Des postes en général, et particulièrement en France
DEUXIÈME PARTIE.
DES POSTES EN FRANCE.
La décadence de la puissance romaine fit négliger une institution qui ne reparaît qu’en France, sous Charlemagne, digne héritier des conquêtes de cette nation célèbre. La domination de ce prince, qui s’étendait en Allemagne, en Italie et en Espagne, lui rendait l’usage des postes d’une grande nécessité ; mais, si elles ne paraissent avoir servi d’abord qu’aux affaires publiques, les Français, dit Mezeray, les employèrent bientôt à satisfaire l’impatience curiosité qui leur était si naturelle. César, qui l’avait observée comme un trait distinctif de leur caractère, dit encore qu’ils aimaient si fort les nouvelles, qu’ils se tenaient sur les grands chemins pour arrêter les passans et surtout les étrangers, afin de savoir ce qu’il y avait de nouveau hors de leur pays.
On donnait aux courriers le nom de Veredarii, comme sous les empereurs Romains. La même considération avait été conservée aux officiers commis à la direction de cette importante branche administrative, toujours sous la surveillance des premiers dignitaires ou des hommes les plus recommandables de l’état.
Ce fut encore Charlemagne qui, le premier de nos rois, fit travailler aux grands chemins. Il releva d’abord les voies militaires romaines ; et, à l’exemple d’Auguste, il employa à ce travail, et ses troupes et ses sujets.
Louis-le-Débonnaire et quelques-uns de ses successeurs rendirent aussi des ordonnances sur cette matière ; mais les troubles des X.e et XI.e siècles firent perdre de vue la police des grands chemins. On s’en tint à quelques réparations de ponts, de chaussées et de cours d’eau, qui pouvaient offrir des obstacles à l’entrée des villes.
Philippe-Auguste s’occupa aussi des grands chemins, et fut le premier qui entreprit de paver la capitale. Il était très-jeune lorsqu’il fit exécuter ce projet. L’odeur des boues qui encombraient les rues de Paris, parvenant jusqu’à son palais, le déterminèrent à une opération qui joignait l’agrément à la salubrité.
Un financier, nommé Gérard de Boissy, fit à cette occasion, une action bien rare, et qui a prouvé l’amour qu’il portait à son pays. Ce citoyen, en voyant que son roi n’épargnait ni soins, ni dépenses, pour embellir Paris, contribua de la moitié de son bien, évaluée 11,000 marcs d’argent[35], pour en faire paver les rues.
[35] Ce qui équivaut à peu près à 559,000 fr. de notre monnaie actuelle.
Philippe-Auguste confia l’inspection des routes, comme du tems de Charlemagne, à des commissaires-généraux appelés Missi : ils ne dépendaient que du Roi. Henri II et Henri IV rendirent des édits à ce sujet. Henri IV créa, en 1579, un office de grand-voyer, auquel il attribua la surintendance des grands chemins. Louis XIII supprima cette charge et en fit rentrer les attributions dans celles des trésoriers de France. Il en reconnut bientôt l’importance, et la rétablit sous la dénomination de direction générale des ponts-et-chaussées, à laquelle il attacha des inspecteurs et des ingénieurs. Cette administration, à quelques modifications près, est restée la même depuis cette époque[36].
[36] Ces courtes observations, quoique interrompant la suite des faits, ne nous ont point semblé déplacées ici. Nous aurons encore l’occasion de présenter diverses considérations qui se rattachent, d’une manière plus ou moins directe, au sujet que nous traitons. Nous croyons cette méthode plus convenable : elle a l’avantage de réunir des faits, qui n’offriraient pas le même intérêt, isolés et classés d’après l’ordre des dates que nous cherchons à suivre, avec exactitude, dans cet ouvrage.
Nous n’entrerons pas dans les considérations qui ont retardé, pendant si long-tems, l’établissement régulier des postes en France ; mais nous arriverons à cette heureuse époque après avoir cherché à saisir quelques-unes des traces légères qu’elles ont laissées de loin en loin.
Charlemagne, dont le nom est attaché aux entreprises les plus remarquables de la monarchie, acquit, en fondant l’Université, de nouveaux droits à l’immortalité. Cette institution, destinée à conserver le germe des sciences, ne pouvait se propager qu’à l’aide d’une autre non moins importante ; aussi les Postes, qui ne servaient qu’aux affaires du Roi, prirent-elles un grand degré d’intérêt par la nouvelle direction qu’elles reçurent. C’est donc avec raison qu’un des premiers génies du siècle[37] a dit que les postes et messageries, perfectionnées par Louis XI, furent d’abord établies par l’Université de Paris.
[37] M. le vicomte de Châteaubriand.
Ce fut, en effet, le moyen que le public employa pour la correspondance, et le seul même dont il se servit, pendant long-tems. Les nombreux élèves, que l’Université attirait des provinces pour les former à l’étude des belles-lettres, multipliaient de plus en plus les relations qu’elle y entretenait, en expédiant, à des époques indéterminées à la vérité, pour les principales villes de France, des messagers qui marchaient à ses frais.
C’est ainsi qu’à son exemple, sous le titre de messagers-royaux, des courriers portèrent, plus tard, les dépêches, des principaux fonctionnaires de l’état, relatives au service du Roi, dont les grands courriers du royaume ne pouvaient être chargés.
Quoique les communications ne fussent pas encore très-fréquentes entre les particuliers, parmi lesquels l’écriture était fort peu répandue et dont les liaisons d’intérêt ou de famille, avec les diverses provinces, ne devaient pas être multipliées, on profita des facilités qui se présentaient de les entretenir ou de les étendre. Les messagers durent les favoriser de tout leur pouvoir par les avantages qu’ils en retiraient.
Mais combien cette ressource était insuffisante. D’abord il fallait connaître l’époque de leur passage, toujours indéterminée ; borner ensuite sa correspondance aux lieux seuls qu’ils fréquentaient ; enfin, compter sur les lenteurs incalculables qu’entraînait ce mode de relations. Ainsi, pour une lettre qu’on écrit aujourd’hui et dont on reçoit une réponse en quatre jours, on mettait alors plus de deux mois. Que de raisons, d’un autre côté, s’opposaient à ce que ces divers services eussent un mouvement régulier, et à ce qu’ils prissent un accroissement rapide. La France était divisée en petites souverainetés dont les princes, souvent en opposition d’intérêt, ne devaient multiplier les communications entr’elles que lorsque leur sûreté le commandait. Il y avait, en général, peu de grandes routes dans toute l’étendue du royaume, et la plupart encore mal entretenues. Les guerres civiles, les invasions retenaient les citoyens dans les villes : les relations commerciales étaient sans activité ; elles se bornaient, le plus ordinairement, aux localités : un voyage d’une province à une autre présentait tant de difficultés, qu’il fallait des circonstances impérieuses pour le réaliser. On remonterait très-loin dans les siècles passés pour voir combien ces déplacemens offraient d’obstacles. Les historiens rapportent qu’on faisait des vœux avant de les entreprendre, et qu’on prenait les mêmes dispositions que pour les voyages d’outre-mer.
Il est donc incontestable que l’Université avait acquis le droit exclusif de transporter les lettres des particuliers ; et qu’un service, établi primitivement dans ses intérêts privés et indépendant de celui de l’état, devint, presqu’en même tems, aussi avantageux pour la société.
Voilà, du moins le pensons-nous, les seuls élémens de correspondance que présente une suite de plusieurs siècles. On se contentait d’un mode que l’instruction bornée de ces tems-là ne forçait pas à perfectionner ; mais la découverte de l’imprimerie et les lumières que l’université avait répandues peu à peu, en firent connaître l’insuffisance.
Nos rois, en maintenant les postes dans l’état où Charlemagne les avait laissées, les négligeaient ou les rétablissaient sur le même pied, selon que les circonstances l’exigeaient ; mais ils conservaient toujours, près de leur personne, un grand maître des postes, titre qu’on voit reproduit sous tous les règnes, entr’autres sous celui de Louis VI.
Cependant, tout incomplets que sont ces documens, ils nous prouvent non-seulement l’utilité des postes à toutes les époques, mais encore l’importance qu’on y attachait, en les entourant d’une grande considération.
Louis XI est regardé, à juste titre, comme le fondateur des postes en France[38] : l’histoire est là pour appuyer un fait de cette importance. Quant à la cause qui y donna lieu, il serait difficile de se rendre au témoignage de quelques auteurs qui prétendent l’attribuer à la sollicitude paternelle. Louis XI, disent-ils, inquiet de la maladie grave du Dauphin, duquel il était éloigné, établit les postes afin de connaître, presqu’à chaque instant, l’espoir ou la crainte que son état pouvait inspirer. Cette assertion est d’un bien faible poids, lorsqu’il s’agit d’un prince de ce caractère. Habitué à la dissimulation, Louis XI fit naître ce bruit ou l’accrédita, afin de détourner l’attention du but qu’il se proposait. Ce ne serait pas la première fois que le prétexte le plus respectable eût servi à déguiser la vérité.
[38] Les postes, disent MM. Saur et Saint-Geniès, dans leur ouvrage sur les aventures de Faust et sa descente aux enfers, la machine pneumatique, d’autres inventions non moins importantes et dont la première idée appartient à Faust, attestent la fécondité inépuisable de son imagination : il a surtout consacré son nom à l’immortalité par la découverte de l’imprimerie. Les mêmes auteurs prétendent qu’un jeune Suisse, à qui il avait communiqué ses idées sur les moyens de rétablir en France les postes telles qu’elles étaient du tems des Romains, en fit part à Louis XI, qui les suivit et l’en récompensa. Ils ajoutent que Faust, dans l’entretien qu’il eut avec le monarque, auquel il fut présenté comme inventeur de l’imprimerie, n’était pas moins frappé de la supériorité de son esprit, de l’étendue de ses connaissances, que touché de son langage doux, caressant et presque flatteur. Louis XI, en instituant les postes, dut s’entourer de tous les moyens propres à faire réussir son entreprise ; et, parmi les nombreux projets qui sans doute lui furent soumis, il est possible que celui de Faust ait eu l’avantage d’être préféré.
Nous ne doutons point que les auteurs cités n’aient eu de fortes raisons pour adopter ce sentiment, et pour attribuer également à Faust des faits que les biographes modernes regardent comme devant concerner deux individus, Faust et Fust.
La vie agitée de ce monarque ; ses démêlés avec les grands vassaux de la couronne, et particulièrement avec le duc de Bourgogne ; ses intrigues dans les principales cours de l’Europe ; tout explique assez le besoin qu’il avait d’un moyen qui pût satisfaire à la fois, et son esprit ombrageux et rusé, et ses vues ambitieuses et perfides.
Mais écoutons les historiens sur l’origine de cette institution. Le Roi, dit Commines[39], qui avoit jà ordonné postes en ce royaume, et par n’y en avoit jamais eu, fut bientôt adverty de cette déconfiture du duc de Bourgogne, et à chaque heure en attendoit des nouvelles, pour les advertissements qu’il avoit eu par avant de l’arrivée des Allemands, et de toute autre choses qui en dépendoient ; et y avait beaucoup de gens qui avoient les oreilles bien ouvertes pour les ouïr le premier et les luy aller dire ; car il donnoit volontiers quelque chose à celuy qui le premier luy apportoit quelques grandes nouvelles, sans oublier les messagers ; et si prenoit plaisir à en parler, avant qu’elles fussent venues, disant : je donneray à celui qui m’apportera des nouvelles. M. Dubouchage et moy eusmes (estant ensemble) le premier message de la bataille de Morat, et ensemble le dismes au Roy, lequel nous donna à chacun 200 marcs d’argent. Monseigneur du Lude, qui couchoit hors du plessis, sceut le premier l’arrivée du chevaucheur qui apporta les lettres de cette bataille de Nancy, dont j’ai parlé ; il demanda au chevaucheur qui apporta les lettres, qui ne lui osa refuser, pourquoi il estoit en grande autorité avec le Roy. Ledit seigneur du Lude vint fort matin (il estoit à grande peine jour) heurter à l’huis plus prochain du Roy : on lui ouvrit ; il bailla les dites lettres qu’envoyoit monseigneur de Craon et autres ; mais aucuns disoient qu’on l’avait veu fuir, et qu’ils s’estoit sauvé.
[39] Dans ses Mémoires.
Varillas[40] ajoute : Les intrigues du duc de Bretagne n’auraient pu être découvertes à point nommé, si Louis XI ne se fut avisé d’une invention qui dure encore, tant elle a été trouvée convenable à la commodité du public. Comme il changeoit souvent les ordres qu’il avoit donnés, et qu’il prétendoit qu’on les exécutât avec une extrême promptitude, il se trouvoit sujet à des inconvéniens où ses prédécesseurs n’avoient point été exposés. Il n’avoit point un assez grand nombre de courriers, et ses courriers ne faisoient point assez de diligence, et ils ne trouvoient point à propos les hôtelleries et les choses propres à leur rafraîchissement. On n’y pouvoit remédier par les voies ordinaires sans qu’il en coûtât beaucoup ; et Louis entreprenait tant d’affaires en même tems, que, s’il n’eût ménagé sa bourse, elle n’aurait pas suffi pour toutes. Il lui vint en pensée d’établir des postes dans son royaume, et les règlements qu’il fit là-dessus les garantirent à l’avenir de la meilleure partie des frais qu’il faisait auparavant, et lui attirèrent de plus un avantage qu’il n’avait pas prévu, et qui consistait à ce que ses intriques s’acheminoient avec plus de secret.
[40] Histoire de Louis XI.
Son activité, dit Lenguet[41], alloit au-delà de tout ce qu’on peut dire : on voit par ses lettres écrites de presque tous les endroits du royaume, qu’il doit en avoir fait le tour deux ou trois fois. Il vouloit, avance encore le même auteur, tout connoître par lui-même, et il exigeoit souvent que les particuliers lui écrivissent ; c’est le moyen qu’il avoit trouvé pour éviter les tromperies que lui auroient pu faire ses ministres. Malgré ses précautions, il ne laissoit pas d’être quelque fois trompé.
[41] Préface des Mémoires de Commines.
