les Alpes, et en ordonna une infinité d’autres en Espagne. Ce fut à Lyon qu’il fit travailler à la distribution des grands chemins dans les Gaules. Là où[25] il parle de son passages de la rivière de Rhône, vers l’Allemaigne, il veit qu’il estoit indigne de l’honneur du peuple romain, qu’il passast son armée à navire, il fit dresser un pont, afin qu’il passast à pied ferme. Ce fut là qu’il bastit ce pont admirable de quoi il déchiffre particulièrement la fabrique ; car il ne s’arrête si volontiers en nul endroict de ces faicts, qu’à nous représenter la subtilité de ses inventions en telles sortes d’ouvrages.

[25] Montaigne.

Il divisa aussi les routes en espaces uniformes appelés milles, et indiqués sur des colonnes de pierres[26] qui portaient le nom de milliaires. On commençait à compter de celle connue sous la dénomination de milliaire dorée, qu’Auguste fit élever au milieu du marché de Rome, près le temple de Saturne. Sa figure est ronde, et si grossière, dit Bergier, qu’elle ne touche en pas un ordre d’architecture. Elle est assise sur un piédestal corinthien ; et porte une boule au-dessus de son chapiteau, comme pour représenter le rond de la terre, sur laquelle les Romains ont estendu leur seigneurie et leur puissance.

[26] Il y avait aussi d’autres pierres plantées de distance en distance pour suppléer aux étriers, lesquelles aidaient le cavalier à monter à cheval. Jusqu’au règne de Théodose, on ne se servit ni d’étriers ni de selle. Cette dernière était remplacée par une simple housse. Il fut également défendu en tout tems de se servir de bâton pour exciter les chevaux ; le fouet, employé à cet usage, a toujours été maintenu. On ne s’est servi d’éperons que très-tard.

Auguste ne négligea donc aucun moyen d’accroître la prospérité des postes, soit comme nous l’avons remarqué, par les grands chemins qu’il fit faire, les bâtimens qu’il y éleva sous la dénomination de stations ou positions, origine sans doute du nom qu’elles portent ; soit par les mesures qu’il ordonna d’employer pour qu’aucune prérogative n’exemptât de fournir des chevaux pour ce service, appelé course publique ; soit enfin par les dépenses considérables dans lesquelles il s’engagea, et qui furent à la charge des peuples.

Il nous[27] faut parler des moyens que les empereurs avaient d’envoyer de Rome leurs lettres si promptement jusques aux confins de leur empire, et d’avoir la réponse avec pareille promptitude et célérité. Cela se faisoit par la voie des postes assises sur les routes militaires, si bien réglées et policées, qu’il n’estoit déjà besoin au prince souverain de courir avec peine et travail par les parties de son empire, pour sçavoir ce qui s’y passoit ; veu que, sans partir de la ville de Rome, il pouvoit gouverner la terre par ses lettres missives, édits, ordonnances et mandements, lesquels n’estoient plus tost écrits, qu’ils estoient par la voie des postes, portées aussi promptement, que si quelques oiseaux en eussent esté les messagers.

[27] Bergier, auteur cité.

Des courriers et ensuite des voitures furent disposées sur toutes les grandes routes et à peu de distance l’une de l’autre, afin que l’on eût des nouvelles plus promptes de ce qui se passait dans les provinces ; et les courriers[28] auxquels on confiait les missives étaient appelés viatores ou veredarii sous les empereurs d’Occident, et, sous les empereurs d’Orient, cursores, mot d’où ils tirent leurs noms. Ils ne marchaient jamais sans être munis d’un diplôme ou lettre d’évection. Elle différait de la missive en ce que celle-ci était scellée et pliée de plusieurs façons, et que l’autre n’avait qu’un simple pli uniforme[29]. Le sceau[30] qu’Auguste appliquait sur ses lettres et sur ses actes, fut d’abord un sphinx, ensuite la tête d’Alexandre, et, enfin, son propre portrait, gravé par Dioscoïde. Ce dernier fut celui en usage sous ses successeurs. Il marquait toujours sur ses lettres l’heure à laquelle il les écrivait, soit le jour, soit la nuit[31].

[28] Le cheval de poste Veredus.

[29] Depuis la première institution des postes romaines jusqu’au siècle de Constantin, les lettres de poste se donnoient en papier ou parchemin ; et on les appeloit diplomata. Et quoique Servius escrive que sous ce nom sont comprises toutes les écritures envoyées à quelqu’un : c’est ce qu’il appartient proprement à celles qui ne sont pliées qu’en double. Quelques-uns assurent que ces lettres estoient semblables aux patentes de nos rois, qui n’ont qu’un simple ply, que nous appellons reply, et non plusieurs plys, comme les missives que l’on appelle lettres closes ou de cachet. [Bergier.]

[30] Sceau doit être pris ici dans une signification différente de cachet qui, pour nous, dérive de cacher. Ce cachet que nous appliquons sur nos lettres sert à empêcher que le contenu n’en soit connu de tout autre individu que celui auquel on l’adresse. Le sceau, chez les anciens, dont l’écriture cursive n’était pas aussi variée que la nôtre, devenait la marque authentique à laquelle on reconnaissait celui qui nous communiquait sa pensée, et non la main qui la traçait ; car le nom n’y était pas apposé à la fin, comme nous le pratiquons.

L’usage introduit autrefois d’écrire au nom d’une personne absente ne peut étonner, puisqu’il ne s’agissait que d’être muni de son sceau. On en trouve mille exemples, soit dans Cicéron et d’autres auteurs, soit même dans les pères de l’église qui, employant la main de leurs amis ou de leurs secrétaires, ne manquaient jamais, quand ils voulaient ajouter quelque chose eux-mêmes à leurs lettres, de dire : Ceci est de ma main.