Il employa, suivant Varillas[42], la plupart des quatre millions sept cent mille livres qu’il exigeoit tous les ans de ses sujets, à acheter des espions et des créatures dans les états voisins du sien, et dans les cours de ses principaux feudataires.
[42] Histoire citée.
Le duc de Lorraine, dit Hainaut[43], accompagné des Suisses, vint au secours de la place (Nancy), le 5 janvier, attaque et défait le duc Charles qui y perdit la vie, ayant été trahi par Campobosso, Napolitain. Il ne laissa d’autre héritier que Marie, sa fille unique. En lui finit la deuxième maison de Bourgogne, qui avoit duré cent vingt ans sous quatre princes. Le roi Louis XI qui, le premier, avoit établi l’usage des postes, jusqu’alors inconnu en France, est bientôt informé de cet événement, et en profite pour reprendre plusieurs villes en Picardie, en Artois et en Bourgogne.
[43] Histoire chronologique de France.
Ainsi que dans l’antiquité, la guerre, fruit si funeste de l’ambition de quelques souverains, devint la cause d’une institution tellement utile aux peuples, qu’ils n’ont pas cessé depuis de la faire tourner au profit de la société.
Pour perpétuer le souvenir d’un événement si remarquable, on frappa une médaille destinée à le rappeler[44]. Nous voyons, dans Mezeray, qu’elle était en bronze. Cet établissement de la poste Decursio[45], dit-il, est désigné par deux courriers bien montés (dont l’un porte une malle en croupe) avec cette legende : qui pedibus volucres ante irent cursibus auras, afin que, pour ainsi dire, ils passent les oiseaux et les vents à la course.
[44] Ce n’est pas la seule fois qu’on ait consacré des médailles à rappeler des événemens remarquables dans les postes. Nous voyons entr’autres exemples, dans une histoire d’Ecosse, que lorsque Wallace combattait pour conserver ses anciens souverains à son pays, Bruce ayant reçu de lui un avis important apporté par un messager fidèle, donna à l’envoyé une médaille où l’on voyait une colombe avec cette légende, fidèle comme ce premier messager, faisant allusion à la colombe envoyée par Noë hors de l’arche.
[45] Au bas de l’exergue.
Louis XI rendit cette institution authentique par son édit en date du 19 juin 1464[46].
[46] Nous le rapportons à la fin de cet essai.
C’est dans cette pièce importante que nous trouvons la preuve évidente que les postes ont été établies pour servir à la politique de Louis XI, et que leur usage, étendu presqu’en même tems aux besoins de la société, n’en étant que la conséquence, n’a pas eu pour but d’accroître les revenus de l’état en imposant la pensée, comme on semble le croire dans ce siècle calculateur.
Ce prince était si loin d’en considérer la création comme une ressource que, pour la consolider, il se vit dans l’impérieuse nécessité d’augmenter les charges qui pesaient sur ses peuples, et d’accorder des gages et de grands priviléges aux maîtres de poste auxquels il confiait ce service.
Il paraît que son édit fut mis de suite à exécution, puisqu’on comptait déjà jusqu’à deux cent trente courriers à ses gages qui portaient ses ordres sur tous les points du royaume, ainsi que les lettres des particuliers, quoiqu’il n’en fut pas fait mention lors de la création des postes.
Ces messagers couraient à cheval et changeaient de chevaux à chaque relais, à l’instar des anciens, qui employaient aussi des courriers à pied comme nous le pratiquons[47]. Ces derniers étaient appelés hémérodromes par les Grecs, c’est-à-dire, courriers de jour.
[47] En France, partout où il n’y a pas de bureau de poste, il se trouve des courriers sous diverses dénominations ; les uns desservent les communes dépendantes de chaque bureau de poste, les autres sont employés à la correspondance réciproque des préfets et des maires. Ces messagers font régulièrement deux courses par semaine dans leurs arrondissemens respectifs. On peut évaluer le nombre de lieues qu’ils parcourent ainsi pendant la durée de l’année à plus de 2500 ; ce qui équivaut à une marche moyenne de 7 lieues par jour. Il est à remarquer que ces individus résistent long-tems à un exercice aussi soutenu, qui n’est interrompu ni par les obstacles qu’opposent les localités, ni par l’intempérie des saisons.
On pourrait citer beaucoup d’exemples de courses extraordinaires. Il est même certaines provinces du royaume dont les habitans se distinguent par leur agilité à la marche.
La mode des coureurs était très en usage autrefois, surtout à Paris. Ils précédaient ordinairement les coursiers de la voiture des personnes de distinction. On a renoncé à ce luxe dangereux, en employant à leur place des postillons à cheval.
Les coureurs, chez les anciens, faisaient 20, à 30 lieues par jour, et même 40 dans le cirque pour remporter les prix. On lit dans Pline, qu’Autiste et Félonide, coureurs d’Alexandre, parcoururent un espace de 1200 stades, à peu près 44 lieues, en 24 heures. Il ajoute qu’un jeune homme, nommé Mathias-Athas, fit 75 milles, 25 lieues, de midi jusqu’à la nuit. Plutarque dit qu’un certain Anchide fit 1000 stades, 37 lieues de 2000 toises, en un jour.
On a vu, de nos jours, des courses aussi remarquables. En 1767, un coureur de la duchesse de Weymar fit 76 lieues en 24 heures, et ne se reposa que le tems nécessaire à la réponse des dépêches dont il était porteur.
M.r Cochrane, capitaine de la marine anglaise, exécute une entreprise des plus périlleuses et des plus étonnantes, celle de traverser à pied toute l’Asie. Il se propose ensuite de parcourir ainsi l’Amérique.
Un anglais, nommé Aberthemy, vient de faire tout récemment à pied, malgré un tems constamment mauvais, 560 milles en 8 jours, ce qui fait 37 lieues par jour.
Il existe en Irlande un homme âgé de 142 ans qui, après avoir voyagé dans toutes les parties du monde, a continué de s’exercer à faire de longues marches en parcourant régulièrement chaque jour un espace de 10 lieues.
Un autre individu, nommé Wert, a parcouru, en 4 jours et 4 heures, pour un pari de 7200 fr., 320 milles, environ 150 lieues de France.
Le coureur Charles Quize vient de faire, en 7 quarts d’heure, le trajet de Bruxelles à Volvurde, sans paraître fatigué ni même échauffé. Il est maigre et de petite stature. Sa manière accoutumée de courir est de tenir d’une main un mouchoir dont un des coins est dans ses dents, et de l’autre il agite sans cesse un petit fouet.
Le nommé Rumel, âgé de 16 ans, est remarquable par sa force et son agilité. Il a fait à pied le chemin de Francfort à Hanau et retour, qui est de 8 lieues, en 2 heures 15 minutes : des cavaliers qui le suivaient ne purent faire la même diligence et restèrent en arrière.
M.r Danwers paria dernièrement 5000 fr. de se rendre de Chettenham à Bayswaters, 94 milles, en 22 heures. Il mit 10 minutes de moins que le tems convenu, et fit sa course avec des souliers très-épais.
Aux courses de Montrose, qui ont eu lieu il y a peu de tems, après que les chevaux eurent fourni leurs courses, il se présenta deux coureurs à pied, l’un appartenant à lord Kennedey, et l’autre au major Hay. L’espace à parcourir était d’un demi-mille. Le premier atteignit le but en 2 minutes 5 secondes ; l’autre en une minute de plus. Un montagnard écossais, dans le costume de son pays, et quoique revêtu de ses armes et de tout son équipage, arriva au terme de la course en même tems que le vainqueur.
Nous bornerons là ces exemples, qu’il serait facile de multiplier.
Louis XI, disent les historiens, fit payer bien chèrement le bienfait des postes, en augmentant considérablement les tailles.
La dépense était le moindre des obstacles[48] à surmonter dans une entreprise de cette nature ; mais on prévoit tout ce que pouvait la volonté ferme d’un monarque qui avait mis tous les rois hors de page, et dont tout le conseil, suivant Commines, était dans sa tête. Le code qu’on lui doit sur l’institution des postes, montre assez combien cette vaste conception avait été l’objet de ses profondes méditations, par l’éclat dont elles brillèrent dès leur origine.
[48] Delandine rapporte qu’un prédicateur, nommé Maillard, ayant avancé quelque chose de choquant contre Louis XI, ce monarque lui fit dire qu’il le ferait jeter dans la rivière. Le roi est le maître, reprit-il, mais dites-lui que je serai plutôt en paradis par eau, qu’il n’y arrivera par ses chevaux de poste.
C’est de cette époque, ainsi que le porte l’édit déjà cité, que date la création de la charge de conseiller, grand-maître des coureurs du Roi. Elle fut donnée à l’un des conseillers de la cour. Il se tenait près de la personne du monarque, comme investi de toute sa confiance. Les officiers qui dépendaient de lui, étaient appelés chevaucheurs de l’écurie du Roi : leur emploi était de surveiller ce service naissant. Des agens, sous le titre de maîtres coureurs, furent établis de traite en traite sur les grandes routes, désignées par les édits. Ils conduisaient, ou faisaient conduire par leurs chevaux et leurs postillons, les voyageurs et les dépêches du roi.
La distance d’une traite à l’autre, dénomination remplacée plus tard par celle de relais ou poste, était de quatre lieues ou environ, suivant les localités. Le prix de chaque cheval[49], fourni et entretenu par le maître de la traite, ne s’élevait qu’à 10 sous, y compris le guide.
[49] Le nombre en était fixé ; mais il ne pouvait pas être moindre de quatre.
Les maîtres coureurs et les autres agens des postes jouissaient de priviléges, dont nous parlerons plus tard.
Louis XI, pour donner à cette organisation plus de force et de régularité, créa, en 1479, une charge de contrôleur des chevaucheurs, cette mesure était devenue nécessaire par les abus qui s’introduisaient dans ce service, et auxquels les chevaucheurs du Roi n’avaient pu remédier autant par négligence que par ignorance de leurs attributions.
L’intermédiaire d’un agent spécial fut déjà reconnue indispensable entre l’administration supérieure et les nombreux emplois qui en complétaient le système : on l’a maintenue comme la seule mesure conservatrice de toute bonne institution.
On s’occupa, pendant tout le règne de Louis XI, des moyens propres à régulariser un établissement qui prospérait au-delà des espérances de son fondateur.
Les bases en étaient jetées, il ne s’agissait plus que de les modifier suivant les tems, les besoins et les lieux.
Charles VIII consolida l’ouvrage de son père. La correspondance paraissait déjà si bien établie, que les lettres mêmes de l’étranger parvenaient par la voie des Postes. Il est vrai de dire que l’édit autorisait le Pape et les princes avec lesquels Louis XI était en bonne intelligence d’expédier des courriers, à la condition de se servir des chevaux de la poste. Mais, dans la crainte que quelques lettres ne continssent des principes contraires à la pragmatique sanction, que Charles VIII soutenait de tout son pouvoir, il fut défendu aux courriers, pendant quelque tems, sous peine de la hart, de se charger des missives que les particuliers leur confiaient sans doute, puisque les postes n’avaient été créées originairement que pour le service d’un Roi qui n’avait pas cru que l’état de la société en réclamât en même tems les avantages.
Depuis cette époque et pendant près d’un demi-siècle les postes n’offrent rien de remarquable. Louis XII, François I.er, Henri II et François II les maintinrent telles que Louis XI les avait créées.
L’agitation qui se manifesta sous ces derniers règnes, fut un obstacle à l’introduction de toute mesure utile ; car nous ne considérerons pas comme améliorations quelques arrêts rendus en faveur des maîtres de poste, auxquels on contestait des droits si bien établis.
Charles IX, dès 1563, remit en vigueur l’édit de Louis XI, et défendit surtout de fournir des chevaux pour les routes de traverse. Les peines[50] les plus graves étaient portées contre les agens des postes qui changeraient les directions des dépêches, lesquelles ne pourraient être transportées que sur les routes où les postes étaient en activité.
[50] Entr’autres une amende de 100 livres tournois et la dépossession des charges.
On sentait que, pour conserver à ce service toute sa prééminence et sa sécurité, il fallait repousser, dès leur naissance, les mesures arbitraires introduites sans doute par un zèle très-louable, mais que l’expérience n’éclairait pas encore.
Les noms des conseillers grands-maîtres des courriers de France et des contrôleurs généraux, depuis Robert Paon, qui le premier porta ce titre, jusqu’à Jean Dumas, qui remplit cette charge en 1565, ont échappé à nos recherches. Ces deux emplois, d’abord distincts, ne tardèrent pas à être réunis en un seul. La dénomination de contrôleur général des Postes, qui prévalut, varia bientôt après comme nous aurons occasion de le remarquer.
La juridiction des contrôleurs généraux, quoique bien établie par les édits, devenait l’objet de contestations sans cesse renaissantes : le Roi rendit divers arrêts à ce sujet, qui tous maintenaient l’indépendance des postes, dont les contrôleurs généraux plaidaient la cause avec autant de force que de succès.
Les routes sur lesquelles les postes n’étaient pas établies se trouvant privées des avantages de correspondre avec régularité, il fut décidé, en 1576, qu’on emploierait des messagers-royaux, à l’instar de ceux de l’université. Le nombre en fut successivement étendu à toutes les villes où il y avait un parlement. Ils faisaient le service des dépêches dont les entrepreneurs des routes d’embranchement sont chargés aujourd’hui.
Hugues Dumas, qui succéda en 1585, à son frère, est confirmé dans les mêmes prérogatives par Henri III. Il fut remplacé, en 1595, par Guillaume Fouquet[51].
[51] Sieur de la Varenne, commissaire ordinaire des guerres et capitaine de la ville et du château de la Flèche.
Henri IV, toujours guidé par l’amour du bien public, ordonna, en 1597, l’établissement des chevaux de louage de traite en traite sur les grands chemins, traverses et bords de rivières, comme un nouveau moyen d’adoucissement à la misère de son peuple. Considérant, disait-il, la pauvreté et nécessité à laquelle tous nos sujets sont réduits à l’accroissement des troubles passés, que la plupart d’iceux sont destituez de chevaux, non-seulement pour le labourage, mais aussi pour voyager et vacquer à leurs négoces accoutumez, n’ayant moyen d’en achepter, ni de supporter la despense nécessaire pour la nourriture et entretien d’iceux ; pour raison de quoi, et pour la crainte que nos dits sujets ont des courses et ravages de gens de guerre, comme aussi les commerces accoustumez cessent et sont discontinuez en beaucoup d’endroicts, et ne peuvent nos dits sujets librement vacquer à leurs affaires, sinon en prenant la poste, qui leur vient en grande cherté et excessive despense etc. A quoi désirant pourvoir, et donner moyen à nos dits sujets de voyager, et commodément continuer le labourage, etc., avons ordonné et ordonnons que par toutes les villes, bourgs et bourgades de ce dit royaume, et lieux qui seront jugez nécessaires seront establis des maistres particuliers pour chacune traite et journée. Déclarant, ajoute ce prince, n’avoir entendu préjudicier aux droits, priviléges et immunitez des postes.
Ce nouveau service donna lieu à la création de deux offices de généraux des chevaux de relais et de louage.
La distance entre chaque relais fut calculée sur la journée commune de 15 à 16 lieues, et portée à 7 ou 8 lieues. Le prix de ferme fut basé sur le nombre de chevaux de chaque relais et fixé à 10 francs par tête. On arrêta celui de la journée de chaque cheval, tant pour l’aller que le retour, à 20 sous tournois et 25 sous pour chaque bête d’amble, malliers et chevaux de courbes, c’est-à-dire, employés au tirage des voitures par eau.
Le Roi, pour soutenir cet établissement et prévenir tous les abus, ordonna en outre que les chevaux des relais seraient considérés comme lui appartenant et marqués à cet effet sur la cuisse droite d’un H surmonté d’une fleur de lys ; et sur la cuisse gauche, de la lettre initiale du lieu où ils seraient entretenus.
Les voyageurs ne pouvaient faire galoper les chevaux sous peine de dix écus d’amende ; Ains, était-il ordonné, d’en user et s’en servir ainsi que l’on a accoustumé de faire des chevaux louez à la journée[52].
[52] M. de la Varenne, dit Sully, ne voulait pas introduire de chevaux de louage au préjudice des relais et des postes.
Telles sont à peu près les dispositions fondamentales d’un établissement que Henri IV crut utile à ses sujets. Mais les postes ne tardèrent pas à se ressentir des funestes effets que leur causait une semblable concurrence. Menacées d’une destruction prochaine, elles n’échappèrent à leur ruine totale que par une mesure qui concilia à la fois, et la sollicitude paternelle du prince, et l’intérêt public.
Les relais furent réunis aux postes, et firent dès lors partie des attributions du contrôleur général des postes. Le roi releva par là une institution dont il aurait entraîné la perte par des vues de bienfaisance, et satisfit aussi son cœur en conservant à son peuple une plus grande facilité de voyager, quoique forcé, par un sentiment de justice, de la restreindre. A cet effet, le contrôleur général des postes fut tenu de fournir des chevaux de relais à ceux qui ne voudraient pas courir la poste, en ne payant que demi-poste par chaque cheval, et se conformant à ce qui avait été ordonné pour les relais, entr’autres obligations, de ne mener les chevaux qu’au pas ou au trot.
Henri IV, en élevant les postes au rang des institutions les plus notables de son royaume, crut y ajouter un nouvel éclat par le titre de général qui remplaça, en 1603, celui de conseiller contrôleur général des Postes. Le soin, dit ce Prince, que nous avons voulu prendre depuis un certain tems de savoir bien au vrai en quoy consiste la charge de contrôleur des postes de nostre royaume, nous a fait entrer dans une fort particulière connaissance du mérite d’icelle, et juger de quelle façon elle importe au bien de nos affaires. Et aprez avoir mûrement considéré jusqu’où elle s’estend, combien elle est honorable et avec quelle authorité elle se peut dignement exercer par un homme qui s’en acquittera fidellement, comme nous avons toute occasion de recevoir un entier contentement de nostre ami féal sieur de la Varenne, conseiller en nostre conseil d’estat, sans qu’au changement que nous n’apportions autre prix qu’une marque d’honneur que nous entendons être faite à la dite charge.
Sully dit qu’il fut fait, en 1608, un règlement général, adressé aux trésoriers de l’épargne des menus, des lignes suisses, de l’artillerie, de l’extraordinaire des guerres, de l’extraordinaire de deçà les monts, et autres, qui leur prescrivait une forme plus exacte pour leurs comptes.
Il ajoute que, parmi d’autres règlemens généraux, il en avait proposé un sur les postes, dans lequel étaient compris les maîtres et contrôleurs des postes, les chevaucheurs d’écurie du Roi, les courtiers et banquiers, et leurs commis, les coches, les messagers à pied et à cheval, et tous chariots et voitures par eau et par terre. Lorsque je lisais cet article au Roi, il me dit : je vous recommande à la Varenne et à tous les chevaucheurs ; je vous les enverrai tous.
Ce ministre, toujours occupé du bien public, sous un Roi qui lui accordait une confiance si entière, dit encore dans ses mémoires : Je médite sur la manière de rétablir et de recommencer les ouvrages publics comme chemins[53], ponts, levées et autres bâtimens qui ne font pas moins d’honneur au souverain que la magnificence de ses propres maisons, et qui sont d’une utilité générale.
[53] Une somme de 4,855,000 y fut destinée.
Si tous les actes qui ont signalé le règne de Henri IV, sont empreints, en quelque sorte, de l’amour que son peuple lui inspirait, on ne peut s’empêcher d’y reconnaître aussi cet esprit de justice et cette sagacité qui le portaient à élever ce qui était grand et à honorer tout ce qui était digne d’être respecté. Nos rois ont toujours reconnu l’importance des postes ; mais il est un de ceux qui ont le plus contribué à les affermir.
Le règne de Louis XIII apporta de nouvelles améliorations à cette institution. La vigueur avec laquelle les prérogatives en furent encore maintenues, et les heureux changemens qui s’y opérèrent, en rendirent l’organisation plus fixe et plus régulière.
Pierre d’Alméras[54], nouveau général des postes, soutient la cause des maîtres des courriers envers lesquels, dans ces tems de guerre civile et de désordre, on avait exercé de grandes violences.
[54] Seigneur de St-Remy et de Saussaye, conseiller du Roi en ses conseils.
C’est dans cette vue que divers arrêts sont rendus, en 1612, pour les mettre à l’abri du retour de pareils excès, et que le prix de la ferme des relais porté à 10 francs par cheval et par an, est réduit à 6 francs.
Nos Rois, en abandonnant au général des postes les produits de la taxe des lettres pour le dédommager des frais qu’entraînait ce transport et le droit exigé pour en exercer le privilége exclusif, n’avaient pris aucune mesure propre à régler les bases sur lesquelles le port devait en être perçu, en raison du poids et des distances à parcourir. Les généraux eux-mêmes, trop occupés d’une organisation qui réclamait toute leur surveillance, négligeaient de porter leur attention sur un point qui touchait de si près à leurs intérêts. Les particuliers, profitant de la facilité qu’on leur laissait, s’étaient attribués seuls le droit de taxer leurs lettres. Il est à croire que, primitivement, un grand esprit de justice présidait à cette opération, puisqu’on ne leur en avait pas contesté la liberté. Mais ils le firent plus tard avec si peu de réserve, que le général des postes s’en plaignit en les engageant à le faire plus libéralement et n’abusant pas d’une facilité qui les portoit à ne mettre que demi-port de ce qu’ils souloient faire ci-devant.
La plainte était d’autant plus juste, que les dépenses augmentaient en raison de la régularité qui avait lieu dans le service des postes. Les courriers arrivaient et partaient à des jours fixes de la semaine ; et le public comptait déjà assez sur l’exactitude de leur marche pour entretenir des relations suivies, dont il faisait dépendre les intérêts de sa fortune.
Afin de mettre un terme à des mesures arbitraires, tout-à-fait contraire à la prospérité des postes, le général avait autorisé les commis à surtaxer les lettres et paquets pour les remettre au taux originel. Mais, craignant de faire naître d’injustes réclamations qui eussent porté atteinte à l’honneur des officiers des postes, il établit un tarif qui fut rendu public et qui servit de base à la taxe des lettres, sauf que le plus grand port y fut volontairement apposé par ceux qui les enverraient, est-il dit à cette occasion. Ce furent ces raisons de délicatesse et de justice qui, en 1627, 163 ans après l’établissement des postes, donnèrent lieu au premier tarif connu.
A cette époque où la police intérieure du royaume ne pouvait remédier à tous les brigandages qu’enfantent toujours les dissentions intestines, les routes étaient peu sûres. La poste, comme tenant au service du Roi, semblait être à l’abri des tentatives les plus coupables. La sécurité que le public trouvait à correspondre par cette voie, le porta à l’étendre à l’envoi de l’argent, des bijoux, des pierreries et aux autres objets précieux, en les insérant dans les lettres. Ces abus éveillèrent l’attention du général des Postes : comme ils tendaient à compromettre la sûreté des dépêches en servant d’appât aux malfaiteurs, il fut fait défense expresse de rien introduire de semblable dans les missives. L’argent monnoyé, par un sentiment de bienveillance, fut seul excepté de cette mesure, soit pour en favoriser la circulation, soit afin de soustraire le peuple à la dépendance d’individus qui se chargeaient de ces transports à un taux usuraire. On permit de recevoir l’argent ayant cours à découvert jusqu’à la concurrence de cent francs, moyennant un prix calculé sur les distances à parcourir. Le montant de ces sommes était inscrit sur des livres tenus à cet effet dans chaque bureau de poste.
Telle fut l’origine des articles d’argent déposés, connus encore aujourd’hui sous ce titre.
L’expérience avait assez fait connaître la confiance que les postes devaient inspirer, tant par la célérité que par la sécurité qu’elles offraient. L’époque était venue de faire cesser les expéditions extraordinaires de courriers que multipliaient les gouverneurs des provinces ou autres personnages titrés, afin de correspondre d’une manière plus éclatante avec la cour. Cet usage, non-seulement onéreux pour la poste, par les frais qu’il occasionnait, pouvait nuire à la sécurité qu’elle inspirait. Le général, pour remédier aux abus que ces exceptions n’auraient pas manqué d’entraîner par la suite, obtint du Roi, qu’à dater de 1629, tous les paquets adressés à sa majesté, au chancelier et au surintendant des finances, ne parviendraient plus que par son intermédiaire, et seraient remis aux officiers des postes qui les enregistreraient sur des livres destinés à cet effet, en marquant toujours sur l’enveloppe le jour et l’heure du départ des courriers, afin d’établir leur responsabilité. Cette formalité reçut le nom de chargement de lettres de service. On l’a étendue depuis aux particuliers, mais à des conditions dont nous parlerons plus tard.
Ou reconnut cependant qu’il était des circonstances où la gravité des affaires ne permettrait pas d’attendre le départ plus ou moins prochain des courriers ; dans ce cas seulement, les frais qu’occasionnait l’envoi de ces dépêches tombaient à la charge des ministres auxquels elles étaient destinées. Ces expéditions instantanées ont été appelées estafettes. Elles conservent encore ce nom, et on y a souvent recours dans le même but.
René d’Alméras, frère du précédent, occupe le dernier la charge de général des postes, que Louis XIII supprima ; celle de surintendant-général des postes la remplaça en 1630. Nous voyons dans cette nouvelle dénomination, sinon de plus grandes prérogatives attachées aux postes, du moins une organisation particulière qui tendait dès-lors à leur donner une forme plus régulière, et qui a servi de base au système administratif adopté généralement de nos jours. En effet, cette charge, exercée annuellement par chacun des trois conseillers[55] nommés par le Roi, rentre absolument dans les attributions actuelles des directeurs-généraux, dont les fonctions sont partagées par les administrateurs qui forment leur conseil. Les modifications apportées par la suite, dans le nom ou dans le nombre de ces emplois supérieurs, sont subordonnées à des causes accidentelles qui n’ont rien changé au principe.
[55] Il en était ainsi, dit Sully, des offices des finances possédés par trois personnes, sous le titre d’ancien, d’alternatif et de triennal.
On étendit l’utilité de cette mesure en établissant en même tems des charges de conseillers, maîtres des courriers, contrôleurs provinciaux des postes. L’activité et la surveillance directe et continue de ces nouveaux agens, sur toutes les parties de ce service, devaient en hâter l’amélioration. Elle fut rapide : leurs attributions étaient très-étendues. Ils présentaient les sujets pour les places dont le surintendant disposait seul, et dans lesquelles ils n’étaient confirmés qu’après avoir prêté le serment de fidélité au roi. Ils indiquaient aussi les changemens à opérer, soit dans le départ ou la marche des courriers. Ainsi, ceux de Paris partirent plus régulièrement deux fois la semaine ; et il fut réglé qu’ils feraient nuit et jour, pendant les sept mois de la belle saison, une poste par heure ; et, pendant les cinq mois d’hiver, il leur fut accordé une heure et demie, pour parcourir la même distance.
Les contrôleurs provinciaux jouissaient encore du revenu de la taxe des lettres. Tant d’avantages firent craindre que leur influence ne détruisît en partie celle du surintendant-général, et ne les rendît indépendans. Louis XIII mit des bornes à leur pouvoir en faisant rentrer dans les attributions de celui-ci une partie des prérogatives qu’il avait accordées aux premiers, sans diminuer l’heureuse impulsion qu’ils avaient communiquée et qui devait produire les résultats les plus satisfaisans. Les priviléges qu’avait déjà M. de Nouveau[56], surintendant-général des postes, s’accrurent de tous les droits dont les contrôleurs furent privés. « Confirmons, dit le roi, aux surintendans-généraux, tous les gages, les appointemens, plats et ordinaires en notre cour et suite, logement près de notre personne, extraordinaire gratification, récompenses, estrennes, revenus desdits relais et chevaux de louage, avec pouvoir de changer, augmenter et diminuer lesdites postes, contraindre les maistres d’icelle, d’observer les édits, ordonnances et règlemens cy-devant faits, et ceux qui seront ou pourront être à l’avenir ; ensemble muleter lesdits maistres de poste par retranchement de leur charge, etc. ; disposer d’icelles et de toutes les autres qui dépendent d’eux, desquelles choses ils ne seront responsables qu’à notre personne. »
[56] Conseiller, commandeur, grand trésorier des ordres, revêtu des trois charges d’ancien, alternatif et triennal.