Le signe ou sceau était seul reconnu, puisque la loi romaine refusait d’accepter un écrit autographe comme pièce de comparaison, si le témoignage de personnes présentes à la rédaction n’en attestait l’authenticité.

Au reste, cette empreinte ou sceau était d’une telle importance, que le fabricateur d’un cachet faux ne pouvait échapper à la punition prononcée par la loi Cornélia.

Ainsi, lorsque anciennement on disait : J’ai signé cette lettre, on exprimait par là qu’on y avait apposé son sceau. La même expression aujourd’hui signifie littéralement qu’on y a mis son nom, ce qui lui donne le caractère d’authenticité. Elle est distinguée par là d’une autre espèce de lettres appelées anonymes qui, quoique cachetées, ne portent pas de signatures.

Chardin dit qu’en Orient on appose seulement son sceau et celui des témoins sur les contrats.

[31] Suétone.

La surveillance des postes romaines était confiée aux premiers personnages de l’empire. Aucune personne, quel que fût son rang, ne pouvait voyager sans être muni d’une permission de se servir des chevaux de la course publique. Conformément à cette loi, dit Bergier, nous lisons dans l’histoire de Capitolinus que Publius Helvius Pertinax, qui fut empereur romain sur ses vieux jours, estant pourvu en son âge florissoit de la charge de sergent de bandes, qu’ils appelloient Præfectum Cohortiis, sous l’empire de Titus, fut condamné par le président de Syrie à aller à pied à Antioche jusqu’à certain lieu où il estoit envoyé en qualité de légat, en punition de ce qu’il s’estoit servi des chevaux publics, sans avoir de lettres de poste.

Les postes établies sur tous les points où s’étendait la puissance romaine, malgré les revenus qu’elles rendaient aux empereurs, étaient loin de les dédommager des frais énormes qu’elles occasionnaient. Tant de sacrifices et de précautions, par suite de mesures extraordinaires, ne les mirent pas à l’abri d’une destruction, totale. Il n’est pas inutile de remarquer que toute innovation ou tentative brusque a toujours nui à la prospérité des postes, et qu’on ne doit procéder qu’avec prudence dans tous les changemens que les circonstances permettent d’y introduire. Nous aurons occasion plus d’une fois de nous en convaincre.

Lorsque Constantin fit assembler un concile à Rimini, il exigea tant de célérité des prélats qu’il y appelait des points les plus éloignés, qu’ayant ordonné à cet effet de leur procurer tous les moyens de voyager avec diligence, la plus grande partie des chevaux succomba aux fatigues de ce service.

Le soin que l’on mettait à cette époque à l’entretien des routes, explique la promptitude avec laquelle on franchissait les plus grandes distances dans les chars légers que nos voitures ont remplacés.

Auguste se rendait avec une grande rapidité, par le moyen des postes, dans les lieux les plus éloignés où il ne pouvait être attendu, afin de connaître par lui-même tout ce qui s’y passait. On rapporte qu’il faisait alors plus de cent milles par jour[32].

[32] A peu près 25 lieues.

La première fois[33] qu’il sortit de Rome avecques charges publiques, il arriva en huit jours à la rivière de Rhône, ayant dans son coche, devant lui, un secrétaire ou deux qui écrivoient sans cesse, et derrière luy, celuy qui portait son épée.

[33] Montaigne.

Rufus, envoyé vers Pompée, marcha nuit et jour avec la même vitesse, en changeant de chevaux à chaque poste. Constantin-le-Grand, retenu prisonnier à Nicomédie, se sauva en Angleterre par le moyen de relais, et s’y fit proclamer empereur. Pour mieux assurer sa fuite, il faisait couper les jarrets aux chevaux qu’il laissait après lui, afin que ceux qui le poursuivaient sur la route ne pussent faire la même diligence. Tibère, dans une circonstance pressante, fit, dit-on, 200 milles en 24 heures, et ne changea que trois fois de voiture. Dioclétien et Maximien, suivant les historiens, parcouraient de très-grandes distances avec la même célérité. Il serait facile de multiplier les exemples de ce genre, qui ne sont remarquables que par l’époque à laquelle ils nous reportent.

C’est encore ainsi, dit Bergier, que les empereurs se faisoient porter le long des fleuves navigables, avec une merveilleuse promptitude et célérité. Ce qu’ils exécutoient à l’aide de certains vaisseaux faits exprès comme pour servir de chevaux de poste sur les eaux. Car les anciens avoient deux sortes de vaisseaux pour naviger, tant sur la mer que sur les fleuves navigables. Ils appeloient les uns onerarias naves, qui servoient à porter toutes sortes de fardeaux et marchandises ; et les autres fugaces sive cursorias, et d’un mot grec dromones, comme qui diroit des courriers, à cause de la vîtesse de leur course.

Les chevaux n’étaient pas seuls employés, soit pour établir des correspondances entre tous les points d’un état et les nations entr’elles, soit pour voyager avec plus de sûreté, de commodité et même d’agrément.

Les Romains avaient dressé divers animaux à traîner leurs chars. Celui de Marc-Antoine était conduit par des lions. Héliogabale l’imita, et y substitua des tigres, qu’il remplaça par des cerfs et des chiens. L’empereur Firmus se servit d’autruches[34] dans le même but. Elles étaient, dit-on, d’une grandeur remarquable.

[34] Les Arabes appellent l’autruche l’oiseau-chameau.

Ces éclaircissemens suffisent pour donner une juste idée des moyens employés primitivement pour correspondre, et du grand degré de perfection auquel les Romains avaient porté l’institution des postes. En les élevant au premier rang, ils en avaient assuré la prospérité par la considération, et la confiance, sur laquelle ils les faisaient reposer, était devenue pour eux le seul garant de leur stabilité.

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