Certes, c’était une charge éminente que celle qui donnait de telles prérogatives. Nouvelle preuve de l’importance que nos rois attachaient aux postes, en élevant ceux auxquels ils en confiaient le soin au rang de ministres de leur maison.
Les contrôleurs, rendus plus dépendans du surintendant-général, n’en contribuèrent pas moins à la prospérité d’un établissement auquel ils devaient apporter de si utiles et de si nombreuses améliorations.
Le public continuait d’introduire dans les missives, malgré toutes les défenses faites à ce sujet, des objets étrangers à la correspondance. Le surintendant-général représenta au Roi l’impossibilité de s’opposer aux transports de ce genre. Il fut décidé, d’après cela, que les envois auraient lieu suivant le mode établi pour l’argent monnoyé. Cette nouvelle partie du service reçut la dénomination de valeurs cotées, parce qu’on en percevait le port sur le prix que l’envoyeur était obligé de déclarer aux officiers des postes, en leur présentant l’objet à découvert, afin d’en justifier l’estimation.
Les particuliers trouvèrent dans cette mesure un moyen de faire parvenir, sur tous les points de la France, les matières d’un grand prix dont la circulation n’aurait pu s’étendre par le peu de relations établies encore entre les provinces. Le commerce et l’industrie durent en recevoir une nouvelle activité. Aujourd’hui, par les raisons contraires, ce mode est loin d’être aussi productif pour les postes. C’est une facilité dont le public n’use que rarement.
Les intérêts des maîtres des relais furent un instant compromis par la concurrence des messagers royaux. Les avantages apparens qu’elle semblait offrir aux particuliers pouvaient entraîner des résultats funestes au bien de l’état. Dès 1634, les remontrances du surintendant-général des postes furent accueillies, et les messagers royaux furent forcés de s’en tenir à l’édit de leur création, qui les obligeait à marquer leurs chevaux d’un signe particulier, à ne conduire par leurs voitures les voyageurs d’une ville à l’autre du royaume qu’avec les mêmes chevaux, et à n’employer, en cas d’insuffisance, que ceux des maîtres de poste ; il leur était interdit en outre de recevoir les étrangers, ainsi que les personnes qui partaient de la cour, soit pour voyager dans l’intérieur du royaume, soit même pour en sortir.
La politique de ces tems n’était pas parvenue au point de mettre obstacle à la correspondance entre les individus, lorsque les grands débats qui s’élevaient entre les puissances étaient reglés par les chances de la guerre : le Roi ne voulut pas que les intérêts privés en souffrissent, et que les relations fussent interrompues. En conséquence, les courriers, pendant la guerre qui eut lieu en 1637 transportèrent les lettres comme à l’ordinaire.
Ce principe généreux n’a pas été toujours reconnu ; et nous verrons, dans la suite, qu’on a souvent usé d’une grande rigueur à cet égard.
Le droit de franchise ou d’exemption de taxe, qui n’avait pas reçu d’extension, et qu’on avait accordé par une faveur toute spéciale, aux ambassadeurs, leur fut bientôt retiré. L’abus qui s’était introduit, sans doute à leur insçu, de faire parvenir la correspondance des particuliers sous leur couvert, avait causé une diminution considérable sur la recette des lettres provenant de l’étranger. Il cessa en partie par cette mesure ; mais il paraît difficile de remédier à un pareil inconvénient, qui s’est renouvelé tant de fois depuis.
Le service des postes prenant de plus en plus de l’accroissement, la surveillance active des contrôleurs provinciaux ne pouvait s’exercer avec le même succès sur tous les points. Les relais et les bureaux de poste se multipliaient chaque jour ; le nombre des fermiers et des messagers, tant royaux que de l’université, augmentait en proportion ; il fallait aussi que celui des commis s’accrût pour le travail des lettres. Les contrôleurs provinciaux jugèrent donc convenable d’établir un nouvel agent, dont les attributions, en opposition avec celle des fermiers et des employés, concourussent néanmoins à faciliter tant d’opérations, avec la même régularité. Le roi créa, à cet effet, en 1643, des offices de contrôleurs, taxeurs et peseurs de lettres et paquets. L’emploi de ces contrôleurs était de taxer les lettres à l’arrivée des courriers, en suivant les poids en usage dans les villes ; de tenir des registres de celles qu’ils expédiaient ; de recevoir les plaintes relatives au service ; enfin de faire observer les réglemens. L’achat de ces charges leur donnait aussi l’avantage de jouir du quart en sus de tous les ports des lettres et paquets allant par la voie des postes.
Ces charges furent supprimées en 1655. On les remplaça par celles d’intendans (au nombre de quatre), dont les attributions furent plus étendues, et on leur adjoignit toutefois des commis pour remplir les fonctions des contrôleurs.
Il est facile de voir que, si le gouvernement trouvait quelque profit dans les fréquentes mutations des charges, il y était également porté par l’accroissement que les postes prenaient chaque jour. La nécessité de multiplier les moyens de surveillance entraînait la création de nouveaux emplois, parmi lesquels la hiérarchie, observée déjà avec rigueur, établissait les droits réels à l’avancement.
Les messagers de l’université, à l’exemple des messagers royaux, ayant empiété sur les droits des postes, échouèrent également, en 1661, dans leurs prétentions exagérées. Ils ne partirent plus que, comme par le passé à certains jours, des villes où ils étaient établis, en ne marchant qu’à journées réglées entre deux soleils, sans pouvoir aller en poste, ni se servir de courriers pendant la nuit, ni même de chevaux de relais de traite en traite sur les routes. La contravention à ces défenses emportait la confiscation des chevaux, une amende de 1000 fr., et la prison à l’égard des courriers.
Les postes fixèrent l’attention de Louis XIV, qui devait leur communiquer, comme à toutes les institutions de son règne, ce caractère de grandeur et de stabilité qui l’a immortalisé.
Elles furent cependant encore menacées d’une ruine totale. Plusieurs voyages de la cour, dans les provinces, causèrent la perte de plus d’un quart des chevaux. La rareté qui s’en suivit, et, par conséquent, le prix auquel on portait ces animaux, joints à la disette des fourrages, laissait peu d’espoir de remonter cet établissement. Le découragement était à son comble ; et les maîtres de poste, dont les relais n’étaient pas entièrement démontés, menaçaient de les abandonner.
Le roi, vivement touché de leur sort, s’empressa de remettre en vigueur les arrêts qui leur accordaient les priviléges qu’on n’avait cessé de leur contester, et qu’ils tenaient de Louis XI et de ses successeurs. Ils consistaient dans l’exemption de la taille sur 60 arpens de terre (non compris les héritages qui leur appartenaient) ; de milice pour l’aîné de leurs enfans et le premier de leurs postillons ; de logement de gens de guerre ; de contributions au guet, garde, subsistances et autres impositions ; des charges de ville, de tutelle, curatelle, établissemens de séquestres et saisies réelles, etc. ; enfin, de droits aussi onéreux qu’assujettissans, dont on ne les déchargeait que pour les distinguer plus spécialement, en raison de l’utilité et du genre de leur service. Ils étaient, en outre, commensaux de la maison du roi, et jouissaient des gages attachés à leurs titres. Leurs brevets étaient signés par le prince.
Louis XIV ne se contenta pas de cet acte de justice : il ordonna qu’aucune charge du royaume ne serait acquittée avant celles dues pour indemniser les maîtres de poste de leurs pertes, voulant réparer, par une mesure prompte et préservatrice, un mal dont les suites pouvaient devenir si funestes à l’état.
L’exemple de ces révolutions désastreuses dans les postes, tant chez les anciens que chez les modernes, aurait dû mettre en garde contre de pareils retours, si le flambeau de l’expérience servait de guide aux novateurs.
La seule protection de nos rois a soutenu cet établissement contre leurs mesures inconsidérées : elle est encore la cause de leur prospérité. Mais n’est-il donc aucun moyen de consolider cette institution, en l’asseyant sur des bases solides et à l’abri de tout ébranlement ? L’agriculture, sur laquelle les maîtres de poste devraient porter toutes leurs vues, nous semble celui qui y conduirait le plus infailliblement, surtout s’il était soutenu par les encouragemens qui font naître l’émulation, sans laquelle tout languit. Ils serviraient doublement leurs intérêts et ceux de l’état, en y rattachant leur industrie qui s’y lie si étroitement. L’exploitation d’une grande ferme ferait la sécurité du gouvernement, et la richesse du maître de poste. En effet, ce dernier redouterait-il le ravage des épizooties, la disette des fourrages, la rareté des chevaux[57], la cherté qui s’en suit, lorsque les siens, forts et vigoureux, seraient entretenus avec soin, nourris sainement et exercés avec discernement. En les élevant sur son domaine, il en améliorerait la race et l’approprierait au besoin de son relais ; leur nombre, toujours en raison de l’importance de sa culture et de la nature des produits de sa terre, ne serait pas limité à celui des réglemens. Verrait-il, d’après cela, la cause de sa ruine dans un événement passager, la forme d’une voiture, son poids, sa surcharge ; des voyages multipliés ; des guerres, des invasions, où des circonstances imprévues ne pourraient mettre sa prévoyance en défaut ; et, toujours prêt à seconder les vues du gouvernement auquel il devrait sa considération, il trouverait dans ses propres ressources les moyens d’assurer, en tout tems, un service que des sacrifices incalculables ne pourraient souvent préserver d’une entière destruction.
[57] Les chevaux français sont très-estimés, surtout ceux que fournit la Normandie, qui sont préférés pour l’attelage. On porte à 1,650,000 le nombre de ceux de toute espèce qu’on élève en France. L’Angleterre en compte à peu près le même nombre.
C’est surtout par l’entretien des routes royales[58] que l’on concourrait efficacement à soutenir les maîtres de poste. Celles qui traversent la France, dans tous les sens, sont bien coupées et parfaitement alignées. Les ponts, les chaussées et toutes les constructions en ce genre, fixent, par leur perfection, l’attention des étrangers. Sous le règne de Louis XV, un nombre considérable de routes ont été ouvertes des portes de la capitale aux extrémités du royaume. Quelques entreprises semblables ont eu lieu depuis ; mais ce n’est pas assez de créer, il faut entretenir. Tous les états de l’Europe sentent aujourd’hui la nécessité de tracer des grands chemins ou de les réparer. L’Angleterre nous en donne l’exemple en les multipliant au point d’en compter trois fois plus qu’en France[59], et plusieurs autres nations rivalisent d’émulation à cet égard. Il y aurait peu à faire si l’attention du gouvernement se portait sur ce point. Déjà, quelques heureux essais font pressentir le désir qu’il aurait d’améliorer une partie si importante de l’administration intérieure de l’état. Des compagnies entreprennent d’établir une route en fer, de Lyon à Saint-Etienne, et proposent d’en exécuter une semblable de Paris au Hâvre. Un pont suspendu à des chaînes de fer s’achève sur le Rhône. On en construit un de ce genre, à Paris, entre l’esplanade des Invalides et les Champs-Elysées ; et bientôt, sans doute, tous les passages où l’on n’avait pu vaincre, jusqu’à ce jour, les difficultés que la nature oppose, deviendront praticables, ou cesseront d’être un objet continuel de crainte pour les voyageurs qui traverseront, en tout tems et avec sécurité, ces gorges profondes et ces fleuves rapides auxquels l’obscurité des nuits et l’inclémence des saisons ajoutent de nouveaux dangers.
[58] Quant aux routes départementales et vicinales, elles sont en général fort dégradées.
[59] La longueur des routes en France n’excède pas 10,000 lieues tandis que l’étendue des chemins de la Grande-Bretagne dépasse une longueur de 30,000 lieues.
Nous n’aurions pas la moindre incertitude sur le sort des grandes routes, en France, si on assignait sur les revenus des postes, un fonds suffisant à leur entretien ; car, tout en admirant les ouvrages des anciens, nous nous condamnons à ne pas les imiter, en réprouvant les moyens qu’ils employaient pour en assurer la durée. Charlemagne, à l’exemple des Romains, faisait travailler ses troupes[60] et ses sujets aux grandes entreprises de l’empire, parmi lesquelles la construction des routes tenait un rang si important. Nous ne pensons pas qu’en suivant le système actuel il y fût parvenu.
[60] Le roi de Suède a fait faire par ses troupes près des six septièmes des grands travaux effectués en canaux et en routes.
Il n’est pas douteux que le mauvais état des routes n’ait été pendant long-tems le motif du peu de perfection qu’on remarquait dans nos voitures. C’étaient des chariots attelés de bœufs dont se servaient les rois de la première race. On ne fait pas remonter l’invention des voitures, qui est due aux Français, au-delà du règne de Charles VII. Malgré le luxe et l’extravagance de ces tems-là, dit Millot, on ignoroit tellement las commodités de la vie, que, durant l’hiver rigoureux de 1457, les seigneurs et les dames de qualité, n’osant monter à cheval, se faisoient traîner dans des tonneaux en guise de carrosses. Le char[61] suspendu que Ladislas, roi de Bohême, envoya à la reine mère, Marie d’Anjou, surpassa bientôt tous les essais en ce genre. Il estoit, disent les chroniques, branlant et moult riche.
[61] 1475.
Avant cette époque les reines, comme toutes les dames de la cour, allaient en litière ou à cheval. Sous François I.er, les princesses parurent, à diverses cérémonies, montées sur des haquenées blanches.
Il n’y eut d’abord, en France, que le carrosse de la reine Eléonore, celui de la duchesse d’Angoulême, mère de François I.er, et celui de Diane, fille de Henri II. Ces voitures, rondes et petites, ne pouvaient contenir que deux personnes. Elles furent agrandies, et devinrent si incommodes, que le parlement pria Charles IX d’en défendre l’usage dans Paris : il ne fut plus maintenu que pour les voyages. Le bon Henri n’avait cependant qu’une seule voiture, et elle était de cette espèce. Je ne pourrai vous aller trouver d’aujourd’hui, écrivait-il à Sully, ma femme m’ayant pris mon coche. Le défaut de glaces à sa voiture, disent les historiens, a peut-être été la cause de sa mort.
Les courtisans allaient au Louvre à cheval, et les dames montaient en croupe ou en litière. Les conseillers se rendaient au palais sur des mules.
Un seigneur de la cour, nommé Jean de Laval de Bois-Dauphin, paraît être le premier qui se soit servi de voitures à l’exemple des princes. Sa grosseur excessive, qui l’empêchait de marcher et de monter à cheval, en devint le motif. On remarqua ensuite celle du président de Thou. Bassompière, sous le règne de Louis XIII, essaya, le premier, de faire placer des glaces à son carrosse. Ce ne fut qu’en 1515 qu’il parut des voitures à Vienne, et en 1580 à Londres.
On conçoit, d’après cela, que cette invention, attribuée aux Français, n’est point une assertion vague et dénuée de preuves. Mais il est juste d’avouer aussi que les imitateurs les ont surpassés pendant long-tems dans la construction élégante et commode des voitures.
Jusqu’en 1650, l’usage ne s’en était répandu que parmi les particuliers très-riches. Elles se multiplièrent tellement depuis, que, vers la fin du règne de Louis XV, on comptait plus de 15,000 voitures de toute espèce à Paris seulement.
C’est à un nommé Sauvage qu’on doit, vers le milieu du XVII.e siècle, l’établissement des voitures publiques. Messieurs de Villermé et de Givry obtinrent le privilége exclusif de louer, à Paris, les carrosses, les grandes et petites carrioles, dans lesquelles on ne payait que cinq sous ; d’où leur vient le nom de carrosses à cinq sous. Ceux à un prix déterminé par heure ou par course leur succédèrent en 1662. Le carrabas ou char-à-banc, et les voitures connues sous une dénomination si triviale, allaient de Paris à Versailles. Le carrabas était d’osier, d’une forme longue et propre à contenir vingt personnes ; attelé de huit chevaux, il mettait six heures pour faire quatre lieues et demie. Les autres carrosses paraissaient moins incommodes quoique ouverts à tous les vents.
Plus tard, en 1766, le nombre des coches avait beaucoup augmenté ; il en partait chaque jour 27 de Paris, contenant 270 personnes. Aujourd’hui, il part habituellement de la capitale 300 voitures et 3000 voyageurs. A la même époque on comptait 14 établissemens de roulage : ce nombre s’élève à présent à 70.
Quant au nombre des voitures, il s’est considérablement accru, tant dans les provinces qu’à Paris où on en remarque de toutes les formes. Celui des fiacres[62] ou voitures de place est de 3000, et l’on porte à 2000 celui de cabriolets. Il serait inutile de détailler ici les facilités offertes au public pour voyager sur tous les points du royaume. Paris est le centre où viennent aboutir les entreprises multipliées qui s’élèvent chaque jour dans toutes les villes des provinces. Les voitures qu’on emploie à ces divers services, rivalisent entr’elles de goût et de commodité : elles contiennent assez ordinairement 18 ou 20 voyageurs. Quant à leur marche, elle acquiert chaque jour plus d’accélération. Les prix varient en raison de la concurrence.
[62] Ce mot vient du nom d’un moine du couvent des Petits-Pères, qui s’appelait Fiacre, mort en odeur de sainteté. La vénération qu’on lui portait allait si loin, que chacun voulait avoir son effigie et qu’on la peignait même sur les portières des carrosses de place, d’où leur est venu le nom du fiacre.
Les malles-postes et les messageries[63] royales se distinguent particulièrement entre toutes ces entreprises.
[63] On appelle aussi, dans la capitale, messagerie à cheval, les chevaux qu’on fournit aux voyageurs, et que le messager en chef de la cavalcade, suit dans un chariot chargé de leur bagage, en leur indiquant les lieux de la dînée et de la couchée. On fait à peu près 16 ou 18 lieues par jour, en trouvant à chaque lieu de repos les repas préparés. Cette manière de voyager est peu dispendieuse.
La première chaise de poste parut en 1664. On en attribue l’invention à un nommé Grugère. Le privilége exclusif en fut accordé au marquis de Crenan, dont le nom, pour cette raison, fut donné à ces sortes de voitures. Elles ne furent pas long-tems en usage à cause de leur pesanteur, et on les remplaça par celles construites sur le modèle des chaises allemandes.
Jusqu’en 1663, la poste n’avait rapporté aucun revenu au roi, car on ne pouvait considérer comme tel la vente des charges et du privilége accordé depuis peu d’années aux officiers des postes, de percevoir les ports de lettres à leur bénéfice. Cet avantage s’était considérablement accru par les améliorations successives qu’on ne cessait d’introduire dans un service si favorable aux intérêts des particuliers. Le marquis de Louvois, ministre de la guerre dès 1654, venait d’être élevé[64] à la charge de surintendant général des postes. Ce ministre jugea qu’il était tems de faire tourner, au profit du Roi, les produits d’une institution entretenue à ses dépens, sans, pour cela, en changer la nature. Et parce que les postes augmenteraient les revenus du trésor royal, il n’entra pas dans les vues d’un ministre de Louis XIV, appelé à les diriger, de les considérer à l’avenir comme créées dans ce but.
[64] 1668.
Loin de subir les suites funestes d’un pareil systême, nous voyons les postes au contraire s’élever davantage, s’il est possible, par le caractère de stabilité et d’indépendance que leur imprime le marquis de Louvois, sous la direction duquel tous les élémens qui les constituaient, liés avec plus d’ordre, en ont formé cette administration importante, l’objet encore de l’admiration de toute l’Europe.
Le nouveau mode introduit dans les postes s’opéra sans secousse par l’esprit de justice qui en prépara la transition ; et les intérêts des titulaires furent réglés avec sagesse et discernement. Comme on ne pouvait encore subir les chances d’une gestion compliquée, le marquis de Louvois pensa que l’expérience était le seul moyen de s’éclairer dans ces grandes mesures que le tems amène ; et, pour y parvenir, il proposa au Roi de mettre les postes en ferme[65] : ce projet ayant été approuvé, Lazare Patin fut reconnu, par le premier bail de 11 ans montant à 1,200,000 fr., fermier général des postes de France.
[65] Le systême des fermes, tant décrié de nos jours, ne devait cependant diminuer en rien la confiance dont les postes jouissaient. Elles tenaient ce précieux avantage de l’esprit de paternité avec lequel elles étaient constamment dirigées. Ce régime attachait tellement les officiers des postes à leurs emplois, qu’ils semblaient les regarder comme un héritage de famille. On en trouverait encore qui pourraient puiser, dans de vieux souvenirs, de nouveaux titres à l’estime générale. Certes, l’intérêt n’était pas le seul mobile qui faisait tenir à ces places, la plupart peu lucratives : la considération qui ne manque jamais d’être la récompense d’une conduite honorable, explique assez le prix que mettaient même des personnes de distinction à gérer un bureau de poste qui rendait à peine trois cents francs, ou un relais de peu de valeur.
Les courriers n’étoient chargés, dit Mezeray[66], que des affaires du Roi, aussi couroient-ils à ses dépends. On ne prétendait, et cela est positif, retirer d’autre avantage des postes que celui de correspondre avec célérité, et de voyager rapidement.
[66] Histoire de France.
Maintenant, ajoute le même auteur, les courriers portent aussi les paquets des particuliers, si bien que, par l’impatience et la curiosité des François, il s’en est fait un avantage encore plus grand pour les coffres du prince que pour la commodité publique.
Une telle conséquence, maigre l’erreur évidente qu’elle renferme, serait encore loin de porter la moindre atteinte au principe qui régit les postes ! La société réclamait une institution ; elle est établie et mise en harmonie avec ses besoins. Tout s’anime par elle : les relations se multiplient ; le commerce est vivifié ; les sciences et les arts sont répandus ; et bientôt l’agriculture, qui ne fructifierait que sur quelques points favorisés par leur position géographique, porte, dans les lieux destinés peut-être à n’en jouir que tardivement, les procédés les plus utiles éprouvés par l’expérience.
Semblables à ces sources bienfaisantes qui donnent naissance aux fleuves auxquels le sol doit sa fécondité, les postes sont ce germe précieux de prospérité qui, en se développant, multiplie ses trésors avec une étonnante profusion. Leur influence est telle qu’on ne pourrait la comprimer sans danger. Elles existaient en entraînant de grandes dépenses : elles existeraient encore indépendamment des produits qu’on en retire, et que les bienfaits qu’elles répandent depuis leur existence ont successivement accrus. On ne reconnaît point un impôt à ce caractère ; quoique créé, annulé ou modifié sous une dénomination quelconque, son but est de produire : son action cesse dès que cette seule condition n’est pas remplie ; tandis que les postes, dont les attributions n’ont d’analogie avec aucune autre institution, privées de ce résultat, continuent d’imprimer le même mouvement au corps social. Il est naturel de faire retourner à l’avantage du trésor l’excédant des recettes qu’elles produisent, après avoir épuisé toutefois les moyens d’améliorations directs ou indirects qui s’y rattachent : il était juste même que le fisc fût à l’abri de toute malversation. Mais où est la garantie de la société, en admettant comme possible la soustraction de quelques missives ? L’argent remplace l’argent ; les marchandises et tous les objets industriels en circulation dans le commerce, ont une valeur appréciable ! quelle compensation offrirait-on pour la perte de titres importans, de pièces dont dépendent l’honneur et la fortune des individus ; pour la violation du secret des familles, de l’état même ? Les postes ont donc un caractère moral qui constitue leur indépendance. Elles semblent être une exception dans l’ensemble du grand système social. Ce principe reconnu par le prince qui les a instituées, et consacré par nos rois qui les ont conservées sous leur protection, en communiquant sans intermédiaire avec les hommes d’état auxquels ils en confient spécialement la direction, a seul contribué à leur maintien et les préservera de toute décadence.
A peine le fermier fut-il en jouissance de son privilége que le transport frauduleux des lettres et paquets qui avait lieu par l’entremise des personnes étrangères aux postes, le contraignit de demander la résiliation de son bail ou la répression d’abus qui le mettaient dans l’impossibilité de remplir les engagemens qu’il avait contractés. On fit droit, en 1673, à une si juste réclamation dans les termes suivans, qui rappelaient ceux de l’édit de 1630 :
Très expresses inhibitions et défenses à tous maistres et fermiers de carrosses, cochers, muletiers, rouliers, voituriers, cocquetiers, poullailliers, beurriers, piétons et autres, tant par eau que par terre, de porter aucunes lettres de quelque sorte et nature que ce soit, à l’exception seulement des lettres de voiture, des marchandises et hardes dont ils seront chargés, malles non fermées, ni cachetées ; et à tous messagers d’avoir aucuns bureaux, tenir aucune boëte, recevoir, porter aucunes lettres et paquets etc. ; contre chacun des contrevenants de 1500 livres d’amende payables franc de port, en vertu du présent arrest, sans qu’il en soit besoin d’autre, et confiscation des chevaux, mulets et équipages, dépens, dommages et intérêts.
On apporte, en 1676, quelques modifications au tarif établi pour la taxe des lettres.
Le 2.e bail[67] des postes est porté à 1,800,000 fr.
[67] 1683.
Le 3.e bail[68] des postes est porté à 1,400,000 fr.
[68] 1688.
L’ordre que le marquis de Louvois avait établi dans les postes, fit réduire, à sa mort[69], l’office de la surintendance générale des Postes à une simple commission.
[69] 1699.
M. le Pelletier, conseiller d’état, lui succède.
Le 4.e bail[70] des Postes s’élève à 2,820,000 fr. Cette augmentation provient des adjudications faites partiellement, et de la ferme des messageries étrangères qu’avait possédées le marquis de Louvois.
[70] 1695.
M. Arnaud de Pompone, ministre secrétaire d’état, remplace, en 1698, M. le Pelletier.
Le 5.e bail des Postes est au même prix que le précédent.
En 1699, M. de Colbert, marquis de Torcy[71], secrétaire d’état au département de la guerre, est nommé surintendant-général des Postes. Il devait en conserver pendant long-tems la direction ; aussi reçurent-elles sous lui de nombreuses améliorations. Il continuait le systême de M. de Louvois ; il faisait plus, il le consolidait, en se montrant digne d’occuper une place aussi importante.
[71] Commandeur et grand trésorier des ordres. C’est de lui dont parle Duclos, lorsqu’il rapporte la réponse pleine de fermeté qui fut faite à lord Stairs, ambassadeur d’Angleterre à la cour de France. Le Roi (Louis XIV), dit-il, refusa de donner audience à ce dernier et le renvoya, pour les affaires, au marquis de Torcy, dont Stairs reçut une leçon assez vive.
Croyant pouvoir abuser du caractère doux et poli du ministre, il s’échappa un jour devant lui en propos sur le Roi. Torcy lui dit froidement : M. l’ambassadeur, tant que vos insolences n’ont regardé que moi, je les ai passées pour le bien de la paix ; mais si jamais en me parlant vous vous écartez du respect qui est dû au roi, je vous ferai jeter par les fenêtres. Stairs se tut, et de ce moment fut plus réservé.
Le parlement enregistra l’édit pour la surintendance des Postes, en faveur du marquis de Torcy, et celle des bâtimens en faveur du duc d’Antin, qui avait succédé à Mansard, surintendant-général des bâtimens, en qualité de directeur général. L’enregistrement souffrit beaucoup de difficultés, parce que l’édit de suppression portait qu’elles ne pourraient être rétablies ; les gages qui étaient attachés à chacune montaient à près de 50,000 fr.
Nous avons indiqué, suivant leur ordre de création, toutes les parties qui entrent dans l’organisation des Postes. L’affranchissement des lettres, c’est-à-dire la liberté et souvent l’obligation d’en acquitter le port d’avance, existait depuis long-tems, et même avait été toujours en usage pour certains lieux. Cette mesure n’était pas uniforme. Il en résultait un préjudice notable pour les négocians dont les avantages réciproques ne pouvaient être balancés en ce cas. Les députés du commerce firent, en 1701, des représentations au roi, qui, en les conciliant avec les intérêts du fermier général des Postes, supprima l’affranchissement pour les lettres qui y étaient assujetties dans le royaume, et ordonna que les lettres et paquets seraient taxés d’après le dernier tarif. Cette mesure ne s’étendit pas à celles destinées pour l’étranger.
Le 6.e bail[72], fait pour 3 ans, est de 3,200,000 fr.
[72] 1703.
Les anciens tarifs furent supprimés, comme n’étant plus dans la proportion des frais qu’exigeaient les améliorations nouvellement introduites dans le service, tant à cause des distances, que du poids de l’once qui était égale à six lettres, lorsqu’on ne l’avait réglé que sur le pied de trois. Celui qu’on établit en 1703 parut plus conforme aux intérêts des postes, et portait, entr’autres articles, que les lettres et paquets seraient payés suivant le poids des villes où existaient les bureaux, et que les distances[73] des lieux seraient comptées d’après le nombre des postes établies sur les routes que devaient suivre les courriers : la franchise n’avait pas reçu d’extension.
[73] Au côté gauche de la façade de Notre-Dame, est un poteau triangulaire qui indique le point central d’où l’on commence à compter les distances sur les différentes routes qui aboutissent à Paris.
Le droit à percevoir sur les articles d’argent et les valeurs cotées n’était pas réglé sur une base fixe ; il fut porté à un sou pour livre, taux auquel il est resté jusqu’à ce jour.
Le prix des chaises de poste, de Paris à Versailles, est fixé par les réglemens à 7 liv. 10 sous.
L’usage de voyager en poste par les voitures dites berlines, inventées par Philippe Chieze, premier architecte de Fréderick Guillaume, électeur de Brandebourg, fut défendu. La pesanteur de ces lourdes voitures avait démonté la plus grande partie des relais. Cette sage mesure suspendit l’effet d’un mal que le tems et de grandes précautions pouvaient seuls réparer.
Le 7.e bail[74] a lieu pour 3 millions.
[74] 1709.
Le 8.e bail[75], quatre ans après, est porté à 3,800,000 fr.
[75] 1713.
L’état florissant auquel les postes étaient parvenues pendant le siècle de Louis XIV, laissait peu de changemens à y introduire sous celui de son successeur. Quoique cette époque, où l’on mit en vigueur beaucoup de mesures réglementaires, ne paraisse pas si féconde en améliorations, le comte d’Argenson, ministre et secrétaire d’état au département de la guerre, grand-maître et surintendant-général des postes et relais, ne contribua pas peu à les soutenir avec le même éclat que sous ses prédecesseurs. Il défend, par un arrêté, de donner des chevaux aux courriers pour les lieux où le Roi fixe sa résidence : il est à remarquer que, par la dénomination de courrier, on entend tout voyageur qui se sert de la poste.
L’Université de Paris avait joui de tout tems, par un privilége particulier, du droit de messageries et de poste ; le Roi, en le lui retirant, en 1719, lui accorda pour indemnité le 28.e du bail général des postes, montant à 120,000 fr. : cette somme était destinée à subvenir aux frais de l’instruction que l’Université faisait gratuitement.
Tant que les postes ne furent pas établies de manière à satisfaire tous les besoins, il était naturel de tolérer un moyen qui favorisait à la fois l’intérêt de l’Université et celui de la société. Mais il eût été impolitique de laisser subsister plus long-tems une entreprise de cette nature, en opposition avec le service de l’état. Il est évident que, dans ce cas, toute concurrence en entraverait la marche et en compromettrait même l’existence. Le Roi fit donc une chose utile, en ôtant ce privilége à l’Université, et un acte de justice, en l’indemnisant de la perte qu’il lui faisait éprouver. Etait-il convenable, d’ailleurs, qu’un corps, destiné à propager le goût des sciences et des belles-lettres, continuât une exploitation si peu en rapport avec ses attributions et son indépendance. Si l’Université s’était soutenue long-tems par ce moyen, il était de la dignité des successeurs de Charlemagne et de François I.er de la protéger et d’être leur seul appui à l’avenir.
Le 9.e bail est renouvelé, en 1721, pour 3,446,743 liv.
On remet en vigueur les ordonnances sur les passeports.
Le 10.e bail est porté, en 1729, à 3,946,042.
Le 11.e ne subit pas d’augmentation en 1735.
Une ordonnance règle le service des courriers, leur marche sur les routes, et les droits et frais à leur charge.
Comme il arrivait souvent que les voyageurs prétendaient être servis aux relais avant les courriers et les messageries, et que, pour y parvenir, ils employaient la ruse et quelquefois la force, il fut ordonné aux maîtres de poste de ne céder à aucune menace, et on leur renouvela l’assurance d’une protection spéciale contre toutes les prétentions qui pourraient s’élever à l’avenir à cet égard.
Le 12.e bail, en 1738, fut fait en régie pour le compte du Roi, dans l’intention d’avoir une connaissance exacte des produits des postes et messageries. Des lettres patentes augmentèrent ce bail de 1500 fr., parce qu’on réunit aux postes le privilége qu’avait le prince de Lorraine, de fournir des litières dans toute l’étendue du royaume, excepté le Languedoc et la Bretagne, dont il se réserva la jouissance.
Le 13.e bail est passé pour six années, à Carlier, en 1739, moyennant la somme de 4,521,400 fr.
La première poste, à la sortie des villes de Paris, Lyon, Versailles et Brest, est considérée comme poste royale et doublée par ce motif.
Les maîtres de poste, en 1740, sont autorisés à ne conduire aux relais étrangers qu’en se faisant payer d’avance et sur le pied de monnaie étrangère. Ils sont également autorisés, plus tard, à fournir des chevaux pour les routes de traverse, au prix qu’il leur conviendra d’exiger, sans pouvoir y être contraints dans aucun cas.
Le 14.e bail, de la durée de 10 années, est renouvelé en 1744, au même prix que le précédent.
Pour remédiera l’inconvénient des lettres mal adressées, il fut réglé, en 1749, que toutes celles qui ne pourraient pas parvenir à leur destination, seraient renvoyées au bout de trois mois dans les villes d’où elles étaient parties, afin que ceux qui les auraient écrites n’en recevant pas de nouvelles fussent à portée de réclamer celles qu’ils auraient intérêt de retirer ou pussent leur donner une meilleure adresse.
Le 15.e bail, en 1750, monte à 4,801,500 fr.
La publication du premier dictionnaire des Postes connu, a lieu en 1754. Il est dédié par M. Guyot, son auteur[76], au comte d’Argenson, surintendant-général des Postes. Cet ouvrage était d’autant plus utile, qu’on n’avait encore recueilli, jusqu’à cette époque, aucun document propre à guider les officiers des Postes dans la direction à donner aux lettres.
[76] Le même autour, en 1782, en fit paraître un autre en deux volumes, sous le titre de dictionnaire géographique et universel des Postes. Il en existe un plus moderne, déjà à sa deuxième édition, par M. Chaudouet et Lecousturier l’aîné. L’utilité de cet ouvrage est trop généralement reconnue pour qu’il ait besoin de nos éloges. Le second de ces auteurs fait paraître annuellement un petit livre pour le départ des courriers de Paris, qui offre des renseignemens précieux, et qui devient indispensable pour toute personne qui veut profiter des avantages de la poste, pour la correspondance journalière.
L’état des postes en France, qui paraît annuellement, est exclusivement destiné à tout ce qui est relatif à la poste aux chevaux. Il convient de le consulter lorsqu’on voyage, par les indications précises et le réglement qu’il renferme.
M. Gouin, administrateur des Postes, a publié un essai historique sur les Postes. Personne, mieux que lui, n’était en état de traiter un pareil sujet. Les services qu’il a rendus à cette administration dans la longue et honorable carrière qu’il a parcourue, et la noble et loyale conduite qu’il a tenue au milieu de nos troubles politiques, l’avaient mis à même de juger sainement tous les événemens et les variations qui s’y rattachent. L’apparition de son ouvrage à l’instant où nous achevions le nôtre, commencé depuis plusieurs années, nous eût imposé l’obligation de le suspendre, malgré le travail qu’il nous a coûté et les recherches longues et souvent fastidieuses auxquelles nous nous sommes livré, s’il fût entré dans le plan de M. Gouin, d’embrasser l’histoire générale des postes. Mais son essai, plus particulièrement destiné à faire connaître les améliorations successives survenues dans les produits des postes, depuis la mise à ferme de ce domaine royal, et l’avantage des nouvelles mesures introduites pour donner plus d’activité à ce service, n’ayant pas pour but celui que nous nous sommes proposé, nous avons dû continuer notre entreprise. Nous lui devons les renseignemens relatifs au prix des baux, et nous regrettons que M. Gouin ne se soit pas étendu davantage sur un sujet qui eût pris sous sa plume un si haut degré d’intérêt.
Tels sont les ouvrages sur les postes parvenus à notre connaissance, au nombre desquels nous devons comprendre un recueil d’édits, dont nous avons extrait quelques passages pour motiver nos citations. Il nous a semblé, d’après cela, que nous ferions une chose utile en recueillant tous les matériaux possibles, tant sur les moyens de correspondre dans l’antiquité et chez les peuples modernes, que sur la manière de voyager, en usage dans toutes les contrées connues : le motif seul peut faire excuser la difficulté de l’entreprise.
Le 16.e bail des Postes s’élève, en 1756, à 5,001,500 fr.
Les excès auxquels on s’était porté envers les postillons, provoquent une ordonnance relative aux peines qu’encourront ceux qui se rendront coupables, à l’avenir, de mauvais traitemens à leur égard.
La déclaration du Roi, du 17 juillet 1759, remet en vigueur tous les édits rendus sur le service des Postes. On y remarque, entr’autres articles, ceux concernant les chargemens, les dépôts d’argent, le tarif pour la perception du port des lettres établi sur des bases nouvelles, et le réglement sur les relais. L’ordre, la célérité et la sécurité que la correspondance retire de ces améliorations rangeront cette époque au nombre de celles auxquelles les Postes sont redevables de quelque perfectionnement.
L’ardent amour du bien public, qui avait inspiré tant de projets utiles à M. Charles Humbert Pierron de Chamousset[77], lui fit naître l’idée de la petite-poste. Le service, devenu de jour en jour plus actif et plus régulier, et la multiplicité des relations dont Paris était le point central, exigeaient un mode nouveau et prompt de recevoir et d’expédier les missives de la capitale. La difficulté de se rencontrer dans une ville si populeuse, le tems perdu à de vaines recherches, tout faisait sentir la nécessité d’une mesure qui procurât les moyens d’y correspondre avec célérité. M. de Chamousset, qui avait mûri cette idée, fit part de ses vues. On en reconnut les avantages, et le projet d’un homme de bien fut accueilli favorablement : on fit plus, on le réalisa. La petite-poste fut organisée, d’après son plan, dans l’intérieur de Paris, où cent dix-sept facteurs[78] faisaient journellement ce service. Elle fut d’abord en régie, et on la réunit par la suite à la ferme générale. Cette organisation, comme toutes les institutions naissantes, a dû éprouver divers changemens avantageux. Les plus notables ont été introduits par M. le duc de Doudeauville. Sept distributions ont lieu en été et six en hiver. Par ce moyen, si l’on observe les heures indiquées par les affiches, on peut obtenir la réponse et même la réponse de la réponse aux lettres écrites dans la journée.
[77] Les œuvres de M. de Chamousset, maître des comptes, né à Limoges, ont été recueillies, en 2 volumes, par l’abbé Cotton de Houssays. On y distingue des mémoires intéressans sur la poste aux chevaux, les roulages et les messageries.
[78] Il n’est peut-être pas hors de propos de parler de l’intelligence et de l’activité de ces agens, tant à Paris que dans les provinces. Le trait suivant en est une preuve. Un facteur de la grande poste, nommé Jean Gourget, dit Saint-Jean, gagea qu’il irait, les yeux bandés, de l’école militaire à la grande poste, rue Plâtrière. Il passa l’eau à la place Louis XV, dans un bateau qu’il alla chercher lui-même, sans le secours de la voix ni du batelier. Parvenu aux galeries du Louvre, il indiqua la sonnette de l’imprimerie royale ; et, dans la rue Froidmanteau, il s’arrêta vis-à-vis un marchand de vin dont il était connu et demanda à se rafraîchir. Il était suivi de ceux qui tenaient le pari, et en gagna le prix sans opposition.
Il existait autrefois en Italie, si l’on en croit Audibert[79], une petite-poste d’un genre différent, qui avait aussi ses messagers d’une espèce toute particulière et non moins d’activité. C’étaient les vendeurs de poulets qui portaient les billets doux aux femmes. Ils glissaient ces billets sous l’aile du plus gros, et la dame, avertie, ne manquait pas de le prendre, en ne donnant jamais le tems aux argus de se saisir du courrier innocemment contrebandier. Ce manége ayant été découvert, le premier messager d’amour qui fut pris, fut puni de l’estrapade, avec des poulets vivans attachés aux pieds. Telle est l’origine du nom de poulet donné aux billets doux.
[79] Auteur des curieuses recherches sur l’Italie.
L’établissement de la petite-poste aux lettres, en France, a donné, dans ces derniers tems (1824), l’idée des petites messageries[80] dans Paris, pour les effets et les marchandises. Il y a long-tems que plusieurs capitales de l’Europe participent à cet avantage par le moyen de la poste aux lettres. Ce nouveau service, quoiqu’organisé sur les mêmes bases, n’en est aucunement dépendant. Les motifs qui ont rendu l’usage de la petite-poste si nécessaire, ont sollicité celui des petites messageries dans le but d’établir un service régulier, célère, économique et responsable, dont l’objet est de transporter, d’un quartier de Paris à l’autre, les effets, articles et commissions de toute espèce ; et les marchandises de gros poids déplacées et mises en circulation par le commerce.
[80] La direction générale est rue de Seine-Saint-Germain, n.o 12, Hôtel-de-la-Rochefoucauld.
Un nombre suffisant de bureaux de dépôt établis dans les rues et les places les plus fréquentées, ainsi que les boîtes pour la petite-poste, reçoivent continuellement, contre des récépissés imprimés et à talons, tous les paquets et articles, jusqu’au poids de 25 livres qui y sont remis avec des adresses attachées aux articles.
Les facteurs, dans le cours de leurs tournées, reçoivent aussi, contre de semblables récépissés, les articles jusqu’à 25 livres pesant, qu’on leur donne de la main à la main sur leur passage, qu’ils annoncent par le son d’un cor, comme à Londres les bellman le font par le son d’une cloche.
Les articles de poids sont recueillis à domicile.
Des voitures attelées, bien couvertes, font trois fois par jour la levée des dépôts et pareil nombre de distributions. Dans la belle saison, ce nombre est porté à quatre.
Il y a en même tems un service de gamionage pour le transport des marchandises de volume et de gros poids.
Chaque article, jusqu’à 25 livres, paie 35 centimes ; de 25 à 100, 45 centimes ; de 100 à 200, 55 centimes, etc. On a la facilité d’affranchir les envois.
En cas de perte des articles dont la valeur n’aura pas été déclarée, la compagnie remboursera 20 francs pour chaque article qu’on ne pourra représenter ; elle répondra de la valeur entière, lorsqu’elle aura été déclarée, mais alors le prix de transport y sera proportionné.
Il est facile de voir, par cet exposé, le rapport qu’il y a entre les petites messageries et la petite-poste. Ce rapprochement suffira pour motiver les raisons qui nous ont fait entrer dans des détails que nous ne croyons pas sans intérêt pour le lecteur.
En 1761, les postes sont mises en régie pour le compte du roi. On règle aussi les prix que doivent payer les courriers de cabinets et de dépêches.
En 1764, le 18.e bail, toujours avec les messageries en litière, monte à 7,113,000 francs.
Malgré l’augmentation successive survenue dans la ferme des postes, depuis la cession faite par l’université, à raison du 28.e sur les produits qui en proviendraient, l’indemnité primitive n’avait point subi de changemens. Ce corps, en 1765, exposa, par une requête au roi, les droits et les priviléges sur lesquels cette réclamation était si justement fondée.
Le 19.e bail, renouvelé en 1770 pour neuf ans, s’élève à 7,700,000. Les fermiers sont tenus de faire un cautionnement. Cet usage, introduit pour assurer les droits du gouvernement, est devenu depuis une clause obligatoire de tous les engagemens de ce genre.
L’établissement d’une caisse, destinée au soulagement des courriers, a lieu en 1772. Elle est formée de la retenue du tiers du prix qui leur revient par course. Cette idée sage et prévoyante fut inspirée par un sentiment bien digne d’éloges pour cette classe d’hommes employés à un service toujours fatigant et souvent périlleux[81].
[81] La vie du courrier est active, pénible même. Il voyage sans cesse et n’a d’autre habitation que sa voiture : c’est dans cette mobile machine que s’écoule son existence. Il est partout et ne se fixe nulle part. A peine a-t-il atteint le terme de sa course, qu’il retourne aussi rapidement aux lieux qu’il a quittés, pour en repartir de nouveau avec la même vitesse. Le sommeil l’accable-t-il, il ne peut s’y livrer, malgré la fatigue qui le provoque. Là, c’est un relais où il change de chevaux ; ici, un bureau de poste où il remet et reçoit des dépêches. Ces interruptions sont tellement répétées, que, dans un trajet de cent lieues, par exemple, qui doit être fait en moins de quarante heures, il trouve souvent dix bureaux de poste et vingt-cinq relais. Combien de circonstances encore ne contribuent-elles pas à multiplier ces incidens. Tout ce que la nature oppose d’obstacles doit être vaincu : il brave l’intempérie des saisons et les ténèbres de la nuit ne l’arrêtent pas dans sa marche. Sa prévoyance ne peut être en défaut pour remédier même aux événemens indépendans de sa volonté.
Sa surveillance tient à sa responsabilité ; son activité, à la célérité de son service ; son extrême probité s’explique par la confiance qu’on lui porte, et la discrétion lui est imposée comme un devoir. Non-seulement il remet avec un soin scrupuleux les dépêches qu’il a reçues, il les défend, même au péril de sa vie, s’il est attaqué. C’est dans ces luttes inégales qu’il montre un courage qui le fait souvent triompher du nombre et sauver le dépôt sacré, confié à sa fidélité, par tous les moyens qui sont en son pouvoir. Que d’actions éclatantes attesteraient qu’il n’est aucun dévouement dont il ne soit capable, et que d’exemples prouveraient qu’il n’est aucun devoir dont il n’observe l’accomplissement avec une religieuse exactitude.
On devait, par suite de ces vues bienfaisantes, en étendre les avantages à tous les agens des postes auxquels on fait subir des retenues qui ont varie, et qui sont fixées aujourd’hui à cinq pour cent du montant des appointemens.
Ainsi, par l’effet d’un léger sacrifice, l’homme laborieux voit sans crainte l’avenir qui l’attend au bout d’une carrière longue et honorable. Si elle ne lui a pas offert des chances de fortune, du moins, lorsque le tems du repos, souvent pour lui celui des infirmités, est arrivé, il recueille avec reconnaissance les fruits d’une mesure dictée par une prévoyance toute paternelle.
La place de surintendant-général des postes, après la mort du marquis de Torcy (1746), qui avait sous lui un contrôleur-général, avait été donnée au comte de Voyer d’Argenson, ministre de la guerre.
Le duc de Choiseul, aussi ministre de la guerre, lui succéda. Il avait également sous lui un intendant-général, dont les attributions étaient les mêmes que celles de contrôleur-général. Il n’y avait de changement que dans la dénomination de cet emploi, qui réunissait, par le fait, toutes les prérogatives attachées aux postes. Il donnait le droit de travailler seul avec le Roi, et d’entrer chez Sa Majesté à toute heure du jour ou de la nuit. M. Jannel, qui s’était distingué dans plusieurs circonstances, occupait cette place sous le duc de Choiseul. Voici comme Duclos s’exprime à son égard : M. le Duc (c’est ainsi qu’on désignait le duc de Bourbon, ministre sous le régent), pleinement rassuré, oublia que c’était aux conseils de M. Jannel qu’il devait d’avoir prévenu une sédition par rapport aux grains, et eut honte d’avoir eu et surtout montré de la peur. Il ne sut pas distinguer un malheur prévenu d’un malheur imaginaire. Ses affidés lui exagérèrent les sacrifices qu’ils avaient faits pour obtenir des dédommagemens, et il fit expédier une lettre de cachet pour le mettre à la Bastille. L’ordre en fut bientôt révoqué, parce qu’on en sentit l’injustice, et on avertit Jannel d’être plus discret, au hasard d’être moins utile.
Au commencement du règne de Louis XVI, M. Turgot, ministre d’état au département des finances, devint, en septembre 1775, surintendant-général des postes, et refusa les émolumens attachés à cette place.
Il est à remarquer que jusqu’à lui les ministres de la guerre avaient été seuls en possession de cette charge ; ce qui prouverait, s’il en était besoin, qu’on la considérait comme tout-à-fait étrangère aux finances, puisqu’on n’avait jamais songé à l’y rattacher. Mais M. Turgot, qui méditait de grandes réformes, sans attenter aux prérogatives des postes, chercha, en les amenant sous son influence, à les rendre favorables à ses projets. Il les réunit, pour cet effet, aux messageries royales, par les édits des 7 et 14 août 1775.
En combinant ces deux services, il espérait pouvoir parvenir à faire transporter les lettres par les messageries, en un seul jour, au moins à 30 lieues à la ronde de Paris, terme où les courriers de la malle les auraient reçues pour les transmettre sur tous les points du royaume. L’économie qu’on aurait retirée de cette mesure, et que le ministre avait particulièrement en vue, ne compensait aucun des graves inconvéniens qu’elle entraînait. Où elle existait réellement, c’était dans les avantages que les messageries procureraient de conduire les fonds avec sûreté, rapidité et sans frais, ou des recettes particulières au chef-lieu, ou d’une province à l’autre, ou des provinces à Paris, ou même, enfin, de Paris aux provinces, comme cela se pratique encore aujourd’hui.
M. Turgot, qui avait conçu de grands projets sur la construction et l’entretien des routes, qui se rattachent si essentiellement aux postes, y aurait porté, sans doute, cet esprit d’économie si peu en rapport avec les ouvrages d’une nation qui veut travailler pour la postérité. Tout en cédant à cette idée si louable qui le dominait, il favorisait les postes sur quelques points, en se proposant de faire observer rigoureusement les distances de quatre lieues entre chaque relais, soit qu’on les eût négligées, ou qu’elles n’eussent pu être gardées par des considérations locales difficiles à surmonter dans l’origine. Il devait, en outre, donner l’inspection des routes aux maîtres de poste intéressés, à leur entretien. Aux avantages que leur eût procuré le traitement attaché à cette nouvelle attribution, se seraient joints ceux qui résultaient nécessairement d’une surveillance qui eût contribué si puissamment à la prospérité des relais.
Au reste, M. Turgot ne voyait dans la réunion des postes aux messageries qu’une considération secondaire, celle d’une augmentation de recettes, ou, plus exactement, une diminution dans les dépenses qu’il évaluait devoir être, par la suite, de quatre millions.
Quant aux priviléges accordés précédemment pour droits de carrosses, de diligences et de messageries, le roi, en y rentrant exclusivement, ne fit qu’user de la faculté qu’il s’était réservée en les concédant. Les fermiers qui ne pouvaient l’ignorer, quoique traités avec justice dans tous les réglemens qu’entraînait cette mesure, ne la trouvèrent pas moins très-rigoureuse, par la privation soudaine d’avantages qu’elle leur enlevait et à laquelle ils étaient loin de s’attendre. Ils furent, pour le trésor royal, de 1,500,000 fr. auxquels on porta la ferme des messageries. Le soin des gouvernemens, dans les changemens qu’amènent les circonstances pour les rendre favorables à la société, doit être de les opérer doucement, afin de concilier tous les intérêts.
L’établissement de voitures[82] à 4, 6 ou 8 places, commodes, légères et bien suspendues, pour partir à jours et heures réglés, fut ordonné sur toutes les grandes routes du royaume. Un autre arrêt prescrivait la marche à suivre pour l’administration des diligences et messageries, et le tarif des ports à payer, soit pour les places dans les diligences, soit pour le transport des hardes, de l’argent et autres effets.
[82] M. Turgot ayant changé la forme des voitures, elles furent appelées turgotines pour cette raison. Loin d’être telles que l’édit le portait, elles étaient lourdes, incommodes et très-bruyantes.
Le baron d’Ogny, intendant-général des postes, jouissait, comme M. Jannel, son prédécesseur, des mêmes priviléges. M. de Clugny remplace M. Turgot dans la surintendance des postes.
Le 20.e bail, pour un an, pendant 1776, monte à 8,790,000. Cette augmentation est fondée sur la réunion des divers priviléges des carrosses, coches d’eau et messageries, à la ferme des postes.
Le 21.e bail est en régie pour compte du roi, moyennant 10,400,000 fr. Les six administrateurs qui en sont chargés fournissent un cautionnement de 4,800,000.
Une ordonnance du roi, rendue en 1779, augmente la masse des retenues du produit du livre de poste publié, jusqu’à ce jour, au profit d’un étranger.
Afin de prévenir la perte des lettres mal adressées, il fut réglé, en 1781, qu’elles seraient renvoyées dans les bureaux dont elles portaient le timbre, pour faciliter les réclamations. Cette mesure eut lieu en même-tems pour les lettres refusées faute d’affranchissement. Dans le premier cas elles devaient séjourner trois mois dans les bureaux, et quatre mois dans le second.
En 1782, Dom Gauthey, religieux de l’ordre de Citeaux, soumit au jugement de l’Académie des Sciences un moyen qu’il avait imaginé pour correspondre au loin par l’emploi de signaux. Le rapport fait par le marquis de Condorcet et le comte de Milly, annonçait que ce secret leur paraissait praticable, ingénieux et nouveau, qu’il ne rappelait aucun procédé connu et destiné à remplir le même objet ; qu’il pouvait s’étendre jusqu’à la distance de trente lieues, sans stations intermédiaires et sans préparatifs très-considérables. Quant à la célérité, qu’il n’y aurait que quelques secondes d’un signe à l’autre ; que ces signes[83] pouvaient répondre du cabinet d’un prince à celui de ses ministres, et que l’appareil enfin ne serait ni très-cher, ni très-incommode.
[83] Par des moyens acoustiques qu’on parle de renouveler pour l’établissement de télégraphes en Angleterre.
Dans la même année, M. Linguet annonça un mémoire dans lequel il prétendait avoir trouvé le moyen de transmettre les avis avec promptitude, et celui d’établir un idiome constant et réglé, dont la vue seule était l’interprète, aussi rapide que docile, supérieur à tous ceux connus dans cette poste oculaire, qui joignait à la facilité, la sûreté, la simplicité et l’économie.
Le secret devait être impénétrable pour les agens intermédiaires, aussi étrangers à ce qui se passerait que les courriers à l’égard des dépêches qu’ils transportent. Ce n’était qu’aux extrémités que le mot de l’énigme volante aurait été connu de ceux chargés d’expédier et de recevoir les avis.
L’auteur du projet proposait d’en faire l’épreuve secrète, de Paris à Saint-Germain, en 4 minutes.
Vers la fin du XVII.e siècle, Amontons, fameux mécanicien, avait inventé, dit Fontenelle dans le rapport qu’il fut chargé de faire de ce procédé ingénieux, un moyen de faire savoir tout ce qu’on voudrait à une très-grande distance ; par exemple, de Paris à Rome, en très-peu de tems, comme trois ou quatre heures, et même sans que la nouvelle fut connue dans tout l’espace qui sépare ces deux villes.
Ces théories, qu’on regardait comme des chimères, devaient cependant conduire, quelques années plus tard, à des découvertes[84] et des procédés de la plus haute importance. Quelques essais infructueux, ou qui ont manqué d’encouragemens, ne peuvent ôter le mérite de l’invention à leurs auteurs.
[84] Dès l’année 1763, M. Cugnot essaya, avec succès, à Paris, de construire des voitures mises en mouvement par la vapeur.
Le célèbre Aéronaute Blanchard fit, en 1779, devant la famille royale, l’expérience d’un carrosse de son invention, qui roulait très-rapidement sans le secours des chevaux. Il se proposait, par la suite, de perfectionner ces voitures, afin de les rendre propres à voyager sur les routes. On peut avoir une idée de leur construction par les détails ci-après. A la portée qu’occupe le brancard ou le timon, était un aigle les ailes déployées. C’est là qu’étaient attachées les guides, à l’aide desquelles la personne placée dans la voiture en dirigeait la marche. Derrière était un homme qui imprimait à la voiture un mouvement plus ou moins rapide, en pressant alternativement les deux pieds, ce qui ne lui causait aucune fatigue, et ce qui n’exigerait, à la rigueur, qu’un relais d’hommes. Il se tenait debout ou assis, les jambes en partie cachées dans une sorte de malle ou coffre, où les ressorts paraissaient établis.
On faisait, presqu’en même tems, sur la Seine, l’essai d’un bateau, canot ou nacelle, appelé la poste par eau, qui ne mit que quelques minutes à faire le trajet du Pont-Neuf au Pont-Royal. Ce bateau avait 18 pieds de longueur sur 6 de largeur ; il allait par le moyen d’une grande roue que tournait un seul homme et qui donnait, par cette impulsion, le mouvement à d’autres, substituées intérieurement aux roues ordinaires. L’inventeur, M. de la Rue d’Elbeuf, prétendait que ce bateau remonterait le courant avec la même vitesse, et se proposait même de la doubler en établissant sur les grandes roues un engrenage.
M. Mulotin, horloger à Dieppe, imagina aussi un phare d’une construction remarquable. Il avait la forme d’une horloge et le mouvement faisait paraître une masse de lumière de 24 réverbères, dont la durée était de 3 minutes, et la disparition d’une.
Un autre moyen, de ce genre, avait pour but de donner aux feux un éclat particulier qui les distinguât de manière à empêcher de les confondre avec les autres feux.
L’année 1783, le 22.e bail en régie, de 11,600,000 fr., fut confié à six régisseurs, qui donnèrent un cautionnement de 6 millions. Il leur fut accordé pour remise, droit de présence, étrennes, frais de bureaux et secrétaires, 216,000 fr., ce qui faisait 36,000 par an pour chacun. Outre cela, il leur était alloué le cinquième de tout ce qui excéderait 11,600,000 fr. de produit net, et l’intérêt du cautionnement à cinq pour cent.
En 1785, le duc de Polignac[85] est nommé directeur-général des postes aux chevaux, relais et messageries. La place d’intendant-général est accordée à M. de Veymerange[86].
[85] Marquis de Mancini, brigadier des armées du roi, premier écuyer de la reine et directeur-général des haras.
Le marquis de Polignac ; chevalier des ordres du roi, premier écuyer de Monseigneur le comte d’Artois, gouverneur du château royal de Chambord, obtint la survivance de la place de directeur-général de la poste au chevaux.
[86] Chevalier de Saint-Louis, intendant des armées du roi.
Cette même année, l’uniforme des officiers des postes est réglé par une ordonnance. Il n’est plus exigé aujourd’hui que pour les employés des postes militaires, les postillons et les courriers. La couleur en est bleue pour tous, mais avec des marques distinctives qui varient suivant les emplois. Les postillons, par exemple, ont des revers rouges, des boutons fleurdelisés et des galons d’argent : ils portent sur le bras gauche un écusson aux armes royales. Cet écusson est placé sur la poitrine des courriers ; l’habit de ces derniers, bordé d’un liseré d’argent, est orné au collet de deux fleurs de lis brodées également en argent.
Les malles-postes et les messageries royales sont distinguées par les armoiries de la couronne.
Le 23.e bail, porté à 10,800,000 fr. en 1786 (en 1788 à 12,000,000), est passé, pour cinq ans, avec M. Poinsignon.
L’année suivante, la poste aux chevaux et les relais sont réunis à la poste aux lettres, le duc de Polignac, qui en était directeur-général, ayant donné sa démission. La place d’intendant-général, créée en même tems, fut supprimée.
L’université conservait encore, en 1789, comme un privilége qu’elle s’était réservé, des messagers dont les charges étaient à la nomination des quatre nations qui composent la faculté des arts. Ces charges ne se vendaient point ; il n’en coûtait que les frais de réception, montant environ à 500 francs. Les messagers étaient appelés aux processions du recteur, et avaient leur salle d’audience au collége de Louis-le-Grand.
Le roi n’ayant pas nommé à la place de surintendant-général des postes, depuis M. de Clugny, le baron d’Ogny était resté seul chargé de la direction de cette importante administration, sous le titre d’intendant-général des courriers, postes, relais et messageries de France. Les administrateurs étaient MM. de Montregard, de la Reignière, Richard d’Aubigny, de Richebourg, Gauthier, de Montbreton, Mesnard, de la Ferté, Delaage, de Vallogué et de Longchamp.
Il avait aussi un conseil des relais, composé de trois inspecteurs-généraux.
Nous venons d’exposer rapidement, dans tout ce qui précède, les divers changemens survenus dans les postes depuis leur origine jusqu’en 1789. Objets, pendant plus de trois siècles d’existence, de la protection spéciale de nos rois, elles étaient parvenues au point d’être utiles à la fois au peuple dont elles multipliaient les relations, et à l’état dont elles augmentaient les revenus. Les recettes des lettres et paquets, abandonnées pendant près de deux cents ans aux agens des postes, à titre d’émolumens, devinrent si productives par la suite, entre les mains des fermiers-généraux, qu’elles avaient atteint un taux qu’on devait à peine dépasser de nos jours.
Mais les institutions les plus sages, consacrées par le tems et les besoins des peuples, ne pouvaient survivre au renversement de la monarchie. C’est sous cette ère fatale, signalée par un crime inouï dans nos fastes, que nous allons suivre les variations que les postes ont subies jusqu’au rétablissement de la maison de Bourbon.
Dès 1790, un décret supprime les priviléges des maîtres de poste qui avaient été créés par Louis XI, et rigoureusement maintenus par ses successeurs. Une indemnité annuelle, de 30 livres par cheval entretenu pour le service de la poste, les remplace. Elle ne peut être moindre de 250 fr., ni dépasser 450 fr., quelle que soit l’importance des relais.
Les titres et traitemens de l’intendant-général, ceux de l’inspecteur-général, les gages des maîtres des courriers, etc., sont également supprimés.
M. de Richebourg est nommé commissaire du roi près les postes, place qui répondait à celles de surintendant et d’intendant-général. Il réunit, dans ses attributions, la poste aux lettres, la poste aux chevaux et les messageries, quoique séparées pour l’exploitation.
Le serment d’observer la foi due au secret des lettres, est exigé de tous les agens des postes.
Les fonctions des inspecteurs, visiteurs et officiers du conseil des postes, sont remplies par deux contrôleurs-généraux, auxquels il est accordé un traitement de 6000 fr.
Le bail des postes, passé en 1788, avec M. Poinsignon, est maintenu.
Les réformateurs, dans cette désorganisation totale, se voient forcés, pour ne pas entraver la marche d’un service si important, de conserver les anciens réglemens et le tarif de 1759. Les arrêts de 1771, 1784 et 1786, subissent seulement quelques changemens relatifs au contre-seing et au brûlement des lettres inconnues, refusées et non-réclamées.
Les maîtres de poste du royaume demandent la réunion des messageries à la poste aux chevaux.
Le privilége exclusif des carrosses de place et des voitures des environs de Paris, accordé à la compagnie Perreau, est résilié.
M. Jean-François Dequeux devient, en 1791, fermier des messageries, coches et voitures d’eau, par bail de la durée de six ans neuf mois.
Les administrateurs des postes font remise au roi du 5.e des produits nets qui excèdent les onze millions du bail expiré le 31 décembre.
A cette époque où, sous prétexte du bien public, on ne respectait plus rien, le désordre était à son comble. L’assemblée nationale[87], elle-même, parut effrayée des abus qu’entraînait le zèle des corps administratifs et des municipalités. La correspondance des particuliers n’était plus à l’abri de la plus infâme des violations ; les courriers qui refusaient de remettre les dépêches, dont ils étaient responsables, s’exposaient aux mauvais traitemens d’individus livrés à la licence la plus effrénée ; et les directeurs ne pouvaient soustraire, à leurs criminelles perquisitions, les lettres qu’on osait leur enlever par la force dans les dépôts sacrés confiés à leur garde. Cependant, par une concession bien digne de ces tems désastreux, cette même assemblée, en cherchant à réprimer une telle conduite, crut devoir l’excuser en disant qu’elle était tolérable dans un moment d’alarme universelle et de péril imminent.
[87] Elle improuva la conduite de la municipalité de Saint-Aubin, pour avoir ouvert un paquet à M. d’Ogny, intendant-général des postes, et plus encore pour avoir ouvert ceux adressés au ministre des affaires étrangères et au ministre de la cour d’Espagne ; et chargea son président de se retirer de vers le roi, pour le prier de donner des ordres nécessaires afin que le courrier de ces paquets fût mis en liberté, et pour que le ministre du roi fût chargé de témoigner à M. l’ambassadeur d’Espagne les regrets de l’assemblée de l’ouverture de ses paquets.
Les postes sont administrées, en 1792, par un directoire composé d’un président et de cinq administrateurs. M. de Richebourg est nommé, à ce premier emploi, avec un traitement de 20,000 fr. Il leur est assigné à tous un logement à l’Hôtel-des-Postes[88].
[88] Bâti sur les ruines de l’Hôtel-de-Flandres, qui appartenait, dès la fin du XIII.e siècle, aux comtes de ce nom. Le roi Charles VII le donna, en 1487, à Guillaume de la Trimouille. Il fut possédé par Jean-de-Nogaret, premier duc d’Epernon, favori de Henri III, et passa ensuite à Berthélemi d’Hervart, contrôleur-général des finances, qui le fit reconstruire en entier ; puis en suite à M. Fleuriau d’Armenonville, secrétaire-d’état et garde des sceaux. Cet hôtel portait encore son nom lorsqu’il fut acheté des héritiers du comte Morville, son fils, pour y placer les bureaux de la poste. Il fut réparé et distribué à cet effet, et l’on y construisit, du côté de la rue Coq-Héron, un hôtel pour l’intendant général des postes.
Pour établir les bases du nouveau tarif[89] sur le prix du transport des lettres et paquets, on fixe un point central dans chacun des 83 départemens, et les distances entr’eux sont calculées d’un point central à un point central à vol d’oiseau, et à raison de 2283 toises par lieue. Le quart de l’once détermine le poids de la lettre, dite simple ou non pesante, dont le port, fixé à quatre sous dans l’intérieur de chaque département, augmente d’un sou hors de ce département, et jusqu’à vingt lieues inclusivement. Une progression d’un sou par dix lieues est réglée jusqu’à cent, et subit quelques modifications au-delà de cette distance.
[89] Celui de 1769 était basé sur la distance réellement parcourue, et on ne reconnaissait pas de distance au-dessous de 20 lieues.
Le transport des dépêches qui, jusqu’alors, avait eu lieu sur les grandes routes et sur les petites, à cheval, en brouettes ou voitures non-suspendues, la plupart découvertes, attelées d’un seul cheval et conduites par le courrier, devient l’objet d’une mesure générale et uniforme. Des courriers de poste aux lettres sont établis sur quatorze routes, dites de première section, et sur vingt-six de deuxième section en voitures suspendues, couvertes, montées sur deux roues et attelées de trois chevaux. Le service en est fait par les maîtres de poste, au prix de 30 sous par cheval et par poste, au lieu de 25 sous auquel il était précédemment fixé.
Le droit de franchise et de contre-seing des lettres, étendu chaque jour dans une proposition nuisible à la recette des postes, est limité par un nouveau réglement.
Il n’est encore rien changé à la remise sur les articles d’argent déposés, qui, de tout tems, avait été perçue au profit des directeurs des postes. Ce n’est que plus tard que le trésor s’est attribué cette recette.
Une instruction générale, sur le service des postes, devenait indispensable. Elle comprend toutes les bases sur lesquelles repose cette institution ; mais les modifications qui pourraient y être apportées, seront réglées par des circulaires imprimées.
On abolit le privilége de poste royale ou double, dont jouissaient les maîtres de poste de Versailles, de Paris, de Lyon et de Brest.
Les emplois des contrôleurs provinciaux des postes, qui avaient échappé à la réforme totale de ce qui tenait à l’ancienne organisation, disparaissent à leur tour. On y supplée par des inspecteurs auxquels la surveillance générale des bureaux de poste et des relais est confiée dans les départemens.
Les courriers sont élus par les sections de Paris. Les directeurs et les contrôleurs des postes sont nommés par le peuple. Les fonctions des premiers comprennent toutes les parties du service. Les directions sont simples ou composées : dans le premier cas, le directeur suffit à toutes les opérations ; mais, dans le second, l’importance des bureaux nécessite un nombre d’agens proportionné aux besoins des localités. Alors, il y a un contrôleur dont les attributions sont en opposition avec celles du directeur, comme exerçant sur lui une surveillance continue dans l’intérêt de l’administration.
On exige des directeurs, en 1793, un cautionnement en biens fonds de la valeur du cinquième du produit net de l’année commune de chaque bureau.
Les chevaux de poste sont payés, par les voyageurs et les courriers extraordinaires, à raison de 40 sous par cheval et par poste, et 15 sous de guide au postillon.
Le bail des messageries est résilié.
On réunit la poste aux lettres, les messageries et la poste aux chevaux, sous une seule et même administration, spécialement chargée de la surveillance et du maintien de l’exécution des trois services. Elle est composée de neuf administrateurs[90] élus par la convention, sur la présentation du directoire exécutif. Ces nominations n’ont lieu que pour 3 ans.